L’adresse de Michel Butor. Entretiens et enjeux radiophoniques d’un écrivain


Michel Butor a fait de l’entretien radiophonique un exercice de style à part entière : où il est moins question de parole que d’écriture. L’écrivain sur les ondes ne renonce pas à la phrase littéraire, il parle comme il écrit. Dès lors, être « Butor » à la radio devient un défi. Ce défi est relevé par le jeu subtil de l’adresse, ici analysé à la faveur de deux séquences : un entretien sur France Culture, un entretien sur Radio Aligre. En fait, c’est aux allers et retours entre texte et radiophonie que travaille Michel Butor en élaborant une forme d’écriture littéraire performative. Ce que montre l’orchestration des voix d’emprunt dans Les Révolutions des calendriers  (texte pour France Musique).

Michel Butor has turned the radio interview into an exercise in style in its own right, where it is less a question of speaking than of writing. The writer on the air does not renounce the literary sentence, he speaks as he writes. From then on, being “Butor” on the radio becomes a challenge. This challenge is taken up by the subtle game of address, analysed here through two sequences : an interview on France Culture, an interview on Radio Aligre. In fact, Michel Butor is working on the back and forth between text and radio by developing a form of performative literary writing. This is shown by the orchestration of borrowed voices in Les Révolutions des calendriers (text for France Musique).


Texte intégral

En ce qui concerne la radio, la télévision et l’émission en direct, il y a effectivement le problème du minutage. Cela peut troubler évidemment. D’autant que, disons-le, je suis bavard. Lorsque je commence à parler, ça peut durer. Une phrase peut s’épanouir en circonvolutions, lesquelles peuvent durer jusqu’à un quart d’heure. Alors, je suis perturbé lorsqu’au bout de trois minutes il faut que le point arrive. Je pense que je maîtrise mieux l’exercice qu’avant, à présent je sais mieux faire des réponses courtes, auparavant j’avais un peu de mal [1].

Ces paroles sont de Michel Butor, écrivain qui a accordé comme peu un nombre incalculable d’entretiens radiophoniques, qui a écrit des dialogues, fait lui aussi des entretiens, interrogeant à son tour des artistes et des écrivains, qui a donc pratiqué la double face de la question et toutes les facettes de l’interlocution.

Qui a fait de l’entretien un exercice de style à part entière.

Ces paroles que je viens de citer, c’est à moi que Michel Butor les adresse, alors que je fais avec lui un « entretien sur les entretiens », ceci à la demande de David Martens et Christophe Meurée qui conduisaient, en 2014, une enquête sur les entretiens littéraires.

Or, que dit Butor ? Ou plutôt : comment dit-il ? Il n’est pas « bavard », bien sûr. Il ne bavarde pas : il parle en écrivain. À la radio, Michel Butor parle comme il écrit. Il fait des phrases qui suivent leur cours et leur loi propres : leur durée, leur dessein. Il ne dit pas qu’il est perturbé parce qu’il n’a pas pu aller au bout de ses idées ; non, il est perturbé parce qu’il faut « que le point arrive » ; il faut mettre un point de façon intempestive. Ce n’est pas question de parole mais question d’écriture.

En fait, ce problème de longueur de phrase s’est posé très tôt au jeune écrivain Butor. L’Emploi du temps rate le Goncourt pour cette raison. Il rappelle les mots d’un juré de l’Académie Goncourt qui lui reproche d’avoir oublié « qu’en français on ne peut pas – on ne doit pas – écrire des phrases trop longues [2] ». Et lorsque Butor se réclame des phrases de Proust ou de Saint-Simon, et que le juré répond « Ah ! mais c’était Proust ! mais c’était Saint-Simon ! », le jeune écrivain a le toupet de rétorquer : « Eh bien, peut-être qu’un jour on dira que c’était Butor ! »

La gageure, donc : être Butor à la radio, c’est-à-dire ne pas renoncer à l’écriture littéraire. Car pour Butor, les entretiens quels qu’ils soient font partie de l’œuvre, c’est « la couronne des œuvres publiées » : il les a appelés, ainsi que la correspondance, la « littérature dormante ». C’est la nappe phréatique de l’écriture des opus publiés.

Il faudra donc, connaissant les contraintes radiophoniques, imposer un ton et un temps – un tempo –, afin qu’on n’ait le sentiment ni de parler trop ni de parler trop peu.

*

Butor insiste sur les distinctions à faire entre d’un côté l’interview, « l’entrevue » – l’appellation souligne la presse exigeant brièveté et formules frappées –, et de l’autre côté l’entretien, « conversation », qui prend le temps. Le temps d’explorer les questions annexes et les recoins de la question. Sans oublier une troisième forme, antique, le dialogue, sur le mode socratique. Où le personnage central est celui qui pose les questions et qui « accouche » ses interlocuteurs-auditeurs. Maïeutique qu’on retrouve chez Lucien avec les Dialogues des Morts, et chez Diderot avec, notamment, Le Neveu de Rameau, qui sont autant de modèles déclarés pour Michel Butor.

Or, le dénominateur commun de l’écriture et de la radiophonie, c’est l’adresse : adresse que Michel Butor pratique abondamment et sous diverses formes dans ses textes littéraires du fait d’une mise en scène de la performativité – improvisations, matière de rêves, exprès, essais, envois. Je reviendrai à cet égard sur un texte exemplaire des Répertoire.

L’adresse est le point d’application du rapport de forces qui institue l’entretien radio, rapport de forces auquel Butor est particulièrement sensible.

J’ai participé à ses côtés à quelques entretiens ; j’ai retenu un échantillon de deux styles différents. D’une part, l’entretien sur France Culture où nous sommes interrogés par Raphaël Enthoven, le 30 novembre 2009, sur « Le détail » dans l’émission « Les nouveaux chemins de la connaissance », émission dont le format consacre une semaine (50 mn par jour) au sujet choisi. D’autre part, « Les entretiens de La Différence » sur Radio Aligre, le 3 juin 2012, où Philippe Vannini nous a reçus au moment de la publication achevée des Œuvres Complètes de Michel Butor aux éditions de La Différence, puis le 2 décembre 2012 lors de la publication d’un ouvrage de Butor avec Miguel Barceló, Une nuit sur le Mont Chauve. Ces entretiens ont un tout autre format : ils sont d’une durée de 2 heures environ.

Ce qu’il s’agit de faire entendre d’abord, c’est la façon dont Butor fonctionne lors d’un entretien radiophonique dans lequel domine une verticalité du rapport de forces : il ne répond pas : il adresse et il s’adresse. Il ne répond pas : il en répond.

Il adresse : qu’est-ce à dire ? Il adresse absolument.

Il contre-vient par une tonalité narrative inattendue dans ce genre d’exercice de la parole. Il contrevient, certes, par l’énoncé mais aussi par une manière oblique : en somme, à la fois par logos et loxos.

En outre, il ne s’adresse pas seulement au journaliste en face de lui mais, par-dessus le journaliste et la situation ici-maintenant, à tous les auditeurs potentiels, ailleurs-toujours. Michel Butor s’adresse à la planète entière.

C’est la vision extensive à l’infini, généreuse et embrassante, de Butor : il spécule autant qu’il pense ; « spéculer » c’est scruter au loin les astres inconnus. C’est aussi, comme le rappelle Pascal Quignard, « être à l’affût de ce qui surgit », celui qui est à l’affût « ne sait pas ce qui va surgir [3] ». Butor est un écrivain curieux, il aime être surpris. Cela lui donne l’occasion de mobiliser toutes ses ressources.

