Le goût de l’expérimentation sonore dans Il faut passer par les nuages


Cette pièce majeure de Billetdoux manifeste l’étonnante capacité de l’auteur à se renouveler, cinq ans après la création de Tchin-Tchin, en explorant autrement la musicalité du langage, mais aussi celle de la composition dramatique : des « mouvements » remplacent les actes, la progression se fait sonore, les caractères s’imposent par la voix. Les indications scéniques sont ici très précises : il y est question de « ballet », d’« accélérations », de personnages « hors de l’action » semblables aux « musiciens d’un orchestre en attente d’intervenir ». La pièce s’apparente à un « chant multiple » (Jean-Jacques Gautier) que nous tentons de faire entendre.

This major play by Billetdoux shows the surprising capacity of its author to reinvent himself, five years after the creation of Tchin-Tchin, by exploring the musicality of language in a different way, but also by renewing the dramatic composition. Indeed, acts are replaced by movements, the progression gets more sonorous, the characters establish themselves through their voice. The stage directions are really precise, and one can talk here about “ballet”, “acceleration”, about characters who find themselves “out of the action”, like “orchestra musicians waiting for their turn to play”. The play resembles a “multiple song” (according to Jean-Jacques Gautier) that we try to make people hear.


Texte intégral

Cinq ans après Tchin-Tchin, créé au Théâtre de Poche-Montparnasse, l’Odéon-Théâtre de France accueille Il faut passer par les nuages, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault. La pièce est créée le 22 octobre 1964. L’heure de la consécration semble venue. Madeleine Renaud joue le rôle de Claire, le personnage principal, dont elle est aussi le modèle : Billetdoux, qui voit en elle « ce qu’il y a de plus typiquement démesuré dans l’être occidental et qui est français : la folle passion désordonnée du raisonnable [1] », a écrit la pièce non seulement en pensant à elle, mais en l’entendant : « […] dites à Madeleine que je l’ai dans l’oreille, je crois, à une virgule près, et que c’est bien agréable cette manière de dire qu’elle a, elle rappelle la flûte chez Mozart [2]. » Quant au choix d’« une petite ville du Sud-Ouest de la France, près de Bordeaux, en l’année 1963 » pour situer l’intrigue d’une action contemporaine de l’écriture de la pièce, on notera que le Sud-Ouest est avant tout pour l’auteur une région « où l’on aime encore prononcer » et il veut que ses personnages en aient l’accent, « pour le jeu des mots, pour le plaisir de les dire [3] ». Précisément, il est beaucoup question de son, de rythme, de musique dans cette pièce, divisée en cinq parties appelées non pas actes mais mouvements et où la référence à la musique est vite explicite par les indications apportées au début de chacun de ces mouvements : Billetdoux invite à jouer le premier, qualifié aussi d’Ouverture, allegro ma non troppo ; divise le deuxième en deux « moments dramatiques [4] » à jouer andantino le premier, grave le second, simultanément décrit comme un scherzo ; fait du troisième mouvement un allegro pathétique ; invite à jouer le quatrième molto vivace ; et propose pour finir, avec le cinquième et dernier, une aubade. Dans des notes préparatoires, l’auteur parle aussi de « composition musicale » et de « symphonie [5] ». Cette approche sonore de la pièce, c’est en fait celle qu’il a du théâtre plus généralement au moment où il écrit Il faut passer par les nuages, comme il l’explicite dans une lettre à son metteur en scène Jean-Louis Barrault :

Or, à l’expérience, le théâtre devient pour moi le lieu musical où rappeler physiquement et métaphysiquement à la fois ce qu’il y a d’immuable et ce qu’il y a de changeant dans l’homme et pour l’homme et où le rappeler réellement au présent, non tant par les significations de la parole ou de l’argument qui sont des ingrédients ‒ que par l’orchestration et la chorégraphie, cette part vivante qu’aucune notation ne saurait transcrire sur la plus précise partition [6].

« Chorégraphie » est un mot utilisé aussi dans la première didascalie du Premier Mouvement et que reprend le philosophe et remarquable critique dramatique Henri Gouhier dans un article sur la pièce en 1964 : « En fait, Il faut passer par les nuages est une œuvre où l’imagination chorégraphique n’est pas seulement invitée à inventer un accompagnement visuel mais participe à la création du drame [7]. »

Tentons donc ici de lire « chorégraphiquement » la pièce et sa construction dramatique.

1. De la musique à la scène

Si la chorégraphie désigne l’art de composer et régler danses ou ballets [8], on comprend que Billetdoux utilise le mot pour parler des mouvements des personnages dans une pièce qui non seulement « a vraiment besoin de la représentation pour exister [9] », mais où les indications musicales systématiquement associées aux « mouvements » donnent un rythme à chaque fois différent aux mouvements des personnages sur la scène.

1.1. Premier mouvement

Pour commencer, l’allegro ma non troppo du premier mouvement donne lieu, lit-on, à « un continuel ballet fourmillant, de personnages, d’accessoires et d’effets lumineux […] ». La didascalie précise : « Le principal de ce ballet intéresse le rituel en pratique dans la maison de Claire Verduret-Balade, où se centralise l’action. Le reste est d’utilité, pour permettre à la fois de situer les autres lieux et d’aérer la scène aux proportions d’une petite ville active. »

Le décor de ce premier tableau doit nous permettre de parcourir la petite ville, selon les notes de Billetdoux à René Allio. Le souci de réalisme semble encore dominant, dans son désir de « fixer les images » :

L’un de mes propos primaires dans cette pièce consiste d’abord à présenter au public une vision naturaliste des choses [10] correspondant à ses habitudes actuelles…

Idéalement disons que le public devrait avoir la sensation qu’on lui présente l’inventaire des signes habituels de la bourgeoisie […] [11] »

Et Billetdoux ajoute, anticipant sur la progression de l’œuvre, que le public doit aussi avoir la sensation « que nous l’invitons à abandonner ce quotidien-là, ces meubles et ces immeubles, dont son esprit est encore occupé, en entrant dans la salle de théâtre. […] ce serait le premier état de notre épuration [12].

Le « rythme rapide [13] » fixé pour ce premier mouvement à « la vivacité aiguë [14] » doit donc donner lieu sur scène à de nombreux déplacements relatifs au train de vie d’une maison bourgeoise, à son personnel, mais aussi au contexte provincial et animé d’un cadre plus large. Une certaine vivacité sans excès doit caractériser le premier temps/tempo de la pièce.

1.2. Deuxième mouvement

Au début du deuxième mouvement, le tempo se ralentit, mais sans excès là encore, sans aller jusqu’à l’andante. Billetdoux précise :

[…] en vérité, ce Mouvement devrait avoir la modération d’un andante, il n’implique aucun excès de la part des personnages, il doit être joué « à l’aise », il expose et développe le thème de Claire jusque dans ses harmoniques. Mais la composition veut qu’il soit un peu « pressé ». D’où la décomposition en deux Moments [15].

L’andantino du Moment I trouve une traduction spatiale dans le ralenti de l’action qui s’ouvre sur « la “tournée” de Claire en duo avec Clos-Martin [16] ». La didascalie liminaire indique : les personnages, tous en scène, sont « disposés comme dans une fresque, mais en grisaille. Ils ne s’animeront significativement qu’à l’instant de parler. Sinon, ils prendront une position d’attente simple, sans expressionnisme ni autre formulation esthétique. » Une immobilité sobre est privilégiée avant et après les prises de parole qui animent un temps les personnages. L’agitation scénique a disparu, le ballet a cédé la place au tableau.

Peu de changements en apparence au début du Moment II, défini (paradoxalement) comme un scherzo grave : on y retrouve l’attente et l’immobilité du moment précédent. on pourrait se croire dans un autre andantino : « D’abord ils attendent, […] disposés comme des pions sur un échiquier [17]. » Deux indices cependant suggèrent une progression : les personnages à présent « s’observent », et sont comparés aux pions d’un échiquier, ce qui implique un mouvement que « fresque », à propos du moment dramatique précédent, n’induisait pas. La didascalie fait attendre ce mouvement : « […] quelles vont être les réactions des principaux protagonistes ? […] Lequel va bouger et comment ? » Les didascalies qui introduisent chaque scène de ce deuxième « moment » décrivent ensuite le déplacement des pions :

  1. Jeannot rejoint Josiane.
  2. Lucas rejoint Manceau. Verduret rejoint Pierre. Lucas rejoint Pierre. Clotilde apporte à Verduret sa valise. Il s’en va.
  3. Madame Aubin-Lacoste a rejoint Jeannot. Jeannot rejoint Couillard. Jeannot rejoint Adeline. (Benjamin) s’en va vivement. Clotilde apporte à Jeannot sa valise. Il s’en va.
  4. Manceau rejoint Couillard. Maître Couillard rejoint Pierre. « […] un piquet de grève, se formant ». Maître Couillard rejoint Clotilde.
  5. Le personnel de la fabrique, Max et Mémé (etc.) lentement se répandent en scène […] Pierre rejoint Clotilde. Des CRS apparaissent. Pierre rejoint Manceau. La foule se disperse.
  6. Claire apparaît […] Lucas disparaît en douce.

Le mouvement le plus fréquent est le rapprochement de deux personnages, avec onze occurrences du verbe « rejoindre ». Mais on trouve aussi deux apparitions et une disparition, trois départs, un rassemblement, une invasion et une dispersion. Il y a donc une grande variété de mouvements, une animation du plateau justifiant la caractérisation de scherzo. Billetdoux dit avoir pensé ce « moment » (« qui indique les effets, les échos de la tournée [18] » de Claire) comme « enlevé [19], » « vif et gai [20] ». Les départs et les coups de feu qui éclatent expliquent sans doute pour leur part le qualificatif de « grave ». Autre explication possible : l’auteur parle aussi « des résonances douloureuses » de ce morceau, même si « les péripéties en sont positives : ce sont les fruits de l’action conduite précédemment par Claire et venus à maturation, proprement dit des réactions [21] ». Quoi qu’il en soit, l’appellation paradoxale, contradictoire, de « scherzo grave » est bien dans le ton de l’auteur.

