Plan
Résumé
En 1952, Philippe Soupault inaugure au Club d’Essai le bref programme radiophonique Chansons d’écrivains du réalisateur débutant Jean Chouquet. Désirant réconcilier le public et la poésie, ce programme offre une mise en musique de quelques poèmes de Soupault publiés dans le recueil Chansons (1949), chantés par différents artistes qui mélangent les genres. D’une chanson à l’autre, le poète tisse de sa voix l’histoire de ces textes liés à des souvenirs de ses premières années d’enfance. Comme il le confessera trente plus tard, cette mise en musique se révélera décevante pour le poète qui ne parvient plus à retrouver le rythme propre à ses créations et les sons de l’enfance qui ont inspiré ces poèmes. Malgré l’apparente variété des poèmes et des musiques choisis, le thème de la mort scande le programme, comme toute l’œuvre de poète, bien que la musique des mots parvienne à désamorcer l’horreur.
In 1952 Philippe Soupault, under the direction of novice broadcaster Jean Chouquet, inaugurated the short radio programme Chansons d’écrivainsat the Club d’Essai. Wishing to reconcile public and poetry, the programme set to music various poems by Soupault from his collection Chansons (1949)
Texte intégral
Dans cet article, nous allons nous pencher sur la participation de Soupault à un programme relativement bref du Club d’Essai intitulé Chansons d’écrivains, produit au début des années 1950 en collaboration avec un réalisateur débutant dans le métier, Jean Chouquet. Que révèle-t-elle de son rapport à la poésie ? Qu’apporte-t-elle à sa trajectoire de poète ? La série d’émissions date de 1952 [1]. Le poète est déjà un familier des ondes depuis 1936, année durant laquelle il s’est vu confier une émission littéraire à Radio-Paris-PTT. Nommé directeur de Radio-Tunis en 1938, poste qu’il occupera jusqu’en 1940 [2], il est comme tant d’autres à cette époque séduit par les possibilités de la mise en ondes et semble à son aise dans un monde radiophonique où il adoptera à peu près tous les rôles possibles au micro, en studio et dans les bureaux. Lui qui croyait être un instrument de la poésie, ne pouvait qu’être séduit par cet « instrument merveilleux », cet « être presque fabuleux, sorte de personne douée d’omniprésence et d’omniscience, une géante aux cent bouches » (Tardieu [3]). Car la radio, écrivait-il en 1941, peut servir la poésie, qui « doit nous étonner, nous surprendre, nous saisir, s’emparer de notre être » et la poésie peut « redonner à la radio et au cinéma le pouvoir d’exprimer la vie [4] ». Dans les années d’après-guerre précisément, la radio redevient pour de nombreux poètes le lieu de tous les possibles qu’elle était déjà pour plusieurs d’entre eux dans les années trente [5]. Et, tandis que les émissions de poésie se multiplient sur les grandes chaînes de la RDF, le Club d’Essai, confié en 1946 au poète Jean Tardieu avec mission d’en faire un espace de création et de recherche sur les possibilités artistiques du médium et d’« amener avec tact et sans outrance, le plus grand nombre d’auditeurs aux manifestations artistiques de haute qualité [6] », explore dans diverses directions les possibilités de poésie qu’offre la radio.
1. Rencontre avec la voix de Soupault
La série qui nous intéresse est née d’une rencontre : celle d’un « jeune homme féru de poésie et de radio », Jean Chouquet, sortant « de Khâgne et de la Sorbonne [7] », avec la voix de Soupault. Un jour de 1950, alors qu’il est assistant de Pierre Desgraupes pour l’émission Le Journal des voyages sur le Programme National, Chouquet écoute Soupault parler au micro de son voyage au Mexique, et tombe sous le charme : « Quel séducteur ! » Le poète possède le don de se faire écouter, sa parole est « claire, vive », il connaît la valeur des espaces blancs et le poids du silence ; de sa parole « surgissent les images ». Ses mots ouvrent les portes de l’imagination à ceux qui l’écoutent : il fait « voir le Mexique par l’oreille (Mexico la nuit, les Mariachis, les pyramides aztèques) [8] ». Il a compris le pouvoir d’absence et de présence que la radio donne aux voix [9]. À la fin de l’interview, Chouquet raconte qu’il a « l’audace » de rattraper Soupault dans l’escalier et de lui proposer de transformer certains poèmes de son recueil récemment paru, Chansons (1949) en « chansons chantées [10] ». L’accord est immédiat, et c’est ainsi que démarre sous le titre Chansons d’écrivains, avec le poète et grâce à lui, la toute première série du jeune producteur.