Il en répond : c’est dire qu’il prend ses responsabilités, prend la main, se porte garant, fait autorité. Il s’agit donc pour Michel Butor qui connaît les codes et sait en jouer, de tenir ensemble toutes les fonctions langagières : tenir le lien (fonction phatique), la narration et le récit (fonction poétique et référentielle), la charge émotionnelle (fonction expressive), l’instruction de l’auditeur (fonction conative). Autrement dit, pour Michel Butor, l’entretien radiophonique est affaire de séduction et d’instruction, et pour ce faire, il mobilise l’art de conter. Il se fait conteur et quelque peu acteur.

J’en veux pour exemple son rire lors d’une escarmouche avec Raphaël Enthoven. On entend ce qui est ici une figure de rhétorique à plusieurs tranchants : le rire appuyé, surjoué, de Butor. La situation radiophonique est dans ce cas hiérarchisée, et Enthoven en est le meneur de jeu, jusqu’à cet instant où s’amorce un déplacement des rôles. Reprenons les étapes de la séquence.

D’abord, c’est l’intonation de Butor qui change : plus narratif et plus pédagogique, il fait la leçon sur la question des sciences et de la littérature.

Enthoven embraye alors, de façon inattendue, sur la question de l’adresse dans La Modification, la fameuse deuxième personne du pluriel, « vous », qui apostrophe le lecteur du roman. Ainsi, tout en parlant littérature, nous voici aussi au plan méta-linguistique : dans une situation de méta-adresse où il s’agit dans le même temps des enjeux du roman et de ce qui se joue dans la relation entre l’écrivain et son interlocuteur.

Butor ironise aussitôt quant à la question posée : « on me l’a posée des centaines de fois » ; à quoi Enthoven réplique : « ah ! Je pensais des milliers ! » C’est alors que Butor part d’un éclat de rire dont il exagère l’expressivité. Ce n’est plus l’expression spontanée et bienséante d’une conversation mais une figure de style, l’attitude caractérisée d’une pause et d’une pose. Ce rire ponctue, modifie le tempo question-réponse en établissant une distance un brin moqueuse. Redoutable d’ambiguïté, il a bien des couleurs : rire de bonhommie ? rire de coquetterie ? une moquerie ? une irrévérence ? une manifestation de condescendance ? de tolérance vis-à-vis d’une bêtise ? une relation de maître à élève ?

A partir de cette théâtralisation de la scène radiophonique affichant qu’il y a du jeu, s’opère le renversement du rapport de forces. Plus exactement : force revient à la narration de l’écrivain. Après qu’il a, de biais, dans une incise, corrigé la faute – pas 1956 mais 1957 la date de parution de La Modification –, Butor se lance dans une leçon-maïeutique où Raphaël Enthoven a le rôle de l’apprenti :

Butor : « Le récit à la 2ème personne, ça existe déjà ailleurs qu’en littérature ; par exemple les livres de cuisine »,

et Enthoven de montrer qu’il a compris : « Vous épluchez… vous émincez… »,

et Butor d’approuver ;

Butor : « Par exemple encore dans le domaine juridique, lorsque le procureur s’adresse à l’accusé, ou au témoin »,

et Enthoven de s’empresser d’exemplifier, et Butor d’applaudir son élève… ;

Butor poursuit la surenchère : « Ou comme dans le théâtre où le metteur en scène dit à son acteur : “Tu entres… tu regardes…tu te retournes”… » (on entend le second degré : le metteur en scène, c’est Butor, l’acteur Enthoven) ;

Vient enfin l’estocade, Butor tirant toute la leçon et la morale de sa démonstration :

« Le discours du metteur en scène s’efforce de transformer l’acteur en personnage, tout comme je m’efforce de transformer le lecteur en acteur, d’introduire en lui un élément de modification. Comme le livre de cuisine, je veux rendre le lecteur actif ; comme le procureur, je veux faire ressentir au lecteur une certaine culpabilité : comment faire pour changer les choses de notre monde qui ne va pas bien ? »

Michel Butor a ainsi démultiplié l’exercice, conjuguant interview, entretien et dialogue ; il a été toutes les personnes de la conjugaison, concentrant les pouvoirs du langage. Et la séquence, très animée, est radiophoniquement une réussite.

Reste que, tout à leur joute, les deux protagonistes se sont un peu éloignés du sujet. C’est à mon tour de reprendre sur le « vous » pluriel, singulier et collectif, qui est un « vous-nous » et, par le biais d’une référence à Montaigne pour qui « nous sommes tous de lopins », d’en revenir à l’humain, être voué aux fragments et aux détails.

On aura noté que cette séquence se termine sur une leçon de littérature qui n’est pas exempte d’une certaine gravité politique du propos : Michel Butor soulignant la puissance politique de l’écriture capable de changer les mentalités, pointe aussi la culpabilité de ne rien faire face à « notre monde qui ne va pas ».

*

Pour autant, dans les entretiens sur Radio Aligre du 3 juin 2012, où il y a beaucoup plus de temps de discussion et où les questions sont plus politiques, Michel Butor n’aime pas davantage être mis au pied du mur, ni en demeure de répondre aux injonctions de Claude Minneraud, alors directeur des éditions de La Différence, lequel presse l’écrivain de répondre de son « engagement », du « fil conducteur du politique dans son œuvre », et finit par l’apostropher : « Michel Butor, quand allez-vous descendre dans la rue ? »

Butor commence par mettre dix bonnes minutes « pour vous répondre » : pour dire qu’il s’est « toujours méfié de l’engagement » même si « dans tout » ce qu’il a « écrit il y a du politique » ; pour reparcourir ensuite sa biographie et nuancer « un côté politique profond » mais qui « n’est pas dans le même temps que celui des partis » ; avant de prendre à nouveau dix minutes pour affirmer que la politique est un genre littéraire dégradé (la fonction du « nègre » y est répandue), que le discours politique est d’une très mauvaise qualité textuelle et qu’il serait magnifique de le rénover, que les mots ne veulent plus rien dire du tout – ainsi « libéral » et « libéralisme », mots vides de sens : liberté de qui ? liberté de se libérer ? liberté d’opprimer ? – jusqu’à affirmer que tous ses livres ont une politique et qu’« ils font l’effort de mettre notre actualité dans une histoire ouverte, pour nos enfants et nos petits-enfants ».

Nul doute qu’en la matière le poète Butor est beaucoup plus percutant : qu’on lise Abcès, poème sur le terrorisme ; La dette, sur la crise ; tous les poèmes de sa dernière anthologie Par le temps qui court (La Différence, 2016) qui aborde les sujets les plus douloureux de nos sociétés. À la radio, la visée de l’écrivain est différente : par détours et digressions, il met la pensée à l’épreuve de la phrase et de la langue, ce qui est la façon la plus efficace de déconstruire le discours idéologique. À la radio, Butor ne fait pas passer un discours mais une manière, un art et une intelligence de communiquer.

*

Il y a davantage dans l’exercice radiophonique selon Butor, et je me dois de faire entendre, dans une autre séquence de Radio Aligre, comment l’adresse dont Butor fait jouer tous les rouages, s’inscrit dans sa recherche littéraire, et comment elle constitue elle-même une forme d’écriture littéraire performative, capable de passer la frontière aller-retour texte-radio-texte-radio.

Exemplaire est à cet égard Les Révolutions des calendriers, texte qui a été écrit pour une journée France Musique, comme une « conversation » (processus maïeutique) pour présenter les 32 sonates de Beethoven, tel un « post-scriptum au Dialogue avec 33 variations sur une valse de Diabelli [4] ».

