Présentation

Ce dossier (issu d’une journée d’étude organisée à Montpellier en 2014) explore diverses facettes de l’activité et de l’œuvre radiophoniques du poète Philippe Soupault (mort en 1990) dans la deuxième moitié du XXe siècle. Soupault est un clandestin de l’histoire littéraire de l’après-guerre, voire déjà des années 1930, voire même du milieu des années vingt, date de son exclusion du groupe surréaliste (1926), dont le co-fondateur de la revue Littérature (1919) et co-auteur des Champs magnétiques s’écarte déjà à partir de 1924. Dans les années trente, quand il se lance dans le grand reportage pour Le Petit Parisien, Vu ou Excelsior et anime une chronique littéraire à Paris-PTT (1937-1938), il disparaît un peu plus encore des radars, dans un champ littéraire où abondent pourtant les écrivains-journalistes, où brillent les écrivains-reporters [1]. Le départ pour la Tunisie, alors sous protectorat français, en août 1938, l’éloigne encore un peu plus : à la demande de Léon Blum, il va y créer et diriger le poste Tunis-PTT Impérial, jusqu’à l’armistice de 1940… et dans la foulée, en 1941-1942, écrire quelques sketches et pièces pour la radio : Les Habits neufs du Grand Duc, Les Moissonneurs, Tous ensemble au bout du monde, ainsi que, deux ans avant Jean Tardieu, une adaptation de Candide. En 1945, quand il revient à Paris après des années au loin (Tunisie, Algérie, Amérique du Sud, du Nord), il est devenu à ses propres yeux un « fantôme [2] ». Un fantôme auquel, comme à beaucoup de survivants de l’entre-deux-guerres, la Radiodiffusion française va donner au fond une seconde « carrière ».

Éphémère directeur des émissions de la RDF vers l’étranger après la guerre (janvier-mars 1946), Soupault entame de fait après 1950 une longue carrière de producteur de radio (1951-1977), illustrée par des séries d’émissions de théâtre (Le Théâtre où l’on s’amuse, Théâtre d’Eugène Labiche, Théâtre de Courteline), de poésie (Prenez garde à la poésie, Poésie à quatre voix, Poètes oubliés, amis inconnus, Vive la poésie), de portraits littéraires (Tels qu’en eux-mêmes). Il écrit aussi, en plus de ces très nombreuses émissions de critique littéraire, quelques émissions de reportage selon les codes du temps (assez littéraires), une séduisante évocation sonore du Monde des sons, des adaptations de pièces de grands auteurs (Shakespeare, Labiche, Musset, Gogol…)… Il fait radiodiffuser ses propres pièces, dont une directement conçue pour le médium : La fille qui faisait des miracles, Rendez-vous !, Alibis, Le Sixième coup de minuit, La Maison du Bon repos, Étranger dans la nuit [3]. Des œuvres lyriques aussi, et un « ballet radiophonique » (L’Étrange aventure de Gulliver à Lilliput).

De cet ensemble de productions assez varié, où prédominent deux « grands genres » (le théâtre, la poésie), les études réunies ici veulent donner une idée certes incomplète mais du moins assez panoramique pour que se dessine un profil pas trop infidèle de l’homme de radio que fut Soupault. En ouverture, Sylvie Cassayre retrace l’itinéraire radiophonique du poète, que les entretiens et témoignages sur le Surréalisme enferment, à partir des années 70, « dans la réitération du geste autobiographique et testimonial ». Myriam Boucharenc fait le portrait de sa voix, « chaude, grave remontant parfois vers l’aigu, légèrement voilée », une voix sans style particulier et en somme classique, par goût du naturel et hostilité au style « émission culturelle entre lettrés ». Céline Pardo s’intéresse aux grandes séries de Soupault et Jean Chouquet sur la poésie, nées de l’ambition de « prouver aux auditeurs que la poésie pouvait devenir attrayante, populaire et gaie [4] ! » ; elle décrit leur originalité, les ingrédients de leur succès. Intrigué par l’admiration de Soupault pour Labiche (découvert en prison pendant la guerre), Pierre-Marie Héron suit le fil du vaudeville, de la série Le Théâtre où l’on s’amuse aux pièces radiodiffusées qui s’en réclament (La fille qui faisait des miracles, La Maison du Bon repos). Trois études portent ensuite sur des corpus ciblés : Marie-Paule Berranger analyse les deux « carnets de voyage » radiophoniques de 1950 et 1951, Instantanés de Perse et Bagdad 1950, qui empruntent aux procédés du reportage mais aussi de la pièce radiophonique. Myriam Mallart Brussosa revient sur une expérience de 1952 finalement décevante pour le poète : un dialogue avec lui-même à l’écoute de poèmes mis en chanson, sur des rythmes de toutes sortes (série « Chansons d’écrivains : Philippe Soupault »). Delphine Vernozy s’interroge sur une autre expérience de Soupault, plus étrange quoique non isolée sur les ondes de l’époque : l’écriture d’un « ballet radiophonique ».

Au fil de ces articles, c’est le fantôme de Soupault qui surgit un peu de l’oubli : un poète curieux de tout, des ailleurs, des autres, de l’insolite comme des énigmes de l’existence, et aussi d’un médium « merveilleux »… dont il n’a cependant pas exploré très avant les ressources d’écriture. Soupault en effet n’est pas Cendrars, et les spécificités de l’écriture audio (voix, silences, bruits, musiques) ne semblent pas l’avoir fasciné ni même vraiment préoccupé, au-delà de quelques réflexions incisives sur le monde des sons. Alors que ses premiers sketches nativement radiophoniques datent de 1941, sa prise de conscience en la matière daterait, de son propre aveu, de séances de mixage auxquelles il est invité par le réalisateur Jacques Reynier, au début des années… 1970 ! L’itinéraire radiophonique de Soupault est donc surtout celui d’un infatigable passeur, de théâtre, de poésie, de culture plus généralement, qui a su, porté par son aptitude à la simplicité, au divertissement et à l’enthousiasme tout à la fois, communiquer aux publics de la radio des grands textes et des raisons de s’amuser, de se passionner, de réfléchir, de rêver… de vivre. Quant à lui, assumant délibérément, au sein de cet univers médiatique, une posture de raté (sur le modèle de Rimbaud, de Lautréamont), c’est très logiquement qu’il n’a pas tout fait pour sortir de l’ombre. Quoique sensible à la popularité de plusieurs des grandes séries d’émissions qu’il co-produit, quoique tenté aussi par l’ivresse du succès [5], le poète de l’après-guerre a choisi le demi-retrait des poètes médiateurs de culture, exposés comme journalistes, cachés comme poètes.

Notes

[1] V. Boucharenc M., L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Lille, Presses du Septentrion, 2004.

[2] Soupault, Journal d’un fantôme, Paris, les Éditions du Point du jour, 1946.

[3] Textes réunis dans À vous de jouer ! en 1980.

[4] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n° 2, 1997, p. 213.

[5] « Je sais que ce n’est pas facile d’être un raté, je sais que le succès est enivrant »  (Poèmes et poésies, Grasset, 1973, p. 377).




Soupault tel qu’en lui-même

Résumé

Dès les années 50, l’activité radiophonique de Philippe Soupault est multiple : reporter, producteur d’émissions consacrées à la poésie, au théâtre, entretiens. Cette diversité s’inscrit dans un itinéraire personnel biographique. Dans une fidélité constante à Dada, il se fait le défenseur d’une poésie populaire et spontanée et œuvre pour sortir la poésie du livre et en faire un spectacle vivant. La radio lui offre aussi la possibilité de trouver pour sa propre poésie des chemins nouveaux. À partir des années 70, entretiens et témoignages sur le Surréalisme enferment le poète dans la réitération du geste autobiographique et testimonial. Ainsi le même imaginaire est-il à l’œuvre dans les radios et dans l’œuvre écrite : à la liberté absolue, à l’inventivité s’oppose l’enkystement de la mémoire. Son passage à la radio épouse son passage dans la littérature : celui d’un créateur qui peine à effacer la trace qu’il laisse.


Since the 1950’s, Philippe Soupault’s activity on the radio has been very diverse : reporter and producer of broadcasts dedicated to poetry, theatre or interviews. This diversity falls within a personal biographical history. Constantly faithful to Dada, he becomes the defender of popular and unprompted poetry and strives to bring poetry out of the books and to turn it into a living show. The radio also gives him the opportunity to find new paths for his own poetry. From the 1970’s, interviews and personal stories on Surrealism confines the poet to the repetition of autobiographical and testimonial gesture. So, the same imagination is operating on the radio and in written work : absolute freedom and inventiveness is in contradiction with memory encapsulation. His radio journey fits closely with his literary journey : one of a creator who is struggling to erase the traces left behind.


Texte intégral

Multiplicité, diversité et vitalité : voilà les termes qui s’imposent pour caractériser l’œuvre radiophonique de Soupault. Si l’on n’en finit pas de retrouver ses textes – on sait qu’il n’est pas un collectionneur et qu’il essaime ses productions sans aucune volonté de thésaurisation – on est aussi abasourdi quand on se retrouve devant l’écran de l’Ina qui propose le recensement des interventions de Soupault à la radio et à la télévision : un vertige ! Reporter, producteur d’émissions de théâtre et de poésie, créateur d’œuvres radiophoniques, acteur et témoin de la vie littéraire, Soupault a endossé toutes les tenues.

Ce rendez-vous avec la radio n’est pas une surprise : il s’inscrit dans un itinéraire personnel biographique, dans la continuité logique d’une activité journalistique qui, aux temps splendides du Surréalisme, l’a déjà placé dans les marges. Il s’encadre dans une époque, celle des grandes heures poétiques de la radio, et plus profondément entre en écho avec l’imaginaire du créateur.

Cette relation avec la radio a ses périodes de bonheur, ses creux, ses ruptures et ses abandons. Si la radio offre à l’œuvre de Soupault la possibilité d’une régénération, ne va-t-elle pas aussi la piéger en l’enfermant dans une obligation de fidélité qui lui est mal conforme ? Ou bien Soupault déjoue-t-il le jeu de la radio avec malice ? « Quel est celui d’entre vous / qui rira le dernier » nous demande Soupault dans le poème « Ronde [1] ». Et c’est peut-être lui.

Je vous propose, pour ce jeu de barbichette, quelques éclairages sur des formes différentes de son activité radiophonique au gré de mes propres plaisirs.

1. J’ai rendez-vous avec vous

L’activité radiophonique de Soupault commence avant la deuxième guerre. Dès 1936, son ami Pierre Brossolette lui propose d’assurer la chronique des lettres à la radio Paris-PTT [2]. En 1938 sa démission du journal Excelsior signe la fin de la période des grands reportages écrits ; désormais il abandonnera le stylo du journaliste pour le micro. En mars 1938, Brossolette suggère à Léon Blum la candidature de Soupault pour diriger une nouvelle station de radio à Tunis, destinée à combattre l’influence des radios italiennes mussoliniennes [3]. Radio Tunis est inaugurée le 13 octobre 1938. En juin 1940, les difficultés commencent pour Soupault. Il est limogé en décembre 1940, arrêté pour haute trahison et emprisonné le 12 mars 1942. À Tunis, il écoute Radio Londres et l’importance de la voix radiophonique éclate dans le poème « Ode à Londres [4] » :

Nous étions bâillonnés avec de la boue et des immondices […]

Cette nuit Londres est bombardée pour la centième fois

Une voix s’élevait c’était le cri espéré

Nous étions bâillonnés avec de la boue et des immondices […]

Cette nuit Londres est bombardée pour la centième fois

Une voix s’élevait c’était le cri espéré

Soupault célèbre la voix qui unit les hommes, qui repousse l’angoisse, qui brise la peur, la voix humaine qui recouvre le fracas des bombes. Et il s’embarque dans ce nouveau média avec la ferveur qu’il met à toutes ses activités. Cependant, en dépit de quelques « sketches radiophoniques », comme il les intitule lui-même, dans lesquels il s’engage contre la dictature (je pense aux Moissonneurs ou à Tous ensemble au bout du monde), sa voix sert surtout des combats poétiques et littéraires.

Après son séjour à New York, Soupault rentre à Paris le 8 octobre 1945 ; c’est une période difficile où il lui semble que le monde ancien a disparu. Il exprime son désarroi dans Journal d’un fantôme en 1946. Aussi accepte-t-il, fin 1946, la direction des émissions en langues étrangères à la RDF, qu’il occupe six mois. Mais c’est surtout à partir des années 1950 que se développe l’essentiel de ses activités radiophoniques, autant dans le domaine théâtral que poétique.

Cette activité radiophonique de Soupault prolonge donc naturellement son activité de reporter dans la presse écrite, à un moment de difficultés tant financières que personnelles. Elle s’inscrit également dans une période de pleine croissance pour la radio et de pleine créativité pour les émissions culturelles. Soupault a toujours été un homme dans son siècle, prenant sur le vif toutes les modernités ; il ne pouvait manquer le rendez-vous avec la radio.

Cette rencontre est d’autant plus naturelle qu’elle correspond chez lui à une forme de sensibilité, d’imaginaire. L’écrivain est sensible aux séductions de la mobilité, de l’instantané. Il n’aime pas s’attarder, corrige peu ses brouillons, et trouve dans l’automatisme et le jaillissement de la pensée ses plus grands bonheurs de poète. Il y a toujours eu en lui la nostalgie de Dada ; il n’est pas un méticuleux qui remet cent fois son travail sur le métier. Certes, la radio peut requérir un travail de longue haleine, et Soupault préparait sérieusement ses émissions, mais il y a dans le caractère éphémère de la radio quelque chose qui, sans aucun doute, ne manquait pas de le séduire. La radio n’autorise ni les remords, ni les retours en arrière, or Soupault n’aime pas remettre les pas dans les pas, bien qu’il le fasse très souvent ! Je dirai donc qu’il est un radiophile poétiquement programmé.

Je me suis promenée dans l’immensité de cette production et j’ai choisi d’éclairer ce qui m’est apparu comme le plus révélateur de l’imaginaire de l’écrivain, en me demandant dans quelle mesure le travail radiophonique était un prolongement de l’œuvre écrite et/ou ouvrait de nouveaux horizons. Vaste programme pour lequel je ne puis ouvrir que quelques pistes !

2. Soupault, le passeur de poésie

Soupault à la radio est un inlassable défenseur d’une poésie populaire au meilleur sens du terme. Il développe avec une ardeur incroyable sa conception de la poésie et la mise en acte de cette conception : poésie insolite, poésie spontanée, poésie pour tous. Ne pas séparer la poésie de la vie, ne pas cantonner la poésie dans des livres, mais la faire vivre au quotidien, dans un jaillissement toujours renouvelé, tel est son Graal.

Il est le producteur pendant une dizaine d’années avec Jean Chouquet d’émissions qui, pour certaines, ont eu un fort succès, en particulier, Prenez garde à la poésie de 1954 à 1956, sur la Chaîne nationale. Ce travail de passeur de poésie, Soupault le poursuivra avec les séries Faites vous-même votre anthologie en 1955-1956, Poètes à vos luths en 1956-1957, Poésie à quatre voix en 1957-1958, Comptines en 1957-1959, Poètes oubliés, amis inconnus en 1959-1961, Proverbes et dictons en 1959-1962, puis Vive la poésie (1962-1965) et Midis de la poésie (1961-1968).

Sa première intention est de sortir la poésie du livre pour qu’elle devienne un spectacle vivant. L’émission Prenez garde à la poésie est préparée sur un canevas proposé en alternance par Chouquet et Soupault pour le choix des textes, des interprètes, des musiques. Elle est enregistrée au théâtre Gramont. La présence constante de l’humour est assurée par Jean Poiret et Michel Serrault (qui, sous le nom de Stéphane Brineville, incarne un poète médiocre, vaniteux et niais) ; on entend le public rire aux éclats aux échanges souvent enlevés des duettistes. Le rythme de ces spectacles poétiques qui durent plus d’une heure est rapide, alternant sketchs, poèmes mis en musique, et chansons. Le rôle du public est essentiel. La série Poètes à vos luths m’est apparue moins créative. Est-ce parce que le public a disparu ? Face à un micro, qui élimine la présence du destinataire, l’échange Poiret/Serrault perd en panache et en dynamisme. Les querelles simulées des humoristes, où l’un défend la poésie classique et l’autre la poésie moderne, semblent parfois bien artificielles. En fait, la théâtralisation du débat a besoin de la scène pour donner toute sa vitalité.

La place de la chanson dans Prenez garde à la poésie est essentielle et l’on retrouve là le goût de Soupault pour la chanson, capable, comme il l’indique dans la préface de son recueil de poèmes Chansons, de réunir des gens de milieux, de nationalités ou de sensibilités différentes. Dans toutes les émissions, qu’elles soient en public ou en studio, musique et chansons se taillent la part du lion. Si une partie des poèmes est dite par de grands comédiens ‒ Jacques Dufilho, Raymond Devos, François Périer, Michel Bouquet, Roger Blin, Louis de Funès, Suzanne Flon pour n’en citer que quelques-uns ‒, beaucoup sont chantés par des poètes de la chanson : Charles Trenet (dont « L’âme des poètes » sert d’indicatif à l’émission Prenez garde à la poésie), Leo Ferré, Guy Béart, Félix Leclerc, Georges Moustaki, Pierre Perret, Serge Reggiani… Les interprètes populaires de l’époque sont évidemment conviés : Denise Benoît, Cora Vaucaire, Germaine Montero, Catherine Sauvage par exemple. Le principe est toujours le même : accorder à la poésie la plus large visibilité possible, la faire entendre, la faire vibrer sur des accords musicaux, ou, quand il s’agit de lectures de poèmes, donner au langage la puissance qu’il perd dans une lecture silencieuse.

Particulièrement remarquable est l’éclectisme des choix de Soupault. Des poètes de toutes les époques et de toutes les écoles sont conviés. Certes, une grande place est donnée à la poésie contemporaine : Apollinaire, Claudel, Cendrars, Carco, Michaux, les surréalistes… Mais Soupault n’écarte jamais la poésie classique ou populaire : « La belle si tu voulais » fait bon ménage avec « L’émigrant de Lander Road ». Seuls sont écartés les symbolistes, François Coppée ou Sully Prudhomme, dont Poiret et Serrault font des parodies humoristiques. Et quand Soupault, dans Faites vous-même votre anthologie, sollicite la participation des auditeurs ‒ concept dont les heures de gloire ne sont pas terminées ‒ on est surpris par le résultat : un poète surréaliste réalise cinquante et une émissions de 25 minutes où Ronsard, La Fontaine, Verlaine ou Hugo tiennent le haut du pavé. Le principe est le même pour la série Comptines dans laquelle Soupault, qui présente l’émission, fait appel à des auditeurs de toute la France.

La présence de Soupault dans ces émissions dont il est le producteur est variable. Il ne prend pas le micro dans Prenez garde à la poésie, présente la série Comptines. Dans Poètes à vos luths, il se prête parfois à l’exercice de l’entretien: dans l’émission diffusée le 30 octobre 1956 par exemple, il répond à un jet de questions très variées posées par André Frédérique et en profite pour faire une parodie ‒ assez inquiétante pour nous ‒ de la critique universitaire qui l’agace prodigieusement. De manière générale, il se fait le chantre d’une poésie spontanée, à l’écoute du merveilleux, proche de l’oralité, et surtout en dehors des conventions. L’anticonformisme, la recherche d’une forme de liberté le conduisent à n’exclure aucune forme de talent. Pour lui, qui est « né pour être poète », la poésie est un mode de vie, une façon d’être au monde, le souffle même de la vie.

Je voudrais maintenant envisager le rôle de la radio dans l’évolution de sa propre œuvre : comment la radio lui permet-elle de tisser de nouveaux chemins dans sa propre création ?

3. Les nouveaux chemins de la création

L’œuvre de Soupault est mise en ondes de façon multiple et diverse. Adaptations théâtrales, adaptations musicales de ses poèmes, lectures, commentaires foisonnent entre les années 1950 et 1965. Je prendrai pour exemple de la créativité du poète à la radio les émissions consacrées aux Chansons.

Ces six émissions de 20 minutes diffusées du 30 mars au 4 mai 1952 sont produites par Chouquet au Club d’Essai sur une suggestion de Tardieu. Elles sont enregistrées en studio. Chose rare, l’émission est vraiment centrée sur la poésie de Soupault, et sans l’intermédiaire d’un journaliste qui, comme à l’accoutumée, viendrait demander à Soupault son point de vue sur le Surréalisme [5]. Dans « Chansons d’écrivains », Soupault est seul face au micro et se pose/s’expose en individu et en poète. « Je m’appelle Philippe Soupault » déclare-t-il pour introduire et signer l’émission. L’ouverture de l’émission nous rappelle étrangement la clôture du grand poème « Westwego [6] », poème de l’affirmation de l’identité :

et moi le premier ce matin
je dis quand même
Bonjour
Philippe Soupault

Il n’évoquera le Surréalisme qu’à la toute fin de la dernière émission avec sa fausse modestie coutumière : « Je ne veux pas de ce mot pour excuser mes chansons. »

À travers le fil biographique, il évoque son imaginaire d’enfant, qui, on le sait, est à l’origine de nombreuses comptines, puis dans la deuxième émission les interdits d’une enfance bourgeoise, la rigidité d’une famille qui voit d’un mauvais œil sa vocation de poète. Dans la troisième émission, son amour des femmes, tissé de bonheurs et de regrets. Dans la dernière émission où il est « arrivé au bout de son rouleau » (dit-il non sans malice), il fait un bilan de sa vie où se mêlent la tendresse, la mélancolie, et la révolte. Cette biographie intérieure accorde peu de place à des analyses circonstancielles. C’est le chemin d’un homme qui avec lucidité, humour et une certaine forme de mélancolie entreprend de retourner sur ses pas.

Deux choses sont tout à fait surprenantes : premièrement la lecture des poèmes ou leur mise en musique sont insérées dans un discours explicatif, presque illustratif dans lequel Soupault explique la genèse de ses poèmes. Le commentaire est fait d’une voix sérieuse, sobre et claire, parfois passionnée et lyrique. L’ensemble prend la forme d’un journal intérieur à rebours. D’autre part, c’est un recueil différent qui se recompose, non pas sous nos yeux, mais à nos oreilles. En effet le volume Chansons est classé par périodes et suit la chronologie de l’écriture : Premières chansons (1920), Chansons des buses et des rois (1921-1937), L’arme secrète (1942-1944), Chansons du jour et de la nuit (1947), Chansons vécues (1948-1949). Mais dans sa présentation radiophonique, Soupault déplace les poèmes, insérant par exemple dans l’évocation de l’enfance un poème datant de 1942, ou même l’un de ses derniers poèmes. De même le poème « Georgia », qui est le deuxième poème du recueil écrit, ferme l’émission ; les exemples de déplacement sont multiples. Je n’en ferai ici ni le relevé ni l’analyse, mais simplement soulignerai que l’émission de radio offre quasiment à Soupault l’occasion d’une composition nouvelle. Il rassemble les poèmes par thème biographique (l’enfant, l’adolescent, les femmes), alors qu’à l’accoutumée, ses recueils tracent plutôt les oscillations intérieures du poète sans souci de lien thématique et encore moins de composition d’ensemble.

L’émission de radio donne alors à sa poésie quelque chose de réglé et de presque rigoureux qui étonne. Un sens de lecture est proposé ; non seulement cette direction biographique, mais aussi le sens déjà d’un bilan. C’est donc à la fois une création neuve mais aussi une œuvre moins ouverte, recomposée pour l’impératif de la transmission radiophonique et passée par le filtre organisateur d’une conscience qui revient sur elle-même.

Les musiques sont composées par André Popp, Pierre Devevey, Christiane Verger, Jean Wiener et Pierre Billard. « Les poèmes de Philippe épousèrent les rythmes musicaux de l’époque » dit Jean Chouquet dans les Cahiers Philippe Soupault [7]. La lecture ou la mise en musique des poèmes mettent en valeur les sons et les rythmes, en rehaussant un aspect essentiel de sa poétique. Soupault en effet n’a de cesse de répéter que le poème s’impose à lui d’abord par un rythme. Il le rappelle d’ailleurs dans l’avertissement du recueil Chansons :

Je me réveillais chaque nuit vers trois heures du matin, quelquefois un peu plus tard. Si j’en avais le goût et le courage (ce qui dépendait, je crois, de ma fatigue) je pouvais noter ce que je considère comme une chanson que j’entendais assez distinctement m’être dictée [8].

Et dans Essai sur la poésie : « Ce qu’il importe de noter, ce n’est pas la valeur poétique plus ou moins grande des chansons mais leur tonalité, leur allure [9]. » La mise en musique des poèmes rehausse leur mélancolie, leur caractère insolite ou leur gaieté et elle donne incontestablement de la force aux poèmes. Ces poèmes de Soupault qui sont parfois murmures ou caresses, qui coulent et jouent de leur propre effacement, s’ancrent dans la musique avec des interprètes aux voix rauques, puissantes ou chaleureuses. La poésie de Soupault prend corps, elle se densifie, prend même parfois une certaine pesanteur dans les voix de Mouloudji, de Catherine Sauvage ou de Denise Benoît.

Pourtant ces poèmes ne sont pas toujours aisés à mettre en musique. L’identité générique est mise à mal chez Soupault : poèmes, poésies, chansons ? Je voudrais rapprocher ici deux remarques; l’une de Laurent Flieder prise dans la conclusion d’une intervention au colloque de Cerisy-la-Salle consacré à Soupault en 1997 :

De la chanson, Soupault reprend l’apparence, le vêtement. Certainement pas les codes, puisqu’il y exerce au contraire tous les dérapages : surplus d’images, absence de régularité strophique et rimique, hétérogénéité des tons, des niveaux de langue, des univers et des références. Il ne respecte aucun des critères « pédagogiques » auxquels le genre doit son universel succès [10].

L’autre est de Jean Chouquet dans les Cahiers Philippe Soupault :

Les musiciens prirent un temps très long pour composer, plusieurs mois souvent. Ils n’étaient pas d’accord pour « musiquer » les textes que Philippe et moi leur avions confiés. Ils ne les inspiraient pas. Alors, ou bien ils s’échangeaient leurs textes, ou bien ils nous en demandaient d’autres [11] !

Ainsi, l’indistinction générique semble être un obstacle à la composition musicale et surtout elle laisse à Soupault le statut d’inclassable qui est, pour lui, le meilleur envers de la gloire.

Néanmoins, la radio offre à l’œuvre poétique de Soupault la possibilité de s’exposer à un public d’amateurs avertis. Dans de très nombreuses émissions, sa poésie est reprise, mise en musique, chantée, multipliée par les voix d’interprètes talentueux, jusqu’à des périodes récentes puisque France Culture, dans ses Nuits, a repris certaines parties de ces contributions. L’œuvre est considérée pour elle-même, diffusée, fredonnée et quelques émissions de télévision de haute qualité poursuivront ce travail. Je pense en particulier à l’émission « Plain Chant » qu’Hélène Martin consacre le 3 décembre 1972 aux Chansons.

Pour conclure ce volet, on peut suggérer que la mise en voix radiophonique offre à la poésie de Soupault un ancrage dans la matière, une forme de solidification du mouvement incessant du verbe poétique, et donc un chemin un peu différent de celui du stylo, moins gambadant sans doute, moins aérien, mais plus tracé, avec des marques de peinture pour guider l’auditeur.

En revanche, les nombreux entretiens qu’il a accordés sont loin de jouer le même rôle : en un mot Soupault est-il une victime consentante d’une momification dans le rôle de témoin du Surréalisme ?

4. Séductions et malices de l’âge

Soupault reste dans les entretiens un merveilleux passeur de poésie. J’en prends pour exemple un dialogue tout à fait étonnant avec Ribemont-Dessaignes, dans deux émissions de la RTF, l’une du 14 avril 1958 (émission « Les pouvoirs de la connaissance »), l’autre du 29 mai 1961 (émission « Culture et destin »). Ribemont-Dessaignes félicite Soupault d’avoir su utiliser la radio comme nouveau moyen de détection de la poésie. Face à son intervieweur accablé qui constate la mort définitive de l’esprit dada et l’effondrement de l’intérêt pour la poésie, le poète s’engage dans un credo enthousiaste célébrant ses possibilités vertigineuses. Á son ami qui traite la poésie contemporaine de « paravent transparent », Soupault rétorque d’une voix vibrante que la poésie est notre seule façon de nous libérer du quotidien, de nous échapper ; il fait la distinction entre la superstition religieuse qu’il juge dangereuse et la poésie qui comble notre soif éperdue d’irrationnel. Il évoque même Lourdes : en quelque sorte, c’est Lourdes ou la poésie ! Je cite un Soupault lyrique :

Je ne crois pas que l’humanité puisse se passer de la poésie. La poésie est un pouvoir. La poésie est sublimation; c’est le véritable pouvoir de la connaissance et la possibilité de sortir de la facilité de la logique.

Être poète est donc pour lui accéder à un autre niveau de la connaissance et l’on peut associer poésie et science dans la recherche de l’inconnu. Une des erreurs du Surréalisme, dit-il, a été de se détourner de l’esprit de recherche par la moralisation et la politisation du mouvement. Á un Ribemont-Dessaignes quasi désespéré qui se lamente sur l’état de la culture (« […] ne restent que le vide, le néant dont se gargarise la culture moderne »), il oppose la poésie comme mode de vie et d’être au monde. C’est une attitude généreuse, sans doute idéaliste, dont jamais il ne se départira dans ses entretiens. La voix de Soupault va s’érailler au fil des années, mais le discours ne vieillira pas.

Cependant, si l’on compare les grands entretiens accordé jusqu’en 1965 à ceux de la dernière période, disons 1970-1990, on se rend compte que Soupault s’enferme dans le rôle de témoin de Dada et du Surréalisme et dans la réitération du geste autobiographique.

Du 22 octobre 1963 au 30 juin 1964, Luc Bérimont réalise avec lui sur France Inter une série de 35 émissions : « Nos quatre cents coups : entretiens avec Philippe Soupault ». C’est l’occasion pour Soupault d’évoquer son esprit de révolte, son insoumission à l’école, sa fierté d’être un cancre, son refus viscéral de la réussite sociale, et bien sûr de mettre en valeur l’évidence de sa rencontre avec Dada et le Surréalisme. Son discours est truffé d’anecdotes et de portraits ‒ Apollinaire, Reverdy, Rigaut, Roussel, Breton ‒, faisant renaître la vie littéraire de l’époque dans un souci mémoriel.

Soupault est un remarquable conteur. Usant de façon naturelle, des modes de théâtralisation et de dramatisation du récit, il annonce son anecdote par une mise en bouche : « Je vais vous raconter quelque chose » ou bien il retarde l’élément important pour mieux le faire savourer (par exemple le nom de Tzara, avant d’indiquer qu’il est le plus habile pour provoquer le scandale). Il parsème le discours de formules pour relancer le récit ( « Vous ne perdez rien pour attendre »), ou de superlatifs pour marquer son assentiment et donner de la force aux propos : « remarquable, le plus effroyable, une idée de génie, un répertoire incroyable, un sens de l’humour extraordinaire, un jeu diabolique, des questions terriblement indiscrètes »… Il s’exprime avec élégance, raffinement et courtoisie. Sa voix suit les méandres de l’expression des sentiments, tantôt nostalgique, tantôt révoltée.

Les entretiens sont organisés avec rigueur, sans beaucoup de fantaisie. Les questions de Bérimont servent à relancer un dialogue visiblement préparé à l’avance ou à remettre parfois dans les rails un Soupault facétieux qui s’égare parfois. Il évoque avec une voix malicieuse les scandales de Dada : « Je vous jure, Luc Bérimont, un beefsteak sur la figure, ça fait très mal ! » Il rit quand il évoque Raymond Roussel qui achète une paire de chaussettes neuves chaque jour pour ne jamais porter deux fois la même et c’est Bérimont qui essaie de le ramener à plus de sérieux : « Parlez-moi de l’œuvre littéraire de Raymond Roussel. »

Les emplois du je et du nous s’entremêlent constamment, abolissant les frontières mal définies entre la remémoration personnelle et la conscience du groupe : mémoire d’un homme, mémoire d’une génération, mémoire d’une aventure collective, mémoire d’un poète, l’entretien charrie sans distinction générique les souvenirs de Soupault.

Cette indétermination va jouer en sa défaveur : au fil des années, la voix de Soupault sur les ondes deviendra celle du témoin des grandes heures du Surréalisme, recouvrant celle du poète et du créateur. La publication des Mémoires de l’oubli en 1981 et 1986 [12] et la disparition progressive des grands acteurs du Surréalisme encouragent ce déplacement de la création à la réitération du geste testimonial. Inlassablement, on assiste au retour des anecdotes qui ont fondé le Surréalisme et qui vont générer la propre mythologie de Soupault : la découverte de Lautréamont, la rencontre décisive avec Apollinaire, les folles années de Dada, l’exclusion du mouvement surréaliste, l’animosité envers Cocteau, etc… Le mythe se solidifie et s’enkyste, au point qu’il faudra des émissions pour sortir l’œuvre de l’oubli.

Dès 1975, les entretiens avec Bernard Delvaille, cinq émissions de 28mn diffusées sur France Culture, s’ouvrent sur le rappel des propos d’Aragon dans Les Lettres françaises en 1968 : « Qui se souvient de ce poète appelé Philippe Soupault qui a tout fait pour se faire oublier comme d’autres se font pardonner [13] ? » Le ton est donné : désormais on assiste à une entreprise de « dépotage » de l’œuvre ‒ pour emprunter une métaphore jardinière. Quand, par exemple, l’émission « Nos quatre cents coups » est rediffusée en 1997 sur France Culture dans la série Grands entretiens, le sous-titre est révélateur : « L’œuvre oubliée sous le nom ».

Quel est le rôle de Soupault dans cette « mythification » ? Soupault le raté, Soupault le faux modeste et le vrai orgueilleux, Soupault le plus pur des surréalistes : il endosse avec bonne grâce les images qu’on lui accroche et joue parfaitement son rôle. Mais ne soyons pas dupes ! Par sa malice constante, par la séduction qu’il exerce sur l’auditeur ou le spectateur (je pense en particulier aux entretiens télévisés de Bertrand Tavernier [14]), il retourne le gant et fait un pied de nez à ceux qui veulent le cantonner dans l’image du grand poète dont il faut déterrer l’œuvre avant même que le poète ne soit enterré. Il refuse d’être statufié de son vivant et désagrège avant sa mort la statue qu’on veut lui ériger pour le faire rentrer dans le rang des conformismes. « Rira bien qui rira le dernier » !

Ainsi, l’œuvre radiophonique s’inscrit dans la continuité qui s’exerce entre poésie, critique et romans. L’activité radiophonique me semble un prolongement de l’œuvre dans ses fulgurances et dans ses piétinements, dans ses trouvailles libertaires et dans ses redites obsessionnelles. D’une part, une forme d’enkystement du souvenir, de retour sur des moments clés qui alourdissent la mémoire ; d’autre part une liberté absolue, une inventivité inséparable de la spontanéité, une évasion perpétuelle du statut qu’autrui voudrait lui assigner. La tentation du silence qui hante l’œuvre et qui aurait pu faire taire sa voix s’est finalement transmuée en auto-ironie. Son passage à la radio épouse son passage dans la littérature : celui d’un créateur qui peine à effacer la trace qu’il laisse. Et c’est un plaisir de pouvoir apporter une contestation aux propos de Soupault dans Mémoires de l’oubli : « Mais la radio ne laisse pas de traces. C’est la voix des fantômes. Autant en emportent les ondes… [15] » Eh bien ! si, Philippe Soupault, la radio laisse des traces !

Notes

[1] Chansons, Lausanne, Eynard, 1949, p. 200.

[2] Bernard Morlino, Qui êtes-vous Philippe Soupault ?, Paris, La Manufacture, 1987, p. 205.

[3] Béatrice Mousli, Philippe Soupault, Paris, Flammarion, « Grandes biographies », 2010, p. 301.

[4] Poèmes et Poésies, Paris, Grasset, « Les Cahiers rouges », 1987, p. 145. Poème publié en revue dans Fontaine en 1943.

[5] V. par exemple deux émissions de la même époque saluant la parution du recueil Chansons chez Eynard en 1949 : « Le goût des livres » d’Étienne Lalou (sans l’auteur) et « Qui êtes-vous Philippe Soupault » d’André Gillois (3 décembre 1950). « Philippe Soupault est-il passé du Surréalisme aux chansonnettes ? » demande Lalou de façon quelque peu ironique après sa présentation du recueil. « Philippe Soupault, signeriez-vous encore aujourd’hui le Manifeste du Surréalisme ? » demande de son côté André Gillois.

[6] « Westwego » (1922), Poèmes et Poésies, Paris, Grasset, 1987, « Les Cahiers rouges », p. 33.

[7] « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n°2, mars 1997, p. 194.

[8] Chansons, op. cit., p. 20.

[9] Essai sur la poésie, Lausanne, Eynard, 1950, rééd. in Poèmes retrouvés, Paris, Lachenal & Ritter, 1982, p. 117.