Alors que les entretiens-feuilletons d’écrivain se multiplient sur les ondes, c’est un tout autre format que Chouquet imagine avec Soupault : pensant au succès rencontré à Saint-Germain-des-Prés par les poèmes de Prévert mis en musique par Joseph Kosma ou Christiane Verger, il conçoit une série dans laquelle l’auditeur découvre en compagnie de l’auteur ses poèmes « métamorphosés en chansons ». Pour Chouquet en effet, les poèmes-chansons de Soupault sont « faits pour être chantés [11] ». La radio devient, dans cette série, un espace où la poésie peut retrouver ses origines musicales, où les poèmes de l’écrivain peuvent récupérer, peut-être, quelque chose du caractère populaire de toute chanson.
Or une chanson peut être fredonnée n’importe quand, n’importe où et par n’importe qui, rappelle Soupault en 1952 dans l’émission Paroles de France, au micro de Georges Charbonnier :
Les chansons obtiennent souvent l’unanimité. J’ai pu suivre le sillage d’une chanson dans tous les pays que j’ai visités depuis deux ans […] « Lili Marlène », les Anglais, les Américains ont aussi chanté cette chanson qui venait de leurs ennemis [12].
Alors que les poèmes « exigent la réflexion », la chanson est pour Soupault « beaucoup plus immédiatement acceptable », c’est « une sorte de poésie instantanée et […] il suffit qu’on la mette en musique pour qu’elle parvienne directement à l’auditeur [13] ». Le jeune producteur est lui aussi sensible au pouvoir de ces airs qui se fredonnent à Berlin ou à Saint-Germain-des-Prés. La possibilité de mise en musique de poèmes semble ainsi réaliser un rêve partagé par l’écrivain et son producteur, et bien typique de l’après-Libération [14], de rapprocher la poésie du grand public. À l’encontre d’autres programmes littéraires de l’époque qui, d’après Chouquet, « appliquaient à la règle le diktat de Victor Hugo : “Il est interdit de poser une note de musique le long de ses vers” [15] », les deux hommes construisent un univers où chanson et poésie ne se tournent pas le dos. Chansons d’écrivains préfigure ainsi le programme de Soupault et Chouquet Prenez garde à la poésie qui voit le jour deux ans plus tard avec comme objectif, précisément, de « réconcilier le public et la poésie trop souvent traitée sous un jour austère et ennuyeux [16] ». Programme dans lequel la chanson aura de nouveau sa place.
2. Musiquer les « chansons » de Soupault
Une cinquantaine de chansons ou chansonnettes rythment les six émissions de 20 minutes de la série, diffusées le dimanche du 30 mars au 4 mai 1952, entre 13h25 et 13h45. La variété musicale, vocale et de styles, caractérise le programme, qui a recours à différents compositeurs comme André Popp, Pierre Devevey ou Jean Wiener. Des poèmes choisis parmi les Chansons que Soupault avait publiées en 1949 sont accompagnés de musiques de l’époque : fox, be bop, slows, en alternance avec d’autres musiques plus classiques ou traditionnelles comme la valse, la litanie ou la berceuse. Le tango, le paso doble, la polka ou la mazurka colorent certains poèmes de leurs sons venus d’ailleurs. La voix du poète disparaît pour laisser place à celles d’Aimé Doniat, Fabien Loris ou Mouloudji. Les voix de femmes (Marine-Jeanne Popp, Jeannette Pico ou Catherine Sauvage…) alternent avec des chœurs d’enfants. Les noms d’artistes débutants, inconnus se mêlent à d’autres noms célèbres ou qui le deviendront.