Ce texte, qui présente 8 scansions, est réparti en 3 rôles différents porteurs de voix et ainsi dénommés : Scrutator – Investigator – Commentator. L’ordre de l’alternance est bientôt modifié ; surtout, les fonctions du « scrutateur » (au sens premier : « qui voit loin »), de l’« investigateur » (le chercheur qui regarde à la loupe) et du « commentateur » ne se distinguent bientôt guère et se brouillent. C’est le principe du mobile, de la révolution des éléments qui tournent et retournent. Tout se complique car les porteurs changent de voix, voire empruntent des voix ; ils ont des voix d’emprunt. Parmi les nombreuses fluctuations, je relève les didascalies suivantes, ce qui permet d’indiquer la parabole que décrit le texte :

p. 664 – Investigator qui prend la voix que nous pouvons imaginer à Chateaubriand :

p. 665 – Investigator qui reprend sa voix :

p. 669 – Investigator qui prend la voix que nous pouvons imaginer à l’auteur anonyme des Mille et Une Nuits :

p. 670 – Commentator qui prend la voix que nous pouvons imaginer à Fabre d’Eglantine

p. 671 – Commentator qui reprend sa voix :

p. 671 – Investigator qui prend maintenant la voix que nous pouvons imaginer à        Bougainville :

p. 671 – Investigator qui reprend sa propre voix :

p. 673 – Investigator qui prend la voix de Michel Butor plus jeune :

p. 674 – Scrutator qui prend maintenant la voix que nous pouvons imaginer à Charles Baudelaire :

p. 674 – Scrutator qui reprend sa propre voix :

p. 675 – Investigator qui passe peu à peu de voix en voix :

p. 676 – Scrutator qui prend la voix que nous pouvons imaginer à Gérard de Nerval :

p. 676 – Investigator qui a repris sa voix :

p. 677 – Scrutator qui passe peu à peu de voix en voix :

p. 677– Investigator qui reprend une voix antérieure :

p. 678 – Investigator qui recommence à passer de voix en voix :

     Investigator qui a repris sa propre voix :

     Scrutator qui a repris sa propre voix :

Au final, c’est l’Investigator qui a le dernier mot : « Qui nous confie à Neptune, dieu des découvreurs. »

L’intelligence déploie ainsi tout son potentiel de réflexivité. L’analyse musicologique des sonates de Beethoven ne va pas sans le spectre des voix du texte de l’analyse de Butor. Autrement dit, pas d’analyse des formes sans les formes de l’analyse. Pas d’analyse des formes sans y mettre les formes.

Ce n’est pas autre chose qui advient dans la (mise en) forme radiophonique de la Conversation, lorsqu’il n’y a pas de rapports de forces et que le temps n’est pas minuté.

*

Écoutons, pour finir, Michel Butor pendant deux minutes de l’entretien du 2 décembre 2012 sur Radio Aligre, émission « Les Rendez-vous de la Différence ». Cette séquence arrive après 1 h 10 de dialogue. En voici la retranscription :

1:11:53 Michel Butor : Comme tout le monde le sait, je suis un incorrigible optimiste. Je suis pessimiste pour ce siècle, oui, je pense que nous allons passer des moments très difficiles, mais je suis fondamentalement optimiste.

Vous avez raison, l’humanité est en danger, je crois qu’elle a toujours été en danger, elle l’est encore, elle le sera encore, et nous avons donc des difficultés en perspective, c’est certain. Mais on finira par trouver des solutions comme on en a toujours trouvé.

Je voudrais revenir sur un point qui est très important pour moi, c’est la notion d’artisan. En effet, je trouve qu’on devrait, à la fin d’un très beau livre, mettre tous les collaborateurs, exactement comme au cinéma, à la fin d’un film, ou à la télévision à la fin d’une série, on met un générique de fin où il y a tous les collaborateurs mentionnés…

Philippe Vannini : …Ce qui devient illisible à cause de la vitesse à laquelle ils défilent !…

Michel Butor : Mais pas du tout, la question de la vitesse ne joue pas du tout ! Dans un livre c’est à plat, vous le faites défiler vous-même : il n’y a aucun problème à cet égard. C’est juste que nous sommes remplis de blocs de préjugés que nous héritons de nos parents, grands-parents, arrière-grands-parents…

Donc, vive les artisans ! Moi, je me considère comme un artisan ; je connais beaucoup d’artisans, j’admire énormément leur travail, leur inventivité, ce qu’ils réussissent à faire. J’aime beaucoup travailler avec eux.

1:14:12 Je suis un artisan du langage. J’ai un costume d’artisan : je suis habillé en salopette, ce qui veut dire que je suis un artisan comme un autre !

 

Nous entendons Michel Butor passer de voix en voix, de rôle en rôle :

Butor le Scrutateur tirer des plans sur la comète pour les prochaines décennies voire les siècles à venir : l’humanité est en danger, elle le sera encore, mais…

Butor le Commentateur, jeune-âgé, revenant sur la notion d’artisan : artisan du langage, il est sur scène, il montre son jeu, il montre qu’il joue le jeu de l’icône à la salopette ; sans oublier le clin d’œil en forme d’antiphrase et de provocation : « un artisan comme les autres » ;

Surtout, Butor l’Investigateur, l’expérimentateur, le découvreur perpétuel en costume d’ouvrier.

Michel Butor qui aime se tenir récitant au milieu de la musique, des artistes-interprètes, se tient en conversation radiophonique au milieu des voix qu’il appelle et qui le travaillent.

À l’évidence, il aime monter et descendre la gamme des tons et intonations : tour à tour prophète visionnaire, provocateur, bonhomme, moqueur, utopiste, jouant avec sérieux mais sans en avoir l’air de la scène qui lui est offerte, altruiste et effrontément personnel, compagnon tout singulier mais partageur, conscient de ce que l’on attend de lui et s’y prêtant tout en se dérobant.

Ce Butor métamorphique, c’est l’intelligence-même de la radiophonie, le seul exercice possible de lucidité et de vérité – une vérité de la situation –, ce qui permet de ne pas se laisser prendre au piège de la représentation ; ou plutôt du représentatif. Le piège du Butor statufié. Qui permet, aussi, de surjouer pour ne pas être limité à jouer le jeu.

Ce faisant, Butor est, radicalement, l’écrivain-interprète qui se met à l’essai : avec l’exigence d’une plasticité des formes ; qui se met à l’épreuve, se met en question. Il est à l’essai de soi, au sens où l’entend Montaigne : attitude et profondément philosophique et profondément libre, « à sauts et gambades » littéraires.

Ce qui me fait dire pour finir – et ce n’est pas une boutade – : Michel de Montaigne à la radio, ce serait Michel Butor.

Notes

[1] Mireille Calle-Gruber, « Halo d’échos. Entretien avec Michel Butor » in David Martens & Christophe Meurée (dir.), Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens littéraires, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2014, p. 51-52.

[2] Les Métamorphoses-Butor, entretiens de Mireille Calle avec Michel Butor, Jean-François Lyotard, Béatrice Didier, Jean Starobinski, Françoise van Rossum-Guyon, Lucien Dällenbach, Henri Pousseur, Helmut Scheffel, Michel Sicard, Grenoble et Sainte-Foix Québec, Le Griffon d’argile et Presses Universitaires Grenoble,1991, p.47-48.

[3] Pascal Quignard, « Esse in speculis », in Pascal Quignard, l’écriture et sa spéculation, ouvrage coordonné par Franck Jedrzejewski, Florent Martinez, Nathalie Périn, Limoges, éditions Lambert-Lucas, 2020, p. 10, italiques dans le texte.

[4] Michel Butor, Les Révolutions des calendriers, Répertoire, V, Paris, Minuit, 1976. Repris dans Œuvres complètes de Michel Butor, III, Répertoire 2 (sous la direction de Mireille Calle-Gruber), Paris, La Différence, 2006, p. 660-678.

