Biblioclasme, fin du livre et fin des livres (Bradbury, Truffaut, Canetti)

Résumé


Le numéro de mars 1974 de la revue L’Art vivant intitulé « Biblioclastes… bibliophiles » permet de revenir sur la « fin » du livre à une période charnière par rapport aux mutations actuelles. Les intellectuels et les artistes du livre associent le phénomène médiologique qu’est la disparition annoncée de l’imprimé et le phénomène idéologique ancien qu’est le biblioclasme.

Fahrenheit 451 (le roman de Bradbury puis le film de Truffaut) et le roman d’Elias Canetti, Die Blendung (1935 ; traduit en anglais en 1946 sous le titre d’Auto-da-fe), sont convoqués par la revue comme autant de prémices de ce rapport problématique au livre et à l’imprimé.

Il faut pourtant interroger cette historicisation et tenir compte du jeu de la fiction. L’imaginaire de la fin du livre a peut-être pour corollaire celui de l’incorporation du medium par l’individu lui-même. Mais la fiction semble surtout fondamentalement mettre en jeu, voire en faillite, ses propres supports.


The mars 1974 issue of L’Art vivant entitled “Biblioclastes… bibliophiles” is the occasion of going back over the Death of the Book at a turning point in comparison with current changes. Intellectuals and book artists combine the announced disappearance of the printed medium with the archaic event of the ideologic Biblioclasm.

Fahrenheit 451 (Bradbury’s Novel as well as Truffaut’s Movie) and the Elias Canetti’s Novel, Die Blendung (1935 ; translated in english in 1946 as Auto-da-fe) are presented in L’Art vivant as beginnings for such a problematical relationship with book and print.

But we must question this historicizing and consider the place of fiction. The corollary of the Death of the Book’s may be the integration of the medium in the human body. Above all, fiction seems to play with its own medium and to show their failure.

Qui ne se souvient de la fin de Fahrenheit 451 – des presque dernières pages de la nouvelle de Bradbury (1953) comme de la dernière séquence du film de Truffaut (1966) ? Dans une dictature qui veille à la destruction de tous les livres, Montag, Fireman repenti, rejoint les hommes et les femmes qui ont appris par cœur les textes qu’ils jugent les plus précieux…

Jean Clair notait cependant :

Truffaut a pourtant omis quelque chose : c’est que, dans toute civilisation future, la forêt n’existera plus, tuée qu’elle aura été… par le livre. L’édition dominicale du New-York Times « consume » à elle seule une forêt entière. Et l’on peut prévoir, d’ici quelques années, la disparition complète du papier faute de bois à exploiter.

Le livre, sous sa forme actuelle du moins, aura disparu, mais nous ne pourrons plus même écouter le bruissement prophétique des chênes olympiens. L’incendie détruit toujours la bibliothèque, mais le livre a lui-même, symboliquement, déjà détruit la Parole. Nous n’irons plus au bois [1].

En passant de l’utopie idéologique à la prospective écologique, quitte à être contredit ne serait-ce que parce nous pouvons dorénavant croire que les éditions papier et dominicales des journaux disparaîtront avant les forêts, Jean Clair établissait un lien entre un processus historique relatif au medium et un phénomène idéologique ancien : la fin du livre, comme support traditionnel d’inscription, est ici articulée à ce que l’on pourrait appeler la fin des livres, la destruction des livres voire un « biblioclasme ». Tel est en effet le terme frappant utilisé en couverture de la revue dans laquelle le texte de Jean Clair, qui en était le rédacteur en chef, faisait office d’éditorial.

Parler de « biblioclasme », implicitement mis en regard de l’iconoclasme, pourrait renvoyer à plusieurs épisodes qui témoignent des rapports particulièrement ambivalents que les religions du Livre entretiennent avec les livres, mais aussi plus largement à la dimension idéologique radicale qui caractérise ces rapports. Le titre même de cette livraison de mars 1974 de L’Art vivant, « Biblioclastes… bibliophiles », fait d’ailleurs écho aux couples antagonistes qui personnifiaient de tels conflits théologiques en autant de groupes de zélateurs, comme les iconoclastes et les iconodules… La revue d’Aimé Maeght, galeriste, collectionneur et éditeur, joue de ces références et fait de la bibliophilie – et sans doute de l’amour de l’art – une religion moderne et un champ de bataille.

Il ne s’agit pourtant pas ici de passer en revue les destructions de livres, aussi anciennes, nous dit un historien du livre comme Lucien Polastron, que les livres eux-mêmes [2], bien que l’occasion se prêterait à rappeler la destruction de livres hébraïques, à Montpellier avant Paris, en 1233. Il n’est pas non plus dans mon intention de restreindre le champ à ce qu’un libraire du XIXe siècle appelle la « bibliolytie [3]  ». Il ne s’agit pas davantage de chercher à faire la liste des œuvres littéraires qui mettent en scène la destruction des livres, notamment à l’époque moderne, de Rabelais à Amélie Nothomb, ou de Cervantes à Paul Auster…

Je voudrais plus simplement m’interroger sur les rencontres possibles entre la dimension proprement médiologique de la fin du livre et la mise en cause, par la fiction, de son propre support ; je ne le ferai ici qu’à travers quelques exemples et dans une approche comparatiste mais sans oublier un contexte historique qui me semble partie prenante du problème : dans cette perspective, situer la réflexion dans une période charnière, antérieure aux mutations dans lesquelles nous sommes déjà tellement avancés que leurs enjeux semblent parfois nous échapper, pourrait être salutaire [4].

En partant de ce numéro de mars 1974 de la revue L’Art vivant, nous verrons à quel point le fantasme d’une fin du livre est jusque dans les années 1970 et sans doute dès les années 1950, lié à la mutation médiologique fondamentale de l’informatisation. On se demandera pourtant s’il ne faut pas se méfier de cette historicisation : s’agit-il d’une association tardive et comme au seuil du véritable bouleversement du livre papier, qui restait encore à venir ? Nous tenterons surtout d’intégrer cette analyse dans une réflexion plus générale sur la fiction et ses supports, sur la matérialité et l’imaginaire des supports de la fiction.

1. Un biblioclasme heureux

À l’aube de la révolution numérique, dans les années 1950-1970, il y eut ce qu’il faut bien appeler un biblioclasme heureux ; la disparition annoncée, sinon du livre, du moins d’une certaine forme d’imprimé, semble être apparue alors comme une véritable libération, corollaire de la foi dans un progrès radieux par lequel la technique laisse place à la technologie.

En prendre conscience rétrospectivement pourrait cependant être le fait de notre début de siècle désenchanté. Une exposition, pour autant que l’on puisse appeler ainsi ce qui est exposé dans l’« espace virtuel » en ligne du Musée du Jeu de Paume en 2013-2014 sous le titre « Erreur d’impression, publier à l’ère du numérique », peut le mettre en lumière.

Alessandro Ludovico, son commissaire, a publié parallèlement une étude sur les transformations de l’imprimerie depuis la fin du XIXe siècle [5]. Il y met en avant le modèle du Paperless Office vanté par les promoteurs de l’informatisation de la fin des années 60, notamment à travers l’exemple d’un court métrage de Jim Henson, qui n’est autre qu’une publicité pour l’entreprise IBM : Paperwork Explosion.

L’explosion de la paperasse est ici à double sens : il s’agit de l’inflation incontrôlable du papier dans la gestion et l’administration et tout à la fois de sa disparition possible grâce à l’informatisation ; le court métrage est construit autour d’une séquence récurrente, qui montre ainsi des dossiers exploser et se disperser. Dans ce monde merveilleux, qui n’était pas une utopie puisque les machines vantées existaient déjà, les hommes et les femmes sont libérés de l’esclavage de la paperasserie : « Machines should work, people could think », annonce le slogan [6].