[10] Laurent Flieder, « Chansons, poèmes, poésies, le “comme si” et le “pas tout à fait” », in Présence de Philippe Soupault, Myriam Boucharenc et Claude Leroy (dir.), Caen, Presses Universitaires de Caen, 1999, p. 64.

[11] « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », op. cit., p. 195.

[12] Mémoires de l’oubli, 1914-1923, Paris, Lachenal & Ritter, 1981 ; Mémoires de l’oubli, 1923-1926, Paris, Lachenal & Ritter, 1986 ; Mémoires de l’oubli, 1897-1927, Paris, Lachenal & Ritter, 1986.

[13] Aragon, « L’Homme coupé en deux, un commentaire d’Aragon en marge des Champs magnétiques », Les Lettres françaises, 9-14 mai 1968.

[14] Entretiens avec Philippe Soupault, interrogé par Jean Aurenche, trois cassettes vidéo de Bertrand Tavernier, « Témoins », 1984.

[15] Mémoires de l’oubli, I, op. cit. , p 212.

Auteur

Sylvie Cassayre a été professeur de Lettres classiques dans le secondaire et en classes préparatoires littéraires à Annecy. Son activité de recherche se poursuit dans le cadre de l’Université de Savoie, au sein d’un laboratoire issu des Centres de Recherche sur l’Imaginaire, fondés par Gilbert Durand. Elle est l’auteur d’une thèse parue chez Minard en 1997 : Poétique de l’espace et Imaginaire dans l’oeuvre de Philippe Soupault.

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Radiogénie de Philippe Soupault

Résumé

Comme beaucoup d’écrivains de sa génération, Philippe Soupault s’est passionné pour le cinéma, le journalisme et enfin la radio. Elle est pour lui l’occasion de dire et de diffuser la poésie. Cet article montre que la voix radiophonique du poète est travaillée par les mêmes exigences que celles de sa poésie : simplicité, naturel, art des images et du rythme.


As many writers of his generation, Philippe Soupault was passionate about the cinema, the journalism et finally the radio. He considers the radio as an opportunity to say and broadcast the poetry. This article shows the radio voice of the poet is worked by the same requirements as those of his poetry: simplicity, nature, art of the images and sense or rhythm.


Texte intégral

Cocteau souhaitait que la « grande femme de silence au collier d’ondes [1] » devienne « une muse de plus. Une muse tout court [2] », Jean Tardieu était fasciné par les « voix sans personne » et Cendrars par les « mille oreilles » qui écoutent en même temps [3]. Soupault, pour sa part, aurait pu lancer la formule « Radio = poésie », car seule la poésie, croyait-il, peut donner à la radio « le pouvoir d’exprimer la vie [4] ». Il n’était pas le seul à le penser : la poésie est reine dans les années trente, où on l’entend et on la voit « partout », « non seulement dans les mots, mais aussi dans les bruits, les êtres, les habits, les objets, les rues, les vitrines des magasins, les fleuves », se souvient Jean Chouquet [5]. La radio, quant à elle, martèle Soupault, est l’« une des grandes apparitions de ce siècle » : « sa rapidité de transmission » est proprement merveilleuse, elle « fait faire des bonds prodigieux à la culture », elle rapproche les hommes les uns des autres et met « les foules en contact avec le créateur [6]. » On aura reconnu dans ce rêve de diffusion à grande échelle l’un des grands lieux communs de la modernité.

L’activité radiophonique de Soupault n’a rien, non plus, d’original en soi. Elle s’inscrit dans un parcours semblable à celui de nombreux écrivains entrés en littérature peu avant ou peu après la grande guerre qui, comme lui, se sont passionnés pour le cinéma – voire la publicité –, ont été tentés par le roman puis par le reportage, avant de se tourner vers l’activité radiophonique : on songe à Cendrars, bien sûr, mais aussi, avec quelques variantes, à André Beucler, à Pierre Mac Orlan ou à Léon-Paul Fargue. La singularité de Soupault tiendrait davantage dans le fait d’avoir combiné cette trajectoire, caractéristique des « modernes », avec celle, avant-gardiste, des dadaïstes et des surréalistes, plus défiants à l’égard de l’invention technique.

Original, Soupault le serait donc plutôt d’avoir investi avec une même ferveur deux « postures » qui, sur la scène littéraire et artistique de l’Entre-deux-guerres, ont coexisté sans nécessairement se rencontrer : l’une contestataire et révolutionnaire, armée d’une volonté de table rase et de destruction du passé, l’autre, moins radicale, mais plus sensible à la découverte et à l’exploration des « mondes nouveaux ». C’est comme tel, comme un « nouveau monde dont nous soupçonnons à peine l’existence, mais dont nous subissons à chaque seconde de notre vie la puissante influence », que Soupault envisage « le monde des sons »

1. La voix de Soupault

Certains qui n’écoutent pas plus loin que le bout de leur oreille, ne voudrons pas comprendre que le monde sonore est encore à découvrir. Ils se contentent (et pas toujours) de la musique. Mais il faudrait leur répondre que la musique est une petite région, même pas un département, un canton du pays des sons [7].

Ainsi s’exprimait Soupault en 1946, l’année même de la transition entre le Studio d’Essai et le Club d’Essai, dans un article des Lettres françaises où il rend hommage aux chercheurs qui travaillent dans le Radio-Laboratoire de la Radiodiffusion française (RDF). Les découvertes de ces explorateurs des ondes, qu’il nomme des « scaphandriers », ne bénéficient pas, déplore-t-il, de la publicité qu’elles méritent. Soupault est dans l’un de ses rôles préférés, celui de qui s’emploie à faire reconnaître les artistes ou les univers injustement méconnus.

Suit, sur la même page, signé du sociologue Roger Veillé, le récit de quelques-unes des expériences menées par ce dernier avec le réalisateur Albert Riéra dans le cadre de l’émission Radio-Laboratoire qu’ils animèrent ensemble sur le Poste parisien de janvier 1945 à la mi-mars 1946. Avec la collaboration du public, ils ont pu conduire diverses investigations sur le « mouvement » ou sur la « lumière des sons ». Cette dernière tend à démontrer que la radio disposerait de « trois gammes d’éclairage sonore » : les sons graves, assourdis, qui évoquent l’obscurité, les sons aigus la lumière, tandis que la voix « normale » suggère la demi-obscurité. La voix chaude, grave remontant parfois vers l’aigu, légèrement voilée de Philippe Soupault, serait donc plutôt une voix de nuit, traversée de crépuscules et d’aurores, en accord avec « la couleur d’insomnie » et le « ton du nocturne [8] »qui de Westwego aux Dernières Nuits de Paris, baigne son univers poétique.

S’interrogeant également sur les « caractérisations de la voix », les deux animateurs demandent aux auditeurs de dire quels traits physiques et moraux évoquent pour eux la voix anonyme dont on leur fait entendre un échantillon. Les résultats sont surprenants. Chez 80% des correspondants, on voit « un trait physique s’imposer. Tantôt la corpulence : il y a des voix maigres ; tantôt la taille : des voix petites ; tantôt l’âge. « Il semble que l’individualité physique évoquée par la voix se définisse avant tout par un seul trait précis : la blondeur, chez l’un, la vieillesse chez l’autre. La caractérisation morale paraît aussi sommaire et nette, c’est tantôt la brutalité, tantôt la distinction, la vulgarité, etc. qui dominent [9]. » Ces recherches ne sauraient manquer de retenir l’attention de qui s’intéresse à cette sœur cadette de la photogénie, qu’est la « radiogénie », ce « charisme des ondes », pourrait-on dire, qui fait d’une voix passant par le micro vous touchera tandis qu’une autre vous laissera indifférent.

Il me faut avouer ici la déception que m’a d’abord procurée l’écoute intensive, à l’Inathèque, de Philippe Soupault à la radio, principalement dans les entretiens, les portraits et quelques carnets de voyage. Non que ses propos et son style radiophonique manquent d’intérêt – j’y ai beaucoup appris –, mais parce qu’ils ne m’ont procuré aucune réelle surprise, pas de véritable révélation. Comme si l’image et la voix, la parole et l’écriture se faisaient écho, s’inscrivaient dans une parfaite continuité. Trop parfaite, justement. Fallait y voir l’effet d’une sorte d’accommodation, qui au fil du temps m’aurait conduite à fondre en une seule image, les représentations depuis longtemps familières du visage, de la voix – moins connue mais que j’avais déjà entendue – et de l’œuvre de Philippe Soupault ? Qu’aurais-je dès lors à dire de cette voix, que je n’aurais pu dire sans elle ? À moins qu’il ne faille accorder quelque crédit à cette impression d’harmonie – sachant qu’a contrario, je n’ai jamais pu m’habituer à la voix de Cendrars, que je continue de ressentir comme impossible ? Mais comment, en ce cas, faire la part de l’écoute « originale » et de la reconstitution ? D’autant que dans les années 1990, je me souviens que presque toutes les personnes que je sollicitais à propos de Soupault (qui venait de disparaître), se rappelaient immédiatement l’avoir « entendu à la radio ». N’était-ce pas lui, le poète surréaliste de Faites vous-même votre anthologie, et de Nos quatre cent coups ? Sans doute, mais le romancier, le journaliste, et même l’auteur des Champs magnétiques ? Il ne leur disait finalement pas grand-chose : entendu, Philippe Soupault l’a sans doute été bien davantage qu’il n’a été lu. Tel est l’étrange constat qui s’impose.

Constat d’autant plus troublant que nous ne connaîtrons jamais vraiment, malgré quelques précieux témoignages, ce portrait sonore de l’auteur des Chansons. Car si les paroles radiophoniques ne s’envolent pas, comme les écrits restent, elles n’en passent pas moins, comme passent les couleurs ou les parfums. Telles des « conserves sonores », selon une judicieuse formule de Cocteau, elles sont dotées d’une date de péremption, au-delà de laquelle elles perdent une partie de leur saveur d’origine. Le portrait radiophonique de Philippe Soupault serait-il à jamais celui d’un fantôme ?

Qu’à cela ne tienne ! Faisons-lui jouer un instant le rôle du revenant. Pour le faire revenir, j’ai choisi de mettre en œuvre le test de « caractérisations de la voix » de Radio-Laboratoire, auprès d’un groupe d’une quarantaine d’étudiants de Master 2. Ayant sélectionné des extraits de l’émission de Louis Mollion « Les rêves perdus de Philippe Soupault [10] », en faisant en sorte que le contenu soit le moins révélateur possible du caractère de la personne et de son identité, je les ai soumis à leur écoute. Une écoute innocente donc, littéralement en aveugle, c’est-à-dire à la manière de quelqu’un que sa cécité oblige à considère les sons à part entière et non comme de simples « trouble-vue [11] ». Toutes les réponses, sans exception, ont cru reconnaître la voix d’un homme âgé : « vieux » ou « plutôt vieux ». S’agissant des qualités morales, le calme vient en première position, suivi de la douceur, puis de la cordialité. L’image d’un homme paisible, affable et sympathique s’impose très majoritairement. Physiquement, on l’imagine petit, trapu, voire « replet », avec un visage « plutôt carré » mais néanmoins élégant ! Quelqu’un plaque sur sa voix le physique de Niels Arestrup, quelqu’un d’autre le visage d’André Dussolier. Un portrait paradoxal donc, d’où se dégage une impression de force et de délicatesse, de présence tranquille et d’affabilité. Ainsi se trouve confirmé le fait que l’image acoustique tend à ramener à quelques traits la représentation des personnes, à les « antonomaser », si l’on peut dire, en leur faisant incarner des essences. Elle est sans nuances, certes, mais non sans pertinence.

Ce petit sondage a été conduit, il faut en convenir, sans grands égards pour les règles du genre qui aurait voulu que l’échantillonnage des auditeurs soit beaucoup plus important et plus varié en âges, et bien sûr, que les morceaux choisis proviennent de différents types d’émissions, d’époques diverses. Tentons néanmoins de rebondir à partir de ces résultats.

2. Simplicité

La question de l’âge, tout d’abord, demande à être interprétée. Soupault a 58 ans au moment de l’émission, ce qui dans les représentations de jeunes auditeurs peut aisément passer pour « vieux ». Il faut également tenir compte du fait que l’enregistrement remontant à 1955 – la modulation de fréquence commence tout juste à s’imposer face à la modulation d’amplitude –, la perception de l’âge de la personne tend à se confondre avec celle de l’émission elle-même, dont les normes, très policées, tranchent avec les habitudes radiophoniques actuelles. Les liaisons appuyées – dont Soupault n’est pas avare (« qu’il ait été », « serait absolument ») – qui tendent aujourd’hui à disparaître ; l’emploi du passé simple (« Nous fréquentions beaucoup le cinéma »), un certains lexique qui, sans être soutenu à l’époque, apparaît quelque peu comme tel de nos jours (les « jeunes gens », « remarquable », « prodigieux » – un mot qu’il affectionne), une légère tendance à ouvrir les voyelles (« Reverdy », « adoration », « cauchemars ») suffiraient à communiquer cette impression d’ancienneté qui émane du décalage historique. Ce que certains étudiants ont perçu, au demeurant, lorsqu’ils disent se représenter quelqu’un de « désuet ».

Mais qu’en aurait-il été si on leur avait fait écouter le « Magazine des arts », animé par Jean Wahl, consacré à l’exposition William Blake de 1947 [12], artiste auquel Soupault a consacré en 1928 un essai et dont il a traduit avec son épouse Marie-Louise les Chants d’innocence et d’expérience [13] ? Sans doute, auraient-ils aussitôt compris combien « jeune » est, relativement du moins, l’élocution de Philippe Soupault lorsqu’on la compare à la voix compassée de Jean Wahl, ou à celle, caricaturale, de René Drouin, l’organisateur de l’exposition, qui ponctue chacune de ses phrases d’un « n’est-ce-pas ? » proféré d’une voix nasale, pontifiant sur les « aquârelles » de l’artiste, tandis que le plus sympathique Bachelard fait songer à un « paysan de Paris », lorsqu’il évoque, en roulant les « r », les « mythes de la création chez Blake ». « – Est-ce que Philippe Soupault aurait un petit mot à dire… », s’enquiert l’animateur. « – Rien du tout, rien du tout… c’est abominable… », répond Soupault que l’on pourrait être tenté de croire atteint de quelque excès de timide, si son expérience de la radio (il a déjà dirigé à cette époque Radio Tunis) ne donnait plutôt à penser qu’il se refuse à jouer le jeu de cet entretien hautement culturel, pour ne pas dire passablement snob. « – Rien à dire sur le mal ? », insiste Jean Wahl. Réponse de Soupault : « – C’est parce que je le connais ». Et son interlocuteur de revenir à la charge : « – Je vois que Philippe Soupault sourit, probablement va-t-il revenir sur sa décision… ». « – Blake, dit-il, est avant tout un graveur » et « un poète », et Drouin qui ne souffre visiblement pas l’ancien dadaïste, de pinailler : « – Qu’il ait gravé beaucoup, oui… » Soupault l’emporte finalement en une formule, qui a l’art de détendre l’atmosphère en suscitant quelques rires : « – Le surréalisme est éternel. »

Cet intermède pour dire que la manière radiophonique de Soupault est résolument hostile au style « émission culturelle entre lettrés », d’une simplicité sans surenchère, dépourvue de toute hystérisation. Une voix profonde qui monte du corps, bien posée, théâtrale mais sans théâtralité, sans emphase. Une voix naturelle, sans pour autant être « nature », qui ne fait pas chanter la Provence, comme celle de Giono, ni entendre la Champagne-Bourgogne de Colette ou de Gaston Bachelard. Une voix pour tout dire classique – de qui a fait ses classes –, mais de qui a aussi hérité de son milieu, celui de la grande bourgeoisie, une pureté syntaxique et un niveau de langue que Soupault, quoi qu’il en ait, ne semble pas avoir songé à contester. Une voix cultivée mais qui se refuse à connoter la culture. Soupault n’a pas le goût du mot rare pour le mot rare. Il parle une langue sobre, dépourvue de luxuriance, sans exotisme, qui laisse toute sa place à la force de l’image qui surgit à l’improviste, mine de rien, sans aucun effet de manche. Elle n’en est que plus frappante et plus juste : « je suis une fleur de macadam [14] » (pour exprimer son amour de la ville) ; Apollinaire avait un « sourire de soleil » ; le désert est une « mer dorée [15] » ; la poésie « une “vie exhaustive” [16] »… Ne seraient ces pépites distillées sans excès, que l’on pourrait presque conclure à une certaine monotonie de ce discours quelque peu hypnotique, qui berce l’auditeur mais sans l’endormir.

Car Soupault a le sens du rythme. « Je suis moins sensible à la beauté sonore qu’à la puissance rythmique » confie-t-il au micro des « rêves perdus [17] ». « Dada a eu cette vertu,/ merveilleuse / de supprimer tout/ et de dire zéro,/ zéro,/ nous ne croyons à rien,/ nous refusons le monde [18] » – voici, parmi tant d’autres, l’une de ces phrases toutes simples qui exercent cependant une grande force de séduction par sa cadence, son accentuation, sa construction binaire. L’éloquence, chez Soupault, sait rester discrète, préférant s’exercer sur le mode mineur qui lui était cher. Il aime aussi à ponctuer ses propos de rappels à l’ordre de la conversation : « voyez-vous », « figurez-vous », « vous savez », « je dois dire », « toujours est-il », « m’enfin tout de même »… sont quelques-unes de ces expressions, quasiment phatiques, qui maintiennent le contact avec l’interlocuteur et à travers lui, avec l’auditeur. Luc Bérimont cite-t-il Novalis – « La philosophie c’est l’hôpital de la poésie » – Soupault est enchanté : « C’est un beau mot que je ne connaissais pas ; c’est un mot merveilleux [19]. » Il vit la conversation, il est là, présent à sa parole.

3. Lenteur

Mais revenons à notre portrait en aveugle de Philippe Soupault. L’homme massif, rond ou carré, imaginé à l’audition par les étudiants, est en assez large désaccord, nonobstant la distinction qui lui est prêtée, avec « l’allure racée de grand lévrier » et le « visage aigu qui coupe le vent » que nous décrit Henri-Jacques Dupuy [20]. Si la gentillesse et l’urbanité du poète sont avérées par ceux qui l’ont connu, il faut néanmoins lui adjoindre, si l’on en croit Jean Chouquet, Soupault « l’ironique », « le moqueur, le persifleur, le cruel, le sadique, le diabolique [21] »… « doux comme un tigre », confie-t-il dans l’une de ses chansons [22]. Quant au flegme qui émane de sa voix, il est en totale contradiction avec l’homme qui passe en coup de vent, toujours sur le départ, donnant l’impression d’être perpétuellement en fuite qu’a volontiers laissée Philippe Soupault à ceux qui l’ont connu et que Jean Chouquet résume ainsi sur le ton de l’humour : « Bonjour… bonsoir… Et hop ! … je suis passé… Je suis pressé. Je fous le camp ! À demain… à bientôt… Au revoir… Adieu… Oubliez-moi [23] ! » Ne croirait-on pas reconnaître le Julien de En Joue [24]?

Une telle discordance peut assurément provenir du caractère trompeur de la voix, pour autant que l’on considère – à tort – celle-ci comme un reflet de l’image visuelle ou de l’image interne qu’une personne peut avoir d’elle-même. On sait le choc que Gide, par exemple, éprouva à l’audition de sa propre voix : elle n’était pas la sienne, il ne s’y reconnaissait pas. Dans le cas de Soupault, son objective lenteur d’élocution serait à mettre au compte de sa capacité d’adaptation au media. Il semble, en effet, qu’une certaine nervosité d’être disparaisse, chez lui, dans la situation radiophonique. Comme si celle-ci ouvrait une parenthèse dans le rythme de l’existence, et que, en le mettant face à autre chose que lui-même, face à la langue et face au public, son rapport au temps s’en trouvait changé. « Comme tout grand homme de radio, il sait respecter les silences entre les mots », se souvient Jean Chouquet [25]. Ces silences, il les fait pour ainsi dire parler, en les faisant entendre. De cette voix au ralenti, on serait tenté de dire ce que Soupault lui-même dit de celle de la Greta Garbo de l’époque du muet, lorsqu’il la qualifie de « voix silencieuse [26] ». Cet art du silence qui caractérise sa parole radiophonique est loin d’être partagée par tous les écrivains : que l’on songe, là encore, à la voix brouillonne de Cendrars qui démarre « en trombe égrenant les phrases à toute vitesse, sans égard pour les syllabes jugées secondaires, superflues [27] », qui coupe volontiers la parole à ses interlocuteurs. Le phrasé de Soupault est toujours clair, net : les mots se détachent les uns des autres comme les perles d’un collier. Et en se détachant, ils prennent consistance, revêtent un éclat singulier. Ce plaisir, perceptible à l’écoute, des mots en bouche, exprime mieux que tout discours une intimité physique avec la poésie.

Le tempo lent laisse également aux auditeurs le temps de se représenter l’image des choses. Un pouvoir évocatoire qui tient au fait que la voix de Soupault n’est pas narcissique, elle sait se faire oublier, ne s’interpose pas entre l’émetteur et son discours, comme si elle s’effaçait au profit de ce qu’elle suscite. Aucune recherche, aucun maniérisme, mais le rythme de qui « pèse ses mots » et pèse sur eux de tout le poids d’une parole habitée, vécue, qui se pense dans le temps même où elle se dit. On en subit le charme sans se l’expliquer. Mais quoi de plus fragile qu’un charme ?

4. Extinction de voix

Il suffit que Soupault se mette à « réciter » pour que sa voix cesse d’être vivante. Rien ne le dessert plus que quand il lit un texte écrit pour une émission – ainsi que cela est souvent le cas lorsqu’il se trouve, non dans la position de l’écrivain avec lequel on s’entretient, mais dans le rôle professionnel du présentateur d’une émission, comme par exemple « Tels qu’en eux-mêmes », dont il est également le producteur, avec Philippe Fayet [28]. C’est à peine si l’on reconnaît sa voix, tant elle semble emprisonnée. Elle se fait alors impersonnelle, « éteinte » et « mécanique », pareille à la Georgette des Dernières nuits de Paris qui, lorsqu’elle s’engouffre au petit matin dans une bouche de métro perd toutes ses qualités de « reine du mystère [29] ». Quelle différence entre cette parole « professionnelle », désaffectée, et l’élan qui émane de sa lecture des premières pages des Champs magnétiques (pages dont nous savons à présent qu’il est l’auteur) : une lecture qui impose l’évidence d’un texte que nul autre que lui ne saurait lire avec une telle justesse, en même temps qu’avec une si parfaite économie de moyens. La diction repose entièrement sur le rythme, tantôt syncopé, tantôt ralenti par un impeccable découpage syllabique, qui restitue d’une manière étonnante le souffle même de l’écriture : une lecture qui donne le sentiment que le texte s’écrit au moment même où il est proféré. Nous sommes en juin 1975, lors de l’un des entretiens avec Bernard Delvaille pour France Culture : Soupault a 78 ans. Sa voix paraît plus jeune que, trois ans plus tôt, dans la radioscopie de Jacques Chancel où elle semble plus lasse : le rythme de la phrase est plus uniforme, les propos sont plus lisses, le discours se fige, comme en proie à la lassitude de se redire – cent fois sur le métier « le dernier survivant du surréalisme [30] » aura remis son témoignage… Ce n’est pas tant l’âge qui fait la jeunesse, que le degré d’adhésion à sa propre parole.

La voix de Philippe Soupault est éternellement jeune lorsqu’elle ressemble, en somme, à sa poésie. Et si en sa voix vive il parle comme il écrit, c’est peut-être parce qu’il écrivait comme il parle. Mieux encore, parce qu’il s’écoutait écrire : « Ces chansons, je crois qu’avant de les écrire je les ai entendues au cours de mes rêveries, pendant mes rêveries et mes songes », confie-t-il au micro lors de la première émission de Chansons d’écrivains [31]. Philippe Soupault est en somme radiogénique dans la poésie. Tel pourrait bien être le secret de sa voix « sans rides ».

Notes

[1] Jean Cocteau, « Radio Luxembourg parle au monde » (1938), Jean Cocteau, unique et multiple, Pierre-Marie Héron (éd.), DVD-Rom et livre abécédaire, Montpellier, éditions L’entretemps, 2012, p. 44.

[2] Jean Cocteau, « Radio City » (1938), Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série, n° 8, Cocteau et la radio, Pierre-Marie Héron (dir.), 2010, p. 10-11.

[3] Jean Tardieu, Une voix sans personne, Paris, Gallimard, 1954 ; Cendrars cité par Christine Le Quellec Cottier, « “Au micro, tout doit être dit” », Entretiens avec Blaise Cendrars. Sous le signe du départ, deux CD audio et un livret, RTS-CEBC-éditions Zoé, 2013, p. 8.

[4] Cité par Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie, en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n° 2, 1997, p. 210.

[5] Jean Chouquet, ibid.

[6] Philippe Soupault, « La radio », série Les dix clés du siècle, Chaîne nationale, 28 décembre 1949.

[7] Philippe Soupault, « Découverte du monde sonore », Les Lettres françaises, 12 avril 1946, p. 3.

[8] Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui »,1957, p. 90-91.

[9] Philippe Soupault, « Découverte du monde sonore », op. cit., p. 3.

[10] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », série Le Bureau des rêves perdus, Chaîne parisienne, 27 janvier 1955, 22h15.

[11] V. Philippe Soupault, « Un monde nouveau », Cahier d’études de Radio-Télévision, n° 16, 1957, p. 351-353. Dans cet article, l’auteur rapporte une conversation qu’il a eue avec un aveugle sur les sons et leur perception.

[12] 28 mars 1947, chaîne non déterminée, 13h11.

[13] Philippe Soupault, William Blake, Paris, Rieder, « Maîtres de l’art moderne », 1928 ; William Blake, Chants d’innocence et d’expérience, tr. Marie-Louise et Philippe Soupault (1927), Paris, Charlot, 1947.

[14] Louis Mollion, « Une heure 46, rue de l’université », série Soirées de Paris, 8 janvier 1956.

[15] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », op. cit.

[16] Luc Bérimont, « Nos quatre cent coups : entretiens avec Philippe Soupault », France Inter, 31 mars 1963.

[17] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », op. cit.

[18] « Le mouvement Dada », Archives littéraires : Philippe Soupault, Radio Télévision Française (RTF), 1er janvier 1952 (diffusion 17 avril 1957).

[19] Luc Bérimont, « Nos quatre cent coups », op. cit.

[20] Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, op. cit., p. 81.

[21] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », Cahiers Philippe Soupault, n° 1, 1994, p. 24.

[22] Philippe Soupault, « Et vous », Chansons, Lausanne, Eynard, 1949.

[23] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », op. cit. p. 27.

[24] Philippe Soupault, En joue !, Paris, Grasset, 1925. Le roman commence ainsi : « Julien dort. Que fait-il ? Il ronfle. Que fait-il ? Il rêve et il chasse une mouche. Julien s’éveille. Il bâille, il s’étire, il se dresse sur son séant. Julien se précipite dans sa baignoire, lit le journal et fume. Il a la manie de faire plusieurs choses à la fois. “Je suis vivant”, répond-il à chaque instant et, pour le prouver, il s’agite. Il avale son café au lait en écrivant des lettres et en jouant du piano sur la table. »

[25] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault, op. cit, p. 191.

[26] « Greta Garbo. Extrait d’une émission radiophonique non identifiée », reproduit dans la plaquette-programme « Ciné Soupault du 19 au 25 novembre 1997 », Cinéma L’Épée de bois, n. p.

[27] Voir Jean-Carlo Flückiger, « “Il pleut dans ma gorge” : la voix de Cendrars », BlaiseMédia. Blaise Cendrars et les médias, Birgit Wagner et Claude Leroy (dir.), Ritm, n° 36, Université Paris X, 2006, p. 11-28.

[28] Dans l’émission sur Jules Verne, par exemple, diffusée par France-Culture le 19 juin 1966 à 21 h, on constate en consultant les Cahiers littéraires de l’ORTF (Quatrième année, n° 17, 12-25 juin 1966), que la présentation de l’auteur de Michel Strogoff par Soupault est entièrement rédigée.

[29] Philippe Soupault, Les Dernières Nuits de Paris (1928), rééd. Seghers, 1975, p. 61.

[30] Monique Petillon, « La mort de Philippe Soupault », Le Monde, 13 mars 1990.

[31] Jean Chouquet, « Chansons d’écrivains : Philippe Soupault », Club d’Essai, 30 mars 1952, 13h25-13h45.

Auteur

Myriam Boucharenc est professeur de littérature à l’université Paris Ouest Nanterre, responsable, au sein du Centre des Sciences de la littérature française, de l’équipe « Interférences de la littérature ». Elle a consacré sa thèse de doctorat à Philippe Soupault (L’échec et son double, Champion, 1997) et co-dirigé avec Claude Leroy le colloque de Cerisy pour le centenaire de la naissance de l’auteur (Présence de Philippe Soupault, Presses universitaires de Caen, 1999). Depuis elle travaille sur les rapports entre Presse et littérature au XXe siècle et porte depuis janvier 2015 le projet ANR LittéPub (Littérature publicitaire et publicité littéraire de 1830 à nos jours).

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Viv(r)e la poésie. Poésie et radio selon Soupault

Résumé

Cet article propose de considérer l’activité radiophonique de Philippe Soupault entre 1954 et 1965, au travers des sept séries dédiées à la poésie, sous deux angles complémentaires : la radio doit d’un côté célébrer, défendre et faire circuler la poésie, de l’autre permettre aux pouvoirs subversifs et libérateurs des poèmes – et plus largement de tous textes, paroles, chansons porteurs d’insolite – de se propager le plus largement possible parmi les auditeurs. Par cet usage du médium radiophonique, Philippe Soupault non seulement reste parfaitement fidèle à l’esprit surréaliste, mais encore parvient à introduire ce dernier au cœur de la radio d’État.


This article examines Philippe Soupault’s broadcasting activity from 1954 to 1965, focusing on the seven series he dedicated to poetry and emphasizing their two complementary aims: firstly, the radio should celebrate, defend and promulgate poetry, and secondly it should allow the subversive, liberating powers of poems – and more generally of any text, speech or song conveying something unusual – to be spread as broadly as possible among the audience. Not only such a use of the radio medium by Philippe Soupault remains perfectly in line with the surrealist spirit, but it also manages to bring it into the heart of the state-controlled radio.


Texte intégral

À partir des années cinquante, Philippe Soupault consacra la plus grande part de son activité radiophonique à la diffusion de la poésie, produisant entre 1954 et 1965 pas moins de sept séries exclusivement dédiées à cette dernière : avec Jean Chouquet, il produit d’abord Prenez garde à la poésie (1954-1956), Faites vous-mêmes votre anthologie (1955), puis Poètes à vos luths (1956-1957) ; ce sont ensuite Poésie à quatre voix (1957-1958), en partenariat avec le Canada, la Belgique et la Suisse, Poètes oubliés, amis inconnus (1959-1961), Les Midis de la poésie (1961) et enfin Vive la poésie (1961 à 1965), une émission publique mensuelle coproduite avec les poètes Youri et Jean-Pierre Rosnay. Philippe Soupault fait donc partie des producteurs piliers de l’ère Gilson (1946-1963), marquée par une forte présence des poètes à la radio et par une importante valorisation du genre sur les ondes. Ses émissions se caractérisent par un souci constant de la fantaisie, de l’humour, et par un rejet non moins constant de tout académisme. Prenez garde à la poésie inaugure en effet une nouvelle forme de spectacle poétique, avec des émissions publiques enregistrées en direct auxquelles participent non seulement des poètes, mais aussi des comédiens et des chanteurs (dont un certain nombre de vedettes). Le succès est tel que certains tiennent Soupault pour responsable de la confusion quasi instituée, à la fin des années soixante, entre poésie et chanson [1]. De fait, si l’on en croit Jean Chouquet, ce qui aurait déclenché la carrière de Soupault comme producteur d’émissions poétiques aurait été sa participation, sur une suggestion de Jean Tardieu, à la première émission de Chansons d’écrivains en 1952. Que découvrit-il alors ? Non pas la radio, qu’il connaissait bien déjà depuis les années trente, mais le fait de pouvoir s’adresser à un vaste public pour lui parler de poésie sous couvert de chansons. Et pas seulement de poésie, mais d’expériences poétiques.

Quelle fut donc l’ambition de Soupault à travers ces émissions, qui, comme la presse le souligne de manière unanime, révolutionnent la manière de parler de poésie à la radio ? S’il s’agit de transmettre une « culture poétique », comme le dit par exemple en 1957 un bulletin de l’Union européenne de radiodiffusion [2], de quelle culture s’agit-il ? Quelle image de la poésie cherche à faire passer Soupault ? Que reste-t-il de ses goûts et dégoûts personnels, en particulier de sa culture surréaliste ? D’autre part, on sait que la poésie pour Soupault ne se résume pas à des textes. Elle est « pouvoir de connaissance » (une formule de Ribemont-Dessaignes [3] que Soupault reprend volontiers à son compte), mais aussi moyen de transgression et de libération d’abord éprouvé au fond de soi, ensuite exprimé. Et ce n’est pas un petit défi (ou une moindre provocation ?) que d’utiliser les ondes de la radio d’État comme support à la circulation de cette humeur transgressive qu’est la poésie selon Soupault… L’ambition de Philippe Soupault, producteur d’émissions poétiques, est donc double : la première facette pourrait être nommée, en reprenant le titre d’une de ses séries, « Vive la poésie », car il y a volonté de célébrer, au besoin de défendre la poésie, classique et contemporaine ; la seconde, « Vivre la poésie », car il s’agit de transmettre, au delà de la vulgarisation et de la mise en spectacle d’une culture poétique, l’expérience intime et libératrice du pouvoir poétique.

1. Faire passer la poésie : des émissions décapantes

Prenez garde à la poésie, qui débute en 1954 sur les ondes du Programme national, est en tout point un défi. Comme le rappelle Jean Chouquet dans un précieux témoignage, il s’agissait pour Soupault de rompre avec les habitudes jusque là prises à la radio pour parler de poésie : plus de récitals, de déclamations pompeuses ou de commentaires pédants, mais une émission de variétés mêlant musique, chansons et récitations poétiques par de jeunes comédiens du TNP de Vilar plutôt que de la Comédie Française ; plus seulement les poètes consacrés par la tradition scolaire mais les poètes de la modernité, voire les tout jeunes poètes inconnus et inédits.

Il fallait que nous soyons neufs, drôles, originaux. Il fallait prouver aux auditeurs que la poésie pouvait devenir attrayante, populaire et gaie [4] !

Tel est le mot d’ordre que s’étaient fixé les producteurs, sous l’œil approbateur de Paul Gilson, qui souhaitait alors faire du Programme national une chaîne de culture et de divertissement tout à la fois [5]. Et pour parachever le défi, l’émission était publique, enregistrée au théâtre des Noctambules à Paris : avec ce dispositif, impossible d’ignorer, comme dans d’autres émissions consacrées à la poésie, l’accueil des auditeurs, dont le public réel devait en quelque sorte fournir un échantillon représentatif. Dès la première émission, le succès fut immense, à tel point que les producteurs durent changer de salle et enregistrer au théâtre Gramont qui pouvait accueillir jusqu’à cinq-cents spectateurs. Là, ils durent encore refuser du monde, nous dit-on, tandis que la radio reçut jusqu’à six-cents lettres par mois [6].

Quelle était donc la recette d’un pareil et si inattendu succès ? L’humour bien sûr, servi par le jeune duo encore peu célèbre que formait déjà Jean Poiret et Michel Serrault (ils se produisaient dans les cabarets rive gauche au début des années cinquante et plusieurs de leurs sketches furent intégrés aux émissions [7]) ; les chansons populaires, qui plaçaient le public en terrain connu ; et enfin, appât non négligeable, la présence de vedettes comme Charles Trenet (particulièrement ovationné), Maurice Chevalier, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Agnès Capri, les Frères Jacques, les Quatre Barbus, Georges Brassens… Cette formule « émission de variétés » adoptée avec Prenez garde à la poésie fut reprise à peu de choses près dans Poètes à vos luths ! (où l’on retrouvait Poiret et Serrault) – mais l’émission était cette fois enregistrée en studio – ainsi que dans Vive la poésie.

À côté de ces émissions de variétés, Soupault recourt également à la causerie littéraire : une causerie écrite d’un bout à l’autre et jouée par un couple de comédiens, Marie Daëms et François Périer dans Faites vous-mêmes votre anthologie, Évelyne Gabrielli et Jean-Claude Michel (la voix de Clint Eastwood !) dans Poésie à quatre voix. Le ton est plus sérieux que dans les émissions de variétés, mais rendu vivant par les chamailleries amicales entre les deux présentateurs. Il s’agit le plus souvent de convaincre l’autre d’une idée ou d’un goût poétique : dans l’une des émissions de Faites vous mêmes votre anthologie, Marie Daëms défend ainsi avec une fougue enthousiaste Lautréamont et les derniers vers de Rimbaud ; dans une émission de Poésie à quatre voix, Évelyne Gabrielli défend la poésie des femmes, moins connues et moins éditées que les hommes. Comme les émissions de variétés, ces causeries sont prétexte à lectures de poèmes et diffusions de chansons poétiques.