Auteur

Mireille Calle-Gruber est écrivain et Professeur des Universités en littérature française et esthétique à la Sorbonne Nouvelle où elle dirige le Centre de recherches en Études féminines et de genres / Littératures francophones (CREF&G/LF). Elle travaille à la croisée de la littérature, des arts et de la philosophie. À côté de publications nombreuses, seule ou en collaboration, sur Claude Simon (dernier titre en date : Claude Simon : être peintre, Hermann, 2021), Claude Ollier, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Assia Djebar, Hélène Cixous, Nelly Kaplan, Marguerite Duras, Peter Handke, Pascal Quignard (Pascal Quignard ou les leçons de ténèbres de la littérature, Galilée, 2018 ; cahier L’Herne Quignard, 2021), elle s’est imposée comme une spécialiste incontestée de Michel Butor, dont elle a dirigé l’édition des Œuvres complètes en 12 volumes aux Éditions La Différence (2006-2010). Elle a écrit avec Butor un récit-scénario, Le Chevalier morose, édité par Johan Faerber chez Hermann en 2017, et, chez ce même éditeur, elle a créé la série des Cahiers Butor consacrés aux collaborations de l’écrivain avec les artistes.

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Césaire au micro d’Édouard Maunick. Topographie d’une œuvre, diffraction d’une parole


En 1976, Césaire s’entretient avec Édouard Maunick sur France Culture. Plutôt que de suivre l’ordre chronologique de la biographie du poète, l’interviewer l’amène à proposer une géographie de son travail. Ce faisant, Césaire passe d’une vision réaliste de la Martinique à celle d’une île métaphorique. Dans une telle dynamique, ses mots tendent à une sorte de lyrisme, bien que très différent de ce que nous pouvons lire dans sa poésie. La nature de l’interview radiophonique crée des échos entre les mots de Césaire et ceux d’autres, et particulièrement ceux de son interviewer, le poète Édouard Maunick.

In 1976, Césaire gave a long radio interview to Édouard Maunick on the France Culture channel. Rather than following the poet’s biographical chronological order, the interviewer leads him to a geography of his work. In so doing Césaire goes from a realistic view of Martinique to a metaphoric island. In such a dynamic his words tend to a kind of lyricism, although very different from what we can read in his poetry. Radiophonic interview’s nature creates echoes between Césaire’s words and others’, and particularly those of his interviewer, the poet Édouard Maunick.


Texte intégral

En 1976, alors qu’Aimé Césaire accorde à Édouard Maunick une série d’entretiens pour France Culture, il est un poète reconnu dont presque toute l’œuvre est derrière lui, à l’exception du recueil Moi laminaire qui sera publié en 1984. Il est bien sûr la figure marquante du mouvement de la négritude, qui a connu sa pleine effervescence au milieu du xxe siècle, des années 1930 aux années 1960 ; il est d’ailleurs l’inventeur du terme. Le Mauricien Édouard Maunick est un homme de radio, qui a produit diverses émissions à la SORAFOM (Société de Radiodiffusion d’Outre-mer), puis à l’OCORA (Office de Coopération Radiophonique) et enfin à RFI (Radio-France Internationale), tout en travaillant ponctuellement pour France Culture ; mais il est aussi poète et se réclame de l’héritage des grandes figures de la poésie francophone que furent Senghor et Césaire. Les entretiens avec Césaire, diffusés entre le 26 et le 30 janvier 1976 en cinq émissions d’une vingtaine de minutes, doivent donc être entendus comme un dialogue entre deux poètes. La facture en paraît assez classique : Maunick pose à Césaire des questions sur divers sujets et l’ensemble est entrecoupé de lectures de passages de son œuvre. Il s’agit bien sûr de présenter aux auditeurs la figure du grand écrivain, qui a marqué son époque et la littérature du siècle, en le conduisant à raconter sa trajectoire et à faire émerger les traits saillants de sa démarche littéraire. Cependant le temps a dans ces entretiens moins d’importance que l’espace, la chronologie d’une vie moins que sa topographie. Et l’espace est certes géographique : c’est d’abord celui où l’homme Césaire a effectué sa trajectoire de vie ; espace coloré d’une relation au monde à la fois heureuse et malheureuse. Mais d’autre part surgit un espace imaginaire, construit par le langage : les entretiens ne visent pas seulement à situer Césaire dans ses espaces, ils tendent aussi à une « poétique de l’espace », une analyse de « la valeur humaine des espaces de possession, des espaces défendus contre des forces adverses [1] » ; plus encore, au-delà de cette herméneutique, ils modélisent des espaces neufs qui n’existent qu’à travers la parole diffusée sur les ondes. On analysera l’importance accordée par Maunick aux espaces où inscrire Césaire, sortant du modèle « vie et œuvre » fréquemment pratiqué dans le genre. Ce souci est tel que les entretiens finissent par inviter l’interviewé à inventer ses espaces, débouchant sur un acte de création langagière. Il s’agira alors d’étudier la forme que prend cette imagination dans les entretiens : l’art de la conversation opère sur le mode de la diffraction, confinant au lyrisme. On évaluera pour finir la place des entretiens dans la relation de camaraderie et d’héritage qui lie les deux poètes.

1. La topographie d’une vie : la fonction de l’espace dans les entretiens

Les spécialistes de l’entretien radiophonique littéraire inscrivent le genre à l’intersection de l’autobiographie et de la critique [2]. Cette double orientation apparaît bien dans les entretiens entre les deux poètes, mais avec un déplacement significatif de centre de gravité : l’espace, les espaces, réels et imaginaires, de la vie de Césaire, y ont plus d’importance que les événements.

Édouard Maunick ouvre le premier entretien sur le thème de l’île, en en faisant d’emblée la question essentielle : « Alors Aimé la première question qui me vient, c’est de te demander – parce qu’on est insulaires tous les deux –, c’est de te demander ce que tu penses de la dimension d’une île dans la vie d’un homme [3]. » La question n’en est pas vraiment une : elle apparaît plutôt comme une proposition générale, qui sera de fait le fil conducteur de l’échange. Et l’interviewé le constate dans sa réponse : « Ah ! je crois que tu as mis le doigt sur une chose très importante. Vraiment je ne m’y attendais pas du tout. Je ne m’attendais pas à cette question mais c’est très important » (E1 04:24-04:29). L’espace d’une vie, voilà  ce qui, bien plus que sa chronologie, structure la conduite de ces entretiens. De nombreuses questions renvoient Césaire aux espaces qui jalonnent son parcours et son œuvre. Il y a la question du lieu de naissance (E1 10:40), celle des maisons – maison natale (E1 13:07-13:11) ou « valeur de la maison » (E2, 13:56) –, conduisant le poète à concevoir une maison idéale, utopique. Il y a, dans un mouvement inverse, nomadisant, l’invitation au voyage imaginaire (E3 16:26-16:30), à une réflexion sur l’exil vers un ailleurs (E5 10:21-10:30). Et aussi des questions sur l’Afrique, à l’orée de l’entretien (E1 06:44-06:47), sur Basse-Pointe, le village natal du poète et sur sa vie étudiante à Paris dans le troisième épisode, sur l’Amérique à l’ouverture du quatrième épisode (E4 02:27-02:30), sur ses activités dans la capitale en 1976 (cinquième épisode). Toutes ces questions visent à situer Césaire, comme annoncé déjà vers la fin du premier entretien : « Je t’ai situé maintenant entre l’île et le continent » (E1 10:29-10:31). Mais celles-ci ont trait d’abord et avant tout à son identité insulaire.