Bien entendu, il ne s’agit pas de littérature, voire à peine de livre et nous pourrions croire être loin de nos préoccupations ; Alessandro Ludovico va cependant chercher un exemple littéraire dans lequel il voit la première annonce de la disparition du livre papier, une nouvelle de 1894 d’Octave Uzanne tirée de ses Contes pour bibliophiles, dont l’un s’intitule précisément « La Fin des livres », complété par : « Suggestions d’avenir [7]  ». Bien avant cet exemple anecdotique pourtant, la véritable fiction de la fin du Paperwork, qui n’a pas besoin d’être imprimé, pourrait bien être « Bartleby the Scrivener », paru dès 1856 ; et les références melvilliennes constitueraient d’ailleurs le fil rouge de notre réflexion : c’est là que s’inaugure en effet non le Paperless Office, puisque les scribes sont encore à l’œuvre, mais quelque chose comme une Literature of paperlessness, à défaut d’être déjà une Paperless Literature.

Il me semble donc que nous ne pouvons tout simplement pas ignorer cet aspect matériel de la littérature, non seulement parce que la fiction elle-même le met en scène, comme mis en abyme, mais parce que cela informe la fiction et notre rapport à la fiction. J’en veux pour preuve la réponse, orale mais imprimée ensuite, que Michel Butor, que l’on sait particulièrement intéressé par les formes et les transformations du livre, a donnée à une question de Lucien Giraudo dans leur entretien sur « La page du livre-objet » ; la question portait sur la « place du livre dans la société contemporaine », d’emblée présentée comme « fragile » et appelant la préservation :

Le livre est un canton de cette région beaucoup plus vaste qu’est l’écrit. Celui-ci joue un rôle énorme dans notre société ; tout tourne encore autour de lui. Le pouvoir s’exprime par lui : les administrations, les ministères, les entreprises sont d’énormes fabriques de textes écrits ; ils sont d’un ennui insupportable et très rapidement détruits. Notre époque a le privilège d’avoir inventé des machines spécialement conçues pour détruire les textes [8].

Si Butor se refusait ici à parler de « livres », leur préférant « textes » et « écrits », c’est qu’il paraissait exclure la production littéraire d’une destruction, qui restait le propre d’une modernité administrative et technique. Pourtant, le numéro de L’Art vivant, et à propos de la production antérieure de Butor, celle des années 60 (Mobile, L’Appel des Rocheuses…), allait jusqu’à placer l’artiste parmi les « biblioclastes ». Et il ne s’agissait pas d’un palmarès mais de la communication de Jean-François Lyotard, qui connaissait Butor de longue date, en ouverture de la décade de Cerisy consacrée à l’auteur [9]. A partir de cet exemple, j’ai essayé de montrer ailleurs que la fiction de Butor recouvrait ce rapport difficile au livre : l’on peut par exemple penser dans La Modification au livre sans cesse déplacé et jamais lu par le personnage, mais aussi à celui qui, dans les passages de rêverie cauchemardesque du héros, est réduit à des bribes… [10]

2. Fahrenheit 451. « It was a pleasure to burn»

La destruction des livres dans la fiction avait cependant un modèle précis pour les intellectuels du début des années 70. On a vu que Jean Clair évoquait Fahrenheit ; la référence semble en effet un passage obligé, sans doute grâce au film encore assez récent de Truffaut et à l’interprétation politique continue du roman de Bradbury comme dénonciation du maccarthysme contemporain de sa publication. En outre, le texte véhicule aussi le souvenir, reconstitué et déplacé, des destructions nazies : Fahrenheit est certes le nom de l’unité de mesure de la température utilisée dans les pays anglo-saxons mais le mot fait entendre aussi l’origine allemande de son inventeur ; que le héros du film s’appelle Montag, « Lundi » en allemand, irait dans le même sens.

La censure est portée à son apogée radical, non par le caviardage mais par la destruction pure et simple. Il est absolument remarquable que le « plaisir » là encore s’affirme, et dès la première phrase du roman, isolée par la typographie. S’il s’agit d’un plaisir ignoble avec lequel, dès les pages suivantes, l’auteur prendra explicitement de la distance par l’intermédiaire de Clarisse, le texte est redondant et, adoptant d’abord le point de vue du pompier pyromane, il prend le temps de développer la perspective radieuse de la tabula rasa :

Le plaisir d’incendier !

Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer.

Les poings serrés sur l’embout de cuivre, armé de ce python géant qui crachait son venin de pétrole sur le monde, il sentait le sang battre à ses tempes, et ses mains devenaient celles d’un prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’histoire [11].

Que penser de la prose lyrique, biblique et comme empruntée au psalmiste, d’un pompier qui prétend à Clarisse n’avoir jamais lu les livres qu’il a brûlés ? A moins que déjà ce ne soit des mots d’amour, empruntés aux livres eux-mêmes… puisque l’on découvrira ensuite qu’il en a déjà sauvé un certain nombre du feu [12].

Truffaut contredit le roman sur ce point et, dans son film, rien ne laisse penser que Montag a auparavant déjà soustrait des livres à leur destruction. Truffaut fait de la rencontre avec Clarisse McClellan le seul déclencheur de la prise de conscience de Montag mais aussi du geste par lequel il se met à sauver des livres. Le biblioclaste aura la ferveur du converti, moins bibliophile qu’idolâtre, voire bibliolâtre pourrait-on dire : la tenue d’Oscar Werner dans la première scène d’incendie, à l’ouverture du film, ancre la pratique des pompiers dans un rituel religieux ; et celle qu’il endosse lors des scènes nocturnes de lecture, à mi-chemin entre le peignoir de bain et la bure monacale, en constitue le symétrique.

Mais les premiers mots du texte trouvent aussi un écho dans ceux de Truffaut lorsqu’il justifie le recours à la couleur alors que nombre de films, à commencer par les quatre films antérieurs du cinéaste, étaient encore en noir et blanc. Dans l’émission « Les écrans de la ville », en 1966, il précise cette nouveauté et affirme ne pas être un « passionné de films en couleurs » mais que dans le cas de Fahrenheit 451, « les flammes exigeaient la couleur [13] ». Truffaut remarque aussi que si les livres sont difficiles à brûler, il y a parfois de « bonnes surprises », comme ce livre dont les pages se racornissent une par une, « comme des coquilles »…

Cet éloge du feu devrait être explicitement retourné ; le roman construit en effet en filigrane une sorte de fonctionnement archaïque, symbolique et caricatural, qui oppose deux éléments contrastant avec le feu : les références aquatiques sont complétées par le paradigme lunaire, dont le nom du héros Montag, jour de la lune, signalait à quel point il était marquant, et que Clarisse, au visage d’un « blanc laiteux [14] », vêtue d’une robe blanche dans le roman, incarne littéralement ; c’est enfin lors de sa fuite nocturne, se laissant porter par le lent courant du fleuve sous les rayons de la lune, que Montag fait l’expérience qui le détourne définitivement du feu (« Il sut pourquoi il ne devait plus jamais répandre le feu [15] »). Truffaut l’a d’une certaine façon compris lorsqu’il choisit de tourner les dernières scènes de son film, malgré ou grâce à la neige [16]. Tout devrait tendre vers cette lutte entre pompiers et « bookpeople » ; goodpeople ? demande d’ailleurs Oscar Werner dans le film, comme s’il avait mal compris [17].

