Radiogénie de Philippe Soupault

Résumé

Comme beaucoup d’écrivains de sa génération, Philippe Soupault s’est passionné pour le cinéma, le journalisme et enfin la radio. Elle est pour lui l’occasion de dire et de diffuser la poésie. Cet article montre que la voix radiophonique du poète est travaillée par les mêmes exigences que celles de sa poésie : simplicité, naturel, art des images et du rythme.


As many writers of his generation, Philippe Soupault was passionate about the cinema, the journalism et finally the radio. He considers the radio as an opportunity to say and broadcast the poetry. This article shows the radio voice of the poet is worked by the same requirements as those of his poetry: simplicity, nature, art of the images and sense or rhythm.


Texte intégral

Cocteau souhaitait que la « grande femme de silence au collier d’ondes [1] » devienne « une muse de plus. Une muse tout court [2] », Jean Tardieu était fasciné par les « voix sans personne » et Cendrars par les « mille oreilles » qui écoutent en même temps [3]. Soupault, pour sa part, aurait pu lancer la formule « Radio = poésie », car seule la poésie, croyait-il, peut donner à la radio « le pouvoir d’exprimer la vie [4] ». Il n’était pas le seul à le penser : la poésie est reine dans les années trente, où on l’entend et on la voit « partout », « non seulement dans les mots, mais aussi dans les bruits, les êtres, les habits, les objets, les rues, les vitrines des magasins, les fleuves », se souvient Jean Chouquet [5]. La radio, quant à elle, martèle Soupault, est l’« une des grandes apparitions de ce siècle » : « sa rapidité de transmission » est proprement merveilleuse, elle « fait faire des bonds prodigieux à la culture », elle rapproche les hommes les uns des autres et met « les foules en contact avec le créateur [6]. » On aura reconnu dans ce rêve de diffusion à grande échelle l’un des grands lieux communs de la modernité.

L’activité radiophonique de Soupault n’a rien, non plus, d’original en soi. Elle s’inscrit dans un parcours semblable à celui de nombreux écrivains entrés en littérature peu avant ou peu après la grande guerre qui, comme lui, se sont passionnés pour le cinéma – voire la publicité –, ont été tentés par le roman puis par le reportage, avant de se tourner vers l’activité radiophonique : on songe à Cendrars, bien sûr, mais aussi, avec quelques variantes, à André Beucler, à Pierre Mac Orlan ou à Léon-Paul Fargue. La singularité de Soupault tiendrait davantage dans le fait d’avoir combiné cette trajectoire, caractéristique des « modernes », avec celle, avant-gardiste, des dadaïstes et des surréalistes, plus défiants à l’égard de l’invention technique.

Original, Soupault le serait donc plutôt d’avoir investi avec une même ferveur deux « postures » qui, sur la scène littéraire et artistique de l’Entre-deux-guerres, ont coexisté sans nécessairement se rencontrer : l’une contestataire et révolutionnaire, armée d’une volonté de table rase et de destruction du passé, l’autre, moins radicale, mais plus sensible à la découverte et à l’exploration des « mondes nouveaux ». C’est comme tel, comme un « nouveau monde dont nous soupçonnons à peine l’existence, mais dont nous subissons à chaque seconde de notre vie la puissante influence », que Soupault envisage « le monde des sons »

1. La voix de Soupault

Certains qui n’écoutent pas plus loin que le bout de leur oreille, ne voudrons pas comprendre que le monde sonore est encore à découvrir. Ils se contentent (et pas toujours) de la musique. Mais il faudrait leur répondre que la musique est une petite région, même pas un département, un canton du pays des sons [7].

Ainsi s’exprimait Soupault en 1946, l’année même de la transition entre le Studio d’Essai et le Club d’Essai, dans un article des Lettres françaises où il rend hommage aux chercheurs qui travaillent dans le Radio-Laboratoire de la Radiodiffusion française (RDF). Les découvertes de ces explorateurs des ondes, qu’il nomme des « scaphandriers », ne bénéficient pas, déplore-t-il, de la publicité qu’elles méritent. Soupault est dans l’un de ses rôles préférés, celui de qui s’emploie à faire reconnaître les artistes ou les univers injustement méconnus.

Suit, sur la même page, signé du sociologue Roger Veillé, le récit de quelques-unes des expériences menées par ce dernier avec le réalisateur Albert Riéra dans le cadre de l’émission Radio-Laboratoire qu’ils animèrent ensemble sur le Poste parisien de janvier 1945 à la mi-mars 1946. Avec la collaboration du public, ils ont pu conduire diverses investigations sur le « mouvement » ou sur la « lumière des sons ». Cette dernière tend à démontrer que la radio disposerait de « trois gammes d’éclairage sonore » : les sons graves, assourdis, qui évoquent l’obscurité, les sons aigus la lumière, tandis que la voix « normale » suggère la demi-obscurité. La voix chaude, grave remontant parfois vers l’aigu, légèrement voilée de Philippe Soupault, serait donc plutôt une voix de nuit, traversée de crépuscules et d’aurores, en accord avec « la couleur d’insomnie » et le « ton du nocturne [8] »qui de Westwego aux Dernières Nuits de Paris, baigne son univers poétique.

S’interrogeant également sur les « caractérisations de la voix », les deux animateurs demandent aux auditeurs de dire quels traits physiques et moraux évoquent pour eux la voix anonyme dont on leur fait entendre un échantillon. Les résultats sont surprenants. Chez 80% des correspondants, on voit « un trait physique s’imposer. Tantôt la corpulence : il y a des voix maigres ; tantôt la taille : des voix petites ; tantôt l’âge. « Il semble que l’individualité physique évoquée par la voix se définisse avant tout par un seul trait précis : la blondeur, chez l’un, la vieillesse chez l’autre. La caractérisation morale paraît aussi sommaire et nette, c’est tantôt la brutalité, tantôt la distinction, la vulgarité, etc. qui dominent [9]. » Ces recherches ne sauraient manquer de retenir l’attention de qui s’intéresse à cette sœur cadette de la photogénie, qu’est la « radiogénie », ce « charisme des ondes », pourrait-on dire, qui fait d’une voix passant par le micro vous touchera tandis qu’une autre vous laissera indifférent.

Il me faut avouer ici la déception que m’a d’abord procurée l’écoute intensive, à l’Inathèque, de Philippe Soupault à la radio, principalement dans les entretiens, les portraits et quelques carnets de voyage. Non que ses propos et son style radiophonique manquent d’intérêt – j’y ai beaucoup appris –, mais parce qu’ils ne m’ont procuré aucune réelle surprise, pas de véritable révélation. Comme si l’image et la voix, la parole et l’écriture se faisaient écho, s’inscrivaient dans une parfaite continuité. Trop parfaite, justement. Fallait y voir l’effet d’une sorte d’accommodation, qui au fil du temps m’aurait conduite à fondre en une seule image, les représentations depuis longtemps familières du visage, de la voix – moins connue mais que j’avais déjà entendue – et de l’œuvre de Philippe Soupault ? Qu’aurais-je dès lors à dire de cette voix, que je n’aurais pu dire sans elle ? À moins qu’il ne faille accorder quelque crédit à cette impression d’harmonie – sachant qu’a contrario, je n’ai jamais pu m’habituer à la voix de Cendrars, que je continue de ressentir comme impossible ? Mais comment, en ce cas, faire la part de l’écoute « originale » et de la reconstitution ? D’autant que dans les années 1990, je me souviens que presque toutes les personnes que je sollicitais à propos de Soupault (qui venait de disparaître), se rappelaient immédiatement l’avoir « entendu à la radio ». N’était-ce pas lui, le poète surréaliste de Faites vous-même votre anthologie, et de Nos quatre cent coups ? Sans doute, mais le romancier, le journaliste, et même l’auteur des Champs magnétiques ? Il ne leur disait finalement pas grand-chose : entendu, Philippe Soupault l’a sans doute été bien davantage qu’il n’a été lu. Tel est l’étrange constat qui s’impose.