Qu’est-ce que « la dimension d’une île dans la vie d’un homme » ? Césaire donne trois réponses. C’est d’abord, « tout bêtement », « ce phénomène géographique d’une terre entourée d’eau » (E1 04:41-04:44), comme sa Martinique natale. Et connaître l’espace natal d’un poète, son lieu de naissance, c’est une voie d’accès à son œuvre :

Je suis né à la Martinique. Très exactement dans un petit village qui s’appelle Basse-Pointe dans le nord de la Martinique. Un paysage assez étonnant, un peu breton, d’une très haute falaise en face de l’Atlantique déchaînée. C’est pas pour faire de l’explication de texte à la manière de Taine, mais je crois que ce n’est quand même pas sans signification. (E1 10:42-11:06)

Il s’agit ici d’écarter une certaine image des Antilles, le topos des « îles bienheureuses » (E1 11:21-11:22) : celle de Césaire est « bretonne », et sa poésie, suggère-t-il, s’en ressent. Maunick ne manque pas du reste d’en souligner la dimension « tellurique » souvent mise en évidence (E1 12:52) [4]. Car vivre sur une île, c’est aussi entrer dans un univers mental, dysphorique par un aspect, positif par un autre. L’île, c’est d’un côté « l’univers de la claustration » par excellence :

Nous sommes, j’ai trop souvent le sentiment quand on est là-bas depuis très longtemps qu’on macère dans des problèmes qui sont souvent quand même petits, mesquins, puisque hélas le destin nous a fait petit, n’est-ce pas, il y a un petit peu l’atmosphère du camp de concentration. Je l’ai éprouvé en tout cas très fortement. (E1 05:10-05:37).

Et c’est, d’un autre côté, l’espace par excellence de l’échange et de la relation :

Je ne me cite pas souvent, mais j’ai écrit – je ne sais plus où d’ailleurs –… il y a un vers de moi qui me revient ; je dis : « toute île appelle, toute île est veuve » et c’est vrai [5]. Il y a le sentiment, le besoin d’un dépassement. L’île appelle d’autres îles. L’île appelle l’archipel. (E1 05:38-06:00).

L’île en effet est prise dans une relation nécessaire avec d’autres îles, et avec le continent voisin – ou même lointain. C’est un invariant des représentations insulaires [6], qui se décline aussi chez Césaire : « tout naturellement chez moi l’île Martinique, l’île Antilles appelle au fond le continent, la mère Afrique » (E1 06:06-06:12).

Ce lien entre l’île et le continent s’éclaire dans le troisième épisode de l’entretien, alors que Césaire revient sur sa relation avec les surréalistes : son utilisation des techniques littéraires surréalistes vise chez lui, dit-il, à retrouver le « génie profond du moi africain » (E3 12:38-12:42) ; est « un moyen de rompre avec [la] logique européenne » (E3 13:16-13:19). Pas question ici de « l’Afrique des manuels de géographie ou bien de l’Afrique des traités politiques » (E1 10:17-10:22), mais d’une « Afrique sentimentale », d’une « Afrique cordiale » (E1 10:10-10:12). L’Afrique est devenue chez Césaire une sorte de concept dans la construction d’une poésie de la négritude, qui englobe l’identité insulaire dans un « moi africain » plus vaste, qu’une certaine modernité poétique française lui donne les moyens d’exprimer. C’est aussi ce que signifie la notion de négritude, dont il est brièvement question à la fin du cinquième entretien. Césaire remercie certes son interviewer de n’avoir pas l’avoir abordée plus tôt ni mise au centre de leurs entretiens (E5 19:32-19:36). Mais en même temps il en rappelle la portée politique : elle touche à l’avenir du monde. La poésie de la négritude est une nécessité politique : celle d’affirmer la solidarité des peuples de l’Afrique et de la diaspora dans le monde actuel. L’identité insulaire appelle au dépassement, vers le continent, vers le reste du monde.

Ainsi en insistant sur l’espace dans les questions qu’il pose à son interlocuteur, Maunick invite à considérer à la fois la vie de son interlocuteur et sa vision du monde. La singularité poétique de Césaire prend alors tout son sens dans son articulation à tout ce qui l’entoure : de même que l’île prend sens en lien avec le continent, l’originalité du poète ne peut se comprendre qu’en relation avec le monde dans lequel il vit.

2. L’île d’une géographie imaginaire

Pour autant, il ne faudrait pas voir dans les entretiens de 1976 la simple explication de Césaire à partir des lieux qui jalonnent son parcours et de sa vision du monde. Maunick le pousse plus loin par le recours à l’imagination. De même que, dans les poèmes de Césaire, l’île devient « île-texte », riche de tous les « parcours signifiants qui le traversent [7] », on pourrait parler ici d’une « île-parole ». À la suite de Jacques Isolery, on verrait dans cette expression une certaine manière pour un texte de faire référence à un espace insulaire en se présentant comme un espace clos qui renvoie cependant à d’autres réalités. Maunick dans ses questions conduit certes Césaire à parler de sa vie et de sa vision du monde, mais il le fait assez fréquemment en l’amenant à imaginer des situations et des lieux qui sont à la fois isolés, espaces de parole dont la seule existence réside dans ses entretiens, et qui se relient cependant à la personnalité de Césaire et à son œuvre.

L’île est donc à la fois ce qui est raconté et expliqué par les deux interlocuteurs, mais elle est aussi ce qui est construit par eux, comme un ensemble clos, mais nécessairement signifiant, c’est-à-dire renvoyant à autre chose. En ceci, le geste qui s’opère durant ces entretiens n’est pas uniquement de nature autobiographique, narratif voire anecdotique, ni uniquement herméneutique, il est aussi un geste de création : l’île est aussi une construction symbolique élaborée dans le langage.

C’est ainsi qu’on peut comprendre les questions d’Édouard Maunick sur la maison idéale que Césaire souhaiterait habiter. Gaston Bachelard a insisté sur l’importance primordiale de la maison dans l’imaginaire, qui relève à ses yeux du « cosmos » car elle permet de penser une intimité en lien avec le reste du monde[8]. Il s’agit alors dans les entretiens de construire par le langage un îlot en dehors de toute référentialité. Tout d’abord, Maunick met en scène une situation où l’on demande à Césaire ce que serait sa maison idéale – il construit un interlocuteur fictif qui s’adresse alors au poète en le vouvoyant (E2 14:02-14:29). En réponse, l’île se dédouble en quelque sorte car la maison idéale de Césaire est, à ses dires, loin des « demeures parisiennes » qu’il a toujours transformées (E2 14:59-15:00), un espace martiniquais construit comme un îlot sur l’île :

Eh bien qu’est-ce que je ferais ? Eh bien, tout bêtement je vivrais à la Martinique. Je choisirais autant que possible un morne. Un bon morne de chez nous – ce qui signifie une colline – et j’espère dans un grand jardin, avec une terre bien déclive. Et j’aurai une bonne maison, avec une bonne véranda. Je ne dis pas que je n’oublierais pas ma bibliothèque et certainement je vivrais avec les miens, quels qu’ils soient, que ce soit mes parents, que ce soit mes enfants, que ce soit simplement des gens qui passent et qui s’arrêtent chez moi, des gens que je ne connais pas et qui s’arrêtent et qui viendraient converser avec moi. (E2 15:05-15:35)