Pourtant, le roman énonce aussi explicitement que la politique de destruction des livres n’est que la conséquence de la désaffection généralisée pour le livre. Si Truffaut montre dès le début des livres cachés dans une fausse télévision [18], Bradbury met en scène l’invasion des écrans qui se substituent aux murs des maisons et des programmes qui remplacent la réalité. Les écrans sont évoqués de façon significative la première fois par Clarisse qui dit regarder « rarement les murs-écran[19] », avant que Mildred, la femme de Montag, ne vienne incarner la consommatrice passive et névrosée des divertissements omniprésents.

Mildred apparaît d’ailleurs d’abord dans le roman comme un corps inerte, victime d’une overdose de médicaments, avant de se remettre de plus belle à son addiction de « femme d’intérieur [20] », se préparant comme une actrice pour la « dramatique qui va passer sur les murs-écrans dans dix minutes [21] » et réclamant à son mari le quatrième « mur-écran » – « Wall-TV » – qui viendrait parfaire le dispositif d’intrusion : « Si avait un quatrième mur, ce serait comme si cette pièce n’était plus la nôtre, mais celle de toutes sortes de gens extraordinaires [22] ».

Cependant, c’est au capitaine Beatty, dans une « conférence [23] » particulièrement claire, voire pédagogique, que nous devons l’analyse historique la plus développée de la désaffection à l’égard des livres dans la société dominée par des « phénomènes de masse [24] ». On pourrait y lire une expression des positions réactionnaires ultérieures que l’on relevées chez Bradbury mais il semble bien que la fiction l’emporte ici sur un tel positionnement. Surtout, laisser au chef des pompiers la responsabilité de ce discours est nettement une façon de le mettre à distance [25].

Une référence signale peut-être d’ailleurs cette distance à tout lecteur américain : il est frappant en effet que Benjamin Franklin soit désigné ici comme « Premier pompier » d’un corps « Fondé en 1790 pour brûler les livres d’obédience anglaise dans les Colonies [26] ». Si Franklin a effectivement mis en place l’Union Fire Compagny, brigade de Pompiers volontaires, à Philadelphie et ce, dès 1736, non seulement on pourrait dire que tout était à faire à cette date dans cette ville et que Franklin y fonda aussi l’Université, l’hôpital, réforma la police, instaura l’éclairage public… mais qu’un Père fondateur, rédacteur de la Constitution, ne soit plus que « First Fireman » ne peut manquer d’attirer l’attention du lecteur [27].

Aussi le discours sur l’abandon spontané des livres n’est-il peut-être qu’un leurre, servi par le pouvoir lui-même. Certes le roman, au contraire du film de Truffaut, fait également parler celui qui passe pour le porte-parole des intellectuels ; mais s’il n’est pas ambivalent, il est particulièrement lâche et il accepte difficilement d’aider Montag dans sa rébellion. Quand il le fait enfin, c’est en le suivant sans cesse par le biais d’un appareillage ; l’intellectuel est un bricoleur comme son nom, Faber, l’annonçait dès l’abord. Avec un matériel digne de celui des oppresseurs, Faber peut parler en permanence à Montag : cette voix obsédante de celui qui doit défendre les livres insupporte le héros, qui détruit, quoique involontairement, l’appareil, lorsqu’il tue le capitaine Beatty qui l’a découvert. Ce luddisme, tourné contre ce qui lui a été présenté comme une arme, un outil de libération, rejoint sa haine des murs-écrans qui abrutissent sa femme.

3. Die Blendung. L’aveuglement du collectionneur

Au regard de ces articulations complexes, on peut se demander si des exemples antérieurs pourraient faire l’économie de la dimension technique et laisser place aux enjeux idéologiques. Ce n’est pas par hasard me semble-t-il que L’Art vivant évoque un autre exemple, qui relève lui aussi d’une certaine actualité éditoriale pour Jean Clair puisqu’il s’agit d’un roman qui venait d’être republié en français sous le titre d’Auto-da-fé [28].

Ce gros roman d’Elias Canetti, qui avait pour titre original allemand Die Blendung, « L’éblouissement » ou « l’aveuglement », avait été achevé à en croire son auteur en 1931 et avait été publié en 1935, à Vienne, chez Herbert Reichner, avec une vignette d’Alfred Kubin [29] ; il avait été traduit en anglais et publié à Londres en 1946 sous le titre d’Auto-da-fe tandis que l’édition américaine qui parut l’année suivante lui conférait le titre de The Tower of Babel, qui fut conservé pour la traduction française de Paule Arhex sortie chez Arthaud en 1949 ; ce n’est que lors de rééditions que le titre d’Auto-da-fe s’est imposé, en 1964 pour l’édition anglaise et en 1968 pour l’édition française [30].

Canetti n’avait donc pas choisi ce titre, qui signifie littéralement « acte de foi » mais qui désignait dans le contexte de l’Inquisition la destruction par le feu des hérétiques et de leurs ouvrages. Pourtant ce roman contemporain des autodafés nazis, à moins qu’il ne les ait devancés [31], est bien celui de l’analyse d’un bibliophile monomaniaque confronté à l’incompréhension et à la brutalité de ses contemporains : cette œuvre est déjà partie prenante de l’intérêt d’Elias Canetti pour les phénomènes idéologiques, qu’il développera dans Masse und Macht [32]. C’est d’ailleurs à la faveur du succès de cet essai que le roman fut, semble-t-il, réédité.

Surtout, ce livre ne met en scène le fameux autodafé que dans les dernières lignes, sans le décrire vraiment, et en l’attribuant au collectionneur lui-même, le professeur Kien, dans un accès de folie. Jusque-là, autant dire tout au long du roman, les livres prennent, dans tous les sens du terme, toute la place. Comme dans une sorte d’apogée du modèle, la bibliothèque de Kien, est la plus grande collection privée [33] d’une ville que le lecteur peut identifier à Vienne ; elle occupe les derniers étages de l’immeuble du collectionneur, dont les fenêtres ont été murées pour pouvoir disposer de davantage de rayonnages. Ici, rien ne semble devoir prédire la disparition des livres, qui ont le monopole. Et la scène qui ouvre le roman, un dialogue devant la vitrine d’une librairie, entre un enfant curieux d’apprendre et le professeur d’abord dédaigneux puis séduit malgré lui, pourrait tracer la voie d’un Bildungsroman. Il n’en sera pourtant rien.

Cette bibliothèque est en effet aussi, ce faisant, une bibliothèque assiégée et qui semble déjà avoir perdu la bataille contre la foule et l’ignorance. Kien évoque le souvenir insupportable d’un épisode célèbre de biblioclasme, attesté par les historiens : celui décrété par l’empereur de Chine en 213 avant notre ère [34]. Mais la menace est actuelle pour lui : prêter des livres, comme le professeur l’avait proposé au jeune garçon et comme il le proposera encore à sa femme de ménage, Thérèse, c’est les condamner : « Ils sont sans défense contre les Barbares [35] ». Kien prépare quant à lui ses livres à la bataille contre ceux qu’il soupçonne de vouloir les voler, et se lance dans une longue harangue de chef militaire [36].

Le héros de Canetti est un Don Quichotte dont la bibliothèque, parce qu’elle n’est pas encore détruite, peut continuer à nourrir la folie. Le fantasme d’agression cache l’aveuglement fondamental de Kien, auquel le mot de Blendung peut aussi renvoyer. La cécité encadre d’ailleurs le roman en la personne d’un même personnage de mendiant aveugle auquel Kien fait la charité dans le premier chapitre, et qui sera le bourreau du nain Fischerle, devenu l’acolyte – le Sancho – du héros, à la fin de la deuxième partie. Alors que Kien se dit prêt à se suicider s’il devenait aveugle lorsqu’il rencontre le non-voyant au début du roman, son frère croit à la fin du roman qu’il a perdu la vue.

