Préambule : documentaire podcasté, usiné, compressé et pourtant !

Le beau documentaire existe, il a un pouvoir énigmatique, comme le chat dans Alice au Pays de merveilles il apparaît et disparaît, n’est pas toujours là où il devrait. Pourtant, tel le phœnix, il résiste aux turbulences et demeure désirable. Je laisse aux participantes et participants de ce numéro le soin de l’aborder frontalement.

Le documentaire, je l’ai découvert à France Culture. Il semble qu’en France il ait longtemps vécu en vase clos, cultivé et protégé par un service public qui a fécondé maintes expériences sonores en grande liberté. Quand la stéréo apparaît, José Pivin fait dire au directeur de France Culture, Yves Jaigu, que le son spectacle est né. Je cite : « La différence entre la stéréo et la mono est aussi grande qu’un poisson au marché et un poisson dans l’eau. » Aujourd’hui il dirait peut-être qu’avec le son spatialisé nous nageons avec les poissons.

Quand je suis arrivée à France Culture en 1983, le cinquième étage de la Maison de la Radio était le centre de la fabrique du documentaire. Nous recevions de l’argent en liquide quand nous partions en mission et tout pouvait se négocier, que ce soit une journée de plus, la location d’un hélicoptère ou (comme a fait René Jentet) la garde républicaine. Mais je ne vais pas retracer l’histoire de l’ACR ou des Nuits magnétiques en ces temps où Médiamétrie ne créait pas l’effervescence.

Quand je fus nommée conseillère de programmes, une forme d’industrialisation était déjà organisée : des dossiers de production prévoyaient une normalisation des moyens : pour une heure d’antenne, x jours d’enregistrement, x jours de montage, x heures de mixage. Pour des raisons financières sont arrivées ensuite des rediffusions obligatoires ; pour essayer de contourner cela je me suis appuyée sur l’offre d’échange avec la Belgique et la Suisse baptisée pink offer, concernant les radios de service public francophones ; le Canada était aussi associé mais très vite il n’a plus eu de documentaire à proposer. Comme dans nos radios de service public l’argent était de moins en moins fléché vers le documentaire, avec Pascale Tison (Par Ouïe dire / RTBF) et David Collin (le labo / RTS) nous avons mis en place des coproductions.

En parallèle la belle endormie du monde sonore se réveillait. Avec la diminution du coût des appareils d’enregistrement démarrait un fort engouement pour la prise de son et le sonore. Longueur d’ondes est créé en 2002, Addor en 2009, année où le festival de Mellionec dans les Côtes d’Armor inventait la yourte à sons. Les musées diffusaient des œuvres produites par France Culture, le design sonore prenait ses lettres de noblesse. Au même moment je recevais beaucoup de demandes d’écoutes en public ou d’extraits de documentaires pour la fabrication de DVD (car après la cassette et avant le podcast il y a eu la période DVD).

Puis en 2010, avec Prison Valley, le webdoc a fait son entrée. En 2011, À l’abri de rien, une enquête sur le mal-logement en France réalisée par Samuel Bollendorff et Mehdi Ahoudig, obtient le prix Europa dans la catégorie « documentaire radio ». Radio France ouvre un portail du web-documentaire.

La suite, vous la connaissez. À l’extérieur de la « maison ronde » aujourd’hui, la fabrique du documentaire se fait avec de nouvelles structures, de nouveaux acteurs. Un article récent de Mediapart indique que les conditions de travail ne sont peut-être pas celles qu’on espère pour un documentaire de création. Une forme de bêtise conduit à demander à des créateurs ou producteurs ou artisans sonores ou encore œuvriers du son – comme disent Les Sons Fédérés – le plan, le synopsis, le déroulé du documentaire à venir. Comme si les paroles pouvaient se prévoir, les émotions s’organiser, les paysages sonores s’anticiper, comme si nous devions renoncer à découvrir ce qui va surgir au cours d’une alchimie longue et exigeante.

La société du spectacle est vorace et demande sa pâture quotidienne. le talent s’estime au nombre de clicks. Les sociétés de droits d’auteur pourraient en tenir compte pour des répartitions concernant le délinéarisé qui ne tiendront plus compte du genre. Autant dire que le label beau documentaire n’y a pas sa place.

MAIS PEUT- ÊTRE FAUT IL NE PAS S’INQUIÉTER ?

Pour finir sur une touche plus heureuse en ce qui concerne le documentaire de création, j’ai pu observer comment la diffusion en multicanal a ouvert un nouveau champ. Sous le titre « Cinéma pour vos oreilles », c’est au studio 105 spécialement équipé à demeure qu’ont été diffusées des créations documentaires spécialement travaillées pour ce support. Le 24 octobre 2005, la Maison de la Radio proposait dans le cadre de la FIAC Hors les Murs, en son immersif, Douze millions d’années-lumière d’ici de Bernard Moninot, Blue blue electric blue de Romain Kronenberg, Drive in d’Olivier Cadiot et Madeleine d’entre les morts de Bertrand Bonnello. Ces expérimentations basées sur la technologie Sonic Emotion ont permis par la suite de nombreuses écoutes à la Maison de la Radio, jusqu’à la fermeture pour travaux du studio 105. Ce multicanal et ce qu’il permet en termes de création et de partage, nous l’avons expérimenté avec Benoit Bories et Stéphane Marin lors du colloque de Montpellier d’où a été tiré ce numéro.

Pour conclure, tout comme Rimbaud parlant du poète, je crois que le documentariste se doit d’être un voleur de feu. « Il est chargé de l’humanité, des animaux même, il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme il donne forme, si c’est informe il donne de l’informe. » Il doit trouver une langue.

Auteur

Entrée à Radio France en 1982, Irène Omélianenko rejoint les Nuits magnétiques en 1983 et y reste fidèle jusqu’en 1998. Co-productrice avec Jean Couturier de Clair de nuit sur France Culture (1986-1997 ; 1999-2001), puis productrice de L’Atelier de la création (2011-2015) et de Sur les docks (2011-2016), elle est nommée en 2011 conseillère de programmes au documentaire et à la création radiophonique. Elle est conduite à prendre sa retraite en 2018. Membre de nombreux jurys (Italia, Europa, Creadoc, Scam, Phonurgia Nova, Longueur d’ondes…), elle a co-fondé en 2009 l’Association pour le développement du documentaire radiophonique (Addor).

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José Pivin : au cœur ou aux limites du documentaire ?


Cet article présente les trois grandes créations camerounaises de José Pivin : Un arbre acajou (1975), Opéra du Cameroun (1976) et Le Transcamerounais (1977). Ces œuvres sont d’un apport considérable à la réflexion documentaire. José Pivin est en effet l’un des rares metteurs en ondes des années 60-70 à se tourner vers l’Afrique, ce qui suffirait en soi pour que l’on consacre une étude à ses pièces africaines. D’autre part ces trois créations se présentent comme l’aboutissement de sa carrière, à la fois au plan biographique – José Pivin meurt en 1977 – et au plan artistique : en elles se concentrent les différentes facettes de son travail radiophonique, récompensé par le prix de l’Académie Charles Cros pour Opéra du Cameroun. Enfin et surtout, José Pivin n’aura cessé d’interroger la forme documentaire, pour lui apporter dans ces trois œuvres une réponse radicale et singulière.

This article presents José Pivin’s three major Cameroonian works: Un arbre acajou (1975), Opéra du Cameroun (1976) and Le Transcamerounais (1977). These works have made a considerable contribution to documentary reflection. José Pivin was one of the few directors of the 1960s and 1970s to turn to Africa, which in itself would be sufficient reason to devote a study to his African plays. Furthermore, these three creations are the culmination of his career, both biographically – José Pivin died in 1977 – and artistically: they concentrate the different facets of his radio work, which was awarded the Académie Charles Cros prize for Opéra du Cameroun. Last but not least, José Pivin never ceased to question the documentary form, and in these three works he offers a radical and singular response.


Texte intégral

José Pivin fait partie de cette liste des grands créateurs radiophoniques dont la réputation est inversement proportionnelle à l’information disponible sur leurs parcours [1] ou aux études consacrées à leurs œuvres. Pourtant, au fil des recherches dans les archives de l’INA, leurs noms reviennent, associés aux projets originaux, aux écritures expérimentales, aux entreprises sonores aventureuses. Et leurs apparitions successives aux génériques des émissions finissent par dessiner le portrait en creux d’auteurs énigmatiques et passionnés, qui ne nous sont saisissables qu’à travers la tentative fragile de reconstituer leur quête, dont leur répertoire inattendu indique la trajectoire en pointillés.

Une telle tentative excèderait les limites d’un numéro consacré au « beau documentaire », mais j’ai saisi cette occasion pour proposer une première approche de l’œuvre de José Pivin, qui essaie d’en cerner la spécificité, tant au regard des thèmes abordés que des formes déployées, en m’intéressant, dans son répertoire documentaire, à son corpus africain, et plus particulièrement aux trois grandes créations camerounaises : Un arbre acajou (1975), Opéra du Cameroun (1976) et Le Transcamerounais (1977). Trois raisons à ce choix : José Pivin est d’une part l’un des très rares metteurs en ondes des années 60-70 à se tourner vers l’Afrique, ce qui suffirait en soi pour que l’on consacre une étude à ses pièces africaines. D’autre part ces trois créations se présentent comme l’aboutissement de sa carrière, à la fois au plan biographique – José Pivin meurt en 1977 – et au plan artistique : en elles se condensent, se décantent et s’équilibrent les différentes facettes de son travail radiophonique, récompensé en 1976 par le prix de l’Académie Charles Cros pour Opéra du Cameroun, cette œuvre et Le Transcamerounais ayant en outre été sélectionnées pour le prix Italia dans la catégorie Documentaire. Enfin et surtout, José Pivin n’aura cessé, au cours de sa carrière radiophonique, d’interroger la forme documentaire, pour lui apporter dans ces trois œuvres une réponse radicale et singulière.

1. Une veine documentaire tôt nourrie par l’expérience algérienne

Commençons par préciser le contexte et le parcours – historique, biographique, radiophonique et culturel – au sein desquels ces pièces ont vu le jour. Ils expliquent pour quels motifs circonstanciels et personnels José Pivin est d’emblée confronté à la question documentaire. Dès 1940, à vingt-sept ans, il est envoyé pour raisons professionnelles à Alger, et c’est en 1943 qu’il entre à l’Antenne Radio-Alger de Radio France comme metteur en ondes. Cette période algérienne va durer longtemps, de 1940 à 1958, avec une brève interruption après la guerre, et sera décisive à plus d’un titre. Sur place en effet José Pivin rencontre la culture algérienne non européenne, et dès lors s’efforce de faire connaître, aux Pieds-noirs en premier lieu, sinon à l’ensemble des auditeurs ayant accès à Radio-Alger, la noblesse et la richesse des civilisations antérieures à la colonisation. Dans cette perspective, et parce qu’il est d’abord, et restera toujours, un homme de lettres, il crée en 1950, avec Jean Sénac, Emmanuel Roblès et Jean Grenier, la revue littéraire Soleil [2]. Huit numéros paraîtront, publiant les textes d’auteurs algériens comme Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Ahmed Sefrioui, mais aussi ceux de Senghor ou de Sénac et de Pivin eux-mêmes. José Pivin retrouvera ces auteurs à son retour en France, en y créant sa première émission, Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée, qu’il réalisera de 1959 à 1963. Nous y reviendrons.

José Pivin s’éprend également du Sahara et de la Kabylie où il séjourne chaque année pour partager la vie des Kabyles et des Touaregs. Cela le conduit à produire en 1955, chez Chant du monde, deux disques 33 tours des chants des Touaregs Ajjer du Sahara [3], dont la BnF conserve un exemplaire et qu’on peut écouter sur Gallica. Consacrés entièrement à la musique des Kel-Ajjer, une confédération de tribus touareg, ces disques font entendre, déjà, l’arrivée au campement des hommes venus du désert, la soirée et la fête qui les attend, et enregistrent des morceaux de tindé et d’imzad, instruments dont seules les femmes peuvent jouer ; une berceuse ; un chant de piste, et un de Sebeïba, la grande fête traditionnelle touareg ; un chant de forgerons : autant de motifs qui scanderont les pièces africaines. Parallèlement le numéro 3 de la revue Soleil avait permis de découvrir la poésie des Touaregs Azguer. Ces enregistrements sont suivis de la réalisation en 1956 d’un film documentaire sur le Sahara, Le Tassili des Ajjers, diffusé à Alger et à Paris. Mais il semble que le film suscite peu de réactions, et que Pivin renonce alors au médium cinématographique.

C’est en Algérie aussi que Pivin commence son activité d’écriture, en composant une série de contes pour enfants dans le cadre de L’Émission Enfantine de Polène [4] qui voit le jour en 1947 et dont il assurera la réalisation jusqu’en 1955.

José Pivin retourne en France en 1958, lorsque tout espoir d’une solution pacifique au conflit entre la France et l’Algérie est perdu, mais ses deux gestes fondamentaux en tant que créateur radiophonique sont déjà posés : le geste d’écriture d’une part ; le geste documentaire et politique de l’autre. En tant que responsable des émissions dramatiques de l’ORTF d’Alger, il a produit et réalisé une série d’émissions sur les peuples et la culture algérienne ; il est durant cette période activement engagé dans la découverte, le partage, la promotion de la littérature et de la culture arabes, et pour cela, déjà inscrit dans une démarche de collecte et d’enregistrement. De ces deux gestes découlera la singularité de son œuvre africaine.

2. La production radiophonique française de José Pivin

C’est à ce moment, au retour en France de José Pivin, que commencent les archives de l’INA dont je tire les éléments à partir desquels j’ai établi mon étude, à défaut d’autres sources d’information sur son travail. Les premières émissions conservées datent de 1959, à l’exception, essentielle, d’une série d’enregistrements dont la datation est inconnue, qui constitue une collection de sons purs, livrés bruts, sans opération de montage et sans autre cadre d’écoute que les titres sous lesquels ils ont été référencés, dont voici quelques exemples : « Grande gare italienne », « Poules, « Bruits d’auberge de France », « Cigale, mouche, tracteur », « Vent », « Pluie », « Chiens méchants ». Dans ce corpus de documents sonores se trouvent aussi des matériaux liés à la culture du continent africain : « Chants de Kabylie », « Tindé », « Tam tam et flûte », etc. Ce précieux répertoire de matières sonores nourrira nombre d’émissions françaises de José Pivin.