Le lieu construit par l’imaginaire est clos, isolé, sur un relief, la maison est bordée par le jardin. Il tend à l’idylle voire à l’utopie, comme en témoignent les adjectifs mélioratifs sur lesquels la voix du poète insiste durant l’entretien. Mais en même temps, il est ouvert. Certes Césaire le situe à l’intérieur des terres, sur le relief. On peut ici évoquer le Cahier d’un retour au pays natal où le morne est l’un des premiers espaces à être mentionné, en opposition avec la ville (située sur la côte). « Le morne oublié, oublieux de sauter [9] » est espace de l’enfermement mais aussi espace de fermentation de la révolte, de cette explosion envisagée par le poète – on peut notamment rappeler qu’aux Antilles des communautés d’esclaves marrons qui fuyaient les plantations se constituaient sur les mornes. Surtout l’espace de la maison est ouvert car, comme Césaire y revient plus tard dans l’entretien, les deux lieux de la maison qu’il mentionne et qui sont importants pour lui sont la véranda, « le lieu essentiel » selon lui (E2 19:24), et la bibliothèque. La maison telle qu’elle se construit au fil de l’entretien est un espace ouvert sur l’extérieur, sur la nature, mais aussi un espace de langage. Césaire justifie le caractère indispensable de la bibliothèque. « Si toute île appelle, l’île ne se suffit jamais à elle-même » (E2 19:38-19:41), annonce-t-il. « On est de son milieu, mais on est aussi du milieu que l’on a fait » (E2 19:48-19:54), précise-t-il : la maison-île construite par Césaire dans l’entretien fait figure de microcosme bienheureux, mais cette construction imaginaire ne peut prendre sens qu’en tant que construction langagière, c’est-à-dire qu’elle est comprise dans sa relation avec une bibliothèque, avec une histoire poétique et littéraire qui ne renvoie pas qu’à la Martinique mais plus largement, à travers les livres, à la poésie de Rimbaud et Baudelaire (E2 20:04-20:06).

On retrouve donc, avec des connotations totalement différentes dans cette idylle radiophonique, les deux dimensions que Césaire prêtait dans la première émission à l’espace réel de la Martinique : la clôture, certes rendue heureuse ici, et l’ouverture au monde, la relation à d’autres espaces. La création d’un espace imaginaire de parole entre ainsi en écho avec le parcours au sein des espaces réels de la vie de Césaire.

3. De l’art de la conversation à la diffraction de la parole

D’après Jacques Isolery, si « l’île-texte » correspond à un certain type d’imaginaire, centré sur un espace clos, elle implique une forme particulière qu’il nomme « texte-île ». Celle-ci doit selon lui se penser en termes de brièveté et de fragmentation :

Le temps de lecture du bref met en abyme les discontinuités du monde en insistant sur l’aspect synchronique, poétique sinon chaotique, de l’existence aux dépens des liaisons et des causalités diachroniques. Contrairement au voyage en haute mer ou en vaste terre du romanesque, le bref sollicite un cabotage d’île en île, de signification en signification [10].

En d’autres termes, « l’île-texte » trouve sa forme dans la fragmentation au sein d’un « texte-île » qui constitue son objet par touches, de manière fragmentaire, en les approchant par à-coups plutôt que dans une démarche de synthèse. D’une certaine manière, cette forme correspond à l’entretien dans la mesure où celui-ci trouve souvent sa forme dans la conversation. En introduction d’un volume collectif sur « L’interview d’écrivain », Martine Lavaud et Marie-Ève Thérenty rappellent l’importance du « modèle conversationnel » dans la constitution de ce genre journalistique au xixe siècle : « la discontinuité du dialogue » est souvent mise en avant ; mais elle n’est bien souvent que l’artifice d’une « genre très codifié [11] » d’où émerge une forte unité. L’entretien radiophonique rend cette tension plus vive encore : Jean Amrouche faisait de l’improvisation une règle cardinale du genre dans « Le roi Midas et son barbier », en la situant cependant « non pas sur le plan de la forme mais sur le plan de la matière qui sera agitée par la suite [12] ». En effet selon lui la radio implique un travail formel qui limite l’improvisation à « l’illusion du naturel [13] ». Le discontinu n’est que la forme donnée à un ensemble cohérent de propos. On pourrait l’illustrer dans la répartition des rôles que Michèle Touret met à jour à propos des entretiens de Michel Manoll avec Blaise Cendrars : l’interviewé « glisse d’un sujet à l’autre, passe d’un bord à l’autre, comme il dit que font les baleines, et Manoll, lui, va droit comme un transatlantique [14] ». L’entretien radiophonique semble bien répondre à la définition du « texte-île » : il se présente dans la continuité d’un parcours constitué de jalons qui, dans le rappel de la forme de la conversation, dissémine le propos.

Comment cette tension s’illustre-t-elle dans les entretiens de Césaire avec Maunick ? Certes l’interviewer joue de la temporalité propre à la création radiophonique, cette « réalité temporelle un peu accélérée [15] » dont parle Amrouche : le montage fait passer l’auditeur d’un propos à l’autre, tous relativement détachés les uns des autres car à chaque fois centrés sur un mot clef (un thème, un concept), en alternant entre les questions, les réponses et des lectures de poèmes. En retour Césaire ne cherche pas la formule définitive : il demeure dans le domaine de l’impression, dans la spontanéité d’une communication orale, se gardant en général de formules sentencieuses.

On en a un bon exemple dans la cinquième émission, qui aborde le rapport de Césaire à la mort. Le thème est neuf dans la série. Mais, plutôt que de monologuer dessus, Césaire laisse Maunick intervenir d’abondance pour le relancer et le faire aller au bout du sujet. Ces relances créent un sentiment de continuité, sans non plus figer sa pensée dans des propos définitifs, comme le permettrait le travail de l’écriture, mais en leur laissant une forme de fluidité propre au jeu de l’échange et qui n’engage pas au même degré : « Encore une fois ce n’est pas de l’ordre de la philosophie. Je ne voudrais pas du tout que l’on durcisse ça en termes de raison. Je n’écrirai jamais ça par exemple. » (E5 05:25-05:32). Si l’écriture fixe, la parole est mobile, comme l’insulaire, tout en étant sédentaire, « se plaît dans une mobilité qui souligne sa nature incertaine mais ouverte à l’aventure existentielle [16] ».

Dans leur dialogue, Césaire et Maunick jouent alors de la forme de la conversation pour l’orienter vers une forme de lyrisme. Cela permet de multiplier la parole par un travail de diffraction, sans pour autant tomber dans un registre purement fragmentaire, en maintenant une unité au dialogue. Ainsi, à deux reprises dans ce passage sur la mort, l’interviewé opère une distinction, d’abord entre la mort des autres et la sienne propre, ensuite entre son moi rationnel et son moi profond. On retrouve alors ce que Michel Collot nomme « l’émotion lyrique », qui se définit comme « ce transport et ce déport qui porte le sujet à la rencontre de ce qui le déborde du dedans comme du dehors [17] » : le sujet lyrique se diffracte en effet en une pluralité de voix. La tension entre fragmentation du discours et unité du propos, caractéristique de l’art conversationnel de l’entretien radiophonique, est alors informée par cette dimension lyrique.

D’une part, face à la mort, Césaire fait résonner sa parole en écho à celle d’autres. À celle d’Édouard Maunick d’abord bien sûr. Mais aussi à celle de Birago Diop, le poète sénégalais qu’il cite alors qu’il est question de la mort des proches. En effet, l’un des poèmes les plus célèbres de Birago Diop, « Souffles [18] », rappelle le culte des ancêtres qui permet dans certaines sociétés subsahariennes de maintenir la présence des disparus, d’estomper la frontière entre vie et mort. Le vers « Les Morts ne sont pas morts » scande ce poème ; Édouard Maunick et Aimé Césaire en reprennent les termes en répétant l’un après l’autre : « Ils ne sont pas morts » (E5 04:37-04:38). En rappelant ce poème, Césaire met sa voix en écho, alors qu’il est question de deuils très intimes, celui de ses parents et de sa femme Suzanne, avec les vers d’un poète. La voix des deux interlocuteurs réels de l’échange rencontre celle d’autres qu’ils évoquent : la parole est à la fois diversifiée par ce phénomène qui fait parcourir l’entretien par des fragments d’autres propos et unifiée par l’unité des voix qui les mentionnent et par l’unité thématique du propos.