C’est pour préserver ses yeux que Kien décide de détruire lui-même, sinon ses livres, du moins toutes ses archives : Canetti invente ici un bureau, un « énorme monument de bois sombre » dit la traduction [37] tandis que l’original personnifie le meuble comme un « sombre et lourd colosse [38] », qui défend son contenu : au moindre mouvement, les tiroirs émettent un « sifflement strident » (« einen schrillen Pfiff »), que Kien supporte parce qu’il mettrait en déroute les voleurs. C’est ce bureau qu’il affronte lui même peu après pour se débarrasser des « monceaux de papier » et des « paperasses [39] », voire pour le vider de « ce rebut »  (« Unrat »), emportant enfin une « montagne de paperasse » dit la traduction alors que l’allemand use naturellement d’un mot aussi vieux que l’imprimerie  (« Einen Turm von Makulatur »).

Pire, si l’on voit l’érudit travailler, le roman ne dévoile presque aucun titre de sa bibliothèque. Il met d’ailleurs en scène le geste par lequel l’érudit lecteur se mue en chef de guerre : « La démocratisation de l’armée se manifestera dans la pratique par le fait qu’à partir d’aujourd’hui, tous les volumes seront rangés le dos au mur [40] ». Avec cette bibliothèque « blanche » de 25 000 volumes dont on ne verrait plus que la tranche, que l’on ne peut plus ni saisir ni retrouver en l’absence de titre, tout se passe comme si l’on avait ici l’envers de la bibliothèque et de la démarche de Walter Benjamin dans le texte célèbre, et rigoureusement contemporain, dans lequel il « déballe » sa bibliothèque, c’est-à-dire en donne précisément le catalogue [41].

Que reste-t-il des livres, bien avant l’incendie ? Kien est chassé de chez lui – autant dire de sa bibliothèque – par Thérèse, l’intendante qu’il avait recrutée huit ans auparavant pour s’occuper avant tout de ses livres comme le raconte le début du deuxième chapitre du roman, et qu’il a épousée par la suite par reconnaissance pour son dévouement. A défaut de se préoccuper de sa propre bibliothèque, il entreprend de convaincre les gens qui apportent leurs livres au Mont de Piété – le Theresianum qui devient le lieu emblématique de son ennemie – pour qu’ils les conservent chez eux ; il finit par leur donner l’argent qu’ils venaient emprunter pour qu’ils repartent avec leurs livres. Lorsque Fischerle s’en aperçoit, il monte une supercherie aussi invraisemblable que l’initiative que Kien, en lui faisant proposer contre une somme toujours plus importante le même paquet de « romans bon marché », enveloppés dans un papier et présentés comme de « l’Art », comme il l’explique à son complice [42].

Non seulement les livres sont traités comme de vulgaires objets qui ont une valeur marchande, alors que Kien est prêt à se sacrifier en martyr pour les sauver, mais il s’agit d’un marché de dupes : il tourne autour d’un même lot de livres illisibles, soumis à une inflation aussi délirante que celle de l’après-guerre. Avec une telle ironie, l’écrivain ne s’épargne pas : lorsque la fruste et indigne Thérèse avoue son respect pour les « livres de plus de cinq cents pages [43] », cette catégorie qu’on aimerait appeler les « livres-de-plus-de-cinq-cents-pages » ne manque pas de rappeler Moby-Dick, dans lequel Queequeg l’illettré s’extasie quand il atteint le nombre magique en tournant les pages d’un livre, mais elle englobe aussi le roman de Canetti lui-même.

Bien sûr, on ne peut pas dire que la disparition du medium livresque soit mis en scène ici ; mais l’œuvre fait déjà le deuil de ce qui était l’apogée symbolique du livre, la collection, sur lequel a vécu l’imaginaire du livre au xixe siècle ; non parce que c’est la bibliothèque d’un fou (c’était déjà le cas dans « Bibliomanie », qui est le premier texte imprimé de Flaubert, en 1836), mais parce qu’elle s’avère totalement inadaptée à la culture de masse, au monde globalisé, déjà, de la démocratie et de l’économie.

Cette fin du livre n’est pas technologique, et rien ne le concurrence réellement de ce point de vue, sauf le vide. Mais précisément : le spectacle préféré du concierge de l’immeuble de Kien n’est-il pas de regarder par un judas très particulier, situé en bas de la porte, et de deviner qui passe devant sa loge ? Ce divertissement fascinera jusqu’à Kien lui-même lors de ce qui est présenté comme un épisode de délire au sein même de sa folie généralisée : le lecteur bibliophile reste alors des heures à genoux pour le satisfaire. Est-on si loin des murs-écrans de Fahrenheit ? Il est pourtant sans doute trompeur de chercher par avance dans une œuvre ce que nous savons ou pensons être le devenir du livre. Si la science-fiction était une question de degré, il ne faudrait pas grand-chose pour que le roman de Canetti bascule dans cette catégorie, mais en tenant de l’expressionnisme, il joue de façon virtuose sur d’autres glissements, ceux de l’énonciation notamment. Surtout, la science-fiction requiert davantage un changement de système référentiel, au même titre que l’utopie.

Aussi avons-nous le réflexe de chercher la fin du livre dans des productions qui revendiquent ouvertement leur appartenance à la science-fiction, chez Bradbury mais aussi chez Paul Auster dans In the Country of Last Things par exemple [44], et jusqu’au film The Day after Tomorow [45], dans lequel les livres de la New-York Public Library servent de combustible.

Pourtant, avant même l’ère industrielle de l’imprimerie, le XVIIIe siècle s’est intéressé non seulement de façon continue à la question de la lecture mais aussi, notamment dans le contexte pré-révolutionnaire, à la place même du livre. Certes il s’agit surtout d’imaginer les lieux nouveaux de conservation et de consultation des livres, qui sont rien moins que des bibliothèques démocratiques, mais des auteurs abordent aussi ce problème dans la fiction. Si Louis-Sébastien Mercier fait office de précurseur en imaginant la quasi disparition des livres dans son célèbre L’An 2440. Rêve s’il en fut jamais [46], il me semble que l’on pourrait lui associer Rétif de la Bretonne : non seulement son Anti-Justine fait partie des « Livres détruits par leurs auteurs » ou cas de « bibliolytie » relevés par Fernand Drujon [47], mais à la fin du Paysan perverti, roman que Rétif publia en 1782, dans les Statuts de la ville d’Oudun que fondent les personnages, il n’y a de place pour aucune lecture, sauf celle de la Bible… et des lettres qui constituent ce roman épistolaire [48]. Le cas est donc très différent de L’An 2440 mais il s’agit bien, à travers le projet d’Oudun, de créer par la fiction un nouveau système social – idéologique autant que technique – doté de toutes les commodités ; et cela exclut le livre.

4. Le corps, la tête et le livre intérieur

Exclure, voire détruire le livre, n’est-ce pourtant pas fondamentalement une mise en question du medium, c’est-à-dire de tout support extérieur de la communication ? Ne peut-on pas relier dans ces conditions la fin du livre à une valorisation, qui est peut-être une revalorisation, du corps dans cette même communication ?

