« … et les livres bientôt disparus » : biblio-apocalypses dans la littérature française de l’extrême contemporain

Résumé


Cet article explore, à partir de quelques textes-clés, le discours biblio-apocalyptique dans la littérature française contemporaine. Tandis que François Bon salue l’ère « Après le livre » avec un optimisme prudent, Frédéric Beigbeder voit la galaxie Gutenberg s’écrouler dans une « apocalypse d’amnésie et de vulgarité ». Virginie Despentes propose une autre version de l’Apocalypse bébé, reflétant de même la transformation du paysage littéraire à l’âge du numérique. Les livres-jeux et projets multi-supports de Chloé Delaume, s’interrogeant, elle aussi, sur formes et fonctions de l’objet livre, stimulent l’activité co-créatrice des lecteurs. Michel Houellebecq, enfin, médite depuis des années sur le livre entre mythe et marché, sur les conditions matérielles et médiatiques de l’écriture/lecture. Livres sur la fin du livre : ce corpus paradoxal invite à maintes réflexions sur la dé/construction de l’autorité et du rapport auteur-lecteur, sur les métamorphoses sensorielles de l’expérience littéraire ainsi que sur un changement de paradigmes biblio-philosophiques : comment lire le monde à l’âge de l’homme post-typographique ?


Based on some key texts, this article explores the biblio-apocalyptic discourse in contemporary French literature. While François Bon welcomes the era “After the Book” with cautious optimism, for Frédéric Beigbeder, the Gutenberg galaxy collapses into an “apocalypse of amnesia and vulgarity”. Virginie Despentes offers another version of Apocalypse bébé, also reflecting the transformation of the literary landscape in the Digital Age. Chloé Delaume questions forms and functions of the object book, too; her game-books and multi-media projects stimulate readers’ co-creative activity. Finally, Michel Houellebecq has been meditating for years on the book between myth and market, on the material conditions and the media of reading/writing. Books about the end of books: this paradoxical corpus invites various reflections on the de/construction of authority and the author-reader relationship, on the changing sensoriality of literary experience as well as on a biblio-philosophical paradigm shift: how do we read the world in the age of post-typographic man?


1. Métamorphoses du livre : introduction

« Que livres, écrits, langage soient destinés à des métamorphoses auxquelles s’ouvrent déjà, à notre insu, nos habitudes, mais se refusent encore nos traditions […] il faudrait être bien peu familier avec soi pour ne pas s’en apercevoir. Lire, écrire, nous ne doutons pas que ces mots ne soient appelés à jouer dans notre esprit un rôle fort différent de celui qu’ils jouaient encore au début de ce siècle […] [1] »… d’un siècle passé désormais. Cette méditation de Maurice Blanchot est pourtant de toute actualité à une époque où le débat autour de la fin du livre est mené d’une façon passionnée, du côté digitalophobe comme digitalophile, et tout particulièrement en France – ceci sur fond des auto- et hétéro-images, solidement établies, de la France en tant que « nation littéraire [2] » (et aussi éminemment bibliophile).

Fin du livre ? Habitons-nous, ainsi que l’affirme François Bon, dans un essai de penser la « mutation numérique […] déjà comme histoire » [3], désormais un monde d’« Après le livre » ? Le discours biblio-apocalyptique, contrastant le « vrai livre » traditionnel (qui, en fait, n’a jamais eu de forme « traditionnelle » [4]) et le « faux livre » numérique, soulève la question de l’essence du livre (voire de l’existence d’une telle essence). L’évolution médiatique nous permet de jeter un regard frais sur des formats invisibilisés par leur présence pluricentenaire : “ […] digital media have given us an opportunity we have not had for the last several hundred years : the chance to see print with new eyes […] ”, observe Nancy Katherine Hayles [5]. Joseph Tabbi souligne de même que “[…] the new media can help us to see the older, printed book in fresh ways ” [6]. Dans ce sens, c’est aussi, après le long « sommeil typographique » [7] de l’époque moderne, « sur l’histoire même du livre que le numérique nous invite à faire retour » [8], nous rappelant que le livre (et surtout « l’idée du livre » [9]) date de bien avant l’entrée de l’invention de Gutenberg sur la scène de l’histoire des médias.

2. Sommes-nous déjà « Après le livre » ?

Le discours sur la (fin de la) galaxie Gutenberg [10] et sur la fin du livre trace des frontières dans un certain degré artificielles ; entre les époques de l’« homme alphabétique » et de l’« homme typographique » d’un côté, entre âge du livre et âge de l’internet, « ère de la littérature » et « ère des algorithmes » [11] de l’autre. Se manifeste un désir de diachroniser au plus vite la « tension synchrone » entre monde analogue et monde digital [12] (chez Frédéric Beigbeder, « Gutenberg » est encore érigé en monument allégorique de tout un âge – toujours d’or, après coup – que notre époque ingrate serait en train de « poignarde[r] […] dans le dos » [13]). Mais tout comme la « gutenbergisation » de la société et de la conscience occidentales a été moins « une rupture totale » qu’une évolution à long terme [14], la transition que nous sommes en train de vivre est caractérisée moins par une coupure nette entre « âge du livre » et « âge d’après le livre » que par la coexistence anachronique (et anisochronique) de divers médias [15]. D’où cet investissement polémique dans une question de changement de paradigmes médiatiques ? Les discours sur la fin du livre doivent leur intensité « apocalyptique » sans doute aussi au fait qu’au-delà des aspects pragmatiques, toute une « ontologie du livre » [16] semble en jeu. Il s’impose donc de les lire comme un symptôme ; comme l’une des formes que prend l’autoréflexion de la société moderne et postmoderne. Un techno-pessimisme affiché sert aussi à donner une cible concrète à un malaise diffus dans la culture capitaliste ; l’instrumentalisation du numérique comme bouc émissaire est évidente lorsque Beigbeder rend la liseuse électronique – métaphoriquement douée d’une subjectivité hostile – responsable de la transformation d’anciens lecteurs, sujets pensants, en des « automates dispersés » [17].

2.1 Ambivalences du discours biblio-apocalyptique : le cas Beigbeder

Entrons donc en la matière avec Frédéric Beigbeder, « écrivain people » [18] catégorisé – peut-être un peu vite – comme « un plaisantin sans envergure littéraire » [19], personnage controversé qui, ces dernières années, s’est imposé comme défenseur du livre contre le « danger numérique » et dont les textes – surtout son Premier bilan après l’apocalypse (2011), faisant écho au Dernier inventaire avant liquidation (2001) – permettent d’élucider quelques aspects cruciaux de l’argumentaire biblio-apocalyptique. Stratégiquement « provocateur et alarmiste », Beigbeder recourt à une rhétorique hyper-dramatisée, annonçant une nouvelle « guerre entre civilisation et barbarie » [20], accusant « Monsieur le bourreau numérique » de précipiter toute une époque « dans une apocalypse d’amnésie et de vulgarité » [21]. Enfant terrible vieillissant ironisant sur son propre rôle ambigu, Beigbeder prétend aussi – de temps en temps – au statut d’écrivain « engagé » (bien qu’avec quelques réticences envers la littérature engagée – trop souvent manichéenne, voire ridicule – en général [22]) ; ce n’est pas pour rien que Michel Houellebecq dresse un portrait parodique d’un Beigbeder fictionnalisé, élevé au rang d’« une sorte de Sartre des années 2010 » [23].

Engagé dans une relation complexe avec un système auquel il est parfaitement intégré en tant que rebelle en titre, Beigbeder semble transférer cette attitude aussi dans sa lutte contre le nouveau mainstream du numérique. Si, dans son Premier bilan post-apocalyptique, il pose en Rambo de bibliothèque, menaçant tout lecteur qui n’aurait pas su résister à la tentation numérique (illégale, en l’occurrence : « Si je vous surprends à lire ceci sur un écran, c’est ma main dans la gueule. Compris ?! » [24]), il est permis de rappeler que le reste de sa production littéraire est bel et bien disponible sous forme électronique. Mais sa croisade contre le livre numérique s’inscrit, de façon fort cohérente, dans un discours (ironiquement) conservateur, anti-digital, anti-internet (Facebook, en particulier, est condamné comme « le nouvel opium du peuple » [25]), que l’écrivain développe depuis plusieurs années déjà. S’auto-dénigrant complaisamment comme « réac », « vieux ronchon » [26], « vieux con » [27] (masque plutôt transparent de tout candidat au rôle de vieux sage), Beigbeder choisit de se placer du côté de la grande histoire littéraire, voire de l’éternité (il insiste sur les avantages du livre papier en termes de résistance temporelle [28]), combattant solitaire contre tous ceux qui lui servent leur « couplet progressiste et scientiste » [29] sur les avantages de la nouvelle culture digitale.

Biblio-écologiste autoproclamé, il prend la défense des livres traditionnels « en danger de mort » [30], ces « tigres de papier », ces « vieux fauves menacés d’extinction » [31] ; cette métaphore filée du livre-fauve qu’il s’agit de sauver au nom de la bio- (ou biblio-) diversité renvoie au topos du livre comme objet ou bien « animal » dangereux, voire mortifère, jamais domestiqué. Beigbeder n’est ni le seul ni le premier à associer livre/texte/écriture et tigritude (papetière) : Vilém Flusser, dans ses réflexions sur la violence d’une écriture « iconoclaste », compare le stylo à une « canine », le sujet de cette inscription à un « tigre féroce » [32] ; Jacques Derrida joue de même avec la métaphore du « tigre de papier » [33].

Soulignant à la fois l’aspect « papier/simulacre » et l’aspect « fauve » du livre, cette métaphore évoque aussi tout un imaginaire organique, profondément éclectique. Les discours – bibliophile comme biblioclaste – autour de la fin du livre semblent marqués par deux tendances contraires (et complices), développant chacune son répertoire métaphorique. D’un côté, une tradition discursive, affirmant la « fin » toujours imminente du livre, inscrit celui-ci, comme un produit technique parmi d’autres, dans une histoire linéaire de la civilisation. D’un autre côté, à ce pragmatisme progressiste s’oppose un discours naturalisant le livre comme objet mythique, éternel. Si, d’un point de vue techno-historique, « livre », en général, veut dire livre imprimé en tant qu’emblème de la modernité occidentale gutenbergienne, dans le discours à visée mythique, le livre est souvent situé dans une perspective plus large – ainsi chez Jorge Luis Borges, se référant à l’idée musulmane de « l’archétype platonique du Coran » comme « mère du livre » [34], « inlibration » (pour varier une expression de Harry Wolfson) du logos divin [35].

Dans ce sens, le recours aux débats du passé – surtout de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, temps de progrès techniques où la question de la fin du livre se pose, comme de nos jours, avec une virulence particulière   – illustre à merveille le caractère citationnel, éclectique – et, dans une certaine mesure, autophage – des discours contemporains sur le sujet. Ainsi, Octave Uzanne – dans un texte publié dans Contes pour les bibliophiles en 1895 – esquisse une vision futuriste « de la fin des Livres et de leur complète transformation » [36], témoignant d’un malaise dans la culture assez typique de l’époque : dans un univers hyper-saturé de produits culturels, le livre, n’offrant plus cette « cure d’aérothérapie idéaliste » [37] qui serait la fonction principale de l’art, se voit condamné par ses « excès » mêmes : « Il faut que les livres disparaissent ou qu’ils nous engloutissent […] Jamais l’Hamlet de notre grand Will n’aura mieux dit : Words ! Words ! Words ! Des mots !… des mots qui passent et qu’on ne lira plus » [38], s’écrie « l’humoriste John Pool » [39]. Paradoxalement et significativement, cette phrase finale résume la lassitude face aux « mots » – omniprésents et omnivores – encore par une référence intertextuelle. Le conte d’Uzanne véhicule aussi l’ambivalence fondamentale du discours centenaire sur la « fin des livres », oscillant entre fantasme d’angoisse et fantasme de désir – désir d’une chimérique innocence et immédiateté pré- (ou post-) livresques, version sécularisée des mythes d’un paradis d’avant les livres, d’avant même les mots.

Prophète improvisé de la « fin des livres », « bibliophile » se faisant l’avocat du diable, le narrateur d’Uzanne en appelle aussi à la dimension politique d’une (r)évolution médiatique dirigée contre l’Imprimerie (quasi-allégorisée) qui, « à dater de 1436, régna si despotiquement sur nos esprits » et qui, même « menacée de mort », « gouverne » toujours l’opinion [40]. Dans cette optique, la disparition du livre imprimé constitue une étape fatale dans l’histoire de la civilisation ; argumentation corroborée par plusieurs comparaisons tirées de la vie quotidienne [41]. Et le narrateur de conclure : « Après nous la fin des livres ! » [42]… Fin toujours pas après nous.

Quatre décennies plus tard, Stefan Zweig revient sur la question dans son essai « Le livre comme entrée au monde » [43]. Par contraste à Uzanne, il naturalise le « miracle » du livre [44], phénomène culturel, par une métaphore organique filée à travers tout le texte. Pour « nous, fils et petit-fils de siècles d’écriture », la lecture se serait transformée en une « fonction quasi corporelle », un « automatisme » atavique [45] ; Zweig se montre convaincu de l’absurdité de toute spéculation concernant la fin du livre : celui-ci, « sans âge et indestructible », n’a rien à craindre de la concurrence du gramophone, du cinématographe ou de la radio, étant si organiquement lié à l’humanité qu’il ne saurait tout simplement pas disparaître [46].

Si Sigmund Freud caractérise l’homme comme un « dieu prothétique » (Prothesengott [47]), si Marshall McLuhan définit les médias comme “extensions of man ” [48], Borges commence, lui aussi, par considérer le livre comme « une extension de la mémoire et de l’imagination » [49]. Mais la prothèse livresque – « un instrument […] qui m’est aussi intime que les mains ou les yeux » [50] – finit par s’intégrer au corps même de l’homme. Si d’autres ne peuvent concevoir un monde « sans oiseaux » ou « sans eau », Borges se déclare incapable d’imaginer « un mundo sin libros » [51], assimilant le livre à une nature plus ou moins éternelle : « On parle de la disparition du livre ; je crois que cela est impossible. » [52]

Mais revenons à nos tigres beigbederiens. Si le livre papier est associé, dans ce discours biblio-apocalyptique, à un imaginaire organique, le livre numérique, lui, est systématiquement réduit à son caractère d’anti-nature, de technique abstraite, déshumanisée.

2.2 Les cinq sens et le livre : à la recherche d’une sensualité perdue ?

L’image du livre-animal nous renvoie à une autre question cruciale du discours sur la fin du livre : sa (prétendue ?) « dématérialisation » [53] par la numérisation, équivalant, pour Beigbeder, à sa « destruction » [54]. Dans le cadre d’une dichotomie artificielle, le « vrai livre » papier est opposé au livre-fantôme numérique (« Un e-book, ça n’existe pas » [55]), comme si tout acte de lecture n’était pas aussi un acte physique, comme si l’écriture/lecture digitalisée ne possédait pas – inévitablement – sa sensualité à elle [56]. Autre leitmotiv dont on peut suivre les traces odorantes à travers le discours biblio-apocalyptique : les délices olfactives de la lecture à l’ancienne. Beigbeder, nostalgique, par anticipation, de la « chair du livre » [57], évoque « le parfum de l’encre, le parfum du papier », « magnifique » [58], dépréciant, par un argument idiosyncrasique, le livre électronique à l’odeur de « métal » [59]. En effet, pour l’instant, l’odeur se voit investie, plus encore que le toucher ou le bruit du papier (imité par divers gadgets électroniques), du prestige de la matérialité « authentique » du livre imprimé [60]. Or, François Bon, parodiant cette obsession « de l’odeur du papier et autres fariboles » [61], démonte, par une petite analyse chimique, cette douce fiction parfumée [62].

Au lieu de « dématérialisation », il faudrait parler plutôt de ré- ou trans-matérialisation, le switching entre lecture sur support papier et lecture numérique provoquant même une espèce de surconscience lectrice. La numérisation resensibilise notre regard sur des formes médiatiques anciennes qu’elle varie à son tour : la liseuse électronique, visant un effet de réel livresque, s’inspire de livres « traditionnels » – le comble du grotesque selon Beigbeder (« Un ingénieur chez Apple a pensé à faire en sorte que l’écran tactile émette un bruit de papier froissé quand on glisse son doigt sur sa surface. On vit une époque de malades ou pas ? » [63]), pour qui de telles imitations ne font que trahir « le complexe d’infériorité des partisans du numérique » [64]. Interprétation douteuse, puisque tout au long de l’histoire des médias, s’observe ce principe de la « mimicry » [65] ; le livre numérique, encore sous l’influence du « Paperdigm » [66], ne « cite » d’ailleurs pas seulement le livre papier, mais synthétise plutôt plusieurs modalités de lecture historiques [67].

À la « dématérialisation » du livre, s’associe le reproche de sa « désindividualisation » par la numérisation. Beigbeder rend un hommage appuyé au livre papier en tant qu’objet individuel par contraste à la liseuse « indifférente » [68]. Or, la transition au livre imprimé constituait déjà une « étape vers l’apparition d’une civilisation de masse et de standardisation » [69], tandis que la numérisation apporte aussi de nouvelles perspectives d’individualisation ; côté auteur, l’option d’une « écriture spécifiquement typographique » [70] ; côté lecteur, toute une panoplie de possibilités d’interventions dans la présentation du texte lu [71]. Pour Beigbeder, les nouvelles libertés lectorales menacent une œuvre conçue comme « objet unique » [72] par son auteur, non plus « maître » de son livre (formule récurrente dans le discours beigbederien [73]). Antoine Gallimard regrette à son tour l’affaiblissement du contrôle éditorial sur le livre-objet, affirmant que « [l]a numérisation risque ainsi de dévaloriser le contenu » [74]. Le lecteur est donc perçu comme une force profane, destructrice, la numérisation comme un danger contre lequel il s’agit de défendre non seulement le livre papier, mais aussi la dignité auctoriale et tout un système éditorial. À la mise en question de la forme livre du côté de la réception, correspond celle du côté de la production : Beigbeder l’apocalypticien a sans doute raison de constater que « [l]e remplacement du livre en papier […] va donner naissance à d’autres formes de récits » [75] et qu’« [u]n roman de papier ne s’écrivait pas comme un script sur Word » [76].

2.3 Fin du livre, fin du roman ? Galaxie Gutenberg et genres littéraires

Avec la biblio-culture traditionnelle, Beigbeder défend aussi le roman moderne comme manifestation paradigmatique du livre dans toute sa splendeur, produit de la galaxie Gutenberg et condamné à disparaître avec elle [77]. Au-delà de la polémique, il soulève la question pertinente de la correspondance entre l’évolution des genres littéraires et celle des supports techniques de la littérature [78]. Le roman moderne, dès ses débuts, se distingue par une forte tendance métalittéraire, méta-livresque et même méta-typographique (que l’on pense au Quichotte, reflétant « la tension entre les pôles typographie/presse d’imprimerie/livre et manuscrit/plume/papier », ou au Tristram Shandy de Sterne, exploration romanesque de l’« interpénétration de l’art du récit et de la typographie » [79]).

À la fin du livre s’associe donc celle du roman, la question de l’économie des genres littéraires à l’époque post-gutenbergienne. Transformation envisagée aussi, d’un point de vue moins pessimiste, par les autres auteurs de notre corpus : pour Chloé Delaume, le numérique pourrait favoriser « l’évolution des genres, le dépassement de certaines limites du roman, notamment » et, enfin, « la création d’un objet littéraire complètement repensé » [80]. Virginie Despentes s’attend de même à l’apparition de nouveaux « formats hybrides » : « […] ce ne sera plus du roman ou de l’essai. Il faudra trouver un autre nom […] » [81]. Bref : si chaque livre, selon Blanchot, poursuit finalement la « non-littérature » [82], nous assistons aujourd’hui à l’émergence de formes littéraires poursuivant le « non-livre », la littérature continuant d’aller « vers elle-même, vers son essence qui est la disparition » [83].

 2.4 Noblesse (papier) oblige : Biblio-Aristocratie vs. Cyberdémocratie ?

Beigbeder, dans sa défense ardente du roman, le caractérise comme « un lieu de liberté » [84] face à l’industrie médiatique. En même temps, il déplore les effets désastreux de la démocratisation de l’écrit par la « révolution » numérique, les ravages de l’« écran […] communiste », ravalant « la prose de Cervantès […] au même rang que Wikipédia » : « Toutes les révolutions ont pour but de détruire les aristocraties. » [85] Si l’invention de l’imprimerie constitue déjà « une véritable révolution démocratique » [86], l’internet, pour Beigbeder, établit définitivement « l’empire de la méchanceté, de la bêtise ; n’importe quel abruti a droit au chapitre » [87]. Odi profanum vulgus… : De telles attaques contre une « cyberdémocratie » [88] supposément abusive permettent de nuancer l’éloge beigbederien de la liberté littéraire – visiblement pas destinée à tous. François Bon – qui, par contraste, met en avant les vertus de l’« échange web » en tant que « nouvelle agora » [89], espace du « partage » [90], de l’« écriture collective » [91] – ironise sur la chimère élitiste d’« une sorte de paradis très ancien, entrée réservée aux membres du club de l’écriture » [92]. Dans un pamphlet de Stéphane Ternoise, « [M]onsieur Frédéric Beigbeder de chez Lagardère » [93] est attaqué en tant que représentant d’une (pseudo-)aristocratie littéraire à laquelle l’auteur oppose la vision d’une biblio-culture démocratisée (tout en idéalisant, de son côté, la numérisation comme une régulière libération face à la « dictature » éditoriale [94]). En fait, avec le livre « traditionnel », on défend souvent aussi un certain habitus bourgeois (sinon aristocratique) ; en 2009, Jean-Marc Roberts, alors directeur des éditions Stock, déclare le livre numérique « juste bon pour les SDF » [95]. Les partisans du numérique, par contre, valorisent la possibilité d’atteindre un public peu réceptif au livre classique ; ainsi François Bon avec son idéal d’une « littérature sociale » [96], d’un livre « nomade et accessible à tous » [97].

3. Défense du livre, défense de l’autorité ?

En un mot, l’avènement du numérique brouille les rôles établis « de l’auteur, de l’éditeur, du typographe, du diffuseur, du libraire et du lecteur » [98] ; le sens d’un texte, plus que jamais, est le produit de l’usage qu’en fait le lecteur [99]. Historiquement, il existe un lien étroit entre essor de l’imprimerie et émergence du concept moderne de l’autorité [100] ; la figure de l’« Auteur », jusqu’à nos jours, reste associée à l’idée du livre papier [101], tandis que l’hypertexte électronique ébranle ce monument auctorial [102] – inéluctablement, les enjeux du discours pro- ou anti-numérique impliquent la mise en question ou la défense de l’autorité. Ainsi, François Bon (de son point de vue d’écrivain consciemment un peu « mineur ») problématise la pose de ces « écrivains imperturbables », défenseurs du livre peut-être surtout attachés à « l’idée d’eux-mêmes en auteur de livre » [103].

3.1 La biblio-apocalypse selon Virginie Despentes

Pour illustrer les répercussions de ces débats dans la fiction littéraire de l’extrême contemporain, jetons un regard sur Apocalypse bébé (2010) de Virginie Despentes, roman « médiatique » reflétant les métamorphoses de la biblio-industrie à l’âge de Wikipédia et d’Amazon : Despentes y met en scène un écrivain conservateur, attaché au livre traditionnel et luttant pour les restes minables de son autorité, avant de périr sous les décombres du Palais-Royal, suite à un attentat commis par sa fille adolescente, représentante d’une génération de « digital natives » [104] – terrorisme parricide comme métaphore parodique d’un changement de paradigmes médiatiques ?

La pose beigbederienne – même ironisée – de l’aristocrate bibliophile est assurément étrangère à Virginie Despentes… ce qui n’empêche pas Beigbeder d’accorder, dans son Premier bilan [105], une place de choix à l’auteur de cet autre ouvrage « apocalyptique » [106]. Chez sa collègue, dont « [l]’énergie […] pulvérise tout sur son passage » [107], il apprécie surtout un énorme dynamisme linguistique [108] et « l’idée de faire un livre qui démode tous les films » [109] (obsession partagée par Beigbeder qui, tout en mythifiant la forme du livre, aspire à moderniser son contenu et son langage [110], voire à « désacraliser la littérature » [111]). Chez Despentes, avec sa vision critique de l’establishment (ainsi que de sa propre personne publique, cette « Despentes vachement construite » [112] recyclée par les médias), sa poétique de la marginalité, de la « lositude » [113], s’impose la question de (l’accès à) la littérature comme privilège socioculturel. À l’occasion de la publication d’Apocalypse bébé, Despentes réfléchit sur sa propre biographie non seulement d’écrivain, mais aussi de lectrice ; ironisant sur son « relatif ‘em-bour-geoisement’ », elle admet s’être mise enfin « à lire une littérature que je n’aurais pas osé aborder auparavant, plus classique » [114]. Quant à la « fin du livre papier », elle se montre plus pragmatique qu’apocalyptique, déclarant craindre plutôt la « fin de la librairie » comme lieu social, ainsi que certaines « facilités » du numérique en matière de censure [115] (sujet présent aussi dans Apocalypse bébé dont la narratrice médite sur l’économie de l’information et de la censure à l’âge digital [116]).

Apocalypse bébé soulève la question du livre et de la littérature aussi dans une perspective sociale – ainsi, du point de vue d’un jeune banlieusard maghrébin : Yacine rejette en bloc toute la « culture » qu’est censée lui apporter l’école ; la cible privilégiée de sa fureur anti-scolaire est son professeur de français, « la pute au tableau » [117]. Mais au centre des réflexions métalittéraires et « à l’origine du roman » [118] se trouve l’écrivain fictif François Galtan qui, tout comme le très réel Frédéric Beigbeder, dénonce l’internet, empire de la « médiocrité » anonyme ; pour le visiteur frustré de divers blogs et forums littéraires, la Toile se transforme en version postmodernisée de l’enfer dantesque  [119]. Mortifié, il rédige sa propre notice bio- ou plutôt hagiographique sur Wikipédia, hélas, par trop révélatrice [120]. L’analyse de sa navigation internaute, entreprise par les détectives après la disparition de sa fille, donne lieu à quelques observations critiques sur le rôle ambivalent d’Amazon sur le marché culturel contemporain [121]. Gutenbergien fidèle, Galtan est hanté par l’obsession du livre numérique ; sa mère, psycho-terroriste accomplie, ne cesse de lui annoncer des nouvelles apocalyptiques du front bibliographique : « C’est ainsi qu’elle lui fait entendre qu’il a tout raté dans sa vie. Une vie consacrée aux livres, et les livres bientôt disparus. » [122] Si Galtan, personnage tragicomique, auteur de « drames bourgeois. Droite chrétienne, mais à l’ancienne » [123] et, par anticipation, prétendant déçu au sacre de la Pléiade [124], a l’impression de perdre le contrôle sur sa vie professionnelle comme privée, cette désorientation apparaît liée à la disparition du livre, dispositif de sécurisation ontologique.

Mais Despentes illustre aussi l’aspect oppresseur de la figure traditionnelle de l’auteur. Aux yeux de son ex-épouse, faisant, elle, partie de la classe et du sexe dominés, les activités littéraires de Galtan constituent un pouvoir social, retourné contre elle au moment du divorce. Des années plus tard, elle est toujours furieuse à l’idée d’avoir été exploitée par cet écrivain bourgeois (et recyclée dans ses romans) ; la mémoire de cette violence symbolique, associée à « [l]a main qui écrit, celle qui trahit, épingle et crucifie. Celle qui livre » [125], est évoquée en termes physiques intenses. Valentine, elle aussi, découvre les vertus de l’écriture en tant qu’arme symbolique [126] ; sa transformation en kamikaze est encadrée par ses activités poétiques extravagantes [127]. Or, plus audacieuse et plus désespérée que son père, elle change de genre, se servant de son propre corps comme média explosif afin de communiquer son message paradoxal [128]. Despentes, consciente de sa mission « anarcho-féministe »[129], a souligné, à plusieurs reprises, la nécessité de « faire éclater les choses » [130], définissant le féminisme comme « [u]ne révolution, bien en marche. […] Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. » [131] Valentine se dédie littéralement à ce projet de « tout foutre en l’air » – dont son père romancier, au moment même où celui-ci se voit enfin promu « chevalier des Arts et des Lettres » [132].

Au-delà de la littérature, ce texte illustre la reconfiguration du sujet humain dans un monde digitalisé où l’internet dévalorise les formes traditionnelles de savoir acquis [133], un monde de « l’amour Skype »[134] où la Carte de Tendre est redessinée par divers gadgets médiatiques [135] ; l’internet remplit aussi une importante fonction structurelle comme « matrice » narrative [136]. Sous l’influence d’un milieu altermondialiste-marxiste, critique des nouveaux médias, Valentine décide de « solder son identité virtuelle » ; pour consacrer son nouveau moi dé-digitalisé, elle finit par lancer son portable dans la Seine. Or, elle est foudroyée par le choc du sevrage, ressenti comme une régulière « amputation » [137]. Le roman confirme, dans ce sens, la définition freudienne de l’être humain, triste « dieu prothétique » ; le téléphone portable est métaphorisé comme une « prothèse » indispensable de nos jours [138].