En France, Pivin poursuit le travail commencé à Alger. D’un côté court la veine documentaire, très fournie, avec trois types d’émissions. Un premier ensemble contient Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée (qu’il anime de 1959 à 1963), émission relayée de 1963 à 1968 par Au cours de ces instants. Il y fait entendre sur les ondes tout ce que l’époque compte d’écrivains engagés dans le combat artistique et/ou politique contemporain. Le documentaire prend ici la forme, bien identifiée, des entretiens avec les auteurs, questionnés sur leurs origines et les événements marquants de leur vie, et dont les propos sont entrecoupés de lectures d’extraits de leurs œuvres. À cet égard, l’une des émissions les plus marquantes est celle qu’il consacre à Jean Rouch, en juin 1961. À cette date, Rouch a déjà produit plusieurs de ses longs métrages documentaires, dont Moi un noir en 1958, qui reçoit le Prix Louis Delluc, et son corpus de courts métrages sur la culture songhaï, ainsi que Les Maîtres fous en 1954. « Ces moments que nous allons passer avec Jean Rouch nous feront découvrir d’autres limites que les nôtres. […] Nous entrerons ainsi dans un monde nouveau où pourtant nous ne nous sentirons pas étrangers [5] » : Pivin est à l’évidence marqué par la démarche de Rouch, par rapport à laquelle il va se positionner dans ses propres réalisations. Au cours de ces instants reprend les mêmes principes. Les auteurs maghrébins, sub-sahariens, néo-calédoniens, martiniquais sont nombreux à se succéder au micro de José Pivin (Driss Chraïbi, Mohammed Dib, Jean Mariotti, Albert Cossery, Aimé Césaire, Malek Ouary, les époux Schwarz-Bart…), mais aussi les auteurs québécois, les dramaturges, les penseurs et les poètes de son temps.

Un deuxième ensemble regroupe des émissions à caractère d’enquête : une enquête de type historique dans Analyse spectrale de l’Occident (1959-1962), où est interrogée l’histoire sociale, philosophique et économique de l’Europe à partir de textes littéraires mis en voix ; et une enquête sur les réalités et les grandes problématiques contemporaines dans Recherche de notre temps (1963-1964). Il s’agit là encore de s’entretenir avec des personnalités représentatives de la société civile : philosophes, médecins, ingénieurs, chefs d’entreprise, directeurs d’institutions, étudiants, professeurs, délégués du personnel, membres du clergé etc., sur des thèmes aussi divers et vastes que la souffrance, la délinquance, la religion, le sentiment du temps, la vieillesse, la famille, l’homme et l’objet, le bonheur…

Un dernier apport de Pivin à cette veine documentaire est sa participation à l’ample et remarquable émission de recherche historique et archivistique sur le théâtre, animée initialement par Jouvet puis par Léon Chancerel, Prestige du théâtre. José Pivin y succède en 1963 à René Guinard et Alain Trutat en tant que réalisateur.

Cet ensemble d’émissions documentaires ne se signale ni par un format novateur, ni par une mise en ondes qui se démarque des pratiques de l’époque. En revanche, il frappe par l’attention que José Pivin y porte à situer méthodiquement son auditeur dans la perspective précise d’une construction intellectuelle et culturelle européenne dont le réalisateur s’attache à poser les grands jalons idéologiques et techniques, ainsi que par son souci à faire dialoguer cet Occident avec des porte-paroles d’autres sociétés et d’autres systèmes de pensée. Ce faisant, il prépare la voie au décentrement que mettront en œuvre ses créations camerounaises.

De l’autre côté de la veine documentaire se constitue la production écrite, dramatique et poétique, qui emprunte principalement deux axes. Le premier est celui des pièces unitaires : c’est d’une part la reprise des contes pour enfants composés en Algérie, avec l’émission Fermez vos cahiers qui démarre en 1964 et propose des univers inspirés tant de la tradition des contes européens que de traditions africaines, comme en témoignent les contes du « Chacal de la forêt de Baïnem », de « La Djinnia du djebe Ouahch Ouahch », ou de « La petite sirène du Saraha » ; c’est d’autre part la production des vignettes d’Aquarium (1971-1977) où l’écriture de Pivin se libère de toute trame narrative et de toute contrainte de sens, donne libre cours à la fantaisie, et fait la part belle à l’expérimentation vocale, sonore, rythmique, servie par la voix de grands interprètes dont le grain met le son au premier plan.

Le second axe concerne la production des feuilletons. En 1963 naît Le merveilleux voyage de Suzanne Michel qui donnera lieu à huit épisodes, puis Jean Loup la pipe (1971), le retentissant À la poursuite des Maillots Noirs (1973), suivi du Chevalier à la charrette (1975). Dans l’intervalle, entre 1964 et 1969, Georges Godebert réalise dans son émission engagée Théâtre Noir la mise en ondes d’œuvres littéraires d’auteurs africains, interprétées par les comédiens de la Compagnie des Griots (troupe étudiante qui se constitue en 1956 et se fédère bientôt autour de Roger Blin et de Toto Bissainthe, puis de Jean-Marie Serreau), entièrement constituée de comédiens des territoires ultramarins, africains, caribéens, réunionnais. Or Godebert met déjà en place ce que Pivin va radicaliser, en faisant alterner les séquences parlées des dialogues entre les personnages, sans aucun fond sonore ou très rarement, avec des séquences musicales constituées d’authentiques documents prélevés dans la réalité africaine dont ils font entendre les voix, les rythmes, les instruments, les bruits de la nature, ou des moments privilégiés de fête et de rassemblement.

Pivin va ainsi concevoir ces objets hybrides que sont ses grands feuilletons radiophoniques, notamment À la poursuite des Maillots Noirs et Le Chevalier à la charrette, dans lesquels il systématise, à contre-courant des productions de l’époque, le principe de la juxtaposition des séquences parlées et des séquences bruitées : rejetant le mixage, il insère, entre les plages de texte qui restent majoritaires, les enregistrements de sons pour eux-mêmes dont l’isolement, souligné par les silences qui les introduisent et les concluent, intensifie et dilate l’expressivité.

Ces séquences qui s’autonomisent de la narration, que Pivin qualifie d’enluminures sonores [6], créent une profondeur de champ qui ne repose pas sur la superposition des strates sonores, mais à l’inverse sur le parti pris de ne faire écouter qu’une seule chose à la fois, de dissocier les écoutes. Elle se renforce du contraste avec le plan textuel, sa linéarité, sa logique causale, ses rails cognitifs. L’alternance de ces séquences en studio et hors studio, par la gymnastique qu’elle impose à l’esprit de l’auditeur, fait prendre conscience de la différence de ces modes d’écoute, constituant une sorte d’application en direct de la théorisation des écoutes schaefferiennes.

Le procédé finit par faire basculer la production, et le genre de l’émission : on a l’impression que la narration devient, à la fin des Maillots Noirs, pur prétexte à diffuser ces « objets sonores » autour desquels la trame se fait de plus en plus lâche, et qui déséquilibrent le feuilleton au profit du documentaire. Mais peut-être serait-il plus juste de dire que la visée des Maillots Noirs était d’emblée documentaire. Le feuilleton en effet se fonde sur le premier voyage de José Pivin au Mali et au Bénin, dont il rapporte une impressionnante collecte de vignettes sonores, répertoriées à l’INA : « Gao : Landrover sur tôle ondulée », « Ansongo : bruit de poissons et de vagues », « Mali : entre Gohsi et Gourma-Rharous », « Ambiance : Circulation sur la route de Porto Novo et marché de Sakété au Bénin », « Porto Novo n°2 : enfants et revenant », « Bourdonnements de roussettes, tam tam, marché de Cotonou », « Abomey : Tapisseries et feux de brousse »…

Pivin ne se lasse pas d’écouter et de capturer ses écoutes, afin de les transmettre, du même geste qui le poussait avant à diffuser les éléments de la culture algérienne dans laquelle il se frayait un chemin selon ses moyens. Le saisissement de l’oreille par ces sons « nouveaux » vis-à-vis desquels elle ne se sent pourtant pas « étrangère », et leur ressaisie grâce à l’enregistrement puis aux diffusions radiophoniques, semblent avoir été pour Pivin l’outil même de l’entrée sensorielle, moins affectée idéologiquement, dans les autres cultures. À la fois une manière de passer le barrage de la langue et des préjugés, d’entrer de plain-pied dans la réalité de l’Autre ; et une manière d’apporter cette expérience et cette plénitude sensibles jusqu’à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas voyager : il n’est pas fortuit que le feuilleton des Maillots Noirs mette en scène monsieur et madame Terril, devenus marchands de bois tropicaux par amour des parfums que dégagent ces arbres (dont l’acajou), mais qui « n’avaient pas foulé l’Afrique, car ils n’osaient pas, même les noms leur faisaient peur [7] ». L’intrigue permet de parcourir le territoire africain, tandis que Pivin déroule un récit quelque peu décousu qui puise largement à la réalité biographique puisque Sandar, le fils adopté par les Terril, est interprété dans l’épisode 1 par Sony Labou Tansi, « adopté » amicalement et familialement par José et Suzanne Pivin en 1973 : c’est le témoignage de Labou Tansi, long et très frappant, sur son arrivée en France, qu’on entend dans cet épisode liminaire.

De là découle la composition rythmique et chromatique très particulière des feuilletons de Pivin, où le geste d’insertion documentaire dans le tissu narratif, loin de chercher à se fondre, s’exhibe au contraire, rompant brutalement – politiquement, au sens que Rancière a conféré à ce mot – le rythme et la texture de l’échange verbal en studio pour imposer sa matérialité sonore, sa spatialité et sa temporalité propres. L’hétérogénéité des deux régimes est soulignée, revendiquée, dans un geste qui renverse la hiérarchie des genres. Ce qui était illustration devient la substance même du langage radiophonique, et la fiction bascule dans l’anecdotique. Ces ruptures répétées produisent à l’écoute un inconfort, assumé par Pivin qui s’amuse avec désinvolture, irrévérence, de l’incongruité qui troue la fiction : ainsi des séquences documentaires où on l’entend lui-même interroger ses interlocuteurs africains pour se faire expliquer les traditions et les agissements des tribus ou villages qu’il traverse.

À ce stade la production de Pivin met en place une esthétique du contraste et du déséquilibre, dont la radicalité vient problématiser le positionnement de l’auditeur : pas seulement sa position devant le son, mais aussi sa position idéologique, son échelle de valeurs et sa situation dans le monde. Pour reprendre la pensée de Rancière [8], les images sonores de Pivin agissent effectivement comme des « opérateurs de transformation », des « passages » d’une « scène » politique – c’est-à-dire de saisie sensible et intellectuelle, de structuration du monde – à une autre.

3. Les œuvres camerounaises ou le chant du document

Les trois grandes œuvres camerounaises se présentent comme l’aboutissement de cette démarche et d’une réflexion sur la nature du son et sa fonction. Avec Un arbre acajou, Opéra du Cameroun et le Transcamerounais, Pivin invente un objet radiophonique qui ne ressemble à aucun autre dans ces années-là, et dont on peut se demander s’il est au cœur ou aux limites du documentaire tant il en ébranle le cadre et en rejette les conventions – tout en travaillant à lui redonner sa pleine acception. De cet objet on ne saurait tirer aucune règle, car c’est d’abord un objet qui prend sa forme de son sujet même : en l’occurrence cette partie du continent africain. C’est pourquoi les aspects que j’en relèverai ne sont pas élargissables à un discours général sur le documentaire chez Pivin, mais concernent précisément ces trois pièces.

Le premier geste qui les caractérise est que le texte y tend vers sa disparition. Proportionnellement il occupe une place très réduite, qui va diminuant depuis Un arbre acajou jusqu’au Transcamerounais. Du documentaire, Pivin retire en premier lieu deux éléments principaux de ses objectifs informatif et didactique déclarés : les questions et les commentaires. Jamais Pivin ne se met en position d’expliquer à l’auditeur ce qui est livré à son écoute, refusant toute position de surplomb comme toute approche qui ne passerait pas d’abord par la saisie sensible, intuitive, phénoménologique (que produit ce son sur celui qui le perçoit et s’y adonne ?) du matériau sonore. C’est bien le contraire de l’approche guidée qui est en jeu : c’est dans la mesure où l’auditeur ignore ce qu’il écoute qu’il écoute, qu’il peut écouter, qu’il agrandit ses pavillons comme on écarquille les yeux pour mieux voir dans l’obscurité.

À la place des questions, Pivin travaille les bruits questionnants, dans un subtil dosage entre des motifs que l’auditeur peut identifier, qui lui servent de repères ou de porte d’entrée dans cet univers étranger, et des sons inouïs, non reconnaissables, qui irradient de l’impossibilité où est l’auditeur de les réduire à un schéma de compréhension : alors le son se déploie dans sa logique propre et recouvre les caractères concrets, physiques, dont les habitudes auditives le privent. Voici l’auditeur obligé de remonter à la source du son, se demandant quelle forme, quelle matière, quels usages peuvent donc produire une telle sonorité. Ainsi, par exemple, du soufflet du forgeron d’Opéra du Cameroun, ou de la scie d’Un arbre acajou. Le retrait de toute parole médiatrice a pour immédiat effet le transport et l’inclusion de l’auditeur dans une scène où il est contraint d’entrer, qu’il est contraint d’incorporer pour la comprendre : à cet égard, la séquence du conteur muet qui fait rire aux larmes les enfants, hommes et femmes de la communauté dans Opéra du Cameroun est exemplaire, autant que les événements qui jalonnent le voyage en train du Transcamerounais.