Dans ses notes à René Allio, Billetdoux indique que l’on s’éloigne dans ce deuxième mouvement du réalisme au profit de « simplifications » : « […] l’action se concentrant en un nombre restreint de lieux scéniques, ceux-ci bénéficient d’un certain “grossissement” […] »

Ce mouvement est une étape d’un projet théâtral visant à sortir à mesure le spectateur de sa routine, du réalisme de l’Ouverture, pour « […] l’entraîner, par décomposition progressive et variations dans les approches, au cœur des choses, jusqu’au bord d’un premier état de conscience claire [22]. » Billetdoux conçoit la progression dramatique comme une « quête en profondeur », un « passage du figuratif à l’abstrait », qu’il choisit de nommer « défiguration [23] » et qui, entreprise avec le deuxième mouvement, se poursuit et s’achève avec le troisième. Cette « défiguration » se traduit par des « changements d’axe » dont la promenade de Claire est un exemple : « […] le Moment I du deuxième Mouvement […] n’est pas pris sous le même angle, ni du même point de vue que le premier Mouvement, bien que les mêmes lieux soient utilisé [24]. » Il « s’ensuit la nécessité d’une vaste gamme de perspectives », on pourrait dire aussi de multiples variations…

1.3. Troisième mouvement

Dans l’allegro pathétique (autre quasi oxymore) du troisième mouvement, les personnages sont de nouveau nombreux en scène mais plus au complet et n’ont plus la place précise qu’ils occupaient sur l’échiquier du scherzo grave : « ils ne sont plus situés en des lieux concrètement définis ». L’échiquier cède par ailleurs sa place « à une carte en relief de la ville et des environs », puis à « une salle de ventes [25] ». Billetdoux entend ici explorer « ce qu’il y a de fatal dans la joie [26] ». Les personnages semblent ne plus se rejoindre pour se parler comme ils le faisaient dans le moment précédent, la communication devient plus difficile : « […] c’est à distance qu’ils s’adresseront la parole […] »

Du côté des personnages, on retrouve la situation d’attente présente dans les deux moments dramatiques du deuxième mouvement, mais alors qu’elle leur permettait surtout de s’observer les uns les autres, elle devient maintenant l’occasion de s’écouter les uns les autres, comme si la vue ne pouvait plus suffire, comme si l’oreille devait davantage entrer en jeu, ce que confirme la comparaison des personnages avec des musiciens : « […] lorsqu’ils sont hors de l’action, ils demeurent dans une certaine tension, écoutant, comme les musiciens d’un orchestre en attente d’intervenir [27]. »

Le réalisme du décor semble encore plus mis à mal que dans le mouvement précédent, pour lui permettre de s’agrandir : « Quant au décor, nous avons l’impression qu’il s’est étendu et il ressemble à une carte en relief où apparaissent en maquettes fort réduites les “Propriétés” de Claire […]. »

On se souvient qu’il restait assez réaliste au premier mouvement, situant l’action dans la maison bourgeoise d’une petite ville très active. Au deuxième mouvement, les lieux demeuraient les mêmes, mais « leur apparence réaliste (était) simplifiée », tout comme le « temps réel » de plusieurs semaines subissait des « contractions, accélérations et effets chronologiques [28] » Il semble qu’au troisième mouvement le décor tende vers une stylisation, qu’il cherche à apparaître comme artificiel, qu’il s’affiche comme tel.

Ce processus de « défiguration » constitue les trois premiers mouvements en première partie de la pièce. Dans les deux suivants, constitués en seconde partie par un entracte dûment indiqué, Billetdoux propose « des images épurées proprement de soucis réalistes [29] » et demande à Allio d’en tenir compte dans son décor. Au décorateur tenté de penser à « la facilité pour changer rapidement de lieux », à la façon de transcrire scéniquement « l’ubiquité », il demande de s’intéresser aux « rapports » entre les personnages :

Ce qui m’intéresse là […] ce sont les rapports, ce qu’il y a d’inconnu et d’inanalysable (de nos jours) entre deux ou plusieurs êtres dans un même temps, et tandis qu’ils ne sont pas en présence les uns des autres et qu’ils ne sont ni dans les mêmes humeurs ni dans la même préoccupation [30].

Et c’est au vocabulaire musical qu’il recourt de nouveau pour exprimer le sens de la simultanéité spatiale voulue dans les deux derniers mouvements : « Il s’agit précisément d’un “concert”, ou si l’on préfère : de la mise en train pour une «“jam-session” imprévue [31]. »

1.4. Quatrième mouvement

Dans le quatrième mouvement, « molto vivace », la scène semble gagner encore en artifice en se dénaturant, en s’ouvrant à une autre « scène », à un autre espace : celui d’une piste de cirque. « Un vaste cône lumineux vibrant de lumière jaune » est censé la faire apparaître : « [Il] décrit sur le plateau cet apparent ovale d’un cirque, réduisant la scène à ce lieu d’exhibition et de combat [32]. » L’action se veut plus clairement conflictuelle, et l’on pense plus encore à un ring ou à l’arène des gladiateurs qu’à une piste de cirque… À moins que le cirque soit plus proche du cercle qui permet, en y pénétrant, de faire « l’épreuve du vide », comme le suggère Jean-Marie-Lhôte [33].

L’emplacement des personnages reste sensiblement le même qu’au troisième mouvement, mais ils semblent moins visibles hors de l’ovale lumineux ; ils deviennent « ombres dans l’ombre ». Ils ne semblent plus seulement s’observer ou s’écouter : ils sont absorbés « par l’action qui sera la leur » soit pour se préparer à l’accomplir, soir parce qu’ils « hésitent au bord de l’arène ».

Agir est signifié par l’entrée dans le cirque, mais Billetdoux laisse au metteur en scène le choix de la tradition à adopter, des indications à donner à l’acteur : « tragique, tauromachique, clownesque, etc. » Et la scène, paradoxalement, dans cet espace de convention, semble refonder le réalisme pour que l’acteur se soucie exclusivement « d’exacerber sa sincérité, en prenant appui sur le drame réaliste de son rôle [34]. » C’est un peu comme une mise à nu qui doit se faire, dans cet espace conçu pour prendre des risques. L’action semble ici atteindre son paroxysme, ce que confirme Billetdoux lui-même : « […] c’est la scène centrale de la pièce, la plus haute et la plus pure, hors du temps, paroxystique, dans l’arène. C’est là où le décor peut être le plus nu et le plus abstrait [35]. »

1.5. Cinquième mouvement

« Éveil sous un nouveau jour [36] », l’aubade du cinquième mouvement confirme pleinement ce retour à un certain réalisme en même temps que l’espace se resserre sur un cimetière, « une fosse fraîche ([qui y] est creusée. » Billetdoux l’a envisagée comme un temps de fusion entre les règnes animal, végétal et minéral, un moment de réconciliation [37] quasi cosmique. La lumière jaune du mouvement précédent laisse la place à « un petit jour gris ». La scène est dépeuplée, pour ne donner la parole qu’à Pitou, Claire et Paupiette. Une impression d’apaisement se dégage de cette aubade très courte et qui fait écho au « petit jour qui se (levait) [38] » du début de la pièce, comme si l’intrigue trouvait là une manière assez naturelle de se boucler.

Quelle place pouvait bien trouver la musique de scène de Serge Baudo dans une composition dramatique aussi fortement musicalisée ? Elle semble avoir joué un rôle secondaire, Billetdoux en parle comme « le complément décoratif que constitue la bande sonore [39] ». Elle ne semble guère plus importante que « l’utilisation des comparses dans le maniement chorégraphique du mobilier et des accessoires [40] ».

2. La parole ou la difficulté de sortir du « solo »

2.1. Une « fugue d’apparents monologues »

On a pu déjà remarquer en analysant les didascalies ouvrant les divers mouvements que l’adresse à l’autre était incertaine en raison de l’éloignement des personnages entre eux. On trouve ainsi au début du troisième mouvement : « c’est à distance qu’ils s’adresseront la parole ». Gouhier le note déjà en 1964 : « […] dans Il faut passer par les nuages, le monologue est, en quelque sorte, la cellule dramatique [41] » : « […] le plus souvent, les personnages s’adressent à un autre, mais tellement “autre” que sa réponse importe peu. Ce sont seulement des gens qui disent tout haut ce qu’ils pensent [42]. » Et de rapprocher la pièce de Billetdoux d’un roman par lettres…

Dans la lettre déjà citée à Jean-Louis Barrault, l’auteur précise sa conception du dialogue :

Je voudrais arriver à ne faire prononcer aux personnages que ce qu’ils diraient d’essentiel dans une scène au point le plus noué de la crise, soit sous forme de tirade, de monologue, de confession, de déclaration, de lecture, etc. Et que le dialogue se reconstitue d’une part dans le rapport entre telle tirade et tel monologue, d’autre part dans le traitement visuel de ce rapport [43].

Et c’est une « suite », une « fugue d’apparents monologues », « une entreprise concertante » qu’il invite Barrault à imaginer.

« Fugue » est ici un mot important : comme on le voit très vite en effet, le monologue n’est pas seulement la cellule dramatique évoquée par Gouhier, il compte autant, sinon davantage, pour sa valeur sonore, musicale. Les mots seraient d’abord des notes, et leur sens serait mis en retrait pour mieux participer à un ensemble, à une « composition ». En grand amateur et connaisseur de jazz qu’il est, Billetdoux semble rêver d’une langue qui ne soit que musique : « Les musiciens sont bien veinards de n’avoir pas à formuler en usant de la petite monnaie du parler [44]. » Cette langue aurait une justesse sonore qui lui rendrait la justesse sémantique qu’elle a perdue selon Billetdoux : « C’était savoir vivre autrefois que de bien nommer les choses, de les baptiser chaque fois en leur donnant leur vrai nom [45]. » Elle se rapprocherait sans doute de « la plus ancienne des langues, celle où avant l’apparition du progrès matériel les sentiments trouvaient dans la voix, le geste, un prolongement spontané. […] C’est ainsi que naîtra le mouvement d’un chant de piroguiers ; que la pensée parlée deviendra mélodie [46] » Une langue qui gardait la mémoire du corps, qui le prolongeait…

Penser l’écriture dramatique comme une chorégraphie, c’est peut-être compenser cette perte du sens véritable des mots, du décalage entre eux et leurs référents, leur redonner une signification par le mouvement d’ensemble, les rendre de nouveau compréhensibles.