Un autre élément novateur, commun à toutes les émissions poétiques de Soupault, est la place accordée au public, que ce soit le public in absentia (les auditeurs) ou le public réel dans le cas des émissions publiques (les spectateurs). Les animateurs citent le courrier, font lire des poèmes reçus, interrogent les spectateurs au cours de l’émission, invitent à participer à des enquêtes ou des concours : tout est bon pour créer des liens, voire des interactions entre les producteurs et les auditeurs. Pour Soupault, ainsi qu’il le déclare dans une interview de 1949, cette capacité à toucher le « grand grand public », « à rapprocher le créateur et le public » constitue le grand apport de la radio (partagé avec le cinéma et la télévision) [8]. En tant que producteur, Soupault joue de cette possibilité dans les deux sens : en s’adressant aux auditeurs, il leur transmet une culture poétique, mais aussi s’enquiert de ce qu’ils connaissent, de ce qu’ils aiment, voire de ce qu’ils créent. Avec Faites vous-mêmes votre anthologie par exemple, Soupault veut sonder les goûts poétiques des auditeurs en leur proposant, parmi une liste de cinq-cents poèmes pris dans des anthologies déjà établies, de choisir leurs cinquante poèmes préférés (cinq du XIIIe au XVe siècle, dix du XVIe, huit du XVIIe, sept du XVIIIe, dix pour la première partie du XIXe siècle et dix pour la seconde partie de ce dernier [9]), le but étant à la fois de publier une « Anthologie des auditeurs » et de restituer oralement les résultats de l’enquête dans une nouvelle série d’émissions. Là encore, ce fut un succès considérable puisque la radio recueillit plus de cinq mille réponses, publia Les deux cents plus beaux poèmes de la langue française (ouvrage qui, malgré son prix élevé, fut vendu à plus de 20 000 exemplaires) et reçut un abondant courrier d’auditeurs tout au long des émissions. En 1956, est d’autre part lancé dans le cadre de Prenez garde à la poésie un « tournoi de jeunes poètes » : à chaque émission deux candidats venaient dire deux de leurs poèmes et les auditeurs devaient envoyer leurs notes (sur 20) à la RTF, appelés de la sorte à constituer une nouvelle instance de légitimation poétique. Enfin, Soupault collecte en 1957, en partenariat avec les radios suisse, belge et canadienne, des milliers de comptines (8000 furent recueillies pour la France) ; elles furent ensuite publiées en anthologie chez Seghers en 1961 (Les Comptines de langue française).

Si le mot d’ordre de Lautréamont « la poésie doit être faite par tous, non par un » rallia de nombreux acteurs de la démocratisation de la poésie après la guerre, nul ne le mit plus en œuvre que Soupault dans ses émissions poétiques.

2. Au service des jeunes poètes

La plupart des émissions poétiques de Soupault se présentent également comme un support d’édition et d’exaltation des jeunes poètes. Poiret le rappelle régulièrement dans Prenez garde à la poésie et dans l’émission consacrée aux jeunes poètes, c’est même Soupault en personne qui déclare :

[…] quand Jean Chouquet et moi avons créé cette émission Prenez garde à la poésie, notre grand espoir était d’abord de donner à de jeunes poètes la possibilité de faire entendre leurs œuvres, puis aussi de découvrir de nouveaux poètes [10].

En 1956 est organisé le concours de jeunes poètes inédits, sélectionnés par les producteurs et notés par les auditeurs. On retrouve par ailleurs cette défense des jeunes poètes au cœur de Poètes à vos luths ! où l’on entend par exemple Pierre Louki, qui n’a encore publié aucun livre. Poésie à quatre voix se présente quant à elle dans son générique comme une « émission consacrée à la jeunesse de la poésie de langue française ». De même encore, l’une des émissions de Vive la poésie est consacrée tout entière à la présentation de jeunes poètes (Jacqueline Moir, Edwige Dorfmann, Claire Legat, Geneviève Beckard, André Piétri, Pierre Deslisle, Patrick Mac’Avoy [11]).

Il semble que ce rôle de découvreur de talents poétiques ait particulièrement tenu à cœur à Soupault. Lui, le « découvreur » de Lautréamont (il en garda la fierté toute sa vie), joue ici le rôle de parrain en poésie, celui-là même qu’avait joué pour lui dans sa jeunesse Guillaume Apollinaire.

3. L’ombre de Soupault

D’un côté Soupault revendique une impartialité et une objectivité dans les choix de poèmes diffusés (il affirme donner voix à des poèmes variés, différents de son esthétique personnelle [12] ; dans Prenez garde à la poésie, à partir de 1956, il confie ainsi à Armand Lanoux le soin de présenter aux auditeurs un « herbier poétique », fort éclectique et se voulant par là même représentatif des différentes tendances de la poésie du XXe siècle) ; de l’autre, il est clair que ses émissions sont loin d’offrir une image neutre de la poésie. Elles sont imprégnées de l’idée de poésie selon Soupault, de ses valeurs, et même de son panthéon personnel. Ce discours sous-jacent de Soupault (qui assure une présence fantomatique, pourrait-on dire) éclate comme tel avec humour lorsque par exemple Marie Daëms et François Périer, les présentateurs de Faites vous-mêmes votre anthologie, viennent se plaindre dans Prenez garde à la poésie (émission du 29 janvier 1956) de ce que Chouquet et Soupault leur font dire « n’importe quoi », les obligeant par exemple à transmettre une image négative de Sully Prud’homme (alors qu’eux, ils aiment « Le Vase brisé » ! – poème que Soupault, comme il le dit souvent, estime être l’exemple le plus pur du « mauvais bon goût [13] ») ou bien à ne lire de Baudelaire que les poèmes en vers… De même, les allusions désobligeantes à l’égard de Cocteau (dépeint comme l’Académicien arriviste par excellence[14]), les piques à l’égard des Académiciens en général, les railleries par rapport aux instances de légitimation institutionnelles (l’école, les prix littéraires…) fonctionnent, pour qui connaît Soupault, comme sa signature même.

Dans cette perspective, le personnage de Stéphane Brineville joué par Michel Serrault dans Prenez garde à la poésie et Poètes à vos luths ! est particulièrement intéressant. Il incarne un poète raté et méconnu (jusqu’à ce qu’à la deuxième émission il remporte le « prix Concourt de Prenez garde à la poésie » !). Du point de vue comique, ne cessant d’interrompre Poiret, il figure l’empêcheur de tourner en rond, le parasite. Il est toutefois hautement ambivalent : à la fois ridicule par son outrance, son mauvais goût, son orgueil, sa bêtise ou son snobisme et rendu attachant au fil des émissions par sa naïveté désarmante, son comique involontaire. « Ami de Soupault », comme il le rappelle régulièrement, défenseur de la poésie moderne et contemporaine, favorable à l’extension de la poésie aux domaines de la chanson, du cinéma, du théâtre, partisan d’une présence des poésies francophone et internationale au sein des émissions, il est l’incarnation même de cette figure positive du « raté » si chère à Soupault :

[…] Je crois aux ratés, aux vrais. Les deux poètes que j’admire le plus, Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, furent des ratés intégraux. […] J’aime qu’on me siffle, qu’on me hue, non par masochisme mais parce que je crois qu’il faut être délibérément un raté [15].

Quelle est donc cette image de la poésie, cette culture poétique que cherche à délivrer Soupault au fil de ses émissions ?

4. Leçons de poésie

En rompant avec le ton des émissions de poésie traditionnelles, Soupault cherche avant tout à transmettre une image de la poésie non conventionnelle, non scolaire et non académique. C’est là une volonté récurrente de Soupault : dans ses carnets de voyage radiophoniques, comme par exemple en 1950 dans l’émission Instantanés de Perse, il dit vouloir « donner de la Perse une idée un peu moins conventionnelle que celle que les Français ont habituellement ». Pour la poésie, il s’attaque notamment aux représentations-clichés, ce qui confirme l’idée que le public visé est d’abord celui des non-lecteurs de poésie, ceux qu’il faut convaincre. Par exemple, que la « poésie des fleurs » n’est pas « démodée » mais continue d’être chantée sur tous les tons et de toutes les manières [16] ; que les poètes ne sont pas toujours « tendres, doux, mielleux, à l’eau de rose » mais parfois « féroces », agressifs et violents [17] ; ou encore qu’on peut dire la poésie sur tous les tons, que l’irrévérence vis à vis des classiques peut même être une bonne manière de les faire revivre [18].

Si des leçons se dégagent de ces émissions, c’est donc moins en termes d’auteurs et de nouveau panthéon (même si une préférence pour les poètes modernes et fantaisistes apparaît nettement) qu’en termes d’esprit dans lequel aborder la poésie. On pourrait les résumer de la sorte. Entendre la poésie n’est pas une expérience ennuyeuse (leçon 1) : à chacun de se l’approprier et d’en faire son miel. La poésie est un domaine vivant (leçon 2) : elle s’enracine dans une tradition littéraire et musicale et continue de porter des fruits (aussi bien, selon Soupault, dans le domaine de la poésie écrite que dans le domaine de la chanson). Toutes les émissions démontrent en effet la continuité entre la poésie du passé (la poésie savante aussi bien que la poésie populaire) et la poésie contemporaine ; de même, le débat esthétique entre Poiret et Brineville, lesquels singent une nouvelle querelle des anciens et des modernes, se trouve réduite à néant dans chaque émission : rien ne sert d’opposer les « classiques » et les « modernes » puisque les seconds dépendent des premiers et que « être de son temps » (ce dont se targue Brineville) ne signifie pas faire fi du passé plus ou moins lointain. Enfin, la poésie est toujours là où on ne l’attend pas et n’est pas là où on l’attend (leçon 3) : elle est mouvante, changeante, essentiellement surprenante. D’où le titre en forme d’avertissement de Prenez garde à la poésie, qui sert de formule conclusive, quasiment de morale, à chacune des émissions de la série.

5. L’expérience de la poésie

Jusqu’à quel point Soupault prit-il au sérieux cette entreprise de vulgarisation de la poésie, de transmission d’une culture poétique pour le plus grand nombre ? Dans un entretien de 1958 avec Ribemont-Dessaignes, on est surpris d’entendre Soupault parler avec une certaine distance de ses émissions ainsi que de leur public, vu comme une masse « excitée » par les « choses un peu vulgaires (des chansons, des choses comme ça) » données pour ainsi dire en pâture [19]… En fait, cet enrobage ludique de la poésie vaut non pour lui-même, mais pour son potentiel de révélation : au cœur du spectacle de poésie, le public, qui vient écouter les émissions comme il va à Lourdes en quête d’« irrationnel », dit Soupault, fait fondamentalement l’expérience de la poésie :

PS – […] ils étaient tout à fait excités, enfin… et brusquement Cuny est venu sur la scène et il leur a récité « Vieil océan » de Lautréamont. Eh bien, en trois secondes, il les a retournés ; il y avait un silence merveilleux. J’ai compris tout à coup que ce silence de ces milliers de gens qui étaient dans ce cinéma d’Évreux correspondait à quelque chose de profond, qu’ils avaient senti…

GRD – Oui, là ils découvraient la poésie… Ils la découvraient vraiment…

PS – Voilà. Ils ont senti qu’il y avait quelque chose qui les dépassait, et qu’ils voulaient être dépassés.

La poésie déborde le texte, elle s’empare des auditeurs sans crier gare (« brusquement », « en trois secondes ») et les fait sortir d’eux-mêmes. Elle suscite une forme d’extase, de libération :

Je crois que la poésie est notre seule façon de nous libérer du quotidien. C’est-à-dire que nous avons la sensation très forte que c’est par la poésie que nous pouvons nous échapper, que la poésie est le seul moyen de, peut-être, d’atteindre l’irrationnel [20].

Si un tel degré émotionnel n’est pas toujours atteint, c’est bien du moins cette expérience intime d’une réalité transcendante (non religieuse bien sûr : Soupault parle d’« irrationnel » ou plus fréquemment encore d’« insolite ») que les émissions de poésie cherchent à susciter. Or, pour Soupault, le medium radiophonique favorise le déploiement des pouvoirs de la poésie.

6. Le spectacle vs. la vie

Les émissions poétiques de Soupault ne sont donc pas seulement une exaltation plus ou moins didactique de la poésie (côté « vive la poésie » : poésie écrite, poésie chantée), mais aussi le moyen par lequel l’auditeur fait l’expérience de « quelque chose qui le dépasse » (côté « vivre la poésie » : poésie vécue). Revenons ici à un texte éclairant remarquablement l’enjeu du lien entre radio et poésie selon Soupault. Dans « Vers une poésie du cinéma et de la radio », article paru dans Fontaine en 1941, Soupault dénonce « la grande erreur des spécialistes » consistant à « s’éloigner délibérément de la vie pour des “spectacles” sonores et visuels ». La radio, pourtant plus éloignée par son dispositif de la relation spectaculaire (elle s’adresse à un individu isolé), serait comprise par la plupart comme un moyen d’apporter le spectacle à domicile. Or, pour Soupault, la radio est un « moyen d’expression » à part entière : de même que la photographie et le cinéma captent et transmettent des images, la radio est un moyen de capter et de transmettre les sons. C’est donc pour lui à ces deux niveaux (captation et transmission) que la poésie doit intervenir : elle est « l’interprète entre un moyen d’expression (la radio) et le monde vivant » ; elle est au fond une qualité de la perception (un regard dans le cas de la photographie et du cinéma ; une qualité d’écoute dans le cas de la radio – cette attention au « monde des sons » qu’appelle de ses vœux Soupault dans plusieurs textes ou interviews, et qui pour lui sert d’aliment poétique majeur). L’association d’un moyen d’expression, la radio, avec cette qualité de perception, la poésie, doit conduire non pas, selon Soupault, à des « poèmes radiophoniques » (il les rejette), non pas non plus à une simple représentation de la vie (ce qu’il nomme le « spectacle »), mais à une expression de la vie même.

L’art, et singulièrement la poésie, exigent de nous une attention qui nous accorde des yeux neufs, des oreilles neuves, une sensibilité sans tain. C’est la poésie qui peut nous éveiller d’entre les somnambules de la vie quotidienne et matérielle. Elle nous délivre pendant un temps de la vie de fantôme qui nous est habituelle en nous plaçant plus ou moins brusquement devant les réalités que nous négligions par la nécessité nommée habitude [21].

On reconnaît dans cet extrait la représentation existentielle et psychique de l’homme chère à Soupault (et aux surréalistes) : l’homme passe sa vie dans un état de semi-conscience (image du dormeur, du somnambule), voire de semi-réalité (image du fantôme) – endormissement des sens (yeux, oreilles…) à cause de « l’habitude ». « L’attention » poétique provoque quant à elle une forme d’« éveil », de degré supérieur de conscience ; elle-même est suscitée par ce qui est contraire à l’« habitude » : autrement dit l’insolite. L’insolite qui est dans le monde et qu’il s’agit de percevoir puis d’exprimer, de capter puis de transmettre. L’insolite qui, comme le dit Soupault dans une interview de 1952, est la « grande clef de la poésie [22] ».

Selon cette logique, les émissions poétiques de Soupault cherchent moins à faire le tableau, même vivant, de la poésie, qu’à véhiculer la « culture de l’insolite » (dans et hors de la poésie), à provoquer pour chaque auditeur l’expérience même de l’insolite (par le rire, l’étonnement, l’émerveillement, tout sentiment de dépaysement…) et à susciter ainsi, qui sait, quelque nouvelle vocation artistique. Cela explique qu’aux côtés des poètes et des poèmes, qui valent moins d’ailleurs par leur qualité formelle que par la puissance ou l’incongruité des images et leur force de provocation, il arrive à Soupault, dans Prenez garde à la poésie notamment, de donner la parole à des voyageurs, des explorateurs (comme Alain Gheerbrant et Bertrand Flornoy par exemple, deux spécialistes de l’Amazonie), lesquels traduisent à leur manière une forme d’attention poétique au monde et sont les témoins de ce que Soupault appelle la « poésie vécue ».

Que retenir de ces émissions, dont Soupault, à notre grand étonnement, ne parle quasiment jamais dans ses différentes interviews ? D’abord la grande réussite de la série Prenez garde à la poésie, qui remporte le pari de ne jamais ennuyer. Elle contient de plus en germe toutes les autres séries : humour, mise en dialogue des débats poétiques, valorisation de l’insolite, utilisation des chansons comme vecteurs de poésie… Ensuite, l’accueil et la bienveillance constante de Soupault producteur à l’égard des jeunes poètes. Mais deux questions surgissent sur ce point : dans quelle mesure cette politique éditoriale n’aurait pas en fait été commanditée par la radio, qui crée en novembre 1955 le Bureau de la Poésie, une série dont l’objectif affiché est, selon son producteur André Beucler, de « servir la jeune poésie » et d’« intéresser » les auditeurs ? On s’interroge également, au vu des « jeunes poètes » diffusés au micro, très peu ayant poursuivi une carrière poétique, sur le rôle effectif de la RTF dans la promotion de nouvelles plumes poétiques. On retiendra enfin le regard ambivalent que Soupault porte sur les chansons : d’un côté elles constituent le matériau principal de ses émissions, et Soupault, par le biais des présentateurs, en fait une branche à part entière de la poésie ; de l’autre il les voit comme des « choses vulgaires » destinées à attirer un large public vers la poésie. Considérait-il, comme Luc Bérimont le déclarait en 1961, que la chanson était la « voie de la poésie » ? Plus mitigé que ce dernier, Soupault semble au fond s’être attaché à une distinction de valeur entre la mise en chanson de poèmes (manière plus facile que la récitation – et en ce sens « vulgaire » –  pour faire passer la poésie) et l’écriture originale de chansons poétiques par des auteurs-compositeurs-interprètes considérés quant à eux comme de véritables poètes.

Notes

[1] Alain Spiraux écrit ainsi dans Combat (19 juillet 1958) : « Cette confusion des genres, certains producteurs d’émissions radiophoniques, tel M. Philippe Soupault, en sont largement fautifs. À d’évidentes niaiseries, ils voudraient faire succéder un pathos informe, fruit de leurs cogitations, que nous accepterions peut-être à la lecture, mais pas sur une scène, même chez Agnès Capri. »

[2] Bulletin de l’UER, vol. VIII, n° 43, mai-juin 1957, p. 291-306.

[3] V. la série diffusée sur France III-National en 1958, Les Pouvoirs de la connaissance, au cours de laquelle G. Ribemont-Dessaignes interroge différents poètes.

[4] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n° 2, 1997, p. 213.

[5] V. Hélène Eck, « Radio, culture et démocratie en France : une ambition mort-née (1944-1949) », Vingtième Siècle, n° 30, 1991, p. 55-67 ; et Pierre-Marie Héron (dir.), La Radio d’art et d’essai en France après 1945, Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2006.

[6] Bulletin de l’UER, art. cit.

[7] Voir Geneviève Latour, Le « Cabaret-Théâtre » : 1945-1965, Paris, Agence culturelle de Paris, 1996. Elle cite notamment p. 110 un sketch des deux comiques que l’on retrouve dans l’émission de Prenez garde à la poésie du 17 avril 1955.

[8] Propos prononcés dans l’émission consacrée à « la radio » dans la série Les Dix Clefs du siècle, enr. le 28 décembre 1949.

[9] Le référendum fut annoncé dans un long article de Roger Richard pour Télérama (n°289, semaine du 31 juillet 1955).

[10] « Prenez garde à la poésie des jeunes poètes », 25 novembre 1955.

[11] D’après le catalogue de la BnF, aucun de ces poètes ne semble avoir publié de livres au-delà de 1960… ce qui tend à minimiser le pouvoir de la radio comme instance de légitimation sur le long terme…

[12] Dans l’émission « Prenez garde à la poésie des jeunes poètes » (novembre 1955), Soupault déclare, avant de faire lire un poème d’auditeur : « Je ne connais pas l’auteur, et je vous avoue même que la forme, la prosodie de ces poèmes est absolument opposée à celle que j’ai essayé d’imposer en écrivant mes propres poèmes. Je suis donc parfaitement impartial. »

[13] C’est l’expression qu’il emploie, interrogé par André Frédérique, dans l’émission de Poètes à vos luths ! du 30 octobre 1956.

[14] Voir « Prenez garde à la poésie de l’aventure » du 20 février 1955 ou encore l’émission du 16 octobre 1955 (« Tour du monde de la poésie ») où Brineville accuse Poiret d’être « hypernationaliste, et même davantage, chauvin, cocardier, Académie Française, très chanteclair, très “Cocteaurico” ».

[15] Philippe Soupault, « Entretien en guise de préface » avec Raphaël Cluzel dans Sans Phrases, Paris, Osmose, 1953. Il reprend également cette idée dans les entretiens télévisés avec Jean Aurenche et Bertrand Tavernier en 1982.

[16] « Prenez garde à la poésie des fleurs », 7 août 1955.

[17] « Prenez garde à la poésie féroce », 20 mars 1955.

[18] Lectures hautement comiques de La Fontaine par Claude Véga dans « Prenez garde à la poésie enfantine » du 23 décembre 1954 et par Pierre Repp dans « Prenez garde à la poésie » du 8 juillet 1956.

[19] Les Pouvoirs de la connaissance, 14 avril 1958.

[20] Ibid. Cette déclaration fait écho à celle de l’entretien avec R. Cluzel dans Sans Phrases, op. cit. : « Je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas connu la poésie, j’ai voué ma vie à la poésie. Je sais que c’est une libération, que grâce à elle je me détache, je m’évade… »

[21] Ph. Soupault, « Vers une poésie du cinéma et de la radio », Fontaine, n°16, 1941, p. 175.

[22] « La poésie, mensonge et insolite : Philippe Soupault », Paris Inter, Rendez-vous à cinq heures, 12 mars 1952.

Auteur

Céline Pardo est agrégée de lettres classiques et spécialiste de la poésie des XXe et XXIe siècles. Elle est l’auteur de La Poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque (PUPS, 2015), ouvrage issu d’une thèse menée à Paris-Sorbonne sous la direction de Michel Murat et soutenue en 2012. Elle a codirigé l’ouvrage collectif Poésie et médias, XX-XXIe siècle (2012). Elle poursuit actuellement ses recherches sur les pratiques d’oralisation des poèmes, selon une perspective à la fois historique et médiopoétique.

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Soupault vaudeville

Résumé

Partant du constat que Soupault, auteur d’un essai sur Labiche, admirait en lui l’auteur de comédies de caractère (le plus grand après Molière…) plus que le vaudevilliste, l’article interroge la référence explicite au vaudeville dans deux pièces radiodiffusées de Soupault, La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». L’examen de la série Le Théâtre où l’on s’amuse produite par Soupault et Chouquet de 1953 à 1956 et des émissions du poète sur Labiche d’une part, du choix du médium radiophonique pour la diffusion de ces deux pièces d’autre part, encadre cette analyse.


 Focusing on the fact that Soupault, author of an essay on Labiche, admired him as the author of character comedies (the greatest after Molière…) more than the writer of vaudeville, the article questions the explicit reference to vaudeville in two radio plays , La Fille qui faisait des miracles [The Girl who performed Miracles], “vaudeville in four acts and a prologue” (1951) and La Maison du Bon repos [The House of Good Rest] (1976), “tragi-vaudeville in five acts and a prologue”. A first part is devoted to a review of the series Le Théâtre où l’on s’amuse [Theatre to have fun] produced by Soupault and Chouquet from 1953 to 1956, and of the poet’s programs on Labiche. The last part comments on the choice of the radio medium for the creation of the two plays.


Texte intégral

Cet article aurait pu s’intituler « Soupault et Labiche », car son point de départ est bien la relation du poète surréaliste au célèbre vaudevilliste du XIXe siècle, qu’il a considéré à partir de 1942 comme le plus grand auteur comique français après Molière. Mais en réalité, si Soupault tenait Labiche en si haute estime c’est moins comme auteur de vaudevilles, genre facile, léger, agréable mais superficiel – et produit phare de l’industrie du théâtre au XIXe siècle ‒ que comme auteur de véritables comédies de caractère, et profond observateur de la société bourgeoise du Second Empire [1]– d’où vient la famille de Soupault [2]. Il y revient souvent dans son essai sur Labiche rédigé en 1942-1943 [3], d’abord publié en 1945 puis, dans un texte refondu et nuancé, en 1964 : « […] Labiche n’était pas seulement un habile vaudevilliste mais un créateur de caractères [4] » ; « Il n’a jamais cédé à la tentation, comme le faisaient les boulevardiers […], de briller aux dépens du caractère de ses personnages [5] ». Le vaudevilliste, écrit Soupault, est un « fabricant de farces [6] » qui ne recule devant aucun artifice, aucune invraisemblance, aucune outrance pour faire rire, tandis que l’auteur comique est un observateur du genre humain qui fait rire en montrant l’homme (le bourgeois dans le cas de Labiche) tel qu’il est, au naturel. L’un est un farceur ; l’autre un auteur sérieux. En bref, Labiche, tout en étant un vaudevilliste de talent, a échappé aux lois du genre en suivant une vocation qui s’inscrit d’ailleurs dans les sous-titres de ses 160 pièces connues : à la vingtaine de vaudevilles composées jusqu’en 1859 succèdent des comédies-vaudevilles (environ 70) et comédies « mêlées de chants » ou « de couplets » (une vingtaine) d’une part, jusqu’en 1861, d’autre part des comédies tout court, « intitulé exclusif de son œuvre à partir de 1870 jusqu’à la fin (1877) [7] ». Tout l’essai de Soupault construit et peut-être même durcit une opposition entre vaudeville et comédie qui nous empêche à notre tour de parler de Labiche comme d’un simple vaudevilliste. Or Soupault de son côté a délibérément choisi le terme de vaudeville pour caractériser deux de ses pièces radiodiffusées après la guerre, plus exactement la première et l’avant-dernière : La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), initialement sous-titré « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue [8] ». Que signifie cet attachement au genre ou au terme du vaudeville, non seulement dans l’élan de l’essai sur Labiche après la guerre, mais encore vingt-cinq ans plus tard ? Nous pointerons d’abord, sans trop insister sur la distinction comédie / vaudeville, l’implication de Soupault homme de radio en faveur d’un « théâtre où l’on s’amuse », avant d’interroger la référence au vaudeville dans les deux pièces citées et pour finir le choix du médium radiophonique.

1. Soupault entre comédies et vaudevilles

1.1. Le théâtre où l’on s’amuse

Le théâtre où l’on s’amuse est le titre d’une série produite par Soupault et Jean Chouquet au milieu des années cinquante durant trois saisons, de novembre 1953 à mai 1956 [9], conservées quasiment au complet par l’Ina (32 émissions sur 34). L’émission est programmée la première année sur la Chaîne parisienne, la chaîne grand public, à raison de deux fois par mois (dans la première quinzaine). Elle est diffusée les deux années suivantes sur la Chaîne nationale, réputée plus sérieuse et culturelle, à un rythme mensuel. Un petit dialogue-préface entre les deux producteurs et un de leurs acteurs indique au début de la première émission l’intérêt et l’ambition de la série : les théâtres ont du mal à trouver des pièces comiques, qui pourtant abondent dans le répertoire ; les deux producteurs se font fort d’en proposer très régulièrement aux auditeurs, françaises ou étrangères, sans négliger les auteurs vivants ; tout ce qu’ils souhaitent, c’est de leur faire passer un bon moment assis chez eux dans leur fauteuil, comme s’ils étaient au théâtre. L’esprit de l’émission est donc simple et les producteurs s’y tiendront, en fuyant aussi le genre sérieux dans les quelques préfaces ajoutées ici et là aux pièces, toutes traitées à la manière d’un petit sketch dialogué, vivant et léger [10].

Dans ce répertoire, les grands noms du vaudeville et du boulevard ont la part belle : Labiche, Feydeau, Courteline, Henry Becque ; Meilhac et Halévy, Tristan Bernard, Marcel Achard, Sacha Guitry, André Roussin et, pour les étrangers, Bernard Shaw. Quelques auteurs comiques célèbres font leur entrée dans la série dès les débuts avec Molière et Gogol, mais les producteurs privilégient le genre farce sur la haute comédie : de Molière ils donnent Georges Dandin, et de Gogol un vaudeville (adapté par Soupault), Le Mariage. De Shakespeare une comédie gaie et une farce, dans des adaptations de Soupault : Comment on dresse une garce (13 mars 1954, d’après La Mégère apprivoisée) et Les jeunes commères de Windsor, farce en cinq actes (1er juin 1955). Même sélection du genre gai quand la deuxième année, passant sur la Chaine nationale, ils puisent dans l’œuvre de Vigny, qu’on n’attendait pas là, et de Musset (Quitte pour la peur et Il ne faut jurer de rien[11]. La dernière émission de la série avant l’été 1956 semble donner le ton de cette entreprise de divertissement : l’hilarant Ubu roi d’Alfred Jarry (5 mai 1956). Mais plutôt qu’une farce ou un vaudeville, c’est une comédie que Soupault choisit pour prendre congé des auditeurs dans l’ultime émission, en septembre : Rendez-vous à Senlis de Jean Anouilh, « pièce rose » mêlant au comique une note d’amertume, comme en réaction à l’arrêt inopiné de la série au seuil d’une nouvelle année, arrêt visiblement imposé aux deux producteurs [12].

Ce balancement final de Jarry à Jean Anouilh indique bien l’éventail des rires proposés dans ce « théâtre où l’on s’amuse », mais redisons quand même l’avantage numérique donné aux pièces de boulevard… à l’exception de Labiche : dans son cas précisément, Soupault s’est attaché à donner la priorité à l’auteur de comédies, avec trois émissions, sur l’auteur de vaudevilles (une émission) [13].

1.2. Le « moment Labiche »

Labiche est, avec Le Misanthrope et l’Auvergnat, le premier auteur dramatique adapté à la radio par Soupault. L’adaptation de cette comédie-vaudeville en un acte passe dans le cadre des Soirées de Paris (Chaîne nationale) en septembre 1953, soit deux mois donc avant le démarrage du Théâtre où l’on s’amuse. Les auditeurs de cette série assez éclectique ne pouvaient guère imaginer la place occupée par Labiche dans le palmarès de Soupault, même si, le soir de Moi (4 décembre 1954), la préface dialoguée plaidait déjà pour une réhabilitation de son génie comique. Quelques années plus tard en revanche, Soupault semble être devenu à la radio française celui qu’on vient chercher et qu’on interviewe dès qu’il est question de Labiche. Entre 1960 et 1964 notamment, il n’arrête pas d’en parler. C’est son grand « moment Labiche ». Le point de départ est une série de douze émissions conçue par lui sous le titre « Situation de Labiche en 1960 » [14] et diffusée tous les vendredis du 25 novembre 1960 au 10 février 1961 dans la très sérieuse Heure de culture française de la Chaîne nationale [15]. La série repasse deux fois telle quelle (sous un titre un peu modifié quand même), toujours dans la collection Heure de culture française, d’abord de novembre 1963 à février 1964, puis de juillet à septembre 1964 [16], soit avant et après la sortie en février 1964 de l’édition revue et augmentée de son essai de 1945 sur Labiche [17], à laquelle la série radiophonique a du reste servi de matrice. Autour de cette série et de ses rediffusions, on a aussi des interviews, des préfaces parlées à des radiodiffusions de pièces de Labiche assurées par d’autres producteurs.

Le côté surprenant de la série est que Soupault… s’y prend au sérieux, lui qui a le sérieux en horreur ! Sous prétexte de parler de l’actualité du théâtre de Labiche, le poète parcourt de façon assez monotone sa vie et son œuvre, en suivant un fil chronologique. L’exercice, qui relève de la causerie pure, sans audition d’extraits de pièces, est aussi appelé entretien, plutôt que conversation par exemple, et même une fois exposé [18], par les speakers chargés des annonces et désannonces, ce qui est révélateur du manque de légèreté et de liberté de ton de Soupault par rapport aux genres de la parole enseignante. De surcroît, sans doute parce qu’il se sait mauvais conférencier, il lit son texte, et plutôt mal (trébuchements, fréquentes déglutitions), ce qui paraît incroyable chez un homme de radio de son expérience, si soucieux par ailleurs d’innover dans ses émissions de variétés (théâtre, poésie). Du ton adopté au choix de la chaîne et du programme accueillant les douze émissions, l’Heure de culture française, tout se passe en réalité comme si le poète avait changé de cible par rapport à la série Le Théâtre où l’on s’amuse : cette fois il ne veut plus distraire le grand public, mais plutôt convaincre le public cultivé de la grandeur méconnue du génie de Labiche, que la Comédie-Française remet de son côté à l’honneur durant ces années. Reste à savoir si cette entreprise de réhabilitation, qui est un de ses chevaux de bataille favoris, devait nécessairement se faire dans le style critique le plus académique, sur la chaîne la plus culturelle et dans une des émissions les plus sérieuses de la chaîne… Pour reprendre une des expressions favorites du poète, il n’a pas voulu « faire le malin », et c’est dommage.

Il existe cependant une version enrichie de la série, diffusée du 3 mars au 19 mai 1963 sur France 4-Haute Fidélité (rebaptisé France Musique en décembre suivant) sous le titre « Théâtre de Labiche » : dans cette version, les causeries de Soupault sont complétées par l’audition de scènes spécialement interprétées pour l’émission. Certes, il y a parfois un rapport assez lâche entre le sujet d’une émission et les scènes de Labiche qui la complètent. Certes, Soupault laisse à la speakerine le soin d’annoncer les extraits des pièces et n’ajoute rien à son texte de 1960 pour les introduire ou mettre en perspective. Mais la série a au moins le mérite de produire une anthologie de textes, dont le choix revient sans doute à Soupault et qui nous renseigne à la fois sur la perception qu’il a de Labiche au début des années soixante et sur celle qu’il voudrait faire passer [19]. Disons en résumé que, conformément à l’orientation des causeries, ce corpus Labiche privilégie les grandes années de l’auteur (les années 1850 et surtout 1860) et ses grands succès, en équilibrant les goûts du public et les siens (concession : La grammaire, best-seller des patronages) [20], mais en restant dans le genre de la comédie ou de la comédie-vaudeville plus que du vaudeville pur, à l’exception du Voyage de M. Perrichon, qui, tout en étant sous-titré comédie, est pour Soupault le vaudeville par excellence de Labiche et même la réalisation exemplaire du genre, « le vaudeville du vaudeville ». La quatrième émission (21 avril 1963) justifie ce choix en parlant de Labiche comme d’un auteur inégal, poussé par le goût du jour à travestir des caractères en personnages de vaudeville (« confusion regrettable ») et en invitant à préférer les pièces où se manifeste l’« observateur attentif » aux « pièces en un acte », aux « farces » et aux « pochades » de l’auteur.

2. Le vaudeville : oui et non

2.1. L’attrait du vaudeville

Il y a quelque chose d’étonnant dans cette insistance de Soupault à vouloir sauver Labiche de ses vaudevilles par ses comédies, et l’amuseur par le peintre cruel de la société bourgeoise de son époque. Parallèlement en effet, lui-même cède à l’attraction du vaudeville, au point de vouloir absolument inscrire le mot en sous-titre de sa première pièce radiodiffusée après la guerre, La Fille qui faisait des miracles. Le mot est présent dès le premier jet de la pièce, en trois actes, commencé à l’université de Pennsylvanie où Soupault est Visiting Professor en 1944-1945 [21]. Peu après, quand il veut revenir au théâtre c’est encore un vaudeville, Le Parasite, inspiré du roman de Dostoïevski Les habitants de Stepanchikov (1859), qu’il va présenter à son vieil ami Marcel Herrand, directeur du Théâtre des Mathurins, lequel l’accueille finalement en 1952 dans Les Lundis de Paris, la série qu’il produit sur Paris Inter [22]. Plus tard, en 1966, Soupault écrit pour la télévision un projet de vaudeville resté inédit, Le plus grand amour, réunissant entre autres un M. Percepied, pharmacien prospère, un M. Chantefort, contrôleur des contributions directes, un M. Tirelaine, « professeur à l’école de pharmacie, pédant » et un M. Tartempoil, « jeune homme invité comme cure dent ». Et l’enveloppe air mail sur lequel il inscrit au verso la première liste des personnages porte aussi le projet de dédicace suivant : « À la mémoire d’Eugène Labiche, son disciple en toute humilité » (ensuit réduit en : « À la mémoire d’Eugène Labiche ») [23]. En 1974, il consacre un texte au Sexe faible, le seul vaudeville de Flaubert, pour saluer son centenaire [24]. Et son avant-dernière pièce, La Maison du bon repos, sous-titrée « comédie » dans le recueil À vous de jouer !, est comme on l’a vu conçue comme un « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». La lettre au réalisateur qui l’accompagne la présente comme « une comédie qui est peut-être une farce » : en réalité, elle accompagnait la première ébauche de la pièce, conservée à l’IMEC, intitulée Risques et périls et carrément sous-titrée « farce radiophonique [25] ».