Le corps est en effet susceptible de concurrencer les supports inanimés de l’inscription ; on en trouverait certainement des exemples très anciens mais les historiens spécialistes du XVIIIe siècle témoignent de telles pratiques et l’écrit « sur » soi, pour reprendre le mot d’Arlette Farge [49], pourrait alors être un véritable écho de la prédilection de ce siècle pour l’écriture de soi, l’écriture intime, notamment par l’épistolarité. L’exemple fameux de la lettre 48 des Liaisons dangereuses, écrite du « lit et presque d’entre les bras » d’une fille, serait le symbole de cette rencontre. Ce fantasme pourrait même se développer au-delà de cette superposition : il me semble que l’on peut associer à l’imaginaire du livre une sorte d’incarnation du support par l’individu lui-même ; Evanghelia Stead, dans La Chair du livre, fait la démonstration de ces interactions « entre le livre et la peau » à travers des exemples fin-de-siècle [50].

Mais dès lors que je suis un livre, la question de la destruction du livre recouvre des enjeux particulièrement violents. Nous pourrions revenir au Benjamin Franklin, le premier Pompier des Etats-Unis, qui joue dans le texte fameux de son épitaphe, écrit à vingt-deux ans, sur une assimilation traditionnelle :

Le corps de Ben Franklin, imprimeur, / comme la couverture d’un vieux livre / son contenu [ses pages] détaché/es [to tear out] / Et dépouillé de ses lettres / son titre et de sa dorure, / Repose ici, pâture pour les vers. / Mais l’ouvrage ne sera pas perdu / et reparaîtra, c’est ce qu’il croit /, dans une nouvelle édition, plus élégante, revue et corrigée / par l’Auteur [51].

Si la référence biblique est très forte ici, qui renvoie à un Dieu auteur autant que créateur [52], le livre est littéralement présenté comme ce qui pourrait rédimer la disparition du corps : non seulement l’individu est assimilé à un livre mais il peut, comme livre, réédité et corrigé, suivre la chaîne éditoriale. Fahrenheit 451 se fait encore l’écho de cette assimilation, sur le mode de la plaisanterie : « Ne jugez pas un livre d’après sa couverture [53]. »

Dans Die Blendung, cette identification d’un personnage avec ses livres et plus exactement de son corps avec ses livres donne lieu à l’une des scènes les plus frappantes du roman, un rêve de Kien ; il assiste au sacrifice rituel d’un homme qui n’est autre que lui-même : « Spectacle affreux ! De la poitrine béante jaillit un livre, puis un autre, un troisième, une foule [54]. » Au fond, on pourrait dire que tout se passe ici comme si l’autodafé retrouvait ce qui faisait son combustible initial : des corps autant que des livres.

Mais quel sens cela a-t-il ? En vertu de quoi corps et livres sont-ils maltraités et détruits ? La jouissance pourrait-être en elle l’enjeu de cette destruction et la référence à Sade s’impose dans le numéro de L’Art vivant qui nous intéresse : Gilbert Lascault mentionne les livres « torturés » d’Hubertus Gojowczyk, évoqué par ailleurs par Lyotard [55], qui « traite les livres comme les héros des 120 journées de Sodome traitent les corps. Il les tord, les cloue, les enflamme, les troue, les dépèce [56] ». Mais l’on pense aussi à l’œuvre de Pierre Klossowski, souvent citée par Lyotard et très présente dans le débat artistique des années 60 : dans la grande exhibition de références livresques à laquelle donne lieu le film de Truffaut, qui associe les plans larges et certains plans rapprochés qui permettent d’identifier un titre célèbre comme Madame Bovary, ou au contraire particulièrement indifférent, comme une revue de mots croisés en espagnol, on voit brûler un exemplaire du roman le plus connu de Klossowski : Roberte, ce soir [57]. Pourtant, si Lyotard conçoit la jouissance qu’est susceptible de procurer l’écriture brutalisée comme un corps, il doute que torturer le livre produise quoique ce soit. C’est que la question, peut-être, est ailleurs : la « syntaxe », ou le discours, assimilé dans l’analyse de Lyotard à la peau, à l’« épiderme », ne fonctionne plus si le livre est à la fois surface et profondeur, s’il est incorporé.

On a mis en évidence la dimension rituelle et horrifiante d’une incorporation du livre prise au sens propre d’une dévoration [58]. Dans Die Blendung, ce sont les ennemis du livre qui le mangent… jusqu’à celui que l’on appelle « le Cochon », dont le « ventre fait des angles » et dont Fischerle prétend rapporter les propos :

Qu’est-ce que je ferais de toute cette saleté. Il a bien dit : saleté, il dit toujours : saleté pour les livres, la saleté c’est bien assez bon à manger pour lui. Que voulez-vous ? dit-il, cette saleté reste ici pendant des mois, il vaut encore mieux que j’en profite et que je m’en bourre l’estomac. Il a composé un livre de cuisine personnel, avec toutes sortes de recettes dedans ; maintenant, il cherche un éditeur. Il y a trop de livres en ce monde, dit-il, et trop de ventres vides. Je dois mon ventre à ma cuisine, dit-il ; je veux que chacun en ait le pareil [sic] et je veux que les livres disparaissent ; si ça ne dépendait que de moi, tous les livres disparaîtraient. On pourrait les brûler, mais personne n’en profiterait [59].

Ici, « ventre » et « livre » sont associés non seulement par l’allitération, plus marquée encore en allemand (Bauch / Buch), mais aussi par une bibliophagie radicale, puisqu’elle permettrait à la fois la disparition des livres et de la faim dans le monde, et paradoxale. Cette dévoration n’a rien d’une volonté de faire corps avec les livres, de les posséder autant que d’en être possédé par une assimilation intime ; elle est explicitement excessive, voire animale (der Fressen, « la bouffe » ; stopfen : « bourrer ») ; elle est aussi répugnante (Dreck, « saleté », nous rappelle les « déchets » [Unrat] mentionnés par Kien) que satisfaisante pour celui qui s’y adonne : les recettes viennent enfin sublimer cette dévoration monstrueuse par leur raffinement grotesque.

On pourrait dire que Kien maintient encore à distance le modèle du Cochon. En effet, il incorpore quant à lui les livres par ce qui peut passer pour un accès de folie du personnage mais qui est entièrement couvert par un jeu énonciatif que Lyotard n’aurait pas renié : chassé de chez lui et de sa bibliothèque, il parcourt la ville pour acheter les livres indispensables à son travail ; le soir, il les dispose dans sa chambre d’hôtel, chaque soir plus nombreux jusqu’à ce qu’ils montent jusqu’au plafond… et au matin, il les replace dans sa tête. Fischerle entre dans son jeu et finit par en prendre lui aussi dans sa tête de nain, et dans sa bosse. Il y a là un fascinant exemple de bibliothèque imaginaire, que le roman de Canetti indique d’ailleurs une forme de progression entre ses trois parties : « Une tête dans le monde », « Un monde sans tête », « Un monde dans la tête » (Ein Kopf ohne Welt ; Kopflose Welt ; Welt im Kopf). On pourrait même être tenté de rapprocher les livres de Kien de ceux dont les exclus de Fahrenheit disent n’être que les « couvertures [60] ».