Évoquant Shakespeare avec Barrault, Billetdoux le dit « devenu “imparlable” pour les spectateurs des années 60. S’il continue à intéresser le public, c’est selon lui « parce que ses actions dramatiques demeurent lisibles chorégraphiquement [47]. » Ce souci du sonore se retrouve dans son désir d’« améliorer [s]a métrique, en douce », à l’occasion de l’écriture d’Il faut passer par les nuages : « Il me semble que l’octosyllabe peut donner une base convenable à un phrasé en correspondance avec le langage parlé d’aujourd’hui [48]. » Le personnage doit pouvoir ainsi faire entendre sa musique. Il est considéré comme un instrument dont l’intervention doit être cadrée, comme l’est une image au cinéma : « […] chaque personnage est à un certain degré de tension intérieure. Orchestralement, pour un enregistrement sonore, nous chercherions à “sortir“ tel instrument parce que sa mélodie est la plus riche ; au cinéma ce serait un gros plan [49]. »

Madeleine Renaud rappelait déjà à Billetdoux « la flûte chez Mozart », mais c’est à tous les acteurs qu’il revient de jouer leur partition : « […] l’acteur serait l’instrumentiste capable de traduire et de reproduire les émotions reçues et transcrites par l’auteur afin de les provoquer à neuf chez le spectateur au niveau du ventre, de la poitrine ou de l’esprit. »

Le décor idéal devrait être ainsi entièrement au service de ces acteurs-musiciens : « Pratiquement, de ce fait, le matériel décoratif ne devrait-il être qu’un outillage propre à aider le comédien dans son expression, soit l’équivalent d’un matériel d’orchestre. »

L’ouverture de la pièce semble faite en effet pour que chaque personnage (im)pose sa voix dans une longue prise de parole à laquelle personne ne réplique :

Marielle (séquence 1)

Monsieur Verduret (séquence 2)

Paupiette (séquence 3)

Clotilde (séquence 4)

Jeannot Pouldu (séquence 5)

Mémé Luciole (séquence 6)

Clos-Martin (séquence 6)

Ce n’est qu’avec la seconde prise de parole de Mémé Luciole, à la séquence 6, qu’un échange avec Maximilien s’engage, et d’ailleurs très brièvement. Il est vrai que l’on quitte alors les lieux fermés des cinq premières séquences (mansarde de Marielle dans la maison Verduret-Balade, chambre de Verduret dans la même maison, salle de bain de l’hôtel particulier Balade, intérieur de la maison Verduret-Balade, confessionnal) pour un lieu plus ouvert, la promenade, « sous les tilleuls peut-être », selon les indications de Billetdoux à Allio [50].

Ces sortes de monologues introductifs avaient déconcerté certains critiques, comme Jean-Jacques Gautier, lors de la création en 1964, qui loin d’y percevoir un « allegro ma non troppo », évoquait « un assez long temps de démarrage », « une mise en place volontairement lente », exigeant du spectateur « une accoutumance » pour « admettre et supporter ces soliloques fragmentés dont on ne sait où ils vont ». Son ennui se percevait quand il parlait des « dix ou douze “flashes” » à subir [51]

2.2. Voix

Comment caractériser les voix mises en place ?

Le parler de Marielle, « la jeune bonne », dans sa lettre à son amie Paulette, a les couleurs, la familiarité de son âge et des années 1960 : « Je suis vachement contente. Me voilà tombée devine chez qui ? Oui, Mademoiselle : chez la Verduret-Balade […] tu vois le genre […] j’ai préféré me racoucougner sous mon édredon […] mais je m’en fiche. » Elle est la voix d’une fille assez délurée, qui a déjà « couché », comme elle le confie.

Verduret fait entendre à Clotilde sa colère contre elle dans une accumulation d’exclamatives, comme : « Si vous avez un tempérament d’intellectuel, n’épousez jamais une veuve ! Elle a toujours de l’arriéré ! » Il est la voix de celui qui a avalé quantité de couleuvres et n’accepte pas la dernière provocation de sa femme, qui enterre, malgré son interdiction, un homme qu’elle a aimé dans sa jeunesse. Il sera la voix de l’homme faible devant sa femme, devant ses élèves, de l’homme sans caractère.

Paupiette s’adresse à son mari Peter, en train de se raser, en femme attentive aux obligations, à l’apparence, aux ambitions politiques de son mari. Elle est la voix du conformisme bourgeois.

Clotilde, la « vieille gouvernante familiale », donne ses instructions à Marielle et multiplie les tournures à valeur impérative. Elle est la voix de l’autorité, de la domination d’un être sur un autre, se mettant sur le même plan que sa maîtresse en disant à Marielle que la précédente bonne était « trop désordre pour nous ». Elle maîtrise les rituels de cette grande maison bourgeoise.

Jeannot Pouldu se confesse à l’abbé Mamiran et lui avoue son « incapacité d’accomplir avec ferveur [s]a méditation matinale », sa tentation de « la chair la plus vénale », son incapacité à y résister malgré ses efforts ascétiques, et surtout son attirance pour une collègue de travail. Il est au mieux la voix du déchirement entre la chair et l’esprit, au pire la voix de l’hypocrisie, de la tartufferie.

Mémé Luciole raconte le passé à Maximilien : celui de Clos-Martin, le défunt dont le corbillard passe, celui de Claire quand elle n’était qu’une « rien du tout ». Elle évoque leurs familles respectives, la liaison entre Clos-Martin et Claire. Elle est la voix de la mémoire, de la médisance, des ragots également ; la vox populi en fait, la voix des lieux communs.

Clos-Martin semble d’abord se parler à lui seul avant de s’adresser à Claire. Il évoque son retour au village, sa recherche de Claire, leurs retrouvailles. Il est la voix de « la nostalgie d’un autre monde », du souvenir heureux où l’on rêvait « un baiser au bord de la bouche ».

La reprise de la parole par Mémé Luciole semble mettre un terme à cette juxtaposition de sept longues tirades, mais en réalité le dialogue a du mal à se mettre en place et de nouvelles voix se font entendre confortablement, tant l’interlocuteur reste silencieux ou lointain.

Celle de Lucas, le benjamin de Claire, cherchant à se libérer des gendarmes qui l’ont arrêté. Il est le mauvais garçon, celui qui manie le couteau, qui s’endette au jeu, qui fait la fête et a des démêlés avec la police. Il est la voix de l’enfant prodigue qui implore sa mère de l’accepter tel qu’il est, sans se soucier de « l’opinion d’une ville ». Il est la voix de la marginalité, de la violence (il injurie, menace) et de la liberté (il s’enfuit).

Claire surgissant pour donner des ordres à Clotilde (à propos de Verduret, de Jeannot, du déjeuner du lendemain) est la voix de la régisseuse, de celle qui semble commander au monde entier et dominer le personnel bien sûr mais aussi tous les membres de sa famille, mari compris. Elle est comme un autre metteur en scène.

Benjamin Carcasson est la voix du délateur plein de remords, transpirant abondamment… à Claire, il parle de l’« excès de contention » de Jeannot, mais aussi de sa fréquentation des péripatéticiennes et, par la suite, son amour pour Adeline et la façon dont il la persécute.

Adeline confie à ses collègues le comportement sadique de Jeannot avec elle, la haine qu’elle éprouve, son désir de démissionner. Elle est la voix de l’amoureuse contrariée, prête à se venger.

En femme qui a vécu et qui connaît les hommes, Madame Aubin-Lacotte conseille sa fille en larmes. Elle l’invite à la patience avant de choisir un mari. Elle est la voix de la sagesse de convention.

Pierre Peter entraînant sa mère au tennis et s’adressant à elle en charmeur, en homme plus qu’en fils, voulant être traité par elle en frère, sollicitant ses confidences sur Clos-Martin, est la voix de la complicité tendre et filiale.

Manceau informe Claire des dégâts causés sur le personnel des conserveries par son fils Lucas, qui détourne les apprentis du sérieux, du travail, et les politise contre son frère Pierre, en alimentant leurs revendications. Il est la voix du responsable, de l’homme attaché à l’ordre social.

Maître Couillard présente les comptes à Claire en se mettant en valeur, en la flattant, en lui apprenant que ses affaires vont trop bien, qu’ils sont trop riches. Il y a nécessité à reconvertir, à faire peau neuve. Il est la voix du comptable aveuglé par ses comptes, le messager du changement sans le savoir.

Le docteur Couffin raconte à Pierre au téléphone sa visite médicale à sa mère, sa difficulté à la soigner, à lui parler. Il est la voix de la lucidité, de la distance critique et pleine d’humour, de la complicité amicale par ailleurs

L’abbé Mamiran en prière confie à Dieu son désarroi, son égarement devant la décision de Claire de tout abandonner. Il est la voix de l’incompréhension pathétique.

À la fin du premier mouvement, si l’on excepte Pitou qui n’apparaît qu’au cinquième mouvement, et le compère de Mémé Luciole réduit au rôle de son faire-valoir, tous les personnages principaux de la pièce ont pu poser leur voix en une longue tirade. Tous sont bien caractérisés par leurs propos, aucun d’eux ne fait double emploi aussi bien sur le plan dramatique que sur le plan sonore. On perçoit une grande diversité de rôles et de voix.