Au total, sur cinquante chansons enregistrées, « une quinzaine furent vraiment réussies [17] », ce qui pour le producteur ne fut pas une mauvaise proportion. On comprend cependant que la réalisation fut une entreprise de longue haleine ‒ au point que deux autres séries seulement virent le jour, la première autour de Raymond Queneau (autre poète exclu du mouvement surréaliste) [18], la seconde autour du poète espagnol Federico Garcia Lorca [19]. Quant à Soupault lui-même, s’il s’est prêté très volontiers à l’expérience, il semble bien, d’après des propos à Serge Fauchereau (près de trente ans après il est vrai), avoir été déçu du résultat : « Mais moi ces chansons mises en musique ne me plaisaient pas [20]. »
Comment expliquer un tel jugement ? L’expérience radiophonique de Chansons d’écrivains dévoile, une fois de plus, l’ambivalence du poète face à la musique. Soupault auditeur radiophonique se distingue du poète qui écrit sa propre musique, crée son propre rythme, cadence ses mots selon son esthétique du son. Conscient du pouvoir de la musique qui parvient plus facilement au public et désireux de rapprocher l’auditeur de la poésie, il se découvre mal disposé à entendre chanter ses propres mots par d’autres. Il affirme ainsi à Georges Charbonnier dans l’émission Paroles de France déjà citée :
Un poème se lit, se dit ou se gueule et on essaye de comprendre. Par conséquent, il a un pouvoir, un potentiel considérable. Une chanson ça s’accepte, ça se fredonne, ça se murmure. Mais c’est accepté presque automatiquement à cause de l’accompagnement. Et je dois dire que lorsque j’entends les poèmes d’Apollinaire récités, ils me semblent beaucoup plus forts que quand c’est une chanson [21].
Michèle Finck a montré comment l’œuvre de Soupault tient à la fois « d’un salubre “la musique ou comment s’en débarrasser” et d’un désir de trouver un nouvel accord avec l’art sonore [22] ». Pour Claude Coste, « tout vient rappeler la présence, tantôt sourde, tantôt éclatante de la musique ; tout semble indiquer également que rien n’est simple dans l’univers sonore de Philippe Soupault [23] ». Les poèmes que Soupault nomme chansons, plus encore que ses autres textes, ont un rythme et une mélodie qui leur sont propres. Aucune musique ne peut reproduire celle qu’entend le poète en écrivant. Lui qui écrit dans Le Bon apôtre : « J’aime les sons, c’est mon mystère [24] » et qui affirme en 1957 que la radio va « nous donner un monde nouveau, celui des sons [25] », constate au fond que « cette fugitive musique que nous poursuivons, nous ne la découvrirons jamais [26] ».
Ce qu’on peut dire, c’est que, pour Soupault, les musiques ajoutées à ses poèmes les popularisent, mais en fardant d’un air parasite la musique de paroles des poèmes eux-mêmes : « La musique farde mais les fait accepter. Il est certain qu’une chanson presque tout le monde l’accepte », dit-il encore à Georges Charbonnier [27]. Les mélodies composées par d’autres altèrent la musicalité des mots du poète, cassent le rythme de ses phrases. La musique propre à ses chansons est étouffée. Les mots familiers, en revenant au poète ainsi « fardés », lui deviennent méconnaissables, comme s’ils ne lui appartenaient plus. Les mots incarnés dans d’autres voix le gênent parfois au plus haut point : « J’avais été choqué d’entendre Eddie Constantine chanter ma chanson “Mélancolie”. Je me rétractais », confesse-t-il à Serge Fauchereau [28]. « Choqué » témoigne d’un malaise profond, que traduit peut-être le silence de sept ans qui suit la publication de son recueil Sans phrases un an plus tard (1953). L’insaisissable Philippe Dada n’entend-il plus la voix qui lui dicte ses poèmes depuis ce jour de 1917 où il était sur un lit d’hôpital militaire ?
Mais à côté des propos tenus à Serge Fauchereau, on peut en mettre d’autres, plus ambigus, tenus à Claude Bonnefoy en 1976 dans l’émission Un poète vivant : « Je relis rarement mes poèmes, mes chansons… surtout quand je les entends chanter, alors là je suis étonné de voir que les chansons ont apporté quelque chose de plus à mes poèmes [29]. »
3. Un dialogue du poète avec lui-même
En 1952, Soupault se prête au jeu que lui propose Chouquet, qui est de tisser un texte autour de ces poèmes chantés :
Vous allez parler à la première personne. Vous allez dire « Je m’appelle Philippe Soupault, je suis né à Chaville ». Son œil s’alluma. Ce fut le déclic… Attention ! Philippe n’allait pas raconter l’histoire, ni les histoires de sa vie, mais il allait analyser les états d’âme qui l’avaient invité à écrire telle ou telle chanson et qui correspondaient aux sentiments qu’il avait éprouvés de sa première enfance à l’âge mûr [30].