Dans ces documentaires de Pivin, il n’est pas question d’être guidé mais de se perdre. À cet effet l’auteur conjugue plusieurs procédés. J’en relèverai trois principaux. En premier lieu, l’absence de tout fil narratif, qui va à l’encontre des lois du genre, travaille avec l’ouverture maximale du cadre spatial. À aucun moment Pivin ne borne le regard en insérant ce qui ferait office de didascalies précisant les différents lieux parcourus. Et les très laconiques phrases qui ouvrent Un arbre acajou [9] et Le Transcamerounais [10] produisent même un effet de leurre : elles donnent l’illusion rassurante, au seuil de l’émission, que cette voix narratrice continuera sur sa lancée et accompagnera l’auditeur dans le périple. Il n’en est rien, et l’illusion est d’autant plus amère que ces précisions sont données pour mieux l’égarer : dès la fin de la dernière phrase, l’univers sonore se referme sur lui et le plonge dans l’inconnu qu’il a à charge d’apprivoiser, seul. Qu’importe qu’il soit dans la forêt tropicale d’Edea ou au Nord du Dahomey : il n’y voit plus rien et ne devra plus se fier qu’à son ouïe.

Ainsi le voyage advient-il vraiment, dans la mesure où le son ne vient plus désigner un objet ou un territoire mais devient le lieu même. Pivin ne travaille pas un son indiciel mais simultanément l’objet sonore et le fait sonore, pour reprendre la terminologie de R. Murray Schafer, qu’il parvient à rendre dans leur dimension réelle, c’est-à-dire toujours plus large, plus riche, plus complexe que ce que l’auditeur n’en peut saisir ou percevoir. À rebours du documentaire qui cherche à circonscrire sa question, Pivin opte résolument pour un son dont il met en scène la capacité à échapper à une écoute qui refuserait de prendre le temps nécessaire – c’est-à-dire toujours recommencé.

De ce point de vue, la prise de son joue un rôle essentiel, qui fait bouger l’audition du très proche au très lointain et ne cesse de se désaxer, créant littéralement un équivalent sonore à l’immensité, à la profondeur, à la mobilité de l’espace africain. Se substituant à l’histoire qui n’est plus racontée, le son devient narration, pleinement, à travers ses miroitements et ses énigmes.

Cette disparition du texte et de la linéarité d’une enquête se répercute sur le traitement de la temporalité. Un second procédé caractéristique des documentaires africains de Pivin est l’immersion de l’auditeur dans une temporalité longue. Au « pour écouter, il faut ignorer ce qu’on écoute » fait ici pendant un autre parti pris : « pour écouter, il faut écouter longtemps ». Dilater le temps, c’est dilater le son – et inversement. C’est aussi l’ouvrir à la multiplicité des événements, passés et présents, qui le constituent. Rien n’est plus efficace que les quarante minutes que dure l’abattage de l’arbre acajou. Derrière l’invraisemblable bruit de la scie qui s’efforce à grands ahans, ce sont les cent cinquante ans de l’arbre, sa poussée lente, son architecture fantastique, ses ramifications souterraines et les liens qu’il a établis avec les hommes, les animaux et son milieu – mais ce sont aussi la patiente et périlleuse constitution du savoir-faire des hommes, leur lent apprentissage d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, leurs rites, leurs alliances et leurs rivalités, qui se font entendre : rien de moins donc que la légende, ce qui est à lire dans le tronc d’un arbre, ou dans le son de ce tronc qu’on abat, ou dans le son des gestes de ceux qui l’abattent. Le temps d’écoute fait entrer dans la caverne du son, et lui redonne simultanément son histoire, son épaisseur, sa phénoménologie et son étrangeté irréductible.

À la question : « comment faire écouter un train pendant cinquante minutes ? », Pivin répond : en traitant les différentes facettes du son du train comme l’interviewer recueille la parole des gens dans la rue. Pivin et son preneur de son font ainsi entendre le paysage qui défile derrière les vitres, les banquettes où les voyageurs mangent et s’interpellent, les essieux, le ronflement du Diesel, le grincement des wagons, leur enfilade, les conversations à deux ou les voix se répondant à la cantonade, les échanges entre gens de la gare et voyageurs, les coups de sifflet, les klaxons de la motrice, le bruit de l’air entrant par les fenêtres, les boissons et les nourritures consommées à bord, les vendeurs de bananes, les altercations, les passe-temps, les explications du machiniste, ou encore l’ennui des heures du voyage ou la bigarrure sonore des places de marché… Et à l’intérieur de cette libre écoute déambulatoire, l’auditeur est lui-même libre de circuler, car le micro de Pivin est bien élevé, il ne pointe pas vers son interlocuteur, il n’est pas plus démonstratif que la voix narratrice absente. Il déploie. Les codes du documentaire valsent. Le travail de la forme se fait depuis l’intérieur du son.

Le troisième procédé majeur de cette production africaine est le traitement de la parole. Celle-ci intervient essentiellement de trois façons : par la voix de Pivin d’abord, qui, on l’a dit, ouvre la porte sur le monde à écouter en quelques phrases liminaires nommant un lieu, une année, et un désir (Le Transcamerounais) ou un objet (Un arbre acajou). Cette voix intervient pour assumer une éthique et une poétique du documentaire, elle les assume simultanément par sa présence comptée et par son retrait définitif aussitôt après l’annonce.

Par les voix, ensuite : si ces trois pièces sont dépourvues de récit, elles fourmillent de voix. Et il semble que dans cette notion de voix vienne se cristalliser le geste documentaire de Pivin. Car il n’écoute pas le monde selon une catégorisation qui distinguerait entre voix humaines, bruits de la nature, bruits mécaniques ; ni selon une hiérarchie qui classerait entre discours individuel/rumeur collective ; bruits proches/bruits lointains ; bruits identifiables/bruits innommables ; sons harmonieux/sons discordants, etc. Il l’écoute au contraire comme si tout son était voix.

Ce postulat n’a rien d’une vague posture. Il implique une politique (au sens large et fondamental du terme : organiser une co-présence dans la cité et entre cités), une esthétique, une dramaturgie. Qui dit voix, dit (au moins) présence (donc dialogue possible) ; altérité ; expressivité ; organicité. Qui dit voix dit aussi possibilité d’un chant, donc d’une forme de lyrisme. Qui dit voix dit encore harmonie possible. Mais que serait donc l’expressivité d’un train, d’un tronc ? L’organicité d’une mare ? Le chant d’une forêt ? La présence (le dialogue avec) du vent ? L’harmonie entre la scie et le tronc ? Quelle serait la voix d’un groupe, d’un village, d’une génération ? D’une immensité spatiale ? Écoutons Pivin : « Je suis un sonneur sans spécialité, cherchant à faire sonner mots et objets, pour les rendre capables de présence de vie, et capables de communiquer leurs inimaginables envies [11]. »

L’extrême sensibilité de Pivin aux qualités du sonore, sa capacité instinctive à saisir la rythmique de chaque lieu comme de chaque situation humaine, le conduit à doter la texture de ses documentaires d’un caractère essentiellement musical. La variété des langues et des usages de l’appareil phonatoire, l’infinie ponctuation des accents et des inflexions, la choralité des groupements humains, les gammes singulières de l’expression animale (éléphants, grenouilles, hippopotames, oiseaux…), la rythmicité et le son « juste » des techniques humaines (du bûcheron au musicien, du pilon à la pagaie), l’acoustique d’une topographie, enfin les répertoires et pratiques musicales elles-mêmes (vocales et instrumentales) dont la présence est structurante dans les trois pièces africaines : tous ces éléments sont unis par la pensée musicale de Pivin. C’est elle qui rassemble à la fois les motifs composites et les séquences autonomes de ces œuvres radiophoniques qu’une appréhension rapide pourrait juger décousues, dépourvues de structure. Elles nous semblent au contraire relever d’un même principe d’écriture et d’une même vision qui font ressortir le chant du monde et de la présence humaine par-delà leur infinie diversité. En ce sens, le motif unifiant du rire qui retentit partout et parfois comme son premier (ainsi de l’ouverture d’Opéra du Cameroun !), et qu’on suit comme un fil rouge dans ces trois œuvres, en dit long sur le regard que Pivin pose sur l’homme et la manière dont il se positionne dans ses voyages en terre « nouvelle mais non pas étrangère ». Mais l’ « opéra » du Cameroun n’est pas une métaphore, et le chant n’est pas seulement celui des hommes, loin s’en faut.

Un principe de composition, il en faut pourtant un autre qui soit plus apparent peut-être, sous peine d’égarer l’auditeur qui n’ose pas s’aventurer. Nous formulons l’hypothèse qu’il est pris en charge par la voix des comédiens qui proposent ce faisant un troisième type de traitement de la parole. À cette voix des acteurs, Pivin propose un régime d’insertion particulier. Il ne met en effet jamais les acteurs en position de lecture ou de jeu conventionnels (c’est-à-dire d’interprétation d’un texte existant préalablement dont les acteurs endossent l’énonciation comme si la parole émanait directement d’eux), mais en position de décalage assumé, à la fois du point de vue de leur interprétation et du point de vue des paroles prononcées. En fait, Pivin maintient dans les documentaires le même hiatus entre les paroles prononcées et les objets sonores qu’il l’avait fait dans ses feuilletons. Les voix des comédiens se tiennent dans une sorte d’indétermination assez virtuose entre vraie et fausse confidence, vraie et fausse conversation improvisée, vraie et fausse sortie poétique, bribes de récits volées ou à la commande, rires spontanés ou orchestrés, etc. De sorte que ce qu’ils disent est toujours maintenu à distance des objets sonores, comme les voix des acteurs de Rohmer le sont de leurs personnages. Pas d’identification, pas d’adhérence, pas de fiction. Rien qui viendrait orienter l’écoute. Dans Un arbre acajou, les phrases elliptiques égrenées au long de l’agonie de l’arbre [12] retentissent comme des contrepoints à la fois lointains (un langage étranger à l’arbre) et profondément reliés à ce qui se joue dans cet abattage, elles maintiennent un écartèlement entre les deux scènes qui réactive l’attention au bruit dominant et répétitif des coups sur le tronc. Les objets sonores ne sont jamais enrobés par une parole extérieure. Tout au plus cette parole vient-elle retentir à distance respectueuse, ouvrant l’espace d’un possible dialogue que l’auditeur est libre d’investir ou non. La pensée de Pivin s’inscrit comme un écho, elle ouvre un espace de résonance.

La seule exception à ce traitement apparaît exactement au centre d’Opéra du Cameroun, sous la forme d’un long texte dit par François Marthouret décrivant les effets atroces de la famine sur les hommes. Cette fois le décalage n’émane plus de l’interprétation du comédien, mais du montage qui fait se succéder ce récit de la famine avec la longue et splendide séquence de la fête et des tourbillons dansés de Rey Bouba. Ce trou noir au cœur des tableaux africains provoque un double effet de rupture qui scelle la cohérence du geste documentaire de Pivin. D’une part il coupe court, très fermement, au ton et au langage habituellement employés pour parler des famines en Afrique : le discours occidental, oscillant entre apitoiement et alignement de chiffres, est ici remplacé par le langage concret et imagé de la culture africaine, qui substitue aux clichés médiatiques les visions simples et inoubliables d’un fléau vécu de l’intérieur [13]. Jamais Pivin ne faillira à tenir cette ligne idéologique et poétique, refusant tant le jugement extérieur que la mise en avant de ses impressions personnelles. D’autre part, il court-circuite l’impression d’une Afrique idéale, idyllique, qui pourrait naître de la succession de ces tableaux sonores.

Force est donc d’admettre ce constat joyeux : au terme de son voyage au Cameroun, l’auditeur de Pivin ne sait rien, n’a rien compris, ne s’est rien fait expliquer. Il n’a pas été documenté. Tout au plus a-t-il tendu l’oreille, deviné, entraperçu, été embarqué, s’est-il abandonné. Il a été dé-routé. Pivin n’a pas du tout rendu l’Afrique proche ou compréhensible. Il l’a déprise des discours portés sur elle, des représentations nécessairement erronées qui la remplacent dans l’esprit des Européens. Il l’a rendue sensiblement présente, dans la plénitude de son altérité.

Notes

[1] À titre d’exemple, il n’existe pas de notice Wikipédia sur Georges Godebert, sur René Jentet, sur Kaye Mortley, sur Andrew Orr…

[2] La revue paraît tous les deux mois à Alger, le premier numéro date de janvier 1950, le dernier numéro, un numéro double 7-8, sort en février 1952. La revue est accessible sous la côte 8-JO-17124 à la BnF.

[3] José Pivin, Sahara : chants des Touaregs Ajjer, éd. Le Chant du Monde LDY 4160, 1955 ; et Au cœur du Sahara avec les Touaregs Ajjer, éd. Le Chant du Monde, LD-M-8239, 25 cm /33 t., cités in Études Touarègues, sous la direction de Salem Chaker, coll. « Travaux et documents » de l’I.R.E.M.A.M. (Institut de recherche et d’études sur le monde arabe et musulman), n°5, Aix-en-Provence, CNRS Universités d’Aix-Marseille, et ACCT Paris, 1988 (en ligne : https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers18-05/27334.pdf ).

[4] Polène est en réalité le surnom de la femme de José Pivin, Odile Meyer, qui produit et anime l’émission. Ces informations proviennent du précieux blog d’André Limoges : http://andrelimoges.unblog.fr/2010/02/21/lemission-enfantine-de-radio-alger/

[5] Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée, « Jean Rouch », RTF, production de José Pivin, diffusion le 29 juillet 1961, n° de notice INA : PHD89004597.

[6] Radio archives, « Cycle José Pivin, 1 : José Pivin réalisateur et auteur », France Culture, production Claire Chancel, diffusion le 11 septembre 1992, n° de notice INA : 00755118.

[7] À la poursuite des Maillots Noirs, premier épisode, France Culture, production José Pivin, diffusion le 1er octobre 1973, n° de notice INA : PHD99221577.

[8] Voir notamment Jacques Rancière, Le Travail des images. Conversations avec Andrea Soto Calderón, Dijon, Les Presses du réel, 2019.