La brève biographie de Valentine reflète, enfin, la problématique de la narration dans un monde peut-être déjà « après le livre », de toute façon, après la fin des grands récits. Apocalypse bébé met en scène l’illisibilité d’un « livre-monde » éclaté où l’individu – ou plutôt « dividu(el) » (d’après Anders [139] ou encore Deleuze [140]) – ne dispose plus que de vérités relatives, temporaires, de récits fragmentaires : « La vérité, je ne la connaîtrai jamais. Reste l’histoire que je me raconte, d’une façon qui me convienne, dont je puisse me satisfaire. » [141]

3.2 Chloé Delaume : vers une littérature multi-supports, ou Le livre par-delà le livre

Chloé Delaume [142], dans son « autofiction expérimentale » [143] et « multi-supports » [144], s’essaie à la transgression ludique de la forme livresque – entreprise reflétée non seulement dans sa dimension esthétique, mais aussi éthique et politique. Si Despentes, d’une grande scrupulosité quant au respect D’autres vies que la mienne [145], déclare renoncer à la tentation autofictionnelle [146], Delaume s’applique à « démocratiser » le processus de création, accordant une co-autorité (limitée) aux personn/ag/es impliqués dans son projet autofictionnel : « À leur fictionnalisation je veux qu’ils participent. » [147]

Ses textes, situés dans la tradition de l’Oulipo [148], à la syntaxe complexe, « ensauvagée » [149], pleins de jeux de mots, de références intertextuelles, de néologismes extravagants, mais aussi d’archaïsmes choisis, découragent toute approche naïvement voyeuriste [150]. Intransigeante dans sa condamnation de la « République Bananière des lettres » [151], Delaume affirme sa conviction que la littérature peut et doit défier les lecteurs, qu’elle « se mérite » [152]. En tant que directrice de la série Extraction (éd. Joca Seria), elle poursuit de même une politique pro-expérimentale ; sa quasi-diabolisation d’une littérature facile de simple « divertissement » lui a valu quelques moqueries [153].

Or, cette exigence formaliste s’associe à la revendication d’une « mission » sociale et politique ; au storytelling professionnalisé, aux « grands livres des fictions collectives » [154], Delaume oppose sa « Politique de l’autofiction » [155]. Cette poétique de la résistance narrative, de l’engagement lucide, quelquefois auto-parodique (Delaume ironise elle-même sur cette volonté de « sauver le monde » par une autofiction critique [156], sur la tentation de la « rébellion […] mignonne », de la « subversion Haribo » [157]), est illustrée par son projet J’habite dans la télévision, conçu dans le sillage de l’affaire Le Lay en 2004 [158]. Dans ce « projet multi-supports, portant sur la confrontation des fictions individuelles face au formatage de la fiction collective imposée par la société spectaculaire » [159], l’auteure développe aussi un discours critique sur le livre en tant qu’objet de consommation, objet fétiche de l’auto-mise en scène d’une prétendue élite [160], soucieuse de sauvegarder sa « distinction » en affichant sa préférence pour la « narration sur support papier […] n’importe quelle narration, mais reliée » [161]. Tout comme le livre, le concept de l’œuvre est l’objet d’une méfiance profonde, l’écriture littéraire un projet existentiel : « Je ne cherche pas à faire œuvre, mais surtout à faire vie. » [162] Le « livre » s’oppose au « texte » comme entité créatrice, potentiellement subversive : « Vous ne lisez pas des textes mais vous achetez des livres » [163], reproche Delaume à ses hypocrites lecteurs bourgeois, ne se lassant pas de rappeler que « [l]e livre n’est qu’un objet » et que « ce qui m’importe c’est le texte ». Dans ce sens, le numérique constitue une « ouverture sur la littérature » par-delà le « fétichisme bibliophile », s’adressant « aux vrais lecteurs […] attachés au texte » [164].

L’œuvre de Delaume, « réseau interconnecté » [165], ne se limite donc pas au domaine de la littérature imprimée ou même numérique. L’auteure s’intéresse à toutes sortes de « pratiques transdisciplinaires » [166], à « l’autofiction en BD » [167] ou « en ligne » [168] ; dans ses livres papier, elle déploie tout un programme destiné à l’« activation » multi-médiale des lecteurs, en renvoyant, par exemple, à des enregistrements audio disponibles sur son site [169]. Dans son projet Corpus Simsi – « passion » postmoderne ironique –, Delaume explore les possibilités du jeu vidéo en tant que « générateur de fiction » [170], « exercice d’une nouvelle littérarité » [171]. Au commencement était le rejet de la forme livresque de la part de Chloé Delaume, « personnage de fiction […] [qui] a refusé de s’incarner dans un livre » et qui   –  le « moi » se transformant en construction collectivement dés/autorisée – « peut être utilisé par n’importe quel joueur l’ayant importé » [172].

Le monde simsien de Delaume, dédoublé dans une curieuse mise en abyme [173], finit pourtant par « aboutir à un livre » [174] – méta-livresque et ludique, illustrant à merveille le paradoxe fondamental qui hante tous ces livres sur la fin du livre [175], envisageant les perspectives de la production littéraire au-delà du livre imprimé : « La chair comme le papier ne sont pas nécessaires aux personnages de fiction [176]. » La description de la vie culturelle simsienne permet de reconsidérer, via défamiliarisation, certains éléments de la littérature « réalistienne » – le concept du livre tout comme celui de l’auteur : « Les Sims n’ont pas d’auteurs, cette notion même n’existe pas. » Le focus est encore déplacé du pôle de l’écriture vers celui de la lecture : « Les Sims lisent mais ils n’écrivent pas [177]. » Par le détour virtuel, Delaume met en question l’idée d’une chimérique originalité : si les Sims peuvent « développer » leur potentiel artistique, leur « Créativité » programmée ne saurait emprunter que des voies déjà tracées, permettant « [j]uste de reproduire, et jamais d’inventer » [178]. Dans ce sens, le monde simsien reflète aussi le statut de l’être humain conditionné par un réseau de discours, ainsi que « l’existence […] dans les sociétés occidentales contemporaines » [179]. Au-delà du livre, le jeu digital – univers parallèle, « enchevêtrement de fictions minuscules » [180] – fait figure de nouvelle métaphore-matrice du monde : « Nous sommes le jeu auquel tout le monde joue déjà. » [181]

Dans La Nuit je suis Buffy Summers (2007) – « livre-jeu […] livre-je » [182], roman interactif basé sur l’imaginaire de Buffy the Vampire Slayer [183] –, le lecteur est convié au jeu avec le « Je élastique » de l’autofiction [184] ; à force de multiplier les coups de dés (inter)textuels, il participe à la création de son livre. D’emblée, Delaume l’invite aussi à une approche physique, « irrespectueuse » de cet objet d’« un curieux fétichisme » [185]. Lector (ou lectrix) in libro – concluant un « pacte illégitime » [186] avec son lecteur ou sa lectrice (le « je » proposé est de genre féminin), Delaume le/la fait entrer dans l’aventure d’une « autofiction collective » [187].

Double discours critique sur un livre symbole de pouvoir [188], un livre-prison : l’(im)possible révolution contre la « fiction collective » [189] hors texte est associée à la rébellion des personnages – « écrits par un cerveau assez indisponible » [190] et en proie à l’obsession métaleptique de « quitter le livre » [191] – contre « la narration imposée » [192]. « Être enfermé dans un livre, […] c’est assez anxiogène […] » [193], déclare la narratrice ; la lectrice, elle aussi « coincée » dans l’histoire [194], se trouve impliquée dans la tentative d’évasion d’un « bouquin » jugé « insalubre » [195] et exposée à la fureur de l’« auteure », défendant ses privilèges menacés [196]. Ironisant sur un imaginaire apocalyptique [197], ce texte-jeu reprend le motif du livre mortifère : Delaume évoque des visions grotesques d’un livre-monstre, d’un livre-vampire s’animant au cours d’un rituel sanguinaire [198].

La poétique delaumienne invite donc tout particulièrement à quelques réflexions sur l’opposition – cruciale dans le discours biblio-apocalyptique contemporain – entre « livre » et « texte ». Dégradation, par le numérique, du livre en un simple texte, voire en « du texte » [199], ou bien libération ? Dans ses réflexions sur la « fin de la galaxie Gutenberg », Bolz ne manque pas de citer Derrida : « La question de l’écriture ne pouvait s’ouvrir qu’à livre fermé. » [200] Walter Benjamin caractérise déjà le livre imprimé comme un « asile » (temporaire et précaire) de l’écriture d’où celle-ci se voit ramenée dans la rue, soumise aux « hétéronomies brutales du chaos économique » [201]. C’est dans ce contexte que François Bon se réfère à Benjamin, fasciné par la « concision » avec laquelle celui-ci formule « l’autonomie réciproque du livre et de l’écriture » [202], tout comme par cette « autre intuition essentielle » benjaminienne, concernant le « retour du corps » [203].

3.3 Michel Houellebecq : l’(im)possibilité du livre ?

La sensibilité à l’aspect corporel et technique de l’écriture (comme de la lecture), revendiqué par un avocat du numérique comme François Bon, se retrouve chez Michel Houellebecq, dont les (para-)textes sont riches en réflexions sur l’industrie littéraire de nos jours, le « true business qu’est le roman » [204] et « le petit milieu de la poésie » [205], paradis perdu pour le romancier à succès ; bref : sur le livre entre mythe et marché. Or, c’est en tant que grand brand littéraire que Houellebecq articule sa critique, victime et complice de cette « labellisation » de la littérature attaquée par Salmon [206].

Abordant sans ambages l’aspect commercial de son activité littéraire – « chance d’échapper au monde du travail » [207] –, Houellebecq ne dédaigne pas non plus la méditation sur les outils de l’écrivain ; dans sa « brève histoire de l’information » [208], il retrace les étapes de l’écriture depuis le manuscrit jusqu’à l’ordinateur, en passant par la machine à écrire – qui a, elle aussi, nourri tout un discours polémique sur splendeurs et misères d’une écriture « technicisée » : merveille technique pour les uns (ainsi pour Jan Tschichold, auteur d’un ouvrage consacré à « La nouvelle typographie » [209]), symbole de l’irruption fatale « du mécanisme dans le domaine du mot » pour les autres (en l’occurrence, pour Martin Heidegger, ennemi juré de la « Schreib-maschine » – orthographiée de manière à en accentuer l’aspect « machine » [210]). De toute façon, la retraite du manuscrit marque une étape décisive dans l’histoire littéraire ; par effet de ré-projection nostalgique, c’est la typographie qui rapproche l’« écriture dite manuscrite » [211] du corps [212], faisant oublier l’aliénation inhérente même à la plume, cet « exil » qu’implique déjà le papier [213].

Si l’autorité moderne est sanctionnée par l’imprimerie, la genèse du livre, (au moins) jusqu’à la fin du XIXe siècle, se situe dans un espace du manuscrit. Houellebecq établit un rapport privilégié entre « la souplesse et l’agrément du manuscrit » et le micro-ordinateur, « libération inespérée » pour l’écrivain [214] : le « combiné ordinateur portable – imprimante Canon Libris » se trouve parmi ces trois objets fétiches dont un « Houellebecq » ivre et mélancolique pleure, dans La Carte et le territoire (2010), la disparition du marché [215]. Ce discours « technique » sur l’écriture relativise l’importance de l’auteur face à la dynamique propre du texte : « On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre […] », explique « Houellebecq » ; « un livre, […] c’était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre […] que le processus démarre de lui-même. » [216] De la fleur bleue au béton : métaphore révélatrice qui s’inscrit dans l’imaginaire technique, très présent dans le roman et dont participe aussi la création littéraire, considérée comme (méta-)métier.

Si l’ordinateur constitue une « libération » pour l’écrivain, Houellebecq préconise une dé-digitalisation au moins temporaire du côté du lecteur : le livre traditionnel fait figure de « pôle de résistance vivace » [217], favorisant la très houellebecquienne « mise à distance » du monde [218], la « position esthétique » [219] d’un sujet « étranger à lui-même » (formule kristevienne [220] qui se retrouve dans La Poursuite du bonheur [221]), capable de « regarder la vie comme on lit dans un livre » [222]. Or, le « vrai » lecteur est, selon Houellebecq, une espèce menacée de disparition. On se rappelle les remarques apocalyptiques de Beigbeder sur le lecteur contemporain, cet « automate » corrompu ; Houellebecq constate, lui aussi, la transformation du lectorat, mais il inscrit cette réflexion dans sa critique générale d’une société qui détruit les formes de subjectivité caractérisant un (bon) lecteur, numérisé ou pas [223].

Si Beigbeder s’obstine à défendre le roman contre le numérique, Houellebecq réfléchit sur l’incompatibilité plus profonde entre la forme du roman traditionnel et l’expérience de la vie contemporaine ; pas de pamphlet anti-digital chez lui, mais un acte de décès mélancolique pour un genre qui n’a pas attendu l’arrivée du numérique pour entrer en crise ; une autre fois, le discours sur la mort du roman [224] et celui sur la fin du livre évoluent en parallèle. Dès Extension du domaine de la lutte, Houellebecq thématise la désintégration des biographies individuelles, mise en relief par la comparaison avec le monde narrativement dense d’un roman comme Wuthering Heights [225]. Dans La Carte et le territoire, il oppose les manifestations artistiques du « monde comme narration » et du « monde comme juxtaposition » [226], faisant déclarer à son double fictionnalisé son scepticisme ou plutôt son désintérêt croissant face au premier. En un mot : la crise du roman, selon Houellebecq, dépasse celle du livre papier ; elle traduit une crise généralisée de la narratibilité de l’existence, du sujet humain, ébranlé par l’évolution des sciences rendant obsolète toute « psychologie » littéraire [227]. Mais par-delà et à travers le roman, Houellebecq médite aussi sur la forme livre dans toute son ambivalence – objet de consommation d’un côté, objet mythique de l’autre, modèle d’un monde éminemment (inter)textuel [228].

La Carte et le territoire contient, enfin, un portrait remarquable de « Michel Houellebecq, écrivain », représenté au milieu d’un « univers de papier », de « blocs de texte ramifiés, reliés, s’engendrant les uns les autres comme un gigantesque polype » [229]. Cette « cellule de papier » varie encore la métaphore – détrivialisée dans un nouveau contexte médiatique – d’un monde-livre éclaté en feuilles éparses, étrangement animé.

3.4 Vers une biblio-philosophie de l’homme post-typographique ?

La problématique esquissée invite à quelques méditations d’ordre biblio-philosophique. Si l’être humain est un « animale fabulatore per natura » [230], il est aussi un animal métaphorisant [231]. Or, parmi ces « Metaphors we live by » [232], le livre occupe une position de choix ; depuis des siècles, il a servi de matrice de la lecture du monde [233]. Si la théorie de Marshall McLuhan sur la psychologie spécifique du « typographic man » [234] – théorie des médias et « anthropologie historique spéculative » [235] – a été remise en question ou nuancée sous certains aspects, il n’en reste pas moins que le livre imprimé a (co-)formaté l’identité du sujet occidental moderne. Le discours sur la fin du livre implique, dans ce sens, aussi la réflexion sur un changement de nos paradigmes perceptifs et philosophiques [236]. Qu’en est-il donc aujourd’hui, à l’âge des « hommes post-typographiques » [237], du grand livre du monde, de cette « Œuvre » universelle dont rêve Alexander von Humboldt [238] ? « Ce n’est qu’une métaphore : mais le web est notre livre […] » [239], déclare François Bon, convaincu que, bien plus que le livre numérique, le vrai enjeu, « c’est le Web » [240].

L’idée borgésienne « d’un grand livre qui contiendrait tous les livres du monde et le monde » [241] apparaît plusieurs fois dans la correspondance de Houellebecq avec son co-Ennemi public BHL [242]. Houellebecq médite encore sur ce concept du livre total dans sa préface à Interventions 2 : « Tout devrait pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort […] » [243]. Écriture virtuellement infinie, fantasme d’un seul grand texte qui ne finirait qu’avec la « mort de l’auteur » : tout texte issu du support électronique, d’après ses réflexions, garde d’ailleurs, même dans sa forme finale, cette idée d’infinitude, la trace des innombrables fois qu’il a été retravaillé, l’écriture numérique se distinguant aussi par une « optionnalisation » sans précédent [244] : « There is no Final Word [245]

La métaphore du livre-monde, du monde-livre, subit une transformation significative dans une vision onirique attribuée à Jed Martin, alter ego artiste de l’auteur, héros très peu héroïque, personnage (post-)postmoderne paradigmatique dont la biographie éclatée ne se prête plus au récit cohérent. Dans de pareils moments d’illumination, le monde se textualise aussi sous les yeux d’autres protagonistes houellebecquiens. Michel Djerzinski dans Les Particules élémentaires vit déjà un tel rêve méta-textuel, annonçant celui de Martin dans La Carte et le territoire (la correspondance entre les passages en question souligne la parenté manifeste entre ces deux personnages [246]) :

 Il était au milieu d’un espace blanc, apparemment illimité. […] À la surface du sol se distinguaient […] des blocs de texte aux lettres noires […] ; chacun des blocs pouvait comporter une cinquantaine de mots. Jed comprit alors qu’il se trouvait dans un livre, et se demanda si ce livre racontait l’histoire de sa vie. Se penchant sur les blocs qu’il rencontrait sur sa route, il eut d’abord l’impression que oui […] mais […] la plupart des mots étaient effacés ou rageusement barrés, illisibles […]. Aucune direction temporelle ne pouvait, non plus, être définie […] [247].

4. Apocalypse (not) now : Conclusion (provisoire)

C’est sur cette vision d’un livre-monde palimpsestique, étrangement dé-livré, délinéarisé, en proie à des métamorphoses qui doivent sans doute quelque chose à la reconfiguration médiatique de nos écritures-lectures, que se termine ce voyage autour de la bibliothèque apocalyptique de la littérature française contemporaine. Le livre, probablement pour un certain temps encore, ne cessera pas de (ne pas) finir ; le discours sur la fin du livre, déjà largement centenaire, ne semble pas non plus près de prendre fin : la biblio-apocalypse, grande procrastinatrice, est toujours pour (après- ?) demain.

Notes

[1] Maurice Blanchot, Le Livre à venir [1959], Paris, Gallimard, 2003, p. 275.

[2] Voir Gérard Desportes/Alexis Lacroix, « “La France doit demeurer une nation littéraire”. Entretien avec Alain Finkielkraut », Libération, 28.01.2011. En ligne ici [02.03.2014]. Voir aussi Alain Finkielkraut, L’Identité malheureuse, Paris, Stock, 2013, p. 150, 167.

[3] François Bon, Après le livre. Qu’est-ce que l’écriture numérique change au destin du livre et aux enjeux de la littérature ?, version digitale [première mise en ligne le 15 mai 2011, dernière mise à jour le 29 juillet 2012], publie.net, « Essais », n° 411 [version imprimée : Paris, Seuil, 2011], pos. 502-503.

[4] Id., pos. 1217-1220.

[5] Nancy Katherine Hayles, Writing Machines, Cambridge, Mass./London, MIT Press, 2002, p. 33.

[6] Joseph Tabbi, « A Media Migration. Toward a Potential Literature », in Essentials of the Theory of Fiction, Michael J. Hoffman & Patrick D. Murphy (dir.), Durham/London, Duke UP, 2005, p. 471-490, ici p. 471.

[7] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis. Die neuen Kommunikationsverhältnisse [1993], München, Wilhelm Fink, 1995, p. 195. Sauf indication contraire, c’est moi [MS] qui traduis.

[8] Severine Durande, « La fin du livre ? » [Compte rendu de François Bon, Après le livre], 09.11.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[9] Lothar Müller, Weiße Magie. Die Epoche des Papiers, München, Hanser, 2012, p. 103.

[10] Voir Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy. The Making of Typographic Man [1962], Toronto [etc.], Toronto UP, 1995.

[11] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 180.

[12] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 349.

[13] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse. Essai, Paris, Grasset, 2011, p. 15.

[14] Roger Chartier, Le Livre en révolutions. Entretiens avec Jean Lebrun, Paris, Textuel, 1997, p. 9. Voir aussi Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 121 et suiv., et les réflexions de Niklas Luhmann à ce propos (Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 184).

[15] Umberto Eco, examinant « cette idée fixe que le livre va disparaître », souligne qu’avec l’internet, nous sommes « revenus à l’ère alphabétique. […] voilà que l’ordinateur nous réintroduit dans la galaxie de Gutenberg et tout le monde se trouve désormais obligé de lire » (Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres. Entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac [2009], Paris, Grasset, 2010, p. 16).

[16] Nam June Paik, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 203.

[17] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 19.

[18] Pierre Robin, « Frédéric Beigbeder : la dissidence caviar », Le Spectacle du monde [Portraits], 01.09.2009 [consulté le 02.03.2014].

[19] Voir Benoît Duteurtre, « Beigbeder et son contraire », dans Frédéric Beigbeder et ses doubles. Avec un entretien et une correspondance inédits de l’écrivain, Alain-Philippe Durand (dir.), Amsterdam/New York, Rodopi, 2008, p. 51-57, ici p. 53.

[20] Voir Émilie Zapater, « Le face à face de Frédéric Beigbeder et François Bon : après le livre, l’apocalypse ? », Monde du livre, 06.07.2013. En ligne ici  [05.05.2014].

[21] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 26.

[22] Alain-Philippe Durand, « Entretien avec Frédéric Beigbeder » [2006], dans : Durand (dir.), Frédéric Beigbeder et ses doubles, op. cit., p. 17-37, ici p. 20 ; voir aussi Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 263.

[23] Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010, p. 130.

[24] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 26.

[25] Caroline Parlanti, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d’internet et du numérique : je dis bravo ! », Le Nouvel Observateur, 24.08.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[26] Voir Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon : le livre numérique est-il une apocalypse? », L’Express, 15.11.2011. En ligne ici [05.05.2014].

[27] Voir Caroline Parlanti, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d’internet et du numérique », art. cit. ; Nicolas Gary, « Beigbeder paranoïaque : le livre numérique, c’est l’apocalypse », ActuaLitté. Les Univers du livre, 07.09.2011. En ligne ici  [02.03.2014].

[28] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 15.

[29] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages » [Interview par Nikos Aliagas], Europe 1, 22.09.2011. [consulté le 18.08.2014].

[30] Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation [2001], Paris, Gallimard, 2003, p. 14.

[31] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 11 et suiv.

[32] Vilém Flusser, Die Schrift, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 183.

[33] Voir Jacques Derrida, « Das Papier oder ich, wissen Sie… (Neue Spekulationen über einen Luxus der Armen) » [Entretien avec Marc Guillaume et Daniel Bougnoux, 1997], in : Maschinen Papier. Das Schreibmaschinenband und andere Antworten (éd. par Peter Engelmann), Wien, Passagen, 2006, p. 221-249, ici p. 224.

[34] Jorge Luis Borges, « Das Buch » [1978], dans : Die letzte Reise des Odysseus. Vorträge und Essays 1978-1982, Frankfurt a. M., Fischer, 2001, p. 13-22, ici p. 16.

[35] Voir Annemarie Schimmel, Das Buch der Welt. Wirklichkeit und Metapher im Islam, Würzburg, Ergon, 1996, p. 5.

[36] Octave Uzanne, « La Fin des livres (Suggestions d’avenir) », dans : Octave Uzanne/Albert Robida, Contes pour les bibliophiles, Paris, May et Motteroz, 1895, p. 125-145, ici p. 125 [consulté le 01.03.2014].

[37] Id., p. 130.

[38] Id., p. 145.

[39] Id., p. 128.

[40] Id., p. 132.

[41] Id., p. 135.

[42] Id., p. 145.

[43] Stefan Zweig, « Das Buch als Eingang zur Welt » [1931], Begegnungen mit Büchern. Aufsätze und Einleitungen aus den Jahren 1902-1939, Frankfurt a. M., Fischer, 1983, p. 7-17.

[44] Id., p. 8 et suiv.

[45] Id., p. 8. Des décennies après Zweig, Umberto Eco médite de même sur le caractère « presque biologique » de l’écriture, « [t]andis que nos inventions modernes, cinéma, radio, Internet, ne sont pas biologiques » (Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 19) ; il arrive, lui aussi, à la conclusion que « Le livre ne mourra pas » (id., p. 15 et suiv.).

[46] Stefan Zweig, « Das Buch als Eingang zur Welt », art. cit., p. 16 et suiv.

[47] Voir Sigmund Freud, « Das Unbehagen in der Kultur » [1929/1930], Studienausgabe, t. IX : Fragen der Gesellschaft. Ursprünge der Religion, Frankfurt a. M., Fischer, 2000, p. 191-270, ici p. 222.

[48] Voir Marshall McLuhan, Understanding Media. The Extensions of Man, London, Routledge & Kegan Paul, 1964.

[49] Jorge Luis Borges, « Das Buch », art. cit., p. 13.

[50] Jorge Luis Borges, « Del culto de los libros », cit. d’après Adelheid Hanke-Schaefer, Jorge Luis Borges zur Einführung, Hamburg, Junius, 1999, p. 11.

[51] « Borges de la A a la Z », cit. d’après Gloria Nistal Rosique, Espejos, laberintos, bibliotecas y otras cifras. La estética de Borges, Madrid, Sial, 2010, p. 56sq.

[52] Jorge Luis Borges, « Das Buch », art. cit., p. 21.

[53] Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 21. Voir aussi Roger Chartier, analysant « la révolution du texte électronique » comme « un pas supplémentaire dans ce processus de dématérialisation, de décorporalisation de l’œuvre » sans pathos apocalyptique (Le Livre en révolutions, op. cit., p. 67).

[54] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[55] Philippe Leclercq, « Et si le livre électronique signait la fin de notre civilisation ? », Le Nouvel Observateur, 16.04.2012 [consulté le 02.03.2014].

[56] Il est éclairant de reconsidérer ce discours sur la perte de la sensualité de la lecture dans son contexte biblio-historique. Le narrateur d’Uzanne insiste justement sur l’aspect sensoriel : de nouveaux dispositifs médiatiques procureront aux lecteurs, métamorphosés en « heureux auditeurs », « le plaisir ineffable de concilier l’hygiène et l’instruction » (« La Fin des livres », op. cit., p. 138).

[57] Voir le titre d’Évanghélia Stead, La Chair du livre. Matérialité, imaginaire et poétique du livre fin-de-siècle (Paris, PUPS, 2012).

[58] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[59] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 19.

[60] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 344.

[61] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1638.

[62] Id., pos. 1658-1663.

[63] Cité d’après Nicolas Gary, « Beigbeder paranoïaque : le livre numérique, c’est l’apocalypse », art. cit.

[64] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 18.

[65] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 352. Voir aussi Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 111.

[66] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 200.

[67] Voir Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 13 et suiv. ; Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 103.

[68] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 18.

[69] Lucien Febvre/Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958, p. 394.

[70] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 198.

[71] Voir, à ce propos, aussi Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 88.

[72] « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[73] Voir, p. ex., Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon », art. cit. ; Emilie Zapater, « Le face à face de Frédéric Beigbeder et François Bon », art. cit.

[74] Interview sur Le Point.fr, 09.06.2010, cit. d’après Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, Jean-Luc Petit Éditions, « Essais » [format électronique], 14.10.2011, pos. 614-615.

[75] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 13.

[76] Id., p. 16 et suiv.

[77] Id., p. 12.

[78] Voir, p. ex., Lucien Febvre & Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, op. cit., p. 43 et suiv. ; Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 200.

[79] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 145 et p. 167.

[80] Camille Tenneson, « Chloé Delaume : “Le numérique est une ouverture sur la littérature” », Le Nouvel Observateur, 24.04.2009. En ligne ici [26.06.2014].

[81] Élisabeth Philippe, « Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique : si on veut censurer une page, on l’efface des liseuses” » [Entretien], Les Inrockuptibles, 23.03.2013. En ligne ici  [26.06.2014].

[82] Maurice Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 273.

[83] Id., p. 265.

[84] Alain-Philippe Durand, « Entretien avec Frédéric Beigbeder », art. cit., p. 19.

[85] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 17.

[86] Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 111.

[87] V. Christophe Berliocchi, « Frédéric Beigbeder : “Internet, c’est l’empire de la méchanceté, de la bêtise” », Sud Ouest, 24.08.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[88] Voir Pierre Lévy, Cyberdémocratie, Paris, Odile Jacob, 2002.

[89] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1639-1640.

[90] Ibid., pos. 1941-1942.

[91] Ibid., pos. 2681-2682.

[92] Ibid., pos. 1108-1109.

[93] Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, op. cit., pos. 853-854.

[94] Ternoise va jusqu’à saluer l’arrivée de l’Amazon Kindle en France comme « [u]n vrai débarquement pour libérer les écrivains français » (id., pos. 23-25).

[95] Le 18.08.2009 sur France Inter, dans le cadre de l’émission « Ça vous dérange » ; cit. d’après Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, op. cit., pos. 792. Cf. aussi Nicolas Gary, « Jean-Marc Roberts (Stock) : l’ebook, c’est bon pour les SDF », ActuaLitté. Les Univers du livre, 18.08.2009 [consulté le 02.03.2014].

[96] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1276-1277.