Face au micro de la radio, « géante aux cent bouches » (Tardieu), le poète raconte, sur le ton de la confidence et d’une voix douce et posée [31], non pas son histoire directement mais celle de ses chansons… qui n’est autre que la sienne, l’histoire de ses premières années de vie : « Je m’appelle Philippe Soupault. Je suis né à Chaville, Seine et Oise au milieu des arbres [32] ». Il part à la recherche de l’origine de ses chansons afin de retrouver les sons, les bruits, les mélodies qui les ont motivées : « Ces chansons je crois qu’avant de les écrire, je les ai entendues au cours de mes rêveries, pendant mes rêves et mes songes [33] ». Ce voyage dans le temps est celui d’un poète qui tente de retrouver l’origine de son apprentissage des sons, des mots et de la vie comme il le déclare en guise d’introduction de la première émission de Chansons d’écrivains :
Toutes les premières années de mon enfance je les ai vécues à Paris dans cette capitale du bruit où tous les sons, tous les cris, tous les tumultes ont une puissance presque douloureuse. Tous ces bruits forment le décor de mon enfance parisienne. Je n’ai jamais pu les oublier. Ainsi les chansons que j’ai écrites marquent pour moi les étapes de ma vie d’enfant [34].
Ainsi se vérifie tout de même ce que Claude Debon écrit du passage de Queneau dans le même programme : « Tout se passe comme si la radio contraignait au dévoilement, couchait le questionné en quelque sorte sur un invisible divan [35] ». Tissant l’histoire de ses chansons comme pour redonner sens à ce que la musique masque, Soupault parle bien aussi de lui, même s’il dit ne pas aimer cela [36]. Dans cette série, il se confesse et interprète ses poèmes d’un même jet ; ses souvenirs se mêlent à ses textes et les chansons à ses souvenirs. De ces vases communicants, coulent des personnages, imaginaires, littéraires ou réels, rarement nommés par leur nom : enfants, parents, amis, jeunes filles de Chantilly, rémouleurs ou marchants d’habits. « Dans ce monde, d’étranges personnages passent et repassent comme de petits fantômes, mais des fantômes qui sauraient chanter [37]. »
Si de temps à autre Soupault interpelle ses auditeurs anonymes, par exemple pour leur dire que son enfance « est aussi la [leur] car le monde des enfants est celui de tous les êtres humains [38] », ce qui s’instaure au cœur de cette lecture à haute voix, c’est donc une sorte de dialogue entre lui et ses « chansons » : le poète leur parle et les écoute. Il en récite aussi quelques-unes, sans que l’auditeur s’en aperçoive, si ce n’est par la grâce d’un infime son de cloche annonçant le début et la fin de la lecture. Soupault dit en effet ses poèmes comme il parle, avec le même souffle, le même rythme, de sorte que leur mélodie se mêle parfaitement au rythme de sa narration que les chansons musiquées viennent rompre. Car plus encore que ses autres textes, les « chansons » de Soupault ont une mélodie, un souffle, une cadence qui s’inscrivent dans la continuité de la parole du poète. Nous suivons ici Meschonnic, pour qui Soupault « fait de ce qu’il appelle chanson un rythme, une invention du sujet [39] » :
Le rythme est conçu par lui intuitivement comme une organisation du sujet […] Le rythme n’est pas compris selon la mécanique métrique mais selon une régie mystérieuse du sujet, en termes d’images et non en rupture mais en continuité avec le « langage populaire », « le langage quotidien » [40].
L’écart entre les poèmes transformés en chansons et les poèmes « parlés » se révèle d’autant plus grand…
4. Chansons d’enfance et de mort
Les « chansons » dites ou musiquées dans la série de 1952 reprennent des rengaines des années où Soupault enfant apprend à parler et à aimer les mots, comme des bulles de savon. Tel l’enfant qui répète des mots pour se les approprier ou qui fredonne une comptine dans le noir pour se rassurer, le poète compose ses propres ritournelles à partir de voix du passé qu’il entend de façon presque obsessionnelle, et qui ne se taisent que lorsqu’il les a écrites. Lors de cette expérience radiophonique, il entend ces phrases qui se répètent au point de l’agacer. Malgré l’apparente variété des chansons choisies pour le programme, un signifiant ne cesse en effet de faire retour en ces ritournelles (comme dans son œuvre du reste) : ce quelque chose qui reste, qui se répète, est de l’ordre d’un réel qui résiste, d’un impossible à dire qui revient. C’est, ici, « la mort qui guette ou rôde […] constamment présente ou sous-jacente [41] ». Le mot « mort », un des premiers que Soupault ait appris « parce qu’on le prononçait toujours tristement [42] », fait retour d’une émission à l’autre de Chansons d’écrivains. Dans ces « chansons » d’enfance, la mort est omniprésente. Elle ressemble aux jours de la semaine (« Les jours ont aussi des couronnes / comme les rois et comme les morts ») ; elle habite l’âme du poète (« La mort dans l’âme et ailleurs »). Elle provoque aussi le désir de vivre par l’ombre de sa présence (« dépêchez-vous la mort vous guette »).