[9] « C’était au début de mars en 1973, dans le Nord du Dahomey, avant les monts de l’Atacora. La région est forestière, plus particulièrement le long des marigots, ce jour-là à sec. Non loin du village de Pénisoulou, se dressait un arbre, âgé de 150 ans, 3m50 de diamètre aux contreforts » (Un arbre acajou, France Culture, production José Pivin, diffusion le 31 décembre 1975, n° de notice INA : PHD99225326.)

[10] « Avril 1976, Cameroun, dans la forêt tropicale, Edéa, l’après-midi, chaud et humide. Lumière grise. Le train vient de Douala sur la lagune devant la mer. Le train, voie étroite, quelques vieux wagons bondés, une matrice Diesel. Je voulais être secoué au même rythme que chacun. Se laisser conduire en même temps que tous dans la forêt, parler des pluies, s’offrir une banane ou une mangue, achetées à l’arrêt des villages. Franchir des ravins sur des viaduc, à 10 à l’heure, et, en se penchant, déborder sur le vide et les feuillages. Puis, la nuit arrivée, Yaoundé, la capitale. Changer de train. Et traverser les fraîcheurs du plateau de l’Adamaoua. Dormir. Respirer au milieu de souffles semblables, ballotés par les mêmes chaos, épaules serrées. Se réveiller sans se rappeler où l’on va, devant les épineux jaunâtres, sur un sol rouge. Boire le café d’une bouteille Thermos que promène un employé, et arriver le matin, à Ngaoundéré, au soleil qui domine les savanes brûlées du Nord » (Le Transcamerounais, France Culture, production José Pivin, diffusion le 18 août 1996, n° de notice INA : 00160676.)

[11] José Pivin : écoutes, hommage, ACR, France Culture, diffusion le 2 avril 1978, n° de notice INA : PHD99228976.

[12] « Pourquoi vouloir une fin ? Tableau fini, accord final. » // « La nuit étoilée sur les yeux, il n’avait pas peur de mourir. » // « Quand ma peau ne frissonnera plus au clair de lune, je serai bien morte. » // « Esclave de l’éternité. Et tout à coup la liberté ‒ se détache l’individu. » // « Comme un être que la terre ne retient plus, ne supporte plus. Oh, fin de mariage. » (Un arbre acajou, émission citée.)

[13] « […] Le trou du cul devient large comme un sac et on s’aperçoit que l’homme a une queue par derrière, comme un animal, un crapaud. […] Dans un village on a découvert des vivres chez un homme, un autre l’a tué. La famine a ensuite attaqué une jeune femme et la femme s’est avilie, elle a mangé des coques d’arachide et des saletés. La famine est allée trouver un homme qui s’est jeté dans une mare profonde pour se noyer. La famine s’est rendue à Pongola, et le boucher a mangé sa vache sans la tuer.  La famine a rendu les gens comme les ânes qui mangent de la crotte. Je l’ai vu, ils mangent la merde des enfants. […] » (Opéra du Cameroun, France Culture, production José Pivin, diffusion le 3 août 1976, n° de notice INA : PHD99225700.)

Auteur

Marion Chénetier-Alev est maître de conférences en études théâtrales à l’École Normale Supérieure d’Ulm, membre de l’UMR 7172 THALIM (CNRS). Ses recherches portent notamment sur les liens entre théâtre et radio, sur l’histoire sonore du théâtre, et sur l’histoire de la création radiophonique. Elle a publié avec Hélène Bouvier, L’Écho du théâtre : dynamiques et construction de la mémoire phonique, XXe-XXIe siècles (Revue Sciences/Lettres, n°5, 2017) ; « Les archives radiophoniques du théâtre : du théâtre pour les aveugles à un théâtre de sourds » (Revue Sciences/Lettres, n°6, 2019).

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Quelques réflexions autour du documentaire et sa difficulté d’être ici et ailleurs

Texte intégral

Toute grande entreprise a coutume d’installer – généralement dans lieux bizarres, combles, serres ou pavillons isolés- des laboratoires de recherche, banc d’essai, centres expérimentaux – centres plus ou moins marginaux, si l’on peut dire- dont il est attendu beaucoup mais dont on se défie toujours quelque peu [1].

Réfléchir à partir de la proposition « Désir de belle radio : documentaires » : un défi.

Si nous le relevons c’est que, depuis un certain temps, l’avenir d’une « belle radio » et de (beaux) documentaires nous semble incertain. Et ce pas seulement en France : dans beaucoup d’autres pays, les documentaires – surtout ceux dits « de création » – deviennent plus rares, se fabriquent dans des conditions plus contraignantes, disparaissent de la grille, parfois en même temps que le programme dédié, jusqu’alors, à leur production [2].

Mais comment répondre à un défi s’ouvrant sur un domaine vaste et obscur, semé d’embûches et hanté par le souvenir de jours (qui nous semblaient) meilleurs ?

Mon entrée en matière sera par les quatre mots clefs destinés à sous-tendre une réflexion qui, tout en restant fragmentaire, va tenter d’interroger l’état des choses à l’heure actuelle.

1. Désir

Curieusement – et peut-être seulement dans ce contexte particulier – c’est le mot désir qui est le plus facile à définir :

quelque chose auquel on aspire, vers lequel on tend (dit le Robert).

Pour le documentariste, le désir est une deuxième nature : désir d’arpenter des villes invisibles, d’écouter des mondes nouveaux, de les faire entendre en les écrivant avec des sons ne connaît pas de limites… alors qu’en même temps deviennent moins nombreux et plus étriqués les lieux où pratiquer cette écriture singulière ; des lieux qui « entendent bien » qu’écrire avec des sons est une activité qui prend du temps, beaucoup de temps ; et qui comprennent que le temps est le tribut qu’il faut payer au son capturé.

2. Beau

 Le poète dit :

Beauté c’est Vérité, Vérité est Beauté, – voilà tout

Ce que vous savez sur terre, tout qu’il vous faut savoir [3].

Mais le poète (John Keats) parle d’une forme de beauté, spécifique et codée – celle du classicisme grec – et le « beau » n’est pas une valeur absolue, empirique, immuable. « La beauté » est un concept abstrait, subjectif, variable, versatile, conditionnel, contingent, traître. En quelque sorte intraitable.

« Des goûts et des couleurs on ne discute pas », dit le proverbe.

Pour que quelque chose soit considéré comme « beau », il faut un contexte qui le reconnaît en tant que tel, qui désire qu’il le soit et qui est heureux de reconnaître qu’il l’est.

Il en va de même pour les documentaires.

Jusqu’à présent ce contexte « désirant » et (littéralement) « reconnaissant » a toujours été « la radio ». Mais si, un jour, cet espace n’existait plus – et on le craint par moments – quel « comble, serre, ou pavillon isolé » pourrait le remplacer ?

Faire « de la radio », c’est pratiquer un métier artisanal dont le savoir-faire est transmis sur le terrain, par des compagnons.

3. Radio

Ah ! Le comment, le comment !

Le comment c’est tout l’essentiel : les moyens techniques, les moyens financiers, certes, mais d’abord le moyen d’expression, la réflexion sur la radiophonie proprement dite, sur l’instrument radiophonique l’outil et la matière et la manière, sur les problèmes spécifiquement radiophoniques— son, forme, fond, texte, écriture [4]

« Avant »… c’est-à-dire :

avant la révolution numérique…

avant la démocratisation de l’outil permettant à tous de « faire de la radio » : (enregistrement, montage, mixage)…

avant, donc, le raz-de-marée de podcasts venu saturer un espace considéré, jusqu’alors, comme exclusivement « radiophonique »…

il fut un temps où on pensait savoir ce que le mot « radio » voulait dire.

Peut-être qu’on ne sait plus.

Si, parfois, nous oublions que les mots « radio » et « podcast » sont des métonymies (le nom de l’objet diffusé est remplacé par celui qui désigne le mode de diffusion), nous sommes obligés de constater que les mots « podcast » et « radio » sont en train de devenir interchangeables, synonymes.

Mais

est-ce que un « podcast » est « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » peut être « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » voudrait être « de la radio » ?

Est- ce qu’un « podcast » parle la même langue que la radio ?

Ou bien, est-ce qu’un « podcast » est « autre chose » ? (Nouvelle tentative pour s’emparer des ondes, par exemple ? Rappelons-nous les utopistes, les futuristes et les autres qui ont voulu le faire.)

Ou encore, (ce qui n’est pas impossible) est-ce qu’un « podcast » ne serait qu’une façon de faire, à moindres frais, quelque chose qui ressemblerait à « de la radio » ?

« Autre chose ».

Parfois, dans un forum comme celui-ci, on serait tenté d’oublier que la vocation première de la radio n’est pas la création mais la communication d’information rendue accessible au plus grand nombre, grâce à une ligne éditoriale séduisante. La diffusion de fictions et de concerts de musique (sous-produits de la grande culture « générale ») est assimilable à cette démarche ; alors que la création proprement « radiophonique » (pourtant mentionnée explicitement dans la charte de la plupart des radios d’état, dont Radio France) suscite rarement beaucoup d’enthousiasme de la part de ceux qui ont le pouvoir de décider de son sort. Destinée à un public minoritaire (« élitiste »), gourmande en moyens techniques (« chronophage »), de facture et de contenu variables (« suspecte »), la création sonore suscite toujours une certaine méfiance. Sa place n’est jamais acquise d’avance. Les espaces qui lui sont accordés s’acquièrent à un certain prix, et pas pour toujours.

Vous avez entendu le dernier programme de l’Atelier de création radiophonique tel qu’il a été conçu à sa création en octobre 1969. Une belle aventure prend fin aujourd’hui.

Je m’appelle René Farabet ; avec l’équipe de l’ACR et tous ceux qui nous ont accompagnés à travers le temps, nous souhaitons un bel avenir radiophonique à vous, auditeurs fidèles et exigeants [5].

Depuis des décennies se poursuit, ainsi, un jeu curieusement répétitif qui consiste à octroyer un espace « libre », destiné à la création, pour le reprendre quelques années plus tard [6].

Jeu de donner-pour-reprendre dont la forme (si, par hasard, on était effleuré par le désir de la dessiner) ressemblerait à celle de l’électrocardiogramme d’un cœur malade.

4. Documentaires

Domaine infini du vécu à saisir… désorganisation des structures brutes… organisation de l’en vrac du spontané [7]

En cherchant du côté des origines étymologiques du mot « documentaire », on trouve une définition bien plus austère que celle proposée par Alain Trutat. Du latin documentum (« modèle, exemple »), lui-même dérivé de docere (« montrer, faire voir, instruire »), le mot « documentaire » sert à désigner tout « objet » qui « documente » un « sujet » traitant d’un certain aspect du « réel ».

Quel que soit le sujet, la forme, ou le support, un documentaire se doit d’informer

Cousin germain du reportage (censé être « objectif »), le documentaire s’en distingue. Derrière le reportage se cache un « rapporteur », un porte-parole ; derrière le documentaire se révèle un auteur (et son imaginaire) dont la présence sera plus ou moins affirmée selon le type de documentaire qu’il voudrait faire et l’attente du programme auquel l’émission est destinée. Et la gamme-vaste- s’étend depuis « le-court-moment-de-réel-brut-à-peine-monté » jusqu’à ces documentaires dits (sans doute faute d’avoir trouvé mieux) « de création ».

Mais quelle que soit sa forme, faire un documentaire est toujours une entreprise hasardeuse. À partir de sons « sauvages » – et tout son capturé, déplacé de son environnement normal, devient « sauvage » – l’auteur aspire à créer un univers. Et, pourtant, le documentaire est souvent considéré comme le parent pauvre de la famille radiophonique – paradoxalement parce qu’il est composé de quelques sons « réels ». Il n’a pas les titres de noblesse de la fiction ou de la musique, pas l’authenticité du journal parlé, ni l’utilité d’un bulletin météo : il n’est pas traité avec les mêmes égards.

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Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue pas une jambe

disait Apollinaire [8].

Quand on me demande quel est mon métier, je dis que « je fais des documentaires ».

Je ne sais pas si c’est tout à fait vrai.

Il est vrai que mes « documentaires » traitent du monde réel – mais seulement d’une certaine façon ; que mes « protagonistes » sont des gens ordinaires, souvent anonymes ; que je partage avec le genre documentaire un certain goût pour cette banalité qui caractérise le réel (le réel est essentiellement banal) que je décline en moments discontinus composés de bribes de voix et de sons, toujours « naturels » – mais découpés, déplacés, mixes, sur-mixés…

Mais il est vrai, aussi, que loin d’informer, mes soi-disant documentaires – et ceux de beaucoup d’autres « documentaristes » – ne tiennent pas seulement à « informer » ; ils voudraient surtout faire rêver, transporter l’auditeur ailleurs, dans un espace-temps « autre ». Leur point de départ est rarement un sujet à documenter ; c’est une intuition, un détail. Le « sujet » se révèle fugitivement, progressivement, au fur et à mesure que la matière sonore se travaille. Le sujet est contenu dans le son. C’est le son qui va déterminer le sens. C’est le son qui est (en quelque sorte) le sens. « Le sujet », en fin de compte, sera probablement très peu de chose, du « presque rien » : quelques moments de « sensation vraie » (selon la phrase de Peter Handke).

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Suite à des études de littérature française en Australie et en France, j’ai entamé – par hasard et avec un enthousiasme teinté d’innocence – une carrière à l’Australian Broadcasting Corporation. Je ne savais pas ce que « faire de la radio » voulait dire : je n’avais jamais été effleurée par le moindre désir d’en faire (bien que la radio m’ait accompagnée le long d’une enfance un peu solitaire, passée à la campagne).

À cette époque, l’ABC était « une radio de service » dont la mission (explicite) était de « vaincre la tyrannie de la distance » qui régnait sur un continent immense peuplé de 8 millions d’habitants. Le signal sonore était fort, et les formes épurées ; des sons et des voix traversaient les airs en lignes droites.

Dans mon souvenir, c’était assez beau.

Mais l’ABC était aussi une radio qui portait la trace – les stigmates ? –de ses origines. C’était une « radio colonisée », une copie conforme de la BBC – jusqu’à la moindre inflexion de chaque

voix.