[97] Severine Durande, « La fin du livre ? », art. cit. Cette vision d’une démocratisation de la culture post-livresque s’inscrit, elle aussi, dans une tradition intertextuelle. Le narrateur d’Octave Uzanne explique déjà que, suite à « La Fin des livres », « l’auteur deviendra son propre éditeur » ; à part les biblio- ou plutôt « phonographophiles » aisés, le « peuple », lui aussi, « pourra se griser de littérature comme d’eau claire, à bon compte, car il aura ses distributeurs littéraires des rues comme il a ses fontaines » (op. cit., p. 135 et suiv.).

[98] Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 16 et suiv..

[99] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 199 et suiv., 222.

[100] Voir Lucien Febvre/Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, op. cit., p. 244 ; Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 123 et suiv.

[101] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 344.

[102] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 223.

[103] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 2280-2281.

[104] Voir Marc Prensky, « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon (MCB UP, Vol. 9, n° 5, oct. 2001), [consulté le 02.03.2014].

[105] « Numéro 36 : “Les Jolies Choses” de Virginie Despentes (1998) » (Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 260-264).

[106] Beigbeder y préfère pourtant Les Jolies Choses, exemptes de ce « militantisme lesbien confinant à l’hétérophobie » (id., p. 263) qu’il reproche à Apocalypse bébé.

[107] Id., p. 260.

[108] « […] Despentes rock’n’viole notre idiome national. […] Avec elle, le français reste une langue vivante » (id., p. 261).

[109] Ibid.

[110] « Un livre ne doit pas parler comme un livre » (ibid.).

[111] Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation, op. cit., p. 13.

[112] Voir Luc Le Vaillant, « Biaise-moi » [Portrait], Libération, 30.07.2004 [consulté le 02.03.2014].

[113] Dans les romans de Despentes, peuplés par des personnages marginaux, mais doués de la « lucidité spéciale des dominés » (Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p. 37), ce sont les losers (et « looseuses ») qui font figure de vrais héros – et surtout héroïnes ; l’écrivain revendique sa propre position du côté de chez les « Bad Lieutenantes » (King Kong Théorie [2006], Paris, Grasset, 2008, p. 9 et suiv.).

[114] Voir Josyane Savigneau, « Virginie Despentes : Je ne suis pas encore très disciplinée, mais j’essaie” », Le Monde des livres, 26.08.2010 [consulté le 02.03.2014].

[115] Voir Élisabeth Philippe, « Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique” », art. cit.

[116] Voir Virginie Despentes, Apocalypse bébé, Paris, Grasset, 2010, p. 99.

[117] Ibid., p. 135sq.

[118] Voir Josyane Savigneau, « Virginie Despentes : “Je ne suis pas encore très disciplinée” », art. cit.

[119] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 41.

[120] Id., p. 19.

[121] Id., p. 104.

[122] Id., p. 47.

[123] Id., p. 74.

[124] Id., p. 40.

[125] Id., p. 165.

[126] Voir id., p. 93 et suiv.

[127] Id., p. 276, 327.

[128] Id., p. 328.

[129] Voir Marianne Costa, « Despentes : anarcho-féministe » [Interview], le magazine.info, 08.06.2007 [consulté le 02.03.2014].

[130] Voir Béatrice Vallaeys & François Armanet, « Trois femmes s’emparent du sexe. Interview : Catherine Breillat (Une vraie jeune fille) dialogue avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (Baise-moi) », Libération, 13.06.2000 [consulté le 02.03.2014].

[131] Virginie Despentes, King Kong Théorie, op. cit., p. 145.

[132] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 302.

[133] Id., p. 250.

[134] Id., p. 323 et suiv.

[135] Id., p. 109.

[136] Voir Xavier de la Porte, « Apocalypse Bébé : Internet, matrice du récit », InternetActu.net, 14.02.2011  [consulté le 02.03.2014].

[137] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 290 et suiv.

[138] Id., p. 100.

[139] Günther Anders, Die Antiquiertheit des Menschen, t. I : Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution [1956], München, Beck, 1992, p. 135, 141.

[140] Voir Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle » [1990], Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 2009, p. 240-247, ici p. 244.

[141] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 343.

[142] Comme pour « Virginie Despentes », il s’agit d’un pseudonyme littéraire – ou bien d’« un geste performatif » (Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans. Roman, Paris, Seuil, 2012, p. 14), donnant naissance à ce « personnage de fiction » que se déclare C. D. (voir La Règle du Je. Autofiction. Un essai, Paris, PUF, 2010, p. 5, 21, 79, 82 ; La Dernière Fille avant la guerre, Paris, Naïve, 2007, p. 8, 63, 103 ; Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 13, 17, 113, et passim). Voir aussi Barbara Havercroft, « Le soi est une fiction » [Entretien avec Chloé Delaume], Revue critique de fixxion française contemporaine, 4, « Fictions de soi », 2012 [consulté le 26.06.2014].

[143] Voir Arnaud Genon, « De l’autofiction expérimentale (Sur Chloé Delaume, La règle du je) », autofiction.org, 29.04.2010 [consulté le 02.03.2014].

[144] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 62.

[145] Voir le titre d’Emmanuel Carrère (Paris, P.O.L., 2009).

[146] Voir Éric Neuhoff, « La subversive et l’inclassable. Deux femmes écrivains loin des codes et des modes », Le Figaro Madame, 28.11.2010 [consulté le 02.03.2014].

[147] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 68.

[148] Voir Minh Tran Huy, « Entretien avec Chloé Delaume », Zone littéraire, 08.11.2001. en ligne ici [02.03.2014].

[149] Renaud Pasquier, « L’œuvre indistincte (Vasset, Volodine, Delaume, Bon) », in  La caméra des mots. Dans le spectacle du roman, Matteo Majorano (dir.), Bari, B.A. Graphis, 2007, p. 49-69, ici p. 61.

[150] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 66.

[151] Chloé Delaume, Certainement pas (Paris, Verticales, 2004), cité d’après Renaud Pasquier, « L’œuvre indistincte », art. cit., p. 60.

[152] Voir Minh Tran Huy, « Entretien avec Chloé Delaume », art. cit.

[153] Voir Alexandra Galakof, « “Se divertir avec la littérature, c’est grave… politiquement”(Chloé Delaume) », L’Express. Blog Café livres, 09.02.2009 [consulté le 02.03.2014].

[154] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, Paris, Verticales, 2006, p. 95.

[155] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 77 et suiv.

[156] Id., p. 57.

[157] Chloé Delaume, La Dernière Fille avant la guerre, op. cit., p. 60.

[158] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 89 [Annexe]. V. à ce propos aussi Christian Salmon, Verbicide. Du bon usage des cerveaux humains disponibles [2005], Arles, Actes Sud, 2007 [éd. actualisée], p. 16, 57 et suiv.

[159] En ligne ici  [consulté le 08.06.2012].

[160] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, op. cit., p. 12.

[161] Ibid., p. 16.

[162] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 7 ; cf. aussi p. 56.

[163] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, op. cit., p. 17.

[164] Camille Tenneson, « Chloé Delaume : “Le numérique est une ouverture sur la littérature” », art. cit.

[165] Dawn Cornelio, « Nimphaea in fabula : le bouquet d’histoires de Chloé Delaume. Par Marika Piva (2012) » [Compte rendu], French Studies, n° 68:1, 2014, p. 129-130, ici p. 129 [consulté le 26.06.2014].

[166] Voir « 24 h dans la vie de Chloé Delaume » [Entretien par Colette Fellous], France Culture, 09.08.2009. Transcription par Maryse Legrand disponible sur [consulté le 26.06.2014].

[167] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 62.

[168] Id., p. 87 [Annexe].

[169] Ainsi dans J’habite dans la télévision (op. cit., p. 110sq. ; voir aussi La Règle du Je, op. cit., p. 90 et suiv. [Annexe]). Dans La Dernière Fille avant la guerre, Delaume parallélise « pacte de lecture » littéraire et « pacte d’écoute » musical (op. cit., p. 99) ; elle esquisse même la perspective d’une autofiction « musicale » (voir La Règle du Je, op. cit., p. 93 [Annexe]).

[170] Chloé Delaume, Corpus Simsi. Incarnation virtuellement temporaire, Paris, Léo Scheer, 2003, p. 124.

[171] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 223.

[172] Chloé Delaume, Corpus Simsi, op. cit., p. 124 et suiv.

[173] Dans le monde simsien, s’insère une fiction de second degré, les « Sims Alpha » jouant aux « Sims Bêta », ces « sous-Sims » (id., p. 103).

[174] Voir, évidemment, la fameuse formule de Stéphane Mallarmé (Œuvres complètes, vol. II. éd. par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard,« Pléiade », 2003, p. 224).

[175] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 8, 203.

[176] Chloé Delaume, Corpus Simsi, op. cit., p. 5.

[177] Id., p. 50.

[178] Id., p. 63.

[179] Id., p. 124.

[180] Id., p. 107.

[181] Id., p. 116.

[182] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 91 [Annexe]. Pour Certainement pas, autre livre-jeu, Delaume emprunte la structure du Cluedo.

[183] Version française : Buffy contre les vampires.

[184] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 92sq. [Annexe].

[185] Chloé Delaume, La Nuit je suis Buffy Summers, Paris, è®e, 2007, p. 13.

[186] Id., p. 106.

[187] Id., p. 10sq.

[188] Id., p. 77.

[189] Id., p. 45.

[190] Id., p. 73.

[191] Id., p. 59,  voir aussi p. 96 et suiv.

[192] Id., p. 99.

[193] Id., p. 87.

[194] Id., p. 107.

[195] Id., p. 47.

[196] Iid., p. 100.

[197] Id., p. 68, voir aussi p. 34 et suiv., 43.

[198] Iid., p. 112 et suiv.

[199] Voir, p. ex., Philippe Leclercq, « Et si le livre électronique signait la fin de notre civilisation ? », art. cit.

[200] Jacques Derrida, L’écriture et la différence [1967], Paris, Seuil, 2006, p. 429 ; cité. par Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 192.

[201] Walter Benjamin, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 196.

[202] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1234-1235.

[203] Id., pos. 1236-1237.

[204] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset, 2008, p. 263.

[205] Id., p. 269.

[206] V. Christian Salmon, Verbicide, op. cit., p. 60.

[207] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, op. cit., p. 270 et p. 234.

[208] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi » [1992], Interventions 2 : traces, Paris, Flammarion, 2009, p. 21-45, ici p. 31 et suiv.

[209] Die neue Typographie. Ein Handbuch für Zeitgemäss Schaffende (1928 ; v. Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 316).

[210] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 197 et suiv.

[211] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 392-393.

[212] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 133.

[213] Jacques Derrida, « Das Papier oder ich, wissen Sie… », art. cit., p. 245.

[214] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 32 et suiv. Voir aussi Martin de Haan, « Entretien avec Michel Houellebecq », in : Sabine van Wesemael (dir.), Michel Houellebecq, Amsterdam/New York, Rodopi, 2004, p. 9-27, ici p. 17.

[215] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 170 et suiv.

[216] Id., p. 254.

[217] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 34. Houellebecq adopte, significativement, des positions différentes selon son rôle respectif d’auteur ou de lecteur. Tandis que Houellebecq l’auteur « [s]’intéresse surtout à l’objet-livre » (« Entretien avec Gilles Martin-Chauffier et Jérôme Béglé » [2006], in : Interventions 2, op. cit., p. 255-265, ici p. 263), ce même objet le laisse indifférent en tant que lecteur (« J’ai lu toute ma vie », Interventions 2, op. cit., p. 267-273, ici p. 273).

[218] Voir Martin de Haan, « La mise à distance du monde : entretien avec Michel Houellebecq », Speakers Academy Magazine, mai 2011 ; en ligne: 15.05.2011  [consulté le 02.03.2014].

[219] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 45.

[220] Voir Julia Kristeva, Étrangers à nous-mêmes, Paris, Fayard, 1988.

[221] V. Michel Houellebecq, Poésie, Paris, J’ai lu, 2010, p. 236.

[222] Id., p. 40 [Le Sens du combat].

[223] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 40.

[224] Autre mort annoncée depuis des décennies : dès 1925, José Ortega y Gasset considère le roman « como una cantera de vientre enorme, pero finito » (« Ideas sobre la novela », in : Obras completas, Madrid, Alianza, 1987, t. 3, p. 387-419, ici p. 388).

[225] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte [1994], Paris, Flammarion, 1999, p. 42.

[226] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 258 et suiv.

[227] Michel Houellebecq, « Lettre à Lakis Proguidis » [1997], in : Interventions 2, op. cit., p. 149-156, ici p. 152.

[228] Voir Martin de Haan, « Entretien avec Michel Houellebecq », art. cit., p. 10 et p. 26.

[229] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 184 et suiv.

[230] Alasdair C. MacIntyre affirme à son tour que « man is […] essentially a story-telling animal » (After Virtue. A Study in Moral Theory [1981], London, Duckworth, 1999, p. 216).

[231] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 163.

[232] Voir George Lakoff/Mark Johnson, Metaphors we live by, Chicago, Ill. [etc.], Univ. of Chicago Press, 1980.

[233] Voir Hans Blumenberg, Die Lesbarkeit der Welt [1981], Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1993.

[234] Voir Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit.

[235] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 86.

[236] Voir François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1524-1528.

[237] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 194.

[238] Voir id., p. 110.

[239] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 2072-2073.

[240] Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon », art. cit.

[241] L’œuvre de Borges, biblio-philosophe par excellence –  « Le livre est en principe le monde pour lui, et le monde est un livre » (Maurice Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 131) –, a été, ces dernières années, l’objet de relectures la mettant en rapport avec les nouveaux médias (voir Perla Sassón-Henry, Borges 2.0. From Text to Virtual Worlds, New York/Vienna [etc.], Lang, 2007 ; Dante Augusto Palma, Borges.com. La ficción de la filosofía, la política y los medios, Buenos Aires, Biblos, 2010).

[242] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, op. cit., p. 284 [BHL], voir aussi p. 170.

[243] Michel Houellebecq, « Avant-propos » [2008], Interventions 2, op. cit., p. 7-8, ici p. 8. Voir aussi les réflexions similaires de François Bon : « Nous serions alors chacun l’écrivain d’un seul livre. Ce livre grandirait avec nous […]. Il serait fait de toutes nos traces […] » (Après le livre, op. cit., pos. 2048-2049).

[244] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 342, 351.

[245] Ted Nelson, Literary Machines, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 218.

[246] Voir aussi l’errance de « Daniel 1 » à travers l’installation de Vincent Greilsamer, « l’artiste élohimite » (La Possibilité d’une île [2005], Paris, Fayard, 2007, p. 144), autre espace textualisé (id., p. 150sqq.).

[247] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 153.

Bibliographie

ANDERS, Günther, Die Antiquiertheit des Menschen, t. I : Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution [1956], München, Beck, 1992.

BEIGBEGER, Frédéric, Dernier inventaire avant liquidation [2001], Paris, Gallimard, 2003.

—, Premier bilan après l’apocalypse. Essai, Paris, Grasset, 2011.

BERLIOCCHI, Christophe, « Frédéric Beigbeder : “Internet, c’est l’empire de la méchanceté, de la bêtise” », Sud Ouest, 24.08.2012 [consulté le 02.03.2014].

BLANCHOT, Maurice, Le Livre à venir [1959], Paris, Gallimard, 2003.

BLUMENBERG, Hans, Die Lesbarkeit der Welt [1981], Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1993.

BOLZ, Norbert, Am Ende der Gutenberg-Galaxis. Die neuen Kommunikationsverhältnisse [1993], München, Wilhelm Fink, 1995.

BON, François, Après le livre. Qu’est-ce que l’écriture numérique change au destin du livre et aux enjeux de la littérature ?, version digitale [première mise en ligne le 15 mai 2011, dernière mise à jour le 29 juillet 2012], publie.net, coll. « Essais », n° 411 [version imprimée : Paris, Seuil, 2011].

BORGES, Jorge Luis, « Das Buch » [1978], Die letzte Reise des Odysseus. Vorträge und Essays 1978-1982, Frankfurt a. M., Fischer, 2001, p. 13-22.

BOURDIEU, Pierre, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

CARRIÈRE, Jean-Claude, ECO, Umberto, N’espérez pas vous débarrasser des livres. Entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac [2009], Paris, Grasset, 2010.

CHARTIER, Roger, Le Livre en révolutions. Entretiens avec Jean Lebrun, Paris, Textuel, 1997.

CORNELIO, Dawn, « Nimphaea in fabula : le bouquet d’histoires de Chloé Delaume. Par Marika Piva (2012) » [Compte rendu], French Studies, no 68:1, 2014, p. 129-130 [consulté le 26.06.2014].

COSTA, Marianne, « Despentes : anarcho-féministe » [Interview], le magazine.info, 08.06.2007 [consulté le 02.03.2014].

DELAUME, Chloé, Corpus Simsi. Incarnation virtuellement temporaire, Paris, Léo Scheer, 2003.

—, Certainement pas, Paris, Verticales, 2004.

—, J’habite dans la télévision, Paris, Verticales, 2006.

—, La Dernière Fille avant la guerre, Paris, Naïve, 2007.

—, La Nuit je suis Buffy Summers, Paris, è®e, 2007.

—, La Règle du Je. Autofiction. Un essai, Paris, PUF, 2010.

—, Une femme avec personne dedans. Roman, Paris, Seuil, 2012.

DELEUZE, Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle » [1990], Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 2009, p. 240-247.

Derrida, Jacques, L’écriture et la différence [1967], Paris, Seuil, 2006.

—, « Das Papier oder ich, wissen Sie… (Neue Spekulationen über einen Luxus der Armen) » [Entretien avec Marc Guillaume et Daniel Bougnoux, 1997], Maschinen Papier. Das Schreibmaschinenband und andere Antworten (éd. par Peter Engelmann), Wien, Passagen, 2006, p. 221-249.

DESPENTES, Virginie, King Kong Théorie [2006], Paris, Grasset, 2008.

—, Apocalypse bébé, Paris, Grasset, 2010.

DESPORTES, Gérard/Lacroix, Alexis, « “La France doit demeurer une nation littéraire”. Entretien avec Alain Finkielkraut », Libération, 28.01.2011 [consulté le 02.03.2014].

DURAND, Alain-Philippe, « Entretien avec Frédéric Beigbeder » [2006], dans Frédéric Beigbeder et ses doubles. Avec un entretien et une correspondance inédits de l’écrivain, Alain-Philippe Durand (dir.), Amsterdam/New York, Rodopi, 2008, p. 17-37.

DURANDE, Severine, « La fin du livre ? » [Compte rendu de François Bon, Après le livre], 09.11.2012 [consulté le 02.03.2014].

DUTEURTRE, Benoît, « Beigbeder et son contraire », dans : Alain-Philippe Durand (dir.), Frédéric Beigbeder et ses doubles. Avec un entretien et une correspondance inédits de l’écrivain, Amsterdam/New York, Rodopi, 2008, p. 51-57.

FEBVRE Lucien, MARTIN, Henri-Jean, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958.

FINKIELKRAUT, Alain, L’Identité malheureuse, Paris, Stock, 2013.

FREUD, Sigmund, « Das Unbehagen in der Kultur » [1929/1930], Studienausgabe, t. IX : Fragen der Gesellschaft. Ursprünge der Religion, Frankfurt a. M., Fischer, 2000, p. 191-270.

GALAKOF, Alexandra, « “Se divertir avec la littérature, c’est grave… politiquement” (Chloé Delaume) », L’Express. Blog Café livres, 09.02.2009 [consulté le 02.03.2014].

GARY, Nicolas, « Jean-Marc Roberts (Stock) : l’ebook, c’est bon pour les SDF », ActuaLitté. Les Univers du livre, 18.08.2009 [consulté le 02.03.2014].

—, « Beigbeder paranoïaque : le livre numérique, c’est l’apocalypse », ActuaLitté. Les Univers du livre, 07.09.2011 [consulté le 02.03.2014].

GENON, Arnaud, « De l’autofiction expérimentale (Sur Chloé Delaume, La règle du je) », autofiction.org, 29.04.2010 [consulté le 02.03.2014].

HAAN, Martin de, « Entretien avec Michel Houellebecq », in Michel Houellebecq, Sabine van Wesemael (dir.), Amsterdam/New York, Rodopi, 2004, p. 9-27.

—, « La mise à distance du monde : entretien avec Michel Houellebecq », Speakers Academy Magazine, mai 2011 ; en ligne: 15.05.2011 [consulté le 02.03.2014].

HANKE-SCHAEFER, Adelheid, Jorge Luis Borges zur Einführung, Hamburg, Junius, 1999.

HAVERCROFT, Barbara, « Le soi est une fiction » [Entretien avec Chloé Delaume], Revue critique de fixxion française contemporaine, 4, « Fictions de soi », 2012 [consulté le 26.06.2014].

HAYLES, N[ancy] Katherine, Writing Machines, Cambridge, Mass./London, MIT Press, 2002.

HOUELLEBECQ, Michel, Extension du domaine de la lutte [1994], Paris, Flammarion, 1999.

—, La Possibilité d’une île [2005], Paris, Fayard, 2007

—, Interventions 2 : traces, Paris, Flammarion, 2009.

—, La Carte et le territoire, Paris, Flammarion, 2010.

—, Poésie, Paris, J’ai lu, 2010.

— /Lévy, Bernard-Henri, Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset, 2008.

KRISTEVA, Julia, Étrangers à nous-mêmes, Paris, Fayard, 1988.

LAKOFF, George/Johnson, Mark, Metaphors we live by, Chicago, Ill. [etc.], Univ. of Chicago Press, 1980.

LECLERCQ, Philippe, « Et si le livre électronique signait la fin de notre civilisation ? », Le Nouvel Observateur, 16.04.2012. En ligne ici [consulté le 02.03.2014].

LE VAILLANT, Luc, « Biaise-moi » [Portrait], Libération, 30.07.2004. En ligne ici [02.03.2014].

LÉVY, Pierre, Cyberdémocratie, Paris, Odile Jacob, 2002.

MACINTYRE, Alasdair C., After Virtue. A Study in Moral Theory [1981], London, Duckworth, 1999.

MALLARMÉ, Stéphane, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », vol. II., 2003.

MARTINET, Laurent, « Frédéric Beigbeder face à François Bon : le livre numérique est-il une apocalypse? », L’Express, 15.11.2011 [consulté le 05.05.2014].

McLUHAN, Marshall, Understanding Media. The Extensions of Man, London, Routledge & Kegan Paul, 1964.

—, The Gutenberg Galaxy. The Making of Typographic Man [1962], Toronto [etc.], Toronto UP, 1995.

MINH, Tran Huy, « Entretien avec Chloe Delaume », Zone littéraire, 08.11.2001.  [consulté le 02.03.2014].

MÜLLER, Lothar, Weiße Magie. Die Epoche des Papiers, München, Hanser, 2012.

NEUHOFF, Éric, « La subversive et l’inclassable. Deux femmes écrivains loin des codes et des modes », Le Figaro Madame, 28.11.2010. En ligne ici [02.03.2014].

NISTAL ROSIQUE, Gloria, Espejos, laberintos, bibliotecas y otras cifras. La estética de Borges, Madrid, Sial, 2010.

ORTEGA Y GASSET, José, « Ideas sobre la novela », Obras completas, Madrid, Alianza, 1987, t. 3, p. 387-419.

PALMA, Dante Augusto, Borges.com. La ficción de la filosofía, la política y los medios, Buenos Aires, Biblos, 2010.

PARLANTI, Caroline, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d’internet et du numérique : je dis bravo ! », Le Nouvel Observateur, 24.08.2012. En ligne ici [02.03.2014].

PASQUIER, Renaud, « L’œuvre indistincte (Vasset, Volodine, Delaume, Bon) », in La caméra des mots. Dans le spectacle du roman, Matteo Majorano (dir.), Bari, B.A. Graphis, 2007, p. 49-69.

PHILIPPE, Élisabeth, « Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique : si on veut censurer une page, on l’efface des liseuses” » [Entretien], Les Inrockuptibles, 23.03.2013. En ligne ici  [26.06.2014].

PORTE, Xavier de la, « Apocalypse Bébé : Internet, matrice du récit », InternetActu.net, 14.02.2011. En ligne ici [02.03.2014].

PRENSKY, Marc, « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon (MCB UP, Vol. 9, n° 5, oct. 2001) ; disponible en ligne ici [02.03.2014].

ROBIN, Pierre, « Frédéric Beigbeder : la dissidence caviar », Le Spectacle du monde [Portraits], 01.09.2009. En ligne ici  [02.03.2014].

SALMON, Christian, Verbicide. Du bon usage des cerveaux humains disponibles [2005], Arles, Actes Sud, 2007 [éd. actualisée].

SASSÓN-HENRY, Perla, Borges 2.0. From Text to Virtual Worlds, New York/Vienna [etc.], Lang, 2007.

SAVIGNEAU, Josyane, « Virginie Despentes : “Je ne suis pas encore très disciplinée, mais j’essaie” », Le Monde des livres, 26.08.2010. En ligne ici  [02.03.2014].

SCHIMMEL, Annemarie, Das Buch der Welt. Wirklichkeit und Metapher im Islam, Würzburg, Ergon, 1996.

STEAD, Évanghélia, La Chair du livre. Matérialité, imaginaire et poétique du livre fin-de-siècle, Paris, PUPS, 2012.

TABBI, Joseph, « A Media Migration. Toward a Potential Literature », in Essentials of the Theory of Fiction, Michael J. Hoffman & Patrick D. Murphy (dir.), Durham/London, Duke UP, 2005, p. 471-490.

TENNESON, Camille, « Chloé Delaume : “Le numérique est une ouverture sur la littérature” », Le Nouvel Observateur, 24.04.2009. En ligne ici [26.06.2014].

TERNOISE, Stéphane, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, Jean-Luc Petit Éditions, « Essais » [format électronique], 14.10.2011.

UZANNE, Octave, « La Fin des livres (Suggestions d’avenir) », dans : Octave Uzanne & Albert Robida, Contes pour les bibliophiles, Paris, May et Motteroz, 1895, p. 125-145. En ligne ici [01.03.2014].

VALLAEYS, Béatrice & ARMANET, François, « Trois femmes s’emparent du sexe. Interview : Catherine Breillat (Une vraie jeune fille) dialogue avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (Baise-moi) », Libération, 13.06.2000.  En ligne ici [02.03.2014].

ZAPATER, Emilie, « Le face à face de Frédéric Beigbeder et François Bon : après le livre, l’apocalypse ? », Monde du livre, 06.07.2013. En ligne ici [05.05.2014].

ZWEIG, Stefan, « Das Buch als Eingang zur Welt » [1931], in : Begegnungen mit Büchern. Aufsätze und Einleitungen aus den Jahren 1902-1939, Frankfurt a. M., Fischer, 1983, p. 7-17.

Sources audiovisuelles

« L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages » [Interview par Nikos Aliagas], Europe 1, 22.09.2011, disponible ici  [18.08.2014].

« 24 h dans la vie de Chloé Delaume » [Entretien par Colette Fellous], France Culture, 09.08.2009. Transcription par Maryse Legrand disponible ici  [26.06.2014].

Auteur

Martina Stemberger est chercheuse et enseignante à l’Institut d’Études Romanes de l’Université de Vienne en Autriche. Ses principaux domaines de recherche sont la littérature française et francophone des XXe et XXIe siècles, la littérature de voyage, les relations culturelles et littéraires franco-russes, l’imagologie comparatiste, les Gender Studies. Pour une liste complète de ses publications et autres activités scientifiques, voir ici.

Copyright

Tous droits réservés




Donner corps à la fiction : les performances littéraires de Chloé Delaume


Cet article se propose d’interroger l’importance de la performativité dans l’œuvre de Chloé Delaume. La pratique de la performance s’inscrit directement dans les dispositifs expérimentaux de l’auteure qui caractérisent ses différents projets d’écriture. Chez elle, la création littéraire, en plus de l’autofiction, passe en grande partie par l’exploration des formes variées de médiatisation du texte. Si ses performances sont avant tout des mises en scène de la lecture de ses romans, un de leurs objectifs premiers est en effet d’expérimenter des médiatisations inédites pour ses textes, c’est pourquoi elles possèdent souvent une dimension multimédia. Mais elles contribuent également, du fait qu’elles impliquent la présence physique de l’auteure, à construire le récit autofictionnel au cœur de la pratique littéraire de Delaume.

This article intends to question the significances of performativity in Chloé Delaume’s work. The practice of performance falls directly within the author’s experimental plan that characterize her various writing projects. For her, literary creation, in addition to autofiction, passes in large part through the exploration of various forms of mediation of the text. Although her performances primarily stage the reading of her novels, one of their most important objectives is to experiment new medias for her texts, which explains why they often are multimedia. Performance also contributes, because it implies the physical presence of the author, to construct the autofictional narrative at the core of Delaume’s literary practice.