Constat d’autant plus troublant que nous ne connaîtrons jamais vraiment, malgré quelques précieux témoignages, ce portrait sonore de l’auteur des Chansons. Car si les paroles radiophoniques ne s’envolent pas, comme les écrits restent, elles n’en passent pas moins, comme passent les couleurs ou les parfums. Telles des « conserves sonores », selon une judicieuse formule de Cocteau, elles sont dotées d’une date de péremption, au-delà de laquelle elles perdent une partie de leur saveur d’origine. Le portrait radiophonique de Philippe Soupault serait-il à jamais celui d’un fantôme ?

Qu’à cela ne tienne ! Faisons-lui jouer un instant le rôle du revenant. Pour le faire revenir, j’ai choisi de mettre en œuvre le test de « caractérisations de la voix » de Radio-Laboratoire, auprès d’un groupe d’une quarantaine d’étudiants de Master 2. Ayant sélectionné des extraits de l’émission de Louis Mollion « Les rêves perdus de Philippe Soupault [10] », en faisant en sorte que le contenu soit le moins révélateur possible du caractère de la personne et de son identité, je les ai soumis à leur écoute. Une écoute innocente donc, littéralement en aveugle, c’est-à-dire à la manière de quelqu’un que sa cécité oblige à considère les sons à part entière et non comme de simples « trouble-vue [11] ». Toutes les réponses, sans exception, ont cru reconnaître la voix d’un homme âgé : « vieux » ou « plutôt vieux ». S’agissant des qualités morales, le calme vient en première position, suivi de la douceur, puis de la cordialité. L’image d’un homme paisible, affable et sympathique s’impose très majoritairement. Physiquement, on l’imagine petit, trapu, voire « replet », avec un visage « plutôt carré » mais néanmoins élégant ! Quelqu’un plaque sur sa voix le physique de Niels Arestrup, quelqu’un d’autre le visage d’André Dussolier. Un portrait paradoxal donc, d’où se dégage une impression de force et de délicatesse, de présence tranquille et d’affabilité. Ainsi se trouve confirmé le fait que l’image acoustique tend à ramener à quelques traits la représentation des personnes, à les « antonomaser », si l’on peut dire, en leur faisant incarner des essences. Elle est sans nuances, certes, mais non sans pertinence.

Ce petit sondage a été conduit, il faut en convenir, sans grands égards pour les règles du genre qui aurait voulu que l’échantillonnage des auditeurs soit beaucoup plus important et plus varié en âges, et bien sûr, que les morceaux choisis proviennent de différents types d’émissions, d’époques diverses. Tentons néanmoins de rebondir à partir de ces résultats.

2. Simplicité

La question de l’âge, tout d’abord, demande à être interprétée. Soupault a 58 ans au moment de l’émission, ce qui dans les représentations de jeunes auditeurs peut aisément passer pour « vieux ». Il faut également tenir compte du fait que l’enregistrement remontant à 1955 – la modulation de fréquence commence tout juste à s’imposer face à la modulation d’amplitude –, la perception de l’âge de la personne tend à se confondre avec celle de l’émission elle-même, dont les normes, très policées, tranchent avec les habitudes radiophoniques actuelles. Les liaisons appuyées – dont Soupault n’est pas avare (« qu’il ait été », « serait absolument ») – qui tendent aujourd’hui à disparaître ; l’emploi du passé simple (« Nous fréquentions beaucoup le cinéma »), un certains lexique qui, sans être soutenu à l’époque, apparaît quelque peu comme tel de nos jours (les « jeunes gens », « remarquable », « prodigieux » – un mot qu’il affectionne), une légère tendance à ouvrir les voyelles (« Reverdy », « adoration », « cauchemars ») suffiraient à communiquer cette impression d’ancienneté qui émane du décalage historique. Ce que certains étudiants ont perçu, au demeurant, lorsqu’ils disent se représenter quelqu’un de « désuet ».

Mais qu’en aurait-il été si on leur avait fait écouter le « Magazine des arts », animé par Jean Wahl, consacré à l’exposition William Blake de 1947 [12], artiste auquel Soupault a consacré en 1928 un essai et dont il a traduit avec son épouse Marie-Louise les Chants d’innocence et d’expérience [13] ? Sans doute, auraient-ils aussitôt compris combien « jeune » est, relativement du moins, l’élocution de Philippe Soupault lorsqu’on la compare à la voix compassée de Jean Wahl, ou à celle, caricaturale, de René Drouin, l’organisateur de l’exposition, qui ponctue chacune de ses phrases d’un « n’est-ce-pas ? » proféré d’une voix nasale, pontifiant sur les « aquârelles » de l’artiste, tandis que le plus sympathique Bachelard fait songer à un « paysan de Paris », lorsqu’il évoque, en roulant les « r », les « mythes de la création chez Blake ». « – Est-ce que Philippe Soupault aurait un petit mot à dire… », s’enquiert l’animateur. « – Rien du tout, rien du tout… c’est abominable… », répond Soupault que l’on pourrait être tenté de croire atteint de quelque excès de timide, si son expérience de la radio (il a déjà dirigé à cette époque Radio Tunis) ne donnait plutôt à penser qu’il se refuse à jouer le jeu de cet entretien hautement culturel, pour ne pas dire passablement snob. « – Rien à dire sur le mal ? », insiste Jean Wahl. Réponse de Soupault : « – C’est parce que je le connais ». Et son interlocuteur de revenir à la charge : « – Je vois que Philippe Soupault sourit, probablement va-t-il revenir sur sa décision… ». « – Blake, dit-il, est avant tout un graveur » et « un poète », et Drouin qui ne souffre visiblement pas l’ancien dadaïste, de pinailler : « – Qu’il ait gravé beaucoup, oui… » Soupault l’emporte finalement en une formule, qui a l’art de détendre l’atmosphère en suscitant quelques rires : « – Le surréalisme est éternel. »

Cet intermède pour dire que la manière radiophonique de Soupault est résolument hostile au style « émission culturelle entre lettrés », d’une simplicité sans surenchère, dépourvue de toute hystérisation. Une voix profonde qui monte du corps, bien posée, théâtrale mais sans théâtralité, sans emphase. Une voix naturelle, sans pour autant être « nature », qui ne fait pas chanter la Provence, comme celle de Giono, ni entendre la Champagne-Bourgogne de Colette ou de Gaston Bachelard. Une voix pour tout dire classique – de qui a fait ses classes –, mais de qui a aussi hérité de son milieu, celui de la grande bourgeoisie, une pureté syntaxique et un niveau de langue que Soupault, quoi qu’il en ait, ne semble pas avoir songé à contester. Une voix cultivée mais qui se refuse à connoter la culture. Soupault n’a pas le goût du mot rare pour le mot rare. Il parle une langue sobre, dépourvue de luxuriance, sans exotisme, qui laisse toute sa place à la force de l’image qui surgit à l’improviste, mine de rien, sans aucun effet de manche. Elle n’en est que plus frappante et plus juste : « je suis une fleur de macadam [14] » (pour exprimer son amour de la ville) ; Apollinaire avait un « sourire de soleil » ; le désert est une « mer dorée [15] » ; la poésie « une “vie exhaustive” [16] »… Ne seraient ces pépites distillées sans excès, que l’on pourrait presque conclure à une certaine monotonie de ce discours quelque peu hypnotique, qui berce l’auditeur mais sans l’endormir.