Cela paraissait étrange, même à l’enfant que j’étais alors.

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Tout ce qui est sonore aujourd’hui s’étouffe, a besoin de reprendre un peu d’air pour survivre, à la façon des oiseaux […]

En occident nous avons perdu l’oreille et c’est dire que nous sommes aveugles. Nos yeux s’arrêtent sur les objets mesurables et c’est dire que nous sommes sourds.

Il nous faudrait […] savoir que nos œuvres les meilleures s’inscrivent toujours dans le vent des sables [9].

******

Quand je suis arrivée à l’ABC pour y travailler, des années plus tard, tout avait changé. Les anciens moules étaient en train de craquer. Ça sentait la marihuana dans la rue et la révolution dans le studio. Partout – sur les murs et sur toutes les lèvres- le même mot d’ordre :

« à bas la colonisation culturelle ».

Le désir de « belle radio » était très fort. Et pour que la radio fût « belle » il fallait qu’elle parle notre langue.

La lutte idéologique s’est dédoublée (c’est souvent le cas) d’une dimension esthétique : le désir de trouver/ inventer/ posséder/ savoir manier un langage radiophonique qui soit vraiment à nous.

Paradoxalement, ce désir nous a amenés ailleurs.

Nous avons décidé d’écouter et d’analyser des créations radiophoniques provenant d’autres pays ; nous voulions entendre d’autres voix, d’autres formes, d’autres types de syntaxe sonore.

Ce sont les émissions de l’Atelier de création radiophonique de France Culture – de facture si différente d’autres formes radiophoniques croisées jusqu’alors – qui ont retenu mon attention : écheveaux de paroles et de sons d’où jaillissaient des mondes invisibles, des histoires racontées autrement, qui résonnaient ailleurs, quelque part au-delà de la parole.

Une façon d’ « écrire sur bande magnétique », disait Alain Trutat.

Et, c’est ainsi, en écoutant ces émissions singulières, que j’ai commencé à comprendre que le son pouvait être un langage à part entière, avec une syntaxe qui lui est propre.

Un langage dont toute tentative de transcription (autre que la trace qu’il laisse en nous) était vouée à l’échec.

Un langage écrit dans le vent des sables. Langage à jamais « étranger ».

Langage qu’il faudrait laisser dire ce que lui seul sait dire.

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Son lavé, détaché de tout code, de toute convention psychologique. Pour.

Eternel rapport fond et forme et matière- la matière du son, élémentaire, nue, germinative.

Dire entre les lignes, entre les mots, le silence [10].

Notes

[1] Alain Trutat, « L’Atelier de création radiophonique », Cahiers d’Histoire de la radiodiffusion, n°92, avril-juin 2007, p. 197.

[2] L’Australian Broacasting Corporation (ABC) ; Danemarks Radio (DR) ; l’Italie (RAI) ; l’Espagne (RNE), les pays de l’ancienne Yougoslavie (dont surtout la Croatie, grande réalisatrice de documentaires de création) ; Yleisradio (Finlande) où les deux services de documentaires (de langue suédoise et de langue finnoise) ont disparu…

[3] John Keats, « Ode sur une urne grecque », dans Poèmes et Poésies, traduction Paul Gallimard, Paris, Mercure de France, 1910, p.148-149.

[4] Alain Trutat, op.cit., p. 198.

[5] Propos de René Farabet qui précèdent la diffusion de L’ingénieux maçon Lucio, de Cascante, Atelier de création radiophonique n°1399, diffusé sur France Culture le 30 décembre 2001. Enregistrement conservé à l’INA.

[6] Voir, par exemple, La radio d’art et essai après 1945, et La Radio après le Club d’Essai, Fabula, https ://www.fabula.org

[7] Alain Trutat, op. cit, p. 201.

[8] Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, préface, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. 865.

[9] François Billetdoux, Dans le vent des sables, texte sur la Radiophonie écrit au moment de la première diffusion de l’ACR, le 3 octobre, 1969. Disponible à la BnF.

[10] Alain Trutat, op. cit, p. 200.

Liste des sons

1. Le Transcamerounais (extrait), par José Pivin, dans Prix Italia 1977, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 23 octobre 1977. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’06.
2 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille, dans La Radio et les escargots, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 10 juillet 1973. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 5’50.
3 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille (2e), même source. Durée : 5’00.
4. Phil Niblock : La Musique a besoin de temps, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 20 octobre 1996. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’35.
5. Corbeau australien, enregistrement Kaye Mortley. Durée : 1’40.
6. Skye Boatsong, radio scolaire, archives Australian Broadcasting Corporation, date inconnue. Durée : 1’44.
7. Le voyage, par Kaye Mortley, France Culture, L’Expérience du 20 octobre 2019. Durée : 2’48.
8. India Song de Marguerite Duras, de et par Georges Peyrou, France Culture, Atelier de création radiophonique du 12 novembre 1974. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 3’30.

Auteur

Kaye Mortley, d’origine australienne, a fait des études de littérature française à Sydney (licence), Melbourne (master) et Strasbourg (doctorat), puis enseigné un temps à l’université avant d’intégrer le département « Fictions et documentaires » de l’Australian Broadcasting Corporation (ABC). Installée à Paris en 1981, elle produit des documentaires sonores pour l’ACR et d’autres émissions de France Culture comme Nuits magnétiques, Surpris par la nuit, L’atelier de la création ou (tout récemment) L’Expérience, ainsi que pour diverses radios d’État en Europe (Allemagne, Belgique, Finlande, Suisse), tout en gardant des liens avec l’ABC. Citons quelques œuvres à redécouvrir, parmi celles diffusées sur France Culture : Là-haut, le Struthof (ACR, 1995, version courte 1998) ; Une famille à Mantes-la-Jolie (ACR, 2000) ; Retour en Australie, série de 5 petites séquences sur les lieux de son enfance dans l’immense plaine de l’Ouest australien : « Le Train », « L’Aube », « La Route  », « L’École », « Le Soir » (Résonances, 2001) ; Dans la rue (Le monde en soi, 2005) ; La ferme où poussent les arbres du ciel (Les Passagers de la nuit, 2011, trois épisodes ; autre version dans L’atelier de la création, 2013) ; Thèbes: ville fauve, ville noire – the road movie (L’atelier de la création, 2011) ; Si je perdais mes oreilles… je deviendrais aveugle (L’atelier de la création, 2014). En 1989, sollicitée par Phonurgia Nova, elle se lance pour quelques décennies dans l’animation d’ateliers de « documentaire sonore de création », ateliers mêlant théorie et pratique de l’écriture sonore, dont témoigne un ouvrage collectif paru en 2013 sous sa direction, La Tentation du son (Phonurgia nova éditions). Des prix internationaux (Futura, Europa, Italia, IRAB, grand prix de la SCAM) ont salué la qualité de son travail à plusieurs reprises.

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Trois portraits : Élise Andrieu, Sophie Simonot, Marc-Antoine Granier

Échange avec trois auteurs de documentaires sur leur venue à la radio et leur pratique du documentaire de création. 

1 Préambule (Christophe Deleu, Irène Omélianenko)

2. Présentations des auteurs par eux-mêmes

2.1. Sophie Simonot

2.2. Marc-Antoine Granier

2.3. Élise Andrieu

3. Écoute et commentaire d’œuvres

3.1 Sophie Simonot, Vous êtes bien chez Sophie (2018)
3.1.1. Extrait

 

3.1.2. Commentaires

3.2. Élise Andrieu, Variations sur la beauté (2017)
3.2.1. Extrait

3.2.2. Commentaires

3.3. Marc-Antoine Granier, Ville souterraine (2019)
3.3.1. Extrait

3.3.2. Commentaires

4. Question sur l’enjeu politique de leurs documentaires 

Élise Andrieu : donner à entendre des choses qui font progresser l’humain, à partir de l’intime et du sensible.
Sophie Simonot : tout ce que je fais n’est pas à mettre sur le même plan.
Marc-Antoine Granier : avoir un point de vue, c’est politique.

5. Question sur leurs conditions de travail

Sophie Simonot : quand on est dans une démarche d’auteur, tout prend beaucoup de temps.
Élise Andrieu : c’est en m’inquiétant le moins que j’ai le plus d’énergie et d’idées.
Marc-Antoine Granier : il y a moins de place pour la création sonore sur les antennes publiques ; et pourtant je crois encore beaucoup au besoin de l’écoute collective.

Auteurs

Élise Andrieu produit des documentaires radiophoniques depuis une quinzaine d’années pour France Culture et Arte Radio. Citons ici En vie, une série en 9 épisodes sur Arte Radio en 2014, Variations sur la beauté dans La série documentaire sur France Culture en 2017 (mention spéciale pour les épisodes 2 et 4, « Splendeur de Notre-Dame » et « Le syndrome de Stendhal »), La lumière (2019) et Parmi les oiseaux 1 (2018) et 2 (2022), dans Les Pieds sur terre (France Culture). Élise Andrieu a à cœur de transmettre les histoires et les sons qui la touchent profondément, afin de donner à entendre l’infinie richesse de l’humain, dans toute ses singularités.

Sophie Simonot est auteure de documentaires radio/télé depuis 20 ans, reporter pour diverses émissions comme Là-bas si j’y suis, l’émission de Daniel Mermet désormais sur internet (la-bas.org) et Les Pieds sur terre (France Culture), et pour Arte Radio. Elle est l’auteur notamment de la série Vous êtes bien chez Sophie proposée sur Arte Radio en 2018 (le portrait d’une génération composé à partir des messages laissés par ses amis sur son répondeur téléphonique de ses 19 à 40 ans) et de La séparation, chronique de la vie d’un couple sur 25 ans, de son mariage à sa séparation et dix ans après cette séparation, en 7 épisodes de 28 minutes diffusés dans Les Pieds sur terre en 2020. Elle a également créé Le Son de ta Voix, où elle réalise des biographies radiophoniques pour les particuliers.

Marc-Antoine Granier est compositeur et réalisateur radio. La création radiophonique est pour lui une affaire de curiosité, de mélanges des genres et d’influences multiples. Depuis plusieurs années, ses œuvres sonores et radiophoniques entrent en résonance avec l’univers urbain et tout ce qui a trait à notre « urbanité ». Parfois à la marge, les récits ou les sons qu’il recueille, volontiers insolites, font évoluer ses créations entre documentaire, écriture poétique et narration musicale. Parmi les pièces (au sens musical) qu’il a produites pour des radios, citons : Entre les mères (France Culture, 2015), Total désir (France Culture, 2018), Ville souterraine. Подземный город (RTBF, 2019 ; Prix Phonurgia Nova 2019), 23 Nuits. Poésie urbaine du fragment nocturne (France Culture, 2021). Citons aussi La pièce s’appelle Nightbird (GrainZ / École Estienne, 2021), pièce sonore tirée d’un travail collaboratif et expérimental avec la prestigieuse École Estienne. Site personnel : marcangranit.com.

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La formation au documentaire au CREADOC

1. Présentation (Christophe Deleu)

 

2. Quelques mots sur le CREADOC, formation universitaire à l’écriture documentaire depuis 30 ans, ses étudiants et ses anciens

 

3. Quelques mots sur mon parcours radio

3.1. De Là-bas si j’y suis à C’est bientôt demain

 

3.2. Mon père, mon grand-père, mon frère… la radio dans mon histoire familiale

 

4. Ce que je fais avec les étudiants du CREADOC

4.1. On m’a recruté pour faire de la radio d’intervention

 

4.2. L’apprentissage par le faire

 

4.3 Le but : donner au secteur de la radio en plein essor des auteurs, réalisateurs, producteurs formés aux savoir-faire de Radio-France

5. Exemple de travail étudiant : Vie de chantier, par Ella Bellone (2021)

6. Questions-réponses

6.1. Sur l’importance de maîtriser les aspects techniques de l’écriture documentaire

 

6-2. Sur la formation au CREADOC : information sur les aspects financiers des métiers de la radio, exercices proposés, origine des étudiants

 

6-3. Sur les créations de radios de quartier avec/par des étudiants du CREADOC

Auteur

Maître de conférences associé à l’université de Poitiers, Antoine Chao est responsable pédagogique du Master 1 « Écriture et réalisation documentaire » (ERD) du CREADOC, installé à la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image à Angoulême. Il est aussi réalisateur et producteur à Radio France et membre de la commission sonore de la SCAM.

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À la radio, « on n’y voit rien »


On croit souvent que l’image est réservée à l’art pictural, cinématographique ou photographique, et qu’elle est étrangère à la radio. Mais ce qu’un matériau visuel peut renfermer de sonore se révèle et se manifeste tout autant dans la parole, le son et les silences, il suffit de changer d’outil. À travers plusieurs exemples, puisés dans la mémoire de la radio et de ses propres travaux, Simone Douek, auteure de radio à France Culture, explique comment la notion de mise en scène est primordiale pour faire percevoir le non sonore. Il est question ici d’art et de paysage, et de la manière dont on peut écouter des images et en faire des objets sonores.

We tend to think that visual objects are the sole preserve of painting, cinema or photographic art, and that they are alien to radio. Yet an image’s “sonority” may also be revealed and expressed in speech, sound and silence simply by switching the medium. Simone Douek, a writer and director of documentaries for France Culture, draws on her own experience of listening to the radio and her work to illustrate the importance of the concept of mise en scène in conveying this soundlessness. Art and landscape are Douek’s two main themes, together with how we can listen to images and transform them into sound objects.


Texte intégral

Certaines situations radiophoniques semblent des apories. Comment faire entendre un tableau accroché à un mur, un sourire énigmatique, des montagnes qui se dessinent sur l’horizon, un panneau annonçant l’entrée d’une ville, une friche au milieu d’une rivière, un film muet qui défile sur un écran ? On se trouve devant cette contradiction de vouloir faire entrer dans un creuset sonore et invisible une image réelle qui se déploie devant nos yeux.

Pourtant j’insiste, je pousse la contradiction : être à l’écoute du muet, déplier ; imaginer sa sonorité… mettre en mouvement une image fixe… tendre à la création d’un objet esthétique.