Il y a au fond chez Soupault, stimulé par sa relecture en prison du Théâtre complet de Labiche dont il devient un fervent « disciple », un goût évident du théâtre gai et divertissant, et toute sa difficulté semble avoir été de conserver une place dans sa propre création théâtrale à cette veine-là du théâtre pour rire, exemplairement incarnée dans le vaudeville ou la farce. Elle heurte en effet une autre de ses préoccupations, prédominante dans une pièce comme Rendez-vous (publiée en 1957, créée à la radio en 1960), qui est de donner à penser, de poser des questions, de faire réfléchir [26]. Mais les inédits de théâtre conservés à l’IMEC témoignent sans ambiguïté en faveur de ce Soupault vaudevilliste et plus généralement humoriste. On y trouve un vaudeville en trois tableaux, Charmant réveillon, écrit dans la pure tradition du genre ; une adaptation, sous le titre Encorneur, d’une comédie de mœurs anglaise en cinq actes de William Wycherley, The Country Wife (1675) [27], inspirée de diverses pièces de Molière ; cinq saynètes de deux ou trois pages tout à fait dans l’esprit loufoque, nonsense et absurde d’un Tardieu, d’un Ionesco ou d’un André Frédérique, à qui deux d’entre elles sont dédiées : Medium, On ne vous a pas tout dit, Comment allez-vous ?, Qu’est-ce qu’il faut entendre, Toujours tout de même et Les bons comptes font les mauvais amis [28].

Il reste que ce corpus est demeuré inédit et que tout ce que Soupault a laissé jouer ou publier obéit aussi et parfois d’abord à son autre pulsion, qui est de faire réfléchir le public, à la manière d’un Pirandello, d’un Synge ou d’un Raymond Roussel dont il reconnaît les influences [29], et d’être par là un auteur sérieux : « Toutes mes pièces », dit-il à Serge Fauchereau, « proposent des interrogations. Je voulais que les spectateurs soient obligés (après avoir écouté mes pièces) de se poser des questions. Le contraire, somme toute, du théâtre pour les digestions d’après-dîner [30]. » La Fille qui faisait des miracles et La Maison du Bon repos représentent, au début et à la fin de sa carrière théâtrale, deux manières de concilier ces deux aspirations classiques à plaire et instruire à la fois.

2.2. Du théâtre poétique au théâtre de questions

La Fille qui faisait des miracles est un drôle de vaudeville [31].

Une jeune fille, Pâquerette, attire à elle divers fantoches intéressés par sa réputation de faire des miracles : un garçon d’hôtel, la dame pipi de l’hôtel, un journaliste, un ecclésiastique, un soi-disant médium, sans parler de son père qui s’accroche à elle comme un parasite. La pièce trouve son dénouement quand Pâquerette, fatiguée d’être prise pour ce qu’elle n’est pas (un médium pour l’un, une guérisseuse pour un autre, une sainte, une vedette, une sœur de charité, une bête curieuse, une pin-up… ou, pour son père, une source de revenus), décide de n’être aucun de ces personnages et de partir avec Julien le chauffeur de taxi, qui seul voit en elle une femme.

On peut identifier dans cette pièce deux ou trois éléments de vaudeville : le recours au procédé du quiproquo, présent dans les jeux de méprise qui s’enchaînent sans répit ; le caractère burlesque des principaux vis-à-vis de Pâquerette ; l’aspiration au calme du personnage principal, qui est selon Pierre Voltz « la caractéristique majeure du “genre Labiche” », dont « [l]es personnages n’ont qu’un souci : rester immobiles, se défendre, faire face [32] ». Mais on ne retrouve pas dans la pièce, sauf dans un épisode mineur (scène des téléphones à la réception de l’hôtel : on ne sait plus où donner de la tête), l’extraordinaire vivacité de rythme elle aussi caractéristique du genre Labiche, avec ces moments d’emballement ou d’affolement [33]. Les dialogues ou sorties des personnages secondaires font sourire, mais presque jamais ceux qui impliquent Pâquerette. Soupault, qui n’aime pas faire de l’esprit, n’exploite pas non plus le comique possible des situations de quiproquo. Il semble même prendre bien soin de repousser au second plan le topos de la fille à marier, pris ici à rebours (le père ne veut pas se séparer de sa fille, qui est son gagne-pain), comme pour mieux le faire surgir à la fin, dans sa fragile fraîcheur, en écho peut-être aux figures insolites, énigmatiques, merveilleuses, de l’amour fou surréaliste (Nadja de Breton), mais aussi au théâtre de son ami Jean Giraudoux (le type de la jeune fille [34]).

Car la véritable ambition de Soupault avec cette pièce n’est pas encore de poser des questions (même si les dialogues avec Pâquerette, trop longs et sérieux, tirent dans ce sens et cassent le rythme), mais de « projeter sur la scène l’atmosphère de la poésie [35] », comme c’était l’ambition de plusieurs poètes surréalistes de ses amis dans les années vingt (Roger Vitrac, Georges Neveux…) ; cette atmosphère de légèreté, de rêve qu’il trouve dans une pièce de Tzara comme Mouchoir de nuages [36] et retrouve dans le théâtre de Giraudoux. Avec Pâquerette, Soupault met en effet au centre de son espèce de vaudeville un personnage auréolé de grâce, là où Labiche construit, avec ses types les plus réussis (Perrichon, Célimare, Chambourcy), des personnages « auréolés de comique [37] ». Ainsi, la marque du vaudeville n’est là que pour souligner et mieux faire émerger, par contraste, la merveille de grâce, de fraîcheur et d’insolite du personnage central.

Dans La Maison du bon repos en revanche, vingt-cinq ans plus tard, la préoccupation d’un théâtre poétique a complètement disparu. La pièce s’inscrit très nettement dans la suite des pièces « à questions » qui la précèdent : Rendez-vous (1960, un acte), d’atmosphère très beckettienne, mise en ondes par l’excellent Alain Trutat (un des plus grands), Alibis (1973) et Le Sixième coup de minuit (1973), deux pièces en un acte d’allure policière. Les trois pièces traitent de l’au-delà, du jugement dernier, des comptes à rendre sur la vie qu’on a menée. La première a encore quelque chose de drôle mais les deux autres plus du tout. Toutes les trois relèvent d’un « théâtre de l’étrange » (pour reprendre le titre de la série sur France Inter qui diffuse Alibis) plus que de ce théâtre de l’absurde « illustré et exalté par Beckett et Ionesco [38] ». Avec La Maison du bon repos, diffusé sur France Culture dans la série Comédie française, Soupault change de formule et tente un mélange de l’étrange et du farcesque pour traiter du problème du génie et de la folie, plus généralement de la personnalité : « Qui sommes-nous ? Que sont nos amis, nos voisins et même nos parents ? »

Deux étudiants fuyant l’orage frappent à la porte d’une maison isolée qui s’avère être, ils l’apprennent à la fin, une maison de fous. En l’absence du vrai médecin, tous les personnages se livrent à leur manie, se prennent pour le personnage de leur rêve, y compris deux des infirmiers qui, après avoir enfermé les deux autres, jouent au médecin. Les deux étudiants sont donc admis « à leurs risques et périls », répète avec une inquiétante insistance l’infirmier sinistre et autoritaire qui leur ouvre la porte, qui se présente à eux comme le médecin de la maison et qui très vite va décréter que l’un d’eux doit être opéré de l’appendicite et l’autre soigné pour alcoolisme. L’atmosphère est à la fois inquiétante et drôle : l’insistance maniaque des faux médecins à opérer les deux étudiants, la panoplie de fantoches (Soupault parle de « caricatures » dans la lettre-préface), les dialogues de sourds absurdes… Si le comique des portes qui claquent, des courses-poursuites et des placards où l’on se cache n’est pas exploité, Soupault fait une place nouvelle au comique de répétition, procédé qu’il jugeait facile dans son essai sur Labiche. Mais le ressort vaudevillesque par excellence reste en ce qui le concerne celui des quiproquos, comme dans La Fille qui faisait des miracles. La Maison du bon repos, le quiproquo des identités lui permet, en jouant sur les deux tableaux du rire et de l’angoisse (c’est un « tragi-vaudeville ») de mettre au centre de la pièce, non plus un personnage, mais une question, qui semble à la fin n’épargner personne, étudiants et vrai médecin compris. On sort de la pièce moins diverti qu’inquiété, songeur [39].

3. Le choix du medium radio : un choix par défaut ?

3.1. Un faible intérêt pour l’écriture sonore

Les deux vaudevilles évoqués sont-ils des pièces radiophoniques ? C’est la question qu’on peut se poser pour terminer.

La réponse est claire pour La Fille qui faisait des miracles : il s’agit en réalité d’une pièce écrite pour le théâtre et non pour la radio, et radiodiffusée faute de pouvoir être montée sur une scène. L’adaptation au medium est doublement négligée : d’une part la dactylographie établie pour la mise en ondes, qui évoque encore à quelques endroits un improbable « rideau de scène », conserve un grand nombre d’indications visuelles impossibles à faire passer au micro. D’autre part la réalisation de 1951, pourtant due à Jean-Wilfrid Garrett, l’inventeur de la stéréophonie, néglige complètement l’espace sonore (plans, bruitages de mouvements et autres bruitages), de sorte que l’auditeur entend une succession de dialogues entre des voix situées presque toujours sur le même plan, sans aucune suggestion d’entrée, de sortie, de mouvement des personnages, ce qui est un comble pour un vaudeville. Par ailleurs deux récitants, dont un appelé « l’auteur » dans la dactylographie, ont la charge de raconter ce que ni l’auteur ni le réalisateur n’ont pris la peine de transformer en didascalies internes ou en éléments sonores compréhensibles à l’oreille.

La pièce a donc emporté l’adhésion [40] malgré ses défaillances évidentes de technique radiophonique. Nous n’avons pu écouter la nouvelle mise en ondes de la pièce par Jacques Reynier en 1977 [41], avec Ludmila Mikaël, appréciée de l’auteur, mais la comparaison des versions de 1951 et de 1977 (celle publiée dans À vous de jouer !) montre tout le travail d’amélioration effectué par Soupault en collaboration avec son réalisateur, notamment dans le sens d’une réduction des dialogues et des didascalies (texte du récitant), ainsi que d’une oralisation des dialogues. La réalisation de 1992 [42], par Anne Lemaître, est quant à elle une merveille de légèreté et d’espace sonore (bruitages judicieux, netteté des sons, mise en espace des voix, qui viennent de devant, de derrière, de droite, de gauche ; un seul récitant).

Il en va différemment dans La Maison du bon repos (1976), pièce d’emblée conçue pour la radio et dans le souci de l’écriture sonore, plus spécialement des bruitages et du jeu des voix. C’est la première fois que Soupault écrit, avec plaisir d’ailleurs, pour le micro et non pour la scène (il était temps !). Mais on est stupéfait de lire, dans la lettre-préface à son premier réalisateur Jacques Reynier, qu’il semble aussi avoir attendu de travailler avec lui (à partir de 1964, pour des émissions de la Comédie-Française) pour découvrir la réalité du travail de metteur en ondes :

Vous m’avez permis d’assister à des séances de mixage. Quel drôle de mot ! Et au cours de ces séances j’ai remarqué que si le texte d’une pièce avait son importance, il était nécessaire d’accorder, comme dans la vie quotidienne, aux bruits et aux sons une présence. J’ai donc en écrivant cette pièce, essayé de donner un rôle à ce que vous appelez le bruitage (reconstitution artificielle, comme l’affirment les dictionnaires, des bruits naturels qui doivent accompagner l’acteur) [43].

Ses efforts pour intégrer les particularités de l’écriture pour l’oreille semblent d’ailleurs avoir été un peu tâtonnants : la première ébauche déjà citée de la pièce, Risques et périls, affecte à chaque personnage un timbre de voix bien différencié, comme Soupault l’avait fait en 1942 dans Tous ensemble au bout du monde, à l’époque où la basse qualité des micros incitait certains dramaturges des ondes à travailler la typologie des voix. La version suivante (titre : La Maison du bon repos, surtitre : « 180 kms à l’heure ») [44] supprime ces indications mais propose encore un récitant, qui disparaît de la version finale. Bref, le métier n’est pas venu d’un coup, et la mise au point de la pièce a certainement bénéficié des conseils de son réalisateur Jacques Reynier, dont Soupault salue à la fois la science et l’érudition.

Reste dès lors la question de savoir pourquoi Soupault a tant tardé à écrire pour la radio, mais aussi pourquoi, s’il était si peu intéressé par les questions d’écriture propres au medium, il a fait jouer ses pièces de théâtre à la radio.

3.2. Posture de raté et désir de succès

Soupault avait l’habitude de dire que ses pièces n’avaient pas eu la chance de trouver leur metteur en scène ou leur théâtre, compte tenu du coût d’une telle entreprise et de la faible espérance de succès commercial qu’il pouvait en attendre. Un texte peut-être inédit de 1959, conservé à l’IMEC, revient longuement sur son goût très précoce du théâtre, ses premiers contacts avec le monde des coulisses, « l’esprit de compromis », voire « les bassesses indispensables » dont doit faire preuve un acteur ou un auteur qui a l’ambition de réussir dans ce domaine, les « échecs ou demi-échecs » d’un Roger Vitrac, d’un Georges Neveux dans les années vingt, abordant comme lui le théâtre en poètes : « Ces échecs ou demi-échecs (provisoires) m’apprenaient malheureusement pour moi ce que j’aurais dû deviner depuis longtemps que le théâtre en France est un commerce plus inquiétant encore que les autres et que pour y réussir il faut accepter toutes les servitudes commerciales [45]. » On pourrait voir dans ces propos une variation sur le thème du poète raté, posture qu’il n’a cessé de revendiquer au long de sa vie et encore dans l’entretien-préface du recueil Sans phrases publié en 1953, à l’époque donc de son retour au théâtre :

J’ai toujours été effrayé par le succès parce que j’en ai mesuré les conséquences. Le succès corrode comme l’acide – ou corrompt. Il y a une association pourriture-succès qu’on est bien obligé de dénoncer. Je crois aux ratés, aux vrais. Les deux poètes que j’admire le plus, Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, furent des ratés intégraux. »

Et il ajoutait : « Je sais que ce n’est pas facile d’être un raté, je sais que le succès est enivrant. […] Mais je hais le succès. […] je crois qu’il faut être délibérément un raté [46]. »

Tout cela est plausible, mais ne peut faire oublier les démarches tentées pour être joué sur scène : Soupault se tourne vers la radio parce que le théâtre ne veut pas de lui, non parce qu’il ne veut pas du théâtre. Il ne veut pas de ses « servitudes commerciales », mais cela ne l’empêche pas d’écrire avant la guerre une pièce pour Jouvet (Pacifique) ni de démarcher après la guerre quelques directeurs de théâtre, dont son ami Marcel Herrand, en s’appuyant sur quelques exemples de réussites inimaginables ou improbables à ses yeux, qui lui donnent espoir dans le contexte neuf de la Libération : celui de Giraudoux dans les années trente, celui d’Anouilh, qui lui paraît miraculeux, ceux plus tard de Beckett et de Ionesco, mérités mais partis sur des malentendus dit-il [47].

Peut-être a-t-on là aussi une raison pour laquelle Soupault a choisi de revenir au théâtre par des pièces comiques, et même d’adopter, pour sa première pièce d’auteur, le titre aguicheur de vaudeville. Tout en dévaluant l’intérêt du genre chez Labiche (comparé à la comédie de caractères où s’exprime son génie), n’aurait-il pas quant à lui misé quand même sur l’attraction de l’étiquette, la réputation de divertissement facile et « grand public » du genre ? Soupault n’a pas, semble-t-il, abandonné après la guerre le désir d’un succès populaire. Toutefois la concession ne vas pas jusqu’à faire de La Fille qui faisait des miracles un pur vaudeville. D’abord sans doute parce qu’il ne peut pas se résoudre à faire des « pièces commerciales », comme il dit ; mais aussi peut-être parce que ce n’est pas si facile, et que tout le monde ne peut pas être Labiche, Achard ou Feydeau. Il en convient dans ses réflexions de 1959 : imiter Marcel Achard, André Roussin, Marcel Aymé, Félicien Marceau, comme on le lui conseille quand il se plaint de son insuccès : « facile à dire [48] ». Ce sera finalement plus facile pour lui de connaître la réussite populaire comme producteur, avec Jean Chouquet, du Théâtre où l’on s’amuse (1953-1956) et surtout de Prenez garde à la poésie (1954-1956).

Conclusion

Interrogé pourquoi il a arrêté d’écrire des poèmes entre Sans phrases (1953) et les poèmes recueillis dans Crépuscules, datés 1960-1971, Soupault renvoie à son activité théâtrale : « Cette activité qu’on connaît mal, sauf heureusement à la radio, devrait, à mon avis, justifier le silence du poète [49]. » Si l’insolite est sa grande préoccupation de poète, alors en effet Soupault poète continue dans ses pièces de théâtre à vouloir sortir ses lecteurs et/ou son public de la routine, du banal, que ce soit avec le personnage insolite de Pâquerette dans sa première pièce, ou avec une question insolite dans l’avant-dernière : ne sommes-nous pas tous fous ?

Dans ce parcours théâtral, Labiche s’impose à lui comme un maître et aussi comme un nouveau double après tant d’autres [50] double, dans lequel il retrouve et projette son aspiration à la simplicité : l’homme est simple, son style est simple, son art, « délibérément simplifié » et de ce fait exemplaire (aisance, naturel, simplicité), « est le plus simple » (ni placards, ni quiproquos, ni naissances cachées, ni coups de théâtre…) ; ses personnages sont « des types très simples » (égoïstes, vaniteux « à l’état pur ») [51]. Soupault aime cette simplicité d’existence, de style, d’univers (un seul type, le bourgeois), la modestie de Labiche que le succès n’a pas corrompue, et son regard cruel sur les bourgeois – qui détestent tant les poètes. Il aime aussi qu’on ait méconnu ce Molière du XIXe siècle et que son rôle soit de le réhabiliter : au fond, c’est un raté comme il les aime, auquel la postérité va rendre justice, en partie par son intermédiaire…

Mais s’il met les comédies de Labiche plus haut que ses vaudevilles, Soupault garde visiblement un faible pour le vaudeville. Il en écrit deux dans la pure tradition de légèreté du genre, le premier pour la scène (Charmant réveillon), le second pour la télévision (Le plus grand amour). Il en donne deux autres à la radio, revus et adaptés cette fois à ses préoccupations de théâtre poétique (La Fille qui faisait des miracles) ou de théâtre métaphysique (La Maison du bon repos). Le vaudeville devient ainsi, de façon surprenante mais explicable, la référence générique de deux de ses pièces les plus longues et les plus réussies, au début et à la fin de sa carrière radiophonique d’après-guerre. Comme pour dire que, si le monde est plein de questions, il y a toujours place pour le rire.

Notes

[1] « J’ai été le premier surpris quand je me suis rendu compte que cet auteur était l’observateur le plus lucide de la classe dominante pendant le Second Empire, un observateur qui ne craignait pas d’être cruel, impitoyable même, comme l’avait été l’auteur du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire. » (Vingt mille et un jours, p. 124).

[2] Soupault, dit-il à Serge Fauchereau, retrouve dans les personnages de Labiche le milieu bourgeois de sa famille (Vingt mille et un jours, Paris, Belfond, 1980, p. 125).

[3] L’essai est commencé en prison à Tunis en 1942 et terminé à la libération de Soupault à l’automne de cette année (ibid.). Sur la « découverte » de Labiche, v. aussi « Philippe Soupault se déclare pour Labiche », Le Monde du 7 mars 1964 (interview par Thérèse de Saint-Phalle).

[4] Philippe Soupault, Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, Paris, Mercure de France, 1964, p. 162. Les caractères à ses yeux les plus marquants, véritablement « auréolés de comique », sont Perrichon, Célimare, Chambourcy. Soupault module cependant le thème « Labiche créateur de types » en notant qu’un Perrichon descend directement de Prudhomme et plus loin de M. Jourdain (p. 171).

[5] Id., p. 125. Et encore : « La lecture de toutes ses pièces autorise […] à écrire que l’étude des caractères n’est jamais sacrifiée à la volonté de faire rire. Beaucoup d’occasions se présentent dans les aventures des individus qui permettraient de les rendre grotesques, plus ridicules encore ; Labiche ne cède pas à la tentation que les vaudevillistes acceptent toujours » (p. 144).

[6] Id., p. 180.

[7] Pierre Voltz, « Le genre Labiche », Europe, n°786, octobre 1994, p. 69. Le point important pour Soupault est que Labiche, tout en excellant dans le rythme de ses pièces, accorde plus d’importance aux situations, et plus encore qu’aux situations, à la peinture de caractères (Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 142).

[8] Manuscrit conservé au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[9] Exception ou prolongation : la diffusion d’une pièce d’Anouilh après l’été 1956, le 29 septembre, qui met un point final à la série.

[10] Préface à la diffusion du Mariage de Gogol le 3 décembre 1953 ; préface à la diffusion de Moi de Labiche le 4 décembre 1954.

[11] Notons aussi l’effort pour faire passer des auteurs très contemporains : une émission « Farces et attrapes » (1er avril 1954), propose aux auditeurs de la première saison d’écouter une salade de sketches, mêlant Ionesco, Prévert et Queneau ou le duo Poiret/Serrault encore à ses débuts, à des amuseurs et revuistes célèbres comme Raymond Souplex, Rip, Max Régnier.

[12] V. la préface de Soupault à l’émission.

[13] Vaudevilles (en un acte), diffusés le 3 décembre 1956 : Un jeune homme pressé (1848), L’affaire de la rue de Lourcines (1857) et La Main leste (1867). Comédies, diffusées les 7 janvier, 6 mai et 4 décembre 1954 : Les 37 sous de M. Montaudouin (1862, un acte), Célimare le bien-aimé (1863), « comédie-vaudeville » en trois actes et Moi (1864, trois actes). Moi est la première « comédie » destinée par Labiche à la Comédie-Française, où elle ne connut qu’un succès d’estime. Soupault avait un faible pour elle.

[14] Soupault continue avec Labiche un type de série critique inauguré avec Musset en 1956-1957, pour le centenaire de sa mort. Cependant le rythme et la durée des émissions ne sont pas les mêmes : la série sur Musset est mensuelle et totalise neuf émissions d’une heure incluant la diffusion d’extraits de pièce, du 26 décembre 1956 au 16 octobre 1957 ; celle sur Labiche est hebdomadaire et totalise douze émissions de dix à quinze minutes, sans diffusion d’extraits de pièce.

[15] Son prétexte semble avoir été la reprise à la Comédie-Française de deux pièces de Labiche. De même en 1964, les rediffusions précèdent et suivent la diffusion de la comédie Moi sur France Inter (12 mars 1964), jouée par les Comédiens-Français dans une mise en ondes de Jacques Reynier.

[16] France Culture, du 17 juillet au 25 septembre 1964.

[17] Ce « moment Labiche » a donc aussi une fonction promotionnelle du livre de Soupault, même assez indirecte et finalement décevante (l’ouvrage s’est mal vendu).

[18] Dans la version renommée « Théâtre de Labiche », émission du 12 mai 1963.

[19] Neuf pièces y figurent (dont deux à deux reprises), ce qui est somme toute très peu rapporté à l’édition du Théâtre complet en dix volumes (Calmann Lévy, 1878-1879) qu’il avait en mains : Un chapeau de paille d‘Italie, comédie en cinq actes, le premier grand succès (1851) ; Les 37 sous de M. Montaudouin, comédie en un acte de 1862, « une des plus aimées du public » selon Soupault ; Le Voyage de Monsieur Perrichon (1860), comédie en quatre actes ; La Poudre aux yeux (1861), comédie en deux actes et La grammaire, comédie-vaudeville en un acte de 1867, les deux pièces préférées des patronages ; La Cagnotte (1863), comédie-vaudeville en cinq actes ; Célimare le bien-aimé (1863), comédie-vaudeville en trois actes ; Le Misanthrope et l’Auvergnat (1852), comédie en un acte mêlée de couplets ; et pour finir L’Affaire de la rue de Lourcines (1857), comédie en un acte. Soupault fait aussi lire dans la deuxième émission des extraits de La Clé des champs le seul roman de Labiche (1839).

[20] Soupault évite Les Trente millions de Gladiator, « mis en scène comme une farce » à la Comédie-Française au début des années 1960, mais s’abstient aussi de donner des extraits de Moi, qui est sa comédie préférée.

[21] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 4.1. Manuscrit de 73 ff.

[22] La pièce est présentée comme une « comédie en trois actes », mais Soupault en parle fréquemment ensuite comme d’un vaudeville. Dans les entretiens avec Serge Fauchereau (Vingt mille et un jours, op. cit., p. 114) et dans À vous de jouer ! (Lyon, Laffont, 1980, p. [13], il rappelle qu’à l’origine le roman de Dostoïevski est lui-même un « vaudeville transformé en roman à cause de la censure tsariste ».

[23] Documents conservés au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 6.14.

[24] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.35.

[25] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 8.4. La dernière pièce diffusée, Étranger dans la nuit, est quant à elle une « tragi-comédie » en un acte (À vous de jouer !, op. cit., p. 155).

[26] Le recueil de 1980 place ainsi en tête la pièce Rendez-vous, écrite et diffusée après La Fille qui faisait des miracles, pour donner le ton.

[27] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.6. Pièce traduite en France sous les titres La Provinciale, ou L’Épouse campagnarde.

[28] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.5. Toujours tout de même est dédié « À la mémoire de Queneau, d’André Frédérique et d’Alphonse Allais », Comment allez-vous ? « à Ken Ritter, à Jean Tardieu, à Eugène Ionesco ». Les saynètes sont rangées dans la même chemise qu’une version de S’il vous plaît, le sketch écrit avec Breton au début des années Vingt.

[29] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 123.

[30] Ibid.

[31] Soupault fait des vaudevilles en trois actes ou plus, au lieu de vaudevilles en un acte comme souvent chez Labiche : c’est le format des grandes comédies. Il y ajoute aussi un prologue, ce qui les rend plus sérieux encore.

[32] Pierre Voltz, art. cit., p. 78.

[33] On ne retrouve pas non dans cette pièce l’observation lucide d’un milieu présente dans les comédies de caractère de Labiche.

[34] Isabelle dans Intermezzo, Ondine dans la pièce du même nom, Geneviève dans Siegfried, Électre dans la tragédie du même nom…  Jacqueline Chénieux-Gendron voit aussi dans Pâquerette un « personnage giralducien qui, telle l’Électre de Giraudoux, laquelle choisit d’épouser le jardinier, choisit, elle, le chauffeur de taxi, Julien, plutôt que de faire fortune grâce à ses dons » (« La voix de Soupault et l’espace du théâtre », in Patiences et silences de Philippe Soupault, textes réunis par Jacqueline Chénieux-Gendron, en collab. avec Myriam Bloedé, Paris, L’Harmattan, 2000 p. 115.

[35] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[36] Id., p. 113.

[37] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 162.

[38] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[39] On peut cependant regretter le caractère assez lourdement didactique que prennent les dialogues après le retour du vrai médecin, quand chaque pensionnaire est interrogé sur sa véritable identité et la décline docilement pour l’édification des étudiants et du public.

[40] V. une lettre d’auditeur conservée à l’IMEC dans le dossier de la pièce (cote SPT 4.1), et le souvenir de Soupault dans ses entretiens avec S. Fauchereau.

[41] La fille qui fait des miracles, Jacques Reynier (réal.), France Culture, décembre 1977. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R19919.

[42] France Culture, mars 1992. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R27843.

[43] À vous de jouer !, op. cit., p. 164. On peut dès lors se demander à qui l’on doit les indications de dramaturgie sonore présentes dans les trois premiers sketches de 1941-1942.

[44] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[45] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… » [1959], Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.37.

[46] Poèmes et poésies, Grasset, 1973, p. 377-378. V. Vingt mille et un jours, op. cit., p. 226 : le raté est celui « qui refuse les concessions. L’ambition de la pureté ». Soupault aime en Labiche l’auteur à succès malgré lui en quelque sorte, du moins qui est resté simple, modeste, humble en dépit du succès.

[47] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… », art. cit.

[48] Ibid.

[49] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 227.

[50] V. Myriam Boucharenc, L’échec et son double : Philippe Soupault romancier, Paris, Champion, 1997.

[51] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 145-146.

Auteur

Pierre-Marie Héron est Professeur de Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) et Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.

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Les carnets de route de Philippe Soupault

Résumé

« Carnet de voyage », « carnet de route » : ainsi Soupault désigne-t-il deux de ses émissions radiophoniques, Instantanés de Perse (1950) et Bagdad 1950 (1951), deux récits qui tentent timidement de mettre en pratique cet art évocatoire dont il rêve en 1952  dans Le Monde des sons. Le présent article donne quelques aperçus de l’évolution entre l’illustration sonore dans le premier et la suggestion sensorielle dans le second. On y étudie leur statut générique, par comparaison avec la causerie radiophonique et le reportage journalistique, les mêmes voyages au Moyen-Orient conduisant plusieurs types de récits selon les supports. De la mise en ondes de ces notations de voyage se dégage peu à peu l’idée que la radio est une façon de poursuivre l’écriture de poésie par d’autres moyens : le motif récurrent des gouttes d’eau fait entendre ce qui était  dans l’œuvre de Soupault depuis Les Champs magnétiques,  une « métaphore obsédante » de la naissance du poème. Les ressources évocatoires du son, supérieures à celles de l’image visuelle, font alors de la radio le medium le plus fidèle de la poésie.


“Carnet de voyage” (travel journal), “carnet de route” (road journal): that is how Soupault categorizes two of his radio broadcasts, Instantanés de Perse [Snapshots from Persia] (1950) and Bagdad 1950 [Baghdad 1950] (1951). These two narratives constitute two modest attempts to put into practice the evocative art he dreamt of in Le Monde des sons (1952) [“The World of Sounds”]. This article describes in part the evolution that occurred from illustration of sound in the former to the sensory suggestions of the latter. It studies their generic status, comparing them to radio talk shows and journalistic reporting as identical trips in the Middle East lead to different types of narratives, depending on the media. From the broadcasting of the travel notes, it progressively appears that radio is a way to carry on with poetic writing through other means Listeners can hear in the recurring motive of water drops what readers, since Les Champs magnétiques, found in Soupault’s works, an “obsessing metaphor” (“métaphore obsédante”) of the poem’s creation: thus, sound’s evocative resources, greater than that of the visual image, make radio a more faithful medium than poetry.


Texte intégral

Dans « Lettre-Océan », premier idéogramme lyrique publié en 1914, Apollinaire rendait hommage aux ondes que l’antenne TSF propage du haut de la Tour Eiffel, et qui le relient à son frère Albert à Mexico ; il en faisait l’image même d’une poésie qui rapproche les hommes. Dans l’une des chroniques radiophoniques qu’il tenait dans L’Intransigeant, Carlos Larronde, poète proche de Barzun avant la guerre 14, écrivait le 27 juin 1932, que le cinéma et la radio « ont ce commun privilège de déplacer le spectateur et l’auditeur, de le promener autour du globe, de lui donner une omniprésence [1] ». Et dans le même journal, en mai 1934, il invite à utiliser davantage son « merveilleux pouvoir » ajoutant à la « fuite dans l’espace » le « voyage dans le temps [2] ». Philippe Soupault partage sans nul doute cette appréhension du merveilleux radiophonique [3] et envisage la radio comme le prolongement et le medium parfait de la poésie. Il défend encore cette idée dans l’émission intitulée Le Monde des sons [4] et dans « Un monde nouveau », un article de 1957 [5] : comme la poésie, elle annihile les distances [6] et permet la communication entre les Cultures ; comme le poème, elle investit les vertus sonores des mots, marie les bruits à la langue (souvenons-nous des crépitements de l’antenne qui sont aussi bien ceux des chaussures neuves du poète dans le poème « Lettre-Océan »), et ouvre sur un art de la suggestion.

Ce double avantage du medium : raccourcir les distances, suggérer toutes les autres sensations par un art des sons, dispose particulièrement la radio à un petit genre de la littérature, le carnet de voyage. Ce terme générique est revendiqué par Soupault pour deux émissions, Instantanés de Perse [7] et Bagdad 1950 [8], qui se distinguent des chroniques et articles qu’il donne à La Revue de Paris à la même époque. J’essaierai de montrer quel usage fait Soupault de la spécificité de la radio dans ces deux émissions, la seconde bénéficiant d’une « mise en ondes » quand la première traite les sons comme des vignettes illustratives ; on verra ainsi dans Bagdad 1950 une timide esquisse des conceptions qu’il explicite dans Le Monde des sons et dans « Un monde nouveau », en même temps que le lieu où se poursuit par d’autres moyens la poésie – de l’onde aux ondes, goutte à goutte elle s’entend intérieurement comme un écoulement scandé qui réactive l’expérience vitale de l’entrée en poésie. Les carnets de route rapportent ainsi, autant que des vues de Perse et d’Irak, des réminiscences sonores du voyage de poésie, des Champs magnétiques, de Westwego à Chansons.

1. Première écoute

Instantanés de Perse dure 1h05. Bagdad 1950 [9] seulement dix minutes. Seules ces deux émissions relèvent du carnet de voyage  ̶  carnet de route est plus exact pour la seconde, car on ne découvre de Bagdad que des bandes colorées abstraites vues d’avion, une chambre d’hôtel où on s’arrête prendre une douche et un pont sur le Tigre traversé en taxi. Quant à Instantanés de Perse, le présentateur qui désannonce l’émission le désigne explicitement comme carnet de voyage [10], et la dénomination rend compte de la discontinuité inscrite dans le substantif mais ne correspond pas à la composition, structurée en plusieurs grandes rubriques aux enchaînements travaillés : le marché de Téhéran, la chanson, la poésie perse, les roses d’Ispahan, l’Iran d’hier et d’aujourd’hui (vu par Gobineau il y a 150 ans, Loti, il y a 50 ans, Soupault aujourd’hui). Des passages très écrits assez longs alternent avec des bruits de vie quotidienne (voix, marteaux des artisans du cuivre quand on est dans le souk), des illustrations musicales variées et brèves, des lectures de poèmes, de récits d’écrivains voyageurs, qui ponctuent chaque séquence. L’émission s’ouvre sur un air attendu, « Sur un marché persan » du compositeur britannique Albert Ketelbey (1920), où l’on devine l’animation exotique du souk, et se ferme avec « Dans les steppes de l’Asie centrale » composé par Alexandre Borodine en 1880, un poème symphonique qui évoque le désert.

Les deux carnets diffèrent sensiblement : dans Bagdad 1950, les sons, voix, musique et bruits créent une atmosphère animée et les échanges se succèdent rapidement, à peine reliés par des notations descriptives ou un élément narratif : la proportion du récit et de la scène s’inverse par rapport aux Instantanés de Perse. Les interruptions du récit par la sonnerie de téléphone, les interpellations, dialogues, rumeur mondaine et ambiance de bar chic, l’emportent sur l’exploration de la ville, ouvrant l’émission sur une sorte de kaléidoscope d’impressions ou de stéréotypes à corriger, ce qui dans la durée restreinte de l’émission permet d’évoquer par une vignette sonore ce qu’on n’a pas le temps de décrire. La mise en ondes paraît aujourd’hui un peu désuète ‒ dans sa conception et surtout dans les sonorités, qui portent un charme nostalgique. On entend ainsi la voix de l’hôtesse de l’air qui joue les guides de voyage, le bruit d’eaux vives, le moteur d’un petit avion : des sons simples, immédiatement identifiables, l’équivalent sonore du poncif en peinture. Ces sons restent majoritairement illustratifs mais ont aussi parfois une fonction temporelle (bruit monotone, répétitif pour souligner la durée et l’ennui) et structurelle (relais entre séquences).

Répondant à une enquête en 1938, Cocteau pensait que la radio serait un genre inférieur si on la traitait comme un « daguerréotype de l’oreille [11] » ; certes, les Instantanés de Perse, comme on va voir, ne se limitent pas, malgré leur titre photographique et leur préambule, à une série d’échos réalistes. On est loin cependant de ce que Daniel Deshays appelle « une écriture du son [12] » ; ici, le martèlement du cuivre en contrepoint de la voix narrative relève de l’illustration, donnant juste une couleur sonore à la scène.

2. Carnet radiophonique, entretien, reportage : aperçus génériques

Dans ces deux « Carnets » Soupault dénonce à la fois les lieux communs et les préjugés que l’occidental projette sur le pays de Shéhérazade et le parisien sur la Perse ; il les convoque cependant parce qu’ils sont ancrés dans les mythes collectifs qu’on ne peut démentir frontalement ; il est plus habile de les déplacer, les affiner et les dissoudre par des percepts réactualisés. La radio se voit conférer une mission d’éducation populaire : la voix est claire, l’élocution soignée, les phrases très articulées, le débit pas trop rapide, sans qu’il y ait de silence ‒ on prend son temps. Soupault vise une vulgarisation de bonne tenue, qui ne s’interdit pas des digressions anecdotiques, un trait d’humour, une page de Gobineau ou de Claudel, la lecture d’un poème en arabe, mais ne récuse pas non plus les romans plus populaires de Pierre Loti. Prenant prétexte du voyage, il glisse au passage des aperçus sur l’oralité et la diction, sur l’universalité de la chanson, vecteur de la poésie. Les Instantanés… qui annonçaient des choses vues, des scènes vivantes, sont des échantillons représentatifs de choses lues et entendues, des aperçus sur les fondements d’une culture, des convictions que le voyageur tire de son expérience. Au point qu’on y voit recyclé l’exemple de « La Vie en rose », développé dans l’Avertissement au recueil de 1949, Chansons [13]. Ceux qui attendaient une soirée diapositives en sont pour leurs frais, mais on a de quoi réfléchir à ce qui constitue l’image d’un pays ou d’une ville dans la mémoire culturelle collective.