Car Soupault a le sens du rythme. « Je suis moins sensible à la beauté sonore qu’à la puissance rythmique » confie-t-il au micro des « rêves perdus [17] ». « Dada a eu cette vertu,/ merveilleuse / de supprimer tout/ et de dire zéro,/ zéro,/ nous ne croyons à rien,/ nous refusons le monde [18] » – voici, parmi tant d’autres, l’une de ces phrases toutes simples qui exercent cependant une grande force de séduction par sa cadence, son accentuation, sa construction binaire. L’éloquence, chez Soupault, sait rester discrète, préférant s’exercer sur le mode mineur qui lui était cher. Il aime aussi à ponctuer ses propos de rappels à l’ordre de la conversation : « voyez-vous », « figurez-vous », « vous savez », « je dois dire », « toujours est-il », « m’enfin tout de même »… sont quelques-unes de ces expressions, quasiment phatiques, qui maintiennent le contact avec l’interlocuteur et à travers lui, avec l’auditeur. Luc Bérimont cite-t-il Novalis – « La philosophie c’est l’hôpital de la poésie » – Soupault est enchanté : « C’est un beau mot que je ne connaissais pas ; c’est un mot merveilleux [19]. » Il vit la conversation, il est là, présent à sa parole.

3. Lenteur

Mais revenons à notre portrait en aveugle de Philippe Soupault. L’homme massif, rond ou carré, imaginé à l’audition par les étudiants, est en assez large désaccord, nonobstant la distinction qui lui est prêtée, avec « l’allure racée de grand lévrier » et le « visage aigu qui coupe le vent » que nous décrit Henri-Jacques Dupuy [20]. Si la gentillesse et l’urbanité du poète sont avérées par ceux qui l’ont connu, il faut néanmoins lui adjoindre, si l’on en croit Jean Chouquet, Soupault « l’ironique », « le moqueur, le persifleur, le cruel, le sadique, le diabolique [21] »… « doux comme un tigre », confie-t-il dans l’une de ses chansons [22]. Quant au flegme qui émane de sa voix, il est en totale contradiction avec l’homme qui passe en coup de vent, toujours sur le départ, donnant l’impression d’être perpétuellement en fuite qu’a volontiers laissée Philippe Soupault à ceux qui l’ont connu et que Jean Chouquet résume ainsi sur le ton de l’humour : « Bonjour… bonsoir… Et hop ! … je suis passé… Je suis pressé. Je fous le camp ! À demain… à bientôt… Au revoir… Adieu… Oubliez-moi [23] ! » Ne croirait-on pas reconnaître le Julien de En Joue [24]?

Une telle discordance peut assurément provenir du caractère trompeur de la voix, pour autant que l’on considère – à tort – celle-ci comme un reflet de l’image visuelle ou de l’image interne qu’une personne peut avoir d’elle-même. On sait le choc que Gide, par exemple, éprouva à l’audition de sa propre voix : elle n’était pas la sienne, il ne s’y reconnaissait pas. Dans le cas de Soupault, son objective lenteur d’élocution serait à mettre au compte de sa capacité d’adaptation au media. Il semble, en effet, qu’une certaine nervosité d’être disparaisse, chez lui, dans la situation radiophonique. Comme si celle-ci ouvrait une parenthèse dans le rythme de l’existence, et que, en le mettant face à autre chose que lui-même, face à la langue et face au public, son rapport au temps s’en trouvait changé. « Comme tout grand homme de radio, il sait respecter les silences entre les mots », se souvient Jean Chouquet [25]. Ces silences, il les fait pour ainsi dire parler, en les faisant entendre. De cette voix au ralenti, on serait tenté de dire ce que Soupault lui-même dit de celle de la Greta Garbo de l’époque du muet, lorsqu’il la qualifie de « voix silencieuse [26] ». Cet art du silence qui caractérise sa parole radiophonique est loin d’être partagée par tous les écrivains : que l’on songe, là encore, à la voix brouillonne de Cendrars qui démarre « en trombe égrenant les phrases à toute vitesse, sans égard pour les syllabes jugées secondaires, superflues [27] », qui coupe volontiers la parole à ses interlocuteurs. Le phrasé de Soupault est toujours clair, net : les mots se détachent les uns des autres comme les perles d’un collier. Et en se détachant, ils prennent consistance, revêtent un éclat singulier. Ce plaisir, perceptible à l’écoute, des mots en bouche, exprime mieux que tout discours une intimité physique avec la poésie.

Le tempo lent laisse également aux auditeurs le temps de se représenter l’image des choses. Un pouvoir évocatoire qui tient au fait que la voix de Soupault n’est pas narcissique, elle sait se faire oublier, ne s’interpose pas entre l’émetteur et son discours, comme si elle s’effaçait au profit de ce qu’elle suscite. Aucune recherche, aucun maniérisme, mais le rythme de qui « pèse ses mots » et pèse sur eux de tout le poids d’une parole habitée, vécue, qui se pense dans le temps même où elle se dit. On en subit le charme sans se l’expliquer. Mais quoi de plus fragile qu’un charme ?

4. Extinction de voix

Il suffit que Soupault se mette à « réciter » pour que sa voix cesse d’être vivante. Rien ne le dessert plus que quand il lit un texte écrit pour une émission – ainsi que cela est souvent le cas lorsqu’il se trouve, non dans la position de l’écrivain avec lequel on s’entretient, mais dans le rôle professionnel du présentateur d’une émission, comme par exemple « Tels qu’en eux-mêmes », dont il est également le producteur, avec Philippe Fayet [28]. C’est à peine si l’on reconnaît sa voix, tant elle semble emprisonnée. Elle se fait alors impersonnelle, « éteinte » et « mécanique », pareille à la Georgette des Dernières nuits de Paris qui, lorsqu’elle s’engouffre au petit matin dans une bouche de métro perd toutes ses qualités de « reine du mystère [29] ». Quelle différence entre cette parole « professionnelle », désaffectée, et l’élan qui émane de sa lecture des premières pages des Champs magnétiques (pages dont nous savons à présent qu’il est l’auteur) : une lecture qui impose l’évidence d’un texte que nul autre que lui ne saurait lire avec une telle justesse, en même temps qu’avec une si parfaite économie de moyens. La diction repose entièrement sur le rythme, tantôt syncopé, tantôt ralenti par un impeccable découpage syllabique, qui restitue d’une manière étonnante le souffle même de l’écriture : une lecture qui donne le sentiment que le texte s’écrit au moment même où il est proféré. Nous sommes en juin 1975, lors de l’un des entretiens avec Bernard Delvaille pour France Culture : Soupault a 78 ans. Sa voix paraît plus jeune que, trois ans plus tôt, dans la radioscopie de Jacques Chancel où elle semble plus lasse : le rythme de la phrase est plus uniforme, les propos sont plus lisses, le discours se fige, comme en proie à la lassitude de se redire – cent fois sur le métier « le dernier survivant du surréalisme [30] » aura remis son témoignage… Ce n’est pas tant l’âge qui fait la jeunesse, que le degré d’adhésion à sa propre parole.