Bien que je sois attachée à la richesse de l’univers sonore, j’ai mis en œuvre de nombreux documentaires en partant d’une première impression visuelle, guidée par l’attirance qu’exercent sur moi une œuvre d’art plastique ou la contemplation d’un paysage. Dans le premier moment du regard il y a parfois, l’espace d’un instant, une surdité passagère, tant notre attention se fixe et s’attache à l’objet regardé.

Pourtant, paradoxe, une perception visuelle peut être source d’une œuvre sonore ; une situation visuelle échappe à sa nature, s’ouvre à la radio, trouve une voix. Elle se transpose, et nous rappelle que le son est omniprésent dans notre perception du monde.

Me revient toujours cette exclamation des surréalistes — citée par Pierre Descargues quand j’ai enregistré avec lui une série d’entretiens pour À voix nue : les surréalistes considéraient l’œuvre de Paolo Uccello comme un des sommets de la peinture, ils la portaient aux nues, et quand ils arrivaient au premier étage du Louvre, avant même d’avoir pénétré dans la galerie italienne, ils disaient entendre le fracas des armes, les cris des hommes, le hennissement des chevaux et le claquement de leurs sabots sur le sol. Ils parlaient de La bataille de San Romano dont le vacarme envahissait la grande galerie et effaçait toute autre perception sonore.

Un éclat surréaliste : faire surgir le son d’une image fixe — d’une image qui ne reste donc que temporairement une image muette.

De tout sujet, de toute perception, jaillit le son ; de toute surface ou ronde bosse qui ne parle pas, émerge la parole.

Une surface destinée au regard et d’abord offerte au regard se met à vivre en se laissant apprivoiser par des mots et des sons — pourrait-on dire se laisse couler et transformer en mots et en sons. C’est une sorte de renversement, de jeu, d’exercice de style, de défi à l’insonore pour faire percevoir une couleur, une texture, une architecture, mais en empruntant d’autres chemins qui nous font sortir de la couleur ou du dessin pour aborder l’art autrement.

Rien n’est magique cependant, et puisqu’il s’agit de créer un moment radiophonique, on ne reste pas longtemps dans la simple contemplation a-sonore d’une œuvre muette, collés dans la fascination d’un objet. C’est le pouvoir de la parole qui, telles les lettres inscrites sur le front du Golem, donne vie, anime une surface plane et muette, en faisant de surcroît naître une autre dimension qui dépasse la simple description d’un tableau.

Devant l’œuvre

Uccello, à nouveau, et la Bataille de San Romano. Au Louvre, avec le murmure ou la rumeur des visiteurs qui passent dans cette grande galerie italienne, quelqu’un se tient devant la toile, debout, c’est un historien de l’art, Pierre Sterckx. Nous l’avons amené là et nous sommes avec lui, micro et perche tendus vers sa parole, et vers ce qui émerge de ces cavaliers, de ces chevaux, de ce tumulte évoqué à l’instant.

Ce jour-là c’est d’une parole que ressort le tableau, qui est pour ainsi dire jeté à notre écoute. Truculence, souffle et mouvement de la composition guident de manière mimétique l’énergie et les mots du regardeur, et sa parole à son tour devient lances, éclat des armes, perspectives vertigineuses, pastilles dorées qui ornent les parures des chevaux ou mazzocchi qui coiffent les combattants.

Mais ce n’est pas une description minutieuse qu’il nous offre, car celle-ci finirait par nous perdre dans ses méandres ; ce n’est pas un tracé au pantographe, qui nous ferait oublier l’objet de son discours et sans doute le rendre ennuyeux et réducteur. Diderot, qui était loin de se poser des questions radiophoniques, a, dans ses critiques de salon, cette formidable intuition qui s’applique à nos arts sonores : trop de description nous éloigne de l’objet, peut nous le rendre illisible, voire invisible. En parlant d’une Ruine de Hubert Robert, Diderot se laisse d’abord — volontairement et ironiquement — glisser dans la description méticuleuse de l’œuvre. Puis il arrête l’exercice :

Plus on détaille, plus l’image qu’on présente à l’esprit des autres diffère de celle qui est sur la toile. D’abord l’étendue que notre imagination donne aux objets est toujours proportionnée à l’énumération des parties. Il y a un moyen sûr de faire prendre à celui qui nous écoute un puceron pour un éléphant ; il ne s’agit que de pousser à l’excès l’anatomie circonstanciée de l’atome vivant [1].

Ainsi à la radio : il faut alors plutôt parler de stylisation.

Ce jour-là, c’est à l’enregistrement, et avec une grande simplicité de moyens, que va s’opérer le basculement d’un art à un autre. Regarder, et dire. Les paroles dites devant la toile la restituent, et surtout transforment le support de perception ; une œuvre peinte pour le regard se métamorphose en œuvre parlée pour une écoute sans la toile. La force du personnage, qui vit et bouge et parle au diapason de la toile, la fait tourner pour nos oreilles comme un carrousel de personnages en bois rendus vivants par l’enthousiasme de celui qui regarde et transmet, anime la perspective et les couleurs en passant de l’art de Uccello à l’art moderne, et voici que surgissent tout à coup Mondrian et Muybridge. En quelques séquences, il nous mène au déchiffrage d’un rébus, son explication devient un polar, avec un jeu de questions-réponses qui nous porte et nous accroche à sa démonstration — parce que simplement nous entendons le tableau.

J’ai aimé placer beaucoup d’interlocuteurs dans cette situation d’enregistrement, tant il est vrai que la confrontation avec l’objet réel, si on ne le voit pas à la radio, porte la parole et la force à dire l’extrême. Elle nous offre une écoute sensible, tournée vers l’intérieur de l’objet. Parmi d’autres, Philippe Dagen auscultant Bacon au centre Pompidou, Humpfrey Wine dans la salle consacrée à Claude Lorrain à la National Gallery, Sébastien Allard analysant les toiles d’Ingres au Louvre. Mais il y a aussi d’autres sortes de documents : Élisabeth Badinter, déchiffrant les lettres manuscrites de Julie de Lespinasse ou d’Émilie du Châtelet à la BNF, a offert à l’écoute la richesse et l’épaisseur d’une matière retrouvée. Les archives muettes déchiffrent des œuvres muettes, et leur rendent la parole. En feuilletant, au British Museum, le Liber veritatis de Claude Lorrain, qui était à la fois un travail préparatoire à ses toiles et une preuve de propriété intellectuelle de ses œuvres, j’ai vu la main du peintre tracer le dessin, j’ai senti son souffle, j’en ai jalonné l’émission par de brèves notations parlées.

Sans l’œuvre

À l’inverse, j’ai exploré un certain nombre d’œuvres de peintres de la renaissance italienne sans autre support que des reproductions, faute de missions autorisées en Italie. Attirée de l’un à l’autre par capillarité, par la soif peut-être de recomposer une grande toile sonore de ces artistes, je les découvrais aussi comme une promesse future d’aller les retrouver un jour dans leurs musées ou leurs chapelles. Je travaillais sur ces peintures ou ces sculptures en me trouvant à peu près dans la même situation que les auditeurs, qui ne pouvaient à l’instant de la diffusion compter que sur leur perception sonore, ou sur leur mémoire de ces images.

Mais était-ce vraiment une lacune ? Je me souviens, enregistrant une Matinée des autres sur le Golem, avoir confié à Marc-Alain Ouaknin (qui intervenait dans l’émission) mon regret de ne pouvoir aller à Prague. Il me raconta alors l’histoire d’Éliézer qui, ayant rêvé trois fois qu’un trésor l’attendait sous une arche du pont de Prague, prit son baluchon et se rendit à la ville qui était à trois semaines de marche de chez lui. Il ne trouva rien sous le pont, mais le garde qui l’observait, à qui il avait fini par promettre de partager le trésor, se moqua en éclatant de rire. « Si on devait croire tous les rêves… » Ainsi, le dernier qu’il fit trois nuits de suite, lui soufflant qu’il devait vite se rendre chez un certain Éliezer, car sous sa cuisinière se cachait un trésor…

Plus proche de l’art et de sa perception, je pense à la démarche d’Aby Warburg qui, cherchant la vérité d’une œuvre, ne retournait pas à l’original, mais préférait se servir de sa représentation dont il captait une autre dynamique ; pour ses conférences, il faisait s’entrechoquer des images en les agrafant sur de grands panneaux — dont la mémoire est gardée dans son atlas Mnémosyne —, où se côtoyaient reproductions de gravures, peintures de la Renaissance italienne et photographies contemporaines — questionnant pour lui « la représentation de la vie en mouvement, un certain nombre de valeurs expressives préexistantes », comme il écrivait. Pour prolonger d’une certaine façon la pensée de Warburg, on peut aussi songer à Vertov qui considérait le réel comme peu digne d’intérêt, mais que seul le cinéma avait la vertu de ranimer, en l’interprétant de manière construite dans l’œuvre cinématographique par le montage et le choc des images.

Évoquer une œuvre d’art sans la contempler en face, ou sans en avoir la reproduction sous les yeux, attire davantage l’attention sur le caractère non visuel de l’art sonore, sur le fait que la radio révèle autrement une œuvre d’art, soulignant une fois de plus le pouvoir du sonore à rendre compte du non sonore.

Entrer chez l’artiste

Que l’œuvre soit reproduite ou réelle, il faut lui donner vie, trouver, par exemple, le moyen d’entrer chez l’artiste : de même que les personnages de Paul Grimault sortaient du cadre de leur tableau pour se rejoindre, de même que Sherlock Junior sortait de l’écran du film de Keaton pour rejoindre la spectatrice dont il était amoureux, de même pour nous il s’agit d’enjamber le cadre, mais à l’inverse, pour entrer dans une œuvre, et ce n’est pas dans une prison qu’on s’enferme mais au contraire dans un espace qui s’élargit et nous entraîne dans l’univers de l’artiste.

Si on peut souvent s’arrêter devant une peinture ou une sculpture en exploitant tout ce que les musées proches nous offrent (ce qui fut le cas pour Uccello), il faut souvent inventer des voyages fictifs, cheminements ou récits d’expériences offerts par des textes : nous sommes partis rejoindre l’œuvre de Piero della Francesca par un chemin caillouteux, en pleine campagne toscane, sous la chaleur d’un soleil d’été, et nous avons suivi les pas de celui qui écrivait ainsi son approche de la chapelle où était conservée la Madonna del parto — un texte lu par un comédien. Parfois, la recherche d’une mise en scène nous fait découvrir qu’on peut transposer un lieu en créant une métaphore architecturale et picturale : ce n’est pas à Fiesole ni à Florence que nous avons retrouvé Fra Angelico, mais un couvent de Dominicains à Paris est devenu le décor de l’évocation de l’artiste, et le hasard heureux de la situation documentaire nous a fait rencontrer de surcroît un Frère dominicain, pensionnaire de ce couvent, peintre, vouant une admiration sans borne à celui qu’il disait être son maître. Car la parole des artistes contemporains est très riche d’échos des œuvres de leurs prédécesseurs dans lesquelles ils se coulent. Gérard Garouste a plongé dans l’univers de Giorgione, Jean-Paul Marcheschi a suivi les regards et les lumières de Piero della Francesca ; les artistes contemporains aiment aussi traquer les gestes de ceux qui les ont précédés de plusieurs siècles, tant le mouvement et le geste font partie d’un langage universel qui lie toutes les époques. Cette surimpression d’un geste sur tant d’autres peut finalement trouver son expression sonore : c’est par le contemporain qu’on peut remonter le temps, déchiffrer peut-être par la parole ce genre de mystère. Vladimir Velicovic, pensant à sa propre gestualité devant ses toiles, entre dans le mouvement intérieur de Bacon, et nous le fait percevoir.

Regard sonore

J’ai retrouvé, dans un de mes cahiers préparatoires aux émissions, une phrase de Francis Ponge, écho inattendu à mes préoccupations : « La contemplation des beautés produit une sorte d’engorgement que peut seule résoudre la parole prise [2] ».

Dans le même ouvrage, on trouve aussi une réponse de Ponge à une enquête radiophonique sur la diction poétique :

Vous savez ce qui me porte, ou me pousse, m’oblige à écrire, c’est l’émotion que procure le mutisme des choses qui nous entourent. Peut-être s’agit-il d’une sorte de pitié, de sollicitude, enfin j’ai le sentiment d’instances muettes de la part des choses, qui solliciteraient de nous qu’enfin l’on s’occupe d’elles et les parle… 

À point nommé… Ponge est au cœur de ce paradoxe apparent de faire parler le non sonore. Ce que dit cette phrase de Ponge est primordial, comme si elle notait que l’essentiel est dans les mots, donc pour nous dans la parole, le son, que les choses se résolvent en son, éclatent en son. Pour pousser plus loin, on pourrait dire que la parole relègue au second plan la fascination de l’image.

Cette phrase était écrite parmi d’autres notes qui devaient construire la réflexion, pour un documentaire que je préparais, et qui s’appelait « Le non-spectacle et le pas-beau ».

Je me permets un petit glissement en passant : pour moi, ce n’est pas de beauté qu’il faut parler à propos du documentaire, mais plutôt d’objet esthétique fabriqué, construit, afin qu’il émerge à partir d’une écriture particulière. Je cite Gérard Farasse, qui intervenait dans l’émission :

Le pas beau me convient tout à fait parce que si on s’intéresse au beau on s’intéresse souvent à l’académisme du beau, c’est-à-dire à ce qu’il est convenu d’appeler la beauté et on est à peu près sûr de se tromper ; et qu’il faut aller au contraire dans l’autre sens, c’est-à-dire s’intéresser à ce qui n’apparaît pas immédiatement comme beau pour pouvoir découvrir une beauté qu’on n’a pas encore vue. Donc le pas beau ça me semble une notion porteuse, esthétiquement [3].