Pour autant, le « ballet fourmillant » voulu par Billetdoux n’est pas si sensible que cela à la lecture et a bien besoin de la mise en scène pour s’incarner (apparition et déplacements des personnages, des accessoires, jeux de lumière). La juxtaposition des prises de parole garde un aspect assez statique (à peine sept pages de dialogue sur les trente-et-une que compte le mouvement). Le rituel de la maison bourgeoise est surtout évoqué par les propos de Clotilde et de Claire, et la présence de la petite ville provinciale existe essentiellement dans ceux de Mémé Luciole. L’aération voulue par Billetdoux n’est pas très sensible car l’essentiel se passe dans des lieux fermés (maisons, église, banque, usine). La promenade n’apparaît que dans les séquences 6 et 19, les autres « extérieurs » étant le court de tennis près de la fabrique de conserves à la séquence 14, la nuit où déambulent Jeannot et Benjamin à la séquence 21 et la rue sous les fenêtres de l’appartement de Pierre à la séquence 23. Soit cinq séquences sur les vingt-six du mouvement en comptant la séquence 9bis. La petite ville en elle-même reste le plus souvent « au loin », comme à la séquence 21 où Jeannot et Benjamin se dirigent vers elle. Là encore, ce sera au décorateur de lui donner une existence physique. La dimension réaliste ou naturaliste, la présence des signes de la bourgeoisie, sont quant à eux bien perceptibles dès la lecture.

Voyons dès lors comment les indications musicales peuvent se justifier par le texte.

2.3. Rythmes
2.3.1. Allegro ma non troppo

Qu’en est-il du rythme rapide, de la « vivacité aiguë » impliquée par la mention « allegro ma non troppo » : quelles séquences, quels personnages les font le mieux percevoir ?

L’exposition par Marielle est pleine de fraîcheur, de gaieté (séquence 1) ; l’animation vaine de Verduret est savoureuse tant il fait figure de mari de comédie (séquence 2) ; le goût du pouvoir chez Paupiette confirme l’installation dans une œuvre moqueuse, satirique (séquence 3), comme la duplicité de Jeannot dans sa confession (séquence 4)… On est bien dans une atmosphère assez joyeuse, savoureuse, et l’enterrement de Clos-Martin, porteur de scandale et de ragots, ne saurait en rien l’assombrir.

Les moments où le rythme est le plus allègre sont peut-être ceux qui mettent en scène Lucas, sa verve et ses provocations à l’égard des autorités quelles qu’elles soient (séquences 6 et 23), les fanfaronnades de Maître Couillard (séquence 15), le discours de Claire à son médecin (séquence 17) et le rapport que ce dernier fait de sa visite à Pierre (séquence 18).

Mais cette vivacité est sans doute contenue, à la fois par les interventions nostalgiques de Clos-Martin, les effets de son « retour » sur Claire et les confidences qu’elle fait à l’abbé Mamiran.

L’allegro est donc bien là, mais il demeure mesuré, « non troppo ».

2.3.2. Andantino puis Scherzo grave

A priori, le deuxième mouvement s’ouvre de manière vive par un véritable dialogue animé entre Clotilde et Marielle, entre deux générations qui ont du mal à s’entendre (séquence 1). Mais le rythme se ralentit dès la séquence suivante avec la longue prise de parole de Claire recevant Maître Couillard, silencieux. Elle lui annonce qu’elle a réfléchi à la « reconversion » et qu’elle « passe la main » en cédant ses actions, titres de propriété et autres « biens » à son mari et ses trois fils pour qu’ils s’occupent eux-mêmes de la reconversion (p. 212). Claire entame ensuite une série de visites, accompagnée de Clos-Martin, celui qui guide ses pas et son action, inspire son « réveil » :

‒ à Pierre (usine), pour lui donner procuration l’ « autorisant à tout traiter à (sa) place ».

À Jeannot (banque), pour l’aider à obtenir un prêt afin d’acheter une grande ferme et plusieurs hectares de terrain en se portant « aval ».

‒ à Lucas (troquet), pour soutenir sa cause et lui annoncer qu’elle se met en retrait de ses dettes, de ses ennuis avec les autorités, qu’il n’aura plus aucun droit sur la fortune de sa mère, qu’elle les dégage l’un et l’autre des servitudes morales, de tout privilège. Et elle licencie un jeune ouvrier qui proteste.

‒ à Verduret (université) pour lui apprendre qu’elle allait instituer une Fondation Verduret dans leur maison pour lui permettre de mener plus confortablement ses recherches.

‒ à Paupiette (chez Pierre) pour la dispenser de ses grimaces à son égard et lui faire admettre qu’elles ne s’aiment pas.

‒ à Adeline (dans la rue) pour lui raconter de façon indirecte son histoire d’amour avec Clos-Martin, sa jeunesse, son passé et l’encourager à se remuer pour obtenir ce qu’elle désire, à faire l’éloge de sa mère auprès de Jeannot.

‒ à Manceau (chez lui) pour l’encourager à favoriser l’action des groupements ouvriers, à les pousser vers co et autogestion.

‒ aux commerçants Palpitard et Commertou (boutique) pour y commander une robe de mariée en guise de tenue de deuil discret…

Comme on peut le deviner, avec cette tournée de Claire, dont la plupart des étapes sont ponctuées par une intervention de Clos-Martin, le tempo du mouvement se ralentit et conduit au choix de l’enfermement dans sa chambre à la séquence 12. D’une part, le personnage figure dans la plupart des séquences (10 sur les 13), d’autre part le scénario de la tournée a quelque chose de systématique, de répétitif, qui ralentit la progression dramatique. Claire semble constituer en effet, comme le voulait l’auteur, un thème musical qui se déploie paisiblement sur tout le Moment I. Mais l’enchaînement assez rapide (« un peu pressé ») des rencontres explique que l’on reste dans un andantino sans aller jusqu’à l’andante.

Le Moment II semble impliquer une animation, soulignée comme on sait dans ses didascalies initiales.

Dès la première séquence, la plupart des personnages rencontrés par Claire au Moment I sont rassemblés par Maître Couillard (Pierre, Jeannot, Lucas, Verduret, Manceau). Ne manquent que Paupiette et Adeline, mais qui ne sont pas concernées directement par les décisions de Claire ; tout comme les commerçants. Une autre étape semble être franchie à la séquence 2, accélérant le rythme, quand on voit alternativement Jeannot en compagnie d’une prostituée qu’il se propose d’installer, et Adeline parlant à Benjamin de Jeannot, puis Jeannot se justifiant auprès de Benjamin et ce dernier demandant à la mère d’Adeline d’intervenir au plus vite.De toute évidence la structure de la séquence se complexifie, s’anime, et le scherzo s’impose de diverses façons :

‒ des prises de parole adressées à des interlocuteurs différents se multiplient dans une même séquence, comme dans la 3, amorçant un ballet que l’on attendait dans le premier mouvement.

‒ des décisions imprévues se prennent : Verduret choisit de partir en voyage, Jeannot renonce à la prostituée pour faire retraite chez les Trappistes, Manceau se range du côté de Lucas et des ouvriers en grève, Pierre renonce à devenir député…

‒  tout un monde s’écroule en l’absence de Claire et la grève à l’usine est près de dégénérer…

‒  le retour de Lucas à la maison n’a rien de rassurant et tout ce désordre conduit Claire à sortir la tête du sable.

Ce Moment II est dominé par un sentiment de désordre, d’agitation qui explique le terme « scherzo », mais il n’est pas dénué de gravité car on sent que tous ces personnages privés de Claire sont au bord de la noyade, sous des formes différentes.

2.3.3. Allegro pathétique

À l’ouverture du troisième mouvement, Maître Couillard synthétise pour Claire les liquidations effectuées ou à venir. La démesure des ventes, n’épargnant pas les conserveries, Pierre doit apprendre à se défendre et il envisage de faire interner sa mère. Paupiette s’apprête à le quitter pour un autre. De nouveau la scène est fortement peuplée et Claire, revenue, manifeste son enthousiasme à liquider ses biens, à se moquer des résistances de Maître Couillard. Tous les deux sont réunis dans la quasi-totalité des séquences car cette fois on passe à l’acte de vendre dans ce qu’il a concret et de systématique, jusqu’à transformer la scène en salle des ventes pour les deux dernières séquences. La dernière s’ouvrira d’ailleurs sur le public appelé à contribuer à la liquidation.

Ce nouveau mouvement est assez joyeux ‒ Claire renonce aux tracas de la possession pour se faire plaisir (p. 249), Marielle a fait l’amour avec Lucas et a « beaucoup aimé ça » ‒ et le terme d’allegro semble approprié, mais cette joie se traduit par des abandons, des renoncements, une dépossession qui semble ne pas être que matérielle (« C’est moi qui me dépossède », p. 250). On perçoit que certains biens ont une histoire pour Claire, qu’elle a un lien affectif avec eux, comme cette bergère qu’elle ne veut pas céder à n’importe qui.

Ce n’est pas un hasard si Clos-Martin vient ici dire adieu à Claire, s’il est sur le départ.

La maison va être exposée au public « comme si le ventre de la bourgeoisie s’ouvrait. » (p. 251).

L’allegro est assombri, un peu menaçant, d’où l’emploi du terme « pathétique » pour le qualifier.

2.3.4. Molto vivace

 Le quatrième mouvement évolue à la manière d’un tourbillon.

Claire est d’abord seule à l’intérieur du cirque, mesurant le vide qu’elle a fait autour d’elle, ses conséquences sur elle : « Je vous ai repoussés, désunis, éparpillés, mais c’est moi qui me sens défaite. » (p. 259)

Elle ne rêve cependant pas d’un retour en arrière, mais de poursuivre la destruction jusqu’à celle de sa maison.

Elle subit cette fois le départ de Clotilde pour un asile de vieillards, elle essaye de la retenir en vain. Elle n’a pas non plus l’initiative du divorce avec Verduret et doit se résigner à voir Jeannot épouser la mère d’Adeline, à être giflée par lui. Elle est volée par Lucas avant qu’il parte en compagnie de Marielle. Quant à Clos-Martin, il part cette fois « en fumée ».

Mais c’est encore elle qui congédie Maître Couillard, qui demande à Marielle de partir.

Quoi qu’il en soit, elle est devenue méconnaissable quand elle s’offre à l’abbé Mamiran, s’humilie devant lui.