La voix de Philippe Soupault est éternellement jeune lorsqu’elle ressemble, en somme, à sa poésie. Et si en sa voix vive il parle comme il écrit, c’est peut-être parce qu’il écrivait comme il parle. Mieux encore, parce qu’il s’écoutait écrire : « Ces chansons, je crois qu’avant de les écrire je les ai entendues au cours de mes rêveries, pendant mes rêveries et mes songes », confie-t-il au micro lors de la première émission de Chansons d’écrivains [31]. Philippe Soupault est en somme radiogénique dans la poésie. Tel pourrait bien être le secret de sa voix « sans rides ».

Notes

[1] Jean Cocteau, « Radio Luxembourg parle au monde » (1938), Jean Cocteau, unique et multiple, Pierre-Marie Héron (éd.), DVD-Rom et livre abécédaire, Montpellier, éditions L’entretemps, 2012, p. 44.

[2] Jean Cocteau, « Radio City » (1938), Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série, n° 8, Cocteau et la radio, Pierre-Marie Héron (dir.), 2010, p. 10-11.

[3] Jean Tardieu, Une voix sans personne, Paris, Gallimard, 1954 ; Cendrars cité par Christine Le Quellec Cottier, « “Au micro, tout doit être dit” », Entretiens avec Blaise Cendrars. Sous le signe du départ, deux CD audio et un livret, RTS-CEBC-éditions Zoé, 2013, p. 8.

[4] Cité par Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie, en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n° 2, 1997, p. 210.

[5] Jean Chouquet, ibid.

[6] Philippe Soupault, « La radio », série Les dix clés du siècle, Chaîne nationale, 28 décembre 1949.

[7] Philippe Soupault, « Découverte du monde sonore », Les Lettres françaises, 12 avril 1946, p. 3.

[8] Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui »,1957, p. 90-91.

[9] Philippe Soupault, « Découverte du monde sonore », op. cit., p. 3.

[10] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », série Le Bureau des rêves perdus, Chaîne parisienne, 27 janvier 1955, 22h15.

[11] V. Philippe Soupault, « Un monde nouveau », Cahier d’études de Radio-Télévision, n° 16, 1957, p. 351-353. Dans cet article, l’auteur rapporte une conversation qu’il a eue avec un aveugle sur les sons et leur perception.

[12] 28 mars 1947, chaîne non déterminée, 13h11.

[13] Philippe Soupault, William Blake, Paris, Rieder, « Maîtres de l’art moderne », 1928 ; William Blake, Chants d’innocence et d’expérience, tr. Marie-Louise et Philippe Soupault (1927), Paris, Charlot, 1947.

[14] Louis Mollion, « Une heure 46, rue de l’université », série Soirées de Paris, 8 janvier 1956.

[15] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », op. cit.

[16] Luc Bérimont, « Nos quatre cent coups : entretiens avec Philippe Soupault », France Inter, 31 mars 1963.

[17] « Les rêves perdus de Philippe Soupault », op. cit.

[18] « Le mouvement Dada », Archives littéraires : Philippe Soupault, Radio Télévision Française (RTF), 1er janvier 1952 (diffusion 17 avril 1957).

[19] Luc Bérimont, « Nos quatre cent coups », op. cit.

[20] Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, op. cit., p. 81.

[21] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », Cahiers Philippe Soupault, n° 1, 1994, p. 24.

[22] Philippe Soupault, « Et vous », Chansons, Lausanne, Eynard, 1949.

[23] Jean Chouquet, « Soupault l’éléphant », op. cit. p. 27.

[24] Philippe Soupault, En joue !, Paris, Grasset, 1925. Le roman commence ainsi : « Julien dort. Que fait-il ? Il ronfle. Que fait-il ? Il rêve et il chasse une mouche. Julien s’éveille. Il bâille, il s’étire, il se dresse sur son séant. Julien se précipite dans sa baignoire, lit le journal et fume. Il a la manie de faire plusieurs choses à la fois. “Je suis vivant”, répond-il à chaque instant et, pour le prouver, il s’agite. Il avale son café au lait en écrivant des lettres et en jouant du piano sur la table. »

[25] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault, op. cit, p. 191.

[26] « Greta Garbo. Extrait d’une émission radiophonique non identifiée », reproduit dans la plaquette-programme « Ciné Soupault du 19 au 25 novembre 1997 », Cinéma L’Épée de bois, n. p.

[27] Voir Jean-Carlo Flückiger, « “Il pleut dans ma gorge” : la voix de Cendrars », BlaiseMédia. Blaise Cendrars et les médias, Birgit Wagner et Claude Leroy (dir.), Ritm, n° 36, Université Paris X, 2006, p. 11-28.

[28] Dans l’émission sur Jules Verne, par exemple, diffusée par France-Culture le 19 juin 1966 à 21 h, on constate en consultant les Cahiers littéraires de l’ORTF (Quatrième année, n° 17, 12-25 juin 1966), que la présentation de l’auteur de Michel Strogoff par Soupault est entièrement rédigée.

[29] Philippe Soupault, Les Dernières Nuits de Paris (1928), rééd. Seghers, 1975, p. 61.

[30] Monique Petillon, « La mort de Philippe Soupault », Le Monde, 13 mars 1990.

[31] Jean Chouquet, « Chansons d’écrivains : Philippe Soupault », Club d’Essai, 30 mars 1952, 13h25-13h45.

Auteur

Myriam Boucharenc est professeur de littérature à l’université Paris Ouest Nanterre, responsable, au sein du Centre des Sciences de la littérature française, de l’équipe « Interférences de la littérature ». Elle a consacré sa thèse de doctorat à Philippe Soupault (L’échec et son double, Champion, 1997) et co-dirigé avec Claude Leroy le colloque de Cerisy pour le centenaire de la naissance de l’auteur (Présence de Philippe Soupault, Presses universitaires de Caen, 1999). Depuis elle travaille sur les rapports entre Presse et littérature au XXe siècle et porte depuis janvier 2015 le projet ANR LittéPub (Littérature publicitaire et publicité littéraire de 1830 à nos jours).

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Viv(r)e la poésie. Poésie et radio selon Soupault

Résumé

Cet article propose de considérer l’activité radiophonique de Philippe Soupault entre 1954 et 1965, au travers des sept séries dédiées à la poésie, sous deux angles complémentaires : la radio doit d’un côté célébrer, défendre et faire circuler la poésie, de l’autre permettre aux pouvoirs subversifs et libérateurs des poèmes – et plus largement de tous textes, paroles, chansons porteurs d’insolite – de se propager le plus largement possible parmi les auditeurs. Par cet usage du médium radiophonique, Philippe Soupault non seulement reste parfaitement fidèle à l’esprit surréaliste, mais encore parvient à introduire ce dernier au cœur de la radio d’État.


This article examines Philippe Soupault’s broadcasting activity from 1954 to 1965, focusing on the seven series he dedicated to poetry and emphasizing their two complementary aims: firstly, the radio should celebrate, defend and promulgate poetry, and secondly it should allow the subversive, liberating powers of poems – and more generally of any text, speech or song conveying something unusual – to be spread as broadly as possible among the audience. Not only such a use of the radio medium by Philippe Soupault remains perfectly in line with the surrealist spirit, but it also manages to bring it into the heart of the state-controlled radio.