Pour cette émission de Surpris par la nuit, « Le non-spectacle et le pas-beau », il était encore question d’images muettes. Celles-ci étaient contemporaines : c’étaient des photographies de Philippe Bazin, qui avait cueilli à Lille seize représentations de la ville, réunies dans une exposition. J’étais attirée par sa démarche, j’ai été attirée par cette galerie de photos, par définition non sonores. Et de surcroît elles étaient comme la majorité des images qui nous entourent ou des moments que nous vivons, c’est-à-dire sans spectacle, sans événement, n’appartenant pas forcément à ce que nous appellerions la beauté. Mais il en sort assurément une certaine esthétique, ou pour le dire autrement, un certain regard sur les choses. Et au lieu de faire un documentaire prenant la forme d’un portrait du photographe, j’ai préféré entrer dans des images muettes — forcément le portrait finissait par transparaître, c’était peut-être une des manières ici de déplier ces surfaces planes.

Que voyait-on ? Des paysages urbains, des immeubles, des rues bordées d’arbres, des places, des barres d’immeubles. Ces paysages n’étaient pas remarquables a priori. Seule était remarquable leur composition, leur architecture, leur surplomb sur la ville ; et la démarche de photographie documentaire donnait sens à ces images, qui concernaient des personnages bien précis. Or dans ces photographies, on ne voyait aucun personnage.

Cet ensemble de photos s’intitulait « Vues imprenables », nous rappelant le cliché qu’on utilise parfois pour parler d’un panorama somptueux et rare ; ou que l’on retrouve sur des brochures d’agents immobiliers pour vanter la situation d’un appartement ou d’une maison.

Pourquoi ces vues étaient-elles imprenables ? Elles l’étaient en réalité, d’abord, au sens propre. Elles étaient imprenables parce qu’on ne pouvait pas les prendre : le photographe avait choisi des points de vue que tout un chacun ne pouvait atteindre, car il s’agissait des bureaux de personnalités influentes ou importantes dans l’échelle sociale, exerçant de hautes responsabilités dans la ville. On n’entre pas de façon banale dans le bureau du président du tribunal de grande instance de Lille, du président de la SNCF, du directeur de la CPAM de Lille, de l’évêque, etc. Ces vues sont imprenables, parce qu’inaccessibles. Ces bureaux ne sont pas des lieux de visite publics. Le photographe voulait « dévoiler les vues d’une ville connue selon des points de vue inconnus, et pourtant très proches de nous » : ce qui se voit de ces fenêtres, situées à des étages divers, dans les bureaux d’où il avait photographié en l’absence de leurs occupants, s’appuie sur le paradoxe qu’il avait sans doute aussi recherché, montrant que des personnes de pouvoir ont sous les yeux des vues toutes simples.

Les mots ne demandaient qu’à sauter hors de leur tableau. Les photographies se sont ouvertes, ont regagné par la fenêtre l’intérieur des bureaux. Mieux, leurs occupants nous y ont accueillis, le photographe a parlé avec eux — c’était la première fois, événement déclenché par l’événement radiophonique, la réflexion sur le pas beau s’est poursuivie, le non-spectacle s’est imposé, et pour lui donner toute l’importance qu’il avait, quelques textes de Ponge ou du poète Gérard Farasse (lui-même spécialiste de Ponge) ont été lus, non par des comédiens — qui auraient risqué de les rendre beaux — mais par les occupants mêmes des bureaux, le président du tribunal de grande instance ou le directeur de la CPAM de Lille ; ils se sont d’ailleurs prêtés à l’exercice avec enthousiasme.

Ce documentaire était aussi l’occasion de s’interroger sur l’art contemporain et son rapport à la beauté, de l’admirable au non spectaculaire, au travers d’une mise en scène.

C’est aussi dans cette optique que j’ai voulu m’intéresser à l’envers des œuvres, qui se voit encore moins, qui est tout aussi silencieux. Mais à la radio ni l’envers ni l’endroit ne se voient, envers et endroit ont le même statut. Simplement, ce qui crée le mystère de l’envers c’est l’invisible, l’absence, le hors-champ. C’est l’arrière d’un tableau (qui révèle qu’on peut s’y attacher ou en rêver), ce sont les secrets de fabrication des œuvres (tout ce qui dans un laboratoire de réflexion et de tâtonnements aboutit à l’œuvre montrée) ; c’est le réel qui nourrit la fiction (comment un journal tenu quotidiennement se laisse pétrir pour devenir roman et sortir de l’autoficton, mieux, se donne à lire après la fiction — je pense à Annie Ernaux). Ce sont les sons et les voix que l’on convoque. Avec en écho ce qu’en dit François Dagognet :

Tout a été tenté et finalement l’art classique était une prison. Pourquoi moi j’accorde du prix à ceux qui comme Fontana et tant d’autres ont déchiré la toile ? Ils l’ont crevée, ils l’ont lacérée, parce qu’il n’y a pas de raison qu’on ne voie pas son arrière. Pourquoi est-ce que l’avant nous cache ce qui est derrière lui, qui a autant de droit à exister ? Bon alors une toile fendue, le trou, moi je trouve ça magnifique, parce que c’est le commencement de la libération [4].

Parlant de l’invisible, je peux aussi parler du banal, ou du non remarquable. Je l’évoquais plus haut en parlant du non-spectacle et du pas beau. Il y a aussi le banal sans parole : ainsi, un tas de sable par exemple. C’est par la vision d’un tas de sable, premier regard sur le paysage d’une carrière, paysage dont la force minérale m’est apparue alors que je ne l’attendais pas, que j’ai été amenée à écrire une composition sonore sur cette étendue lunaire.

Paysage

Le paysage est une sollicitation du regard.

Pourquoi est-il radiophonique ? Il y a une première évidence, c’est le paysage sonore. Car si je parle d’une sollicitation visuelle, je peux tout autant parler du bruissement particulier des arbres quand je marche dans un chemin, ou de la course des feuilles sèches sur la terre, poussées par le vent, ou des dialogues échangés par les oiseaux. Le son attire tout autant mon attention que les visions auxquelles il correspond.

Le son « parle », ou chante, évidemment, un paysage.

J’ai entendu récemment un très beau son — je ne connaissais absolument pas le lieu qu’il mettait en scène. Un bateau est secoué par le remous de la mer agitée par le vent, son flanc vient cogner un quai de manière répétitive, on perçoit le vent, les mâts cliquettent. À un moment on entend une sirène, dans une sorte de ouate ou de sentiment d’irréel. La prise de son était très fine, et pendant cette écoute — qui durait 7 ou 8 minutes, je me laissais flotter en attendant une suite. Cela résonnait davantage pour moi comme une évocation sonore, très belle, et je me demandais en même temps ce que je devais comprendre de ce son — ce que je devais en faire.

Si j’enregistre des oiseaux, dans le bruissement des feuilles, en m’appliquant à saisir la pureté de ces sons, aurai-je pour autant, après montage, réussi à élaborer un objet esthétique signifiant ? (Je précise que le moindre son m’arrête et me capte quand je m’intéresse à un paysage). Un paysage sonore seul suffit-il pour donner un sens ?

Il me semble qu’il faut le transfigurer par un autre biais, faire ressortir sa personnalité, composer ce que j’aime appeler un portrait-paysage.

Il faut se souvenir, à ce propos, de la façon dont Yann Paranthoën a traité le paysage sonore de Lesconil. C’était une fresque sur le paysage sonore ‒ un cas d’école puisqu’il appartenait au projet mondial d’environnement sonore de Murray-Schafer, et faisait partie de l’étude comparative des cinq paysages sonores de villages européens. Or ce paysage sonore de Lesconil nous est arrivé peu à peu, nous n’avons pas tout de suite entendu la mer, les bateaux, les vagues, les sirènes, la criée, et d’autres sons caractéristiques d’un port. Tout nous a été distillé par petites touches, et, surtout, par la subjectivité des habitants, par leurs voix et leur accent ; leurs paroles nous conduisaient à des éléments sonores qui devenaient signifiants par ce qu’ils en disaient. Les éléments sonores s’enchaînaient, remplaçaient les sensations des personnages, ou nous parvenaient dans une alternance, et en tout cas jamais ces sons n’étaient traités comme des illustrations mais comme des signifiés à part entière. La force de ce traitement de la matière sonore, c’est d’avoir créé le désir par l’attente des éléments qui la composent. Le dévoilement des sons, un à un, à travers la parole des personnages ‒ dont la voix et l’accent sont partie intégrante du paysage sonore que l’on entend ‒ parachève l’écoute en œuvre d’art, en composant une musique de l’environnement qui prend en compte toutes ses manifestations.

Un paysage est habité, c’est pour cela aussi qu’on peut parler de portrait paysage. C’est-à-dire que le portrait sonore finira par être autant celui du paysage que celui des occupants de ce paysage, et c’est ce qui s’ajoute ou se joint au paysage sonore pour dessiner un lieu, un territoire. C’était le cas dans ce Questionnaire pour Lesconil, où se révélait à nous la personnalité des habitants, d’abord silencieux ou réservés, assez intérieurs ou façonnés par la mer.

Un paysage est habité. Comme nous le savons un paysage est une géographie tracée et construite par ceux qui y vivent ; comme nous le savons il n’existe plus ou quasiment plus au monde de territoire à l’état naturel. Les urbanistes et les paysagistes ont aussi attiré notre attention, depuis plusieurs décennies, sur le fait qu’un paysage n’est pas seulement rural, ou sylvestre, mais qu’il concerne tous nos environnements : urbains, industriels, minéraux, etc. Ces environnements, ces territoires fabriqués par les humains, peuvent être nommés paysages. Quand on regarde un paysage, on peut encore, dans certains cas, en saisir à l’œil les strates du temps : je pense par exemple au découpage des champs autour de Cayeux, qui sont les marques d’anciens polders, et de digues construites pour se protéger de l’eau, je pense aux formes de certaines rues à Paris.

C’est pour cette somme d’actions humaines superposées qu’on peut prononcer le mot de palimpseste utilisé par François Dagognet. Ce tuilage qui constitue le paysage actuel peut être dit, raconté, vécu, utilisé : un paysage est un récit composite et composé de paroles humaines.

Ainsi il s’épaissit et se laisse prendre.

Montagne-eau

J’ai fait une découverte qui m’a réjouie : en lisant des écrits sur la notion de paysage en extrême Orient, j’ai appris que l’un des mots qui désigne le paysage en chinois, sanshui, est fait de deux idéogrammes et se traduit par un double substantif : « montagne-eau ». Ce qu’en écrit François Jullien correspond au traitement d’une matière sonore à la radio, quand on sort du contemplatif pour créer une matière mouvante. On compose le vertical et l’horizontal, le statique et le mouvant, ce qui a forme et ce qui épouse la forme, « ou enfin ce qu’on a frontalement devant les yeux et qu’on regarde (la montagne) et ce qu’on entend de divers côtés et dont le bruissement parvient à l’oreille (l’eau). La vue et l’ouïe sont également sollicitées [5] ».

Je retrouve ici des motivations qui souvent m’incitent à construire un documentaire sonore, qui ne sont ni celles d’une information (mais qui peuvent en contenir), ni d’un regard ou d’une enquête sur la société, mais tout simplement un choc esthétique, à la fois visuel (un paysage qui s’étend devant mes yeux) et sonore, parce que des sons y sont extrêmement présents, et répétitifs — la répétition crée un climat poétique.

Cette combinaison entre le regard et le son, entre la sollicitation visuelle et la sollicitation auditive, a constitué la naissance d’un portrait paysage que j’ai composé. Je peux parler d’un regard sonore. Car c’est la sollicitation sonore, très présente, qui est devenue la voix essentielle de ce documentaire.

Les trains

Je suis à ce moment-là à l’Estaque, sur les hauteurs de Marseille. Sur cette colline, des maisons sont construites, on a l’impression qu’elles ont été disposées au hasard de l’occupation du sol, une sorte de guirlande de maisons qui surplombent la ville. J’ai devant moi un panorama très large : le golfe de Marseille, la mer, les îles avec le château d’If, l’autre côté du golfe avec une autre partie de la ville, et la découpe de Notre Dame de la Garde. Je vois le va-et-vient des bateaux qui entrent ou sortent du port. Ceci pour la vue.

À l’endroit où je suis placée, sur la petite terrasse d’une de ces maisons, j’ai aussi un son récurrent, qui marque le paysage par sa singularité : ce sont des trains qui passent sur la voie ferrée située en contrebas, à une petite cinquantaine de mètres des maisons.

Ici on ne sait ce qui attire le plus, si c’est la vue ou les sons qui occupent résolument le paysage. On peut donc y entrer en fermant les yeux et en écoutant, ou bien en les ouvrant et en regardant le golfe, ou encore en allant à la rencontre des habitants de ces maisons pour qui le quotidien est rythmé par ces sons. On a le choix des outils : l’enregistreur, ou le pinceau et la toile. Si je pense à la notion chinoise du paysage, je peux dire que l’on se trouve ici dans la « Montagne-eau ». Il y a tous les éléments statiques : les rochers qui dessinent en contrebas les contours du golfe, les îles, la digue bâtie qui s’étire le long de la côte, et parallèlement, bien plus haut, sous nos yeux, la ligne horizontale de la voie ferrée immobile. Y entrent ou y bruissent l’eau du golfe, changeant de direction selon le vent, changeant de couleur selon le ciel, portant des voiles ou des bateaux de commerce qui entrent ou sortent, mais aussi une autre sorte de mouvance, et pas des moindres : les trains qui passent tout près dans les deux sens, des trains très différents, du train quotidien qui mène du centre de Marseille aux villes côtières plus loin, au train de voyageurs, train de marchandises, train militaire, train des poubelles.

Cette situation, tout en signant d’abord une présence forte du paysage sonore, dit bien aussi ce qu’est un portrait-paysage, c’est-à-dire qu’on chemine, à partir du point de départ sur la colline, pour brosser le portrait d’un lieu. Enfin les éléments s’articulent et se transforment en objet radiophonique proprement dit, avec le travail du montage, qui a contribué à donner à cette perception première la forme d’un objet sonore élaboré, transformé pour donner à entendre non une information, mais un fait sensible.