D’autre part, Césaire établit une seconde distinction à propos de la mort :

Je parle de choses qui me sont finalement assez personnelles. Et là encore je fais toujours la distinction. Ce que la raison de Aimé Césaire formé à une certaine école peut admettre et ce que le vieux nègre fondamental qui est en moi peut sentir (E5 05:39-05:49).

Ici Césaire construit une autre voix, qui est celle d’un double poétique, une autre instance, fictive, qui prend la parole un bref instant à sa place au micro : « le vieux nègre fondamental », rétif à la pensée par concepts et ancré dans une pensée par sentiments ou par sensations. Or c’est cette autre voix qui s’exprime sur la mort dans le dialogue, qui devient alors pour un court moment une chambre d’échos lyrique.

Plutôt que sur le mode de la fragmentation, il faut sans doute comprendre la logique de ces entretiens comme un processus de diffraction. Interviewé et interviewer vont dans le même sens. Si l’entretien est construit comme la succession de paroles éparses, ce qui permet de donner « l’illusion du naturel » dont parlait Amrouche, Maunick et Césaire semblent surtout chercher à créer des liens entre les différents propos abordés mais aussi à mettre en relation leurs voix, à les accorder entre elles aussi bien qu’à des voix extérieures. L’île comme réalité fragmentaire ne prend sens une fois encore que dans les résonances qu’elle peut avoir avec d’autres terres. L’auditeur est amené à accompagner Césaire non seulement de thème en thème, mais aussi de voix en voix, de figure en figure, dans la construction d’un archipel adapté à la forme orale de l’entretien radiophonique. Le propos ne se confond pas avec la poésie de Césaire, puisqu’il prévient qu’il n’écrirait pas les paroles qu’il prononce, mais Édouard Maunick l’entraîne dans un autre travail de création, orale et propre au médium de la radio, que l’on désignerait à la suite d’Aude Leblond comme « le défi d’une création littéraire immédiate [19]. »

4. Un archipel poétique à deux voix

Cet autre travail de création appartient aussi bien à l’interviewé Césaire qu’à l’interviewer Maunick. Les interlocuteurs échappent d’ailleurs en partie aux rôles qu’instaure le genre de l’entretien radiophonique : l’interview, écrit Patrick Charaudeau, reposerait sur un « jeu de questionnement » où l’interviewer a d’abord pour objectif de conduire son interlocuteur à une « révélation [20] ». Dans l’entretien radiophonique d’écrivain, plus précisément, Pierre-Marie Héron détaille deux rôles revenant à l’interviewer : celui, d’une part, de l’expert, « amateur de l’écrivain interrogé et bon connaisseur de son œuvre » ; d’autre part celui de « représentant de différents cercles du public, notamment d’un public qui connaît peu ou vaguement l’écrivain [21] ».

Dans cette relation, Maunick se construit comme un double de Césaire, allant au-delà de la posture du simple amateur éclairé. D’une part, il se fait le lecteur des nombreux et longs passages de sa poésie qui scandent l’ensemble des entretiens. D’autre part, il pose des questions qui visent moins à faire jaillir une vérité cachée du poète qu’à le mettre en scène dans des situations qui permettent d’éclairer et de prolonger son œuvre. Par exemple, dans la quatrième émission, il annonce : « Pour toi, il y a quand même, je crois – et c’est important – l’espoir de recommencer quelque chose de neuf » (E4 14:15-14:22). Ces propos trouvent immédiatement l’assentiment de Césaire qui opine d’un « Voilà » avant que Maunick ne termine sa phrase. L’interviewer témoigne ainsi plus que d’une connaissance de l’œuvre mais d’une affinité de pensée avec son interlocuteur. Tout cela pourrait laisser envisager la figure du double comme celle du disciple et de voir en ces entretiens « un récital déguisé [22] » pour reprendre l’expression de Jean Touzot à propos des entretiens de Jean Cocteau avec André Fraigneau. Pourtant le ton qu’emploie Maunick est bien plus celui de la camaraderie alors qu’il ouvre la première émission, passée la lecture d’un premier extrait, en convenant avec son interlocuteur du tutoiement dans leurs échanges (E1 02:57-03:17). Dans ce rappel de l’esthétique de la conversation, si fréquente dans les entretiens d’écrivains, où le contact s’établit entre pairs [23], s’esquisse aussi un passage de relais entre deux poètes.

Maunick assume bien par ailleurs un rôle de représentant, mais moins d’un groupe d’auditeurs à vrai dire, que d’un groupe auquel il appartient avec Césaire. Groupe mal défini : le « nous » qu’emploie l’interviewer renvoie parfois aux « gens des îles » (E2 19:17) ou au « peuple négro-africain » (E5 16:23) ; il entre aussi en écho avec celui qu’emploie l’interviewé lorsqu’il annonce le projet d’un « homme fraternel dont nous, nous rêvons » (E5 12:50-12:51). Ici le « nous » renvoie aussi bien aux peuples non-européens qu’à une dimension plus large, humaniste ; mais les « rêveurs » évoqués peuvent aussi désigner une communauté de poètes. En tous cas, le « nous » de ces entretiens ne permet pas à l’ensemble des auditeurs de France Culture de s’identifier aux deux interlocuteurs. Il ne relaie pas non plus un mouvement comme l’a été la négritude. Il dessine plutôt, de nouveau, une relation de complicité entre deux poètes. Car Césaire est pour Maunick un frère en « parole insulaire », leur « complicité » vient « du fait qu’il est un insulaire », comme il le redit en 1991 dans une série À voix nue qui lui est consacrée sur France Culture [24]. On pourrait reprendre ici les observations de Hatem El Hicheri à propos des entretiens de Jean Amrouche avec André Gide : « La finesse de ses analyses […], la création verbale dont il fait preuve au micro alimentent une œuvre co-écrite avec un écrivain et déclinée à deux voix [25]. » La conversation est construite dans l’espace de l’entretien radiophonique de sorte à tendre à une création verbale, à laquelle contribuent Césaire aussi bien que Maunick.

Les entretiens de 1976 entrent aussi dans cet ensemble d’îles, cet archipel de poésie que composent les œuvres des deux poètes, reliées par des hommages réciproques qui prennent différents formes et, au fond, ne cessent de se répondre. Citons-en trois, en amont et en aval des entretiens. En 1964, Maunick dédie la dernière section de son deuxième recueil, Les Manèges de la mer, à l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal [26]. En 1990, il fait paraître un recueil intitulé Toi laminaire (Italiques pour Aimé Césaire) dont les poèmes contiennent, en italiques comme le suggère le titre, certaines formules et expressions de l’œuvre de Césaire – jusque dans le titre qui reprend celui du dernier recueil publié par le poète [27]. Toi laminaire, comme toute la poésie de Maunick [28], fait de l’île une figure cardinale, espace de réunion et d’unité, « archipel-ultime-continent [29] ». De son côté, Aimé Césaire a écrit un poème « pour saluer Édouard Maunick » qui s’intitule « Paroles d’îles [30] », demeuré inédit jusqu’à son édition en volume par Daniel Maximin et Gilles Carpentier en 1994. Ce poème s’ouvre sur l’expression de la volonté d’un « nous », qui n’est pas sans rappeler la conception « volontariste » de l’Histoire que Césaire exprime dans les entretiens de 1976 (E5 09:09). Puis l’énonciation change et le poète s’adresse à un « tu », inversant en quelque sorte ce qui était le cadre de l’entretien radiophonique puisqu’il en appelle à un interlocuteur qui « compren[d] ce que disent les îles ». Enfin, en une péroraison, le poème fait l’éloge de la « parole » qui débouche sur ce qu’il nomme les « moissons vivantes de l’espoir ». L’île est un espace de parole, donc d’échange, comme dans le poème d’Édouard Maunick.