Texte intégral

À partir des années cinquante, Philippe Soupault consacra la plus grande part de son activité radiophonique à la diffusion de la poésie, produisant entre 1954 et 1965 pas moins de sept séries exclusivement dédiées à cette dernière : avec Jean Chouquet, il produit d’abord Prenez garde à la poésie (1954-1956), Faites vous-mêmes votre anthologie (1955), puis Poètes à vos luths (1956-1957) ; ce sont ensuite Poésie à quatre voix (1957-1958), en partenariat avec le Canada, la Belgique et la Suisse, Poètes oubliés, amis inconnus (1959-1961), Les Midis de la poésie (1961) et enfin Vive la poésie (1961 à 1965), une émission publique mensuelle coproduite avec les poètes Youri et Jean-Pierre Rosnay. Philippe Soupault fait donc partie des producteurs piliers de l’ère Gilson (1946-1963), marquée par une forte présence des poètes à la radio et par une importante valorisation du genre sur les ondes. Ses émissions se caractérisent par un souci constant de la fantaisie, de l’humour, et par un rejet non moins constant de tout académisme. Prenez garde à la poésie inaugure en effet une nouvelle forme de spectacle poétique, avec des émissions publiques enregistrées en direct auxquelles participent non seulement des poètes, mais aussi des comédiens et des chanteurs (dont un certain nombre de vedettes). Le succès est tel que certains tiennent Soupault pour responsable de la confusion quasi instituée, à la fin des années soixante, entre poésie et chanson [1]. De fait, si l’on en croit Jean Chouquet, ce qui aurait déclenché la carrière de Soupault comme producteur d’émissions poétiques aurait été sa participation, sur une suggestion de Jean Tardieu, à la première émission de Chansons d’écrivains en 1952. Que découvrit-il alors ? Non pas la radio, qu’il connaissait bien déjà depuis les années trente, mais le fait de pouvoir s’adresser à un vaste public pour lui parler de poésie sous couvert de chansons. Et pas seulement de poésie, mais d’expériences poétiques.

Quelle fut donc l’ambition de Soupault à travers ces émissions, qui, comme la presse le souligne de manière unanime, révolutionnent la manière de parler de poésie à la radio ? S’il s’agit de transmettre une « culture poétique », comme le dit par exemple en 1957 un bulletin de l’Union européenne de radiodiffusion [2], de quelle culture s’agit-il ? Quelle image de la poésie cherche à faire passer Soupault ? Que reste-t-il de ses goûts et dégoûts personnels, en particulier de sa culture surréaliste ? D’autre part, on sait que la poésie pour Soupault ne se résume pas à des textes. Elle est « pouvoir de connaissance » (une formule de Ribemont-Dessaignes [3] que Soupault reprend volontiers à son compte), mais aussi moyen de transgression et de libération d’abord éprouvé au fond de soi, ensuite exprimé. Et ce n’est pas un petit défi (ou une moindre provocation ?) que d’utiliser les ondes de la radio d’État comme support à la circulation de cette humeur transgressive qu’est la poésie selon Soupault… L’ambition de Philippe Soupault, producteur d’émissions poétiques, est donc double : la première facette pourrait être nommée, en reprenant le titre d’une de ses séries, « Vive la poésie », car il y a volonté de célébrer, au besoin de défendre la poésie, classique et contemporaine ; la seconde, « Vivre la poésie », car il s’agit de transmettre, au delà de la vulgarisation et de la mise en spectacle d’une culture poétique, l’expérience intime et libératrice du pouvoir poétique.

1. Faire passer la poésie : des émissions décapantes

Prenez garde à la poésie, qui débute en 1954 sur les ondes du Programme national, est en tout point un défi. Comme le rappelle Jean Chouquet dans un précieux témoignage, il s’agissait pour Soupault de rompre avec les habitudes jusque là prises à la radio pour parler de poésie : plus de récitals, de déclamations pompeuses ou de commentaires pédants, mais une émission de variétés mêlant musique, chansons et récitations poétiques par de jeunes comédiens du TNP de Vilar plutôt que de la Comédie Française ; plus seulement les poètes consacrés par la tradition scolaire mais les poètes de la modernité, voire les tout jeunes poètes inconnus et inédits.

Il fallait que nous soyons neufs, drôles, originaux. Il fallait prouver aux auditeurs que la poésie pouvait devenir attrayante, populaire et gaie [4] !

Tel est le mot d’ordre que s’étaient fixé les producteurs, sous l’œil approbateur de Paul Gilson, qui souhaitait alors faire du Programme national une chaîne de culture et de divertissement tout à la fois [5]. Et pour parachever le défi, l’émission était publique, enregistrée au théâtre des Noctambules à Paris : avec ce dispositif, impossible d’ignorer, comme dans d’autres émissions consacrées à la poésie, l’accueil des auditeurs, dont le public réel devait en quelque sorte fournir un échantillon représentatif. Dès la première émission, le succès fut immense, à tel point que les producteurs durent changer de salle et enregistrer au théâtre Gramont qui pouvait accueillir jusqu’à cinq-cents spectateurs. Là, ils durent encore refuser du monde, nous dit-on, tandis que la radio reçut jusqu’à six-cents lettres par mois [6].

Quelle était donc la recette d’un pareil et si inattendu succès ? L’humour bien sûr, servi par le jeune duo encore peu célèbre que formait déjà Jean Poiret et Michel Serrault (ils se produisaient dans les cabarets rive gauche au début des années cinquante et plusieurs de leurs sketches furent intégrés aux émissions [7]) ; les chansons populaires, qui plaçaient le public en terrain connu ; et enfin, appât non négligeable, la présence de vedettes comme Charles Trenet (particulièrement ovationné), Maurice Chevalier, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Agnès Capri, les Frères Jacques, les Quatre Barbus, Georges Brassens… Cette formule « émission de variétés » adoptée avec Prenez garde à la poésie fut reprise à peu de choses près dans Poètes à vos luths ! (où l’on retrouvait Poiret et Serrault) – mais l’émission était cette fois enregistrée en studio – ainsi que dans Vive la poésie.

À côté de ces émissions de variétés, Soupault recourt également à la causerie littéraire : une causerie écrite d’un bout à l’autre et jouée par un couple de comédiens, Marie Daëms et François Périer dans Faites vous-mêmes votre anthologie, Évelyne Gabrielli et Jean-Claude Michel (la voix de Clint Eastwood !) dans Poésie à quatre voix. Le ton est plus sérieux que dans les émissions de variétés, mais rendu vivant par les chamailleries amicales entre les deux présentateurs. Il s’agit le plus souvent de convaincre l’autre d’une idée ou d’un goût poétique : dans l’une des émissions de Faites vous mêmes votre anthologie, Marie Daëms défend ainsi avec une fougue enthousiaste Lautréamont et les derniers vers de Rimbaud ; dans une émission de Poésie à quatre voix, Évelyne Gabrielli défend la poésie des femmes, moins connues et moins éditées que les hommes. Comme les émissions de variétés, ces causeries sont prétexte à lectures de poèmes et diffusions de chansons poétiques.