Pourtant, la bibliothèque « dans la tête » n’est peut-être rien d’autre qu’une idéalisation et une intellectualisation à laquelle nous nous raccrochons quand nous parlons de disparition des livres ; la bibliothèque « dans le ventre » du Cochon, voire celle installée « dans sa bosse » par Fischerle en seraient les doubles monstrueux et les révélateurs d’une horrification insupportable. L’assimilation du livre n’est pas une pure intellectualisation : lecture, collection, dévoration et destruction communiquent car le rapprochement du livre avec le corps révèle les risques de toute matérialité. Il y a dans ces exemples une matérialité, fût-elle une matérialité autre au même titre que toute bibliothèque dite « virtuelle » est aussi matérielle. Ici, la mémoire interne de l’individu, littéralement incorporée, compenserait la destruction de cette mémoire externe qu’est le livre… Au fond, ce qui se rejoue ici, c’est au moins en partie la concurrence de la parole par l’écriture, telle qu’elle est illustrée par le mythe de Teuth dans le Phèdre de Platon ; mais si l’écriture mettait en péril la mémoire vive de la parole, par un mouvement de dépassement, la mémoire pourrait intégrer jusqu’aux livres eux-mêmes. Tout cela n’est que fiction bien sûr : toute la politique éducative actuelle a fait un autre pari, celui de la libération de la mémoire interne, qui pourra reposer sur les prolongements externes de l’homme que lui offrent les machines. Il s’agit cependant peut-être d’un mythe, comme celui du Paperless Office l’indiquait déjà, et d’une illusion : la fiction semble bien jouer contre le double fantasme, à la fois de la mort du livre et du développement d’une mémoire extérieure, toujours disponible, sans failles et infinie.

Nous avons travaillé ici contre un réflexe, qui voudrait que la fin du livre soit dissociée de la fin des livres. Et, effectivement, ce lien n’a rien de logique.

En effet, d’un côté la disparition du livre, ensemble de feuillets rassemblés – car ils ne sont pas toujours reliés – comme support traditionnel d’inscription, relève d’un processus historique ; or non seulement nous pouvons concevoir que ce qui naît parmi les hommes doit mourir un jour, et les historiens du livre mieux que tout autres, dont les travaux sont placés sous l’égide d’un titre aussi valorisant que menaçant : L’Apparition du livre [61], mais le processus ne concerne pas un phénomène biologique mais technique, et ici plus proprement médiologique, soumis à des évolutions parfaitement attendues. Ce n’est que parce que les observateurs que nous sommes peuvent être prisonniers du rythme de ces évolutions et de leur régime, qui en fait des révolutions parfois, que nous pouvons parfois croire que le livre a toujours existé et qu’il devra exister toujours.

D’un autre côté, la destruction des livres est un phénomène beaucoup plus ancien que toute esquisse de développement du support numérique, c’est une pratique aussi ancienne que le livre lui-même, plus ancienne que le livre lui-même pourrait-on dire, plus ancienne que l’invention de l’imprimerie, plus ancienne que le développement du codex.

Surtout, c’est un réflexe de survie qui nous fait oublier que si le livre est support de trace, il porte comme toute trace, le fantasme de sa disparition ; il est pour une bonne part la conjuration de la disparition de cette trace. Associer le support et la fiction, c’est mettre en avant le « refoulé de l’écriture » dont parle Lyotard [62], c’est remettre en question notre foi dans un support stable et fidèle, auquel nous nous raccrochons : scripta manent, voulons-nous croire alors que peut-être, comme le dit Lacan, à propos de « La Lettre volée », « Ce sont les scripta qui volant, alors que les paroles, hélas, restent [63] ».

Notes

[1] Jean Clair, « Notes sur une possible fin des livres », L’Art vivant, no 47, mars 1974, p. 4-5.

[2] « Création vaut crémation. Dans le mythe fondateur de la bibliothèque universelle qui fait l’homme égal du ciel, ce qui se grave dans les mémoires est la tragédie de sa ruine davantage que l’envergure atteinte ou les longues péripéties de son enrichissement » (Lucien X. Polastron, Livres en feu. Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques [Denoël, 2004], Paris, Gallimard, « Folio Essai », 2009, p. 15).

[3] Fernand Drujon, « De la destruction volontaire des livres ou bibliolytie », Le Livre. Revue du monde littéraire, Paris, Quantin, 1888. Octave Uzanne, dont il sera question plus loin, était le rédacteur en chef de cette publication. L’article a été réédité sous la forme d’un ouvrage indépendant qui mit en avant le terme : Fernand Drujon, Essai bibliographique sur la destruction volontaire des livres ou Bibliolytie, Paris, Quantin, 1889. Il ne s’agit pas là d’un néologisme : l’auteur imite d’autres bibliophiles, comme Paul Lacroix et Gustave Brunet, nous rappelle Lucien Polastron (op. cit., p. 427).

[4] Philippe Ricaud, « Contre le livre : le biblioclasme comme posture intellectuelle », dans Demain, le livre, Pascal Lardellier & Michel Melot (dir.), L’Harmattan, 2007, p. 157-172.

[5] Alessandro Ludovico, Post-digital Print, the Mutation of Publishing Since 1894, Onomatopee 77, 2013.

[6] Sur le court métrage de Jim Henson, voir Ben Kafka, « Paperwork Explosion », West 86th. A Journal of Decorative, Arts, Design History and Material Culture, University of Chicago Press, mai 2011, en ligne ici (consulté le 17/03/2013) ; voir aussi Ben Kafka, The Demon of Writing. Powers and Failure of Paperwork, New-York, Zone Books, 2012, qui vient d’être traduit en français : Ben Kafka, Le Démon de l’écriture. Pouvoirs et limites de la paperasse, trad. Jérôme Hansen, Bruxelles, éd. Zones sensibles, 2013. Pour une réflexion antérieure et plus générale sur le phénomène, voir Abigail J. Sellen & Richard H. R. Harper, The Myth of the Paperless Office, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2002.

[7] Octave Uzanne, « « Suggestions d’avenir. La Fin des livres », Contes pour bibliophiles, Quantin, 1894 ; une édition illustrée par Robida est accessible sur Gallica (ici).

[8] Michel Butor, Pour tourner la page. Magazine à deux voix rédigé sous la direction de Lucien Giraudo, Arles, Actes sud, 1997, p. 83.

[9] « Il faut associer tout le travail de Butor, surtout depuis Mobile, avec le travail de centaines de biblioclastes, comme Dieter Roth, comme B. Lemenuel, comme Michel Vachey, comme Humbertus Gojowczyk, comme Cage dans Silence ou Year from Monday, comme tous ceux qui veulent écrire dans l’espace, comme Sonia Delaunay et son grand rouleau de la Prose du Transsibérien » (Jean-François Lyotard, « La confession coupée », dans Butor. Colloque de Cerisy, Georges Raillard (dir.), Paris, 10/18, 1974, p. 124 ; repris avec des intertitres et de rares modifications dans Jean-François Lyotard, Rudiments païens. Genre dissertatif, Paris, 10/18, 1977, chapitre IV, p. 81-114). Un extrait de cette communication figurait, très illustrée, dans le numéro de L’Art vivant sous le titre de « Biblioclastes » (Jean-François Lyotard, « Biblioclastes », L’Art vivant, op. cit., p. 9-12).

[10] Benoît Tane, « Butor/Lyotard. Le livre coupé », dans Écritures et inscriptions de l’œuvre d’art. En présence de Michel Butor, Francesca Caruana (dir.), Paris, L’Harmattan, « Ouverture philosophique », 2014, p. 165-175.

[11] Ray Bradbury, Fahrenheit 451 [Denoël, 1995], Paris, Gallimard, « Folio SF », 2000, trad. française de Jacques Chambon et Henri Robillot, p. 24 ; « It was a pleasure to burn. It was a special pleasure to see things eaten, to see things blackened and changed. With the brass nozzle in his fists, with this great python spitting its venomous kerosene upon the world, the blood pounded in his head, and his hands were the hands of some amazing conductor playing all the symphonies of blazing and burning to bring down the tatters and charcoal ruins of history » (Ray Bradbury, Fahrenheit 451, Flamingo, p. 11).