Texte intégral

Les formes de littérature performées, si elles appartiennent à une histoire longue de la littérature – qui intègre notamment la transmission orale, la lecture publique, les représentations scéniques – trouvent actuellement un regain d’intérêt de la part des praticiens comme des récepteurs. Si la pérennité de ces formes de médiatisation du littéraire est moindre en comparaison de celle du livre, c’est aussi parce qu’elles posent ontologiquement un problème pour leur propre transmission et leur inscription historique. En effet, elles ne laissent que peu de traces à la postérité littéraire et leur éphémérité constitutive ne concède que peu de prise à l’exégète. Ces formes de manifestations du littéraire posent donc un problème épistémologique important pour le chercheur : quel objet étudier, sur quoi appuyer l’analyse ? En tant que chercheur, il est indispensable de prendre en compte ces manifestations sous peine de faire preuve d’une vision étroite de la littérature contemporaine, pour ne pas dire sclérosée. Et, dans le cas plus précis de la pratique de Chloé Delaume, comment aborder ses performances, dont il est si primordial de se saisir en dépit de leur labilité, pour comprendre la dimension expérimentale de son œuvre ? La pratique de la performance par Chloé Delaume s’inscrit directement dans les dispositifs expérimentaux qui caractérisent ses différents projets d’écriture. Chez elle, la création littéraire, en plus de l’autofiction, passe en grande partie par l’exploration des formes variées de médiatisation du texte.

Sans aborder les problèmes de définitions inhérents à la variété de pratiques que recoupe la performance, ou la pluralité de disciplines qui se sont approprié le terme, je propose de désigner par « performance », tout événement artistique produisant des gestes, des actes, ayant lieu le plus souvent en public, et dont le déroulement temporel constitue l’œuvre même. La performance peut être plus ou moins improvisée, mais chaque occurrence reste unique. La présence du performeur (qui peut être physique ou médiatisée) y est généralement centrale. Renvoyant aux essais fondateurs de Roselee Goldberg, Cynthia Carr ou Arnaud Label-Rojoux [1], je passerai outre l’équivocité essentielle du terme de performance, pour me concentrer sur la manière dont Delaume la pratique en acte.

Dans son essai, Performance: a Critical Introduction, Marvin Carlson décrit les différentes pratiques que recoupe le terme :

D’un côté, il y avait la performance […] l’œuvre d’un seul artiste, ayant souvent recours à des matériaux tirés du quotidien et qui joue rarement un personnage conventionnel, se concentrant sur les actions du corps dans l’espace et le temps, parfois grâce à la mise en scène de comportements naturels, d’autres fois par l’exhibition de compétences physiques hors du commun ou extrêmement intenses, se tournant progressivement vers des explorations autobiographiques. De l’autre côté, il y avait une tradition, que nous n’appelions pas performance jusqu’aux années 80, mais qui y a été incluse par la suite. Une tradition de spectacles plus élaborés, non plus basés sur le corps ou la psyché de l’artiste même, mais consacrés à la représentation d’images et de sons, impliquant le plus souvent du spectacle, de la technologie et un mélange de médias [2].

Les performances telles que les réalise Delaume se trouvent entre ces deux tendances décrites par Carlson. Elles sont avant tout des mises en scène (souvent dépouillées) de la lecture de ses romans. Un de leurs objectifs premiers est d’expérimenter des médiatisations inédites pour ses textes, c’est pourquoi elles possèdent souvent une dimension multimédia. Mais elles contribuent également, du fait qu’elles impliquent la présence physique de l’auteure, à construire le récit autofictionnel au cœur de sa pratique littéraire. Ceci nous conduira ultimement à interroger de manière plus large l’importance de la performativité dans l’œuvre de Chloé Delaume.

1. La performance comme expérimentation médiatique

La performance est une pratique ontologiquement liée à l’expérimental et c’est probablement cette dimension qui attire Delaume. Son premier roman, Les Mouflettes d’Atropos paraît en 2000 et presque immédiatement elle débute les lectures en public et les projets musicaux qui la conduisent vers la pratique de la performance. C’est en 2002 et en collaboration avec Dorine_Muraille, alias Julien Loquet [3], musicien électronique, qu’a lieu le premier cycle de performances auquel elle participe. Ce dernier, intitulé L’Impasse Muraille se déclinait en six volets et interrogeait déjà le lien entre fiction et identité cher à l’auteure, même si cette fois le personnage central était Dorine_Muraille. La performance accompagne ainsi dès le départ les expérimentations littéraires de Delaume qui en a effectué autour d’une cinquantaine.

Dans chacune de ses occurrences, la performance est un des avatars d’un projet d’écriture qui la dépasse, en perpétuelle mutation et qui inclut une pluralité de médiatisations. À ce titre le projet Corpus Simsi réalisé par Chloé Delaume de 2002 à 2005 est exemplaire [4]. Au cœur de ce dernier se trouve le jeu vidéo Les Sims, utilisé à des fins fictionnelles. Dans Corpus Simsi, l’auteure est une joueuse de God Game et le personnage un avatar de jeu de simulation de vie, mis en scène dans différents contextes d’énonciation. Il se construit en premier lieu dans une situation de jeu privé effectué par Chloé Delaume, puis il entre, à travers des performances multimédias, dans la sphère publique. Un blog, consacré au projet, relate au quotidien les aventures de l’avatar Sims, des articles et un livre paru en novembre 2003 aux Éditions Léo Scheer, sont publiés ; mais l’avatar est aussi au centre de plusieurs performances.

L’une d’entre elles est Corpus Simsi 1.0. Elle a eu lieu le 15 septembre 2002 lors de la soirée Chronic’Organic à La Cigale (Paris) et en collaboration avec Jim Thirlwell alias Foetus. Corpus Simsi 1.0 a été choisi comme exemple parce qu’il s’agit d’une des rares performances dont on peut trouver quelques traces. Il est en effet possible d’en voir un très court extrait vidéo sur youtube.

Vidéo 1 : Extrait de la performance de Chloé Delaume et Jim Thirlwell, Corpus Simsi 1.0, Chronic’Organic, Paris : La Cigale, 15 septembre 2002. Consulté le 23 mars 2016.

Chronic’Organic était organisée par le magazine culturel Chronic’Art qui accueillait des performances en tous genres alliant musiciens et écrivains expérimentaux. La Cigale est une salle de spectacle pouvant accueillir environ mille personnes, elle est utilisée habituellement pour des concerts et autres festivals. Cette performance de lecture et de jeu ne se fait donc pas dans un environnement intimiste, mais dans une grande salle hébergeant un public nombreux.

Fig1_Guilet

Figure 1 : Corpus Simsi 1.0, image tirée du site Internet de Chloé Delaume.

Chloé Delaume est installée à une table au centre de la scène, devant un ordinateur sur lequel elle effectue en direct des séquences du jeu Les Sims, qui sont simultanément projetées sur un écran géant face au public, en même temps qu’elle lit un texte. Jim Thrilwell l’accompagne en créant en direct un morceau de musique électronique adapté aux situations décrites par Chloé Delaume. L’ambiance musicale est celle d’un univers gothique de film d’horreur qui apparaît a priori en totale opposition avec l’univers aux couleurs acidulées du jeu vidéo. D’un point du vue proprement plastique, nous avons un environnement obscur avec seulement deux pôles de lumière éclairant les artistes sur scène et l’écran géant. Le dispositif technique (ordinateurs, micros, console, fils) est mis en lumière. Dans le projet Corpus Simsi, le processus et les procédés de réalisation médiatique sont au cœur même de l’œuvre.

Fig2_Guilet

Figure 2 : Corpus Simsi 1.0, image tirée du site Internet de Chloé Delaume.

 La technique fait partie intégrante de la création, qu’il s’agisse de la partie performance, ou par ailleurs du livre ou du site Internet. Tout le projet est un work in progress, et c’est la sémiose même, la construction du sens à travers les différentes aventures médiatiques de l’avatar et l’expérimentation, qui sont à l’origine du projet artistique et littéraire de Chloé Delaume. Comme l’explique Fernando Aguiar,

La performance en tant qu’acte esthétique est avant tout l’art de l’expérimentation, l’art de l’intensité et de la communicabilité, l’art ayant le plus grand nombre de signes à chaque moment de son évolution, l’art de la narration constante, de la transformation chromatique et formelle. L’art où l’artiste n’est plus le créateur contemplatif de sa propre œuvre, mais vit l’art qu’il crée et crée un art qui vit [5].

Dans les performances Corpus Simsi, tout se fait en direct dans un temps donné. L’objectif est de mélanger les médias, la technique et la littérature dans un spectacle ultra-contemporain, permettant de véhiculer une histoire fictive aux éléments classiques : un personnage vit une action, subit des péripéties (ici générées par l’adjuvant logiciel) dans un contexte expérimental. La fiction ici créée est une fiction assumée, aucune suspension d’incrédulité comme l’a explicité Coleridge n’est nécessaire : son artificialité se fait manifeste.

La performance est, pour reprendre une expression de Rosenthal et Ruffel la « cristallisation éphémère d’un processus [6] ». Elle est une étape parmi d’autres du work in progress que constitue chaque projet de Chloé Delaume, elle appartient à ce que David Ruffel appelle la littérature contextuelle qui désigne ces

[…] pratiques littéraires qui ont en commun de déborder le cadre du livre et le geste d’écriture, de démultiplier les possibilités d’intervention et de création des écrivains, possibilités parmi lesquelles le livre occupe toujours une place centrale mais désormais partagée, et de se faire in situ, sur les scènes des théâtres, dans les centres d’art, dans les bibliothèques ou dans la ville. Une littérature qui se fait donc « en contexte » et non dans la seule communication in absentia de l’écriture, du cabinet de travail ou de la lecture muette et solitaire des textes. Je propose de regrouper ces pratiques littéraires sous l’énoncé de « littérature contextuelle », en référence à la notion d’« art contextuel » inventée par l’artiste polonais Jan Swidzinski dans un manifeste intitulé « L’art comme art contextuel 1 » et popularisée récemment par l’essai de l’historien de l’art Paul Ardenne, Un art contextuel [7].

Il semble que bien des pratiques littéraires de Chloé Delaume appartiennent à cette littérature contextuelle, particulièrement ses performances, à travers lesquelles elle rompt avec la vision romantique de l’écrivain solitaire à sa table de travail. D’abord, elle s’approprie en tant qu’auteure des espaces publics, des espaces qui par ailleurs ne sont pas habituellement ceux où l’on partage de la littérature. La performance Corpus Simsi ici étudiée, se déroule à La Cigale, mais Delaume peut également investir les jardins de la villa Medicis pour la première performance du projet sur Le Parti du Cercle, intitulée « In bosco veritas » qui a eu lieu le 21 juin 2011, ou encore la chapelle de la Miséricorde à Metz en octobre 2011 pour « Strenga Misericordia. » Pour David Ruffel, l’écrivain contemporain,

prenant acte de l’affaiblissement et du décentrement de la position de la littérature dans la culture contemporaine, […] intègre naturellement les lieux de l’art, les scènes de théâtre, les milieux sociaux, là où il est possible de gagner en visibilité, en puissance symbolique, en « modernité », ainsi que de déplacer sa discipline, de l’interroger et de la doter de possibilités nouvelles [8].

Si elle peut aussi dénoter une nécessité économique pour les écrivains contemporains – nécessité que l’on ne saurait naïvement écarter – cette délocalisation, ou plutôt déterritorialisation de la littérature hors de ses lieux de prédilection que sont la bibliothèque, la librairie ou même l’université, fait partie intégrante de la démarche expérimentale de Delaume : elle témoigne d’une volonté explicite d’investir le réel. Comme elle l’écrit sur son site pour décrire Le Parti du Cercle, la saison 10 de son grand œuvre :

Les fictions dominantes colonisaient les mots, les eaux du Bangladesh étaient devenues violettes, l’industrie teignait ses textiles au jus de mort. La soirée du solstice d’hiver, elle a lancé Le Parti du Cercle à la Maison de la Poésie. Depuis, il s’écrit ici-même, et ailleurs. Surtout dans le réel, pour qu’il reste des traces. Des ateliers, des performances, des créations diverses, si possible collectives. La Sibylle est nomade, mais toujours connectée [9].

Investir de nouveaux lieux, en contact avec le public et rompre avec l’isolement de l’écriture, être « connectée » : un désir de collaboration qui caractérise chacune de ses performances. Pour la musique elle s’accompagne tour à tour de Dorine_Muraille, Fœtus, The Penelopes ou Gilbert Nouno, mais il y a aussi parfois des scénographes comme John Mahistre qui a participé à la performance « Invoquer les puissances femelles est ce soir la seule solution » du 9 septembre 2014 dans l’Amphithéâtre des trois Gaules à Lyon. Par ailleurs, pour cette même performance, Chloé Delaume était accompagnée d’une danseuse (Fanny Riou) et a convoqué le travail de « Devastée », un duo de designer gothique qui a réalisé ses tenues.

Fig3_GuiletFig4_Guilet

Figure 3 et 4 : Corpus Simsi 1.0, images tirées du site Internet de Chloé Delaume.

2. Ostension du moi et du corps dans la performance

Toutefois, quelle que soit la part de collaboration dans les performances de Delaume, l’auteure est toujours au centre de l’événement. Il est dans la définition de la performance qu’elle soit incarnée, les anglophones diraient embodied. En tant qu’acte de représentation, de mise en scène de soi, elle s’avère correspondre parfaitement à la démarche autofictionnelle de Delaume. L’auteure est mise en « ostension » pour reprendre le vocabulaire d’Umberto Eco dans son article « Semiotic of Theatrical Performance ». Pour Eco : ce qui est en ostension « a été prélevé parmi les corps physiques existant et a été montré ou mis en ostension [10]. » Sans trop verser dans la sémiotique ou dans les théories de la performativité, l’ostension, caractéristique de la représentation, crée une distance avec le réel, elle inscrit la chose ou la personne comme signe, c’est-à-dire porteuse de signification. Il s’agit, dans les performances de Chloé Delaume, de mettre en scène un personnage de fiction joué par l’auteure qui, comme elle aime à le répéter, est de toute façon déjà un personnage de fiction [11].

Selon Marin Carlson, « au sein de l’espace de jeu, la performeuse n’est pas elle-même (du fait de l’illusion de la représentation) mais elle n’est aussi pas pas elle-même (du fait que ceci appartient au réel). La performeuse comme le public opèrent dans un monde de double conscience [12]. » Ainsi la mise en scène de soi à travers la performance, poursuit la démarche autofictionnelle de l’auteure. Pour reprendre les mots de Nancy Huston dans L’Espèce fabulatrice : « Devenir soi – ou plutôt se façonner un soi – c’est activer, à partir d’un contexte familial et culturel donné, toujours particulier, le mécanisme de la narration [13]. » La performance comme l’écriture romanesque semblent participer chez Delaume d’une seule et même narration, celle de l’autofiction. Dans la lignée des performeuses adeptes du monologue que sont Anna Dewaer Smith ou Laurie Anderson ou, avant elles Ruth Draper et Beatrice Herford, les performances de Delaume s’inscrivent dans une tradition d’exploration personnelle par la performance, qui selon Marvin Carlson remonte aux années 70 : « L’usage de la performance afin d’explorer des alter ego, de révéler des fantasmes ou son autobiographie psychique est devenu à partir de la moitié des années 70 une des approches majeures de la performance aux États-Unis [14]. »

Néanmoins, si les performances artistiques sont souvent centrées sur la problématique de la corporéité, celles de Corpus Simsi ont la particularité de moins mettre en scène le corps du performeur que la corporéité virtuelle de son avatar, ainsi que le titre même du projet le sous-entend. Corpus Simsi, en latin, signifie le corps du Sims, parodie de Corpus Christi : l’eucharistie, le symbole de la mort et de la résurrection du Christ, son passage de l’absence à une nouvelle présence. À travers l’avatar, nous avons affaire à un corps médiatisé. Le corps physique de Chloé Delaume, l’auteure, est d’ailleurs, durant la performance, dans une posture plutôt passive : elle est assise sur sa chaise quand son corps médiatique, Chloé Delaume, le personnage de fiction, est actif à l’écran.

Fig5_Guilet

Figure 5 : Corpus Simsi 1.0, image tirée du site Internet de Chloé Delaume.

La présence corporelle n’est donc pas évacuée de la performance, mais elle se joue ici de manière différente : c’est un corps médiatisé dans un corps virtuel, un corps qui n’existe plus par le fait même de sa numérisation, un corps présent et absent. Chloé Delaume est à la fois physiquement présente sur scène, par sa voix, sa lecture, mais son corps est rendu absent, aspiré par son avatar, personnage de fiction, présence purement visuelle, dont le corps numérique est fondé sur une absence.

Les performances Corpus Simsi semblent ainsi être exemplaires d’une relation difficile au corps qui parcourt toute l’œuvre de Delaume. À ce sujet, dans Dans ma maison sous terre, elle écrit : « Je n’habite pas mon corps, j’ose à peine l’habiter, parce qu’il n’est pas le mien, mais celui de Nathalie [15]. » Puis, dans un entretien récent avec Colette Fellous, elle ajoute : « J’ai une sensation de flottement, je l’habite très peu mon corps [16]. » Ce mode de relation au corps se retrouve de manière assez similaire dans Messalina Dicit, performance centrée autour de la figure de Messaline, « puissante et bacchante qui a de son vivant fait ployer le réel au point que celui-ci l’a rejetée [17]. »

Vidéo 2 : Extrait de la performance « Messalina Dicit » réalisée par Chloé Delaume et Gilbert Nouno, le 14 septembre 2011 à La Criée à Marseille lors du festival Actoral.11.

Si la scénographie est quelque peu différente de Corpus Simsi, puisqu’il n’y a pas d’écran, le dispositif technique est encore une fois visible : les fils et la console du musicien Gilbert Nouno, les micros, etc. Delaume se tient dans une attitude relativement figée : elle est debout, vêtue en noir sur un fond noir, postée derrière son micro, les mains posées fixement sur le pupitre, dans une posture très solennelle. Elle n’effectue pas de gestes, presqu’aucun déplacements tout au long des cinquante minutes de performance –  si ce n’est pour sortir de scène. L’espace scénique occupé par l’auteure est minime : le corps cède ainsi l’initiative aux mots, à leur lecture.

 Au tout début de la performance, elle signale sa présence physique et sa posture publique. Elle dit :

Sur scène se dresse un corps articulant des sons qui s’agencent de façon à former un discours, un discours. Ce corps il m’appartient, m’appartiendra toujours… j’en ai pris possession il y a longtemps maintenant […] [18]

Elle dit « un corps » et non « mon corps », elle dit « ce corps », utilisant un déictique, impliquant une distance, une scission puisque le « je » et le corps y sont deux entités distinctes. Ces mots témoignent d’une relation complexe à son propre corps, qui transparaît dans la mise en scène. Toutefois cette forme de négation du corps dans la performance, peut aussi être vue comme la volonté de produire une œuvre minimaliste où le sonore, c’est-à-dire la voix et, à travers elle, le texte, « le discours » de Delaume, ainsi que la musique de Nouno, priment absolument. Delaume lit de manière assez monocorde, sa lecture est scandée par des phrases souvent courtes et de nombreuses pauses. Ceci, ainsi que la longueur même de la performance, lui confèrent une dimension proprement incantatoire, accentuée par des jeux d’écho, l’absence de mélodie et les rythmes répétitifs ponctués de notes aiguës créées par Nouno. La performance reprend la thématique du rituel de sorcellerie, de l’incantation qui caractérise les différentes déclinaisons du projet réalisé autour du Parti du Cercle. Le corps de Delaume est un corps possédé, elle le déclare pendant la performance : « Ce corps est un médium, le verbe le pénètre comme les identités. Ce corps est un médium [19]. » En même temps, la performance même, en tant qu’expérimentation médiatique, peut être perçue comme une tentative de réapparition, d’exorcisation de ce corps, de ce médium. Delaume dit à ce sujet :

Je suis très éloignée de mon corps, je l’habite vraiment très très peu et assez mal, en même temps, je somatise parfois assez violemment et puis je suis la reine des bleus. […] Donc, il s’agit en ce moment de réhabiter ce corps, parce qu’effectivement, je pense avoir assez bien réussi à me réapproprier une nouvelle identité fixe, fixe au sens de pas mouvante et donc, il y a rien de schizophrénique là-dedans, c’est vraiment quelque chose de volontaire et d’esthétique j’ai envie de dire, c’est une démarche artistique, en fait mais le corps est le seul, le seul point d’ancr…, qui pourtant est le point d’ancrage principal, où j’ai pas encore résolu l’affaire [20].

Les propos de Delaume peuvent laisser penser que la performance est une manière d’ancrer ce corps, de l’expérimenter pour finalement en reprendre les rênes.

3. La dimension performative de l’écriture, de l’œuvre de Chloé Delaume

Si réaliser une performance apparaît comme un moyen de se réapproprier son corps, il semble que la dimension performative de sa pratique ne puisse se réduire à une volonté d’incarnation. Plus largement, la dimension performative est présente dans l’ensemble de son œuvre tant le dire et le faire y sont toujours liés. Performance et performativité se recoupent dans sa pratique même d’écriture. À ce titre, l’auteure ne peut se contenter du livre comme support d’écriture : pour que cette performativité du langage puisse pleinement s’épanouir, elle doit investir le réel, se faire parole et donc lecture publique.

Chez Delaume, écrire, performer le soi, c’est être ; et ce quand bien même ce moi est fictionnel. Selon elle, de toute façon, le réel est composé d’une multitude de fictions ; par conséquent, dans une forme de syllogisme implacable, écrire la fiction de soi, c’est entrer dans le réel. L’autofiction devient ainsi une manière de reconstruire son identité après le drame inaugural. Beaucoup de ses œuvres répètent ce leitmotiv : « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction [21]. » Ces paroles relèvent d’une dimension performative. Elle crée son personnage, recrée son identité sous son pseudonyme à chaque fois qu’elle l’énonce. À travers cette phrase, et donc à travers le langage, elle reprend en main sa fiction. Elle écrit :

Parce que j’affirme m’écrire, mais je me vis aussi. Je ne raconte pas d’histoires, je les expérimente toujours de l’intérieur. L’écriture ou la vie, ça me semble impossible, impossible de trancher, c’est annuler le pacte. Vécu mis en fiction, mais jamais inventé. Pas par souci de précision, pas par manque d’imagination. Pour que la langue soit celle des vrais battements de cœur [22].

Écrire, c’est vivre. Dire, c’est être. Toutefois cette performativité du langage s’exprime chez Delaume au-delà de l’aspect cathartique du dire. Dans Dans ma maison sous terre elle écrit pour tuer sa grand-mère. La tuer et, si possible, pas seulement symboliquement. Dans un très beau billet de blog, Arnaud Maïsetti déclare à propos de ce roman :

D’une écriture qui se voudrait performative : de celle capable de donner la naissance de la mort, accomplissant l’acte qu’elle énonce : mais ce qu’elle énonce, ce n’est pas : tu meurs, tu vas mourir. C’est sans doute plus que cela : j’écris pour que tu meures. Et que la mort vienne ou non, ce n’est pas le plus important [23].

Delaume croit en l’efficace du « Verbe » avec une majuscule, au pouvoir « illocutoire » du langage, pour reprendre le vocabulaire du philosophe du langage John Austin. Et ce n’est pas un hasard si dans ses dernières expérimentations dans le cadre du Parti du Cercle elle a recours à la magie, à la performativité du rituel de sorcellerie et du sortilège. D’ailleurs, dans un entretien avec Barbara Havercroft, elle déclare à ce sujet :

L’autofiction s’approche souvent de la magie noire. Le Je n’est pas le Moi, il exige des rituels et souvent des victimes. La femme de Doubrovsky, en lisant le manuscrit du Livre brisé, a bu de la vodka jusqu’à ce que mort s’en suive. Le père de Christine Angot est mort, lui aussi, d’avoir lu L’Inceste [24].

En effet, le langage a des effets illocutoires et perlocutoires redoutables et le décès de la grand-mère de Chloé Delaume à l’issue de la parution de Dans ma maison sous terre ne dément pas la puissance de ses sortilèges. Néanmoins, au-delà de la magie noire, c’est la force de vie ou de survie que Delaume semble dégager du langage qui interpelle le plus souvent le lecteur.

User de la fiction pour construire, reconstruire, le passé le présent signifie rester maître de son propre destin. Contrer Parque et fatum, se redresser par le biais des techniques narratives. Ne jamais filer doux, tisser son quotidien. Dire non, rester debout. Se réapproprier sa propre narration existentielle, utiliser la langue pour parer aux attaques rampantes et permanentes issues du Biopouvoir. Position verticale, riposte politique [25].

Au-delà de l’autofiction, Delaume fait donc preuve d’un rapport vital à l’écriture. Pour elle, comme pour Proust dans Le Temps retrouvé, « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent, c’est la littérature [26] » et ce quel que soit son mode de médiatisation.

Si jusque-là le livre, de par son pouvoir consacrant, était, pour les auteurs et leurs exégètes, un « horizon d’écriture incontournable [27] », pour reprendre l’expression de Lionel Ruffel et Olivia Rosenthal dans « La Littérature exposée [28] », il est aujourd’hui indispensable d’accompagner le mouvement amorcé par des auteurs comme Pierre Guyotat, François Bon, Jean-Luc Raharimanana, Éric Chauvier, Jean-Yves Jouannais, ou encore Éric Chevillard, etc. [29], qui proposent un rapport tout à fait différent à l’écriture et qui dépassent le rapport quasi métonymique entre la littérature et le livre. Chloé Delaume appartient résolument à ces écrivains capables de penser la littérature hors le livre. D’ailleurs, dans un billet issu de la section « remarques et compagnie » (aujourd’hui disparue) de son site Web, elle réagit au fait qu’on lui demande régulièrement son avis sur le livre numérique et la tant annoncée mort du livre, et déclare une absence d’attachement ‒ d’aucuns parleraient de fétichisme ‒ pour le livre :

Je ne comprends pas cette peur du numérique. C’est le texte qui importe, pas son support. […], le rapport charnel au livre, c’est vrai que je ne le saisis pas, je ne l’ai jamais vécu, la bibliophilie, les reliures, ça me laisse de glace, seul le contenu me touche. Mais je reste perplexe, quand même, face à cette frayeur de la fin du livre, comme si ça signifiait la mort de la littérature, le numérique [30].

Cette posture qui fait primer le texte, l’écriture, l’expérimentation sur le support, elle la développera également à travers le dialogue entre Théophile et Clotilde Mélisse dans Dans ma maison sous terre. Clotilde Mélisse, qui aime à déclarer « le livre est mort, vive la littérature [31] ! », avec un point d’exclamation comme le précise Théophile, est une sorte d’alter ego militant du personnage de fiction Chloé Delaume, « un creuset à fantasmes, un transfert très grossier [32] » dit-elle. La littérature hors le livre selon Delaume possède une dimension indéniablement politique, voire éthique : contre « la république bananière des lettres [33] », puisque le livre est aussi pour elle, dans une certaine mesure, symbole de ce monde éditorial rongé par le monopole des grandes maisons d’éditions et leurs démarches commerciales. Ainsi, chercher à s’échapper du livre par la performance est également comme un moyen de remettre en question son monopole symbolique. Cela permet aux auteurs comme Delaume d’exercer le littéraire à l’extérieur du monde normatif de l’édition, l’objectif étant avant tout de laisser plus de place à l’expérimental.

Au-delà du simple exercice promotionnel, les écrivains contemporains revendiquent leur place dans l’espace public, et la lecture et la performance participent résolument de cette nouvelle présence. Loin d’être un locuteur in absentia, l’auteur contemporain s’incarne, s’expose, voire se trouve « surexposé », comme le constatent Ruffel et Rosenthal :

L’écrivain, s’il veut être présent et exister en tant qu’écrivain, doit désormais se rendre visible. Ses interventions dans le champ social vont de pair avec le développement du spectaculaire et d’une industrie culturelle littéraire pour lesquels le corps physique de l’auteur est de plus en plus requis : des signatures en librairie aux lectures publiques jusqu’au développement inédit et massif des festivals littéraires, on assiste à une transformation de la présence sociale de l’auteur. La visibilité de l’écrivain devient à la fois un principe esthétique et une condition sociale [34].

L’exercice même de la performance permet de pallier les écueils que peuvent parfois former la présence publique de l’écrivain en le faisant entrer dans l’espace et en lui donnant corps sur un mode purement représentationnel et fictionnel, mode qu’embrasse absolument Delaume. Grâce à son pseudonyme concaténant références à L’Écume des jours de Boris Vian et L’Arve et l’Aume d’Antonin Artaud, adaptation-traduction de La Traversée du miroir de Lewis Caroll, l’auteure reste toujours du même côté du miroir, le seul dans lequel la vie est possible : la fiction.

Notes

[1] V. Roselee Goldberg, Performances  L’Art en action, Londres, Thames & Hudson, 1999 ; Roselee Goldberg, La Performance, du futurisme à nos jours, Londres, Thames & Hudson, [1979] 2001 ; Cynthia Carr, On Edge  Performance at the End of the 20th Century, Middletown, Wesleyan University Press, [1993] 2008 ; Arnaud Label-Rojoux, Acte pour l’art, Paris, Al Dante, [1989] 2007.