Un autre élément novateur, commun à toutes les émissions poétiques de Soupault, est la place accordée au public, que ce soit le public in absentia (les auditeurs) ou le public réel dans le cas des émissions publiques (les spectateurs). Les animateurs citent le courrier, font lire des poèmes reçus, interrogent les spectateurs au cours de l’émission, invitent à participer à des enquêtes ou des concours : tout est bon pour créer des liens, voire des interactions entre les producteurs et les auditeurs. Pour Soupault, ainsi qu’il le déclare dans une interview de 1949, cette capacité à toucher le « grand grand public », « à rapprocher le créateur et le public » constitue le grand apport de la radio (partagé avec le cinéma et la télévision) [8]. En tant que producteur, Soupault joue de cette possibilité dans les deux sens : en s’adressant aux auditeurs, il leur transmet une culture poétique, mais aussi s’enquiert de ce qu’ils connaissent, de ce qu’ils aiment, voire de ce qu’ils créent. Avec Faites vous-mêmes votre anthologie par exemple, Soupault veut sonder les goûts poétiques des auditeurs en leur proposant, parmi une liste de cinq-cents poèmes pris dans des anthologies déjà établies, de choisir leurs cinquante poèmes préférés (cinq du XIIIe au XVe siècle, dix du XVIe, huit du XVIIe, sept du XVIIIe, dix pour la première partie du XIXe siècle et dix pour la seconde partie de ce dernier [9]), le but étant à la fois de publier une « Anthologie des auditeurs » et de restituer oralement les résultats de l’enquête dans une nouvelle série d’émissions. Là encore, ce fut un succès considérable puisque la radio recueillit plus de cinq mille réponses, publia Les deux cents plus beaux poèmes de la langue française (ouvrage qui, malgré son prix élevé, fut vendu à plus de 20 000 exemplaires) et reçut un abondant courrier d’auditeurs tout au long des émissions. En 1956, est d’autre part lancé dans le cadre de Prenez garde à la poésie un « tournoi de jeunes poètes » : à chaque émission deux candidats venaient dire deux de leurs poèmes et les auditeurs devaient envoyer leurs notes (sur 20) à la RTF, appelés de la sorte à constituer une nouvelle instance de légitimation poétique. Enfin, Soupault collecte en 1957, en partenariat avec les radios suisse, belge et canadienne, des milliers de comptines (8000 furent recueillies pour la France) ; elles furent ensuite publiées en anthologie chez Seghers en 1961 (Les Comptines de langue française).

Si le mot d’ordre de Lautréamont « la poésie doit être faite par tous, non par un » rallia de nombreux acteurs de la démocratisation de la poésie après la guerre, nul ne le mit plus en œuvre que Soupault dans ses émissions poétiques.

2. Au service des jeunes poètes

La plupart des émissions poétiques de Soupault se présentent également comme un support d’édition et d’exaltation des jeunes poètes. Poiret le rappelle régulièrement dans Prenez garde à la poésie et dans l’émission consacrée aux jeunes poètes, c’est même Soupault en personne qui déclare :

[…] quand Jean Chouquet et moi avons créé cette émission Prenez garde à la poésie, notre grand espoir était d’abord de donner à de jeunes poètes la possibilité de faire entendre leurs œuvres, puis aussi de découvrir de nouveaux poètes [10].

En 1956 est organisé le concours de jeunes poètes inédits, sélectionnés par les producteurs et notés par les auditeurs. On retrouve par ailleurs cette défense des jeunes poètes au cœur de Poètes à vos luths ! où l’on entend par exemple Pierre Louki, qui n’a encore publié aucun livre. Poésie à quatre voix se présente quant à elle dans son générique comme une « émission consacrée à la jeunesse de la poésie de langue française ». De même encore, l’une des émissions de Vive la poésie est consacrée tout entière à la présentation de jeunes poètes (Jacqueline Moir, Edwige Dorfmann, Claire Legat, Geneviève Beckard, André Piétri, Pierre Deslisle, Patrick Mac’Avoy [11]).

Il semble que ce rôle de découvreur de talents poétiques ait particulièrement tenu à cœur à Soupault. Lui, le « découvreur » de Lautréamont (il en garda la fierté toute sa vie), joue ici le rôle de parrain en poésie, celui-là même qu’avait joué pour lui dans sa jeunesse Guillaume Apollinaire.

3. L’ombre de Soupault

D’un côté Soupault revendique une impartialité et une objectivité dans les choix de poèmes diffusés (il affirme donner voix à des poèmes variés, différents de son esthétique personnelle [12] ; dans Prenez garde à la poésie, à partir de 1956, il confie ainsi à Armand Lanoux le soin de présenter aux auditeurs un « herbier poétique », fort éclectique et se voulant par là même représentatif des différentes tendances de la poésie du XXe siècle) ; de l’autre, il est clair que ses émissions sont loin d’offrir une image neutre de la poésie. Elles sont imprégnées de l’idée de poésie selon Soupault, de ses valeurs, et même de son panthéon personnel. Ce discours sous-jacent de Soupault (qui assure une présence fantomatique, pourrait-on dire) éclate comme tel avec humour lorsque par exemple Marie Daëms et François Périer, les présentateurs de Faites vous-mêmes votre anthologie, viennent se plaindre dans Prenez garde à la poésie (émission du 29 janvier 1956) de ce que Chouquet et Soupault leur font dire « n’importe quoi », les obligeant par exemple à transmettre une image négative de Sully Prud’homme (alors qu’eux, ils aiment « Le Vase brisé » ! – poème que Soupault, comme il le dit souvent, estime être l’exemple le plus pur du « mauvais bon goût [13] ») ou bien à ne lire de Baudelaire que les poèmes en vers… De même, les allusions désobligeantes à l’égard de Cocteau (dépeint comme l’Académicien arriviste par excellence[14]), les piques à l’égard des Académiciens en général, les railleries par rapport aux instances de légitimation institutionnelles (l’école, les prix littéraires…) fonctionnent, pour qui connaît Soupault, comme sa signature même.

Dans cette perspective, le personnage de Stéphane Brineville joué par Michel Serrault dans Prenez garde à la poésie et Poètes à vos luths ! est particulièrement intéressant. Il incarne un poète raté et méconnu (jusqu’à ce qu’à la deuxième émission il remporte le « prix Concourt de Prenez garde à la poésie » !). Du point de vue comique, ne cessant d’interrompre Poiret, il figure l’empêcheur de tourner en rond, le parasite. Il est toutefois hautement ambivalent : à la fois ridicule par son outrance, son mauvais goût, son orgueil, sa bêtise ou son snobisme et rendu attachant au fil des émissions par sa naïveté désarmante, son comique involontaire. « Ami de Soupault », comme il le rappelle régulièrement, défenseur de la poésie moderne et contemporaine, favorable à l’extension de la poésie aux domaines de la chanson, du cinéma, du théâtre, partisan d’une présence des poésies francophone et internationale au sein des émissions, il est l’incarnation même de cette figure positive du « raté » si chère à Soupault :

[…] Je crois aux ratés, aux vrais. Les deux poètes que j’admire le plus, Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, furent des ratés intégraux. […] J’aime qu’on me siffle, qu’on me hue, non par masochisme mais parce que je crois qu’il faut être délibérément un raté [15].

Quelle est donc cette image de la poésie, cette culture poétique que cherche à délivrer Soupault au fil de ses émissions ?

4. Leçons de poésie

En rompant avec le ton des émissions de poésie traditionnelles, Soupault cherche avant tout à transmettre une image de la poésie non conventionnelle, non scolaire et non académique. C’est là une volonté récurrente de Soupault : dans ses carnets de voyage radiophoniques, comme par exemple en 1950 dans l’émission Instantanés de Perse, il dit vouloir « donner de la Perse une idée un peu moins conventionnelle que celle que les Français ont habituellement ». Pour la poésie, il s’attaque notamment aux représentations-clichés, ce qui confirme l’idée que le public visé est d’abord celui des non-lecteurs de poésie, ceux qu’il faut convaincre. Par exemple, que la « poésie des fleurs » n’est pas « démodée » mais continue d’être chantée sur tous les tons et de toutes les manières [16] ; que les poètes ne sont pas toujours « tendres, doux, mielleux, à l’eau de rose » mais parfois « féroces », agressifs et violents [17] ; ou encore qu’on peut dire la poésie sur tous les tons, que l’irrévérence vis à vis des classiques peut même être une bonne manière de les faire revivre [18].