[12] Le roman joue sur le retardement de cette information, qui n’est cependant pas traitée comme une révélation ; la présence de livres chez Montag est annoncée par deux éléments récurrents et parfois associés, qui sont ramenés à la mémoire du personnage juste après sa rencontre avec Clarisse. Il s’agit d’abord du motif de la « grille du climatiseur » de sa maison, devant laquelle Montag se retrouve en rentrant chez lui et qui, renvoyant à ce qu’elle dissimule sans que cela ait été identifié par le texte, incarne une présence étrangère (« Il s’arrêta pour lever les yeux vers la grille du climatiseur dans le couloir et se rappela soudain que quelque chose était caché derrière cette grille, quelque chose qui, en ce instant, semblait l’observer », p. 33) et du « vieil homme » rencontré dans un parc un an auparavant mais évoqué seulement en même temps que la grille et par une périphrase anonyme (p. 33). Montag pense de nouveau à cette grille lorsque le Limier réagit à sa présence sans que ce qu’elle cache soit explicitement mentionné (« Montag songea à la grille du climatiseur dans le couloir de la maison et à ce qui était caché derrière. Si quelqu’un était au courant à la caserne, ne se pouvait-il pas qu’il soit allé “rapporter” la chose au Limier… ? », p. 55). Les deux éléments se rejoignent à nouveau dans une même occurrence (« Mais dans son esprit, un vent frais se leva et se mit à souffler de la grille du climatiseur qu’il avait chez lui, tout doux, tout doux, lui rafraîchissant le visage. Et de nouveau, il se vit dans un parc verdoyant en train de parler à un vieil homme, un très vieil homme, et le vent qui venait du parc soufflait le même froid », p. 64). La grille révèle enfin son contenu lorsque Montag ouvre sa cachette devant sa femme Mildred (p. 107). Le vieil homme est quant à lui enfin associé à son nom, Faber, et donne lieu au récit développé de la scène du parc, dans laquelle il récitait des poèmes en dissimulant une chose que Montag devine être un livre (p. 115), peu avant que le héros ne se rende chez l’ancien professeur d’anglais (p. 123). Cette mise en voix du livre invisible à défaut d’être manquant ici, annonce la rencontre avec les hommes-livres à la fin du roman.

[13] François Truffaut, « Les écrans de la ville », INA, 1966 ; entretien réédité dans François Truffaut, Fahrenheit 451, MK2 éditions, édition spéciale, 2004.

[14] Ray Bradbury, op. cit.,  « Folio SF », p. 26 ; « milk-white », Flamingo, p. 13.

[15] Id., « Folio SF », p. 203 ; « He knew why he must never burn again in his life », Flamingo, p. 148.

[16] Dans son journal de tournage, commencé dès janvier 1966 et publié en feuilleton à partir de février dans les Cahiers du cinéma, Truffaut mentionne le caractère conjoncturel de ces plans, la neige n’ayant pas été prévue…

[17] François Truffaut, Fahrenheit 451, MK2 éditions, édition spéciale, 2004, séquence située à 1 h 25’.

[18] Ibid., à 3’ 40’’.

[19] Ray Bradbury, op. cit., « Folio SF », p. 31 ; « parlour walls », Flamingo, p. 16.

[20] Ibid., « Folio SF », p. 46 ; « The Home-maker », Flamingo, p. 27.

[21] Ibid., « Folio SF », p. 45 ; « a play comes on the wall-to-wall circuit in ten minutes », Flamingo, p. 27.

[22] Ibid., « Folio SF », p. 46-47 ; « If we had a fourth wall, why it’d be just like this room wasn’t ours at all, but al kinds of exotic people’s room », Flamingo, p. 28.

[23] « La conférence est terminée » (« Folio SF », p. 101 ; « Lecture’s over », Flamingo, p. 68). Le mot « lecture » dans l’original est certes conforme à l’usage anglophone pour lequel il n’a que le sens de « conférence » mais, préféré à d’autres termes, comme speech ou talk, il ne peut ici que faire écho à son sens originel.

[24] Ray Bradbury, op. cit., « Folio SF », p. 91-101 ; « Things began to have mass », Flamingo, p. 61- 68.

[25] Sur le rapport paradoxal à l’antimodernité dans Fahrenheit, voir Stéphane Lojkine, « L’espace contre le temps de la littérature : Fahrenheit 451 », Enseigner la littérature à l’université aujourd’hui, Claude Pérez (dir.).

[26] Ray Bradbury, op. cit.,« Folio SF », p. 65 ; « Established, 1790, to burn English-influenced books in the Colonies. First Fireman : Benjamin Franklin », Flamingo, p. 42.

[27] La constitution américaine ne fut ratifiée par les treize états fondateurs des Etats-Unis qu’en 1790, d’où peut-être la date retenue par Bradbury.

[28] Elias Canetti, Auto-da-fé, trad. française de Paule Arhex, Paris, Gallimard, « L’imaginaire », 1968.

[29] Nous citons le texte dans Elias Canetti, Die Blendung, Frankfuhrt-am-Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 1965.

[30] L’éditeur français opte pour une curieuse option : il conserve le découpage étymologique du mot, que l’on fait traditionnellement remonter directement au portugais « auto da fe », en utilisant des traits d’union, comme dans l’usage anglo-saxon alors que le français opte pour une coalescence des termes, mais il accentue le mot à la française : Auto-da-fé. Pour des précisions bibliologiques, voir Austriaca. Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche, novembre 1980, n°11 : « Hommage à Elias Canetti », Gerald Stieg dir., p. 174-175.

[31] Nous venons de rappeler que le roman daterait en réalité de 1931. Si le mot Autodafé existe en allemand, on parle aussi de Bücherverbrennung, de même que l’on peut parler de « brûlage », voire de « brûlement » de livres en français.

[32] Elias Canetti, Masse und Macht (1960 ; Masse et puissance, Gallimard, trad. française de Robert Rovini, 1966).

[33] Auto-da-fé, éd. cit., p. 368 ; Die Blendung, éd. cit., p. 328.

[34] Auto-da-fé, éd. cit., p. 108 ; Die Blendung, éd. cit., p. 93

[35] Auto-da-fé, éd. cit., p. 44 ; « Ungebildeten gegenüber sind sie wehrlos », Die Blendung, éd. cit., p. 37.

[36] Auto-da-fé, éd. cit., p. 107-111.

[37] Id., p. 32.

[38] Je traduis ; « Der dunkle, schwere Koloss », Die Blendung, éd. cit., p. 27.

[39] Auto-da-fé, éd. cit., p. 35 ; « Haufen von Papier », « Wische », Die Blendung, éd. cit., p. 29-30.

[40] Auto-da-fé, éd. cit., p. 113 ; « Die Demokratisierung des Heeres äussert sich praktisch darin, dass von heute ab jeder einzelne Band mit dem Rücken zur Wand steht », Die Blendung, éd. cit., p. 98.

[41] Le texte de Benjamin parut d’abord dans une revue (Walter Benjamin, « Ich packe meine Bibliothek aus », Das Literarische Welt, juillet 1931).

[42] Auto-da-fé, éd. cit., p. 275 ; « Er bekomme ein Paket von ihm, das Paket heisse ‘Kunst’. […] Zehn billige Romane à zwei Schilling wurden zu einem eindrucksvollen Paket zusammengebunden Kunst », Die Blendung, éd. cit., pp. 242-243.