Il semble ne lui rester que Pierre, qui a perdu femme et travail, mais celui-ci a « découvert qu’[il] ne [s]’intéressai[t] pas » en se regardant dans un miroir (p. 283) et met fin à ses jours.

Claire sombre alors dans un cauchemar où les personnages de la pièce interviennent sous un jour monstrueux, en tenant des propos sibyllins, dans un étrange décousu.

Si ce mouvement est bien « molto vivace », c’est à la façon d’une tornade tragique emportant tout ce qui restait à Claire, jusqu’à sa raison, peut-être.

2.3.5. Aubade

Quand Claire réapparaît au cimetière dans le cinquième mouvement, pour l’enterrement de Pierre, elle semble avoir du mal à entendre et comprendre Pitou. Elle est comme égarée.
Pitou lui sert de guide et a besoin de son aide pour échapper aux autres membres de la famille et à la pension où ils veulent le mettre.

Ses efforts semblent porter leurs fruits et on voit Claire tenir tête à tous les autres dans sa dernière réplique, les menaçant de parler d’eux en public, les contraignant à prendre la fuite.

Pitou peut bien danser : un nouveau jour va se lever. C’est le temps de l’aubade.


Dans Il faut passer par les nuages, la dimension musicale et rythmique est incluse à la fois dans les timbres et mouvements de la parole, dans sa distribution entre les personnages et au fil de l’action, et dans la composition même de la pièce, dans la structure de sa progression dramatique. Les analogies musicales sous-tendent en permanence l’écriture, elles l’informent, imposant l’évidence que le sens doit naître du son. Le travail fait par Billetdoux, très savant, d’une grande précision, révèle un auteur particulièrement attentif à ce que le texte devient dans l’oreille, à la façon dont on doit l’entendre. Jamais peut-être ce verbe n’a eu autant qu’ici son double sens d’écoute et de compréhension

Toutefois ces analogies musicales appellent plus que jamais la mise en scène, laquelle seule peut donner à une telle pièce sa pleine dimension sonore et faire entendre ses « portées ».

Notes

[1] Lettre de F. Billetdoux à J.-L. Barrault du 16 mars 1963, in Cahiers de la Compagnie Renaud-Barrault, n°46, octobre 1964, p. 13.

[2] Id., p. 14.

[3] Id., p. 17.

[4] Billetdoux emploie l’expression p. 211 de notre édition (Théâtre 2, Paris, La Table ronde, 1964).

[5] F. Billetdoux,  « Poétique du décor » (Notes pour René Allio), in Cahiers de la compagnie Renaud-Barrault, op. cit., p. 24 et 29.

[6] Lettre à J.-L. Barrault du 16 mars 1963, op. cit., p. 14-15.

[7] Henri Gouhier, « Pour arriver aux régions de lumière… », Cahiers de la compagnie Renaud-Barrault, op. cit., p. 5.

[8] Henri Gouhier parle de « ballet sans danseurs » à propos de la pièce (op. cit., p. 5.). Il est précisé qu’une musique (de Serge Baudo) intervenait à la création, mais il n’est fait mention que de Barrault pour la mise en scène.

[9] Henri Gouhier, « Pour arriver aux régions de lumière… », op. cit., p. 6.

[10] Souligné par l’auteur.

[11] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit., p. 21.

[12] Id., p. 27.

[13] Id., p. 28.

[14] Id., p. 29.

[15] Ibid. Souligné par l’auteur.

[16] Ibid.

[17] Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 227.

[18] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit., p. 29.

[19] Ibid.

[20] Id., p. 30.

[21] Ibid.

[22] Id., p. 22.

[23] Ibid.

[24] Id., p. 23.

[25] Id., p. 21.

[26] Id., p. 30.

[27] Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 242.

[28] Id., p. 211.

[29] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit., p. 22.

[30] Ibid.

[31] Id., p. 23.

[32] Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 258.

[33] Jean-Marie LHÔTE, Mise en jeu François Billetdoux, L’arbre et l’oiseau, Arles, Actes Sud-Papiers, 1988, p. 166.

[34] Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 258.

[35] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit., p. 31.

[36] Id. p. 32.

[37] Ibid.

[38] Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 181.

[39] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit., p. 23.

[40] Ibid.

[41] Henri Gouhier, « Pour arriver aux régions de lumière… », op. cit., p. 6.

[42] Ibid.

[43] Lettre à J.-L. Barrault du 16 mars 1963, op. cit., p. 15.

[44] Id., p. 16 ; « […] le jazz m’apprit en douce qu’il existait une couleur de l’âme désolée vers laquelle tendre : la note bleue » (F. Billetdoux, « Une idée de nègre », Petits drames comiques, Arles, Actes Sud-Papiers, 1987).

[45] Lettre à J.-L. Barrault du 16 mars 1963, op. cit.,  p. 16.

[46] Herbert Pepper, Essai de définition d’une grammaire musicale noire, cité par Billetdoux dans « Une idée de nègre », op. cit..

[47] Lettre à J.-L. Barrault du 16 mars 1963, op. cit., p. 16.

[48] Id., p. 17.

[49] F. Billetdoux, « Poétique du décor », op. cit.,  p. 23.

[50] Id., p. 28.

[51] In L’Avant-Scène, n° 332, 15 avril 1965, p. 42.

Auteur

Jean Bardet, professeur agrégé de Lettres modernes, longtemps chargé de cours à l’Université de Paris Est/Marne-la-Vallée, est l’auteur des huit notices consacrées aux œuvres dramatiques de François Billetdoux dans le Dictionnaire des pièces de théâtre françaises du XXe siècle (Jeanyves Guérin (dir.), Champion, 2005), et de sept éditions critiques parues aux éditions Gallimard, dont celles du Paradoxe sur le comédien de Diderot (folioplus classiques n°180) et de la comédie Poil de Carotte de Jules Renard (folioplus classiques n°261).

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François Billetdoux ou le Boulevard détourné


L’article revient sur la qualification de Billetdoux comme « auteur de boulevard », écrivant des intrigues de vaudeville. Il relit pour cela Tchin-Tchin (1959), pièce sans doute la plus responsable du malentendu, tout en s’autorisant des incursions dans Le Comportement des époux Bredburry (1960) qui interroge aussi la vie de couple, et dans l’« épopée bourgeoise » que constitue Il faut passer par les nuages (1964). Il s’agit de montrer comment les principes du boulevard sont « ironisés » et comment la mécanique attendue s’intériorise au profit d’un rituel de dépouillement quasi initiatique.

The article addresses the question raised by the expression “bedroom farce author” about Billetdoux and some plots of his theatre as falling within the “vaudeville”. In that perspective, Tchin-Tchin (1959), which is probably the most responsible for the misunderstanding, is chosen as main object, with incursions into Le Comportement des époux Bredburry (1960) that also questions the couple’s life, and into Il faut passer par les nuages (1964), which is an epic about the middle-class. The aim is to show how the principles of the boulevard are twisted and made fun of, and how the expected principles of bedroom-farce theatre get more internalized to virtually become a stark initiatory ritual that is very remote from the conventions of bedroom farce theatre.

 


Texte intégral

 

« … tenter d’accommoder luxueusement et abruptement
quelques formes traditionnelles du spectacle
aux nouvelles manières de saisir le temps qui passe. »
(Lettre à Jean-Louis Barrault, 16 mars 1963)

François Billetdoux est présenté comme un « auteur de boulevard » dans l’encyclopédie que Bordas consacre au théâtre en 1980, tandis que le Petit Robert parle de « vaudeville traditionnel » pour caractériser l’intrigue de ses pièces. L’aurions-nous mal lu ? Pour le vérifier, nous avons choisi de revenir à sa pièce Tchin-Tchin, la plus populaire et boulevardière en apparence, créée en 1959 au Théâtre de Poche-Montparnasse à Paris, traduite dans dix-neuf langues, représentée dans vingt-huit pays. Il y est question de l’épouse d’un chirurgien au nom assez ridicule, Mrs Paméla Puffy-Picq, qui fait la rencontre d’un homme, entrepreneur en bâtiment, autour de verres consommés sans modération. On pense alors à du théâtre bourgeois, convenu et sans surprise. On semble loin de l’épopée métaphysique de Comment va le monde, Môssieu ? Il tourne, Môssieu ! donnée à voir quelques années plus tard (1964). La programmation de la pièce en novembre 1962 dans une tournée Karsenty, avec Daniel Gélin et Madeleine Robinson dans les rôles principaux, peut accréditer encore cette impression. Mais alors, comment comprendre la reprise de la pièce par Peter Brook, assisté de Maurice Bénichou, au Théâtre Montparnasse vingt-cinq ans plus tard, en 1984 (avec dans la distribution un certain Marcello Mastroianni…) ? Cela invite à aller au-delà des apparences. Autour de Tchin-Tchin, deux autres pièces nous permettront d’élargir nos analyses et de questionner davantage l’appellation d’auteur de boulevard : Le Comportement des époux Bredburry, qui date de 1960, et Il faut passer par les nuages (1964).