C’est d’abord la découverte de la mort de l’autre, celle d’un marchand d’habits « mort hier soir à Paris », « ce marchant d’habits dont le cri était si triste et qui à la lumière du souvenir allait devenir un funèbre leitmotiv [43] ». Chez Soupault des êtres meurent en emportant avec eux les bruits, les cris qui peuplent son imaginaire sonore. C’est aussi la sienne, car la mort de l’autre ‒ cette absence, ce silence – devient par contagion la mort de soi : « Et nous rêvions, et nous rêvions nous les enfants qui grandissions. Nous rêvions même que nous mourrions [44]. » Dans cette sarabande funèbre, les peurs de l’enfant sont tournées en dérision par la parole du poète qui subvertit la forme traditionnelle du proverbe :
Quel est celui d’entre nous
qui mourra le premier […]
Rira bien qui mourra le dernier
Tout sera à recommencer
Mourra bien qui naîtra le premier
Il faut quelqu’un pour commencer [45]
Soupault désamorce l’horreur de sa « musique drôle » et de ses « sons rieurs » jouant de ce que « Jankélévitch nomme à propos de Satie la fonction “désintoxicatrice” du son [46] ».
Le poète des Champs magnétiques célébrait le merveilleux comme voie d’accès au surréel, à ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement [47] ». Avec la radio, l’instrument merveilleux se manifeste de manière convaincante, dérangeant le réel qui ne cesse de s’écrire et de faire retour : « Les chansons sont des gouttes d’or / dont le refrain est la mort [48]. »
Notes
[1] « Chansons d’écrivains : Philippe Soupault », six émissions dominicales, du 30 mars au 4 mai 1952, Club d’Essai, 13h25-13h45.
[2] V. Amy Smiley, « Philippe Soupault, premier directeur de Radio-Tunis », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n° 96, avril-juin 2008, p. 152-155 On trouve des documents sur cette période dans le numéro 1 des Cahiers Philippe Soupault, 1994.
[3] Jean Tardieu, Grandeurs et faiblesses de la Radio, Paris, UNESCO, 1969, p. 41. L’ouvrage réunit notamment, à côté d’autres signatures, divers textes du poète réfléchissant aux relations entre la radio et les arts, spécialement la littérature.
[4] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, 2, 1997, p. 210.
[5] V. Pierre-Marie Héron, « Poésie et radio en France au XXe siècle. Repères et enjeux », commmunication au colloque international « La poésie hors le livre » (Paris, 16-18 octobre 2013), actes en préparation ; Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque, Paris, PUPS, 2015.
[6] Jean Tardieu, in Éliane Clancier, Le Club d’Essai de la Radiodiffusion française (1946-1960), mémoire de maîtrise en Histoire réalisé sous la direction de Pascal Ory, Paris I, 2002, p. 55.
[7] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », Cahiers Philippe Soupault, 1, 1994, p. 25.
[8] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 191.
[9] « Il ne suffit pas de parler dans un micro, pour être écouté » (Baptiste Hupin et Anne-Catherine Simon, « Analyse pronostylistique du discours radiophonique », Recherches en communication, n°28, 2007, p. 103).
[10] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », op. cit., p. 25.
[11] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 192.
[12] Soupault, archive diffusée dans « Les Greniers de la mémoire : Philippe Soupault, 2ème émission », Christine Amado (réal.), France Musique, 3 janvier 2011.
[13] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit. Le poète, se souvient Chouquet, « adorait toutes les chansons, sauf les débiles, les banales, les vulgaires » (Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 214). Plus généralement, Soupault, à la différence de Breton, s’intéresse à la musique. Son goût pour le jazz s’exprime dans ses romans avec des personnages comme le musicien de jazz Edgar Manning dans Le Nègre ou le chanteur Ralph Putnam dans Le Grand Homme.