Le carnet de voyage, qui met l’accent sur le ressenti du narrateur, se distingue dans les deux cas de l’émission de 30 mn intitulée « Mer rouge », qui se fonde sur le voyage de 1949 [14]. Enregistrée le 28 décembre 1949, celle-ci se présentait comme une « causerie » : un journaliste pose des questions sur les pays traversés, Soupault répond par de larges considérations géo-politiques, avec quelques incrustations d’anecdotes plus personnelles et de choses vues, poétiquement évoquées pour illustrer une caractéristique locale. La voix est celle, posée, du spécialiste qui essaie de donner à saisir concrètement des réalités complexes, impliquant des valeurs, une tradition, une pensée profondément éloignées des usages français.

Il serait intéressant de comparer cet entretien radiophonique avec deux articles que Soupault donne à La Revue de Paris (« Arabie Séoudite » dans le n° 5 en mai 1951, et « Mer rouge » en août 1951 [15]). Les trois se proposent de présenter toute une région en mutation qui va devenir, selon Soupault, « un des centres nerveux de l’économie mondiale » et se fondent sur les mêmes matériaux. Soupault se montre attentif aux mutations rapides du Moyen Orient : « Le moment viendra  ̶  et il est peut-être déjà venu  ̶  où le problème de l’homme du moyen-âge aux prises avec les impératifs du monde moderne provoquera de légitimes inquiétudes. » On trouve dans l’article comme dans la causerie radiophonique des données objectives, statistiques démographiques, économiques et des rappels historiques.

À la radio, Soupault avait privilégié des anecdotes et des images curieuses ou drôles qu’il distillait entre les aperçus politiques ou économiques appuyés sur quelques chiffres, plus austères : l’effacement des traces de la présence de Rimbaud à Aden, où il ne voit pas la maison du poète, détruite par l’incendie ; le paysage qu’il nous décrit et qui est celui même que Rimbaud voyait de la jetée ; la rencontre avec le négociant originaire de Carcassonne, arrivé en 1897, qui a succédé à Rimbaud ; la quinzaine de thés qu’il faut avaler en une journée ; la blague de l’oiseau moqueur ; sa stupéfaction devant les chèvres de Djeddah qui portent un soutien-gorge pour empêcher « leur abondante progéniture de les téter ». Les souvenirs personnels alternent avec des descriptions précises de la gouvernance royale, de l’économie du pays, de la proportion et de la répartition des populations étrangères, de la stratégie pétrolière américaine, de l’implantation d’un ghetto américain doté du seul cinéma présent dans le pays. On retrouvera ces données et ces scènes mais plus nombreuses, plus développées, dans les deux articles de la Revue de Paris où l’exposé géo-politique sérieux n’exclut pas le récit autobiographique : un épisode en taxi (le chauffeur loquace se figeant quand son passager prétend franchir la ligne invisible qui, à 7 km de La Mecque, interdit le passage aux étrangers) ; une vue de la chambre d’hôtel où défilent des serviteurs avec un thé, puis un savon, puis une serviette  ̶  14 en tout, qui interdisent au voyageur de se reposer à la descente d’avion.

Ce sont également les mêmes lectures qui nourrissent le premier Carnet de voyage, l’entretien radiophonique et le reportage géo-politique de La Revue de Paris : Gobineau qui dans Trois ans en Asie faisait la description « un peu optimiste » de la Légation de France, Les Lettres persanes, les Mille et une nuits, Rimbaud. Dans les Carnets de voyage, Soupault n’improvise pas davantage que dans l’article de revue. Cela produit parfois un curieux mélange entre la volonté de restituer un décor ̶ qu’on n’appelle pas encore un paysage sonore ‒, des échanges faussement spontanés, comme dans une dramatique radiophonique, avec des voix masculines, féminines, tantôt en premier plan, tantôt lointaines, et des bruits de foule, de café, de téléphone : l’impromptu est écrit, la surprise est jouée, la discontinuité affichée est produite, soigneusement minutée, bien que je n’aie pas pu consulter les notes préparatoires de l’émission [16]. Dans le monde oriental où Soupault feint de débarquer, il n’est pas un voyageur sans bagage : toute une culture l’a précédé, toute une mémoire sonore aussi qui habite forcément (au moins partiellement) ses auditeurs, qu’il lui faut réactiver et, si elle est devenue poncif comme la musique de « Sur un marché persan », coloriser.

3. Mise en condition de l’auditeur-voyageur

Bagdad 1950 s’ouvre sur un air de oud accompagnant un chant d’homme. Le récit de Soupault aussitôt coupe le chant qui s’estompe, et décrit au présent l’effervescence des derniers préparatifs de départ, après quelques notations nominales qui simulent le journal et, précisément, renvoient au support de l’impression sur le vif, le carnet. On entre dans une sorte de monologue intérieur ; le voyageur récapitule à voix haute sa liste :

Veille de départ. Bagages à finir. Télégrammes à expédier. Téléphoner à l’aérogare. Où est ma liste ? Tant de choses encore… Mais je ne pourrai pas y arriver. J’ai oublié de retenir une chambre [17]. Sept lettres à écrire encore…

Une sonnerie de téléphone interrompt le monologue fébrile, et s’ensuit un échange de théâtre de boulevard qui dure 1 mn :

‒ Allo, oui…. C’est bien moi… Philippe Soupault [une attestation d’identité que tous les lecteurs de Soupault connaissent et qu’il réitère dans ses récits, ses poèmes. La voix est un peu traînante. On entend alors celle, très lointaine, de son interlocuteur]

‒ Dites-moi, c’est ce soir que vous partez ?

‒ Oui, oui… Ce soir, mon vieux, exactement dans quelques heures.

‒ Il faut absolument que vous veniez me dire au revoir. Nous avons organisé une petite réception. Quelques amis… à tout à l’heure. (intonation pressante, un peu mondaine)

‒ Entendu, à tout à l’heure.

Cette saynète introduit une autre scène : la réception. Les préambules parisiens se multiplient. On entend un brouhaha de voix en fond sonore d’où se détachent successivement des voix de femmes et d’hommes à l’élocution un peu snob. Le dialogue permet, après la musique du oud qui couvre une vaste aire culturelle, de localiser la destination : le nom de Bagdad, en effet, n’a pas encore été introduit.

‒ Vous partez, quelle chance vous avez. Quand partez-vous ?

‒ Mais… tout à l’heure

‒ Où allez-vous ?

‒ Je pars pour Bagdad.

Le nom magique permet d’ajouter au chapitre proustien de nouvelles rêveries sur un nom de pays :

‒ Bagdad ? C’est merveilleux. Sémiramis, Nabuchodonosor. Les jardins suspendus…

‒ Vous partez pour Bagdad ? Formidable. Vous allez pouvoir retrouver les traces du calife Haroum El Rachi… / (voix plus lointaine) : des adolescentes merveilleuses…

‒ On peut toujours rêver, mon cher. Mais Bagdad….

Une voix égrillarde l’interrompt ; elle chante « Partons pour la Syrie ». Soupault intervient gentiment et brièvement : « Bagdad n’est pas en Syrie ». Une autre voix masculine lui demande s’il connaît cette œuvre jadis bien connue de Boieldieu : Le Calife de Bagdad. On entend un chant, des rires, le narrateur s’éclipse. Le récit à la première personne reprend après cette scène sur le vif.

Celle-ci a permis de poser deux préalables : Bagdad, par son seul nom produit les images d’un orient fantasmé qui parle à chacun selon sa culture, et l’on fait ainsi le tour du bagage limité de l’auditeur français – sans le blesser, puisqu’il pourra se démarquer des parisiens snobs qui véhiculent ces stéréotypes. La saynète a aussi posé un autoportrait minimal du je-voyageur, un Soupault courtois, mais bref, solitaire dans un milieu mondain assez bête. Observateur acéré, il prend comme lui la tangente à la première occasion.

On trouvait semblable revue des préjugés et méprises à la fin des Instantanés de Perse : il s’agit de placer en regard des usages et des cultures irakienne et iranienne, que le français dévalue volontiers au nom d’une supériorité occidentale, quelques échantillons sonores de nos usages et de notre « culture » saisis comme de l’extérieur. L’émission se clôt comme Bagdad 1950 débute, par un échantillon des stéréotypes mondains. En quelques phrases Soupault exprime sa surprise devant la quantité de questions qui lui ont été posées par des européens curieux de la Perse, questions qui sont « reflet des préjugés, des légendes, des faits divers et des articles de journaux » et qui présentent, dit-il, un « tableau assez exact bien que très incomplet des différents aspects aussi bien que des petits côtés de la Perse ». On entend alors une rumeur de conversations indistinctes, sur laquelle se détachent une voix de femme puis une voix d’homme. « Est-ce que vous avez vu de beaux chats persans ? » demande la femme et le narrateur répond par une description de chats de gouttière efflanqués. « Mais puisque vous êtes poète, pouvez-vous résumer en une image votre impression de Téhéran ? » demande une voix masculine. Soupault ne se dérobe pas mais souligne la pauvreté de cette exigence somme toute journalistique :

En une image… Cette même question m’a été posée par un journaliste persan à qui j’ai répondu ceci : Téhéran est comparable à une jolie femme dont la tête est posée sur les genoux du géant des montagnes, le Mont Damavand, blanc de la tête aux pieds, probablement le plus beau mont du monde. Le journaliste persan a paru satisfait de cette réponse puisqu’il la publia le lendemain dans son journal.

On devine que l’interlocuteur ne peut l’être moins que le journaliste iranien. Une voix lointaine s’est d’ailleurs exclamée : « C’est beau ! » Les voix féminines et masculines continuent le feu roulant des questions : « Est-ce qu’on mange bien? », « Quel mets avez-vous le plus goûté ? – Le caviar, incomparable, et le riz, meilleur que dans aucun autre pays du monde ». On apprend qu’il a bu du vin de Chiraz, de la vodka, beaucoup de thé. Puis, questionné sur les miniatures persanes, il confirme que les iraniens sont amateurs d’images, de miniatures admirables, qu’on ne voit que dans les musées, mais surtout de chromos importés d’Europe (le Président Loubet, Sarah Bernhardt, Thérèse de Lisieux et le Maréchal Foch). À la question « Les femmes sont-elles jolies », il répond avec conviction : « Très jolies, admirables yeux noirs, teint chaud, lèvres dessinées à ravir, mains fines mais on n’en voit pas dans les rues. » « Comment sont-elles habillées ? Elles ne sont plus voilées mais s’enveloppent dans de vastes étoffes semées de petites étoiles dont elles se couvrent la tête et une partie du visage. » La conversation passe ensuite à la circulation, au nombre d’habitants, à la présence française à Téhéran. Ces questions décousues qui justifient le terme d’instantanés lui ont permis au passage de donner quelques informations démographiques, économiques, culturelles de façon vivante. Il a ainsi livré en désordre un certain nombre de données objectives qu’il juge sans doute impossible de passer sous silence si l’on prétend traiter de l’Iran d’aujourd’hui (l’influence française, l’influence russe, la modernisation de la capitale…), et qu’il exposera plus doctement dans l’entretien et l’article « Mer du Sud » déjà cité.

4. Bagdad 1950, carnet de route ?

La mise en condition de l’auditeur au début de l’émission est assez longue puisque le journal de départ se poursuit par une promenade sur les quais de Paris, pour profiter seul d’une dernière nuit parisienne. On n’entend pas la Seine ni des bruits naturels mais des voix, des bruits de rue, puis un dialogue entre Soupault et celui qu’il nous présente comme « mon ami Sébastien », qui le convie à prendre le coup de l’étrier avant le départ. On n’en finit pas de partir… On entend de nouveaux bruits d’ambiance de bar : on demande du champagne, l’orchestre joue : nouvelle vignette sonore de la vie noctambule. L’ami qui, dit le narrateur, aime se faire remarquer, va parler à l’orchestre ; on entend un rag-time, et l’ami parie un cigare que le narrateur n’en trouvera pas le titre ; Sébastien l’annonce triomphalement : « Bagdad Boogie ». En réponse, la voix de Soupault clame : « Garçon ! un cigare ! » Le retour au récit se fait sans transition : « Je hèle un taxi ; je vais chercher mes bagages et me voilà pris dans l’engrenage. »

Un voyage c’est cela : un engrenage, des rituels de départ. Sans autre transition narrative, une voix d’aéroport résonne : « Les voyageurs pour Bagdad sont priés de se présenter… » Comme souvent Soupault se contente de l’amorce, la fin de l’annonce se perd dans le ronronnement d’un moteur d’avion. La plupart du temps, en effet, il cherche la nervosité des enchaînements, un rythme dynamique fait d’alternances de séquences de durée variées, et de ruptures imprévisibles. Les bruits du quotidien ont dans ses carnets une fonction didascalique. La mise en place narrative qui a pris presque la moitié du temps de l’émission s’achève, sur cette phrase qu’on pourrait lire dans En Joue ! :

Entre ciel et terre, entre [mot inaudible] et l’aventure, près de l’inconnu, j’essaie de dormir pour quitter cette ville et cette journée, définitivement. J’entends le ronflement des moteurs et des passagers. Je flotte et je vole.

Des Champs magnétiques à Chansons, dans l’écriture romanesque comme dans l’écriture radiophonique on reconnaît la voix du poète dans sa propension à l’ironie rentrée, son minimalisme, son désir de se soustraire.

L’aube est marquée par l’escale à Damas en trois phrases descriptives : le genre du « carnet » s’affiche dans une série de notations poétiques condensées. Damas est peinte comme « une ville verte fermée de jardins d’où jaillissent, comme des jets d’eau, les minarets. » Gardons en mémoire cette eau, pur comparant qui viendra bientôt au premier plan comme une obsession auditive. Le récit reprend sobrement : « Je change d’avion. Je suis le seul passager si l’on ne compte pas d’adorables oiseaux rouges et bleus qui viennent eux aussi de Paris et qui sont destinés à la volière du roi d’Irak » ‒ une note qui ne déparerait pas dans Vu ou Paris Match, et qui pose discrètement le statut privilégié du voyageur officiel. Après avoir précisé que la reine d’Irak a une passion pour les oiseaux : « Première impression sonore que j’aie notée sur mon carnet de route [18] : les pépiements des oiseaux accompagnés du vrombissement du moteur. » Les deux bruits seront superposés en fond sonore pendant que la voix de Soupault évoque le survol du désert et tente de donner une idée de l’étendue d’une monotonie désespérante : trois heures de désert à la vitesse de 350 km/h lui apparaissent « trois années, trois siècles » : « Rien que le sable. Parfois cependant quelques taches intraduisibles sur fond beige » ‒ libre à l’auditeur d’imaginer un campement, une caravane. Au moment où, dit le voyageur, il va s’assoupir, l’hôtesse de l’air annonce l’arrivée à Bagdad et une voix féminine prend le relais pour une topographie de Bagdad vu du ciel, tableau abstrait esquissé par une hôtesse qui parle comme Soupault écrit :

Trois longs rubans. Un large ruban vert de gris. Voyez-vous les palmiers de Bagdad. Un autre ruban de moire jaune ocre. Le Tigre, il paraît qu’il est furieux. Sa queue devient dangereuse. On craint qu’il veuille tout dévorer. Et là-bas, ce long ruban qui paraît gris mais vivant comme un velours de fourmis, c’est le grand boulevard de Bagdad ; les autos s’y suivent et s’y poursuivent tout le long du jour. Mais regardez là-bas à droite, un peu plus loin que les ponts, ces minarets bleu turquoise. C’est la mosquée sainte, la plus célèbre de tout l’Irak [19].

L’auditeur est dans l’avion, tournant la tête à gauche, à droite : la radio est son moyen de transport, à la fois l’invitation au voyage et son accomplissement poétique. La voix masculine, reprend la narration au passé simple : « Après un virage sur l’aile, je pus distinguer l’échiquier de la ville, les petites maisons carrées dominées par des palmiers. » Est-ce Bagdad ? Est-ce un tableau de Paul Klee ?

5. Carnets radiophoniques ou les ondes de la poésie

Les deux Carnets de voyage se distinguent de la causerie en ce qu’ils font l’objet d’une mise en ondes avec des illustrations sonores, et qui frôle parfois la dramatique radiophonique comme on vient de le voir dans Bagdad 1950. Ils mettent en œuvre les conceptions de Soupault sur la puissance des sons, la préséance poétique de l’évocation auditive, et esquissent avec une sorte de grâce naïve une défense et illustration du pouvoir de la radio, conçue selon deux axes : l’espace, la rapidité. Celle des ondes répond à cette accélération générale que Soupault observe, mais qui frappait déjà Marinetti, Apollinaire, Cendrars et Larbaud avant la guerre de 1914. L’auditeur, suggère Soupault, va faire par les ondes, un voyage encore plus rapide que celui qu’il fit en prenant l’avion. Cette vitesse qui le fascine permet de traverser les époques et de ressusciter les temps révolus, mais elle a évidemment une incidence essentielle sur les distances.

Soupault insiste sur le saut dans l’espace, l’excitation affairée des heures qui précèdent, la durée du voyage en avion. Le dépaysement est confié d’une part à la musique : les accords du oud, des chansons et musiques orientales contrastant avec les chansons et airs d’opéra occidentaux ou avec quelques mesures de jazz. D’autre part, la rupture culturelle et spatio-temporelle est symbolisée par l’avion. On aborde le paysage d’en haut dans les deux cas. Dans Bagdad 1950, le vrombissement continu, seul d’abord, puis en arrière-plan de la voix, rend la monotonie du désert par celle du moteur, l’étendue par la durée du son. Soupault ne déplore pas l’accélération du monde qui pousse à vivre vite : elle correspond à l’attraction du désir, à l’instabilité ontologique que le voyage rend productive, à une pratique du dépaysement qui l’a conduit vers le surréalisme, mais l’a aussi empêché de s’y fixer.

Les Carnets de voyage l’ont-ils mis sur la voie des principes qu’il défendra dans Le Monde des sons ? Rien de fortuit à ce que Borodine ferme Instantanés de Perse : son poème symphonique prétendait, par une description sonore, faire voir successivement le désert puis des chevaux et des chameaux, les soldats russes, une caravane. Soupault réinvestit dans Bagdad 1950 le procédé d’ouverture de Borodine : un son tenu dans l’aigu lentement croissant, dans le ronronnement continu du moteur traversé par les cris aigus répétés des oiseaux. À la fin d’Instantanés de Perse, il vient de parler de l’influence russe quand résonnent les premières notes de cet air célèbre du musicien russe, qui visait comme lui une évocation rêveuse.

Dans Le Monde des sons, Soupault expose ce qui l’attache à la radio. Rien de révolutionnaire pour nous aujourd’hui, surtout si nous comparons avec les recherches du Studio d’essai de Schaeffer, et relisons Carlos Larronde, Jean Tardieu, Daniel Deshays. Soupault a la conviction absolue de la primauté de la sensation et plaide pour la supériorité des sensations auditives sur la vue, ce qui peut surprendre chez un surréaliste – la préséance de l’image est bien connue, mais on ne doit pas oublier que Breton jugeait lui aussi l’image issue de l’automatisme verbo-auditif supérieure à celle que produit l’automatisme visuel.

Dans Bagdad 1950, l’implication sensorielle de l’auditeur est obtenue par des moyens élémentaires. Trois séquences de clapotis d’eau ‒ les deux dernières durant plusieurs secondes ‒ évoquent tout autant que Bagdad les rigoles du jardin du Generalife, mais portent, après les descriptions insistantes de la chaleur, de la sueur, une connotation de sensualité orientale, un art de vivre dans les jardins secrets. En poète encore baudelairien et en lecteur de Proust, Soupault défend l’art de la suggestion sensorielle comme vecteur de la poésie et de la mémoire. Ainsi l’atterrissage à 11h du matin se réduit au bruit de roulement sur la piste et à la sensation de chaleur, la première sensation de Bagdad qu’il faut faire éprouver à l’auditeur :

Je sors de l’avion et je suis littéralement saisi par la chaleur. Une chaleur épaisse et intolérable. Des flammes de chaleur me sautent aux yeux. Mes paupières me brûlent […] comme un sac je tangue vers la douane.

Mais il ne suffit pas de dire « je marche » dans un poème pour qu’il se mette en mouvement, ni « j’ai chaud » à la radio pour que l’auditeur sue ; la métaphore, la comparaison n’y suffisent pas non plus. Soupault évoque donc la traversée de la ville en taxi à 100 km/h jusqu’à l’hôtel ; on passe le Tigre sur le pont de Bagdad, en une phrase minimale qui ne donne rien à voir : (« je passe le Tigre et j’entends l’eau »). Un murmure d’eaux vives, bref, nous parvient puis la voix insiste et justifie son insistance : « Je voudrais vous faire entendre longtemps ce bruit de l’eau, bruit merveilleux, inoubliable, bruit prodigieux, miraculeux, c’est mon plus beau souvenir. » ‒ et l’on repart pour quelques secondes de clapotis. Le narrateur souligne la sensation de fraîcheur liée au son : « Il fait chaud comme dans un four. On a tellement soif, la bouche, la gorge, le pharynx en métal. Le corps ruisselle, mais le bruit de l’eau est une merveilleuse promesse. » ‒ le bruit de source, tenu plusieurs secondes, confirme cette promesse. Le son, qui n’était la première fois qu’une illustration, ponctue, avec une évidente fonction rythmique, la voix narrative et appuie hypnotiquement la suggestion.

Je monte dans ma chambre – oh ! pas trop vite ‒, j’actionne le ventilateur et me précipite naturellement sous la douche, quelle bénédiction ! Puis je me jette sur mon lit tout mouillé et écoute le bruit qui me berce. Est-ce que je dors ? Des images comme celles du délire galopent sous mes paupières encore chaudes. J’entends une voix comme d’outre-tombe. Je me figure en grand voyageur en me souvenant des Mille et une nuits. C’est celle de Shéhérazade.

On voit comment le carnet de route ouvre les portes de Bagdad par la sensation, vecteur du rêve et de l’imaginaire : la radio ici doit faire éprouver le voyage à l’auditeur statique devant son poste. La chaleur, la sueur, les ruissellements de l’eau lui diront plus de Bagdad que la description des ruelles et des avenues monumentales. Au voyageur-Soupault du début se substitue un voyageur immémorial, celui des Mille et une nuits. La voix de Bagdad alors parle directement à travers les âges : une voix de femme, celle de Shéhérazade, commence le conte de Sindbad le Portefaix. Le monde réel et celui du conte communiquent par cette sensation de fraîcheur dont on vient de faire l’expérience. Au début du conte, Sindbad écrasé sous sa charge par un jour de canicule tente d’échapper à la chaleur intolérable sur un banc où circulent des brises légères : « alors il perçut un concert d’instruments et de luths »… l’auditeur devenu Sindbad entend lui aussi le oud qui relaie la voix de Shéhérazade et la bande-son s’arrête là, abruptement.

Néanmoins on est allé au terme de la démonstration car il me semble que ce petit carnet de voyage en présupposait une. Si on ne voit rien de la ville réelle, les sensations de soif, les bouffées brûlantes, les taches de couleurs, tout un univers sonore  ̶ moteur, pépiements, friselis d’eau, accords de oud ‒ ouvre l’espace du dépaysement, comme si le secret du lieu était enclos dans ces sensations. Aux images visuelles et tactiles des noms de pays proustiens, aux vues de porte-plume qui les figent en vignettes souvenirs, Soupault substitue des précipités sonores qui ne sont pas moins stéréotypés mais, plus évasifs, laissent l’imaginaire prendre le relais. Le son seul peut porter dans son sillage toutes les autres sensations ; la radio qui fait ici littéralement voyager dans l’espace et dans le temps, est le médium de la poésie : sans nous parler de Bagdad elle nous y a conduit, et a ouvert les portes de ce Bagdad rêvé que les occidentaux du début avaient enfermé dans le toponyme.

Dans Le Monde des sons, on entend d’abord quelques mesures de ragtime, qui prennent la place de ces accords de oud ouvrant les deux carnets de voyage, pour signifier l’Orient ; elles sont remplacées par un bruit de vagues, puis une rumeur de foule de laquelle se distingue une voix qui dit « Je proteste je proteste ». L’illustration sonore précède le dialogue dans lequel on entre in media res, le poète défenseur de la radio et du monde des sons réfutant son interlocuteur grincheux pour qui tout cela n’est que du bruit. Il tance ce mauvais auditeur qu’il lui faut convaincre de son infirmité : « Que dirait-on de quelqu’un qui négligerait les couleurs, les lignes de la nature et réduirait le monde visible à la peinture ? ». Il précise que la musique n’est qu’une toute petite partie de l’univers des sons qui reste terrae incognitae : « Depuis des siècles, l’humanité a donné de l’importance à la vue et négligé le monde des sons [20] ». Le bruit est déjà, comme le dira Deshays, « par excellence le lieu du rêve ».

Soupault réactive dans cette émission la forme du dialogue philosophique chère au Neveu de Rameau, ce qui n’a rien de fortuit, le neveu étant celui d’un musicien, mais surtout Diderot faisant parler un aveugle de naissance dans la Lettre aux aveugles à l’usage de ceux qui voient ; ce texte sert encore de point de départ à Soupault dans son article ultérieur des Cahiers d’Études de Radio-Télévision, « Un Monde nouveau ». Dans les deux cas, l’univers sonore apparaît comme un continent à découvrir, et les ondes sont le vaisseau de cette expédition.

L’auditeur grincheux ne manque pas d’opposer au locuteur que le monde des sons n’est pas beau, et, quand il est pressé de s’expliquer, il avoue que les sons les plus désagréables s’imposent pour lui avec plus de force que les autres. C’est alors que Soupault revient à l’expérience de Bagdad :

Imaginez que vous pourriez vivre dans un pays très chaud. 40° de chaleur, et vous écoutez le bruit de l’eau qui coule. Pareille aventure m’est arrivée récemment à Bagdad. Pour moi, le bruit de l’eau est demeuré un souvenir plus beau, plus merveilleux que le plus beau, le plus merveilleux paysage. Et je crois que les poètes qui sont les plus sensibles des hommes ne me contrediront pas.

L’ouïe est valorisée pour son aptitude à dépayser l’auditeur jusque dans son propre corps ; Soupault ajoute : « Les sons ont une puissance d’évocation que ni les couleurs ni les parfums ne possèdent. Les sons suggèrent [21]. » Ils donnent aussi la vie : le narrateur convoque un exemple récurrent dans son œuvre, avec de multiples variantes, le récit mythique de son avènement à la poésie, seconde naissance :

J’étais seul et triste un soir dans une chambre d’hôtel. Le robinet du cabinet de toilette était détraqué [on entend des gouttes d’eau tomber, bien nettement séparées]. Les gouttes d’eau me dictèrent un poème. Je voudrais maintenant que vous entendiez ce que les gouttes d’eau ont suggéré au musicien André Popp qui les a mises en musique.

Ces gouttes d’eau sont un marqueur personnel, depuis celles dont « nous sommes prisonniers » dans Les Champs magnétiques [22]. Il est frappant de voir qu’en elles se résume tout Bagdad et que si, dans les successifs récits de « première fois », elles ont délié le flux de la poésie, c’est encore le son hypnotique de l’eau qui ouvre le monde merveilleux des sons, ainsi figuré dans un jeu de polysémie par celui des ondes. Lorsque Tardieu, parlant de l’apport du Club d’essai à l’effort culturel de la radiodiffusion française en 1956, évoque la radio « lançant à travers l’espace une pluie d’impressions justes » procédant « par une sorte d’arrosage à la manière des nuages », il me semble qu’il caractérise assez bien l’esprit des Carnets de voyage de Soupault qui prend au mot ce que Tardieu appelle joliment, « la météorologie culturelle [23] ».

Instantanés de Perse commence par cette question : « Comment peut-on être persan ? » « C’est la question que depuis Montesquieu se posent les français et les européens » constate-t-il et il s’excuse à l’avance de la superficialité du genre :

Ce n’est pas en quelques minutes, même en soixante minutes, qu’on peut répondre à cette question, mais peut-être n’est-il pas absolument inutile que les voyageurs qui ont parcouru la Perse et [qui peuvent se vanter] de connaître, un peu, les persans livrent leurs impressions rapidement comme l’exige la radio, mais fidèlement.

La radio est le médium de l’ « homme pressé ». Instantanés de Perse revendique par son titre la discontinuité d’une série d’impressions clairement référées à la vue –et à la prise de vue.

Voyageur endurci, je me souviens que j’ai appris davantage des pays qui m’étaient inconnus en regardant ces petites photos que les Européens et davantage encore les Américains ont l’habitude de considérer comme des chefs-d’œuvre lorsqu’ils les rapportent de pays lointains. En regardant des instantanés, pas un homme ou une femme de bonne foi ne dissimulera sa surprise. Voici donc des instantanés de la Perse.

Le son entend ainsi clairement donner à voir. Quant à la fidélité, c’est au monde des sons qu’il revient de la garantir, non par le documentaire réaliste mais par la recréation de percepts hallucinés à partir du son. Le pluriel et la notion même d’instantanés évoquent des impressions recueillies au fil du voyage, dans leur surgissement ; or les enchaînements sur des associations d’idées et de mots sont subtilement filés. Après ce préambule, une autre voix masculine prend le relais pour vanter le pouvoir évocateur d’une rengaine, « un air célèbre, trop célèbre »… « cet air si incroyablement populaire qu’on nomme, on ne sait trop pourquoi, “Sur un marché persan”. On entend alors 30 secondes des premières mesures. Elles introduisent la première partie ‒ le premier instantané ‒ consacré au grand bazar de Téhéran. Le sésame sonore libère une série de vues. La voix masculine sollicite l’auditeur et l’invite à entrer dans le labyrinthe du souk : « Imaginez-vous les couloirs du métropolitain, faiblement éclairés par une petite lucarne où plongent les rayons du soleil. On s’habitue aisément d’ailleurs à cette pénombre. » Très symétrique, la conclusion de l’émission referme l’album en congédiant la métaphore visuelle :

Après tous ces instantanés et ces quelques vieilles gravures, peut-être convient-il pour conclure de rechercher quelle est l’impression dominante qui demeure après les contacts avec un monde si différent du nôtre. […]. Nous n’avons plus le droit de nous contenter de détails et de préférer le pittoresque.

Et moi-même avec cent ans de retard ou, si l’on préfère, d’avance, en survolant la Perse, je ne pouvais m’empêcher de penser aux grandes régions désertiques qui entourent les villes d’Iran. Il me semblait que ces déserts, ces steppes, qui forment cette Asie Centrale, où est née notre civilisation, exercent encore, en dépit de notre ignorance et de notre inconscience, une influence sur notre destin et sur toute l’humanité. Je cherchais à définir mon impression de cette grandeur lorsque le hasard voulut que j’entendisse un soir ce morceau symphonique de Borodine, « Dans les steppes de l’Asie Centrale ». Mieux que les mots, cette musique évoqua pour moi les horizons de la Perse, ceux que nous sommes tentés d’oublier.

On entend la musique de Borodine jusqu’à la fin pendant 2 mn 30, d’abord seule, puis en arrière-plan de la parole :

Je terminerai cette suite d’images de la Perse sur ces steppes de l’Asie Centrale. Ce petit tour d’horizon, ce voyage en raccourci est certes un peu rapide, peut-être un peu incomplet, certainement même, mais je souhaite, j’espère avoir réussi à vous donner de la Perse une idée un peu moins conventionnelle que celle que les français ont communément.

Un air de oud écourté achève l’émission. La fin montre encore ce que Soupault attend de la radio : mieux que les mots, elle transmet les bruits propres à évoquer sans circonscrire, dans un temps restreint – et cette condensation n’est pas pour déplaire au poète, non plus que le décousu que les exigences techniques, toutefois, obligent à simuler. « Horizons de la Perse », « petit tour d’horizon » : avec insistance la radio apparaît comme un des horizons possibles de la poésie, la poésie demeurant « le réel absolu ».

Notes

[1] L’Intransigeant, 27 juin 1932, p. 8.

[2] L’Intransigeant, 11 mai 1934, p. 11.

[3] Larronde dit dans L’Intransigeant du 19 mars 1931 que le véritable plan de la TSF est le merveilleux ; nul doute que Soupault et lui ont été d’emblée sur la même longueur d’ondes. V. Christopher Todd, « Carlos Larronde, idéaliste des ondes », dans Les Écrivains hommes de radio, textes présentés et rassemblés par Pierre-Marie Héron, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2001.

[4] Dans la série Archives sonores, 31 mai 1952 (17’30). Cette émission, présentée par Philippe Soupault, avec le concours de François Chaumette et Maurice Biraut, est une production de la Phonothèque centrale de la Radiodiffusion française. La documentation est de Paulette Le Tailleur et Georges Sennequier, réalisation de Georges Godebert.

[5] Cahiers d’Études de Radio-Télévision, n°16, 1957, p. 351-353.

[6] Voir l’article « Mer Rouge », dans La Revue de Paris, n°8, août 1951 : la radio relayée par le bouche-à-oreille est le seul moyen d’accès au monde, explique-t-il, pour les nomades de Somalie.

[7] « Carnet de voyage de Philippe Soupault », réalisateur Georges Herzog. Programme national, 22 octobre 1950.

[8] « Carnet de route de Philippe Soupault », réalisateur Albert Riéra, diffusion Programme national, 18 mars 1951, 21h30.

[9] Réalisation Albert Riéra, avec une distribution importante, comparable à celle d’une dramatique : Paula de Helli, Shéhérazade, Roert Moore, l’ami du voyageur, Mesdames Nelly Delmas, Raymonde Fernelle, Raymonde Vassier, Françoise Moreau et Messieurs Jean Daguerre, Gilles Péan, Léon Arvelle, Jacques Bernier, Marc Darnout, Gérard Gervais et l’auteur.

[10] « Instantanés de Perse, carnets de voyage de Philippe Soupault, avec le concours de Louis Arbessier, Pierre Olivier, Jean Topart, André Daurière, Nelly Benedetti, Denise Bonal. »

[11] « Le péril des ondes menace-t-il la littérature ? », Le Figaro, 5 novembre 1938, p. 5. Réponse à une enquête de G. Ravon.

[12] Pour une écriture du son, Paris, Klincksieck, 2006.

[13] « Au cours d’un voyage dans différentes parties du monde et dans des milieux très divers, j’ai pu suivre le sillage d’une chanson qui non seulement plaisait aux hommes et aux femmes de tous les âges et de toutes les conditions qui ne parlaient pas la même langue, mais aussi, manifestement, les fascinait. Sifflée, fredonnée, murmurée, chantée à pleine voix, La Vie en rose s’épanouissait à tous les carrefours de l’univers » (Chansons, Paris, Eynard, 1949, p. 15).

[14] Selon Henry-Jacques Dupuy, c’est en 1949 que Soupault se rend en Somalie Britannique, sur la Côte des Somalies, au Kenya, à Aden, Chypre, en Jordanie hachémite, en Irak, Israël, Iran, Arabie Séoudite, Syrie. Rappelons que l’écrivain est chargé en 1946 par l’Unesco d’enquêtes sur la presse, la radio et le cinéma ‒ d’abord en Europe puis au Mexique, Honduras, Haïti, Nicaragua, Curaçao, Cuba, république dominicaine en 1947. En 1948 il va en Égypte, au Liban, en Turquie. En 1950 il continue cette enquête au Cameroun, en Afrique équatoriale, en Éthiopie, au Congo belge, au Ruan-Da-Urundi, au Soudan anglo-égyptien, à Madagascar, en Somalie italienne, en Angola, au Mozambique. Il faut regretter que les ouvrages biographiques sur Soupault traitent peu de ce chapitre important des années 1946-1950.

[15] On laissera de côté le reportage publié en 1954 « Au Monomotapa », récit de son voyage au Mozambique dans la même revue (n° 9, septembre) qui n’a pas donné lieu à une émission radiophonique.

[16]  Ce texte, daté du 1er janvier 1951, est  conservé au Bureau des manuscrits de Radio France, 35 f., cote R 5055, 12 personnages.

[17] Est-ce la conséquence de cet oubli ? Dans l’article de La Revue de Paris, le voyageur peine à trouver une chambre : il n’a pas réservé, et doit se contenter de partager une chambre d’hôtel de seconde zone avec plusieurs touristes en rade.

[18] Je souligne.

[19] La causerie intitulée « Mer rouge », comme le reportage qui porte le même titre dans La Revue de Paris, montreront que le pèlerinage est une ressource économique. Ici la chose vue se suffit. Le carnet implique qu’on renonce à exploiter, prolonger la notation.

[20] Le Monde des sons, série Archives sonores, Paris Inter, 31 mai 1952.