Si des leçons se dégagent de ces émissions, c’est donc moins en termes d’auteurs et de nouveau panthéon (même si une préférence pour les poètes modernes et fantaisistes apparaît nettement) qu’en termes d’esprit dans lequel aborder la poésie. On pourrait les résumer de la sorte. Entendre la poésie n’est pas une expérience ennuyeuse (leçon 1) : à chacun de se l’approprier et d’en faire son miel. La poésie est un domaine vivant (leçon 2) : elle s’enracine dans une tradition littéraire et musicale et continue de porter des fruits (aussi bien, selon Soupault, dans le domaine de la poésie écrite que dans le domaine de la chanson). Toutes les émissions démontrent en effet la continuité entre la poésie du passé (la poésie savante aussi bien que la poésie populaire) et la poésie contemporaine ; de même, le débat esthétique entre Poiret et Brineville, lesquels singent une nouvelle querelle des anciens et des modernes, se trouve réduite à néant dans chaque émission : rien ne sert d’opposer les « classiques » et les « modernes » puisque les seconds dépendent des premiers et que « être de son temps » (ce dont se targue Brineville) ne signifie pas faire fi du passé plus ou moins lointain. Enfin, la poésie est toujours là où on ne l’attend pas et n’est pas là où on l’attend (leçon 3) : elle est mouvante, changeante, essentiellement surprenante. D’où le titre en forme d’avertissement de Prenez garde à la poésie, qui sert de formule conclusive, quasiment de morale, à chacune des émissions de la série.

5. L’expérience de la poésie

Jusqu’à quel point Soupault prit-il au sérieux cette entreprise de vulgarisation de la poésie, de transmission d’une culture poétique pour le plus grand nombre ? Dans un entretien de 1958 avec Ribemont-Dessaignes, on est surpris d’entendre Soupault parler avec une certaine distance de ses émissions ainsi que de leur public, vu comme une masse « excitée » par les « choses un peu vulgaires (des chansons, des choses comme ça) » données pour ainsi dire en pâture [19]… En fait, cet enrobage ludique de la poésie vaut non pour lui-même, mais pour son potentiel de révélation : au cœur du spectacle de poésie, le public, qui vient écouter les émissions comme il va à Lourdes en quête d’« irrationnel », dit Soupault, fait fondamentalement l’expérience de la poésie :

PS – […] ils étaient tout à fait excités, enfin… et brusquement Cuny est venu sur la scène et il leur a récité « Vieil océan » de Lautréamont. Eh bien, en trois secondes, il les a retournés ; il y avait un silence merveilleux. J’ai compris tout à coup que ce silence de ces milliers de gens qui étaient dans ce cinéma d’Évreux correspondait à quelque chose de profond, qu’ils avaient senti…

GRD – Oui, là ils découvraient la poésie… Ils la découvraient vraiment…

PS – Voilà. Ils ont senti qu’il y avait quelque chose qui les dépassait, et qu’ils voulaient être dépassés.

La poésie déborde le texte, elle s’empare des auditeurs sans crier gare (« brusquement », « en trois secondes ») et les fait sortir d’eux-mêmes. Elle suscite une forme d’extase, de libération :

Je crois que la poésie est notre seule façon de nous libérer du quotidien. C’est-à-dire que nous avons la sensation très forte que c’est par la poésie que nous pouvons nous échapper, que la poésie est le seul moyen de, peut-être, d’atteindre l’irrationnel [20].

Si un tel degré émotionnel n’est pas toujours atteint, c’est bien du moins cette expérience intime d’une réalité transcendante (non religieuse bien sûr : Soupault parle d’« irrationnel » ou plus fréquemment encore d’« insolite ») que les émissions de poésie cherchent à susciter. Or, pour Soupault, le medium radiophonique favorise le déploiement des pouvoirs de la poésie.

6. Le spectacle vs. la vie

Les émissions poétiques de Soupault ne sont donc pas seulement une exaltation plus ou moins didactique de la poésie (côté « vive la poésie » : poésie écrite, poésie chantée), mais aussi le moyen par lequel l’auditeur fait l’expérience de « quelque chose qui le dépasse » (côté « vivre la poésie » : poésie vécue). Revenons ici à un texte éclairant remarquablement l’enjeu du lien entre radio et poésie selon Soupault. Dans « Vers une poésie du cinéma et de la radio », article paru dans Fontaine en 1941, Soupault dénonce « la grande erreur des spécialistes » consistant à « s’éloigner délibérément de la vie pour des “spectacles” sonores et visuels ». La radio, pourtant plus éloignée par son dispositif de la relation spectaculaire (elle s’adresse à un individu isolé), serait comprise par la plupart comme un moyen d’apporter le spectacle à domicile. Or, pour Soupault, la radio est un « moyen d’expression » à part entière : de même que la photographie et le cinéma captent et transmettent des images, la radio est un moyen de capter et de transmettre les sons. C’est donc pour lui à ces deux niveaux (captation et transmission) que la poésie doit intervenir : elle est « l’interprète entre un moyen d’expression (la radio) et le monde vivant » ; elle est au fond une qualité de la perception (un regard dans le cas de la photographie et du cinéma ; une qualité d’écoute dans le cas de la radio – cette attention au « monde des sons » qu’appelle de ses vœux Soupault dans plusieurs textes ou interviews, et qui pour lui sert d’aliment poétique majeur). L’association d’un moyen d’expression, la radio, avec cette qualité de perception, la poésie, doit conduire non pas, selon Soupault, à des « poèmes radiophoniques » (il les rejette), non pas non plus à une simple représentation de la vie (ce qu’il nomme le « spectacle »), mais à une expression de la vie même.

L’art, et singulièrement la poésie, exigent de nous une attention qui nous accorde des yeux neufs, des oreilles neuves, une sensibilité sans tain. C’est la poésie qui peut nous éveiller d’entre les somnambules de la vie quotidienne et matérielle. Elle nous délivre pendant un temps de la vie de fantôme qui nous est habituelle en nous plaçant plus ou moins brusquement devant les réalités que nous négligions par la nécessité nommée habitude [21].

On reconnaît dans cet extrait la représentation existentielle et psychique de l’homme chère à Soupault (et aux surréalistes) : l’homme passe sa vie dans un état de semi-conscience (image du dormeur, du somnambule), voire de semi-réalité (image du fantôme) – endormissement des sens (yeux, oreilles…) à cause de « l’habitude ». « L’attention » poétique provoque quant à elle une forme d’« éveil », de degré supérieur de conscience ; elle-même est suscitée par ce qui est contraire à l’« habitude » : autrement dit l’insolite. L’insolite qui est dans le monde et qu’il s’agit de percevoir puis d’exprimer, de capter puis de transmettre. L’insolite qui, comme le dit Soupault dans une interview de 1952, est la « grande clef de la poésie [22] ».