[2] Je souligne. « On the one hand there was performance […] the work of a single artist, often using material from everyday life and rarely playing a conventional “character”, emphasizing the activities of the body in space and time, sometimes by the framing of natural behaviour, sometimes by the display of virtuosic physical skills or extremely taxing physical demands, and turning gradually toward autobiographical exploration. On the other hand there was a tradition, not often designated as performance until after 1980 but subsequently generally included in such work, of more elaborate spectacles not based upon the body or the psyche of the individual artist but devoted to the display of non-literary aural and visual images, often involving spectacle, technology, and mixed media. » (Carlson Marvin, Performance : A Critical Introduction, New York et Londres, Routledge, 2004, p. 115).

[3] V. Dorine Muraille, Mani, Fat Cat Records, 2003.

[4] Une partie de cette analyse de Corpus Simsi est tirée d’un article précédemment publié : Anaïs Guilet, « Lire le jeu vidéo, jouer à la littérature : Corpus Simsi de Chloé Delaume », Questions de communication, série acte 8 : Les jeux vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture, Sylvie Craipeau, Sébastien Genvo et Brigitte Simonnot (dir.), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2010.

[5] « Performance as an aesthetic act is above all the art of experiment, the art of intensity and communicability, the art having the greatest number of signs at each moment of its evolution, the art of constant narrative, chromatic and formal transformation. Where the artist is also no longer the contemplative creator of his own work, but lives the art he creates and creates an art that lives. » (Fernando Aguiar, Performance : the Essence of the Senses, en ligne ici).

[6] Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel, « Introduction », Littérature, nº 160, décembre 2010, p. 9. En ligne ici.

[7] David Ruffel, « La littérature contextuelle », ibid., p. 62. En ligne ici.

[8] Ibid,  p. 63.

[9] Chloé Delaume, « Vie, saisons, épisodes », en ligne ici.

[10] « [It] has been picked up among the existing physical bodies and it has been shown or ostended » (Umberto Eco, «Semiotic of Theatrical Performance», The Drama Review : TDR, Vol. 21, nº 1, Theatre and Social Action Issue, mars 1977, p. 110).

[11] « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. Je le dis, le redis, sans cesse partout l’affirme. Je m’écris dans des livres, des textes, des pièces sonores. J’ai décidé de devenir personnage de fiction quand j’ai réalisé que j’en étais déjà un. À cette différence que je ne m’écrivais pas. D’autres s’en occupaient. Personnage secondaire d’une fiction familiale et figurante passive de la fiction collective. J’ai choisi l’écriture pour me réapproprier mon corps, mes faits et gestes, et mon identité » (Chloé Delaume, S’écrire mode d’emploi, Publie.net, 2008).

[12] « Within the play frame a performer is not herself (because of the operation of illusion) but she is also not not herself (because of the operations of reality). Performer and audience alike operate in world of double consciousness » (Carlson Marvin, Performance : A Critical Introduction, New York et Londres, Routledge, 2004, p. 49).

[13] Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice, Paris, Actes Sud, 2008, p. 24.

[14] « […] the use of performance to explore alternate selves or to reveal fantasies or psychic autobiography had by the mid 1970’s become a major approach to performance in the United States » (Carlson Marvin, Performance : A Critical Introduction, New York et Londres, Routledge, 2004, p. 126).

[15] Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Paris, Seuil, 2009, p. 202.

[16] Entretien radiophonique avec Colette Fellous, « Vingt-quatre heures dans la vie de… », France Culture, dimanche 9 août 2009.

[17] Description de la performance « Messalina Dicit » sur le site d’Actoral.11. En ligne ici.

[18] Retranscription de la performance « Messalina Dicit » réalisée par Chloé Delaume et Gilbert Nouno, le 14 septembre 2011 à La Criée à Marseille lors du festival Actoral.11. En ligne ici, consulté le 25 mars 2016.

[19] Ibid.

[20] Entretien radiophonique avec Colette Fellous, « Vingt-quatre heures dans la vie de… », France Culture, dimanche 9 août 2009.

[21] V. Chloé Delaume, La Vanité des Somnambules, Paris, Leo Scheer, 2003 ; Chloé Delaume, Corpus Simsi, Paris, Leo Scheer, 2003 ; Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans, Paris, Seuil, 2012 ; La règle du Je. Autofiction : un essai, Paris, PUF, 2015.

[22] Chloé Delaume, S’écrire mode d’emploi, Publie.net, 2008.

[23] Arnaud Maïsetti, « Chloé Delaume Dans ma maison sous terre : Poétique de l’autofiction », billet de blog, 28 février 2009, en ligne ici.

[24] Chloé Delaume, « Le soi est une fiction », entretien avec Barbara Havercroft, Revue critique de fixxion française contemporaine, 2012. En ligne ici.

[25] Chloé Delaume, S’ écrire mode d’emploi, Publie.net, 2008.

[26] Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Paris, Gallimard [1927], 1990, p. 202.

[27] Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel, « Introduction », Littérature, op. cit., p. 4.

[28] Ibid.

[29] Auteurs que citent David Ruffel dans « Une littérature contextuelle », Littérature, op. cit.

[30] Chloé Delaume, billet de blog, « Remarque et cie », anciennement en ligne ici, consulté le 13 juin 2010.

[31] Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Paris, Seuil, 2009, p. 27.

[32] Ibid. p. 29.

[33] Ibid. p. 27.

[34] Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel, « Introduction », Littérature, op. cit., p. 10.

Auteur

Anaïs Guilet est maîtresse de conférences en Lettres et en Sciences de l’information et de la communication à l’université Savoie-Mont Blanc. Elle fait partie de l’équipe G-SICA, consacrée à la  recherche sur l’image, la communication et les arts numériques, du laboratoire LLSETI. Spécialisée dans les humanités numériques, ses recherches portent sur les esthétiques numériques et transmédiatiques, ainsi que sur la place du livre dans la culture contemporaine. Son site Web : www.cyborglitteraire.com.

Copyright

Tous droits réservés.




« Donner à sa vie une forme inédite » : morphologie du carrefour et du basculement chez Chloé Delaume


Dans l’univers hybride de Chloé Delaume, l’interrogation sur les formes et les limites des genres, la centralité accordée à l’acte performatif, la manipulation des aspects structurels et linguistiques amènent à une assimilation personnelle de la tradition littéraire et critique qui implique une participation de la part du lecteur et qui trouve une concrétisation dans l’image du carrefour.

Within the hybrid universe of Chloé Delaume, the questioning of the forms and limits of genres, the centrality of performance, the modification of structural and linguistic aspects lead to a personal assimilation of the literary and critical tradition involving the reader’s participation and finding a representation in the image of the crossroads.


Texte intégral

« Autofiction, fiction / autobiographie : comme un trouble dans le genre [1]. »

Chloé Delaume a créé son nom et son identité en hybridant la protagoniste de L’Écume des jours de Boris Vian et une variation sur le titre de la tentative anti-grammaticale d’Antonin Artaud contre Lewis Carroll ; elle se définit comme un personnage de fiction, proclame pratiquer l’autofiction et la littérature expérimentale, écrit et s’écrit pour modifier le monde et le Je. Tout, dans son univers, se place sous le signe d’un travail artisanal, de la centralité de la forme, d’un geste singulier et performatif. Sa production engage, dans son ensemble, un véritable corps à corps contre les fictions collectives – « familiales, culturelles, religieuses, institutionnelles, sociales, économiques, politiques, médiatiques [2] » – et incite à plier le réel, à explorer des chemins qu’elle « souhaite de traverse [3] » à la recherche de l’inédit. Les espaces que l’auteure franchit ont des frontières mouvantes qu’elle ne cherche nullement à fixer, mais plutôt à ébranler dans sa lutte contre l’immobilisation ; d’un point de vue littéraire, cela correspond à une recherche perpétuelle de ce que l’on pourrait appeler une forme de métissage ou de bâtardise [4].

Il suffit de considérer le rapport entre texte et image : les illustrations de François Alary qui ouvrent et ferment Éden matin midi et soir, l’alternance entre les dessins d’Alary et les textes de Delaume dans Perceptions dont la conception porte le nom d’Ophélie Klère, la création graphique de Chanson de geste & Opinions – ouvrage consacré à Pascal Pinaud Peintre –, la complémentarité entre texte et captures d’écran dans Corpus Simsi où, si l’on renverse le tome, on se trouve face à un album photo. Ce livre est la phase terminale d’un projet explorant les pistes du virtuel et du jeu vidéo en tant que « générateur de fiction [5] » ; les autres expérimentations impliquant l’univers ludique voient une partie de Cluedo jouant avec la typographie et l’intertextualité, Certainement pas, et un livre-jeu interactif qui est aussi une forme de fan-fiction, La nuit je suis Buffy Summers. Pour ce qui est de la musique, Chloé Delaume consacre un texte au groupe Indochine, La dernière fille avant la guerre, et renvoie le lecteur à des bandes-son à la fin de J’habite dans la télévision et de Dans ma maison sous terre. Sans oublier les références au monde cinématographique et télévisé qui émaillent ses ouvrages. L’auteure affirme se construire « à travers des chantiers dont les supports et surfaces varient, textes, livres, performances, pièces sonores [6] », elle vise à des « objets hybrides, qui interrogent la notion de forme et d’expérience esthétique frontalement [7] ».

Cette recherche transartistique et transmédiatique s’accompagne d’un travail acharné sur l’objet livre et surtout sur le texte lui-même dont la forme est toujours au centre des réflexions et des expérimentations de l’écrivaine. Cette contribution voudrait prouver que l’hybridation proposée sur le papier à travers les mots n’est en rien moins subversive surtout quand elle démarre de traditions établies que l’auteure croise entre elles. Si « le monde contemporain nous formate et dévore à renfort de vieilles fables et de petites histoires [8] », Delaume va se servir des techniques et des structures narratives pour modifier la configuration du récit et l’utiliser comme une stratégie de résolution sans cesse renouvelée.

1. Les genres : limites et forme

Chloé Delaume s’interroge sur les formes littéraires qu’elle utilise dans un essai autofictionnel sur l’autofiction – La règle du je, développement de sa contribution à la journée d’études Autofiction(s) – et dans des textes brefs consacrés au roman, notamment « Exercice & définitions » à l’intérieur de la table ronde Les limites du roman, où elle mène une enquête sur « la manière dont le roman renouvelle ses formes au point qu’on puisse parfois s’interroger sur sa définition [9]. » À travers l’insertion de définitions tirées du Petit Robert – roman, limite, expérimental –, l’auteure déclare et précise sa propre position : « je m’écris dans des livres qui récusent la narration traditionnelle en psychologisant à bloc. Dans l’épisode d’aujourd’hui, je poursuis le Petit Robert [10]. » Elle propose en effet une sorte de dialogue avec le dictionnaire où elle reprend les axiomes des définitions citées, les modifie et les juxtapose à l’axe de réflexion de la table ronde et à ses propres considérations qu’elle prête aux hémisphères du cerveau :

Le Petit Robert dit : Roman, moderne et courant : Œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures ; le roman genre littéraire romanesque, voir aussi récit. Le Petit Robert ajoute : nouveau roman sans majuscules : tendance du roman français des années 1960-1970, se réclamant d’une description objective, récusant l’analyse psychologique et la narration traditionnelle.

[…]

L’hémisphère droit rappelle : limites du roman. S’interroger sur sa définition. L’hémisphère gauche crécelle : Roman, contemporain et courant : renouvelle ses formes au point qu’on puisse parfois Œuvre littéraire d’une certaine longueur, qui présente et fait vivre dans un milieu ou non des personnages donnés comme réels ou pas. L’hémisphère gauche ajoute : le roman, genre littéraire rhizomatique, voir aussi multiplicité des supports [11].

La définition adaptée tient évidemment compte de l’expérience du Nouveau Roman et se concentre sur le roman contemporain : le contenu est réduit aux personnages, – l’auteure, personnage de fiction, entre les deux passages, dit psychologiser « à bloc » – en éliminant destin et aventures ; le milieu ainsi que la réalité des personnages sont admis, mais ils ne sont pas nécessaires. La question de la longueur et de la forme du récit est reprise par Delaume dans sa conversation par mail avec Jean-Charles Massera, où elle pose tout d’abord la question du calibrage : « tout texte doit rentrer dans une catégorie clairement identifiée commercialement. Roman, poésie, essai, recueil de nouvelles : il existe implicitement une sorte de barème du format [12] » ; elle recopie dans ce texte aussi la définition de roman tirée du Petit Robert et souligne le problème de la pagination ainsi que du genre : « il semblerait que le format se substitue à la forme, comme le livre se substitue à la littérature [13]. » Dans le passage cité d’« Exercice & définitions », l’auteure remplace justement les locutions « œuvre d’imagination, en prose » et « assez longue » de la définition du Petit Robert par « œuvre littéraire » et « d’une certaine longueur », en s’écartant d’une manière nette du roman industriel :

Je travaille de façon artisanale, c’est-à-dire non industrielle. Roman industriel : œuvre de fiction dénuée de préoccupation esthétique, régie par des procédés commerciaux. Introduction du capital dans la littérature + rentabilité de l’air du temps = Production de romans très limites. Fin de digression [14].

Elle s’interroge sur les frontières entre « deux territoires contigus. La fiction et le réel. Le réel et le virtuel. Le roman et. Une autre forme de narration, une autre forme si loin si proche, une autre forme en général. La poésie, l’installation, pourquoi pas le jeu vidéo [15]. » Se poser la question des limites porte à reconnaître la nature hybride du genre dès l’amont et fait surgir le mot geste qui permet de dépasser les frontières – « Le roman ; en équarrir l’espace de temps, dépasser par le geste le champ d’action réservé [16] » – ; se pencher sur des exemples (Maurice Roche, Pierre Guyotat, Jean-Jacques Schuhl, Danielewski, Patrick Bouvet) ne peut que troubler la détermination taxinomique et amène à la formule « kaléidoscope narratif », un lieu d’infinies combinaisons rapidement changeantes, ainsi qu’à aporie, mot évoquant le paradoxe, la singularité, le conflit et aussi une situation sans issue. Parmi toutes les possibilités envisagées, est-il possible d’en suivre une seulement en respectant les lignes de démarcation ?

Faire du roman un kaléidoscope narratif. Ne pas s’acharner à tisser retisser les canevas traditionnels, aux cerceaux pas de Pénélope, folklore et vieilles dentelles beaucoup trop admirables, évidence aux contrefaçons. Enfin c’est ce que je me dis. Dans l’épisode d’aujourd’hui, je cherche. Je cherche encore, comme d’habitude. Je ne suis jamais certaine du contenu du précipité. Je cultive beaucoup l’aporie et en plus je n’ai pas la main verte, aussi on me reproche de ne pas souvent trouver. Comme si le jeu ne suffisait pas, comme s’il fallait pouvoir dire : ici est la frontière, elle est tangible, touchez [17].

L’auteure passe évidemment par l’autofiction – recopiant une fois de plus la définition de Serge Doubrovsky – et s’arrête sur le passé du roman :

Le roman, fils de la fiction et de la langue. Raconter une histoire, l’important c’est comment, et peut être pourquoi, mais surtout pas tout court. Le roman, initialement en vers, qui toujours s’est su faire hybride. Il a toujours eu faim, il est du sang de l’homme. Aussi il en suit les limites comme les évolutions [18].

Elle retrace enfin sa propre histoire littéraire et sa relation au genre ; elle conclut que le roman est plus vaste que sa définition commune, que sa séparation des autres genres n’est aucunement nette, qu’il change de supports comme les autres arts et que « ses seules limites resteront la technique ». En même temps, elle propose la nième variation de sa devise qui devient, dans la conclusion, « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage d’affliction », elle se réfugie dans le roman en tant que genre intrinsèquement borderline, frontalier. C’est justement la limite qui devient l’élément essentiel : comme le dit Matteo Majorano, la prose de l’extrême contemporain se constitue en acte créatif grâce à une contamination permanente, « dans ce parcours, la limite devient un élément producteur d’une nouvelle signification et d’un recul des contraintes narratives [19] », le processus de changement est élaboré sur une logique transitive. Dans les mots et à l’intérieur du système de Chloé Delaume :

Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. J’ai choisi de m’écrire pour maîtriser un peu le flux des évènements. Mais dans cet épisode, ça ne m’aide pas tellement. Limites du roman. Convenir à peine, être tout juste acceptable. Affirmer qu’aujourd’hui le roman est plus vaste que sa définition inscrite dans le dictionnaire, c’est un peu court, jeune péronnelle. Ajouter que toujours le roman s’est goinfré de ses cousins germains, ça peut être suffisant, mais il faut démontrer et là je manque de temps. Conclure que comme d’autres arts, la littérature quitte de plus en plus la page pour s’incarner ailleurs trois petits tours durant, et que ses seules limites resteront la technique, c’est correct, mais passable. Et dire que le corps que j’habite a fait Lettres Modernes, si c’est pas malheureux.

Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage d’affliction. Parce qu’il est borderline et cela intrinsèquement j’ai choisi le roman comme refuge prolongé [20].

Si cet écrit se présente comme un exercice, une confrontation avec les définitions, l’autre texte évoqué, par contre, est un dialogue par mail avec un autre écrivain et critique d’art. Dans ce cas, Chloé Delaume dit souscrire à l’accusation que Jean-Charles Massera lance contre les typologies obsolètes, mais elle avoue être encore attachée à la notion de roman, son but est celui « d’en explorer les limites, de les repousser, de les tordre » ; si elle s’est adonnée à l’autofiction,

c’est aussi pour des raisons formelles : ce genre permet de détourner la définition de base du roman, l’« imagination », le « milieu », « les personnages donnés », tout est à repenser, mais de l’intérieur, de l’intérieur de ce cadre. Même si, effectivement, tout le XXe siècle s’est appliqué à l’atomiser, je pense que le roman contemporain ne se réduit pas à des ORACU [Ouvrages-Reliés-Au-Contenu-Unitaire], que ce n’est pas intrinsèquement une forme agonique au service du marché [21].

Son propos, son programme, est d’« inventer des formes au sein d’une forme déjà existante, d’un genre [22] » ; le roman n’est « qu’une forme parmi d’autres, d’autres déjà existantes ou à inventer », « la littérature peut s’emparer de n’importe quelle forme, parce que la forme reste l’architecture du texte » et « ce qui motive et construit une écriture […] c’est la langue elle-même [23]. » Ici le mot-clé est évidemment forme, l’auteure oppose la langue à la narration, cette dernière « n’est depuis longtemps l’enjeu de la littérature, c’est celui du cinéma, des séries [24] ». On reviendra sur cet aspect.

L’idée d’invention, de modification, côtoie celle de basculement dans les définitions que l’auteure donne des genres ; non seulement le roman, mais surtout l’autofiction est au centre de débats terminologiques et ontologiques [25]. Si La règle du je est entièrement consacrée à cette question, dans Une femme avec personne dedans on assiste au passage de l’autofiction à l’autofixion, ce qui correspond à un remaniement de la célèbre définition du père du genre :

Serge Doubrovsky : « fiction, d’événements et de faits strictement réels. Si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure d’un langage en liberté ».

Alors.

Réel, d’événements et de faits strictement fictifs. Si l’on veut, autofixion, d’avoir injecté de l’aventure à une vie tellement programmée [26].

C’est un renversement de perspective qui se manifeste à travers une permutation des mots, ce qui amène à un néologisme – autofixion –­ et, qui plus est, à une nouvelle approche : il ne s’agit plus d’une œuvre fictive concernant des événements réels ; c’est l’ouvrage, l’écriture elle-même qui devient le réel et les événements fictifs en constituent simplement la matière. La vie programmée [27] est basculée par l’intervention de l’aventure, le langage, quant à lui, disparaît. Est-il tout simplement sous-entendu ? Ce qui est certain est le fait que l’insertion d’un x en remplacement du groupe consonantique ct ne cause aucun changement pour l’oreille, les deux mots sont homonymes. Si la prononciation ne révèle aucunement la transmutation, l’acte performatif devient pour l’œil : la permutation des mots trouve un équivalent dans le fait de tourner la page du grimoire, l’opération magique correspond à tracer « la croix centrale du mot avec méthode » :

Modifier le réel s’impose donc en mission. Je saisis le grimoire et je tourne la page, un acte nécessaire. Je trace la croix centrale du mot avec méthode, autofixion, i rouge encadrant l’inconnu. Je trace donc, oui, j’affirme. L’oracle Belline, cinq cartes, la houlette du Changement, ça constitue une preuve. Un retour au réel, dessiner les contours et définir les règles de sa petite histoire, un déplacement s’impose. Je ne suis sûrement personne mais c’est moi au-dedans, moi toute seule qui contrôle. Encadrer l’inconnu pour mieux le libérer, ce sera le but du jeu. Auteur narratrice héroïne, face au miroir, de l’autre côté [28].

L’auteure insiste sur le verbe tracer qui se double de l’acte de « dessiner les contours et définir les règles de [la] petite histoire », il s’agit d’« encadrer l’inconnu pour mieux le libérer ». Cette idée d’un déplacement, d’un changement qui s’impose n’est pas sans rappeler que la croix est la forme du carrefour, lieu de croisement des voies, lieu rituel par excellence, conjoncture où on est obligé de choisir ; la mission évoque une fois de plus les jeux vidéos qui remanient l’univers chevaleresque et celui des contes de fées, ce dernier autorise à lire les règles sus-citées comme un avatar des parties constitutives du conte dont parle Vladimir Propp. On va y revenir.

Les critiques ont souligné que la conception que l’auteure a de l’autofiction correspond à « une tentative de marginalisation des pratiques normatives qui serait réalisée par la manipulation de la langue [29] » en insistant sur le pouvoir performatif du langage pour critiquer la notion de genre [30]. Le réalisme romanesque est ébranlé tout d’abord par l’utilisation d’un vocabulaire d’analyse littéraire ; en particulier l’expression « personnage de fiction », emblématique de l’œuvre de Chloé Delaume, participe « à une entreprise de brouillage et de réappropriation de la réalité par l’écriture [31] ». On peut emprunter la définition de « fictions critiques » proposée par Dominique Viart qui permet justement de « concevoir l’espace fictionnel comme le lieu d’un dialogue avec les autres domaines de la pensée et de la réflexion [32]. » Cette confrontation et collaboration entre fiction et réflexion met à son tour en question les divisions génériques et amène à réfléchir sur les « tentatives de refondation ou de reformulation de catégories bousculées par l’émergence de multiples formes d’hybridité [33]. » La situation esquissée par Viart, le choix de croiser les références au domaine des sciences humaines avec un grand usage critique de l’héritage littéraire, convient bien à la production de Chloé Delaume tout comme la conclusion du critique portant sur la redéfinition de la fiction en tant que « fiction critique c’est-à-dire interrogeante, parfois élucidante, une fiction “dialogale” ou “dialogique”, en ce qu’elle dialogue constamment avec elle-même et avec sa propre critique mais aussi avec l’éventail le plus large des Sciences humaines [34]. » Il suffit de penser aux références à la sociologie et surtout à la psychologie et à la linguistique parsemées dans les ouvrages de l’auteure.

Arrêtons-nous un instant sur l’aspect principal de l’œuvre littéraire selon Chloé Delaume, la langue, et sur les moyens que l’écrivaine utilise pour défaire la construction des phrases et proposer une forme nouvelle. À propos de Certainement pas, Dawn Cornelio souligne que l’auteure brise les limites de la narration contemporaine et traditionnelle et démolit les idées reçues sur la littérature et le genre romanesque à travers la multiplication de voix, polices de caractère et références et aussi grâce à l’écrasement de la ponctuation et de la syntaxe : en comparant le roman à une structure architecturale construite de « la ponctuation et la syntaxe, l’apparence des mots, les styles, et la narration, Delaume va saboter chacun de ces éléments pour faire imploser sa construction en fin de parcours [35]. » Marie-Pascale Huglo, quant à elle, parle de fluidité du récit contemporain en tant qu’« enchaînement continu d’éléments hétérogènes » et « défilement fluide d’éléments disparates ou disjoints [36]. » La critique s’interroge sur les valeurs impliquées et sur les rapports mis en œuvre par l’enchaînement syntaxique, configuration de nos perceptions, et souligne que la fluidité implique le glissement d’un régime discursif à un autre. Chez Delaume, notamment, la fluidité remet en jeu l’intériorité. La mise en place d’un enchaînement fluide d’éléments narratifs et discursifs hétérogènes rend les frontières poreuses : le manque de transition brouille les limites entres espace privé et espace public sans les effacer ; on assiste donc à une contamination entre conscience et monde [37]. Mais ce qui est plus intéressant pour notre propos est l’accent mis sur l’impact de la technique du montage typique de l’ère des ordinateurs sur la fabrique de la prose, c’est-à-dire la perception « écranique » du texte et son lien avec « les modes d’apparaître contemporains associés aux nouveaux médias qui imprègnent l’écriture et l’univers romanesque [38]. » Il s’agit, selon la critique, d’une mise à plat du texte.

Si des études d’inspiration féministe soulignent que le travail d’hybridation des genres « participe, au même titre que l’éclatement syntaxique, [d’un] combat contre la Loi [39] », on s’accorde sur l’impossibilité de restreindre l’œuvre de Chloé Delaume à un but militant [40]. On a vu dans la syntaxe morcelée, coupée, de cette auteure « un autre exemple d’une écriture qui a encore partie liée à l’expérimentation langagière [41]. » En effet, l’analyse que Julien Piat donne de L’Expérimentation syntaxique dans l’écriture du Nouveau Roman synthétise les traits fondamentaux de la structure mise en œuvre par Chloé Delaume : des phrases bizarres, riches en reprises et renvois, des phrases très longues contenant parenthèses et détails, juxtaposées à des phrases très brèves et saccadées ; « dans chaque cas, les mots prolifèrent, les contours phrastiques se dissolvent, le sens vacille ; on finit par perdre de vue de quoi “ça parle [42] ”. » On se range sous la bannière de Piat quand il préfère parler de difficulté plutôt que d’illisibilité puisque le manque de la dominante référentielle, l’élimination des traces de fabrication, la délégation aux personnages du fonctionnement du texte, la motivation des éléments, la richesse des reprises, le principe de non contradiction n’empêchent nullement une lecture effective qui révèle comment « les enjeux stylistiques et esthétique croisent […] des problématiques linguistiques et épistémologiques [43] ». La discontinuité permet la création de relations moins figées entre les segments et présente une dimension iconique qui suppose « une vision dynamique et topographique de la syntaxe [44] » opposée à la linéarité. Déjà Cornelio avait souligné que l’alternance entre surabondance et manque de ponctuation, l’alignement de séries de mots sans articulation « entravent toute possibilité d’une lecture inattentive ou “facile”. Elles exigent non seulement l’attention du lecteur mais aussi sa réflexion [45]. »

2. La tradition et la réception : le carrefour

Chloé Delaume, on l’a dit, crée son identité à partir de deux œuvres et toute sa production se bâtit sur des références littéraires, artistiques et culturelles souvent juxtaposées sinon mêlées [46]. Il ne s’agit évidemment pas pour l’auteure de rester dans le sillage d’un maître ou d’un genre, mais plutôt d’assimiler des traditions, de les décomposer, parfois de les renverser afin de les amalgamer à ses propres composants et d’en tirer un résultat inattendu. Les exemples sont innombrables, on va se borner à la reprise de thèmes médiévaux, génériquement chevaleresques.

Ce choix pourrait surprendre, parce qu’il ne s’agit certainement pas d’un intertexte très répandu, au contraire, il se limite à une référence assez vague à Brocéliande, Merlin et Perceval dans Les mouflettes d’Atropos – « Éradication saule pleureur. On nous joue la métonymie. Mais voilà si la branche c’est l’arbre derrière lui c’est pas Brocéliande. Merlin est mort il y a un siècle. C’est Perceval qui me l’a dit [47] » –, où ces noms se placent à la suite d’une liste beaucoup plus nombreuse de personnages de la mythologie grecque : Cronos, les Érinyes, Tisiphone et les Atrides  – Électre, Oreste, Phèdre – ; l’atmosphère de l’évocation dans son ensemble est grinçante et démystifiante.

Dans Le cri du sablier, ce sont le Graal et Lancelot – « Toute seule évidemment le Graal fut impossible. Chienne aux quilles et Lancelot perçant la valériane à coups de gin tonic [48] » – qui déclenchent des renvois entrecroisés aux contes de fées (La Barbe bleue, Cendrillon), aux contes merveilleux (Casse-noisette), aux romans (L’Écume des jours), aux mythes (Pélops, Atropos), aux chansons (Y a qu’un cheveu sur la tête à Mathieu) et à l’Apocalypse de Saint-Jean. Dans La dernière fille avant la guerre, par contre, l’auteure évoque des « promesses aventurières » qui font ressurgir les Templiers :

J’étais Miss Paramount, l’annulaire d’une menotte promesses aventurières, la troisième des sans-joie dévouées à leur seigneur et maître. Un jour il y eut des chevaliers. Leurs gestes comme leurs chansons se voulaient hiératiques. C’est pas faux. Ils étaient braves et orphelins, ils voulaient s’approcher du Temple, y laver leur métamorphose. Sur l’autel dépecer les lièvres d’infortune, faire subir aux corbeaux le supplice de la roue. Nous partîmes à peine six et aucun ne revint.

Je suis Miss Paramount, la dernière survivante / mon destin je le sais / est dans la Citadelle (au secours) [49].