[21] Daniel Deshays lie à la nostalgie du déjà connu cette dimension évocatoire : « Dans la pratique, le son s’inscrit comme une empreinte dans la mémoire, et l’écoute, jeu de reconnaissance et d’appréciation, nous conduit vite sur le terrain du goût. On n’aura de goût que pour ce que l’on a connu ; on le préfèrera, de fait, à la nouveauté. » (Pour une écriture du son, op. cit.).

[22] Cette phrase ouvre les Champs magnétiques de Breton et Soupault en 1920. On sait qu’elle est venue de la plume de Soupault.

[23] Jean Tardieu, « Le Club d’Essai et son apport à l’effort culturel de la Radio-diffusion française », 1956, cité dans Pierre-Marie Héron (dir.), Les Écrivains hommes de radio, op. cit.

Auteur

Marie-Paule Berranger est Professeur de littérature française du XXe siècle à l’Université de Paris 3 Sorbonne nouvelle, et appartient à l’équipe de recherche Thalim (écritures de la modernité). Ses travaux portent sur l’histoire du mouvement surréaliste et la poétique de ses auteurs, la question des genres dans la poétique des avant-gardes, la poésie de Blaise Cendrars. Elle a fondé le Groupe d’Études Mandiarguiennes (GEM) et publié plusieurs ouvrages, dont Dépaysement de l’aphorisme (Corti, 1987), Les Genres mineurs dans la poésie moderne (PUF, 2004), Du Monde entier au cœur du monde de Blaise Cendrars (Gallimard, « Foliothèque », 2007), Corps et biens de Robert Desnos (Gallimard, « Foliothèque », 2010) ainsi que les actes du colloque Plaisir à Mandiargues (1909-1991), en collaboration avec Claude Leroy (Hermann, 2011). Derniers volumes publiés : 1913 cent ans après : enchantement et désenchantement, Paris, Hermann, 2014 (actes du colloque de Cerisy, 8-15 juillet 2013) ; Évolutions/Révolutions des valeurs critiques (1860-1940), Montpellier, PULM, « Le Centaure », 2015 (actes du colloque de Caen, juin 2012).

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Autophone malgré lui ? Chansons de Soupault au Club d’Essai

Résumé

En 1952, Philippe Soupault inaugure au Club d’Essai le bref programme radiophonique Chansons d’écrivains du réalisateur débutant Jean Chouquet. Désirant réconcilier le public et la poésie, ce programme offre une mise en musique de quelques poèmes de Soupault publiés dans le recueil Chansons (1949),  chantés par différents artistes qui mélangent les genres. D’une chanson à l’autre, le poète tisse de sa voix l’histoire de ces textes liés à des souvenirs de ses premières années d’enfance.  Comme il le confessera trente plus tard, cette mise en musique se révélera décevante pour le poète qui ne parvient plus à retrouver le rythme propre à ses créations et les sons de l’enfance qui ont inspiré ces poèmes. Malgré l’apparente variété des poèmes et des musiques choisis, le thème de la mort scande le programme, comme toute l’œuvre de poète, bien que la musique des mots parvienne à désamorcer l’horreur.


In 1952 Philippe Soupault, under the direction of  novice broadcaster Jean Chouquet, inaugurated the short radio programme Chansons d’écrivainsat the Club d’Essai. Wishing to reconcile public and poetry, the programme set to music various poems by Soupault from his collection Chansons (1949), as sung by different artistes working across a range of genres. In his own voice, the poet describes the history of each of the songs, which relate to memories of his early childhood. As he would confess thirty years later, this musical setting proved to be a disappointment to the poet, who could no longer discern the idiosyncratic rhythm of his creations and the sounds from childhood  that inspired the poems. Notwithstanding the seeming variety of the poems and of the music chosen, the theme of death suffuses the programme, as it does the entire œuvre of the poet, even though the music of the words succeeds in defusing the horror.


Texte intégral

Dans cet article, nous allons nous pencher sur la participation de Soupault à un programme relativement bref du Club d’Essai intitulé Chansons d’écrivains, produit au début des années 1950 en collaboration avec un réalisateur débutant dans le métier, Jean Chouquet. Que révèle-t-elle de son rapport à la poésie ? Qu’apporte-t-elle à sa trajectoire de poète ? La série d’émissions date de 1952 [1]. Le poète est déjà un familier des ondes depuis 1936, année durant laquelle il s’est vu confier une émission littéraire à Radio-Paris-PTT. Nommé directeur de Radio-Tunis en 1938, poste qu’il occupera jusqu’en 1940 [2], il est comme tant d’autres à cette époque séduit par les possibilités de la mise en ondes et semble à son aise dans un monde radiophonique où il adoptera à peu près tous les rôles possibles au micro, en studio et dans les bureaux. Lui qui croyait être un instrument de la poésie, ne pouvait qu’être séduit par cet « instrument merveilleux », cet « être presque fabuleux, sorte de personne douée d’omniprésence et d’omniscience, une géante aux cent bouches » (Tardieu [3]). Car la radio, écrivait-il en 1941, peut servir la poésie, qui « doit nous étonner, nous surprendre, nous saisir, s’emparer de notre être » et la poésie peut « redonner à la radio et au cinéma le pouvoir d’exprimer la vie [4] ». Dans les années d’après-guerre précisément, la radio redevient pour de nombreux poètes le lieu de tous les possibles qu’elle était déjà pour plusieurs d’entre eux dans les années trente [5]. Et, tandis que les émissions de poésie se multiplient sur les grandes chaînes de la RDF, le Club d’Essai, confié en 1946 au poète Jean Tardieu avec mission d’en faire un espace de création et de recherche sur les possibilités artistiques du médium et d’« amener avec tact et sans outrance, le plus grand nombre d’auditeurs aux manifestations artistiques de haute qualité [6] », explore dans diverses directions les possibilités de poésie qu’offre la radio.

1. Rencontre avec la voix de Soupault

La série qui nous intéresse est née d’une rencontre : celle d’un « jeune homme féru de poésie et de radio », Jean Chouquet, sortant « de Khâgne et de la Sorbonne [7] », avec la voix de Soupault. Un jour de 1950, alors qu’il est assistant de Pierre Desgraupes pour l’émission Le Journal des voyages sur le Programme National, Chouquet écoute Soupault parler au micro de son voyage au Mexique, et tombe sous le charme : « Quel séducteur ! » Le poète possède le don de se faire écouter, sa parole est « claire, vive », il connaît la valeur des espaces blancs et le poids du silence ; de sa parole « surgissent les images ». Ses mots ouvrent les portes de l’imagination à ceux qui l’écoutent : il fait « voir le Mexique par l’oreille (Mexico la nuit, les Mariachis, les pyramides aztèques) [8] ». Il a compris le pouvoir d’absence et de présence que la radio donne aux voix [9]. À la fin de l’interview, Chouquet raconte qu’il a « l’audace » de rattraper Soupault dans l’escalier et de lui proposer de transformer certains poèmes de son recueil récemment paru, Chansons (1949) en « chansons chantées [10] ». L’accord est immédiat, et c’est ainsi que démarre sous le titre Chansons d’écrivains, avec le poète et grâce à lui, la toute première série du jeune producteur.

Alors que les entretiens-feuilletons d’écrivain se multiplient sur les ondes, c’est un tout autre format que Chouquet imagine avec Soupault : pensant au succès rencontré à Saint-Germain-des-Prés par les poèmes de Prévert mis en musique par Joseph Kosma ou Christiane Verger, il conçoit une série dans laquelle l’auditeur découvre en compagnie de l’auteur ses poèmes « métamorphosés en chansons ». Pour Chouquet en effet, les poèmes-chansons de Soupault sont « faits pour être chantés [11] ». La radio devient, dans cette série, un espace où la poésie peut retrouver ses origines musicales, où les poèmes de l’écrivain peuvent récupérer, peut-être, quelque chose du caractère populaire de toute chanson.

Or une chanson peut être fredonnée n’importe quand, n’importe où et par n’importe qui, rappelle Soupault en 1952 dans l’émission Paroles de France, au micro de Georges Charbonnier :

Les chansons obtiennent souvent l’unanimité. J’ai pu suivre le sillage d’une chanson dans tous les pays que j’ai visités depuis deux ans […] « Lili Marlène », les Anglais, les Américains ont aussi chanté cette chanson qui venait de leurs ennemis [12].

Alors que les poèmes « exigent la réflexion », la chanson est pour Soupault « beaucoup plus immédiatement acceptable », c’est « une sorte de poésie instantanée et […] il suffit qu’on la mette en musique pour qu’elle parvienne directement à l’auditeur [13] ». Le jeune producteur est lui aussi sensible au pouvoir de ces airs qui se fredonnent à Berlin ou à Saint-Germain-des-Prés. La possibilité de mise en musique de poèmes semble ainsi réaliser un rêve partagé par l’écrivain et son producteur, et bien typique de l’après-Libération [14], de rapprocher la poésie du grand public. À l’encontre d’autres programmes littéraires de l’époque qui, d’après Chouquet, « appliquaient à la règle le diktat de Victor Hugo : “Il est interdit de poser une note de musique le long de ses vers” [15] », les deux hommes construisent un univers où chanson et poésie ne se tournent pas le dos. Chansons d’écrivains préfigure ainsi le programme de Soupault et Chouquet Prenez garde à la poésie qui voit le jour deux ans plus tard avec comme objectif, précisément, de « réconcilier le public et la poésie trop souvent traitée sous un jour austère et ennuyeux [16] ». Programme dans lequel la chanson aura de nouveau sa place.

2. Musiquer les « chansons » de Soupault

Une cinquantaine de chansons ou chansonnettes rythment les six émissions de 20 minutes de la série, diffusées le dimanche du 30 mars au 4 mai 1952, entre 13h25 et 13h45. La variété musicale, vocale et de styles, caractérise le programme, qui a recours à différents compositeurs comme André Popp, Pierre Devevey ou Jean Wiener. Des poèmes choisis parmi les Chansons que Soupault avait publiées en 1949 sont accompagnés de musiques de l’époque : fox, be bop, slows, en alternance avec d’autres musiques plus classiques ou traditionnelles comme la valse, la litanie ou la berceuse. Le tango, le paso doble, la polka ou la mazurka colorent certains poèmes de leurs sons venus d’ailleurs. La voix du poète disparaît pour laisser place à celles d’Aimé Doniat, Fabien Loris ou Mouloudji. Les voix de femmes (Marine-Jeanne Popp, Jeannette Pico ou Catherine Sauvage…) alternent avec des chœurs d’enfants. Les noms d’artistes débutants, inconnus se mêlent à d’autres noms célèbres ou qui le deviendront.

Au total, sur cinquante chansons enregistrées, « une quinzaine furent vraiment réussies [17] », ce qui pour le producteur ne fut pas une mauvaise proportion. On comprend cependant que la réalisation fut une entreprise de longue haleine ‒ au point que deux autres séries seulement virent le jour, la première autour de Raymond Queneau (autre poète exclu du mouvement surréaliste) [18], la seconde autour du poète espagnol Federico Garcia Lorca [19]. Quant à Soupault lui-même, s’il s’est prêté très volontiers à l’expérience, il semble bien, d’après des propos à Serge Fauchereau (près de trente ans après il est vrai), avoir été déçu du résultat : « Mais moi ces chansons mises en musique ne me plaisaient pas [20]. »

Comment expliquer un tel jugement ? L’expérience radiophonique de Chansons d’écrivains dévoile, une fois de plus, l’ambivalence du poète face à la musique. Soupault auditeur radiophonique se distingue du poète qui écrit sa propre musique, crée son propre rythme, cadence ses mots selon son esthétique du son. Conscient du pouvoir de la musique qui parvient plus facilement au public et désireux de rapprocher l’auditeur de la poésie, il se découvre mal disposé à entendre chanter ses propres mots par d’autres. Il affirme ainsi à Georges Charbonnier dans l’émission Paroles de France déjà citée :

Un poème se lit, se dit ou se gueule et on essaye de comprendre. Par conséquent, il a un pouvoir, un potentiel considérable. Une chanson ça s’accepte, ça se fredonne, ça se murmure. Mais c’est accepté presque automatiquement à cause de l’accompagnement. Et je dois dire que lorsque j’entends les poèmes d’Apollinaire récités, ils me semblent beaucoup plus forts que quand c’est une chanson [21].

Michèle Finck a montré comment l’œuvre de Soupault tient à la fois « d’un salubre “la musique ou comment s’en débarrasser” et d’un désir de trouver un nouvel accord avec l’art sonore [22] ». Pour Claude Coste, « tout vient rappeler la présence, tantôt sourde, tantôt éclatante de la musique ; tout semble indiquer également que rien n’est simple dans l’univers sonore de Philippe Soupault [23] ». Les poèmes que Soupault nomme chansons, plus encore que ses autres textes, ont un rythme et une mélodie qui leur sont propres. Aucune musique ne peut reproduire celle qu’entend le poète en écrivant. Lui qui écrit dans Le Bon apôtre : « J’aime les sons, c’est mon mystère [24] » et qui affirme en 1957 que la radio va « nous donner un monde nouveau, celui des sons [25] », constate au fond que « cette fugitive musique que nous poursuivons, nous ne la découvrirons jamais [26] ».

Ce qu’on peut dire, c’est que, pour Soupault, les musiques ajoutées à ses poèmes les popularisent, mais en fardant d’un air parasite la musique de paroles des poèmes eux-mêmes : « La musique farde mais les fait accepter. Il est certain qu’une chanson presque tout le monde l’accepte », dit-il encore à Georges Charbonnier [27]. Les mélodies composées par d’autres altèrent la musicalité des mots du poète, cassent le rythme de ses phrases. La musique propre à ses chansons est étouffée. Les mots familiers, en revenant au poète ainsi « fardés », lui deviennent méconnaissables, comme s’ils ne lui appartenaient plus. Les mots incarnés dans d’autres voix le gênent parfois au plus haut point : « J’avais été choqué d’entendre Eddie Constantine chanter ma chanson “Mélancolie”. Je me rétractais », confesse-t-il à Serge Fauchereau [28]. « Choqué » témoigne d’un malaise profond, que traduit peut-être le silence de sept ans qui suit la publication de son recueil Sans phrases un an plus tard (1953). L’insaisissable Philippe Dada n’entend-il plus la voix qui lui dicte ses poèmes depuis ce jour de 1917 où il était sur un lit d’hôpital militaire ?

Mais à côté des propos tenus à Serge Fauchereau, on peut en mettre d’autres, plus ambigus, tenus à Claude Bonnefoy en 1976 dans l’émission Un poète vivant : « Je relis rarement mes poèmes, mes chansons… surtout quand je les entends chanter, alors là je suis étonné de voir que les chansons ont apporté quelque chose de plus à mes poèmes [29]. »

3. Un dialogue du poète avec lui-même

En 1952, Soupault se prête au jeu que lui propose Chouquet, qui est de tisser un texte autour de ces poèmes chantés :

Vous allez parler à la première personne. Vous allez dire « Je m’appelle Philippe Soupault, je suis né à Chaville ». Son œil s’alluma. Ce fut le déclic… Attention ! Philippe n’allait pas raconter l’histoire, ni les histoires de sa vie, mais il allait analyser les états d’âme qui l’avaient invité à écrire telle ou telle chanson et qui correspondaient aux sentiments qu’il avait éprouvés de sa première enfance à l’âge mûr [30].

Face au micro de la radio, « géante aux cent bouches » (Tardieu), le poète raconte, sur le ton de la confidence et d’une voix douce et posée [31], non pas son histoire directement mais celle de ses chansons… qui n’est autre que la sienne, l’histoire de ses premières années de vie : « Je m’appelle Philippe Soupault. Je suis né à Chaville, Seine et Oise au milieu des arbres [32] ». Il part à la recherche de l’origine de ses chansons afin de retrouver les sons, les bruits, les mélodies qui les ont motivées : « Ces chansons je crois qu’avant de les écrire, je les ai entendues au cours de mes rêveries, pendant mes rêves et mes songes [33] ». Ce voyage dans le temps est celui d’un poète qui tente de retrouver l’origine de son apprentissage des sons, des mots et de la vie comme il le déclare en guise d’introduction de la première émission de Chansons d’écrivains :

Toutes les premières années de mon enfance je les ai vécues à Paris dans cette capitale du bruit où tous les sons, tous les cris, tous les tumultes ont une puissance presque douloureuse. Tous ces bruits forment le décor de mon enfance parisienne. Je n’ai jamais pu les oublier. Ainsi les chansons que j’ai écrites marquent pour moi les étapes de ma vie d’enfant [34].

Ainsi se vérifie tout de même ce que Claude Debon écrit du passage de Queneau dans le même programme : « Tout se passe comme si la radio contraignait au dévoilement, couchait le questionné en quelque sorte sur un invisible divan [35] ». Tissant l’histoire de ses chansons comme pour redonner sens à ce que la musique masque, Soupault parle bien aussi de lui, même s’il dit ne pas aimer cela [36]. Dans cette série, il se confesse et interprète ses poèmes d’un même jet ; ses souvenirs se mêlent à ses textes et les chansons à ses souvenirs. De ces vases communicants, coulent des personnages, imaginaires, littéraires ou réels, rarement nommés par leur nom : enfants, parents, amis, jeunes filles de Chantilly, rémouleurs ou marchants d’habits. « Dans ce monde, d’étranges personnages passent et repassent comme de petits fantômes, mais des fantômes qui sauraient chanter [37]. »

Si de temps à autre Soupault interpelle ses auditeurs anonymes, par exemple pour leur dire que son enfance « est aussi la [leur] car le monde des enfants est celui de tous les êtres humains [38] », ce qui s’instaure au cœur de cette lecture à haute voix, c’est donc une sorte de dialogue entre lui et ses « chansons » : le poète leur parle et les écoute. Il en récite aussi quelques-unes, sans que l’auditeur s’en aperçoive, si ce n’est par la grâce d’un infime son de cloche annonçant le début et la fin de la lecture. Soupault dit en effet ses poèmes comme il parle, avec le même souffle, le même rythme, de sorte que leur mélodie se mêle parfaitement au rythme de sa narration que les chansons musiquées viennent rompre. Car plus encore que ses autres textes, les « chansons » de Soupault ont une mélodie, un souffle, une cadence qui s’inscrivent dans la continuité de la parole du poète. Nous suivons ici Meschonnic, pour qui Soupault « fait de ce qu’il appelle chanson un rythme, une invention du sujet [39] » :

Le rythme est conçu par lui intuitivement comme une organisation du sujet […] Le rythme n’est pas compris selon la mécanique métrique mais selon une régie mystérieuse du sujet, en termes d’images et non en rupture mais en continuité avec le « langage populaire », « le langage quotidien » [40].

L’écart entre les poèmes transformés en chansons et les poèmes « parlés » se révèle d’autant plus grand…

4. Chansons d’enfance et de mort

Les « chansons » dites ou musiquées dans la série de 1952 reprennent des rengaines des années où Soupault enfant apprend à parler et à aimer les mots, comme des bulles de savon. Tel l’enfant qui répète des mots pour se les approprier ou qui fredonne une comptine dans le noir pour se rassurer, le poète compose ses propres ritournelles à partir de voix du passé qu’il entend de façon presque obsessionnelle, et qui ne se taisent que lorsqu’il les a écrites. Lors de cette expérience radiophonique, il entend ces phrases qui se répètent au point de l’agacer. Malgré l’apparente variété des chansons choisies pour le programme, un signifiant ne cesse en effet de faire retour en ces ritournelles (comme dans son œuvre du reste) : ce quelque chose qui reste, qui se répète, est de l’ordre d’un réel qui résiste, d’un impossible à dire qui revient. C’est, ici, « la mort qui guette ou rôde […] constamment présente ou sous-jacente [41] ». Le mot « mort », un des premiers que Soupault ait appris « parce qu’on le prononçait toujours tristement [42] », fait retour d’une émission à l’autre de Chansons d’écrivains. Dans ces « chansons » d’enfance, la mort est omniprésente. Elle ressemble aux jours de la semaine (« Les jours ont aussi des couronnes / comme les rois et comme les morts ») ; elle habite l’âme du poète (« La mort dans l’âme et ailleurs »). Elle provoque aussi le désir de vivre par l’ombre de sa présence (« dépêchez-vous la mort vous guette »).

C’est d’abord la découverte de la mort de l’autre, celle d’un marchand d’habits « mort hier soir à Paris », « ce marchant d’habits dont le cri était si triste et qui à la lumière du souvenir allait devenir un funèbre leitmotiv [43] ». Chez Soupault des êtres meurent en emportant avec eux les bruits, les cris qui peuplent son imaginaire sonore. C’est aussi la sienne, car la mort de l’autre ‒ cette absence, ce silence – devient par contagion la mort de soi : « Et nous rêvions, et nous rêvions nous les enfants qui grandissions. Nous rêvions même que nous mourrions [44]. » Dans cette sarabande funèbre, les peurs de l’enfant sont tournées en dérision par la parole du poète qui subvertit la forme traditionnelle du proverbe :

Quel est celui d’entre nous

qui mourra le premier […]

Rira bien qui mourra le dernier

Tout sera à recommencer

Mourra bien qui naîtra le premier

Il faut quelqu’un pour commencer [45]

Soupault désamorce l’horreur de sa « musique drôle » et de ses « sons rieurs » jouant de ce que « Jankélévitch nomme à propos de Satie la fonction “désintoxicatrice” du son [46] ».

Le poète des Champs magnétiques célébrait le merveilleux comme voie d’accès au surréel, à ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement [47] ». Avec la radio, l’instrument merveilleux se manifeste de manière convaincante, dérangeant le réel qui ne cesse de s’écrire et de faire retour : « Les chansons sont des gouttes d’or / dont le refrain est la mort [48]. »

Notes

[1] « Chansons d’écrivains : Philippe Soupault », six émissions dominicales, du 30 mars au 4 mai 1952, Club d’Essai, 13h25-13h45.

[2] V. Amy Smiley, « Philippe Soupault, premier directeur de Radio-Tunis », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n° 96, avril-juin 2008, p. 152-155 On trouve des documents sur cette période dans le numéro 1 des Cahiers Philippe Soupault, 1994.

[3] Jean Tardieu, Grandeurs et faiblesses de la Radio, Paris, UNESCO, 1969, p. 41. L’ouvrage réunit notamment, à côté d’autres signatures, divers textes du poète réfléchissant aux relations entre la radio et les arts, spécialement la littérature.

[4] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, 2, 1997, p. 210.

[5] V. Pierre-Marie Héron, « Poésie et radio en France au XXe siècle. Repères et enjeux », commmunication au colloque international « La poésie hors le livre » (Paris, 16-18 octobre 2013), actes en préparation ; Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque, Paris, PUPS, 2015.

[6] Jean Tardieu, in Éliane Clancier, Le Club d’Essai de la Radiodiffusion française (1946-1960), mémoire de maîtrise en Histoire réalisé sous la direction de Pascal Ory, Paris I, 2002, p. 55.

[7] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », Cahiers Philippe Soupault, 1, 1994, p. 25.

[8] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 191.

[9] « Il ne suffit pas de parler dans un micro, pour être écouté » (Baptiste Hupin et Anne-Catherine Simon, « Analyse pronostylistique du discours radiophonique », Recherches en communication, n°28, 2007, p. 103).

[10] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », op. cit., p. 25.

[11] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 192.

[12] Soupault, archive diffusée dans « Les Greniers de la mémoire : Philippe Soupault, 2ème émission », Christine Amado (réal.), France Musique, 3 janvier 2011.

[13] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit. Le poète, se souvient Chouquet, « adorait toutes les chansons, sauf les débiles, les banales, les vulgaires » (Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 214). Plus généralement, Soupault, à la différence de Breton, s’intéresse à la musique. Son goût pour le jazz s’exprime dans ses romans avec des personnages comme le musicien de jazz Edgar Manning dans Le Nègre ou le chanteur Ralph Putnam dans Le Grand Homme.

[14] V. Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965), op. cit.

[15] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 213.

[16] Roland Dhordain, Le Roman de la radio de la TSF aux radios libres, Paris, Éditions de la Table ronde, 1983, p. 144. V. dans ce dossier l’article de Céline Pardo.

[17] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 196.

[18] Six émissions du 16 novembre 1952 au 1er février 1953. Le texte des émissions a été publié par Claude Rameil dans La TSF de Raymond Queneau (Cahiers Raymond Queneau, 1, 1997).

[19] Deux émissions, les 15 et 22 février 1953.

[20] Philippe Soupault, Vingt mille et un jours, entretiens avec Serge Fauchereau, Paris, Belfond, 1980, p. 226.

[21] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.

[22] Michel Finck, « Esquisse d’une poétique du son », in Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Patiences et silences de Philippe Soupault, Paris, L’Harmattan, p. 270.

[23] Claude Coste, « La Musique dans la vie et l’œuvre de Philippe Soupault », in Myriam Boucharenc & Claude Leroy (dir.), Présence de Philippe Soupault, Caen, Presses universitaires de Caen, 1999, p. 275.

[24] Philippe Soupault, Le Bon Apôtre, Paris, Lachenal & Ritter, 1988, p. 70.

[25] Philippe Soupault, « Un monde nouveau », Cahiers d’Études de Radio-Télévision, n° 16, 1957, p. 351-353.

[26] Philippe Soupault, Le Bon Apôtre, op. cit. p. 115-116.

[27] Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.

[28] Philippe Soupault, Vingt mille et un jours, op. cit., p. 226-227.

[29] Philippe Soupault, archive diffusée dans Les Greniers de la mémoire, op. cit.

[30] Jean Chouquet, « Mes belles années… », op. cit., p. 194. On retrouve dans un livre de Soupault bien postérieur, Apprendre à vivre (1977), non seulement, comme on sait, des parties entières d’Histoire d’un Blanc, mais aussi certains passages de Chansons d´écrivains.

[31] Alors que l’on célèbre à l’époque le naturel improvisé de Claudel à la radio, très éloigné du débit contrôlé de Cocteau, Soupault, le poète de l’écriture automatique, l’ennemi de la rature, offre en 1952 une émission où la spontanéité du premier jet a disparu.

[32] Début de la première émission.

[33] Émission du 30 mars 1952.

[34] Ibid.

[35] Claude Debon, « Petite radioscopie quenienne », in Pierre-Marie Héron (dir.), La radio d’art et d’essai après 1945, Montpellier, Presses Universitaires de Montpellier, 2006, p. 248.

[36] « Me voilà arrivé au bout de mon rouleau, au bout de la bande magnétophone et j’avoue que j’ai déjà bien trop parlé de moi », dit-il dans la dernière émission (4 mai 1952).

[37] Émission du 30 mars 1952.

[38] Ibid.

[39] Henri Meschonnic, « Le Rythme de Philippe Soupault », in Portrait(s) de Philippe Soupault, Mauricette Berne & Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1997, p. 149.

[40] Id., p. 151.

[41] « Mes belles années… », op. cit., p. 192.

[42] Émission du 30 mars 1952.

[43] Ibid.

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] Michèle Finck, « Esquisse d’une poétique du son », op. cit., p. 281.

[47] André Breton, « Second manifeste du surréalisme » (1930), in Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1995, p. 72-73.

[48] Philippe Soupault, « Chanson des sourds-muets », in Georgia, Epitaphes, Chansons, Paris, Gallimard, « Poésie/Gallimard », 1984, p. 243.

Auteur

Myriam Mallart enseigne la littérature française et francophone à l’Université de Barcelone. Elle est spécialiste de Soupault auquel elle a consacré sa thèse Les figures de l’autre chez Philippe Soupault. Une approche linguistique du discours poétique (université de Barcelone, 2005) et différents articles : « Philippe Soupault et J. V. Foix : confluences » (2004), « Les Chansons de Philippe Soupault : forme poétique ou mode d’écriture ? » (2009), « Philippe Soupault : poète de son temps, un “temps tremblant comme la folie” » (2010), « Formulettes et refrains (les chansons d’enfance de Philippe Soupault) » (2012), « Un surréaliste au temps de la Révolution Nationale » (2013).

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Un « ballet radiophonique » de Philippe Soupault

Résumé

Avec L’Étrange aventure de Gulliver à Lilliput, Philippe Soupault semble se lancer dans un projet paradoxal : celui de faire du ballet une forme radiophonique. Mais que peut bien devenir sur les ondes un art avant tout corporel, visuel et non verbal ? Quelle est la validité de l’étiquette générique « ballet radiophonique » ? Nous tentons d’explorer ces questions en nous appuyant sur d’autres pièces qui, à la même époque, s’inscrivent dans cette catégorie, mais aussi sur les discours que le poète lui-même a tenus sur la danse et le ballet. Pour comprendre quelle scène ce « ballet radiophonique » invente pour la danse, et à quel spectacle il invite l’auditeur.


With L’Étrange aventure de Gulliver à Lilliput, Philippe Soupault seems to have taken on a paradoxical project: to adapt ballet for radio. What happens to a primarily corporeal, visual, non-verbal art form when it moves to the airwaves ? How useful is the generic label “radio ballet” ? We try to explore these issues by considering other works from the same period which belong to this category, as well as the poet’s own writings on dance and ballet. Thus we try to understand what kind of performance space the “radio ballet” invents, and what kind of show it offers the listener.


Texte intégral

La pièce radiophonique de Philippe Soupault intitulée L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput frappe par son sous-titre à l’allure paradoxale : « ballet radiophonique ». C’est en effet sous cette étiquette qu’elle est présentée en 1958 dans le cadre des Soirées de Paris [1]. On doit la réalisation à Bronislav Horowicz, la musique à Serge Nigg, tandis que le texte est interprété par François Périer. La pièce remporte le prix Italia en 1959. L’idée de transposer un spectacle, c’est-à-dire une représentation visuelle, à la radio, médium du son et non de l’image, est certes aussi celle du théâtre radiophonique. Toutefois, là où le terme « ballet » étonne davantage, c’est qu’à la différence du théâtre, le ballet est traditionnellement une représentation non verbale, qui, du moins dans son format traditionnel, transforme les mots du livret en mouvements dansés, la trame dramatique en action chorégraphique. S’il y a donc des mots à l’origine du ballet, ils ne font pas partie, à proprement parler, de l’œuvre chorégraphique. On lit les pièces de théâtre, on lit plus rarement les livrets de ballet. L’expression « ballet radiophonique » invite en cela à se demander ce que peut devenir sur les ondes un art avant tout corporel, visuel et non verbal.

Peut-on parler d’un genre du ballet radiophonique ? La question pourrait sembler incongrue, s’il n’existait un ensemble de textes à s’inscrire dans cette catégorie. Citons Le Joueur de flûte (1956) sur un texte et une musique de Marius Constant [2] ; Ballet pour les oreilles (1957) de Juan Peñalver [3], Petit Drame à six instruments d’Alexandre Arnoux (1958) [4], ou encore La Femme têtue de Jean Lescure (1959) [5]. Ces textes ont la particularité de mêler récit, jeu théâtral, musique et chants, mais le nombre de textes que nous avons pu comparer reste réduit et marqué par une hétérogénéité qui embarrasse pour parler de genre. À cela s’ajoute l’instabilité de la désignation « ballet radiophonique », qui, pour une même œuvre, peut subir la concurrence d’opéra radiophonique[6] ou d’opéra-ballet radiophonique[7]. C’est notamment le cas du Joueur de flûte de Marius Constant[8].

Le Gulliver de Philippe Soupault semble donc bien difficile à classer. Non sans raison on l’évoque parfois en même temps que son théâtre radiophonique, ou bien, eu égard à la place faite au chant et à la musique, à l’occasion d’analyses sur ses incursions du côté de l’opéra [9]. On retient donc ce qui fait que ce texte hybride se rattache d’une part au théâtre, d’autre part à l’art lyrique. La question sera plutôt pour nous d’essayer de comprendre ce qu’il peut y avoir de chorégraphique dans cette œuvre ; nous ferons ainsi le pari que l’expression « ballet radiophonique » n’est pas une simple approximation. Un premier argument en faveur de cette lecture réside dans l’intérêt que Soupault a manifesté pour l’art de la danse.

1. Soupault, le ballet et la danse

1.1. Les attaques contre les Ballets russes

Soupault a eu des mots durs contre le ballet. Il utilise notamment la rubrique « Spectacles » de Littérature pour tirer à boulets rouges sur les Ballets russes. La Boutique fantasque, un spectacle monté en 1919 par la troupe de Diaghilev, le fait s’exclamer :

Que d’art ! que d’art ! Et ça va durer encore longtemps. Nous étouffions dans ce théâtre. Jusqu’au dernier accord, j’espérais qu’un spectateur allait se jeter d’une galerie. On aurait vu du sang, je n’ai vu que des sourires, et des sourires. Sur la scène, on immolait André Derain [10].

En 1920, il s’en prend au Bœuf sur le toit de Cocteau, et à la musique de Milhaud, « triste comme un bonnet de nuit [11] ». Ce que Claude Coste dit de la vie musicale de l’entre-deux-guerres pourrait vraisemblablement s’appliquer à l’art chorégraphique et expliquer en partie la complexité des rapports que Soupault a entretenus avec la musique comme avec la danse : « Contrairement à la littérature ou à la peinture, la vie musicale française s’est développée en liaison étroite avec la mondanité. Devant ce phénomène, la réaction d’un Soupault, grand bourgeois révolté, ne pouvait être que franchement hostile [12]. »

Son activité critique en matière de danse reste très liée à des cibles sur lesquelles il ne cesse de revenir, que ce soit dans Terpsichore (1928), son essai consacré à la danse, dans ses entretiens avec Serge Fauchereau ou dans ses souvenirs. Il semble avoir à cœur d’affirmer et de justifier son rejet d’une entreprise bourgeoise, mondaine, entachée par la quête du profit et propice à toutes les compromissions. Toutes ces tares étant incarnées par Jean Cocteau, qu’il a haï avec une constance remarquable. Dès lors il est permis de s’interroger : les textes de Soupault sont-ils le reflet d’une véritable pensée sur la danse, ou bien le lieu d’un règlement de compte ?

1.2. Le refus de la scène de théâtre : danse versus ballet

L’essai consacré par Soupault à la danse, parce qu’il ne se contente pas de fustiger le ballet de son temps, invite à approfondir la question. Dans ses entretiens avec Serge Fauchereau, Soupault évoque le contexte de cette publication :

J’ai d’abord été intéressé par ce qu’on appelle les danses folkloriques, alors que je n’aimais pas les ballets (ceux que j’avais vus au théâtre du Châtelet) parce qu’ils me semblaient artificiels et ennuyeux. Mais c’est surtout quand je fréquentais les Noirs américains que je me suis intéressé à la danse. Presque à la même époque, j’ai été séduit par la danse d’Isadora Duncan. Lorsque mon ami Jean Prévost qui dirigeait une collection intitulée « Les neuf muses » m’a demandé d’y collaborer, j’ai choisi la muse de la danse et commencé à écrire l’essai intitulé Terpsichore. Deux parties : d’abord louange de la danse spontanée de mes amis noirs et d’Isadora Duncan, puis une critique sévère des ballets russes de Diaghilev dont j’avais d’abord aimé les Danses du prince Igor mais qui peu à peu étaient devenus une entreprise de spectacles pour le Tout-Paris snob, bien entendu inspirée par Cocteau. C’est tout dire [13].

Soupault oppose ici le genre artificiel du ballet à la danse (prétendument) naturelle d’Isadora Duncan, ou à celle qui se pratique en marge des espaces de représentation institutionnels, comme c’est alors le cas de la danse jazz. Soupault s’intéresse plus largement, il le précise, aux danses folkloriques, aux danses populaires, autrement dit aux danses qui ne sont pas scéniques mais sociales. En cela, le refus du ballet semble se confondre avec le refus de la composition chorégraphique. Dans Terpsichore, Soupault se décrit ainsi fasciné par une jeune fille qui danse dans une église : « Sa danse frénétique était pure et belle parce qu’elle ne voulait pas étonner mais avant tout aimer [14]. » Il faut sans doute voir ici une allusion à la célèbre injonction (« Étonne-moi ») que Diaghilev adresse à Cocteau. Sous la plume de Soupault, l’intention d’étonner renvoie à une construction factice, alors que la danse qui l’émeut est tout entière du côté de l’improvisation, de la spontanéité, d’un art qui ne chercherait pas à maîtriser ses effets. Soupault considère ainsi que « la chorégraphie a probablement été [pour la danse] une de ses pires ennemies. On peut noter la musique, on peut et on doit écrire la poésie, mais la danse pas plus que le chant ne permet qu’on le fixe [15]. » Claude Coste établit un parallèle intéressant entre les idées de Soupault sur la danse et ses conceptions littéraires : « Soupault retrouve aux sources de la danse la même passion qui anime l’écriture automatique : même désir de parcourir l’espace, de vivre et d’écrire en direct, sans brouillon, au plus près de la spontanéité [16]. » Le poète semble donc établir une nette distinction entre la danse et le ballet, au détriment de ce dernier qu’il situe du côté de la représentation, de la scène et donc de l’artifice.