Un choc d’une étrange et surprenante poésie est provoqué par ce paysage industriel sonore ; la puissance du rêve contenue dans les trains, dans la répétition de leur passage, donne aussi un caractère musical à ces sons. Et quand les habitants parlent des trains, ils se rendent compte qu’ils les ont intégrés dans leur quotidien, d’autant que la force de ces machines est de confisquer la parole aux humains quand ils passent.

Nous sommes restés sur cette colline pendant trois jours, de manière à ne rater aucun train, du petit matin au soir, autour de 21 heures. Nous avons résisté à aller là où allait chaque train, en gardant le point de vue d’un espace limité, sur ce point statique de la terrasse au-dessus de la voie ferrée. Nous avons déambulé de maison en maison sur la colline. Une seule exception : une échappée à la gare de l’Estaque (qui était très proche), où nous avons encore écouté les trains passer, où nous sommes montés dans une locomotive le temps d’un trajet entre l’Estaque et Ensuès, la station suivante sur la côte bleue. Mais nous revenions toujours à notre colline.

L’écriture s’est faite avec le montage, qui avait pour particularité d’avoir tout transformé en parole, que ce soit le son des trains ou les récits des habitants. Les trains parlent, les habitants écoutent et parlent. Tout se mêle dans la réalité, tout se mêlait et se répondait dans le documentaire ; avec le respect d’une temporalité, lente, au rythme du temps que mettait un train pour passer devant les maisons, au rythme de la parole des protagonistes de cette histoire, qui d’ailleurs n’a pas d’histoire. C’est ce qui fait que le montage, ou l’agencement de tous ces éléments, transforme le banal de cette colline en événement de chaque jour (c’était pour moi en tout cas un événement), mais les personnes dont la parole est sollicitée se mettent à observer, et pour finir se rendent compte de l’existence pour eux d’un fait qui s’est effacé dans le quotidien parce qu’ils ne le nomment pas. Plus exactement, ils n’en parlent pas parce qu’ils n’y pensent pas, mais dès qu’on sollicite leur parole ils disent ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils ressentent.

Pour terminer, je décris brièvement l’agencement de ce documentaire, qui s’est développé à partir du point de départ d’un paysage et de ses sons.

C’est une narration, avec un début et une fin, mis en scène d’une manière particulière : c’est-à-dire que notre position géographique n’a pas avancé d’un mètre. Au début nous nous tenons à un lieu bien précis, avec un personnage, dans une situation d’attente. À la fin, au bout de 1 h 14 (format de Surpris par la nuit), nous sommes au même endroit, avec le même personnage, mais ce que nous attendions finit par arriver. Ce que nous attendions, c’était un train, un train particulier. Or cette attente que nous avons installée au début s’oublie pendant le déroulement des séquences. Quand j’ai parlé du montage dans mon livre [6], j’ai rappelé certaines analyses d’André Bazin à propos du cinéma, et notamment toutes les analyses qu’il fait sur le montage invisible et le montage visible, celui que l’on ne sent pas et celui que l’on perçoit. Le montage visible est un outil de compréhension, parce qu’il introduit des ruptures perçues, mais voulues, qui créent par le choc des images entre elles non seulement une signification, mais une autre réalité. « C’est le montage, créateur abstrait de sens, qui maintient le spectacle dans son irréalité nécessaire », écrit André Bazin.

Dans « Les trains de l’Estaque [7]  », la narration repose au contraire sur un montage qui est invisible, dont on ne perçoit pas les ruptures. À partir de l’installation du début, on chemine le long de la colline où chaque rencontre nous dit des perceptions différentes des trains qui passent, avec des sutures amenées par les mots ou les idées précédentes, on glisse aussi comme les trains sur la voie ferrée, on glisse avec eux et on est menés, conduits, guidés, dans une écoute. Le but de cette composition sonore était d’entendre et d’écouter les trains. On les attend, mais parfois aussi ils nous prennent par surprise et nous interrompent. Ils deviennent une musique, dont la perception est racontée sur divers modes. Et au bout du morceau de musique, on retrouve la position du début, on avait oublié qu’on était dans l’attente du train des poubelles, il arrive, on l’écoute, des paroles arrivent encore, et on décide d’écouter encore les trains.

Je pourrais même dire que les paysages que nous créons sont des fictions. Quand Frank Venaille a créé les « Souvenirs d’en Flandres [8] », il a associé le récit d’un narrateur, qui sonne comme une fiction, à la découverte d’un paysage qu’il retrouvait avec le micro. Sortis d’une réminiscence, d’une association d’idées, d’une subjectivité, d’un choc esthétique, ces portraits-paysages transforment la réalité en une perception qui sera singulière, celle de son auteur.

De même, quand je parle d’un « acte radiophonique », je parle de la création d’un lieu immatériel ; nous créons ce « lieu radiophonique » justement avec l’écriture et le montage, il est à la radio ce que la scène est au théâtre, son espace est sonore mais non palpable et non mesurable, il n’a pas de limite sinon le temps imparti dans une grille de programme, il est transposé de la réalité, n’a pas de frontière visuelle, c’est un lieu qu’investit notre imaginaire, notre pensée. Un lieu propre à habiter le « non-lieu » qu’est la radio.

J’évoquais au début la contradiction de vouloir faire entrer dans un creuset sonore et invisible une image réelle qui se déploie devant nos yeux. Il faudrait plutôt parler d’un paysage invisible qui se révèle dans le champ radiophonique par la mobilité du son.

Notes

[1] Denis Diderot, Œuvres esthétiques, textes et annotations de Paul Vernière, Paris, Éditions Garnier, 1959, p. 647-648.

[2] Phrase citée en exergue du Guide d’un petit voyage dans l’œuvre de Francis Ponge de Gérard Farasse et Bernard Veck, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, « Savoirs mieux. Littérature », 1999.

[3] « Le non-spectacle et le pas-beau », Surpris par la nuit, France Culture, par Simone Douek, réalisation Anna Szmuc, 20 juin 2003.

[4] « Le non spectacle et le pas beau », ibid.

[5] François Jullien, Vivre de paysage ou l’impensé de la Raison, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 2014.

[6] Simone Douek, L’acte radiophonique, une esthétique du documentaire, Grâne, Éditions Créaphis, 2021.

[7] « Les trains de l’Estaque », Surpris par la nuit, France Culture, par Simone Douek, réalisation Angélique Tibau, 6 juillet 2007.

[8] « Souvenirs d’en Flandres, le passeur d’eau », Nuits magnétiques, France Culture, par Frank Venaille, réalisation Bruno Sourcis, 10 septembre 1987.

Auteur

Productrice à France Culture pendant plus de trente ans, où elle a pratiqué toutes les formes radiophoniques, du direct au documentaire, Simone Douek a collaboré à un grand nombre d’émissions sur la chaîne, notamment : Les Îles de France, À voix nue, Une vie, une œuvre, Les Mardis du cinéma, Ciné-Club, La Matinée des autres, Le bon plaisir, Surpris par la nuit, Tire ta langue, Lieux de mémoire, Grand Angle, Les chemins de la connaissance, Sur les docks. Elle a aussi enseigné l’écriture radiophonique à l’Université de Marne la Vallée pendant 12 ans, ainsi qu’à la SAE (Sound Audiovisual Engeneering School). Elle a récemment publié L’Acte radiophonique, une esthétique du documentaire, éditions Créaphis, 2021, occasion d’une interview éclairante à lire ici.

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La création sonore hors du champ de la radiodiffusion et du podcast

L’écriture sonore a une forte capacité à mettre en résonance des temporalités différentes et à pouvoir suggérer plutôt que dire. La plasticité de la matière sonore permet de créer des univers oniriques faits d’une musicalité n’artificialisant pas la narration documentaire. Le commun entre le son réel et le son transformé permet de faire ressortir naturellement la musique d’un paysage, sans artificialisation. Ma patte sonore s’est peu à peu construite en tenant compte de ces principes, grâce à des rencontres dans l’univers de la radiodiffusion ou du podcast mais aussi du spectacle vivant, de la muséographie ou de l’art contemporain. Il m’a alors semblé pertinent de penser la diffusion de mes pièces aussi sous forme live spectaculaire sur un système spatialisé d’ordre supérieur à la stéréo. Après plusieurs années d’expérience, c’est, selon moi, le modèle de diffusion le plus adapté. Je m’intéresse actuellement à des performances où la spatialisation est pensée de façon in situ, permettant de penser à une mise en scène faisant vibrer les lieux de diffusion avec la pièce sonore jouée.

1. Présentation par Irène Omélianenko

2. Comment j’en suis venu à proposer des créations sonores en multicanal et en live

3. Paysage sonore recomposés et musicalité de l’œuvre

3.1. Quelques éléments d’écriture sonore

3.2. Bref retour sur mes débuts

3.3. Un principe-clé : ne pas utiliser de musique « hors-sol »

3.4. Travailler sur des cartographies sonores

3.5. Faire résonner passé et présent

4. Écriture par strates et spatialisation

5. Insatisfactions

5.1. Avec la radio 

5.2. Avec le numérique 

6. Penser des diffusions in situ

6.1 Aspects humains

6.2 Possibilités esthétiques et ludiques

Parties narratives et musicales ‒ Placement des enceintes ‒ Sons en direct ‒ Jeux avec les enceintes.

7. Questions-réponses

7.1. Sur les collaborations avec les metteurs en scène

7.2. Sur l’utilisation de la diffusion hertzienne

7.3. L’avenir est aux radios locales

7.4. Sur les réactions des personnes enregistrées

7.5. Sur la relation aux lieux

7.6. Diffusion en live : ce qui est planifié et ce qui ne l’est pas

7.7. Est-ce qu’on entend quand on joue en live ?

7.8. Sur la part du jeu dans la création documentaire à visée sérieuse

Auteur

Benoit Bories est créateur sonore. Il a produit des documentaires et des créations sonores pour France Culture, Arte radio, la RTBF, la RTS, la Deutschland Radio Kultur et ABC. Depuis cinq ans, il élabore également des créations sonores pour le spectacle vivant, des installations et des performances live hybrides. Il a collaboré avec plusieurs festivals et lieux culturels pour ses performances et a remporté plusieurs prix et mentions à l’international pour son travail sonore, et tout dernièrement le Prix Ondas pour La forêt des violons. Site web de Benoit Bories et et Charlotte Rouault : Faïdos Sonore.




Vers une « belle » écoute ?


À travers une trajectoire toujours aux frontières, entre écoute des espaces et espaces d’écoutes, Stéphane Marin témoigne ici de son parcours d’écritures sonores situées, plutôt hors les murs, et radicalement hors La Radio. 

Il fait état de sa pratique phonographique déployée au sein d’expériences, de rituels et de dispositifs d’écoutes partagées in situ, comme l’auxiliaire de ce qui pourrait être un des hors-champs du documentaire, entendu comme sa condition de réception, voire d’émergence : une « belle » écoute, tout au moins une écoute « autre ». 

Through a trajectory always at the frontiers, between listening to spaces and listening spaces, Stéphane Marin testifies here to his path of situated sound writing, rather outside the walls, and radically outside La Radio. 

He reports on his phonographic practice deployed within experiences, rituals and devices of shared listening in situ, as an auxiliary of what could be one of the off-fields of documentary, understood as its condition of reception, or even of emergence: a “beautiful” listening, at least a “different” listening. 


 

1. Introduction par Irène Omélianenko

2. Un parcours sonore

3. Ma moche radio

4. Quelle écoute ? A ‒ La phoNosynthèse

5. Quelle écoute ? B ‒ Une poétique de la banalité

 6. Quelle écoute ? C ‒ Les discrets

7. Quelle écoute ? D ‒ Dramaturgie de l’in-quiétude

8. Field Recording & phoNographie

9. Mes dispositifs. A ‒ Contextuel / Expérientiel 

10. Mes dispositifs. B ‒ Usage des casques

11. En guise de conclusion

12. Échanges avec l’auditoire

Auteur

À la frontière entre l’écoute du paysage et la composition in situ, dans la porosité proposée par une œuvre qui se frotte au réel, acteur du développement de l’art sonore en espaces libres, compositeur de pièces multiphoniques pour le spectacle vivant en espace public, Stéphane Marin s’investit depuis 2003 dans des aventures sonores in situ qui partent à la rencontre d’espaces atypiques. En 2008, suite à l’attribution d’une bourse d’auteur « Écrire pour la Rue » (SACD – DMDTS), il crée « Espaces Sonores », une compagnie dédiée à la création sonore contextuelle et aux arts de l’écoute.

Son désir d’espaces et sa pratique du sonore se concrétisent sous la forme de parcours ou de siestes sonores, de marches d’écoute à oreilles nues ou « augmentées », de yoga des oreilles, ou bien encore d’installations sonores architecturales. Ces formes ont été co-produites par des structures comme Lieux Publics (Centre national et pôle européen de création, Marseille), L’Usine (CNAREP, Tournefeuille), Le Cube (Centre de création numérique, Issy les Moulineaux), l’Espace Mendès France / Lieu Multiple (Centre de culture scientifique, technique et industrielle, Poitiers).

Le rayonnement de la compagnie Espaces Sonores est aussi bien métropolitain (Projet culturel de territoire – Toulouse Métropole / « Passeport pour l’Art » / lauréat du dispositif « Toulous’up ! » ‒ ville de Toulouse), régional (Comcom Perpignan Méditerranée / Lycée Agricole Beaulieu, Auch / Maison Salvan, Labège), national (MNHN, Paris – CCAS ‒ Domaine de Chamarande – ZAT, Montpellier – Musiques Démesurées, Clermont-Ferrand, I Sulleoni Festival, Bastia), qu’international (Singapore Arts Festival ; « Semana de la Escucha », Medellin, Colombie – « Hearsay International Audio Festival », Kilfinane, Irlande ; « When Art meets Science », Bozar, Bruxelles).

Il produit par ailleurs des pièces radiophoniques pour France Culture, Arte Radio, et RFI.

Sa musique est publiée sous les labels Unfathomless (BEL), Galaverna (IT), et Weber & Alcantu (ALL).

Il donne régulièrement des conférences et des workshops (ULB, ENSAT, ESAV, EESI…) invitant tous les publics à tendre l’oreille.

Site web : Espaces Sonores.

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