1. Premiers écarts génériques

Dans le vaudeville, et plus largement dans le théâtre de boulevard, le personnage n’a pas d’identité propre, tant il est « dépourvu de substance » pour jouer le rôle « d’un instrument destiné à mettre en œuvre l’intrigue [1] ». Comme l’écrit Michel Corvin, les personnages du boulevard « sont les rouages – somme toute secondaires – d’un dispositif agencé pour les besoins d’une démonstration [2] ». Beaucoup d’entre eux sont interchangeables et s’apparentent à des types récurrents d’une œuvre à l’autre, voire à l’intérieur d’une même pièce. Que l’on songe ainsi aux deux prétendants d’Henriette dans Le Voyage de monsieur Perrichon (1860) d’Eugène Labiche (1815-1888), aux scènes 3 et 4 de l’acte I. Comme le fait remarquer Corvin à propos d’une pièce de Guitry : « l’amant ne saurait être qu’amant, la femme qu’infidèle à son mari et maîtresse de l’amant, le mari que cocu [3]… »

Leur classe sociale est secondaire par rapport à leur métier ou à leur statut familial. Certes, ils appartiennent pour la plupart d’entre eux à l’univers de la bourgeoisie, sans remettre en question son fonctionnement. Mais on ne saurait y voir pour autant une peinture fidèle de cette classe. Le prétendre, comme le fait Philippe Soupault à propos de Labiche [4], c’est faire selon Henri Gidel « un contresens total [5] ». Car le bourgeois, dans ce théâtre, n’est « nullement défini par son appartenance à un groupe social déterminé [6]», mais par opposition à « l’artiste », peu soucieux du conformisme et des biens matériels. Le bourgeois sur scène doit répondre à une esthétique théâtrale, être un anti-héros, une source de comique. Il n’a que très peu de « réalité sociologique [7] ». Et il en est de même chez Feydeau : « On aurait tort […] de chercher dans cette œuvre […] une peinture, même caricaturale, de la société de la “Belle Époque” [8]. »

Quant à l’espace, il « est très généralement figuratif [9] », soucieux d’illusion réaliste pour installer le spectateur dans un cadre bourgeois, un salon très souvent : « C’est que l’espace dans les pièces de Boulevard est un lieu de passage et de rencontres [10] […] » Comme les personnages, le lieu est au service de l’action, tout particulièrement dans le vaudeville où les portes peuvent se multiplier sur scène jusqu’à l’invraisemblance. Michel Corvin proposait d’ailleurs de donner à cette forme théâtrale « le titre générique de “Les portes claquent” [11] ».

L’intrigue cependant s’installe rarement dans une époque donnée, elle n’a pas le souci d’un ancrage historique tant elle fait appel aux clichés, aux conventions qui traversent le temps. Comme le fait remarquer l’encyclopédie Larousse en ligne (article sur le théâtre de boulevard) : « C’est l’inactualité même des pièces de Guitry (nul n’a moins que lui reflété son époque) qui fut le gage de leur succès. »

Sacha Guitry illustre bien par ailleurs une autre caractéristique du théâtre de boulevard et la principale fonction scénique des personnages : l’échange de bons mots. C’est en effet « un théâtre de la parole [12] ». Michel Corvin parle à son propos de « conversation sous un lustre [13] ». Le comique de mots y occupe une large place : « […] le spectateur assiste souvent à une véritable fête du langage [14] ». Et les mots d’auteur s’y multiplient. Il s’agit de faire rire à tout prix.

La pièce Tchin-Tchin et les deux autres œuvres convoquées, répondent-elle à ces critères génériques? C’est ce que nous nous proposons de mesurer.

Notons déjà un premier écart avec le Boulevard : le cadre temporel de la pièce semble en décalage avec les attentes sur cette forme théâtrale. L’action est située « à Paris en 1958 », « à l’époque de la conception de l’ouvrage [15]». Et cela se traduit par une couleur locale précise dans le texte lui-même :

Alors, les tagliatelles [16] faisaient figure de nouveauté, les pizzerias étant peu nombreuses, le whisky ne se vendait pas dans les épiceries arabes et la nuit, les Halles [17], pour les gens de toute espèce et les rats et au petit matin les oiseaux, étaient encore le lieu le plus enchanteur au cœur de la capitale, qui cette année-là perdait la tête [18].

Le contexte historique est plus affirmé encore dans Il faut passer par les nuages. Non seulement l’action est de nouveau située à l’époque de l’écriture de la pièce, « en l’année 1963, au long des quatre saisons [19] », mais certaines réflexions semblent annoncer mai 1968 et des formes de vie en vogue dans ces années-là. Cela est sensible dans les propos de Jeannot :

Si maman avait une ferme, je m’y retirerais, j’exploiterais, j’expérimenterais les nouveaux procédés en matière d’élevage, je ferais le pain moi-même, je vivrais du produit de mon travail, un bol de lait de chèvre au réveil, un œuf à la coque et une pomme à midi, puis la vie en plein vent […] (p. 197)

Marielle, la jeune bonne de seize ans (p. 240), fait allusion pour sa part à une célèbre chanson de 1962 en faisant la vaisselle : « Zut ! L’assiette est cassée. Où est-ce qu’est la poubelle, belle, belle ? » (p. 198). À la fin du premier « mouvement » passent des jeunes gens « qui chantent et dansent un twist » (p. 209).

Le désir d’émancipation sociale est lui aussi perceptible dans cette œuvre de 1964, quand Claire incite Manceau à « favoriser l’action des divers groupements ouvriers qui militent au sein de notre établissement afin qu’ils en arrivent à revendiquer très vite la co-gestion, puis l’auto-gestion » (p. 223). De même, les craintes sur l’importance donnée à l’« automation » (p. 234), à la modernisation, nous replongent bien, elles aussi, dans les années 1960. La grande Histoire fait même une discrète apparition avec la guerre d’Algérie, où Lucas « abandonnait sa faction pour s’égarer dans le désert vivre au milieu des Arabes […] » (p. 274).

Par leurs références historiques, les pièces de Billetdoux ne relèveraient donc pas du boulevard.

Qu’en est-il du trio traditionnel constitué par le mari, la femme et l’amant, et de la structure en trois actes récurrente dans cette forme de comédie ?

La structure des pièces de Billetdoux retenues dans notre champ d’étude est soit en quatre, soit en cinq temps, donc bien distincte du rythme habituel du vaudeville (les vaudevilles de Labiche en cinq actes, peu nombreux, sont perçus comme des écarts par rapport à cette norme).

Quant à l’intrigue, aucune de ces pièces ne repose sur l’infidélité conjugale : celle-ci est extérieure à l’action dans Tchin-Tchin, esquissée sans être vécue dans Le Comportement des époux Bredburry, et l’amant potentiel dans Il faut passer par les nuages appartient au royaume des ombres… Certes, l’institution du mariage est questionnée, tournée plusieurs fois en dérision, comme dans Le Comportement des époux Bredburry :

Rébecca. […] Sait-on jamais qui on épouse ! On regrette toujours [20].

L’inspecteur. […] Les événements se précipitent sur nous et nous en sommes tout étonnés.

John. Je pense que vous donnez là une juste définition du mariage. (p. 29)

John. Je suppose qu’ils sont malheureux tous les deux, puisqu’ils sont mariés ensemble. (p. 37)

Mais cette approche du mariage n’en reste pas moins elle-même d’une tonalité plus grinçante, plus cynique, que celle que l’on rencontre d’ordinaire dans un vaudeville.

2. L’accueil critique de Tchin-Tchin

Ce qui est certain, c’est qu’à la création de Tchin-Tchin en 1959, la critique théâtrale ne perçoit ni théâtre de boulevard, ni vaudeville. Marcelle Capron salue dans Combat la découverte d’un auteur « dès les premières répliques, dès les premiers silences, dès ce long presque-monologue de Césario Grimaldi […] » Elle se dit saisie « par la nouveauté du ton, par sa qualité aussi ». Elle dit son enthousiasme pour cette « voix encore in-entendue » qui parle d’un amour « qui vous porte plus loin que dans un lit », d’un village « où les femmes sont en deuil d’on ne sait quoi parmi les rochers ». Ce sont pour elle « des mots tout neufs, des images toutes neuves » d’un « jeune dramaturge-poète [21] ». Georges Lerminier, dans Le Parisien libéré, perçoit l’auteur comme « énormément spirituel, vaguement inquiétant » et juge sa pièce « amèrement humaine ». Il précise le ton en ajoutant « qu’il y entre pas mal de préciosité, une préciosité ironique, très consciente », cela à côté d’un humour qui reste dominant. Jean-Jacques Gautier, dans Le Figaro, croit « déceler dans son ouvrage une nécessité intérieure », « cette immanence si rare au théâtre ! » et invite ses lecteurs à aller voir la pièce, malgré son écœurement à voir des personnages « qui se pochardent». Prolongeant cette dernière remarque, Jean Vigneron dans La Croix, qui s’attendait justement à voir « un vaudeville » ou une autre forme théâtrale répertoriée dans l’histoire littéraire, n’y voit que l’emploi de l’alcool comme « nouveau ressort dramatique » (et confie s’être profondément ennuyé face à une œuvre « où se mêlent humour noir et considérations pessimistes »). Gabriel Marcel salue pour sa part dans Les Nouvelles Littéraires« un talent indiscutable », « une des bonnes surprises de cette saison », même s’il trouve la pièce « gênante », « d’un bout à l’autre ». Il ne peut que remarquer un dialogue « d’une qualité exceptionnelle. Serré, incisif », et la nouveauté d’une œuvre qui « sort absolument de l’ordinaire ». Morvan Lebesque ira même jusqu’à parler, dans Carrefour, de « chef-d’œuvre, [d’]un miracle de tendresse et d’ironie », nous maintenant en permanence entre rire et larmes. Il s’émerveille de la performance consistant à avoir bâti « une pièce avec deux personnages qui ne se quittent jamais et ce, sans aucune « astuce », sans le moindre décrochement scénique ». Il ne fait aucun doute, pour lui, qu’un « nouveau poète de théâtre » est apparu avec ce « spectacle qui tranche sur tout ce qui nous a été offert depuis le début de la saison ».

Si l’on synthétise cette rapide revue de presse, on notera l’insistance sur la nouveauté de l’œuvre aux yeux de ces critiques, sur le talent de son auteur. Ils y perçoivent tous une forme de rupture plutôt qu’une manière de s’inscrire dans une tradition, quelle qu’elle soit. Cette modernité est associée à un ton qu’il semble difficile de caractériser, où l’humour se teinte d’amertume de façon troublante, mais aussi à une langue originale et très soignée, voire précieuse, et à des dialogues d’une extrême précision. La dimension humaine et poétique de l’œuvre est soulignée, même si elle passe par l’ironie. Les premiers critiques nous conduisent donc bien loin des conventions du boulevard et de la mécanique du vaudeville.