[43] Auto-da-fé, éd. cit., p. 329 ; « Bücher über 500 Seiten », Die Blendung, éd. cit., p. 293.

[44] Paul Auster, In the Country of Last Things, London, Faber and Faber, 1987 ; Le Voyage d’Anna Blume, Arles, Actes Sud, trad. française de Patrick Ferragut et Pierre Furlan, 1989.

[45] Roland Emmerich, 20th Century Fox, États-Unis, 2004.

[46] Londres, 1771 ; réédité à La Découverte, 1999.

[47] Fernand Drujon, Le Livre. Revue du monde littéraire, Paris, Quantin, 1888, p. 365. On peut toujours lire cette œuvre ou ce qu’il en resterait, Rétif prétendant qu’il en a détruit la majeure partie (Restif de la Bretonne, L’Anti-Justine ou Les Délices de l’amour, Paris, La Musardine, coll. « Lectures amoureuses », 1999). Il faudrait rapprocher cette affirmation de l’auteur d’autres éléments qui ponctuent ses volumes, comme par exemple de longues listes d’ouvrages annoncés et qui ne verront jamais le jour.

[48] Sur cette œuvre, voir Benoît Tane, « Avec figures… ». Roman et illustration au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

[49] Arlette Farge, L’Écrit sur soi au XVIIIe siècle, Paris, Bayard, 2003.

[50] Évanghélia Stead, La Chair du livre. Matérialité, imaginaire et poétique du livre fin-de-siècle, Paris, PUPS, 2012, chapitre 7 : « Entre le livre et la peau ».

[51] Je traduis ce que je déchiffre sur le manuscrit, conservé à la Library of Congress et accessible sur le site de la bibliothèque : “ Body of Ben. Franklin/Printer; like the Cover of an old/ Book, Its Contents torn out (ou worn out), and/ Stript of its Lettering & gilding, /Lies here, food for the worms; yet the work shall not be lost, / for it will, as he believes, appear once more, In a new & more beautiful Edition, Corrected and amended By the Author/ Born June the 6th 1706/”. La transcription proposée par la Bibliothèque est un peu différente et ne correspond pas au texte autographe mais à celui publié dans l’édition des manuscrits de Franklin : “The Body of B. Franklin, Printer; like the Cover of an old Book, Its Contents torn out, And stript of its Lettering and Gilding, Lies here, Food for Worms. But the Work shall not be wholly lost; For it will, as he believ’d, appear once more, In a new & more perfect Edition, Corrected and amended By the Author » (« Epitaph », in Leonard W. Labaree et al. Ed., The Papers of Benjamin Franklin, New Haven, Yale University Press, 1959, I-III). Pourtant, dans l’autobiographie de Benjamin Franklin, le texte est très proche du manuscrit : Transcription: The Body of Benjamin Franklin/Printer; (like the Cover of an old/ Book, Its Contents torn out, and/ Stript of its Lettering & gilding=, /Lies here, food for worms; yet the work itself shall not be lost, / for it will, (as he believed) appear once more, In a new & more beautiful Edition, Corrected and amended By the Author. (The Autobiography and Essays of Dr. Benjamin Franklin. Complete in one Volume, Philadelphia, Lippincott & co, 1864, p. 106).

[52] Je remercie Évanghélia Stead pour les précisions qu’elle a apportées lors de la présentation orale de cette analyse.

[53] Ray Bradbury, Fahrenheit 451, op. cit., « Folio SF », p. 223 ; Ray Bradbury, Fahrenheit 451, op. cit., Flamingo, « Don’t judge a book by its cover », p. 162. Voir aussi, peu de pages auparavant : « Nous ne sommes que des couvre-livres, rien d’autre » (p. 220 ; « We’re nothing more than dust-jackets for books », p. 160). Il s’agit donc ici de ce qui recouvre la couverture.

[54] Auto-da-fé, éd. cit., p. 45 ; « Entsetzlich : aus der aufgerissenen Brust springt ein Buch hervor, ein zweites springt nach, ein drittes, viele », Die Blendung, éd. cit., p. 38.

[55] Hubertus Gojowczyk (né en 1943) ; voir Hubertus Gojowczyk, Gutenberglabyrinth : Buchobjekte, Texte und Situationen seit 1968 ; eine Austellung der Deutschen Nationalbibliothek in Zusammenarbeit mit Hubertus Gojowczyk, Frankfurt, Deutsche Nationalbibliothek, 2008.

[56] Gilbert Lascault, « Livres dépravés », L’Art vivant, op. cit., p. 7.

[57] Pierre Klossowski, Roberte, ce soir, Paris, Éditions de Minuit, 1953, repris avec Les Lois de l’hospitalité. La Révocation de l’Edit de Nantes, Roberte, ce soir, Le Souffleur, Paris, Gallimard, « Le chemin », 1965. Là encore la réédition rend encore plus actuelle la référence.

[58] Gérard Haddad, Manger le livre. Rites alimentaires et fonction paternelle, Paris, Hachette Littératures, 1984.

[59] Auto-da-fé, éd. cit., p. 295-296 ; « Was fang ich mit dem vielen Dreck an. Dreck hat er gesagt, für Bücher sagt er immer Dreck, zum Fressen ist ihm der Dreck gut genug. Was wollen Sie, sagt er, der Dreck bleibt hier monatelang liegen, lieber hab’ ich was davon und stopf mich satt damit. Er hat ein eigenes Kochbuch zusammentgestellt, mit vielen Rezepten drin, jetzt sucht er einen Verleger dafür. Es gibt zuviel Bücher auf der Welt, sagt er, und zu viel hungrige Magen. Meinen Bauch verdank’ ich meiner Küche, sagt er, ich will, dass jeder so einen Bauch hat, und ich will, dass die Bücher verschwinden, wenn es nach mir ging’, müssten alle Bücher verschwinden ! Man könnt’ sie verbrennen, aber davon hat niemand was » (Die Blendung, éd. cit., p. 261-262). Le Cochon avait été mentionné une première fois sous la forme d’une métaphore désignant l’employé du Mont de Piété chargé d’estimer les livres (Auto-da-fé, éd. cit., p. 258).

[60] Nous avons lu avec intérêt l’article de Tatjana Barazon, « Des livres dans la tête : la bibliothèque imaginaire chez Bradbury, Canetti et Joyce », Conserveries mémorielles, #5 |  2008, mis en ligne le 01 octobre 2008, consulté le 17 mars 2013. En ligne ici.

[61] Lucien Febvre & Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958.

[62] Jean-François Lyotard, « La confession coupée », op. cit., p. 124.

[63] Jacques Lacan, « La lettre volée », Séminaire, Livre II (1954-1955), Paris, Seuil, 1978, p. 232.

Bibliographie

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BARAZON, Tatjana, « Des livres dans la tête : la bibliothèque imaginaire chez Bradbury, Canetti et Joyce », Conserveries mémorielles [En ligne], #5 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2008, consulté le 17 mars 2013. URL : http://cm.revues.org/129 (consulté le 3/09/2014)

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BUTOR, Michel, Pour tourner la page. Magazine à deux voix rédigé sous la direction de Lucien Giraudo, Arles, Actes sud, 1997, p. 83.

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Auteur

Benoît Tane est Maître de conférences de littérature comparée à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, membre du laboratoire LLA-CREATIS. Ses recherches portent notamment, dans le domaine anglophone, francophone et germanophone, sur le XVIIIe siècle (relations du texte et de l’image, illustration, transposition, théorie et pratique du roman).

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