Le Moyen Âge et le conte de fées, la quête et le fantastique se conjuguent dans Chanson de geste & Opinions, texte s’ouvrant sur la formule traditionnelle « Il était une fois », qui présente les personnages classiques du roi et de la reine – fragile, capricieuse et cruelle en l’occurrence – entourés des représentants du genre et d’intrus rentrés par la fenêtre de l’association et de l’analogie : « jeunes princes, héros, aventuriers, amazones et preux chevaliers, nobles vieillards, barons rougeauds [50]. » Le premier chapitre, « Situation initiale », mêle les contes de fées (l’omniprésente Peau d’âne) et la science fiction (les machines à démonter le temps et le soleil vert [51]) et se termine sur ces mots renvoyant de façon cocasse à la morphologie de Propp : « À chaque cadeau, son énigme et sa quête. Nous entendons par quête un périlleux périple morphologiquement structuré par des emmerdements [52]. »

L’étude de Propp est utilisée non seulement pour analyser les programmes de télé-réalité [53] – la narration, on l’a vu, est pour Delaume l’enjeu du cinéma et des séries –, mais elle surgit aussi dans La vanité des somnambules : ici, la tentative d’expulsion du personnage de fiction Chloé Delaume de la part du corps qui s’appuie sur Le marteau des Sorcières, alterne avec la liste des fonctions de Propp qui oppose la recherche de liberté du personnage aux règles régissant le récit [54]. C’est justement à partir du modèle de la morphologie du conte qu’on a élaboré diverses grammaires de la narration identifiant les éléments du récit et les lois qui en règlent la combinaison. En faisant abstraction des différences entre les théories, la narratologie cognitive identifie les mécanismes de production, compréhension et reproduction du récit avec des systèmes élaborant les informations à un niveau logique-symbolique. En simplifiant à l’extrême, l’hypothèse est que les procédés mentaux d’élaboration du récit correspondent à un mécanisme de transformation des symboles en vertu d’inférences suivant une stratégie de résolution de problème (problem-solving strategy [55]).

L’œuvre de Delaume n’est nullement étrangère aux approches cognitives, il suffit de penser aux passages consacrés à la mémoire et au système nerveux, à son attention aux processus de traitement de l’information et en particulier des souvenirs [56]. Dans ses textes, l’auteure explicite certaines étapes du progrès de la science médicale dans l’étude cognitive de la mémoire et des émotions en assimilant, par exemple, la théorie de MacLean sur le cerveau triunique (1949) à l’attaque qu’elle lance au système télévisé. Il importe ici de noter que Delaume alterne les visions traditionnelles et stéréotypées des représentations affectives avec des données scientifiques, le plus souvent médicales ; la conception classique des passions et ses clichés s’opposent ainsi à l’approche cognitive [57]. Or, on voudrait ici proposer l’hypothèse selon laquelle ce mélange entre structures du récit et théories cognitives conduit l’auteure à mettre en scène une symbolique du carrefour qui se fait icône de son refus des systèmes rigoureux et qui combine heureusement les données textuelles et la problématique de la réception [58].

On l’a vu, les ouvrages de Delaume mettent en scène une interrogation sur la forme du roman, un effondrement du texte, une désintégration de la syntaxe, une décomposition de la structure du livre, bref un écoulement de la structure narrative et romanesque ; même la succession et la division en chapitres sont mises en question : on ne respecte pas l’ordre numérique dans Chanson de geste & Opinions, il y a télescopage de chapitres dans Certainement pas, etc. L’acquisition analogique de la part du lecteur de la séquence narrative des propositions en tant qu’icône des événements racontés bascule face aux compositions de Chloé Delaume qui ont recours à n’importe quel expédient pour empêcher une assimilation linéaire et acritique de ses textes [59].

La demande de participation de la part du lecteur devient explicite dans des ouvrages qui insèrent dans leur structure plusieurs alternatives narratives, des véritables carrefours du récit. Dans Une femme avec personne dedans, le lecteur est invité à répondre à un questionnaire pour « entrer dans un récit qui saura [lui] convenir [60] », les réponses à douze questions permettent en effet de choisir entre trois chapitres différents proposant des conclusions alternatives. Cette idée de collaboration active est renforcée par l’invitation à se munir « d’un crayon à papier ou bien d’un stylo bille [61] » et de cocher le questionnaire. Comme d’habitude, l’auteure tisse des fils entre ses ouvrages et renvoie explicitement à Certainement pas contenant des formulaires et des questionnaires [62]. L’autre référence, bien que non formulée, est La nuit je suis Buffy Summer, roman interactif où le pacte de lecture est annoncé dans le Didacticiel ; les règles ne concernent pas seulement le choix de la voie à suivre, mais aussi le rapport à établir avec l’objet livre :

Inscrivez, gommez ou biffez, réécrivez. Mis à part quelques anciens ayant dans leur enfance traversé la forêt de la malédiction, le lecteur entretient un curieux fétichisme avec l’objet dit livre, attachement synecdoque, respect face au papier. À ceux qui ne cornent jamais, protègent les couvertures, il est dit faites un geste, apprenez à toucher. Premier point de contact, intervention physique. Vous comprenez enfin que ce n’est qu’un support, un support de fiction. Qui peut être malléable et soumis au trafic, à la circulation [63].

Le carrefour devient dans cet ouvrage à la fois un lieu physique (à la sortie de la chambre l’héroïne peut aller tout droit, à gauche ou à droite [64]), une bifurcation du récit (qui ne se limite pas à proposer sa propre voie ou à raconter successivement plusieurs histoires, mais qui pousse le lecteur à assumer son propre parcours de lecture) et un croisement de genres qui remet en question non seulement la structure du livre, mais aussi la tradition littéraire dans son ensemble.

On a déjà souligné la centralité du symbolisme du papier dans les ouvrages de l’auteure [65] ; le fait de tracer des mots relève d’un geste performatif singulier qui fait appel au travail artisanal aussi bien qu’au rituel magique. Le fait de pousser le lecteur à tacher le papier, à y laisser sa propre trace, n’équivaut pas seulement à l’inviter à franchir les limites d’une déférence qui implique une mise à distance de l’objet livre et de la littérature elle-même, cela répond aussi à la recherche d’une connivence. Le travail d’émiettement que Chloé Delaume met en place envers la tradition littéraire et la réalité ne se limite pas à lui offrir des interstices pour donner une nouvelle forme à sa vie et à sa production – deux aspects qui dans son système correspondent –, il permet aussi d’ouvrir un passage pour le lecteur qui peut à son tour participer à ce travail d’interrogation, de modification et de reconstruction personnelle du réel. Même cette volonté d’étendre l’épreuve au lecteur – « Écrivez-vous vous-même » – utilise, à la fin d’Une femme avec personne dedans, l’image d’un carrefour :

L’Apocalypse n’est rien face au renouvellement, la subjectivité peut modifier le réel, imposez les pourtours de votre identité, celle que voudraient dissoudre les fictions collectives imposées quotidiennes : c’est là la Fin des Temps. L’autofixion est plus qu’un concept littéraire, ampleur grandeur nature c’est une arme potentielle, je répète, quelle vie vous souhaitez-vous. Tracez-la en dix lignes, parchemin consacré, nouez un ruban violet, faites des croix tout autour. Ici l’ultime passe-passe, imaginez-vous tous, vos chemins se déploient s’entrecroisent se chevauchent, prenez jouissez-en tous, je vous lègue la formule, quelle vie en ferez-vous [66] ?

L’acte de modification du réel a besoin d’un sortilège qui a recours au conte merveilleux –évoqué par le grimoire et le miroir – pour « dresser les contours et définir les règles de [la] petite histoire », « encadrer l’inconnu pour mieux le libérer [67]. » La morphologie du conte remonte à la surface – l’auteure à la page précédente parle d’adjuvant – et se mêle au topos chevaleresque de la quête suggéré par les termes reliés à l’idée de tour – pourtour, passe-passe – et surtout par l’allusion au carrefour, lieu de passage par excellence. La symbolique de la rencontre avec le destin, l’inquiétude associée à l’inconnu, se relie au fait qu’une croisée de chemins indique qu’il faut prendre une orientation. Comme le dit le Dictionnaire des Symboles,

D’après l’enseignement symbolique de toutes les traditions, un arrêt au carrefour semble de rigueur, comme si une pause de réflexion, de recueillement sacré, voire de sacrifice, était nécessaire avant la poursuite du chemin choisi. […] Dans la véritable aventure humaine, l’aventure intérieure, au carrefour, on ne retrouve jamais que soi : on a espéré une réponse définitive, il n’y a que de nouvelles routes, de nouvelles épreuves, de nouvelles marches qui s’ouvrent. Le carrefour n’est pas une fin, c’est une halte, une invitation à aller au-delà [68].

L’originalité de Chloé Delaume est celle de ne pas choisir une voie face aux carrefours qu’elle rencontre et qu’elle crée, mais d’embrasser l’ensemble des possibilités en les basculant [69]. Elle ne se limite pas à traverser le miroir, elle le brise dans son choix méthodique de refuser tout système binaire.

Notes

[1] Chloé Delaume, La règle du Je. Autofiction : un essai, Paris, PUF, 2010, p. 79. La citation du titre vient de Une femme avec personne dedans, Paris, Seuil, 2012, p. 13.

[2] Id., p. 77.

[3] Id., p. 7.

[4] V. Marika Piva, « Formes kaléidoscopiques : l’hybridité chez Chloé Delaume », Babel – Littératures plurielles, 33, 2016.

[5] Chloé Delaume, Corpus Simsi, Paris, Léo Scheer, 2003, p. 124.

[6] « Bio » sur le site de l’auteure, jusqu’à 2012.

[7] « Bio » sur le site de l’auteure de 2012 à 2014.

[8] Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 13.

[9] Chloé Delaume, « Exercice & définitions », dans Le roman, quelle invention ! Assises du roman 2008, Paris, Christian Bourgois, 2008 ; la pagination se réfère au fichier pdf téléchargeable sur le site de l’auteure ici, p. 1.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Chloé Delaume & Jean-Charles Massera, « Pour nous en fait, écrire c’est pas… mais plutôt… et contrairement à ce qu’on pourrait penser… », TINA, 4, 2009, p. 118-133, p. 120.

[13] Id., p. 121.

[14] Chloé Delaume, « Exercice & définitions », loc. cit., p. 1.

[15] Id., p. 2.

[16] Ibid.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Matteo Majorano, « Questions en attente », dans M. Majorano (dir.), Chercher la limite, Bari, Edizioni B. A. Graphis, 2008, p. xiii-xvii, p. xiii-xiv.

[20] Chloé Delaume, « Exercice & définitions », loc. cit., p. 2.

[21] Chloé Delaume & Jean-Charles Massera, « Pour nous en fait, écrire c’est pas… », loc. cit., p. 123.

[22] Id., p. 125.

[23] Id., p. 129.

[24] Id., p. 130.

[25] V. Marika Piva, « Autofiction e autocritique. L’io e il genere letterario nella letteratura francese contemporanea », dans A. Gullotta & F. Lazzarin (dir.), Scritture dell’io. Percorsi tra i generi autobiografici della letteratura europea contemporanea, Bologna, I libri di Emil, 2010, p. 13-29, en particulier p. 22-29.

[26] Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 138.

[27] Dans ce même roman elle se dit « figée parce qu’un jour définie, comme si ce n’était pas moi qui écrivais l’histoire » (Id., p. 82).

[28] Id., p. 138-139.

[29] A. Troin-Guis, « Une narrativisation singulière du féminisme : lecture de quelques œuvres de Chloé Delaume », Postures, critique littéraire, 15, 2012, p. 83-96, p. 86.

[30] Notamment à travers les outils méthodologiques que met en place Judith Butler pour critiquer la notion de genre sexuel. L’analyse mène à la conclusion que Chloé Delaume donne « à penser, de manière détournée, la condition de la femme dans la société ainsi que la notion de genre, qu’il soit sexuel ou littéraire », Id., p. 94.

[31] Ibid.

[32] Dominique Viart, « Les “Fictions critiques” dans la littérature contemporaine », dans Matteo Majorano (dir.), Le goût du roman, Bari, Edizioni B.A. Graphis, 2002, p. 30-46, p. 30-31.

[33] Id., p. 32.

[34] Id., p. 46.

[35] Dawn M. Cornelio, « Les limites de la narration minée dans Certainement pas de Chloé Delaume », Contemporary French and Francophone Studies, 13/4, 2009, p. 423-430, p. 425.

[36] Marie-Pascale Huglo, « L’art d’enchaîner : la fluidité dans le récit contemporain », Protée, 34/2-3, 2006, p. 127-137, p. 127.

[37] La porosité ne représente pas toujours un aspect positif, notamment en ce qui concerne les aspects corporels. Béatrice Jongy (« Les écorchées : Chloé Delaume et Filipa Melo », dans Hugues Marchal & Anne Simon (dir.), Projections : des organes hors du corps, www.epistemocritique.org, 2008, p. 71-79) fait remarquer « une inquiétante communication entre l’intérieur et l’extérieur » dans Le cri du sablier et, en soulignant les entorses grammaticales, la pauvreté de la ponctuation et les affirmations où l’auteure déclare avoir cherché « une langue aussi abîmée que le corps de l’enfant » et une écriture tissée de vers blancs qui « correspondent aux vers des cadavres parentaux », elle constate comment « le langage se modifie avec le corps » (p. 72 et 75).

[38] Marie-Pascale Huglo, « L’art d’enchaîner », loc. cit., p. 135.

[39] Evelyne Ledoux-Beaugrand, Imaginaires de la filiation. La mélancolisation du lien dans la littérature contemporaine des femmes, Thèse de l’Université de Montréal, 2010, p. 424.

[40] Selon Ledoux-Beaugrand, qui limite son analyse aux deux premiers romans de l’auteure, « l’énonciation a cessé de primer sur l’énoncé et ces modalités scripturaires que sont l’hybridité générique et l’expérimentation langagière cessent surtout d’être investies d’un sens guerrier et révolutionnaire » (Id., p. 426) ; pour Virginie Sauzon (« Le rire comme enjeu féministe : une lecture de l’humour dans Les mouflettes d’Atropos de Chloé Delaume et Baise-moi de Virginie Despentes », Recherches féministes, 25/ 2, 2012, p. 65-81) l’auteure a fondé sa révolte sur un rire grinçant et problématique qui correspond à une forme d’appropriation des codes des discours patriarcaux, psychanalytiques et religieux, mais la complexité narrative, l’éclatement du récit et la polyphonie rendent réductive une lecture militante de ses ouvrages.

[41] Evelyne Ledoux-Beaugrand, Imaginaires de la filiation, op. cit., p. 426.

[42] Julien Piat, L’Expérimentation syntaxique dans l’écriture du Nouveau Roman (Beckett, Pinget, Simon) Contribution à une histoire de la langue littéraire dans les années 1950, Paris, Champion, 2011, p. 9 et 10.

[43] Id., p. 13.

[44] Id., p. 14.

[45] Dawn M. Cornelio, « Les limites de la narration », loc. cit., p. 426.

[46] À titre d’exemple, Jean-Bernard Vray (« Chloé Delaume : la chanson revenante », Revue critique de fixxion contemporaine, 5, 2012, p. 32-40) s’adonne à l’analyse de l’utilisation de la chanson dans Dans ma maison sous terre en rappelant, une fois de plus, que l’écriture de l’auteure est caractérisée par l’intertextualité, la pratique du montage et l’intégration de la poésie. Le critique parle d’une « pratique de la référence hyper-allusive » qui requiert « un lecteur actif et coopératif » (p. 34).

[47] Chloé Delaume, Les mouflettes d’Atropos, [2000], Paris, Gallimard, « Folio », 2003, p. 167 et 168. Le célèbre magicien de la légende arthurienne revient dans Chanson de geste & Opinions (Vitry-sur-Seine, Mac/Val, 2007) où il délivre un indice pour trouver l’essence de PPP : aller chercher le fantôme d’Alexandre Lenoir (chapitre 2, « Ensuite » et chapitre 4 « Soudain » ; ici apparaît aussi la Dame du lac).

[48] Chloé Delaume, Le cri du sablier, [2001], Paris, Gallimard, « Folio », 2003, p. 110-111. Dans Chanson de geste & Opinions (op. cit.) le chevalier réapparaît : « Le malheureux faisait une crise de nerfs devant Le Pot doré de Jean-Pierre Raynaud, il avait eu un mal de chien à s’infiltrer dans une faille spatio-temporelle, c’était toujours pas le Graal, il en avait ras le bol » (chapitre 9 « Résolution », n.p.).

[49] Chloé Delaume, La dernière fille avant la guerre, Paris, Naïve, 2007, p. 42 ; le corps mineur de la police d’écriture identifie dans ce chapitre la voix de Chloé Delaume alors que la narratrice principale est Anne, l’ancien Je dont le personnage de fiction Chloé Delaume a pris possession.

[50] Chloé Delaume, Chanson de geste & Opinions, op. cit., chapitre 1 « Situation initiale », n.p.

[51] Référence au film d’anticipation de Richard Fleisher, Soylent Green, 1973.

[52] De façon similaire, la première halte du duc d’Auge dans sa quête est « aux portes du royaume, [dans] une taverne pittoresque où se buvait du cidre devant un spectacle de travestis » (chapitre 3 « Juste avant », n.p.), ce qui n’est pas sans rappeler une scène du film d’animation Shrek 2 (DreamWorks, 2004), une parodie parfois féroce des contes de fées.

[53] Dans « Je désire que Madame soit belle » (« Vu à la Télé », rubrique de Le Matricule des Anges, 2006), idée qui est développée dans J’habite dans la télévision (pièce 23/27 Du programme de la téléréalité comme narration soumise aux principes de Vladimir Propp : étude du personnage du candidat gagnant) à propos du programme Star Academy auquel l’auteure applique les 31 fonctions de la morphologie en citant un ouvrage fictif de Clotilde Mélisse ayant pour titre Morphologie de la Star Academy (Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, [2006], Paris, J’ai lu, 2008, p. 132).

[54] V. à ce propos Marika Piva, Nimphaea in fabula. Le bouquet d’histoires de Chloé Delaume, Passignano sul Trasimeno, Aguaplano, 2012, p. 36-38.

[55] V., entre autres, David Herman (dir.), Narrative Theory and the Cognitive Sciences, Chicago, University of Chicago Press, 2003. Comme le résume bien Anatole-Pierre Fuksas (« Selezionismo e Conjointure », dans A. Abruzzese & I. Pezzini (dir.), Dal romanzo alle reti: soggetti e territori della grande narrazione moderna, Torino, Testo & Immagine, 2004, p. 152-184, p. 152-154), il y a trois types de modèles : le système basé sur des procédés génératifs top-down où le récit, régi par des relations sémantiques et par des combinaisons d’inférence syntaxique, est l’effet de mécanismes déductifs ; le modèle bottom-up selon lequel le récit s’organise dans une série causale selon des mécanismes analogiques ; l’approche considérant la narration comme un réseau de relations causales où les éléments du discours relèvent aussi d’une co-dépendance au niveau logique. On reprend la conclusion du critique sur la matrice commune de l’identification d’universels du discours narratif (p. 154).

[56] V. Marika Piva, Nimphaea in fabula, op. cit., p. 121-126.

[57] V. Marika Piva, Le système binaire en fluctuation : la mise en fiction des sentiments chez Chloé Delaume, dans Matteo Majorano (dir.), La giostra dei sentimenti, Macerata, Quodlibet, 2015, p. 215-233.

[58] Pour revenir à la matière chevaleresque, si les textes arthuriens ont été souvent qualifiés d’assemblages incohérents d’épisodes, c’est parce qu’on n’a pas reconnu la cohérence de ce « vaste système de symétries, de réitérations, d’oppositions et de renversements » (Anita Guerreau-Jalabert, « Romans de Chrétien de Troyes et contes folkloriques. Rapprochements et observations théoriques », Romania, 104, 1993, p. 1-48, p. 21). C’est donc grâce à la conjointure que la matière devient roman chez Chrétien de Troye suite à une dispositio basée sur des associations de caractère analogique demandant un déchiffrage. Cette nécessité d’un décryptage en écho des structures de forme et des structures de sens s’adapte bien à l’œuvre de Chloé Delaume où la conjoncture joue un rôle central et mériterait une analyse systématique.

[59] Sur l’iconicity assumption v., entre autres, Suzanne Fleischman, Tense and narrativity. From Medieval Performance to Modern Fiction, Austin, University of Texas Press, 1990.

[60] Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 113.

[61] Ibid.

[62] Chloé Delaume, Certainement pas, Paris, Verticales, 2004, p. 145-148, 152, 296-299.

[63] Chloé Delaume, La nuit je suis Buffy Summers, Maisons-Alfort, èRe, 2007, p. 13.

[64] Id., p. 17.

[65] V. Marika Piva, Nimphæa in fabula, op. cit., p. 46-52.

[66] Chloé Delaume, Une personne avec personne dedans, op. cit., p. 139-140.

[67] Id., p. 139.

[68] Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles [1969], Paris, Robert Laffont, 1982, p. 175.

[69] Ce refus de la rigidité concerne aussi et surtout le Moi : « Des Moi monolithiques, pas la moindre scission, des personnalités sans troubles, stables, solides, dans l’incapacité de percevoir les efforts inouïs fournis au quotidien par le psychotique lambda, juste pour apprivoiser et maîtriser ses flux. Elle était étrangère en leur terre normative, restait fidèle au peuple des pyjamas bleus », Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 60. Comme le dit son partenaire Daniel Schneidermann, « ce qui est bouleversant, […] c’est cette tentative permanente de faire cohabiter la reine et la pétasse, la petite fille et la terroriste palestinienne, la funambule et l’épouse attentionnée. Et la bonne harmonie qu’elle parvient à maintenir, entre tous ces sous-personnages », Chloé Delaume & Daniel Schneidermann, Où le sang nous appelle, Paris, Seuil, 2013, p. 39.

Auteur

Marika Piva est maître de conférences HDR en littérature française à l’Université de Padoue. Spécialiste de Chateaubriand (Memorie di seconda mano. La citazione nei Mémoires d’outre-tombe di Chateaubriand, 2008 ; Chateaubriand face aux traditions, 2013), elle est membre d’un groupe de recherche sur les littératures européennes de l’extrême contemporain. Elle est l’auteur d’une monographie sur Chloé Delaume (Nimphaea in fabula. Le bouquet d’histoires de Chloé Delaume, 2013) et de sa première traduction en italien (Narciso e i suoi spilli / Il lutto delle due sillabe, 2016). Elle s’intéresse notamment à l’hybridation des genres, aux écritures du Je et à la réécriture des contes de fées.

Copyright

Tous droits réservés.




De Nathalie Dalain à Chloé Delaume : qui est qui ?


Tout en étant d’abord le pseudonyme de Nathalie Dalain, « Chloé Delaume » est devenue, au fil des années, un être autonome, indépendant et distinct de celle-là. Bien que les deux partagent des éléments d’identité incontestables, dire qu’elles sont identiques serait naïf et inexact. En prenant surtout des exemples dans les textes de l’auteure, mais aussi en s’appuyant sur des articles de journal relatant le meurtre-suicide de ses parents, cet article trace l’évolution et la fonction du nom et de l’identité de Chloé Delaume, et montre comment elle se distingue de Dalain.

While “Chloé Delaume” was originally Nathalie Dalain’s pseudonym, she has become, with the passage of time, an autonomous, independent, separate being. While these two undeniably share certain elements of their identities, saying they are identical is both naïve and inaccurate. Primarily through the use examples from the author’s work, supported by the newspaper articles relating her parents’ murder-suicide, this article traces the evolution and the function of the name and identity of Chloé Delaume, and explicitly demonstrates how she is different from Dalain.


Texte intégral

« Je ne dis pas tout mais je peins tout. »

Pablo Picasso

« [P]arce qu’écrire, c’est toujours cacher quelque chose de façon qu’ensuite, on le découvre. »

Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur

« Qui détient le langage possède déjà le pouvoir. »

Chloé Delaume, Les Sorcières de la République

Quand elle écrit : « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction », devrait-on la croire ? Si celle qui le dit est en effet un personnage de fiction, quel est son rapport à l’identité de Nathalie Dalain qui figure sur ses papiers d’identité (« figurait » serait peut-être plus exact, mais nous y reviendrons dans la conclusion) ? Depuis 2000, on lit ces deux phrases-phares comme une rengaine récurrente et régulière dans les textes principaux de l’écrivaine qui s’appelle et se fait appeler Chloé Delaume. Toujours depuis cette même année de l’arrivée de Delaume sur la grande scène littéraire avec la publication des Mouflettes d’Atropos, les journalistes, les lecteurs et les chercheurs semblent prendre plus ou moins pour acquis que, tout en se disant personnage de fiction, Chloé Delaume n’a fait que prendre le relais de l’adulte qu’est devenue Nathalie Dalain, la petite fille qui, le 30 juin 1983, à Bourg-la-Reine, a vu son père assassiner sa mère avant de se suicider. L’écrivaine le dit souvent, elle n’écrit pas pour guérir de cet épisode, mais pour se construire en dépit de lui et contre lui, contre toutes les fictions collectives qui échappent à son contrôle.

Depuis l’avènement de l’autofiction, que l’on admire ou trouve nombrilistes ceux et celles qui la pratiquent, les lecteurs et critiques de ces textes se livrent à cœur joie au jeu du décryptage entre vécu et fiction, souvent ricanant et pointant du doigt les « oublis », les « mensonges » ou les « écarts ». Selon le point de vue du lecteur, il sera certainement possible de lire le présent article, dont les recherches sont complétées par des références et des citations de documents externes au travail de Delaume publiés ici pour la première fois, comme participant à cette activité de dépistage comme s’il s’agissait d’un roman à clé, mais ce serait se méprendre sur le but de son auteure. Celle-ci tient en effet à souligner des « écarts » entre vie et littérature, mais dans l’unique but de démontrer que, tout en ayant accès au passé et aux souvenirs de Nathalie Dalain, Chloé Delaume est irréductiblement autre, c’est-à-dire quelqu’un qui se construit délibérément dans son œuvre, en partie du moins par le changement d’identité mais aussi en transcrivant à la fois la vie et la fiction dans ses textes. Nous organiserons notre réflexion autour de l’évolution de l’identité Chloé Delaume, de la relation entre Delaume et Nathalie Dalain, et des différentes versions du meurtre-suicide parental chez Delaume et dans des journaux, pour conclure par la possibilité d’une construction illocutoire dans la création de Chloé Delaume.

Aux environs du 19 novembre 2003 [1], Delaume a créé et lancé son site web, chloedelaume.net. Celui-ci se composait d’une pièce sonore, d’images de nénuphars vert fluo, et de rubriques « actualités », « corpus simsi », « adaptations et cie », « musique électronique », « presse » et « liens ». Bien que tout soit de nature autobiographique puisqu’il s’agit du travail de l’écrivaine, la rubrique « bio » n’apparaît que vers le 25 février 2007. À partir de cette date, un examen des incipit des différentes rubriques « bio » du site permet de comprendre l’évolution de Chloé Delaume, surtout en ce qui concerne le descripteur « personnage de fiction » au fil des années. Delaume a réorganisé le site web plusieurs fois, et mis à jour son autobiographie, comme on le voit dans le tableau ci-dessous, qui comporte une entrée pour chaque modification importante.

date [2]

rubrique

Description

07/05/07

bio [3]

Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. J’ai pour principal habitacle un corps féminin daté du 10 mars 1973. Conception franco-libanaise, le néant pour signe particulier. Les locaux étaient insalubres lorsque j’en ai pris possession.

 

07/01/12

Bio

Le corps de Chloé Delaume est né le 10 mars 1973 dans le département des Yvelines. Il ne se destinait à rien, aussi s’est-il inscrit en Lettres Modernes à l’orée de ses dix-huit ans. L’Université de Nanterre Paris X comportant la spécificité d’être en face de la gare et de l’ANPE, il n’acheva pas son mémoire de Maîtrise sur La Pataphysique chez Boris Vian et s’engouffra de lui-même dans le premier train menant nulle part.

[…]

Personnage de fiction qui s’écrira lui-même, le pacte était formel et je m’y suis tenu.

30/03/14

accueil

Chloé Delaume est écrivaine et personnage de fiction ; son premier roman est paru en 2000. Elle pratique la littérature et ses hybridations, expérimente des formes, investit des espaces, s’essaie à des techniques.

12/11/14

Accueil

Chloé Delaume a 41 ans, elle est principalement auteur et personnage de fiction. De fait, elle est performeuse : pratique le Dire, c’est faire.

21/02/15

( ;

Chloé Delaume est écrivain et performeuse.

Ses premiers textes ont été publiés dans des revues littéraires et poétiques à la fin des années 90. Son premier roman, Les Mouflettes d’Atropos, a été publié par feues les Éditions Farrago en 2000. Après avoir obtenu le Prix Décembre 2001 pour Le Cri du Sablier, elle a poursuivi son exploration de l’autofiction à travers de multiples supports, techniques et outils.

31/03/16

( ;

Chloé Delaume est née en 1973. Elle pratique l’écriture sous de nombreuses formes depuis la fin des années 90. Romans, autofictions expérimentales, livres-jeux, nouvelles, fragments poétiques, pièces de théâtre, essais romancés ; fictions radiophoniques, dialogues, chansons ; un court-métrage.