3. Le couple autrement menacé

Ce qui retient l’attention dès qu’on entre dans Tchin-Tchin, c’est le décalage installé par Billetdoux dans la situation initiale elle-même. Nous sommes mis en présence d’un couple improbable, lui entrepreneur en bâtiment d’origine italienne, Césaréo Grimaldi, elle femme de chirurgien d’origine anglaise, Mrs Paméla Puffy-Picq, dans un salon de thé de « genre anglais » que l’entrepreneur en bâtiment ne doit pas habituellement fréquenter. Ils se reconnaissent à la photo que chacun a apportée, celle de leurs conjoints respectifs. Nous comprenons assez vite que ces conjoints forment eux-mêmes un couple illégitime et que la pièce nous met en présence des exclus, des délaissés de cette histoire d’amour. En cela, nous n’avons nullement le couple traditionnel du boulevard et les amants resteront absents de la pièce. Le troisième personnage ici sera Bobby, le fils que Paméla a eu avec son mari chirurgien.

Le décalage se manifeste aussi dès la première réplique en français de Césaréo, par la fantaisie de ses enchaînements, ou plutôt, de la discontinuité de ses propos : « Je ne connais que quelques mots anglais. Mother, father, kitchen, good bye, pencil. Et ceux que je vous ai dits, bien sûr. Et Shakespeare. » La référence à cet auteur introduit immédiatement une rupture avec la vraisemblance. Certes, il n’est pas impossible qu’un entrepreneur en bâtiment connaisse Shakespeare, au moins de nom, mais le surgissement de ce nom a un effet inattendu, déroutant, que la réplique suivante du personnage, citant un poème de Christina Georgina Rossetti (1830-1894) mis en musique par Charles Wood en 1916, confirme : « J’entends la musique ! “What is white? A swan is white, sailing in the light [22]”. Le nord ! Le vent marin ! Parlez-vous italien ? »

Une forme de décousu semble s’installer où le son, la musicalité des mots l’emportent, au profit des images qu’ils font surgir et qui semblent éloigner l’interlocutrice, comme si Césaréo s’adressait moins à elle qu’à lui-même. Ce début de texte montre que le dialogue est en lui-même problématique, pas seulement parce qu’il faut décider en quelle langue se fera la conversation, mais parce que chaque réplique semble inventer un langage, une musique, qui isolent celui qui la profère et rendent la communication difficile, incertaine. Certes, ce n’est pas la forme d’incommunicabilité qui caractérise le théâtre de l’absurde, car le personnage garde ici une présence, d’autant plus forte qu’elle est sonore, très intime. Mais le dialogue semble en quelque sorte miné par une tendance au monologue, plus exactement au soliloque (pour reprendre la distinction que Jean-Marie Lhôte propose de ces deux termes [23]), renforçant du même coup la solitude des personnages.

Cette parole qui semble avoir du mal à parvenir jusqu’à l’autre, peut prendre un air exalté, se perdre dans une démesure un peu inquiétante, ainsi de cet échange, après avoir bu du vin français qui « éveille des délicatesses » :

Césaréo. […] Tenez ! Vous me paraissez jolie dans ma brume. Dites-moi que je suis beau et fruité.

Paméla. No ! No !

Césaréo. Je suis vilain, vilain, vilain ! Soyez joyeuse, madame, s’il vous plaît ! Entraînez-moi ! Jouez de la cornemuse ! Mais ne restez pas plantée là, pleine de jugements, d’idées, de lois, de drapeaux ! Allons boire, que diable ! (p. 18)

La parole, autant sinon plus que l’alcool, conduit à des vertiges [24] qui malmènent les certitudes, les identités. Au fil de la pièce, Mrs Puffy-Picq est de moins en moins l’épouse d’Adrien, le chirurgien ; elle se réduit de plus en plus à Paméla, engagée dans une étrange relation avec le mari de la maîtresse du sien.

Pour autant, le nouveau couple en construction n’échappera pas à la solitude, et on les verra même « soliloquer » chacun de son côté à l’acte III (p. 40-41), prendre conscience de leur commune solitude un peu plus tard (« Paméla. Comme nous sommes seuls ! », p. 50), tenter de dialoguer avec une chaise, avec les choses (p. 47) [25] (car « il faut bien parler à quelqu’un ! »), s’adresser à l’autre sans être entendu de lui :

Paméla. […] Il y a quelques années à peine, j’étais adolescente et je savais qu’il y avait quelque chose de miraculeux à atteindre.

Césaréo. Vous me parliez ?

Paméla. Oui.

Césaréo. Je n’ai pas entendu. (p. 51)

Il est vrai que Paméla vient d’évoquer un passé proche mais révolu, qu’elle prend conscience de la distance parcourue depuis. Or ce passé est devenu inaudible, il ne parvient pas à l’oreille de Césaréo.

Dans Il faut passer par les nuages, c’est même un revenant des années 1920 qui exprime, pour Claire seule, leur bonheur d’autrefois : « […] nous nous en irons promener notre vieil air de jeunesse à pas lents, partout où nous aurons rêvé un baiser au bord de la bouche […] » (p. 186). On ne peut s’étonner de retrouver dans les répliques du personnage le décousu constaté dans celles de Césaréo :

Oh n’ayez plus de pudeurs sottes ! Il y a la guerre, il y a la guerre, comprenez-vous ? Partout ! Le monde est ouvert ! Aboli le temps qui dure ! Mon père est mort hier du côté des Ardennes. Et le vôtre, où est-il ? Vous ne me l’avez jamais dit ! Je veux faire l’amour avec vous. (p. 203-204)

Des vivants, Claire a elle aussi du mal à être entendue : « […] je ne connais autour de moi que des personnes sans oreilles » (p. 207). Et son acharnement à tout vendre ne peut déguiser ce qu’elle ressent : « Savez-vous que je suis bien seule ? » (p. 251).

Dans Le Comportement des époux Bredburry, Rébecca tente de son côté de préciser sa difficulté à communiquer avec son mari : « On ne s’entend pas. Au début, on cherche en tâtonnant. On ne dit trop rien. Puis on essaie des phrases, l’un et l’autre. Puis on s’aperçoit qu’on dit les mêmes mots et qu’ils ne signifient pas la même chose » (p. 24). Elle en est convaincue : « […] personne ne dit rien à personne. » (p. 65). Et Jonathan confirme plus tard son impression :

Notre solitude nous devient un peu plus sensible. Nous vieillissons face à face au lieu de vieillir côte à côte. Chacun voit dans les yeux de l’autre non pas la sottise de l’espérance, mais une attente qui n’a pas de nom et qui est peut-être la seule expression de l’amour. (p. 34-35).

Aussi, quand Elsbeth lui déclare qu’ils étaient faits pour s’aimer elle et lui, il s’insurge : « Non ! Non, vous vous trompez, chère amie. Personne n’est fait pour quelqu’un » (p. 59).

Dans les trois pièces retenues, la relation à l’autre est difficile, douloureuse, tant elle fait mesurer la solitude de chacun.

4. Boire pour redessiner la carte du Tendre

Bien sûr, l’effet de l’alcool explique partiellement l’exaltation fréquente de la parole dans Tchin-Tchin, si l’on veut conserver à la pièce une part de réalisme. Il peut permettre à Paméla d’être « sans retenue », si elle est « ivre morte » (p. 30-31). Il n’a pas le pouvoir de rendre heureux, selon Césaréo, seulement celui de mettre en mouvement l’intériorité d’un être : « Ce qui compte, c’est ce quelque chose que ça permet d’éveiller quelquefois par là-dedans » (p. 32). Mais la boisson semble avoir un rôle bien plus important encore. Ici, comme le dit Césaréo, on ne boit pas « pour oublier » (p. 54), mais « pour donner des couleurs », pour libérer l’imaginaire, pour voir la réalité autrement, la revisiter culturellement :

Et ce soir, par exemple, Mrs Puffy-Picq, je voudrais que vous soyez une négresse, mafflue et toute nue, dans un désert aux broussailles rares, et nous chanterions sous la lune pour conjurer les esprits. » Cela ne l’empêche pas de mesurer les résistances de sa partenaire, « impérialiste sans empire […] refusant les mirages et les oasis. (p. 18)

Mais c’est bien d’une quête intérieure qu’il s’agit à travers les verres consommés et qui fait écho à la phrase du mage Krishnamurti mise en exergue de la nouvelle édition de 1986 : « Tant que l’esprit est à la recherche de sa satisfaction, il n’y a pas une grande différence entre la boisson et Dieu. »

Cette dimension spirituelle prend la forme d’un dépouillement, d’un rituel, où il s’agit de se délester d’une vie passée, apparemment très heureuse pour Césaréo et Paméla, mais qui semble compromise pour l’un et l’autre depuis que leurs conjoints sont en couple.

Certes, le renoncement n’est pas facile, et ce n’est pas pour lui que Césaréo et Paméla se retrouvent, initialement, mais pour mettre sur pied une stratégie, une contre-attaque. Comme le déclare Paméla : « Nous avons décidé de séparer votre Marguerite et mon Adrien » (p. 19). Ils veulent encore y croire, Paméla du moins. Césaréo pour sa part paraît assez vite prêt à capituler (« Quelle importance ! Si elle ne me préfère pas à n’importe quel inconnu ! »), avant de rêver de reconquête : « Nous les retirerons de la circulation, nous les isolerons comme des fleurs précieuses. Marguerite, je l’emmènerai chez moi, dans mon village, où les femmes sont toutes en deuil d’on ne sait quoi, parmi les rochers. Et je l’enfermerai ! » (p. 20). Il oscille entre son envie de la reprendre, de « bramer » sa peine, son amour pour Marguerite, et son désir de se sacrifier pour le bonheur de sa femme :

[…] dire à toute une rue que j’aime Marguerite ! Que je pleure Marguerite, que l’on m’a prise parce qu’une Anglaise prévoyante n’a pas su retenir son mari dans son lit ! Pour dire que je suis tragique et que ça ne me va pas du tout, à moi, pauvre homme ! qui aime Marguerite comme le pain, parce que c’est bon et nécessaire, et que je comprends trop bien que quelqu’un d’autre aime le pain ! (p. 20-21)

Et : « Alors, je me dis qu’il est bien triste qu’une femme aussi belle que Marguerite et un homme aussi glorieux que votre époux ne vivent pas ensemble un amour admirable. » (p. 24).