Tout se passe comme si la fusion des deux voix en un archipel poétique venait faire des espaces insulaires un continent plus solide encore, du fait de sa possible diversité.

L’homme de radio mauricien réalise donc en 1976 bien plus qu’un simple portrait du poète phare de la négritude. En s’éloignant de la chronologie ou du simple parcours vie-œuvre pour privilégier une topographie existentielle, il transforme les émissions de radio en un espace de création. Bien sûr, celle-ci ne duplique en rien la production poétique publiée par les deux auteurs, mais elle s’adapte à la spontanéité construite par les conditions de l’entretien radiophonique. Maunick invite son interlocuteur à créer des espaces imaginaires et tous deux déportent leur discours de la conversation vers le lyrisme. Dans ce dialogue s’esquisse l’espace d’une parole commune : le « nous » est employé pour prendre une extension élargie jusqu’au-delà d’une communauté insulaire parfois, mais à d’autres moments il semble renvoyer de manière sous-jacente à la complicité qui unit les poètes. Édouard Maunick s’inscrit alors dans le sillage d’Aimé Césaire : ces entretiens participent du processus par le biais duquel le poète mauricien reprend l’héritage de Césaire qu’il actualise ailleurs dans sa poésie.

Notes

[1] Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace (1957), Paris, Puf, « Quadrige », 2012, p. 17.

[2] Voir Philippe Lejeune, Je est un autre, Paris, Seuil, 1980, p. 120 ; Pierre-Marie Héron (dir.), Les Écrivains à la radio : les Entretiens de Jean Amrouche, Montpellier, Centre d’Étude du xxe siècle / Université Paul-Valéry Montpellier 3, 2000, p. 9.

[3] Édouard Maunick, « Entretiens avec Aimé Césaire », Entretien n°1, France Culture, 26 janvier 1976, 04:15-04:22. Dans la suite de l’article, on se référera à cette série d’émissions en mentionnant dans le corps du texte le numéro de l’entretien et le minutage. Les émissions suivantes ont été diffusées sur France Culture du 27 au 30 janvier 1976, à raison d’une émission par jour.

[4] Voir par exemple Lylian Kesteloot, Césaire et Senghor. Un pont sur l’Atlantique, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 27-29 ; Daniel Maximin, Aimé Césaire, frère volcan, Paris, Seuil, 2013, p. 25-26.

[5] Il s’agit en fait de deux vers, « toute île appelle / toute île est veuve », tirés du poème « Dit d’errance », de la section « Corps perdu », au sein du recueil Cadastre (Aimé Césaire, La Poésie, Daniel Maximin et Gilles Carpentier (éd.), Paris, Seuil, 2006, p. 238).

[6] Diana Cooper-Richet et Carlota Vincens-Pujol, « Introduction », dans Diana Cooper-Richet et Carlota Vincens-Pujol (dir.), De l’île réelle à l’île fantasmée. Voyages, littérature(s) et insularité (XVIIe-XXe siècles), Paris, Nouveau Monde, 2012, p. 9.

[7] Jacques Isolery, « États du texte-île : l’archipel du bref », dans Jacques Isolery (dir.), Texte-île Île-texte, Paris, Petra, « Fert’îles », 2015, p. 25.

[8] Gaston Bachelard, op. cit., p. 24.

[9] Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal (1939-1956), dans La Poésie, op. cit., p. 11.

[10] Jacques Isolery, « Préface. États du texte-île : l’archipel du bref », art. cit., p. 31.

[11] Martine Lavaud, Marie-Ève Thérenty, « Avant-propos », Lieux littéraires / La Revue, n°9-10, 2004 : « L’interview d’écrivain », p. 13-15.

[12] Jean Amrouche, « Le roi Midas et son barbier, ou L’écrivain et son interlocuteur devant le micro », dans Pierre-Marie Héron (dir.), Les Écrivains à la radio : les Entretiens de Jean Amrouche, op. cit., p. 15.

[13] Ibid., p. 17.

[14] Michèle Touret, « “Mais non, mon cher Michel Manoll…” De l’art de conduire un entretien radiophonique quand on est Blaise Cendrars », dans Pierre-Marie Héron (dir.), Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante, Presses Universitaires de Rennes, « Interférences », 2010, p. 66.

[15] Jean Amrouche, « Le roi Midas et son barbier », art. cit., p. 17.

[16] Bertrand Westphal, « Géocritique et insularité », dans Jacques Isolery (dir.), Fert’îles. Temps et espaces insulaires en littérature, Biguglia, Stamperia Sammarcelli – Università di Corsica, 2013, p. 25.

[17] Michel Collot, « Le sujet lyrique hors de soi », dans Dominique Rabaté, Figures du sujet lyrique, Paris, Puf, « Perspectives littéraires », 1996, p. 114.

[18] Birago Diop, Leurres et lueurs [1960], Paris, Présence Africaine, 2002, p. 64-66.

[19] Aude Leblond, « Mémoires réels et imaginaires. Un discours en construction », dans Pierre-Marie Héron, Écrivains au micro, op. cit., p. 120.

[20] Patrick Charaudeau, « Description d’un genre : l’interview », dans Patrick Charaudeau (dir.), Aspects du discours radiophonique, Paris, Didier Érudition, 1984, p. 112.

[21] Pierre-Marie Héron, « Introduction. Repères sur le genre de l’entretien-feuilleton à la radio », dans Pierre-Marie Héron (dir.), Écrivains au micro, op. cit., p. 13.

[22] Jean Touzot, « Cocteau devant Fraigneau, entretien ou récital ? », ibid., p. 90.

[23] Marc Fumaroli décrit la conversation comme « “art de parler” entre pairs, dans le loisir », Trois institutions littéraires, Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 1994, p. 126.

[24] Césaire […] n’arrête pas de magnifier la parole insulaire, de me donner la preuve que, de ces petits bouts de rocs dans la mer, il peut naître le commencement de la convivialité, le commencement du dialogue avec l’autre » (Christine Goémé, À voix nue : Édouard Maunick, France Culture, entretien 1, 18 novembre 1991, 12:45-12:53 et 08:07-08:08). L’insularité se décline aussi aux yeux de Maunick, comme on le voit, en un archipel (les « petits bouts de rocs dans la mer »), et nourrit son idée du dialogue.

[25] Hatem El Hicheri, « Jean Amrouche : de l’entretien radiophonique comme genre littéraire », dans Pierre-Marie Héron (dir.), Les Écrivains hommes de radio (1940-1970), Montpellier, Centre d’Étude du xxe siècle / Université Paul-Valéry Montpellier 3, 2001, p. 105-106.

[26] « Sept versants sept syllabes », dans Édouard Maunick, Poèmes 1964-1966-1970, Paris, Présence Africaine, 2001, p. 83-98.

[27] Moi, laminaire, dans Aimé Césaire, La Poésie, op. cit., p. 381-472.

[28] V. Jean-Louis Joubert, Édouard J. Maunick poète métis insulaire, Paris, Présence Africaine, 2009, p. 55-61.

[29] Édouard Maunick, Toi laminaire, op. cit., p. 13.

[30] Aimé Césaire, La Poésie, op. cit., p. 508-509.

Auteur

Florian Alix est Maître de Conférences à l’Université Paris-Sorbonne. Il est l’auteur d’une thèse portant sur l’essai postcolonial. Il a également fait paraître plusieurs articles sur les littératures francophones et postcoloniales (Edouard Glissant, Aimé Césaire, Valentin Yves Mudimbe, Abdelkebir Khatibi, Driss Chraïbi…) Membre du collectif Write Back, il a à ce titre co-dirigé l’ouvrage Postcolonial Studies : modes d’emploi paru en 2013 aux Presses universitaires de Lyon.

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