Ce défilé de descriptions de soi en pleine mutation dynamique suscite plusieurs commentaires. Tout d’abord il faut constater que Nathalie est entièrement absente de ces notices autobiographiques ; elle n’y a pas de rôle à jouer, elle est exclue et le site est entièrement voué à Delaume – sa vie et son œuvre. Aussi, le premier portrait est resté inchangé pendant environ cinq ans et se raconte à la première personne – le nouveau Je se crée et s’affirme de toutes ses forces. Avec le premier changement de description vient aussi le changement le plus radical sur le plan grammatical en 2012, l’écrivaine passe de la première personne du singulier à la troisième, mais insistant un tant soit peu sur les particularités de l’identité de Chloé Delaume en disant que c’est son corps qui « est né le 10 mars 1973 dans le département des Yvelines ». Tout comme le Je de la première autobiographie, le corps disparaîtra de celles qui suivront à partir de 2014. À partir de ce moment, ce seront la place et l’importance accordées à la formule « personnage de fiction » dans cette série qui se montreront dignes d’intérêt. Dans la notice de 2007, cette remarque est presque l’écho de l’annonce du nom : « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction » – la symétrie et le positionnement en début de notice en disent long sur l’importance du nom et son statut comme personnage de fiction. Malgré d’autres modifications et mises à jour, cette conjonction du nom et du statut reste inchangée sur le site web pendant environ cinq ans. En 2012, les informations de l’autobiographie sont augmentées, et la mention « personnage de fiction » se voit reléguée à une position bien plus basse sur la page. Dans les deux mises à jour de 2014, la formule se trouve de nouveau plus proche du nom de l’auteur en tête d’article, mais sans la symétrie sonore notée dans la première version. De plus, le statut d’écrivaine ou d’auteur intervient entre le nom et sa description de personnage de fiction, ce qui témoigne d’un changement subtil mais réel de l’importance qui lui est accordée dans une hiérarchie de descriptions. Finalement, dans les deux derniers exemples du tableau ci-dessous, on voit que la mention « personnage de fiction » est entièrement absente de la page d’accueil représentée par l’émoticon ( ; . Par contre, la mention n’est pas pour autant rayée du site, revenant dans le sous-titre de la page « Parcours » : « Vie, saisons, épisodes / Les aventures d’un personnage de fiction pire que les autres : Résumé des nombreux épisodes précédents. » Loin des yeux, peut-être, mais pas absent du cœur (du site web).

Tout comme c’est le cas des romans de Delaume, la lecture approfondie des différentes versions du site web montre que bien des éléments de la vie de Nathalie Dalain se trouvent mis en fiction chez l’écrivaine. Cette stratégie de la part de l’auteure mène à une confusion des identités qui est délibérée mais contre laquelle il faut aussi se mettre en garde. Tout en étant une stratégie de lecture problématique, prendre pour acquis que Chloé Delaume = Nathalie Dalain déguisée en romancière et faire l’amalgame des deux se comprend. D’une part, le lecteur trouve les détails du meurtre-suicide et aussi parfois le nom de Nathalie ou même Anne dans les textes autofictifs de l’auteure Delaume où elle-même laisse se profiler plus que des ressemblances. D’autre part, cela arrive parce que les références à la vie de Nathalie – repêchées dans l’œuvre delaumienne, mais sans vérification externe – ont été considérablement reprises et répétées dans les articles savants et journalistiques, ainsi que sur des sites web populaires et universitaires, faisant donc d’elles la biographie de Delaume après coup. À l’encontre de la plupart des autofictionalistes qui écrivent sous pseudonyme (pour ne mentionner que Michel Houellebecq et Camille Laurens, par exemple), Delaume accorde une place privilégiée à son nouveau nom sans exclure celui qui l’a précédé. Par exemple, dans Dernière fille avant la guerre (2007), un petit prénom et deux phrases font astucieusement le pont entre Delaume et Nathalie (dont le deuxième prénom est Anne) : « Anne est morte je crois. Peut-être qu’elle avait raison, que je n’aspirais qu’à la tuer, elle était tellement encombrante [4] […] » Selon l’auteure il n’y a pas de doute, Nathalie ne fait plus partie de ce monde, Chloé Delaume s’en est bel et bien débarrassé.

Cependant, si Nathalie /Anne pointe juste le bout du nez dans Dernière fille, cela n’est qu’un petit écho de sa présence dans La Vanité des Somnambules [5] (2003), quatrième des récits de l’auteure, où à tour de rôle Nathalie et Delaume prennent chacune la parole en se disputant le titre de maîtresse du corps physique qui ne saurait les héberger toutes les deux en même temps. Ceci dit, bien que ce soit Nathalie qui triomphe et garde possession du corps à la fin de ce récit, la conclusion de Dans ma maison sous la terre, texte publié 6 ans après La Vanité[6], informe le lectorat de la mort de Nathalie : « Nathalie, Anne, Hanné, Suzanne Dalain à l’état civil. Fantômes envahissants et parfaitement geignards. Sont reliés à la mère, se nourrissent de sa terre, ne mâchent que des vers blancs. Mortes en 1999 [7]. » La narratrice accompagne cette annonce de sa suggestion pour l’inscription à graver sur la tombe que Nathalie partagerait avec sa mère, et ses grands-parents maternels : « Je propose que sur la stèle, avant Suzanne, après Charles et Soazick, soit gravé Nathalie. Nathalie Dalain (1973 -1999). Comme ça les choses seront claires, et vous pourrez enfin, quand perceront les remords, un peu vous recueillir [8]. » L’annonce de la date de 1999 sert implicitement mais fermement à souligner la distinction entre Chloé Delaume et Nathalie Dalain puisque la date du décès de celle-ci précède la publication de tous les récits de Delaume.

Seulement un an après la publication de Dans ma maison, Delaume insiste de nouveau sur la mort de Nathalie dans La Règle du Je (2010), l’essai théorique où elle expose sa pratique autofictionnelle et donc un texte qui devrait être classé dans une catégorie à part des romans autofictifs. Dans cet essai, Delaume écrit d’abord : « Mon corps est né dans les Yvelines le 10 mars mille neuf cent soixante-treize, j’ai attendu longtemps avant de m’y lover. […] J’ai très officiellement pris possession des lieux l’été de ses vingt-six ans [9]. » Plus loin, elle revient à la relation Chloé-Nathalie, et ajoute le fait que « Chloé Delaume est un personnage de fiction créé par Nathalie Dalain (1973-1999). Elle a pris le relais dans le corps, et elle s’écrit avec depuis [10]. » Il convient de s’arrêter un instant pour bien comprendre cette dernière phrase capitale dans la distinction Delaume/Dalain. Delaume, dans ce cas essayiste et non pas romancière, dit bien qu’elle prend « le relais », alors il serait facile de la voir comme celle qui a remplacé Dalain dans l’accomplissement d’une tâche qui leur est commune : raconter le passé de Nathalie par le biais de l’autofiction telle que conçue par Delaume. Mais, ce dont l’écrivaine prend le relais dans cette phrase n’est pas la vie de la fille de Soazick et Sylvain ; ce dont elle prend le relais, c’est le corps, dont grâce à la mort de Nathalie, Chloé Delaume est maintenant bel et bien la maîtresse. Ce corps, c’est la charnière entre les deux identités, et aussi ce qui, grâce aux traces physiques laissées par les événements passés, permet à Chloé Delaume d’avoir accès au passé de Nathalie sans être exactement la même personne.

De surcroît, dans plusieurs textes, l’écrivaine propose la notion selon laquelle ce corps est un endroit, un lieu d’hébergement. Par exemple, toujours dans La Règle, elle fait ainsi le lien : « Les locaux étaient sombres et plutôt insalubres, j’ai passé une saison à blanchir à la chaux les parois cervicales. Les nerfs étaient hirsutes et le cœur en lambeaux, j’ai mis beaucoup de temps à le raccommoder [11]. » Par extension de la métaphore d’un lieu d’habitation, le lien peut se faire entre le corps d’où Delaume a chassé Nathalie et deux habitants successifs d’une même maison. Dans ce cas, un deuxième habitant peut prendre connaissance de la vie du premier par des traces laissées dans la maison et ainsi avoir une connaissance de l’existence qui y a été menée. D’ailleurs, dans un second texte théorique, « S’écrire, mode d’emploi », publié dans l’ouvrage collectif voué au colloque Autofiction tenu à Cerisy-la-Salle en 2008, cette analogie est rendue explicite : « la vie marque le corps et le corps retransmet. À la langue d’effectuer le travail de conversion [12]. » Il se comprend donc que Chloé Delaume, en investissant le corps de Nathalie Dalain, a pu prendre connaissance de sa vie, qu’elle raconte en partie dans son autofiction. Toutefois, le changement de propriétaire n’élimine pas l’histoire qui s’est déroulée dans une maison, et tout comme le deuxième habitant de la maison y construit sa propre vie tout en gardant le papier-peint mais en refaisant cuisine et salle de bains, Chloé Delaume, dans ses textes, choisit des aspects de la vie antérieure qu’elle intègre dans l’autofiction qu’elle construit depuis 2000.

La scène précise de la vie de Nathalie qui attire le plus l’attention du public et des chercheurs – la scène où même le corps de celle-ci en sort marqué – c’est celle du meurtre -suicide parental. Les deux exemples les plus concis et explicites figurent dans deux textes séparés d’une dizaine d’années, Le Cri du sablier et Où le sang nous appelle. Le premier, intégré au Cri se transmet comme une réponse au psychiatre qui veut tout savoir sur ce qui s’est passé le 30 juin 1983 :

Mon synopsis est clair. En banlieue parisienne il y avait une enfant. Elle avait deux nattes brunes, un père et une maman. En fin d’après-midi le père dans la cuisine tira à bout portant. La mère tomba première. Le père visa l’enfant. Le père se ravisa, posa genoux à terre et enfouit le canon tout au fond de sa gorge. Sur sa joue gauche l’enfant reçut fragment cervelle. Le père avait perdu la tête sut conclure la grand-mère lorsqu’elle apprit le drame [13].

Le deuxième fait partie de Où le sang nous appelle, texte signé en tandem avec le journaliste Daniel Schneidermann, l’actuel conjoint de Delaume. Ce texte, annoncé comme le dernier du cycle autofictif, présente [14], en partie, le face-à-face avec le père et sa famille, à Kobayat, au Liban, mais n’esquive pas pour autant le face-à-face avec le crime et son contexte :

Trente ans après, comment résumer le fait divers ? On pourrait essayer ainsi : c’est le début de l’été, on va partir en vacances. On est tous dans la cuisine. Il semble que papa n’est pas d’accord avec ce départ en vacances. On s’en fiche. On va partir sans lui. Dans l’escalier, la petite Nini l’a un peu nargué. On s’en va lalalère. Nini est née Nathalie Abdallah, récemment francisée Nathalie Dalain, et ne sait pas du tout qu’elle deviendra Chloé Delaume. Il faut croire que papa n’est vraiment pas content. Tout d’un coup papa prend son fusil et le dirige vers maman. Et puis il tire. Ensuite il vise la petite Nini recroquevillée dans un coin de la cuisine. Mais heureusement il ne tire pas. À la place, il retourne le fusil contre lui, cale le canon sous son menton, et il tire encore. La petite Nini ne partira pas en vacances cette année, lalalère. Pour l’instant, elle est éclaboussée par des morceaux de cervelle, que des voisins vont venir nettoyer, après l’arrivée de la police. Mais c’est une enfant solide. Elle perd quelques mois l’usage de la parole, puis elle est recueillie par son oncle et sa tante maternels qui habitent les Yvelines, dans un HLM [15].

Dans ces deux extraits, le lecteur est surtout conscient du fait que c’est une enfant qui a assisté à cette scène criminelle : des « nattes brunes » qu’on voit dans le premier au « lalalère » qu’on entend – deux fois – dans le deuxième, tous les marqueurs soulignent le bas âge du témoin. Bien qu’elles soient de longueur inégale, les deux scènes partagent les même détails – une petite famille, 3 personnes : père, mère, et fille ; un lieu : leur cuisine ; l’ordre des coups et des morts : la mère d’abord, ensuite le père ; la fille visée entre les deux mais pas tuée et l’effet immédiat sur elle : les morceaux de cervelle qui lui tombent dessus. Il y a une unique suppression d’une description à l’autre : la mauvaise blague de la grand-mère. La distinction entre les deux réside surtout dans l’ajout de détails dans la deuxième – le départ en vacances imminent et l’attitude négative du père, le canon du fusil enfoui « tout au fond de sa gorge » ou calé « sous le menton », le surnom et le changement de nom récent de la fille (ainsi que celui à venir), la description de celle-ci comme « une enfant » solide qui finira par vivre chez son oncle et tante. Ainsi, malgré le glissement du temps de la narration du passé vers le présent historique, une distance dans le temps d’une dizaine d’années, et le remaniement de quelques détails supplémentaires, les deux textes se ressemblent largement, surtout dans le ton distant et quasi neutre et l’emploi de phrases courtes et simples qui scandent rythmiquement le déroulement des étapes de l’événement.

Malgré toutes ces ressemblances, il n’est pas exclu de se poser tout de même des questions concernant les différences entre les deux mises en fiction des événements. D’ailleurs, dans des colloques et conférences où je présentais des recherches sur le travail delaumien, il est arrivé qu’on me demande si le crime avait vraiment eu lieu, car, dans les divergences, il y en a qui voient le signe du mensonge et l’indice selon lequel Delaume aurait tout inventé. Comment alors gérer ces différences en regardant dans son ensemble non seulement les textes, mais le projet autofictionnel de l’auteure ? Un point de départ serait d’examiner des documents externes à l’œuvre de celle-ci. Ce sont les résultats de ces recherches en archives qui informeront le prochain point de notre analyse de la relation entre Nathalie Dalain et Chloé Delaume.

Les premiers documents à prendre en considération – les plus neutres de tous – sont les documents officiels de la République française. Selon un extrait du registre civil de la ville de Versailles, délivré le 21 juillet 2014 à l’auteure de cet article, Nathalie Anne Hanné Dalain – les prénoms et nom déjà vus dans les citations de La Vanité et de Dernière fille ci-dessus – y est bien née le 10 mars 1973 – date qui paraît aussi dans La Vanité, ainsi que sur le site web. De même, deux actes de décès fournis le 16 juillet 2014 par la commune de Bourg-la-Reine confirment que Sylvain et Soazick (Leroux) Dalain sont décédés le 30 juin 1983 dans leur appartement au 32, rue Jean Roger Thorelle, dans la même ville. Les éléments de base – noms, lieu, dates de naissance et de décès – qui figurent dans les écrits de Chloé Delaume bénéficient donc de cette preuve documentée de véracité.

En revenant aux textes signés Delaume, il convient de remarquer que les références à la scène traumatique sont souvent accompagnées d’une autre répétition : la formule « fait divers », contre lequel l’écrivaine s’écrit et se construit, dans sa prise de position et de pouvoir littéraire. Dès l’ouverture du Cri, on lit : « Par-dessus la croûte fine de maman sur ma robe s’étala contiguë la mélassonne pitié le jus du parvenu la déjection des pleutres qui jalousent en geignant le clinamen aride qui s’abat sur tous ceux ornant les faits divers [16] » (c’est moi qui souligne) ; et « Mais quand se pétrifie à l’envie et aux sabres le chuintement poumonneux qui flagorne à tout vent il n’est pas étonnant qu’amygdales faits divers [17] » (c’est moi qui souligne). Dans les lignes d’Où le sang nous appelle qui précèdent la narration du crime citée ci-dessus, un des coauteurs y revient encore : « La famille de Chloé Delaume n’est pas une famille, c’est une blessure encore à vif. Un éclair rouge dans la cuisine d’un appartement de Bourg-la-Reine, Hauts-de-Seine. Drame familial, titrent les manchettes de journaux. Le 30 juin 1983, il est probable que Le Parisien, édition des Hauts-de-Seine, a titré Drame familial. Trente ans après, comment résumer le fait divers[18] ? » (c’est moi qui souligne). En fait, l’expression « fait divers » revient régulièrement dans les écrits de Delaume et l’évaluation des copies numériques des textes donne le décompte suivant : Où le sang nous appelle (2013), 4 mentions ; Le Cri du sablier (2001), 2 mentions ; Le Deuil des deux syllabes (2011), une mention ; Une Femme avec personne dedans (2012), une mention ; La Vanité des Somnambules (2003), une mention. Néanmoins, la formule ne figure pas dans tous les romans analysés de cette manière, et se trouve absente des Mouflettes d’Atropos (2000), de Certainement pas (2004), et de Dans ma maison sous la terre (2009). Alors afin de voir de près contre quels faits divers, autrement dit des versions de son « histoire » qu’elle ne contrôle pas, Chloé Delaume se construit, des recherches dans les archives des quotidiens, France-Soir et Le Parisien, se sont imposées. Ces recherches ont montré qu’il existe trois versions journalistiques [19] du meurtre de Soazick Dalain et du suicide de Sylvain Dalain. Ces articles présentent des différences importantes entre eux, ainsi que, bien sûr, des différences avec les variantes incorporées à l’œuvre de Delaume.

Avant donc de passer à une comparaison entre les articles de presse et les écrits de Delaume, il faut se faire une idée du contenu et du contexte des trois articles, parus dans deux numéros de France soir et un du Parisien, entre les 1er et 3 juillet 1983. L’article paru dans Le Parisien est très court, 72 mots seulement ; mais les deux autres, bien plus longs et publiés dans France-Soir, ne donnent pas seulement les détails du crime, mais esquissent aussi un portrait de la famille concernée. Un tableau récapitulatif permet de prendre connaissance des points saillants de chaque article :

 

France Soir1 juillet 1983, p. 3195 mots France Soir2 juillet 1983, p. 6444 mots Le Parisien23 juillet 1983, p. 672 mots
titre de l’article Drame de la rupture à Bourg-la-Reine // Le mari évincé tue sa femme et se suicide Privé de mer, le capitaine a craqué, et tué sa femme avant de se suicider à Bourg-la-Reine Il tue sa femme et se suicide(Rubrique « En bref »)
heure/lieu 32 rue Roger Thorelle, à Bourg-la-Reine ; jeudi ; 17h 32, de la rue Jean-Roger Thorelle, à Bourg-la-Reine ; jeudi ; début de soirée son appartement à Bourg-la-Reine
le père Sylvain Dalin ; 38 ans ; d’origine libanaise ; officier de la marine marchande Sylvain Dalin ; capitaine au long cours ; d’origine libanaise ; frappé d’une crise de folie subite ; courtois avec les femmes Sylvain Dalain ; officier de la marine marchande
la mère Soizic ; 36 ans enseignante Soizic ; 36 ans ; institutrice ; réservée ; heureuse de vivre ; son mari lui manquait sa femme – sans nom
enfants 2 enfants ; 3 et 10 ans ; pas de nom ; dans une pièce voisine Nathalie, 10 ans, et Frédéric, 3 ans ; presque sous leurs yeux 2 enfants ; 3 et 10 ans ; pas de nom ; confiés aux grands-parents ; témoins du drame
lettre du père « il ne pouvait pas supporter l’idée que sa femme voulait se séparer de lui » pas mentionnée explication de « son geste dû à une mésentente familiale »
arme/blessures un fusil à pompe ; elle : balle en pleine poitrine ; lui : pas de détails un fusil à pompe ; elle balle en pleine tête ; lui : 1ère balle dans la poitrine, 2e dans la bouche devant un voisin aucun détail

Malgré les différences dans les détails (présence des enfants, blessures, lettre d’explication) ces trois brefs textes ne laissent aucun doute : jeudi le 30 juin 1983, Sylvain Dalain a assassiné sa femme, dans l’appartement familial, avant de se suicider. Ce sont les mêmes détails qui parcourent l’autofiction de Chloé Delaume, qui retient aussi sa propre présence au crime et la blessure de la mère. Il est intéressant de noter que le deuxième article de France soir, le seul qui donne des détails sur la blessure du père – une balle dans la poitrine, une deuxième dans la bouche – présage le glissement de cette blessure dans les deux citations de Delaume offertes ci-dessus, où l’auteure écrit dans le premier texte qu’il a placé le fusil au fond de la bouche mais dans le deuxième sous le menton. Les ressemblances figurent aussi dans la mention, chez la romancière, du journal Le Parisien (bien que l’édition locale Hauts-de-Seine n’existait pas en 1983), ainsi que dans le titre de l’article proposé dans Où le sang : « Drame de rupture », et non pas « Drame familial. »

En ce qui concerne les faits proprement dits racontés dans les articles et leur relation à l’œuvre de Chloé Delaume, ces aspects sont certainement les moins intéressants pour la critique, sauf dans le fait que, malgré les variations, ils confirment l’existence du crime en dehors des textes de l’écrivaine. Par contre, ce sont les dissemblances voire les contradictions entre journaux et romans qui méritent une attention plus élaborée.

Par exemple, le portrait de la famille demande une analyse plus approfondie. Bien que ce soit seulement les textes de France Soir qui mentionnent la nationalité libanaise de Sylvain, aucun des trois articles ne manque de fournir sa profession – capitaine ou officier de la marine marchande, ce qui fait de lui un homme à profession responsable. À cause des exigences de cette profession, nous apprenons en lisant les articles, que Sylvain était souvent loin de sa famille, absent de longs mois d’affilée quand il était en mer. Avec ces réalités matérielles, le portrait psychologique de ce père de famille devenu assassin – et qui finit par « se faire justice » – se ressemble d’article en article. Dès les titres, les journaux nous proposent des raisons (presque des accusations contre Soazick) qui l’auraient motivé – le marin est « évincé » et « privé de mer » par sa femme. Les textes développent ce portrait en insistant sur le fait que Soazick était sur le point de quitter Sylvain, parce qu’il refusait de travailler davantage à terre, faisant ainsi passer sa « grande passion », la mer, avant sa famille. Le long article de France soir propose la conclusion d’un voisin selon laquelle « M. Dalin a dû être frappé d’une crise subite de folie », mais on peut avoir des doutes sur l’exactitude des commentaires des voisins et des conclusions des journalistes. S’il s’agissait d’une crise subite de folie, pourquoi est-ce que Dalain se serait procuré un fusil deux jours plus tôt (détail de l’article « Privé de mer ») et quand aurait-il écrit une lettre d’explication, comme c’est indiqué dans les deux autres articles ?

Qui plus est, toujours dans le long article de France soir, on lit la description suivante de Sylvain Dalain : « D’origine libanaise, il était très courtois avec les femmes. À commencer par son épouse. “Le dimanche, il ne manquait jamais de lui rapporter un bouquet de fleurs…” raconte une voisine. » On y reconnaît la description d’un mari heureux, « normal », qui cherche peut-être à faire pardonner son absence quasi obligatoire, en offrant à sa femme des fleurs, « chaque dimanche ». Il est vrai qu’aucun des deux autres articles ne parlent de ces fleurs, mais elles ne sont pas pour autant absentes des écrits de Delaume, surgissant presqu’à la fin de Dans ma maison sous terre, où le crime de Dalain est quasiment absent du récit. Dans ce texte, Delaume écrit : « Elle est allée chez le fleuriste avant. Quand les pompiers m’ont demandé d’ouvrir la porte, c’était longtemps après, les roses avaient séché, des brassées sur le lit [20]. » Avec ces deux phrases, Delaume l’autofictionaliste s’affirme, et continue à se créer contre les fictions collectives et les voisins, derrière les détails d’un fait divers. C’est, au moins en ce qui concerne le dernier exemple du geste, la mère de l’auteure et narratrice, ce personnage de fiction, qui s’est offert des fleurs.

Finalement, ces articles offrent, tout discrètement, un élément de la vie de Nathalie Dalain qui n’est jamais présent dans les écrits de Chloé Delaume. Il s’agit de l’existence du jeune frère de Nathalie, Frédéric, qui, selon les trois articles de journal, avait seulement 3 ans au moment du crime de 1983. Les raisons derrière une telle absence peuvent être multiples… un sentiment de protection à l’égard de cet individu ou bien une peur des poursuites judiciaires, comme celles lancées contre Angot ou Laurens, sont peut-être les deux plus évidentes. Elles sont d’ailleurs tout à fait raisonnables comme hypothèses. Nous en avons une autre par contre, et elle est la clé du projet d’autofiction de Chloé Delaume : c’est tout simplement véritablement que Chloé Delaume n’est pas, n’a jamais été, ne sera jamais Nathalie Dalain. Nathalie avait un petit frère. Chloé n’en a pas.

Jusqu’ici nous avons examiné le rôle des noms propres et celui de la mise en fiction des faits réels, car, en tant qu’autofictionaliste, Delaume construit son travail en grande partie sur ces deux notions. Bien qu’il s’agisse pour la plupart de pratiques normales sinon obligatoires pour l’autofiction, la relation entre le nom et la mise en fiction a quelque chose de particulier chez elle – la création d’un nouvel être : Chloé Delaume, qui est à la fois personnage de fiction, écrivaine, et femme française. Ceci dit, Delaume n’est pas la seule autofictionaliste à imposer l’emploi du deuxième nom dans son quotidien, et nous pourrons la comparer dans ce fait à sa contemporaine belge Amélie Nothomb. Celle-ci, semble-t-il, vit sous le prénom que nous lui connaissons et qu’elle s’est attribué, pour remplacer Fabienne, qui figure dans les documents officiels [21]. Ce changement, ainsi que le fait que l’écrivaine est née en Belgique et non pas au Japon, mène le critique Benjamin Hiramatsu Ireland à tirer la conclusion selon laquelle Stupeur et tremblements ne remplit pas les critères obligatoires pour une œuvre d’autofiction. Dans son article, « Amélie Nothomb’s Distorted Truths : Birth, Identity, and Stupeur et tremblements », en citant l’État présent de la noblesse belge et Le Bulletin de l’Association de la Noblesse du Royaume de Belgique, Ireland propose :

[…] chez ses lecteurs, la falsification de ses date et lieu de naissance est une imposture qu’elle commet, et tout en sabotant la confiance entre l’auteur et ceux-ci, le geste façonne aussi une identité qui rend encore plus flou, d’un côté, les limites entre l’expérience vécue et la narration authentique, et, de l’autre, la création et performance d’un personnage-auteur imaginaire [22].

Ireland se sert de cette interprétation pour renforcer son opinion selon laquelle Stupeur et tremblements ne tombe pas dans la catégorie de l’autofiction :

Sans doute, ce qui place Stupeur et tremblements dans la catégorie « fiction » (et non pas celle de « fiction autobiographique », ni celle d’ « autofiction », par exemple), c’est le fait que le court roman rompt le « pacte de confiance » entre l’écrivaine et ses lecteurs à cause du récit externe et falsifié. […] [Q]uand cette confiance est brisée, les frontières deviennent flous et l’autobiographie devient la fiction [23].

Sans contredire le fait que de pareilles modifications du vécu compliquent le cas de Nothomb – on peut se demander quel cas d’autofiction n’est pas compliqué – nous proposons donc que les « mensonges » signalés par Ireland ne suffisent pas à nous obliger à rayer Stupeur et tremblements des grandes listes d’œuvres d’autofiction, tout en confirmant, comme lui, qu’il ne s’agit nullement d’un exemple d’autobiographie, bien sûr. Toutes les deux, surtout en ce qui concerne le rôle du nom, Chloé Delaume et Amélie Nothomb poussent avec audace les limites de l’autofiction, sans pour autant nuire à la participation primaire à un projet autofictionaliste. Comme le dit Natalie Edwards à propos de Jane Sautière :

Les lecteurs ne savent pas quand c’est l’autobiographie qui prime ni quand le texte devient fictif, puisque l’autofiction de Sautière insinue que les faits et la fiction sont tous les deux présents, avec entre eux la création de frontières fluides et indistincts. […] Plutôt, elle représente cela comme un processus progressif, ancré dans l’investigation de soi – « j’ai, au fil du temps, créé mon histoire » [24].

Dans La Règle du Je, Delaume a écrit, « Par la littérature, l’énoncé contient simultanément l’acte auquel il se réfère. Déclarer institue, parce que dire c’est faire. L’autofiction contient des gènes performatifs [25]. » Quelques années plus tard, dans son entretien avec Barbara Havercroft dans la revue Fixxion, elle souligne l’importance de se créer et du pouvoir qu’elle s’est accaparé pour ce faire en se disant :

Il était nécessaire de me créer une nouvelle identité, qui porterait mon propre Je, l’imposerait dans le réel. Se définir comme personnage de fiction c’est dire je choisis qui je suis, je m’invente moi-même, jusqu’à l’état-civil. Je ne suis pas née sujet, mais par ma mutation en Chloé Delaume, je le suis devenue [26].

Récemment, le roman de Laurent Binet, La Septième Fonction du langage, nous a rappelé de manière ludique les relations théoriques entre langue et réalité, entre dire et faire ou devenir, bref, entre la langue et la performativité :

La théorie d’Austin, c’est le performatif, tu te rappelles ? L’illocutoire et le perlocutoire. Quand dire, c’est faire. Comment on fait des trucs en parlant. Comment on fait faire des trucs aux gens simplement en leur parlant. Par exemple, si je disposais d’une force perlocutoire plus conséquente, ou si tu étais moins con, il me suffirait de te dire « conférence de Derrida » pour que tu sautes dans tes pompes et qu’on aille déjà réserver nos places [27].