1.3. Ballet à la radio, ballet à la télévision : des projets populaires ?

Que le ballet radiophonique puisse être pour Soupault un moyen de dire « oui » à la danse, mais « non » à la scène, trouve peut-être une confirmation dans l’intérêt qu’il porte aux média radiophonique et télévisuel. On pense notamment à son opéra-ballet pour la télévision, La Nuit du temps, diffusé en 1962 [17]. Et surtout à un autre projet, resté inabouti, mais qui se présente comme un projet de ballet télévisuel. Le titre de ce qui s’apparente à une première version, Les Sons et les couleurs [18], devient par la suite Correspondances [19] ; un extrait du poème de Baudelaire placé en épigraphe (« … Les couleurs et les sons se répondent ») rend explicite la référence et témoigne une fois de plus du goût de Soupault pour l’adaptation des œuvres des autres [20]. L’argument du ballet, dont voici un extrait, liste les entrées et sorties des danseurs :

1) Rideau arc en ciel

(ouverture musicale)

2) Lever du rideau

Fond gris

3) Entrée des danseurs bleus

(3 ou 6 danseurs en collant bleu, très bleu)

Thème du bleu pour la musique

Danse des danseurs bleus

4) Les danseurs bleus s’effacent

5) Entrée des danseurs (ou danseuses) jaunes

Thème du jaune pour la musique

Danse des danseurs jaunes

6) Les danseurs jaunes s’effacent

7) Entrée des danseurs rouges

Thème du rouge pour la musique

8) Les danseurs bleus et les danseurs jaunes se mêlent aux danseurs rouges [21]

On constate au passage que ce livret est fort éloigné du ballet radiophonique Gulliver : le texte n’est pas narratif, mais relève plutôt du plan de mise en scène, signalant les passages en scène de différents groupes de danseurs, qui ne semblent pas répondre à une nécessité dramatique. Ce texte programme un ballet abstrait, fondé sur la composition spatiale et les associations optiques de couleurs. Soupault donne ainsi l’impression de tenir compte de la spécificité du médium et de ses potentialités visuelles.

De fait, le ballet télévisuel détourne certes le ballet de la scène mais aboutit à un objet moins paradoxal que le ballet radiophonique. La télévision est en effet un médium de l’image qui, comme la scène, sollicite la vue. Le point commun avec la radio se situe par contre dans sa dimension populaire. La radio comme la télévision peuvent prétendre importer le ballet chez l’auditeur ou chez le téléspectateur, et constituer un antidote au cadre bourgeois de la scène de théâtre.

En cela, le rapport de Soupault à la danse n’est peut-être pas sans lien avec celui d’Aragon. Le condisciple de Breton a conspué l’art du ballet, participant au sein du groupe surréaliste au sabotage de plusieurs représentations : Mercure en 1924, contre Satie ; Roméo et Juliette en 1926, contre Mirò et Ernst. Et pourtant, il adapte pour la radio un livret de ballet de Descartes, La Naissance de la paix, en 1937 [22]. Adapter un ballet du xviie siècle pour la radio, c’est se placer à distance du genre du ballet, en refusant le dispositif scénique ; c’est également se placer à distance des formes contemporaines du ballet, car le ballet de cour appartient à l’histoire de la danse et ne produit alors plus d’œuvres scéniques. Mais Soupault d’une certaine façon va plus loin car, à la différence d’Aragon, il n’adapte pas un texte déjà écrit pour le ballet : son intention, ainsi que l’expression « ballet radiophonique », se laissent plus difficilement interpréter.

2. Ce qu’il reste du ballet à la radio : une action racontée en musique

La première hypothèse consiste à considérer que le mot « ballet » serait là, non pour désigner le spectacle scénique du ballet et annoncer un audacieux travail de transposition, mais pour souligner la présence marquée, dans cette pièce radiophonique, de certaines composantes du ballet : non pas la scène, non pas la danse, mais le livret de ballet et la musique.

2.1. Entre jeu et récit

On peut relever une affinité entre le Gulliver de Swift revu par Soupault et l’univers du ballet. Traditionnellement, le ballet puise volontiers ses sujets dans la littérature merveilleuse. Claude Coste observe d’ailleurs que Soupault dans son adaptation a gommé la dimension satirique du texte pour ne retenir « qu’une belle histoire à raconter [23] ». L’atmosphère est en effet celle du conte et du « il était une fois », tandis que le jeu des acteurs est appuyé, le ton naïf. En cela, la pièce rappelle le goût de Soupault pour l’enfance [24].

Mais plus encore que l’inventio, la dispositio de Gulliver mérite d’être étudiée de près. Le théâtre radiophonique suppose la présence de dialogues, éventuellement associés à des didascalies lues [25], tandis que le « ballet radiophonique » pourrait permettre, en référence au livret de ballet, de désigner une forme narrative, ou une forme hybride, à mi-chemin entre le théâtre et le récit. Comme le souligne Hélène Laplace-Claverie, le livret de ballet comporte deux niveaux d’écriture :

[…] un niveau proprement didascalique, relatif aux conditions matérielles de la représentation, et un niveau non didascalique en dépit des apparences, relatif à l’action proprement dite et à sa description ; ce deuxième niveau narrativo-descriptif correspondant à la partie dialoguée dans un texte de théâtre ordinaire [26].

La dimension narrative domine en effet dans les quelques ballets radiophoniques de la même époque que nous avons pu écouter. Dans Le Joueur de flûte, c’est une voix d’enfant qui raconte [27]. Il n’y a pas de dialogues et le seul élément de discours direct correspond au discours du gouverneur interprété par cette même voix d’enfant. Les autres voix du ballet chantent des airs, la plupart du temps sans paroles. Dans Petit Drame à six instruments, l’action est racontée, les paroles tantôt rapportées et intégrées à un récit, tantôt jouées par un récitant [28]. Enfin, dans son Ballet pour les oreilles, Juan Peñalver adopte une forme mixte. On distingue des instances narratives qui décrivent et racontent le ballet, mais la parole est aussi confiée à des protagonistes (la Neige, le Soleil, la Mort) qui monologuent ou dialoguent entre eux [29].

Dans Gulliver, la forme choisie est elle aussi complexe. Le héros nous conte son aventure passée, mais en revivant l’action au présent :

Ce qu’il advint de mes cinq compagnons, je ne saurais le dire, mais je pense qu’ils périrent tous. Quant à moi, je nageai au hasard, poussé par le vent et la marée. Je réussis enfin à aborder sur une grande plage, et je marchai quelque temps. Mais j’étais si las, que je m’étendis sur l’herbe, au pied d’un arbre, et que je m’endormis profondément…

Musique. (Interlude musical — Le sommeil de Gulliver)

Gulliver (baille)

[parlé]

Quel beau temps ! Où suis-je ? Que se passe-t-il ? Je ne peux même pas lever le bras, ni les jambes, ni la tête !… ni le petit doigt… Je suis paralysé… Mais ma parole ! on m’a ligoté [30] !

Le récit prend ainsi la forme d’un long monologue qui par ses descriptions joue aussi un rôle didascalique :

Mais ce ne sont pas des fourmis, ce sont des petits soldats, pas plus grands que des petits soldats de plomb ! Ils s’approchent de mon menton ! Ils vont atteindre mes yeux !…

(Cris des petits soldats lilliputiens qui s’achèvent comme une charge. — Trompettes. Roulements de tambour.)

Ils se lancent à l’assaut ! Ils tirent leurs arcs. Et je ne peux pas bouger ! Oh ! mais cela pique  [31]

La communication s’avérant difficile avec les Lilliputiens, le dialogue est quasiment absent du livret, si ce n’est à la fin :

(Magnétophone[32].

« L’empereur souhaite vous charger d’une mission d’une importance considérable. Il espère que vous accepterez »

Gulliver

Comment pourrais-je refuser à l’empereur, dont l’hospitalité m’a charmé, de me charger de cette mission ?

Le petit homme court vers l’empereur, qui a l’air enchanté de ma réponse. Le petit homme vient vers moi, grimpe sur mon visage et s’assoit dans le creux de mon oreille. De quoi s’agit-il ?

(Discours de l’envoyé du Roi)

« L’empire de Lilliput est menacé par son ennemi héréditaire, l’empire de Blefuscu. Une guerre sanglante divise ces deux empires depuis trois cent trente saisons. Au cours de trois batailles, Lilliput a perdu quarante vaisseaux de ligne. Les pertes de l’ennemi sont, heureusement, encore plus considérables. Néanmoins, ils ont équipé une nombreuse flotte et se préparent à faire une descente sur les rivages de Lilliput. Sa Majesté Impériale, confiante en votre courage et en votre force, souhaite que vous détruisiez la flotte de ses ennemis [33] ».

C’est donc la parole de Gulliver qui domine et remplit plusieurs fonctions : monologue intérieur, discours direct adressé aux Lilliputiens (dans le cadre d’un dialogue mais qui reste à sens unique jusqu’à ce que Gulliver leur enseigne sa langue), récit et description.

Les différents brouillons mettent en évidence une théâtralisation du texte. Tandis que les premières versions se signalent par l’importance accordée à la description et à la narration, le dialogue occupe plus de place dans la dernière version. Tout se passe comme si, d’un texte qui aurait pu faire office de livret de ballet, on évoluait vers une forme plus propice à une interprétation radiophonique. Ainsi, dans les premières versions, l’échange entre Gulliver et l’envoyé du Roi que nous venons de citer se résumait à deux phrases : « Dès que le ballet est terminé, l’empereur envoie un messager à Gulliver pour lui demander son aide contre ses ennemis qui préparent une flotte pour envahir l’empire de Lilliput. Gulliver accepte. Tout le peuple se réjouit [34]. » De même, alors que dans la version définitive, le début du ballet prend la forme d’un récit que Gulliver s’adresse à lui-même, un premier état du texte développait une narration à la troisième personne :

Version du premier sous-dossier :

1. Au cours d’une traversée vers les Indes INDES oOrientales, le navire de dont Gulliver est était le médecin fut entraîné par une violente tempête vers la Tasmanie. La violence

Après la tempête du Le vent furieux poussa le navire vers des écueils où il se fracassa.

Gulliver, X mit une chaloupe à la mer mais elle coula et il dut longuement nager au milieu de la tempête [35].

Version définitive :

Ouverture. (Atmosphère de tempête sur la mer. Naufrage du vaisseau).

Gulliver (parlant à lui-même)

Au cours d’une traversée vers les Indes Orientales, une violente tempête entraîna notre navire, un magnifique trois-mâts, l’Antilope, vers les Nord-Ouest de la Tasmanie [36].

2.2. La place de la musique

Dans Gulliver, comme dans un ballet, toute l’action se déroule sur la musique.

Sur cette question de la musique, les ballets radiophoniques contemporains font état de pratiques diverses. Ainsi dans Ballet pour les oreilles, après un générique en musique, le dialogue commence sur un fond silencieux. Et peu après, l’auteur intervient pour insister sur ce choix du silence :

Le poète : […] L’orchestre silencieux de votre préférence est composé par des instruments que vous-mêmes choisirez dans votre imagination.

La muse : Monsieur l’auteur raté, vous oubliez un détail important. Toute évocation de musique concrète est sévèrement interdite.

Le poète : Alors, une pluie de silence avant que le rideau se lève !

Bruit de pluie [37].

La musique est ainsi cantonnée au discours didascalique : « La musique jusqu’alors exubérante, ivre de joie, subitement se change en un lugubre tam-tam de mort. Le soleil tout à coup fixe se décolore, la mort fait son apparition et danse autour de la pomme […] [38] ». En réalité, la musique se fera entendre mais de façon très brève, sous forme d’intermèdes interprétés par un chœur [39]. Dans Petit Drame à six instruments, la musique est plus présente. La voix du récitant tantôt se superpose à elle, tantôt s’exprime en silence, tantôt laisse complètement la place aux instruments. Ces différentes possibilités sont également exploitées dans Le Joueur de flûte.

Dans le cas de Gulliver, on pourrait parler de « ballettisation ». Les premières versions prévoyaient en effet de faire alterner texte et musique [40]. Mais dans la version diffusée, la musique instrumentale accompagne le récit de Gulliver ainsi que les dialogues, tandis que les échanges parlés cèdent plusieurs fois la place au chant. Certains passages musicaux sont sans textes, comme l’indiquent les mentions « interlude musical » ou « musique » du livret. Comme dans un ballet, tout se passe donc en musique. Cette importance accordée à la musique fait écho à un propos que tient Soupault dans Terpsichore : « Le chant et la danse sont des arts de même essence. On a beaucoup oublié cette vérité au cours des siècles, on a perdu de vue Terpsichore [41]. » L’un des enjeux de Gulliver est peut-être de les réunir. Au cours des réécritures, un passage du ballet subit à cet égard des modifications intéressantes :

1er sous-dossier : « Tout en dansant ils coupent les liens qui paralysaient Gulliver. Musique. »

2e sous-dossier : « Tout en dansant une valse ils coupent les liens qui paralysaient Gulliver. »

4e sous-dossier (équivalente à la version définitive) : « Ils coupent scient les fils tout en chantant, selon leur coutume. (chant valse des scieurs) [42] »

On observe que ces différentes versions font état d’une hésitation entre la danse et le chant, et que le texte retenu choisit, comme Soupault le préconise dans Terpsichore, de les associer.

Si le livret de Gulliver contient bien des ingrédients du ballet, il n’en reste pas moins que le principal, la danse, fait défaut. Cette pièce, de par son sous-titre, convoquerait donc le ballet de façon paradoxale, en évacuant ce qui en fait la matière principale, c’est-à-dire le mouvement, le corps. Mais l’absence de l’ingrédient principal ne serait-elle pas l’indice d’une intention de transposition ? Un ballet radiophonique pourrait ainsi ambitionner de trouver un équivalent sonore à la danse, un substitut imaginaire au spectacle visuel.

3. Du spectacle sonore au spectacle imaginaire

Avant d’explorer plus avant cette hypothèse, soulignons qu’il est en fait inexact d’affirmer que la danse est absente de la pièce puisqu’elle y est thématisée. Il peut paraître décevant d’appréhender cette catégorisation générique de « ballet radiophonique » sous l’angle d’une présence thématique de la danse et du spectacle, car le paradoxe s’en trouve atténué. Gulliver serait en effet un ballet radiophonique pour la simple raison que le ballet serait son sujet, au point de contaminer le titre. « Ballet » désignerait la matière fictionnelle plus que la forme. Toutefois, à y regarder de plus près, il semble que cette présence thématique nous conduise tout droit à la question de la transposition.

Prenons la scène dans laquelle Gulliver et les Lilliputiens ne peuvent pas communiquer verbalement puisqu’ils n’ont pas la même langue :

Ce petit personnage qui s’avance vers mon oreille droite, doit être un grand personnage…

Il est tout vêtu d’argent, et son chapeau est orné de plumes…

Il est armé d’une petite baguette…

Les petits soldats se mettent au garde-à-vous. Il s’avance avec majesté. Derrière lui, on apporte une échelle. Il grimpe. Il fait un geste de la main, il ouvre la bouche. On croirait qu’il va faire un discours…

(Discours incompréhensible de l’envoyé de l’Empereur. — Bande magnétique, passant à toute vitesse).

Gulliver

Je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte… Il se tait, salue. Il attend certainement une réponse. Je vais essayer de lui expliquer… Miam, miam… Manger, miam… miam… Huff, huff… boire, glouglou, huff, huff… Le personnage vêtu d’argent a l’air d’avoir compris [43].

C’est ici le langage corporel, soutenu par des onomatopées, qui permet à Gulliver et aux Lilliputiens de se comprendre. Les seuls éléments que Gulliver peut interpréter sont corporels : la voix, le ton, les gestes, l’apparence. Un des enjeux abordés par cette pièce est donc celui de la communication. Et par là même, l’intrigue de Gulliver renvoie de façon plus inattendue aux enjeux du ballet scénique : imposer aux personnages de se faire comprendre par leur corps, voilà qui fait penser à la mission des danseurs et du chorégraphe, qui, partant du livret au ballet, doivent convertir l’expressivité des mots en expressivité du corps [44]. Le corps doit rendre lisibles l’action et l’intention des personnages. De même que Gulliver déchiffre les attitudes corporelles des Lilliputiens, il semble exister pour eux avant tout par sa présence physique. Les Lilliputiens le rebaptisent « la Montagne qui marche [45] ». De fait, il doit bouger très lentement pour ne pas effrayer ses hôtes : « il est préférable que je marche à quatre pattes ! Ils auront moins peur [46] ! », explique-t-il. Il précise également être « courbaturé [47] » : comme pourrait l’être un sportif, mais aussi un danseur.

Quand Gulliver décide ensuite d’apprendre le français aux Lilliputiens, il le fait par le chant et la danse :

Il faudrait tout de même que je me fasse comprendre ! Si je leur apprenais les syllabes comme on me les apprenait lorsque j’allais à l’école !… Je puis toujours essayer. B-A… BA… C-A… CA… Ils m’écoutent attentivement… Ils s’approchent de mon oreille…

(Les petits hommes noirs répètent en chœur : B.A. ‒ BA).

Qu’ils sont malins et vifs ! Ces petits hommes sont vraiment d’une remarquable intelligence !… Ils ont l’air bien content d’avoir deviné ce que je leur proposais ! Je continue : D.A : DA. — Les voyelles maintenant : A ‒  E ‒  I ‒  O ‒  U… Les petits hommes répètent tout en dansant [48]

Et Gulliver de conclure : « C’est une bonne méthode que d’apprendre à parler en dansant [49] ». Dans l’intrigue de cette pièce, le corps est donc ce qui donne accès au verbe et permet d’entrer en contact avec l’autre. De même, dans l’art du ballet, le corps rend l’action intelligible et construit du sens. Mettant en abyme les enjeux du ballet, Soupault en révèle aussi peut-être la portée anthropologique.

La danse est un outil d’apprentissage mais elle est aussi présente sous sa forme spectaculaire, à travers des intermèdes. En cela, ce « ballet radiophonique » peut rappeler la structure de la comédie-ballet [50]. Le premier interlude chorégraphique intervient après le repas que les Lilliputiens offrent à Gulliver :

Les voilà qui se mettent à danser !… Est-ce un usage chez eux après le repas ?

(Danse des Lilliputiens)

C’est joli, cette danse, mais je crois que je vais me payer une petite sieste [51] !

Le deuxième passage dansé correspond au moment que nous avons évoqué, celui de l’apprentissage du français, qui donne lieu à une « (Polka des voyelles[52] ». Quelques instants après, Gulliver s’écrie : « Voilà d’autres petits bonshommes qui arrivent !… Ils sont vêtus de vêtements de toutes les couleurs. Ils jonglent avec des petites boules. Ce sont des baladins. Ils me jouent une comédie [53]. » Quant à l’épisode suivant, il se déroule dans le palais de l’empereur où

[d] es dizaines de petits danseurs bondissent suivis par des dizaines de petites danseuses, vêtues de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, légers comme des papillons, s’élancent, bondissent et se mettent à danser.

(Ballet des Lilliputiens).

Je n’ai jamais vu des danseurs aussi vifs et disciplinés…

(Reprise du ballet[54].

Ici le texte se tait pour laisser la place à la musique et à la rêverie de l’auditeur [55]. Céline Pardo, à propos de la série d’émissions dans laquelle s’inscrit le Ballet pour les oreilles de Peñalver, souligne que son titre, Petit théâtre du poète, « révèle l’un des usages que faisaient alors certains auteurs de la radio : sur le modèle théâtral, la radio apparaissait comme une sorte de scène permettant de représenter un drame sonore, visible non pas aux yeux mais à la seule imagination auditive [56] ». Voilà qui semble parfaitement s’appliquer au ballet radiophonique de Soupault. Gulliver, au moment où les Lilliputiens se mettent à danser, passe du double statut de conteur et de personnage à celui de spectateur, et nous-mêmes passons du statut d’auditeur à celui de spectateur, mais de notre propre spectacle. Le propre de cette représentation mentale est d’échapper à la contrainte, Soupault le souligne avec humour : « les danseurs s’envolent aussi vite qu’ils sont venus [57] » ; de fait nous sommes à la radio et les mots sont tout-puissants.

Le Ballet pour les oreilles de Juan Peñalver se présente d’ailleurs comme une revanche sur le milieu chorégraphique. Cette pièce serait le résultat d’une reconversion en œuvre radiophonique d’un projet scénique rejeté. Alors que l’on vient d’assister à un dialogue entre les deux protagonistes, l’auteur intervient :

Vous avez entendu les voix du soleil rouge et de mademoiselle la neige, les deux ravissants protagonistes de mon ballet La Neige rouge qui m’a été refusé par toutes les meilleures troupes de ballet du monde. La distribution du ballet comporte aussi des rôles éclatants, tels des fleurs, la campanule saumon, la campanule lilas, la campanule jaune, l’œillet bleu et l’œillet écarlate. Cinq soleils habillés en cinq tonalités de rouge différentes complètent la distribution du ballet que vous allez entendre [58].

Rien ne nous garantit évidemment que cette réorientation du texte vers la radio ne relève pas de la fiction [59]. Mais que l’écrivain ait choisi de concevoir un ballet sans chorégraphes ni danseurs, ou qu’il y ait été contraint, peu importe. Son ballet radiophonique devient un lieu d’affirmation de sa liberté, et de celle du spectateur à qui la vision du ballet appartient. Cette vision excède d’ailleurs le cadre de l’écoute, ne s’arrête pas avec la musique, comme le suggère le narrateur des Dernières Nuits de Paris :

La musique est tout à coup présente, tournant comme la fumée. On ne peut dire évidemment qu’on la perçoit, mais elle s’agite et s’impose. Elle rampe dans les allées désertes, s’accroche aux branches des arbustes, écrase les statues. C’est une musique que l’on voit et que l’on n’entend plus car elle n’est à cette heure que le souvenir de la musique [60].

La perception de la musique est d’autant plus forte qu’elle est à l’état de souvenir, semble nous dire Soupault. Il met ainsi en évidence la force du travail de l’imaginaire, capable de percevoir visuellement les formes d’un art de l’audition, et de faire d’une musique un ballet.

Conclusion

Parce que la danse est pour Soupault du côté de l’improvisation et de la beauté naturelle, elle ne semble pouvoir se réaliser pleinement qu’en marge de la scène. Condamné en tant que genre à la scène et donc à l’artifice, l’issue pour le ballet est peut-être de devenir un art de l’imagination : la seule scène autorisée, la seule construction chorégraphique qui vaille, c’est celle de notre rêverie. On comprend mieux dès lors pourquoi la radio devient pour Soupault un médium adapté, si ce n’est privilégié, pour le ballet [61]. L’expérimentation de Soupault n’est pas sans rappeler certaines recherches du théâtre radiophonique des années 1930. Comme l’explique Cécile Méadel, « certains auteurs proposèrent de ne pas avoir de texte mais d’utiliser une “palette de sons” pour produire une sorte de paysage sonore [62] ». Ce fut par exemple le cas de Walter Ruttman, mais

[…] aucun auteur ne persévéra dans cette voie, au moins à la radio. Au Studio d’Essai, ces tentatives débouchèrent quelques années plus tard de manière plus formalisée sur les recherches de musique concrète. Mais, sous l’étiquette de théâtre, elles furent abandonnées et le langage demeura un élément indispensable du théâtre à la radio [63].

De même, on peut faire l’hypothèse que l’absence du corps et de la scène a été sentie comme trop contraire au ballet pour que le genre du « ballet radiophonique » puisse véritablement se développer. La radio a pu suggérer au théâtre certaines expériences extrêmes, comme celle d’un théâtre sonore averbal, sans pour autant menacer son existence. Comme le souligne Aline Carpentier, « la radio appelle un retour au texte. Elle agit comme un révélateur, de ses qualités comme de ses failles [64] ». Certes, la radio exclut la scène, mais un lien de parenté subsiste entre les possibilités offertes par ce médium et le texte théâtral. Il n’en est pas de même pour le ballet [65]. Le « ballet radiophonique » constitue une catégorie impossible, la danse y occupe une place si paradoxale que la disparition, sans nul doute, la guette. Forme périlleuse donc si on daigne la prendre au sérieux, le ballet radiophonique est sans doute par là même un outil d’interrogation stimulant, tant de l’art chorégraphique que des ressources du médium radiophonique.

Notes

[1] L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, Bronislaw Horovicz (réal.), Paris Inter, 8 octobre 1958, 21h05, durée : 37’. Rediffusion sur la Chaîne nationale dans le cadre des Soirées de Paris le 19 novembre 1958. Document audio accessible à l’Inathèque. Le texte a été publié dans les Cahiers d’Études de Radio Télévision, no 24, décembre 1959, p. 394-402. Il en existe plusieurs archives : Bureau des manuscrits de Radio France, cotes R 8680 (texte français, 12 ff., daté 1er avril 1958) et R 9835 (texte français-anglais, 27 ff., daté 1er juillet 1958) ; BnF Richelieu, département des Arts du spectacle, 39 ff., cote 4-YA RAD-6226 ; IMEC, quatre versions tapuscrites (avec annotations manuscrites), cote SPT 6.10.

[2] Le Joueur de flûte, Jean-Étienne Marie (réal.), Chaîne nationale, Soirée de Paris, 1952. Ballet radiophonique, livret et musique de Marius Constant, avec Linette Lemercier (récitante, voix parlée), André Vessières (baryton-basse), Paul Taillefer (cor anglais). Édité en 33 t. en 1956. Document audio accessible à l’Inathèque.

[3] Ballet pour les oreilles, Claude Roland-Manuel (réal.), France 4 Haute-Fidélité, Petit Théâtre du poète, 1957. Ballet radiophonique, livret de Juan Peñalver, avec Micheline Bona, Anne Caprile, Roger Blin et Michel Vitold. Document audio accessible à l’Inathèque.

[4] Petit Drame à six instruments, Bronislaw Horowicz (réal.), Chaîne nationale, Soirées de Paris, 1958. Ballet radiophonique, livret d’Alexandre Arnoux, musique d’Alexandre Tansman, avec Maurice Bacquet (le récitant) et un ensemble de musiciens solistes. Document audio accessible à l’Inathèque.

[5] La Femme têtue, ou La Raison sans raison est toujours la plus forte, Bronislaw Horowicz (réal.), France 3, 1959. Ballet radiophonique, livret de Jean Lescure, musique d’Antoni Szalowski. Document audio accessible à l’Inathèque.

[6] Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à la communication de Karine Le Bail sur les opéras radiophoniques de Soupault (Le Rossignol de l’empereur, La Petite Sirène, Le Cœur révélateur, Le Triomphe de Jeanne) donnée lors de la journée d’étude « Les radios de Philippe Soupault » (Montpellier, 20 mars 2014). Nous nous contentons de donner ici une définition, celle de Giordano Ferrari : « Expression opéra radiophonique : en ce qui concerne le mot opéra, il faut l’interpréter comme référence au théâtre musical au sens large. C’est donc une histoire (ou un simple sujet) racontée par la musique ou en strict rapport avec elle, d’une manière bien sûr libérée des lois narratives et des conventions de l’opéra de tradition – l’histoire peut être non-linéaire ou ressembler à un parcours dans l’esprit du théâtre musical d’avant-garde, et la voix ne doit pas forcément être liée à la tradition du chant lyrique » (« Opéras radiophoniques, un genre de dramaturgie musicale », dans Laurent Feneyrou (dir.), Musique et dramaturgie, esthétique de la représentation au xxe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 639).

[7] Nathalie Lecomte explique que l’opéra-ballet est un « genre de spectacle lyrique et chorégraphique apparu en France à la fin du xviie siècle, et à la mode jusque dans les années 1770. » Elle souligne aussi que les opéras-ballets étaient communément appelés « ballet » ou « ballet héroïque ». Elle ajoute que l’opéra-ballet « réduit l’action chantée au minimum pour donner à la danse une place prépondérante. » La danse y est le plus souvent présente sous forme de « divertissements », même s’il arrive qu’elle ne soit pas « qu’un simple ornement » et se dote d’une « fonction narrative » (« Opéra-ballet », dans Philippe Le Moal (dir.) Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 618. En ligne ici [consulté le 26/09/2014].

[8] On peut notamment se reporter au mémoire de maîtrise de Florence Renan : Un opéra ballet radiophonique : Le Joueur de flûte de Marius Constant, soutenu en 1997 à l’université de la Sorbonne-Paris IV, sous la direction de Jean-Yves Bosseur.

[9] Sébastien Arfouilloux, par exemple, évoque Gulliver en même temps que les textes de Soupault pour l’opéra (Que la nuit tombe sur l’orchestre. Surréalisme et musique, Paris, Fayard, 2009, p. 467).

[10] Littérature, n12, février 1920, p. 29. André Derain est le peintre-décorateur du ballet.

[11] Littérature, n14, juin 1920, p. 32.

[12] Claude Coste, « La musique dans la vie et l’œuvre de Philippe Soupault », in Myriam Boucharenc & Claude Leroy (dir), Présence de Philippe Soupault, Presses universitaires de Caen, 1999, p. 276.

[13] Philippe Soupault, Vingt mille et un jours, entretiens avec Serge Fauchereau, Paris, Belfond, 1980, p. 115-116.

[14] Philippe Soupault, Terpsichore (1928), Paris, Papiers, 1986, p. 25.

[15] Id., p. 39.

[16] Claude Coste, art. cit., p. 277.

[17] La Nuit du temps, Roger Kahane (réal.), scénario et livret de Philippe Soupault, musique de Marcel Delannoy, chorégraphie de Dirk Sanders. Document audiovisuel accessible à l’Inathèque. Le texte est conservé au département des Arts du spectacle, cote 8 YA 995. Hélène Laplace-Claverie, dans un article consacré aux ballets de Ionesco, souligne la tendance des années 1960 aux pièces chorégraphiques télévisuelles et l’intérêt qu’il y aurait à comparer les ballets que Ionesco a conçus pour l’écran, La Leçon (1963) et Le Jeune homme à marier (1965), avec Quad de Beckett (1981). V. Hélène Laplace-Claverie, « Danser Ionesco ou la leçon de chorégraphie », in Marie-Claude Hubert (dir.), Eugène Ionesco. Classicisme et modernité, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2011, p. 67.

[18] Philippe Soupault, Les Sons et les couleurs (Baudelaire), argument d’un ballet télévisuel, inédit, deux feuillets tapuscrits avec annotations manuscrites, conservés à l’IMEC, cote SPT 8.7.

[19] Dans le fonds de l’IMEC, cette version intitulée Correspondances est jointe à une lettre du 31 août 1969 (les deux documents sont conservés dans le dossier Les Sons et les couleurs, sous la cote SPT 8.7). L’auteur de cette lettre, signée du seul prénom d’Andrée, n’a pas pu être identifié par l’archiviste de l’IMEC. Voici le texte de la lettre : « Ce dimanche 31-8-69 / Cher Philippe / Ci-joint l’argument de “notre” ballet, et, l’accompagnant, ce que j’en ai fait et le plan de l’œuvre telle qu’elle est écrite. Cette œuvre dure, environ, 22 minutes. / Vous voilà en possession de tous les éléments. À vous de travailler, maintenant….. !!! / À bientôt / Très affectueusement / [Andrée] »

[20] Rappelons que les opéras radiophoniques Le Rossignol et La Petite Sirène sont adaptés d’Andersen, Le Cœur révélateur de Poe.

[21] Philippe Soupault, Les Sons et les couleurs (Baudelaire), op. cit.

[22] Pour plus de précisions sur cette adaptation radiophonique du ballet de Descartes, je me permets de renvoyer aux réflexions que j’ai eu l’occasion de développer dans « La Naissance de la paix de Louis Aragon : ballet radiophonique et théâtre populaire », colloque L’Idée de littérature à l’épreuve des arts populaires 1870-1945 (projet ANR HIDIL), organisé à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, du 13 au 15 juin 2012, par Pascale Alexandre-Bergues. Actes à paraître chez Classiques Garnier. Louis Aragon envisage aussi d’écrire un livret pour le chorégraphe Roland Petit en 1972. Voir Roland Petit, J’ai dansé sur les flots, Paris, Grasset, 1993, p. 254.

[23] Claude Coste, art. cit., p. 286.

[24] Par contre, le ballet radiophonique de Soupault a été diffusé en soirée, il n’était donc pas destiné aux enfants.

[25] La lecture des didascalies a souvent été critiquée dans l’histoire du théâtre radiophonique comme n’exploitant pas suffisamment les ressources propres du médium.

[26] Hélène Laplace-Claverie, Écrire pour la danse. Les livrets de ballet de Théophile Gautier à Jean Cocteau (1870-1914), Paris, Honoré Champion, 2001, p. 231.

[27] Marius Constant, Le Joueur de flûte, op. cit.

[28] Le récitant (21’16) : « [texte dit en silence] Bien des jours, bien des nuits, j’ai guetté caché au ventre d’un coffre de contrebasse, longtemps en vain. La providence toutefois se décida à récompenser ma patience. [une musique commence] J’épiais depuis tantôt deux heures l’œil collé à une petite lucarne, lorsque le croissant de la lune perça la fente des rideaux et alla inscrire une virgule au milieu de la glace encadrée d’or [musique seule sans texte] » (Alexandre Arnoux, Petit Drame à six instruments, op. cit.)

[29] Céline Pardo publie le texte en annexe de la thèse d’où est issue son livre précité : La Poésie hors du livre. Étude sur les médiations orales de la poésie en France de 1945 aux années 60, Paris-Sorbonne, 2012, t. II, p. 37-50.

[30] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, Cahiers d’études de Radio Télévision, no 24, décembre 1959, p. 394.

[31] Id., p. 395.

[32] Au début du ballet, le langage incompréhensible des Lilliputiens est reproduit par une « bande magnétique, passant à toute vitesse » (Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, éd. cit., p. 395).

[33] Id., p. 399.

[34] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, version conservée à l’IMEC, cote SPT 6.10, 1er sous-dossier.

[35] Ibid. Voici le code de transcription adopté : le texte en majuscule correspond à des ajouts manuscrits ; X signale un mot illisible ; le texte barré correspond au texte biffé à la main sur le tapuscrit.

[36] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, Cahiers d’Études de Radio-Télévision, no 24, décembre 1959, p. 394.

[37] Juan Peñalver, Ballet pour les oreilles, op. cit. Extrait situé à 4’21 du document audio conservé à l’Inathèque.

[38] Id., 12’33.

[39] Id., 14’45-15’06, 16’03-16’43, 19’59-20’25, 27’22-28’06 (fin).

[40] Dans la version du premier sous-dossier, on peut ainsi lire : « chacun des cinq fragments de ce texte est dit par un speaker avant chacun des cinq morceaux constituant la “suite instrumentale”. »

[41] Philippe Soupault, Terpsichore, op. cit., p. 40.

[42] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, version conservée à l’IMEC, cote SPT 6.10. Pour le code de transcription, voir note 35.

[43] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, Cahiers d’études de Radio Télévision, no 24, décembre 1959, p. 395-396.

[44] Cette question concerne tout autant le mime.

[45] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, éd. cit., p. 400.

[46] Id., p. 398.

[47] Ibid.

[48] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, éd. cit., p. 397. Les passages chantés sont interprétés par la maîtrise d’enfants de la RTF, sous la direction de Jacques Jouineau. Notons que cet épisode est absent des premières versions.

[49] Ibid. Comme le souligne Marie-Paule Berranger (Les Genres mineurs dans la poésie moderne, Paris, PUF, 2004, p. 125), Soupault a assisté à des conférences de Marcel Jousse dont les recherches exploraient notamment l’importance du corps, du geste et de l’oralité dans la communication et dans la transmission pédagogique. Voir Marcel Jousse, L’Anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 2008 et La Manducation de la parole, Paris, Gallimard, 1975. Voir également les nombreux documents mis en ligne par l’institut de mimopédagogie [consulté le 26/09/2014].

[50] Nathalie Lecomte rappelle que la comédie-ballet est un « genre dramatique, musical, lyrique et chorégraphique inventé par Molière en 1661 », dans lequel « [d]es intermèdes chantés et dansés s’entremêlent à la comédie, soubassement sur lequel repose le spectacle, l’enrichissant et la nuançant » (« Comédie-ballet », dans Philippe Le Moal (dir.) Dictionnaire de la danse, op. cit., p. 550. En ligne ici [consulté le 26/09/2014]).

[51] Philippe Soupault, L’Étrange Aventure de Gulliver à Lilliput, éd. cit., p. 396.

[52] Id., p. 397.

[53] Id., p. 398.

[54] Id., p. 398-399.

[55] De 18’47 à 21’41, on peut entendre trois minutes de musique sans texte.

[56] Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque, Paris, PUPS, 2015, p. 181.

[57] Id., p. 399.

[58] Juan Peñalver, op. cit.

[59] Nous savons très peu de choses sur Juan Peñalver, poète espagnol, né en 1926 et mort 1977. Pour quelques éléments supplémentaires, voir Céline Pardo, La Poésie hors du livre, op. cit., p. 181

[60] Philippe Soupault, Les Dernières nuits de Paris, Paris, Gallimard, 1997, p. 56-57.

[61] Il ne semble pas qu’un chorégraphe se soit intéressé à ce texte de Soupault. Par contre, il y a eu rencontre entre ce ballet radiophonique et l’œuvre d’Annette Messager lors de l’exposition Continents noirs, présentée d’octobre 2012 à février 2013 au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ; une écoute du ballet de Soupault y était alors programmée, dans l’idée d’illustrer l’influence des Voyages de Gulliver sur l’œuvre d’Annette Messager.