Selon cette logique, les émissions poétiques de Soupault cherchent moins à faire le tableau, même vivant, de la poésie, qu’à véhiculer la « culture de l’insolite » (dans et hors de la poésie), à provoquer pour chaque auditeur l’expérience même de l’insolite (par le rire, l’étonnement, l’émerveillement, tout sentiment de dépaysement…) et à susciter ainsi, qui sait, quelque nouvelle vocation artistique. Cela explique qu’aux côtés des poètes et des poèmes, qui valent moins d’ailleurs par leur qualité formelle que par la puissance ou l’incongruité des images et leur force de provocation, il arrive à Soupault, dans Prenez garde à la poésie notamment, de donner la parole à des voyageurs, des explorateurs (comme Alain Gheerbrant et Bertrand Flornoy par exemple, deux spécialistes de l’Amazonie), lesquels traduisent à leur manière une forme d’attention poétique au monde et sont les témoins de ce que Soupault appelle la « poésie vécue ».

Que retenir de ces émissions, dont Soupault, à notre grand étonnement, ne parle quasiment jamais dans ses différentes interviews ? D’abord la grande réussite de la série Prenez garde à la poésie, qui remporte le pari de ne jamais ennuyer. Elle contient de plus en germe toutes les autres séries : humour, mise en dialogue des débats poétiques, valorisation de l’insolite, utilisation des chansons comme vecteurs de poésie… Ensuite, l’accueil et la bienveillance constante de Soupault producteur à l’égard des jeunes poètes. Mais deux questions surgissent sur ce point : dans quelle mesure cette politique éditoriale n’aurait pas en fait été commanditée par la radio, qui crée en novembre 1955 le Bureau de la Poésie, une série dont l’objectif affiché est, selon son producteur André Beucler, de « servir la jeune poésie » et d’« intéresser » les auditeurs ? On s’interroge également, au vu des « jeunes poètes » diffusés au micro, très peu ayant poursuivi une carrière poétique, sur le rôle effectif de la RTF dans la promotion de nouvelles plumes poétiques. On retiendra enfin le regard ambivalent que Soupault porte sur les chansons : d’un côté elles constituent le matériau principal de ses émissions, et Soupault, par le biais des présentateurs, en fait une branche à part entière de la poésie ; de l’autre il les voit comme des « choses vulgaires » destinées à attirer un large public vers la poésie. Considérait-il, comme Luc Bérimont le déclarait en 1961, que la chanson était la « voie de la poésie » ? Plus mitigé que ce dernier, Soupault semble au fond s’être attaché à une distinction de valeur entre la mise en chanson de poèmes (manière plus facile que la récitation – et en ce sens « vulgaire » –  pour faire passer la poésie) et l’écriture originale de chansons poétiques par des auteurs-compositeurs-interprètes considérés quant à eux comme de véritables poètes.

Notes

[1] Alain Spiraux écrit ainsi dans Combat (19 juillet 1958) : « Cette confusion des genres, certains producteurs d’émissions radiophoniques, tel M. Philippe Soupault, en sont largement fautifs. À d’évidentes niaiseries, ils voudraient faire succéder un pathos informe, fruit de leurs cogitations, que nous accepterions peut-être à la lecture, mais pas sur une scène, même chez Agnès Capri. »

[2] Bulletin de l’UER, vol. VIII, n° 43, mai-juin 1957, p. 291-306.

[3] V. la série diffusée sur France III-National en 1958, Les Pouvoirs de la connaissance, au cours de laquelle G. Ribemont-Dessaignes interroge différents poètes.

[4] Jean Chouquet, « Mes belles années de Radio-Poésie en compagnie de Philippe Soupault », Cahiers Philippe Soupault, n° 2, 1997, p. 213.

[5] V. Hélène Eck, « Radio, culture et démocratie en France : une ambition mort-née (1944-1949) », Vingtième Siècle, n° 30, 1991, p. 55-67 ; et Pierre-Marie Héron (dir.), La Radio d’art et d’essai en France après 1945, Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2006.

[6] Bulletin de l’UER, art. cit.

[7] Voir Geneviève Latour, Le « Cabaret-Théâtre » : 1945-1965, Paris, Agence culturelle de Paris, 1996. Elle cite notamment p. 110 un sketch des deux comiques que l’on retrouve dans l’émission de Prenez garde à la poésie du 17 avril 1955.

[8] Propos prononcés dans l’émission consacrée à « la radio » dans la série Les Dix Clefs du siècle, enr. le 28 décembre 1949.

[9] Le référendum fut annoncé dans un long article de Roger Richard pour Télérama (n°289, semaine du 31 juillet 1955).

[10] « Prenez garde à la poésie des jeunes poètes », 25 novembre 1955.

[11] D’après le catalogue de la BnF, aucun de ces poètes ne semble avoir publié de livres au-delà de 1960… ce qui tend à minimiser le pouvoir de la radio comme instance de légitimation sur le long terme…

[12] Dans l’émission « Prenez garde à la poésie des jeunes poètes » (novembre 1955), Soupault déclare, avant de faire lire un poème d’auditeur : « Je ne connais pas l’auteur, et je vous avoue même que la forme, la prosodie de ces poèmes est absolument opposée à celle que j’ai essayé d’imposer en écrivant mes propres poèmes. Je suis donc parfaitement impartial. »

[13] C’est l’expression qu’il emploie, interrogé par André Frédérique, dans l’émission de Poètes à vos luths ! du 30 octobre 1956.

[14] Voir « Prenez garde à la poésie de l’aventure » du 20 février 1955 ou encore l’émission du 16 octobre 1955 (« Tour du monde de la poésie ») où Brineville accuse Poiret d’être « hypernationaliste, et même davantage, chauvin, cocardier, Académie Française, très chanteclair, très “Cocteaurico” ».

[15] Philippe Soupault, « Entretien en guise de préface » avec Raphaël Cluzel dans Sans Phrases, Paris, Osmose, 1953. Il reprend également cette idée dans les entretiens télévisés avec Jean Aurenche et Bertrand Tavernier en 1982.

[16] « Prenez garde à la poésie des fleurs », 7 août 1955.

[17] « Prenez garde à la poésie féroce », 20 mars 1955.

[18] Lectures hautement comiques de La Fontaine par Claude Véga dans « Prenez garde à la poésie enfantine » du 23 décembre 1954 et par Pierre Repp dans « Prenez garde à la poésie » du 8 juillet 1956.

[19] Les Pouvoirs de la connaissance, 14 avril 1958.

[20] Ibid. Cette déclaration fait écho à celle de l’entretien avec R. Cluzel dans Sans Phrases, op. cit. : « Je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas connu la poésie, j’ai voué ma vie à la poésie. Je sais que c’est une libération, que grâce à elle je me détache, je m’évade… »

[21] Ph. Soupault, « Vers une poésie du cinéma et de la radio », Fontaine, n°16, 1941, p. 175.

[22] « La poésie, mensonge et insolite : Philippe Soupault », Paris Inter, Rendez-vous à cinq heures, 12 mars 1952.

Auteur

Céline Pardo est agrégée de lettres classiques et spécialiste de la poésie des XXe et XXIe siècles. Elle est l’auteur de La Poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de la radio et du disque (PUPS, 2015), ouvrage issu d’une thèse menée à Paris-Sorbonne sous la direction de Michel Murat et soutenue en 2012. Elle a codirigé l’ouvrage collectif Poésie et médias, XX-XXIe siècle (2012). Elle poursuit actuellement ses recherches sur les pratiques d’oralisation des poèmes, selon une perspective à la fois historique et médiopoétique.

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