Peut-être que, pour devenir Chloé Delaume, il suffit de dire, ou écrire plus précisément, « Je m’appelle Chloé Delaume » devant des personnes moins « cons », pour reprendre le terme de Binet. Ceci dit, il se peut aussi que Delaume, en se créant dans le réel, soit allée plus loin encore que la simple parole, quand son intentionnalité illocutoire ne s’est pas réalisée de manière perlocutoire chez les lecteurs. Face à pareil échec, on peut trouver deux manières de se faire véritablement, définitivement Chloé Delaume. La première se trouve toujours du côté du langage, et nous l’avons vu avec les citations du site web : il s’agit pour le moins de distancer la mention « personnage de fiction » du nom Chloé Delaume, ou au moins mettre davantage de distance littéraire entre la remarque et le nom qui veut s’imposer dans le réel. Mais cela ne garantit pas non plus que Chloé Delaume soit autre que personnage de fiction, au mieux, ou simple pseudonyme banal, au pire. Il faut aller plus loin encore, et rayer Nathalie Dalain d’autres écrits, qui ont de leur côté la puissance de l’état français. Dans Où le sang, Delaume écrit :

[…] elle n’existe plus, tu sais, Nathalie. Un avocat s’occupe de l’effacer de mes papiers, identité définitive, je suis Chloé Delaume. Je reprends la parole. Ça ne sert à rien de poursuivre. Seconde partie de vie, mon corps et l’écriture, l’abandon de Calliope, être asséchée de soi pour devenir sibylle, cette fois c’est terminé [28].

Nonobstant, comme nous l’avons signalé à l’ouverture de ce texte, prendre la littérature pour la réalité chez Delaume est une stratégie problématique.

Notes

[1] Le moteur de recherche des archives d’Internet (www.archive.org) a répertorié le site pour la première fois le 19 novembre 2003. Toutes les citations des anciennes versions du site web de Delaume figurent dans cette archive.

[2] Chaque date indique une mise en archive de www.chloedelaume.net sur le site www.archive.org, qu’il ne faut pas prendre pour la date de publication sur le site de l’auteur.

[3] Les premières années, il n’y a pas de rubrique « accueil » et l’internaute visitant chloedelaume.net tombe d’abord sur la page « bio ».

[4] Chloé Delaume, La dernière fille avant la guerre, Paris, Naïve, p. 107.

[5] Après la première référence à chaque titre, les abréviations suivantes serviront à les identifier : La dernière fille avant la guerre : Dernière fille ; La Vanité des Somnambules : La Vanité ; Le Cri du sablier : Le Cri ; Où le sang nous appelle : Où le sang ; La Règle du Je : La Règle ; « S’écrire mode d’emploi » : « S’écrire ».

[6] Les principaux textes publiés entre-temps sont Corpus Simsi (2003), Certainement pas (2004), Les juins ont tous la même peau (2005), J’habite dans la télévision (2006), La nuit je suis Buffy Summers (2007) et La dernière fille avant la guerre (2007).

[7] Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Paris, Éditions du Seuil, « Fiction & Cie », 2009, p. 202.

[8] Id. p. 205.

[9] Chloé Delaume, La Règle du Je, Paris, PUF, « Travaux pratiques », 2010, p. 5.

[10] Id. p. 3.

[11] Id. p. 5.

[12] Chloé Delaume, « S’écrire mode d’emploi », dans Autofiction(s) : Colloque de Cerisy, Claude Burgelin, Isabelle Grell, Roger-Yves (dir.), Lyon, PUL, 2010, p. 113.

[13] Chloé Delaume, Le Cri du sablier, Paris, [Scheer, 2001], Gallimard « Folio », 2003, p. 20.

[14] En effet, bien qu’annoncé avec la publication d’Une Femme avec personne dedans, le cycle autofictif s’est prolongé avec Où le sang… En réalité, c’est ce texte-ci qui marque la fin du cycle, le roman annoncé pour la rentrée littéraire de 2016, Les Sorcières de la République, n’a aucun élément d’autofiction.

[15] Chloé Delaume, Où le sang nous appelle, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 2013, p. 49-50.

[16] Le Cri du sablier, op. cit. p. 9.

[17] Id. p. 13-14.

[18] Où le sang nous appelle, op. cit. p. 49.

[19] Je tiens à remercier chaleureusement mon amie Michèle Bošković pour sa contribution aux sources de cet article. C’est en 2015, en faisant ensemble des recherches à la BnF, que nous avons découvert les trois articles dont il s’agit ici. Actuellement, Michèle Bošković étudie le thème des suites littéraires au suicide d’un proche, et prépare un volume au titre provisoire Endeuillés après suicide. Études de cas littéraires contemporains, dans lequel elle se penchera sur le cas de Delaume, entre autres.

[20] Dans ma maison sous terre, op. cit. p. 171.

[21] Le texte d’Ireland offre un aperçu des circonstances dans lesquelles Nothomb se fait appeler soit Amélie soit Fabienne. Il semblerait que, exigences légales à part, elle vive depuis l’adolescence sous le nom d’Amélie.

[22] « The falsification of her birth date and place for her readers constitutes a deceptive gesture on her behalf, which not only undercuts reader-author trust, but also forges an identity that further blurs the boundaries between lived experience and authentic narration, on the one hand, and the creation and performance of an imaginary writer-persona on the other » (Benjamin Hiramatsu Ireland, « Amélie Nothomb’s Distorted Truths : Birth, Identity, and Stupeur et tremblements », New Zealand Journal of French Studies, vol. 33, n°1, mai 2012, p. 154).

[23] « Arguably what makes Stupeur et tremblements belong to the genre of fiction (and not “autobiographical fiction” or autofiction, for example) is that the
novella ruptures the established “pact of trust” between the author and reader because of the external, falsified narrative. […] [O]nce the trust is broken, the borders become blurred and autobiography becomes fiction » (ibid., p. 152).

[24] « The reader does not know when the autobiography takes precedence and when the text becomes fictional, as Sautiere’s brand of autofiction hints that both fact and fiction are present but creates fluid, indistinct boundaries between them. […] Instead, she presents this as a gradual process that is rooted in self-invention – “j’ai, au fil du temps, créé mon histoire” » (Natalie Edwards, « Jane Sautière’s Autofictional Explorations : Nullipare », Contemporary Women’s Writing in French Seminar : Non-Motherhood in Contemporary Women’s Writing in French, University of London, Senate House, 21 février 2015, inédit, p. 10-11.

[25] La Règle du Je, op. cit. p. 179.

[26] Barbara Havercroft, « Le soi est une fiction. Interview avec Chloé Delaume », Revue critique de fixxion contemporaine, nº4, 2012, p. 126.

[27] BINET, Laurent, La Septième Fonction du langage, Paris, Grasset, 2015, ebook, Troisième partie – Ithaca, p. 74.

[28] Où le sang nous appelle, op. cit., p. 134.

Auteur

Dawn M. Cornelio est professeure titulaire à la University of Guelph (Canada). Ses recherches se font principalement dans deux domaines : l’autofiction et la théorie et la pratique de la traduction littéraire. Elle a fait de nombreuses communications et publié plusieurs articles sur Chloé Delaume, dont le plus récent est « Fragmentation des corps et des identités chez Chloé Delaume » (@nalayses, vol 11.1, Hiver 2016, n. p.). Ses traductions sont régulièrement publiées dans Contemporary French and Francophone Studies. Actuellement, elle prépare une longue étude de cas de Chloé Delaume, publiée en ligne sur le site ChloéDelaumeCritique.com, et une traduction vers l’anglais de Certainement pas de Delaume à paraître aux presses de l’université du Nebraska (University of Nebraska Press).

Copyright

Tous droits réservés.




« Naître dans la fiction » (entretien)

« Naître dans la fiction »

Extraits de l’entretien de Chloé Delaume avec Thierry Guichard[1] réalisé le 5 novembre 2014 lors de la journée d’étude « S’écrire par-delà le papier ».

(Université Paul-Valéry-Montpellier  III, site Saint-Charles)

Transcrits par Annie Pibarot et Florence Thérond

 

 

TG

Nous allons dans un premier temps reprendre la question de l’autofiction. Pourquoi l’autofiction ? Je voudrais, pour expliquer le rapport entre la biographie et l’écriture tel que je le perçois, qu’on revienne sur la biographie ou plutôt sur l’antébiographie, celle de Nathalie Abdallah ou Nathalie Dalain. Et je voudrais revenir là-dessus parce qu’on a beaucoup insisté sur le mois de juin 1983, où a lieu ce fait, qui serait comme un fait divers pour les autres et qui est un drame pour toi. Il me semble qu’avant cela, il y a quand même des indices qui indiquent l’impossibilité de faire autre chose que de l’autofiction. Ces indices sont ceux-ci, que je vais énumérer de manière un peu brutale pour aller vite : tu nais à Versailles mais tu n’es pas Versaillaise, tu nais à Versailles parce que ta mère vient accoucher en France, alors qu’elle vivait à Beyrouth, donc déjà une ville natale qui ne correspond à rien. Deux ans plus tard, tu connaîtras la guerre civile dans un pays qui se déchire, qui perd son identité. Tu retournes en France au moment où l’immeuble dans lequel vous habitez perd sa façade après un bombardement. On peut imaginer ce que c’est que de vivre dans une maison menacée, où tout à coup un mur entier tombe à cause d’une bombe. Cela doit être un peu déstabilisant. La famille arrive en France et là il y a déjà un gros mensonge qui va être fait, c’est-à-dire que la mère, qui est enseignante, a honte de l’origine libanaise du père et fait passer le père pour un Niçois.

Chloé

Un Marseillais

TG

Un Marseillais, enfin quelqu’un du Sud de la France, et même son prénom va changer. Il va devenir Sylvain.

Chloé

Sylvain à la place de Selim dans la naturalisation.

TG

Tout à coup le père change de nom, change d’origine, donc il y a déjà un mensonge qui se fait avant le drame.

Chloé

Il y a une fiction dès le début. Il n’y a pas de rapport. L’identité ne peut pas… un nom ça ne veut rien dire. Un nom, ce n’est pas là que ça se passe.

TG

Le pays non plus. Après le drame de 83, tu te retrouves dans la famille de ton oncle et ta tante, qui veulent faire croire que tu es une fille de ce couple.

Chloé

Ils veulent être appelés papa et maman pour des raisons de conventions sociales. Oui bien-sûr. C’est vrai. Tu as raison.

TG

Et moi, ce qu’il me semble, c’est que sur ce terreau-là, qui est très friable, tout à coup, les mots n’ont plus de sens. Je remarque que dans tous tes livres, il y a énormément de questionnements du lexique. On y trouve plusieurs fois LPetit Robert, des définitions de mots, des périodes sur un mot pour trouver les définitions qu’il peut avoir. Donc tout à coup, j’avais l’impression que, pour toi, la littérature était le lieu où enfin quelque chose pouvait être stable et c’était le lexique.

Chloé

Oui, le Petit Robert était le seul à être gardien de la vérité. Il y avait vraiment quelque chose. C’était sacré, il allait y avoir une mise à jour annuelle. C’est un référent qui est premier et intouchable.

TG

Et pour finir sur la question de l’autofiction : tout à l’heure tu évoquais Christine Angot, Camille Laurens et d’autres. Moi, il me semble que tu n’es pas du tout dans l’autofiction en réalité, dans la mesure où il me semble que Christine Angot – et on l’a vu avec Quitter la ville par exemple – a fait d’elle-même un personnage de roman. Tu as cité Vu du ciel, où Christine Angot n’apparaît que comme étant la personne que protège un ange-gardien qui est le narrateur du livre, mais, très vite, Christine Angot devient le personnage de ses romans. Donc, dans son cas, c’est quelqu’un de réel qui devient le personnage de ses romans. Alors qu’il me semble que, chez toi, Chloé Delaume va naître dans la fiction, va naître dans l’écriture, dans le lexique et donc ce n’est pas du tout un personnage réel qui devient fiction, mais c’est un personnage de fiction qui devient tout à coup personnage réel.

Chloé

En fait je provoque les événements, c’est-à-dire, qu’il y a les premiers livres qui vont parler du drame de l’enfance… mais, de toutes façons, tout le monde, sous une forme ou une autre, revient toujours sur son enfance quand il veut écrire. Mais là c’est du subi, ce sont des choses subies qui vont être redistribuées en fictions. Mais les trois quarts des autres livres après, ce sont des expériences où je me force. Je me force à aller chercher dans le réel une expérience que je vais restituer, où je suis le cobaye. Donc, c’est vrai que là-dessus, c’est un peu différent.

TG

Oui, c’est par exemple J’habite dans la télévision.

Chloé

Oui … Mais même dans Dans ma maison sous terre le dispositif du cimetière est forcé. Mais ce ne doit pas être le seul…

TG

Dans Dans ma maison sous terre toutefois, ce qui déclenche l’écriture du livre, si on prend ce déclenchement pour réel, c’est la naissance de Chloé Delaume, due à la mort des parents de Nathalie Dalain et notamment du père. Et on n’a pas encore parlé de l’oncle qui vit en prison en France depuis …

Chloé

Cela fait 30 ans.

TG

Si je laisse tomber Nathalie Abdallah et Nathalie Dalain, si je considère la naissance de Chloé Delaume avec le XXIème siècle qui arrive, cette naissance tout à coup est mise en péril par l’annonce, via une cousine, que la grand-mère aurait dit que le père n’était pas le père.

Chloé

C’est pour cela que je veux la tuer dans Dans ma maison sous terre. On est en 2009, je suis toute contente : c’est bon, j’ai mon identité, je commence à avoir même une petite biblio un peu sérieuse et puis effectivement surgit ma cousine que je n’ai pas vue depuis des calendes et qui m’explique qu’en fait ma grand-mère a avoué. Il faut absolument qu’on me prévienne, que mon père n’était pas mon père. J’ai construit mon identité sur une idée de vengeance. Qui ne le ferait pas ? Quand j’ai eu le prix Décembre, j’ai hurlé dans les toilettes « j’ai niqué papa ». Tout le monde était mort de rire ; moi j’étais très sérieuse et l’identité Chloé Delaume, elle est là. C’est aussi que je ne me sois pas pris un coup de la cervelle du père pour rien dans la figure ; et au bout du compte on m’explique que ce n’était pas mon père… En plus de la terreur que j’avais déjà gamine dans la vraie vie – le décès parental, mon oncle terroriste libanais en prison – la terreur de passer pour une mythomane… Certains ont commencé sur les forums internet, voire dans Wikipedia, à réclamer des références pour la mort des parents. Il aurait fallu que je présente l’acte de décès pour avoir la paix. On a déjà une image du père aussi compliquée que celle-là : il était vraiment schizophrène. Il faut passer 24 ans pour être sûre d’y échapper quand c’est d’ordre de transmission. Moi, jusqu’à mes 24 ans, j’étais terrifiée à l’idée d’en hériter vraiment. En fait, je suis bipolaire, c’est déjà beaucoup … et se dire d’un seul coup « le père c’est pas le père » : quand est-ce que ça s’arrête ? Et tout ça pour ça : en fait ma grand-mère avait baratiné juste pour le plaisir que je vienne la voir. C’est pour cela aussi que je préfère provoquer plutôt que de mener l’enquête…

TG

Enfin on comprend quand même la nécessité de naître dans la fiction, dans le récit en tout cas, et que ce récit-là repose sur le lexique. Le lexique est important. Or il me semble qu’il y a une ambiguïté qui va être apparente dans les trois premiers livres et surtout dans l’écriture, c’est que si le lexique est important, dès qu’on écrit, il faut autre chose que le lexique, il faut de la syntaxe, il faut un rythme. Et chez toi assez rapidement c’est l’alexandrin qui surgit ou l’octosyllabe. Or si ce que tu m’as dit il y a quelques années est juste, l’octosyllabe et l’accent grave étaient une manière que ta mère avait de te faire travailler pour avoir la paix.

Chloé

Enfant, je ne savais pas dessiner, j’étais très bavarde, j’étais pénible. Je pense qu’elle voulait corriger les copies, tranquille.

TG

Et donc finalement, dans cette auto-gestation, cette manière de naître à soi-même par l’écriture, il y a quand même une trace génétique, qui est là, qui n’est pas forcément celle de la biographie mais qui est la langue. Alors je voudrais savoir par rapport aux trois premiers livres, qui me semblent vraiment travaillés au forceps, quel travail tu as fait pour accoucher d’une langue qui soit la tienne et pas celle héritée de la mère.

Chloé

Je ne sais pas…

TG

Est-ce que par exemple il y a eu des contraintes que tu te donnais ?

Chloé :

Ah, ça oui !

TG

Je pense à Georges Perec par exemple. Quand il écrit la disparition sans la lettre E, c’est aussi par rapport à son histoire personnelle.

Chloé

C’est sûr, les contraintes, au début, c’était plus pour me forcer à un exercice toute seule… c’était des trucs fous quelquefois, c’était aussi parce que je me sentais seule : prendre une édition d’un poème de Rimbaud dont le titre va faire écho avec le paragraphe – des choses que personne ne voit – prendre tous les mots qui sont avec astérisque dans un texte, les mots qui sont les moins connus. « Barcarole » entre autres… Sinon après ce sont des contraintes qui vont être par exemple des listings de mots. Quelquefois, je me fais aussi des playlists que j’écoute, qui sont liées à ce que je veux provoquer émotionnellement par rapport au chapitre en cours et donc quelquefois il y a des parasitages que je me force à faire. Mais ce n’est pas obligatoire. C’est comme si les ateliers formels pouvaient permettre aussi un détachement total de l’émotivité de la langue, pour éviter de laisser couler quelque chose qui serait trop biologique. C’est aussi l’héritage des formalistes. Moi, ce qui m’a vraiment intéressée, un peu moins avec l’âge, ce sont les idées de contraintes et d’atelier. Je sais que ce qui m’avait le plus agacée en « début de carrière », c’était l’expression « écriture automatique ». Je hais les surréalistes, je suis complètement chez les pataphysiciens (ou alors on passe chez les Viennois ou chez Dada, mais là on est dans du politique). Je n’ai pas du tout un rapport au rêve. Je n’ai pas un inconscient de névrosée, puisque je suis psychotique. Ces choses-là ne me parlent pas et l’écriture automatique, étant donnée la difficulté que c’est pour retravailler les phrases, c’est vraiment tout le contraire de ce que je recherche. Comment fait-on pour mettre de la raison dans l’évocation. C’est peut-être un peu difficile à expliquer. Je parle d’une sorte de geste technique qui va empêcher le lyrisme dégoulinant. Cela avait des côtés dramatiques quand j’étais plus jeune, le côté « les organes fumants sur la table » !

TG

Oui ce sont les rives du fleuve qui permettent à l’eau de couler.

Chloé

Oui, je m’interdis le champ lexical de l’intestin dégoulinant. Par contre, je vais me forcer à mettre de la pierre. C’est par mesure de précaution.

TG

En tout cas l’écriture va petit à petit aller vers plus de fluidité me semble-t-il, notamment avec Dans ma maison sous terre, qui me semble être le plus fluide avec le dernier en date. On a parlé de la collection chez Joca Seria ; mais tu avais commencé avant, chez Léo Scheer, à faire de l’édition avec toujours un leitmotiv qui était de faire entendre des voix nouvelles, des jeunes etc. Cet engagement-là que tu as placé dans l’édition, il me semble qu’il apparaît très vite dans la littérature. Les Mouflettes d’Atropos c’est quand même aussi quelque chose sur le corps féminin qui est très important. Tu as cité Dada, je voudrais en passer par Dada pour dire que peut-être Dada fait la révolution dans la langue et essaie de faire table rase, mais est-ce que finalement Chloé Delaume n’est pas la page blanche que la fin de Nathalie Dalain a permise, est-ce que ce n’est pas la table rase qui t’a permise ?

Chloé

Si, et je me disais même l’autre jour, je ne sais plus pourquoi, qu’en fait ma mère, comme beaucoup d’autres femmes dans ces cas-là, rêvait d’être auteur. Cela fait longtemps que j’ai dépassé son âge, mais je me dis aussi que finalement maintenant j’assume un peu aussi de me retrouver la survivante qui endosse. C’est la situation classique des gens à qui il arrive des choses difficiles. Se dire, quelques années après, quelques décennies après : s’il n’y avait pas eu cette catastrophe, je ne serais pas celle que je suis maintenant.

TG

La question n’était pas sur un plan biographique, mais plutôt sur un plan éthique et politique. Le fait est que tu montres qu’on peut créer sa vie, qu’on peut créer son nom, son personnage. On peut créer sa vie et on la crée notamment dans différentes directions possibles : la musique, le théâtre, la littérature, la performance, le film… Tout ce qu’on peut faire, tu le montres et quand tu veux tendre la main à de jeunes écritures, tu leur dis « allez-y ». Je me demande si tu ne dis pas cela aussi à un moment donné dans chacun de tes livres.

Chloé

C’est le but du jeu. Je n’ai jamais vraiment écrit des histoires. Le but du jeu c’est quand même vraiment de contaminer, d’expliquer aux gens que moi j’ai pris l’écriture, la littérature pour le faire, mais que la réappropriation de leur vie, cela ne passe pas du tout obligatoirement par une pratique artistique. Je pense au Parti du cercle et aux Sorcières de la République, à tous les dispositifs que je développe depuis 2011, avec de nombreux ateliers ou des séances participatives. Lors des ateliers d’écriture, qui sont un passage obligé dans les résidences, on monte un projet de performance à la fin de la semaine. Par exemple, dans les ateliers d’écriture, je travaille sur l’auto-prophétie en demandant aux participants de faire un transfert de telle ou telle échéance pour essayer d’être au plus vrai. Je leur demande, comme on essaie d’être au plus juste de la langue, d’être au plus vrai d’eux, mais pas à la manière de Lacan. Non, il s’agit juste au bout d’un moment d’assumer, de savoir où est la volonté. Il n’y a pas besoin d’aller dans des collectifs politiques officiels pour, à un moment donné, un peu se secouer. C’est comme pour les performances, j’adore kidnapper les gens, qu’ils se sentent mal, mais en partant de choses très simples que je peux tourner de façon poétique. La question « qu’est-ce que veut votre cœur ? Vous en êtes où dans votre cohérence de vie ? ».

[…]

TG

Si je résume un peu ce que tu dis, il y a la volonté de dessiller le regard des gens sur eux-mêmes. Le mouvement Dada c’était la société dans son ensemble, là c’est chacun…

CD

Moi j’écoute Foucault, ce sont les subjectivités qui sont les armes de demain !

TG

Je n’ai pas eu le temps de développer un point… Cela fonctionne justement avec l’autofiction qui arrive en France, dont on peut dire que l’apogée c’est peut-être Hervé Guibert. Quand l’autofiction arrive en France et est nommée comme telle par les médias, c’est le moment où justement on essaie de faire que chacun ait… son quart d’heure de gloire, comme Warhol avait prédit. Et donc on est à fond dans le système.

Chloé

Du coup c’est très dangereux d’expliquer que ce n’est pas pareil. Est-ce que tu voulais dire, qu’il y a une différence entre la mise en scène du moi et…

TG

Du je

Chloé

Et voilà. Du je ? C’est cela le problème, c’est qu’en fait le quart d’heure de gloire en question, il n’y a pas de voix dedans. Pas de je. Des moi et des ça, et éventuellement un peu de surmoi. Il n’y a pas de je. Ils ne disent pas ; ils sont. Maintenant on ne fait plus, on est. Moi, je trouve cela décevant. Il ne s’agit pas juste de la célébrité pour la célébrité éphémère, mais de la question de ce qu’est la parole. Sinon on est uniquement dans les images, la mise en scène, la narration pure, la narration événementielle, sans fond, sans parole à défendre.

TG

Si je peux faire un peu de psychanalyse de bas étage : quand tu dis « il n’y a pas de voix », cela me fait penser à la biographie de Nathalie Dalain : après le drame, elle est muette pendant neuf mois.

Chloé

Oui. J’ai fait neuf mois d’aphasie, quelque chose de bien symbolique

TG

Et c’est quand tu es muette qu’on te donne un nom, un rôle, une tâche. Quand tu ne veux pas prendre la parole, on va te dire : tu es notre enfant et tu n’es pas l’enfant de tes parents etc.

Chloé

Bien-sûr.

TG

Donc l’écriture vise aussi me semble-t-il chez toi – tu utilises la métaphore du virus – le pouvoir de se reprendre en main. Tu utilises aussi beaucoup le mot de « colonisation », et pas seulement à propos de la télévision. D’où l’importance de pouvoir se décoloniser. J’en viens donc à la troisième étape de mon entretien avec toi, sur la question de « s’écrire par-delà le papier ». Quand tu as évoqué la collection Extraction chez Joca Seria, tu as dit : cela ne peut pas marcher, parce que la mise en place de 300 exemplaires…

Chloé

Ce n’était pas que cela. Le problème c’est aussi le fait que les gens, le lectorat n’est plus intéressé que par du narratif. Tu le sais bien. J’avais de très bons livres, mais comment faire pour les faire connaître ? Comment résumer les contenus ? Comment fait-on ?

TG

Je comprends ce que tu veux dire, mais c’est lié à tout un mécanisme du commerce, de la société actuelle, qui fait qu’on prend de très gros tuyaux. Il faut que le message soit très visible et on ne peut pas commencer à vouloir faire dans la subtilité. Or ces textes-là ont besoin de temps et de subtilité. Donc j’en viens à la question des pistes internet, de la scène etc. Est-ce que finalement, puisque dans ton écriture qui est vitale il y a aussi un projet politique pour les autres, est-ce que l’internet et les autres medias, pour exprimer ce que tu dis, pour faire valoir l’œuvre artistique que tu as en route, ne sont pas une façon d’intensifier la possibilité d’être entendue, la possibilité d’être vue et finalement que ce message – je n’aime pas trop le terme de message – que ce virus politique soit utilisé par une opinion plus large ?

Chloé

Bien sûr, mais après, ce qui est compliqué, c’est que dans ces formes-là, les formes, cela ne dit pas plus clairement. J’ai vraiment un problème de formation du message. Je n’arrive jamais à le faire. J’ai du mal à faire des phrases moches, mais il n’y a que les phrases moches qui sont entendues et du coup, si je déploie autre chose, il y a un risque… Quand tout à l’heure Anaïs a travaillé sur les performances, c’était clair ; mais moi, quand je démarche à la maison de la poésie pour expliquer mon travail, ils ne comprennent rien à ce que je raconte et pourtant ils connaissent mon travail. C’est très difficile d’expliquer et ce ne devrait pas l’être quand tu pratiques… Le problème aussi c’est le taux de médiatisation. Quand je fais sous forme sonore ou radio, je touche un public encore plus petit et qui souvent est déjà convaincu. Le problème c’est que les gens que j’arrive à toucher sont d’accord avec moi. On se raconte une histoire entre nous mais cela ne sert qu’à prêcher à des convertis… C’est pour cela que je refais des ateliers plus sérieux avec des ados par exemple.

[…]

[1] Thierry Guichard est journaliste littéraire. Il est le co-fondateur avec Philippe Savary du magazine mensuel indépendant d’informations littéraires Le Matricule des anges dont le premier numéro est sorti en octobre 1992. Il en est aujourd’hui le directeur de publication et il anime régulièrement des débats en France et à l’étranger. En 2013, il a ouvert un café-librairie à Portiragnes (Hérault) baptisé La Part de l’ange. En février 2009 il a réalisé pour le numéro 100 du Matricule des anges un dossier consacré à Chloé Delaume, qui fut elle-même pendant quelques temps chroniqueuse pour ce magazine.




Chloé Delaume, lectures

Lors de la journée d’étude du 5 novembre 2014 à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 (« S’écrire par-delà le papier : hybridation des formes et des supports dans l’œuvre autofictionnelle de Chloé Delaume », RIRRA21), Chloé Delaume a lu, en écho aux travaux présentés, des extraits de ses textes publiés et inédits à cette date. Elle a ainsi choisi un passage situé vers la fin du roman Une femme avec personne dedans (chapitre 17 : « De l’autre côté », p. 111 à 117, éditions du Seuil, « Fiction et Cie », 2012), le début de son second livre Le cri du sablier (p. 9 à 11 de l’édition dans la collection « Folio », 2001), le début de Dans ma maison sous terre (« Premier carnet », p. 7 à 13, éditions du Seuil, « Fiction et Cie », 2009) et deux extraits de la pièce de théâtre Eden matin midi et soir (p. 7 à 9 et 35 à 40, éditions joca seria, 2009).

Cette lecture a été suivie de celle d’un texte qu’elle désigne comme un extrait d’une réunion de la société secrète : le Parti du Cercle. La première partie de ce passage figure légèrement remaniée dans le livre édité en 2016, Les sorcières de la République (Seuil, « Fiction et Cie », p. 255 à 260). La seconde partie (« paroles de la Sybille ») est très différente du texte publié.

Nous avons souhaité intégrer les lectures de Chloé Delaume à la publication de ce dossier. La vidéo est hébergée sur la chaîne YouTube de Languedoc-Roussillon livre et lecture, notre partenaire pour l’organisation de la journée d’étude. Pour y avoir accès activez le lien.