[62] Cécile Méadel, Histoire de la radio des années trente. Du sans-filiste à l’auditeur, Paris, Anthropos/INA, 1994, p. 295.

[63] Id., p. 295-296.

[64] Aline Carpentier, Théâtre d’ondes. Les pièces radiophoniques de Beckett, Tardieu et Pinter, Bruxelles, De Boeck/Paris, INA, 2008, p. 76.

[65] D’une façon générale, la présence de la danse est souvent perçue comme paradoxale à la radio. Je renvoie aux travaux passionnants de Claude Sorin sur les « voix de la danse ». La chercheuse organise régulièrement des écoutes publiques pour faire entendre certaines archives conservées à l’INA. Elle travaille en particulier sur la parole des danseurs à la radio mais s’intéresse aussi aux sons de la danse et du travail chorégraphique (souffles, bruits de pas, de chute, etc.) Voir Claude Sorin, « La parole du danseur dans les archives radiophoniques », in Mémoires et Histoire en Danse, Isabelle Launay & Sylviane Pagès (dir.), Paris, L’Harmattan, 2010, p. 315-328.

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Auteur

Delphine Vernozy

Doctorante en littérature française à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction de Didier Alexandre, et agrégée de lettres actuellement professeur en lycée, Delphine Vernozy prépare une thèse sur les écrivains librettistes de ballet en France des années 1910 aux années 1960 (de Cocteau à Ionesco, en passant par Claudel, Cendrars, Char, Céline ou encore Anouilh).

Copyright

Tous droits réservés




Radio Soupault : une phono-bibliographie

Texte intégral

Note. Classement par date de diffusion. Les astérisques avant un titre signalent les émissions numérisées par l’Ina et accessibles en ligne à l’Inathèque.

1. Œuvres et adaptations

1941

Les Habits neufs du Grand Duc, « fantaisie radiophonique », d’après un conte d’Andersen, Jean-Henri Blanchon (réal.), Radio nationale (Vichy), série Banc d’essai, 6 septembre 1941. Producteur : Pierre Schaeffer.

Texte soumis à l’occasion d’un concours radiophonique, diffusé en même temps que Les Moissonneurs (infra) et Les femmes d’un seul amour, pièce en un acte de Gaston Revel (v. Radio National, 14-20 septembre 1941, p. 5).

Archives : Bureau des manuscrits de Radio France, 7 ff., cote R897A (daté 1er août 1941) ; BnF Richelieu, Arts du spectacle, cote 4-YA RAD-3.

Rediffusion : 8 avril 1954.

Les Moissonneurs, « sketch radiophonique », Jean-Henri Blanchon (réal.), Radio nationale (Vichy), série Banc d’essai, 6 septembre 1941. Producteur : Pierre Schaeffer.

Texte inspiré d’un roman perdu, Les Moissonneurs, soumis à l’occasion d’un concours radiophonique. Diffusé en même temps que Les Habits neufs du Grand Duc (supra).

Archives : Bureau des manuscrits de Radio France, 9 ff., cote R1380A (daté 1er août 1941) ; BnF Richelieu, Arts du spectacle, cote 4- YA RAD- 3103.

Publication : Cahiers Philippe Soupault, 1, 1994, p. 123-127.

1942

Tous ensemble au bout du monde, Radio-Alger, date indéterminée. Pièce en trois actes, d’après un conte des frères Grimm, Sechse Kommer durch die ganze welt.

Publication : Alger, Charlot, 1943, puis Paris, Charlot, 1947.

Nouvelle diffusion en 1955. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 46 ff., cote R7729 (daté 1er mars 1955), 11 personnages.

Candide, conte d’après Voltaire, Radio-Alger, date indéterminée.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 86 ff., cote R 1225 (daté 1er juin 1942), 20 personnages.

1950

Instantanés de Perse, « Carnet de voyage de Philippe Soupault », G. Herzog (réal.), Chaîne nationale, 22 octobre 1950. Durée : 49′. Avec le concours de Louis Arbessier, Pierre Olivier, Jean Topart, André Laurière, Nelly Benedetti, Denise Bonal.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 46 ff., cote R4865 (daté 1er octobre 1950)

Rediffusion : extrait dans l’émission Journal des voyages, Chaîne nationale, août 1951.

1951

*La fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue », Jean-Wilfrid Garrett (réal.), Chaîne nationale, 6 février 1951, 20h30. Durée : 1h30. Avec François Périer, Michel Vitold, Pierre Trabaud, Claude Pieplu et alii.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 133 f., cote R 5054 (daté 1er janvier 1951), 11 personnages.

Nouvelle mise en ondes : La fille qui fait des miracles, Jacques Reynier (réal.), France Culture, décembre 1977. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R19919 (daté 22 décembre 1977), 17 personnages.

Rediffusion : France Culture, mars 1992, Anne Lemaître (réal.). Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R27843 (daté 11 mars 1992), 17 personnages.

Publication : À vous de jouer !, Lyon, J.-M. Laffont, 1980, p. 45-105 (version de 1977).

Bagdad 1950, « Carnet de route de Philippe Soupault », Albert Riéra (réal.), Chaîne nationale, 18 mars 1951, 21h30. Avec Paula de Helli, Roert Moore, Nelly Delmas, Raymonde Fernelle, Raymonde Vassier, Françoise Moreau, Jean Daguerre, Gilles Péan, Léon Arvelle, Jacques Bernier, Marc Darnout, Gérard Gervais et l’auteur.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 35 f., cote R 505 (daté 1er janvier 1951), 12 personnages.

Antoine et Cléopâtre, Chaîne nationale, 19 août 1951, 13h20. Durée : 2h. Pièce de Shakespeare, traduction de Philippe Soupault. Transmission différée du Théâtre d’Orange.

1952

*Le Parasite, François Billetdoux (réal.), Paris Inter, Les Lundis de Paris, 12 mars 1952, 20h30. Durée : 1h43. Présentation de Soupault. Comédie en 3 actes d’après un roman de Dostoïevski.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 152 ff., cote R 5458 (daté 1er octobre 1951), 14 personnages.

Rediffusions : Paris Inter, Les Lundis de Paris, 7 avril 1952 ; France Culture, 23 juillet 1972, préface parlée de P. Soupault (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 82 ff. (daté 22 mai 1972), 15 personnages) ; France Culture, 25 mars 1995.

« Chansons d’écrivains : Philippe Soupault », Club d’Essai, six émissions du 30 mars au 4 mai 1952, 13h25-13h45, Producteur : Jean Chouquet. Avec la participation de l’auteur. Poèmes de Soupault tirés de Chansons (1949) mis en musique par Pierre Billard, Pierre Devevey, André Popp, Christiane Verger, Jean Wiéner.

Diffusion : 30 mars, 6, 13, 20 et 27 avril, 4 mai 1952.

Rediffusion : France 4 Haute Fidélité, décembre 1954; *extraits dans l’émission de Karine Le Bail Les Greniers de la mémoire, France Musique, 1er et 8 janvier 2011.

*Le Monde des sons, G. Godebert (réal.), Paris Inter, série Archives sonores, 31 mai 1952, 18h. Durée : 17’30. Documentation de Paulette Le Tailleur et Georges Sénéquié. Émission dialoguée entre Soupault et Maurice Biraud. Texte de liaison de Maurice Biraud, lectures de poèmes par Soupault, avec le concours de François Chaumette. Sur l’importance des sons, leur pouvoir d’évocation, les bruits du départ, de village, de la guerre, etc.

Rediffusion : Paris Inter, 31 août 1952.

1953

Le Misanthrope et l’Auvergnat, Jean Chouquet (réal.), Chaîne nationale, série Soirées de Paris, 27 septembre 1953, 20h35. Durée : 45’25. Pièce de Labiche adaptée par Philippe Soupault. Présentation de Soupault, qui propose aussi une interview loufoque de Lise Elina.

Rediffusion : 1er septembre 1966.

*Le Mariage, série Le Théâtre où l’on s’amuse, Chaîne parisienne, 3 décembre 1953. Adaptation de la pièce de Gogol. Prés. de  Soupault, qui donne la parole aux comédiens et annonce les décors des trois actes.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 75 ff., cote R 6773 (daté 1er octobre 1953), 15 personnages.

Rediffusions : France Culture, Comédie-Française, 23 février 1975 (archive : Un mariage, Bureau des manuscrits de Radio France, 78 ff., cote R 21348, daté 30 janvier 1975, 10 personnages) ; France Culture, 1er janvier 2011 ; France Culture, 1er janvier 2012.

Version télévisée : Roger Kahane (réal.), France 1, 9 janvier 1962, 20h47. Durée : 1h28. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 74 ff., cote T 11910 (25 octobre 1961), 10 personnages.

1954

Les 37 sous de Monsieur Montaudouin, Chaîne parisienne, Le Théâtre où l’on s’amuse, 7 janvier 1954, 20h30. Pièce d’Eugène Labiche et Edouard Martin adaptée par P. Soupault.

Au programme de la même émission (durée 1h30) : La Navette de Henry Becque, Théodore cherche des allumettes de Courteline.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 53 ff., cote R 6891 (daté 1er décembre 1953).

Rediffusion : France IV, 1er juin 1954.

Comment on dresse une garce, France 2 Régionale, série Le Théâtre où l’on s’amuse, production et réalisation de Philippe Soupault et Jean Chouquet, 13 mars 1954, 21h. Durée : 1h20. D’après La Mégère apprivoisée de Shakespeare, version française de Philippe Soupault. Interprètes : Henri Crémieux, Michel Bouquet, Michel Serrault, etc.

Archive : Comment on dresse une femme, Bureau des manuscrits de Radio France, 83 ff., cotes R 7062 et R 7062* (daté 1er février 1954).

Rediffusion : France Culture, 28 décembre 1975, 14h07. Durée : 1h52. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, cotes R 21753 (81 ff, daté 18 novembre 1975, 17 personnages) et R 21753* (même texte, sous le titre La Mégère apprivoisée)

1955

*Les Joyeuses Commères de Windsor, Chaîne nationale, série Le Théâtre où l’on s’amuse, 1er juin 1955, 21h. Durée : 1h44. Adaptation de la pièce de Shakespeare.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 97 ff., cote R 7822 (daté 2 mai 1955).

Rediffusion : Jacques Reynier (réal.), France Culture, mai 1977 (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 98 ff., cote R 22369, daté 23 mai 1977)

1956

*Ubu Roi, Philippe Soupault et Jean Chouquet (réal.), Chaîne parisienne, série Le Théâtre où l’on s’amuse, 5 mai 1956, 21h10.

Enregistrement disponible sur CD : Alfred Jarry, Ubu roi, Marseille, André Dimanche, 1996.

1957

*Triomphe de Jeanne, M. Philippot (réal.), Chaîne nationale, 7 octobre 1957, 20h05. Durée : 1h30 (durée de l’œuvre : 1h19). Oratorio en trois parties pour soli, récitant, chœurs et orchestre, texte de Soupault, musique de Henri Tomasi.

Rediffusion : Chaîne nationale, 9 juin 1960.

*Le Rossignol de l’empereur, Jean-Wilfrid Garrett (réal.), Chaîne nationale, 13 octobre 1957, 21h. Opéra radiophonique d’après le conte d’Andersen, livret de P. Soupault, musique de Raymond Gallois-Montbrun. Prix Italia 1957.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, cotes R 1439B (9 ff., daté 1er janvier 1957), TX 1439B (55 ff., daté 1er mai 1957, texte français-anglais), R 9127 (25 ff., daté 1er juin 1957), R 9194 (55 ff., daté 1er juillet 1957),

Rediffusions : France Culture le 8 mars 1985, avec présentation de Soupault ; France Musique, série TSF Opéra, 1er août 1999, prés. de Karine Le Bail (11’05).

1958

*L’étrange aventure de Gulliver à Lilliput, Bronislaw Horovicz (réal.), Paris Inter, 8 octobre 1958, 21h05. Durée : 37′. Ballet radiophonique d’après l’œuvre de Jonathan Swift, livret de P. Soupault, musique de Serge Nigg, avec F. Périer dans le rôle de Gulliver. Prix Italia 1958.

Archives : Bureau des manuscrits de Radio France, cotes R 8680 (texte français, 12 ff., daté 1er avril 1958) et R 9835 (texte français-anglais, 27 ff., daté 1er juillet 1958) ; BnF Richelieu, Arts du spectacle, 39 ff., cote 4-YA RAD-6226

Publication : Cahiers d’Études de Radio-Télévision, n° 24, décembre 1959, p. 394-402.

Rediffusion : Chaîne nationale, Soirées de Paris, 19 novembre 1958, 21h05.

1960

Rendez-vous !, Alain Trutat (réal.), Chaîne nationale, 2 avril 1960, 21h30. Durée : 37’10. Avec Agnès Capri, Loleh Besson, etc.

Nouvelles diffusions : France Inter, série Comédie-Française, 5 décembre 1971 à 21h, précédée d’une interview de l’auteur (1’46) (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 50 ff., cote R 18789, daté 18 octobre 1971, 10 personnages) ; France Culture, Claude Roland-Manuel (réal.), mars 1992 (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 45 ff., cote R 27841, daté 11 mars 1992, 10 personnages).

Publications : Les Lettres nouvelles, n°52, septembre 1957 (acte 1) et n°53, octobre 1957 (acte 2) ; Paris, Les Impénitents, Atelier Rigal, 1973 ; À vous de jouer !, Lyon, J.-M. Laffont, 1980, p. 15-44.

Version télévisée : Roger Kahane (réal.), France 2, 9 septembre 1964, 21h02. Durée : 46 mn. Pièce en un acte, musique de Joseph Kosma, prés. Maurice Nadeau. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 44 ff., cote T 13308, 10 personnages (daté 26 décembre 1963). Retransmission : France 2, Régis Forissier (réal.), 31 mars 1973 (41 mn).

*La Petite Sirène, Chaîne nationale, 2 octobre 1960, 15h50. Opéra comique en 3 actes d’après le conte d’Andersen. Livret de P. Soupault, musique de Germaine Tailleferre (partition composée en 1958). Durée : 1h34 (dont œuvre : 1h07).

Archive (version télévisée) : Bureau des manuscrits de Radio France, 22 ff. (mentions « opéra de chambre » et « manque acte 1 »), cote T 10306 (daté 13 avril 1959).

Rediffusion : France Musique, série TSF Opéra, 25 juillet 1999.

1963

*Le Cœur révélateur, Guy Delaunay (réal.), 1er octobre 1963. Durée : 45 mn. Opéra de chambre d’après E. A. Poe, musique de Claude Prey. Prix Italia 1963.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 39 ff. (texte français-anglais), cote R 13095 (daté 3 juillet 1963).

Rediffusions : France Culture, 8 octobre 1995 (durée : 50′), puis France Musique, série TSF Opéra, 5 septembre 1999, prés. de Karine Le Bail.

Version télévisée : Annie Aizieu (réal.), 21 mars 1966.

1972

Un souper chez Rachel, Jacques Reynier (réal.), France Culture, série Comédie-Française, octobre 1972. Pièce d’Alfred de Musset adaptée par P. Soupault.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 28 ff., cote R 19721 (daté 6 octobre 1972),

1973

Alibis, Guy Delaunay (réal.), France Inter, série Théâtre de l’étrange, 19 février 1973. Durée : 40’30. Enreg. : 27 juin 1972. Pièce policière.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 44 ff., cote R 19395 (daté 5 mai 1972), 5 personnages.

Le Sixième coup de minuit, Guy Delaunay (réal.), France Culture, 10 décembre 1973, 13h50. Durée : 39’40. Enreg. : 24 septembre 1973. Pièce policière en un acte. Avec Pierre Bertin.

Archives : Bureau des manuscrits de Radio France, 34 ff., cote R 20265 (daté 2 mai 1973), 5 personnages ; BnF Richelieu, Arts du spectacle, 34 ff., cote 4- YA RAD- 5342.

Publications : Toulouse, Privat, « La Contre-Horloge », avec préface de l’auteur ; À vous de jouer !, Lyon, J.-M. Laffont, 1980, p.107-129.

1974

Lorenzaccio de Musset, adaptation de P. Soupault, Jacques Reynier (réal.), France Culture, “Comédie française”, 27 octobre 1974, 14h15. Durée : 1h59.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 112 ff., cote R 21153 (daté 13 septembre 1974), 26 personnages.

1976

La Maison du Bon repos, comédie en cinq actes, Jacques Reynier (réal.), France Culture, série Comédie-Française, mars 1976.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 68 ff., cote R 21896/1-2 (daté 15 mars 1976)

Publication : À vous de jouer !, Lyon, J.-M. Laffont, 1980, p. 162-210 (précédé d’une lettre à Jacques Reynier p. 163-165).

1977

Étranger dans la nuit, pièce en un acte, Guy Delaunay (réal.), France Culture, 12 décembre 1977, 20h. Durée : 38’15. Pièce en 1 acte. Avec Marie Déa.

Archives : Bureau des manuscrits de Radio France, 43 ff, cote R 22472 (daté 7 octobre 1977) ; BnF Richelieu, Arts du spectacle, 43 ff., cote 4-YA RAD-7551.

Publication : À vous de jouer !, Lyon, J.-M. Laffont, 1980, p. 131-160.

1988

Le Cœur volé, Jacques Taroni (réal.), France Culture, décembre 1988.

D’après le scénario de film écrit pour Jean Vigo en 1934, publié dans Hommage à Jean Vigo (Lausanne, Cinémathèque suisse, 1962), repris dans Écrits de cinéma, Plon, 1979.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 23 ff., cote R 26761, daté 30 décembre 1988.

1989

S’il vous plaît, Christine Bernard-Sugy (réal.), France Culture, Théâtre des poètes, février 1989.

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 47 ff., cote R 26800 (daté 9 février 1989), 21 personnages.

Publication : Littérature, n°16, septembre-octobre 1920, puis en annexe des Champs magnétiques dans la réédition Gallimard de 1967.

2. Productions (littérature, théâtre, culture)

1937-1938

Des livres et des hommes, Paris-PTT. Émission hebdomadaire.

1953-1956

Le Théâtre où l’on s’amuse, Chaîne parisienne puis Chaîne nationale. Producteurs : Philippe Soupault et Jean Chouquet.

Textes de Molière, Aristophane, Tristan Bernard, Gogol, Labiche, Becque, Courteline, Jarry, Marcel Achard Guitry, Régnard, Ionesco, Prévert, Queneau, Wilde, Lesage, Anouilh, etc.

Quelques émissions accessibles en ligne à l’Inathèque.

1954-1956

Prenez garde à la poésie, Chaîne nationale. Producteurs : Philippe Soupault et Jean Chouquet. Présentateurs : Jean Poiret et Michel Serrault – alias Brineville.

Quelques émissions accessibles en ligne à l’Inathèque.

1955-1956

Faites vous-mêmes votre anthologie, Chaîne parisienne, 21h35 (durée moyenne : 25 mn). Producteurs : Philippe Soupault et Jean Chouquet. 51 émissions réalisées d’après les résultats du grand concours-référendum de la poésie française organisé par la RTF.

Quelques émissions accessibles en ligne à l’Inathèque.

1956

Qui dit mieux ?, Paris Inter, cinq émissions les 14, 15, 16, 17 et 18 octobre 1956. Producteurs : Albert Aicard, Jacqueline Franck, Marcel Mithois, Romi, Philippe Soupault. Série sur des faits insolites.

1956-1957

Poètes à vos luths, Chaîne parisienne. Producteurs : Philippe Soupault et Jean Chouquet. Présentateurs : Jean Poiret et Michel Serrault – alias Brineville. Sur la poésie moderne et contemporaine.

Quelques émissions accessibles en ligne à l’Inathèque.

1956-1957

L’année Musset, Jean Chouquet (réal.), Chaîne nationale. Neuf émissions du 26 décembre 1956 au 16 octobre 1957, à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Musset.

1957-1958

Poésie à quatre voix, Jean Chouquet (réal.), Chaîne parisienne et Paris Inter, 21h30.

1957-1959, Comptines, Chaîne parisienne, 18h15 (294 émissions). Puis Comptines à livre ouvert en 1961-1963, 18h10 (91 émissions). Mise en ondes musicale Jean-Étienne Marie.

Comptines envoyées par les auditeurs.

Publication : Communauté radiophonique des programmes de langue française, Les Comptines de langue française [France, Belgique, Canada, Suisse], recueillies et commentées par Jean Baucomont, Franck Guibat, Tante Lucile, Roger Pinon et Philippe Soupault, Paris, Seghers, 1961.

1959-1961

Poètes oubliés, amis inconnus, Georges Gravier et Guy Delaunay (réal.), Paris Inter, 22h30 (75 émissions).

Segalen, Péret, Vian, Rabearivelo, Huysmans, Catherine Pozzi, etc.

1961-1962

Chants et poèmes (Chants et poèmes des nations pour l’émission sur le Mexique du 2 mars 1962).

Six émissions : Canada, Angleterre, Italie, Autriche, Grèce, Mexique.

1959-1962

Proverbes et dictons, Chaîne parisienne, 18h10. Émission hebdomadaire.

1961-1968

Midis de la poésie, Guy Delaunay (réal.), Paris Inter puis France Culture.

Articles sur certaines émissions dans les Cahiers littéraires de l’ORTF.

1962-1965

Vive la poésie, Guy Delaunay (réal.), Chaîne nationale, série Soirées de Paris, puis France Culture.

Articles sur certaines émissions dans les Cahiers littéraires de l’ORTF.

1963

*Théâtre d’Eugène Labiche, France 4-Haute Fidélité. 12 émissions hebdomadaires : 3, 10, 17, 24, 31 mars ; 7, 14, 21, 28 avril ; 5, 12, 19 mai 1963. Production et présentation des pièces : Philippe Soupault.

Présentation et extraits de : Le voyage de Monsieur Perrichon, La Poudre aux yeux, Célimare le bien-aimé, La Cagnotte, La Grammaire, Les Trente millions de Gladiator, L’Affaire de la rue de Lourcine.

1964

« Heure de culture française : Eugène Labiche », France Culture, 11 émissions hebdomadaires du 17 juillet au 25 septembre 1964, 8h. Production et présentation : Philippe Soupault.

1964

Un radioamateur raconte, Albert Riéra (réal.), France Culture, série Soirées de Paris, 2 février 1964, 21h10. Durée : 54’. Texte de Nino Frank. Producteurs : Youri, Soupault, Michel Manoll, Jean-Pierre Rosnay.

1965-1975

Tels qu’en eux-mêmes, Guy Delaunay (réal.), France Culture, série Soirées de Paris. Producteurs : Philippe Soupault et Jacques Fayet.

Archives : textes d’émission conservés au Bureau des manuscrits de Radio France.

Articles sur certaines émissions dans les Cahiers littéraires de l’ORTF.

1965-1966

Place de la Concorde, G. Delaunay (réal.), France Culture (8 émissions ?). Producteurs : Philippe Soupault et Jacques Fayet. Émissions sur les villes de Rouen, Lyon (4), Lille (5), Brest (7), Marseille (8)…

1967-1969

Carrefour de l’Europe (puis Carrefour du monde), G. Delaunay (réal.), France Culture. Producteurs : Philippe Soupault et Jacques Fayet.

*Six émissions accessibles en ligne à l’Inathèque.

1975

M’auriez-vous condamné ?, Guy Delaunay (réal.), France Culture, série Soirées de Paris, 11 juillet 1975, 21h. Durée : 21’. Producteurs : Youri, Soupault, Michel Manoll, Jean-Pierre Rosnay.

1978

« Théâtre de Courteline », choisi par Philippe Soupault, France Culture, série Comédie-Française, 27 août 1978. Durée : 1h40.

Œuvres : L’article 330 ; Un client sérieux ; La lettre chargée ; Gros chagrin ; Monsieur Badin ; La lettre mensongère ; L’honneur des Brossarbourg ; Souvenirs de l’escadron.

3. Quelques émissions parlées

3.1. Entretiens, interviews, causeries

1950

« Qui êtes-vous, Philippe Soupault ? », Chaîne nationale, série Qui êtes-vous ?, décembre 1950. Producteur : André Gillois. Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, cote TX 100B/1-100.

1951

« Young people in search of escape. The Post-war generation », BBC Third Programme, série Letter from Paris, 25 et 26 octobre 1951 [v. The Listener, 1er novembre 1951, p. 725-726].

1960

« Art-Anti-Art : the taste for scandal. P. Soupault is interviewed in French by O. Todd », BBC Third Programme, 11 janvier 1960.

Heure de culture française, Chaîne nationale :

‒ « L’Uruguay », janvier 1960. Causerie de P. Soupault et Raymond Ronze (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 15 ff., cote R 552B/199, daté 18 janvier 1960).

‒ « Le Paraguay », janvier 1960. Causerie de P. Soupault, Raymond Ronze et Paule Reichlen (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 15 ff., cote R 552B/198, daté 25 janvier 1960).

‒ « Le Brésil », février 1960. Causerie de P. Soupault, Francis Ruellan et Lucien Victor Tapie (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 30 ff., cote R 552B/200, daté 1er février 1960).

‒ « Le Chili », mars 1960. Causerie de P. Soupault, Raymond Ronze et Georgette Soustelle (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 15 ff., cote R 552B/201, daté 14 mars 1960).

‒ « Le Mexique », juillet 1960. Causerie de P. Soupault, Jacques Soustelle, Victor Tapie, Jacques Oudiete, Robert Ricard (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 15 ff., cote R 552B/203, daté 18 juillet 1960).

Gardeur de pourceaux, René Jentet (réal.), Chaîne Parisienne, série Si Peau d’âne m’était conté (1959-1962), février 1960. Productrice : Géraldine Gérard. Adaptation du conte d’Andersen par Géraldine Gérard. Propos de P. Soupault. Principe de l’émission : un invité réagit à la lecture ou adaptation d’une œuvre littéraire (Verne, Hugo, Andersen, comtesse de Ségur…).

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 15 ff, cote R 10127/27 (daté 15 février 1960), 7 personnages.

« Heure de culture française : Labiche », Chaîne nationale, du 25 novembre 1960 au 10 février 1961 (archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 60 ff., cote R 552B/103, daté 9 décembre 1960.

1963

*« Nos quatre cents coups : entretiens avec Philippe Soupault », France Inter, 35 émissions du 22 octobre 1963 au 30 juin 1964. Prod. et intervieweur : Luc Bérimont.

Rediffusion dans la série Grands entretiens, Nicole Salerne (réal.), France Culture, 15 émissions du 28 juillet au xxx août 1997. Prod. et prés. : Luc Bérimont.

Archive : émission partiellement conservée (lac entretiens 5, 6, 7, 10 et 29) à l’Ina et à la BnF (cote PDC12- 373 (3)) .

1964

« Enquêtes et commentaires : Portrait d’Eugène Labiche », France Inter, 9 avril 1964. Durée : 12’20. Interview de Soupault à propos de son essai sur Labiche (Paris, Mercure de France, 1964).

1965

« Enquêtes et commentaires : “Le vrai André Breton” par Soupault », France Inter, 13 octobre 1966. Durée : 5’45.

« Eléments pour une anthologie poétique », France Inter, 23 juin 1967. Durée : 18’30. Prod. : Anne Sandrine. Débat de Pierre de Boisdeffre, Philippe Soupault, Charles Le Quintrec, Catherine Tolstoï, Georges-Emmanuel Clancier, Christian Grancier. Sur la situation de la poésie en 1967.

Entretiens avec Bernard Delvaille, Nicole Salerne (réal.), France Culture, 2, 3, 4, 5 et 6 juin 1975. 5 émissions de 20 à 25 mn.

Rediffusions : série À voix nue en 1995 (France Culture, du 23 au 27 octobre, 5 émissions de 28 mn) et 1999 ; série Mémorables en 2006 (France Culture, 23, 25, 26 et 27 janvier, 4 émissions).

3.2. Participation à des émissions d’hommage

1957

« L’art et la vie : Hommage à Robert Delaunay », Henri Vermeil (réal.), Chaîne nationale, 30 mai 1957, 22h35. Durée : 39’20. Producteurs : Georges Charensol, Louis Chéronnet, Jean Dalevèze. Avec Philippe Soupault et : Henry Barraud, Jean Cassou, Blaise Cendrars, Marc Chagall, Jean Cocteau, Florent Fels, Robert Rey, André Salmon.

1961

« Belles Lettres : Hommage à Blaise Cendrars, le vagabond visionnaire », France 3 National, 24 janvier 1961, 22h. Durée : 1h02. Producteur : Roger Vrigny. Hommage à Cendrars mort le samedi précédent 21 janvier. Avec Philippe Soupault et : Gérard Bauer, André Beucler, Jean Cocteau, Marie Frias, Armand Lanoux, Pierre Lazareff, Samy Simon, Albert Sbinden, Pierre Seghers, Albert t’Serstevens.

1962

*« Soirées de Paris : Il y a un an mourait Blaise Cendrars », », Albert Riéra (réal.), France 3 National, 21 janvier 1962, 21h. Durée : 1h15. Émission de Nino Franck et Philippe Soupault avec le concours de Florent Fels. Témoignages de Raymone et Myriam Cendrars, André Beucler, Albert t’Serstevens, Abel Gance, Jean Cocteau, Pierre Lazareff, Paul Gilson et Pierre Seghers.

1963

« Soirées de Paris : Hommage à Marcel Herrand, pour le dixième anniversaire de sa mort », Albert Riéra (réal.), France 3 National, 9 juin 1963, 20h15. Durée : 1h05. Avec les voix de : Michel Auclair, Blaise Cendrars, Jacques Dupont, Valentine Hugo, Daniel Ivernel, Marcel Jouhandeau, Yolande Laffon, Jean Marchat, Georges Neveux, Henri Sauguet, Philippe Soupault.

1965

*« Soirées de Paris : Il y a cinq ans mourait Pierre Reverdy », Guy Delaunay (réal.), France Culture, 21h. Émission de P. Soupault et J. Fayet.

1969

« Hommage à… André Spire pour le 100ème anniversaire de sa naissance », Georges Gravier (réal.), France Culture, 1er février 1969. Durée : 2h. Producteur : Georges-Emmanuel Clancier. Avec Philippe Soupault et : Julien Cain, Charles Vildrac, Jean Dalsace, Jean Cassou, Roger Secrétain, Eugène Guillevic, Armand Lunel, Claude Vigée, André Neher, Henri Meschonnic, Marie-Brunette Spire, André Spire, Gérald Antoine.

3.3. Émissions consacrées à Soupault de son vivant

1956

« Soirée de Paris : Une heure, 46 rue de l’Université », Louis Mollion (réal.), Chaîne nationale, 8 janvier 1956. Durée : 1h. Entretien avec Soupault (16′) ; poèmes et chansons de Soupault, Rimbaud, Apollinaire, Breton interprétés par Catherine Sauvage et Serge Reggiani. Soupault dit « Au temps des atomes » (2’10), poème écrit pour l’émission.

1964

« Anthologie insolite : Insolite au jour le jour », Arlette Dave (réal.), France Culture, 21 mars 1964, 14h. Durée : 1h06. Prod. Jacqueline Harpet. Avec Philippe Soupault (10′).

Archive : Bureau des manuscrits de Radio France, 28 ff., cote R 13033/7 (daté 10 mars 1964)

Rediffusion : France Culture, 27 août 1966.

Parmi les émissions de la série : Marguerite Duras (23 novembre 1963), André Pieyre de Mandiargues (28 décembre 1963), René de Obaldia (24 janvier 1964), Claude Roy (22 février 1964), Georges Neveux (25 avril 1964), Jacques Prévert (« Solite comme tout », 4 juillet 1964)…

1974

« L’ange du bizarre : La fête à Philippe Soupault », France Culture, 3 mai 1974, 14h30. Prés. : Michel Gonzales. Avec P. Soupault, Jacques Baron, Jean Breton, Jean Orizet.

4. Quelques réflexions de Soupault sur la radio

1941

« Vers une poésie du cinéma et de la radio », Fontaine, n°16, décembre 1941, p. 172-175.

1949

*« Les dix clés du siècle : La radio », enr. 28 décembre 1949. Durée : 6′.

Accessible à l’Inathèque au début de l’archive « La mer rouge par Philippe Soupault… »

1952

*« Archives sonores : Le monde des sons », G. Godebert (réal.), Paris Inter, 31 mai 1952, 18h. Durée : 17’30. Documentation de Paulette Le Tailleur et Georges Sénéquié. Émission dialoguée entre Soupault et Maurice Biraud. Texte de liaison de Maurice Biraud, lectures de poèmes par Soupault, avec le concours de François Chaumette. Sur l’importance des sons, leur pouvoir d’évocation, les bruits du départ, de village, de la guerre, etc.

1957

« Un monde nouveau », Cahiers d’Études de Radio-Télévision, n° 16, 1957, p. 351-353.

1969

Réponse à l’enquête de Jean Breton, « Poésie, couleur d’ondes », Micro et caméra, n°33, juin-juillet 1969, p. 4-9.

Réponse à l’enquête de Jean Breton, « La télévision, la poésie et les poètes », Micro et caméra, n°35, novembre-décembre 1969, p. 6-12.

1980

À vous de jouer !, Lyon, Laffont, 1980 : préface, p. [11-13] et lettre au réalisateur Jacques Reynier, p. 163-165.

Vingt mille et un jours, entretiens avec Serge Fauchereau, Paris, Belfond, 1980, passim.

5. Quelques études critiques et témoignages

5.1. Témoignages de gens de radio

Pierre Barbier, « Philippe Soupault, homme-Protée », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°28, avril 1990, p. 133.

Jean Chouquet,

‒ « Soupault l’éléphant », Cahiers Philippe Soupault, 1, 1994, p. 24-27.

‒ « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, 2, 1997, p. 183-228.

François Périer, entretien publié dans les Cahiers Philippe Soupault, 1, 1994, p. 185-189.

André Gillois: « Qui étiez-vous, Philippe Soupault ? », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°28, avril 1990, p. 134.

5.2. Articles et chapitres de livre en relation avec le corpus

Keith Aspley, « The Avant-Garde, Neo-Avant-Garde and Radio : Robert Desnos and Philippe Soupault », Avant Garde Critical Studies, Volume 20, issue 1, October 2006, p. 223-242.

Marie-Paule Berranger, « Fêtes de l’impatience : les chansons de Philippe Soupault », Europe, 1993, vol. 71, n°769 p. 36-49

Jacqueline Chénieux-Gendron, « La voix de Philippe Soupault et l’espace du théâtre », in Patiences et silences de Philippe Soupault, Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Paris ‒ Montréal (Québec), L’Harmattan, 2000, p. 107-118.

Claude Coste, « La Musique dans la vie et l’œuvre de Philippe Soupault » [Le Rossignol de l’empereur, Le Cœur révélateur], in Présence de Philippe Soupault, Myriam Boucharenc & Claude Leroy (dir.), Caen, Presses universitaires de Caen, 1999, p. 275-292.

Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, Paris, Seghers, 1957 (1979), p. 70-72 (chapitre « Théâtre et radio »).

Michèle Finck, « Esquisse d’une poétique du son », in Patiences et silences de Philippe Soupault, Jacqueline Chénieux-Gendron (dir.), Paris ‒ Montréal (Québec), L’Harmattan, 2000, p. 265-286.

Laurent Flieder, « Chansons, poèmes, poésies : le “comme si” et le “pas tout à fait” », in Présence de Philippe Soupault, Myriam Boucharenc & Claude Leroy (dir.), Caen, Presses universitaires de Caen, 1999.

Pierre-Marie Héron, « De l’impertinence dans les interviews d’écrivain : l’exemple de la série radiophonique Qui êtes-vous ? (1949-1951) », revue en ligne Argumentation et analyse du discours, 12, 2014 : « L’entretien littéraire ».

Myriam Mallart Brussos,

‒ « Les chansons de Philippe Soupault : forme poétique ou mode d’écriture ? », Anales de Filologia Francesa (Barcelone), n°17, 2009, p. 227-241.

‒ « Formulettes et refrains (les chansons d’enfance de Philippe Soupault) », in Suzanne Lafont (dir.), Récits et dispositifs d’enfance, Presses universitaires de la Méditerranée, coll. Le Centaure, 2012.

Céline Pardo, La poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque, Paris, PUPS, 2015.

Amy Smiley,

‒ « Parole et résistance en Afrique du Nord », Europe, 71, n°769, mai 1993, p. 97-103.

‒ « “La voix qui crie dans l’infini” : Philippe Soupault et la radio (1938-1943) », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n° 41, juin-août 1994, p. 107-125. Republication : « Philippe Soupault, premier directeur de Radio-Tunis », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°96, avril-juin 2008, p. 152-155.

Auteurs

Pierre-Marie Héron est Professeur de Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) et Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.

Céline Pardo est agrégée de lettres classiques et spécialiste de la poésie des XXe et XXIe siècles. Elle est l’auteur de La Poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque (PUPS, 2015), ouvrage issu d’une thèse menée à Paris-Sorbonne sous la direction de Michel Murat et soutenue en 2012. Elle a codirigé l’ouvrage collectif Poésie et médias, XX-XXIe siècle (2012). Elle poursuit actuellement ses recherches sur les pratiques d’oralisation des poèmes, selon une perspective à la fois historique et médiopoétique.

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