[14] V. Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965), op. cit.
[15] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 213.
[16] Roland Dhordain, Le Roman de la radio de la TSF aux radios libres, Paris, Éditions de la Table ronde, 1983, p. 144. V. dans ce dossier l’article de Céline Pardo.
[17] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 196.
[18] Six émissions du 16 novembre 1952 au 1er février 1953. Le texte des émissions a été publié par Claude Rameil dans La TSF de Raymond Queneau (Cahiers Raymond Queneau, 1, 1997).
[19] Deux émissions, les 15 et 22 février 1953.
[20] Philippe Soupault, Vingt mille et un jours, entretiens avec Serge Fauchereau, Paris, Belfond, 1980, p. 226.
[21] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.
[22] Michel Finck, « Esquisse d’une poétique du son », in Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Patiences et silences de Philippe Soupault, Paris, L’Harmattan, p. 270.
[23] Claude Coste, « La Musique dans la vie et l’œuvre de Philippe Soupault », in Myriam Boucharenc & Claude Leroy (dir.), Présence de Philippe Soupault, Caen, Presses universitaires de Caen, 1999, p. 275.
[24] Philippe Soupault, Le Bon Apôtre, Paris, Lachenal & Ritter, 1988, p. 70.
[25] Philippe Soupault, « Un monde nouveau », Cahiers d’Études de Radio-Télévision, n° 16, 1957, p. 351-353.
[26] Philippe Soupault, Le Bon Apôtre, op. cit. p. 115-116.
[27] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.
[28] Philippe Soupault, Vingt mille et un jours, op. cit., p. 226-227.
[29] Philippe Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.
[30] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 194. On retrouve dans un livre de Soupault bien postérieur, Apprendre à vivre (1977), non seulement, comme on sait, des parties entières d’Histoire d’un Blanc, mais aussi certains passages de Chansons d´écrivains.
[31] Alors que l’on célèbre à l’époque le naturel improvisé de Claudel à la radio, très éloigné du débit contrôlé de Cocteau, Soupault, le poète de l’écriture automatique, l’ennemi de la rature, offre en 1952 une émission où la spontanéité du premier jet a disparu.
[32] Début de la première émission.
[33] Émission du 30 mars 1952.
[34] Ibid.
[35] Claude Debon, « Petite radioscopie quenienne », in Pierre-Marie Héron (dir.), La radio d’art et d’essai après 1945, Montpellier, Presses Universitaires de Montpellier, 2006, p. 248.
[36] « Me voilà arrivé au bout de mon rouleau, au bout de la bande magnétophone et j’avoue que j’ai déjà bien trop parlé de moi », dit-il dans la dernière émission (4 mai 1952).
[37] Émission du 30 mars 1952.
[38] Ibid.
[39] Henri Meschonnic, « Le Rythme de Philippe Soupault », in Portrait(s) de Philippe Soupault, Mauricette Berne & Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1997, p. 149.
[40] Id., p. 151.
[41] « Mes belles années… », op. cit., p. 192.
[42] Émission du 30 mars 1952.
[43] Ibid.
[44] Ibid.
[45] Ibid.
[46] Michèle Finck, « Esquisse d’une poétique du son », op. cit., p. 281.
[47] André Breton, « Second manifeste du surréalisme » (1930), in Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1995, p. 72-73.
[48] Philippe Soupault, « Chanson des sourds-muets », in Georgia, Epitaphes, Chansons, Paris, Gallimard, « Poésie/Gallimard », 1984, p. 243.
Auteur
Myriam Mallart enseigne la littérature française et francophone à l’Université de Barcelone. Elle est spécialiste de Soupault auquel elle a consacré sa thèse Les figures de l’autre chez Philippe Soupault. Une approche linguistique du discours poétique (université de Barcelone, 2005) et différents articles : « Philippe Soupault et J. V. Foix : confluences » (2004), « Les Chansons de Philippe Soupault : forme poétique ou mode d’écriture ? » (2009), « Philippe Soupault : poète de son temps, un “temps tremblant comme la folie” » (2010), « Formulettes et refrains (les chansons d’enfance de Philippe Soupault) » (2012), « Un surréaliste au temps de la Révolution Nationale » (2013).
Copyright
Tous droits réservés