Dès l’observation des photos apportées par l’un et l’autre au début de la pièce, il s’était exclamé : « Franchement ! […] Et regardez-les, l’un à côté de l’autre ! Comme ils sont beaux ! C’est à pleurer ! » (p. 16). Paméla, comme le lecteur ou le spectateur, s’en étonne : « Êtes-vous en train de dire que nous devons accepter […] Et les bénir ? » (p. 24) Césaréo confirme son désir à présent de « les laisser libres, oui », pour qu’ils « soient capables d’un amour énorme »… Une telle générosité, un tel don de soi et de ce que l’on chérit serait déplacé dans un vaudeville qui fonctionne avec des réactions attendues, les passions humaines ordinaires. Billetdoux choisit de toute évidence une autre façon de faire sourire son destinataire.

5. Aimer bien au-delà du lit

À contrepied du boulevard, l’homme et la femme réunis dans Tchin-Tchin ne forment pas un couple d’amants, au sens où on l’entend d’ordinaire.

D’une part, l’un et l’autre aiment profondément celle et celui qui les ont délaissés. La jalousie, si elle peut apparaître, reste très ponctuelle, éphémère, et n’est pas suffisante pour que l’entreprise de séparer les amants aboutisse. Ce sont eux qui l’éprouveront, une fois installés dans leur vie de couple (acte IV, scène 2, p. 58). Le plan est vite abandonné au profit d’une nouvelle relation à nouer entre Paméla et Césaréo.

D’autre part, ils ne cherchent pas à profiter de la situation, en se vengeant de leurs conjoints par une autre liaison adultérine. Quand ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel de catégorie B (acte III, scène 2), c’est d’abord pour faire des économies en consommations, loin du Harry’s Bar (p. 29) qui avait remplacé le salon de thé de leur rencontre : « Césaréo. […] Savez-vous combien nous avons dépensé dans les cafés le mois dernier ? J’ai fait le calcul ! » (ibid.). En cela, il l’affirme, ils reprennent une pratique connue ailleurs qu’en France : « Dans tous les pays civilisés, il existe des clubs spécialisés où l’on peut louer des chambres uniquement pour y boire » (p. 30). Rien de très original à cela, selon lui. Ce décalage d’emploi de la chambre d’hôtel ne doit pas être interprété : « Ne faites pas une aventure d’un événement tout à fait banal. Buvons et bavardons » (p. 31). Le fils de Pamela, Bobby, est donc dans l’erreur quand il déclare à Césaréo : « […] je ne sais pas ce que vous fricotiez avec elle […] » (p. 33). Contresens bien naturel, bien facile. Il se croit dans le théâtre de boulevard et Césaréo doit lui ouvrir les yeux en disant à Bobby comment il voit sa mère : comme une autre Jeanne d’Arc : « C’est exactement le même genre de personne. Absolue, excessive, militaire ! Alors reconnaissez qu’on a lieu par moments de se montrer réticent. La grandeur, à la longue, ça fatigue ! » (p. 34). Elle ne peut donc pas être aimée « comme on doit aimer une femme » (p. 35) :

[…] c’est une personne qui regarde haut, elle, et pour qui l’amour n’est pas une occupation ni une situation, mais une raison de vivre ! Et ce n’est pas de la morale, ça ! Car cet amour-là ne vous étrique pas, ne vous limite pas, mais il vous porte et pas seulement dans un lit, mais plus loin, beaucoup plus loin. (ibid.)

Il y a une forme de ressemblance entre Césaréo et Paméla, plus « frère et sœur » (p. 52) qu’amants, car on devine que Césaréo parle davantage ici de son amour pour Marguerite, qu’on est de nouveau proche du soliloque. De ce fait, quand Césaréo fait sa déclaration à Paméla, on ne peut la croire vraiment sincère et authentique, non seulement parce qu’il est ivre mort et s’écroule sur un lit dès qu’il l’a terminée, mais aussi car son lyrisme a la particularité de mettre en scène une forme d’abolition du Moi, une dissolution, où l’objet aimé ne compte pas en lui-même mais pour la fusion avec le monde qu’il permet :

Je vous aime ! Vous êtes monstrueusement belle et vulgaire ! Comme une foule dans l’allégresse des victoires ! Je vous aime ! Vous êtes immense, immensément immense et chaude et bleue comme la Méditerranée. Emportez-moi ! Noyez-moi ! Respirons, respirons de toute la puissance de cette épaisseur bleue, toute remuée de poissons énormes et d’algues effrayantes ! Roulons-nous ! […] Je vous aime et je vous salue ! Et je vous dis que je vous aime, mais ce n’est pas moi qui parle ! C’est le vent ! Et vous êtes l’herbe ! Je vous caresse et ce n’est pas vous seulement que je caresse, c’est la terre ! Et ce n’est pas nous qui sommes là, c’est un tourbillon ! (p. 32)

Cette conception poétique de l’amour n’a rien à voir, on en conviendra, avec l’usage qui est fait de ce sentiment dans des œuvres commerciales et faciles.

6. Un réalisme mis à mal, une fantaisie de langage parfois plus convenue

En fait, la pièce s’écarte trop du réalisme pour s’apparenter au boulevard ou au vaudeville.

Par le personnage de Césaréo déjà, qui peut déclarer à Paméla : « Je ne suis pas fait pour ce monde-là ! Je ne suis pas réaliste, moi. Je suis bête, bête. » Il lui évoque ses enthousiasmes d’enfant à l’annonce d’une nouvelle naissance (« Et moi, je me roulais par terre ! »), son besoin de « vivre passionnément » (p. 28). De Marguerite, il peut dire : « Je la voulais heureuse et débordante comme je veux le monde brûlant autour de moi ! » (ibid.). Sa vie, il préfère la rêver quand elle ne répond pas à ses attentes, ce que lui reproche Paméla : « Vous rêvez, vous rêvez, vous rêvez ! Vous passez votre temps à rêver au lieu d’agir » (p. 23). Il est à des lieues de l’homme qu’elle espérait trouver en lui : « […] vous devez vous battre pour défendre ce que vous aimez […] Votre affaire est de vous montrer à la hauteur de ce que vous êtes, pour réduire votre adversaire sur un terrain qu’il n’a pas choisi » (p. 22). Ses accusations à son égard s’écartent elles aussi des propos attendus dans un tel cas : « Vous, vous êtes faible, vous êtes complaisant, vous êtes chanteur, vous êtes chèvre et chou, gris ! » (p. 46).

La langue, une nouvelle fois, détone avec fantaisie, soucieuse de sa sonorité (« chèvre et chou »), de sa liberté poétique, sans souci de sa vraisemblance. Cette liberté se manifeste pleinement quand Césaréo décline les diverses façons de dire « boire un verre » (p. 49-50), rappelant au passage le goût de Billetdoux pour le parler populaire, régional, paysan (« chopinons »). Sa longue réplique prend l’allure d’un petit cours sur la langue française, ses niveaux de langue, son histoire, sa conjugaison. On le voit recourir au dictionnaire pour constater son insuffisance : « Il n’y a rien dans le dictionnaire. Des mots ! Des mots ! Des mots ! Il faut dire : “À boire !” Il faut dire “Je brûle”, il faut dire “Hop”, n’importe quoi ! » (p. 50). Il avait précédemment cherché en vain le juste mot pour définir Paméla avant de capituler : « Il y a trop de mots dans ce dictionnaire » (p. 46).

Cette interrogation explicite sur la langue, on la retrouve plus discrètement dans Il faut passer par les nuages quand Verduret se reprend, après son emploi troublant d’un verbe : « Lorsque tu m’as engagé, je veux dire : quand nous nous sommes épousés… En anglais, c’est en anglais, il me semble, que l’on utilise le verbe « engager » pour l’autre […] » (p. 205).

La démarche de Bobby vers Césaréo, dans Tchin-Tchin, est elle aussi éloignée de tout réalisme, quand il vient le trouver parce que depuis un mois Paméla « reste enfermée toute la journée et a […] abandonné toutes ses activités […] ne s’occupe même plus de la maison, des repas ni de rien et […] a mis la bonne à la porte », tout cela, sans doute, pour se saouler (p. 33). Le voilà donc qui, pour sauver sa mère et parce qu’il n’aime pas les ennuis, vient l’offrir à Césaréo : « À mon avis, vous l’épouseriez, vous ne feriez pas une mauvaise affaire et moi, ça ne me dérangerait pas. En ce moment, elle est un peu remuée, mais c’est une femme pas mal » (p. 35). Billetdoux installe ses pièces dans un univers de fantaisie où l’improbable peut sans cesse se produire. Cette fantaisie se traduit aussi par un humour très fréquent, qui concerne les situations comme celle que nous venons d’évoquer, mais aussi le langage lui-même, des réparties surprenantes ou des propos paradoxaux. Césaréo apprenant de Bobby que son père va se remarier, lui réplique : « Eh oui ! un homme marié n’est pas fait pour vivre seul » (p. 34).

Quand Paméla et lui décident de s’enfermer ensemble, Césaréo se présente comme « un homme faible qui sait ce qu’il veut… » (p. 37).

On trouvera encore de ces notations plaisantes dans Il faut passer par les nuages, dans la bouche de Verduret : « Si vous avez un tempérament d’intellectuel, n’épousez jamais une veuve ! » (p. 180), ou dans celle de Paupiette parlant de lui : « Si ton beau-père avait du caractère au lieu d’avoir des idées… » (p. 181-182). Mais c’est Claire qui l’emporte dans ce domaine aussi, lorsqu’elle évoque son mari : « […] mon pauvre Verduret le soir feuillette quelque ouvrage ingrat, oubliant qu’il peut encore effeuiller la marguerite […] » (p. 203).

Un comique des évidences se manifeste dans Le Comportement des époux Bredburry, dans la bouche de l’inspecteur Coockle : « Si vous n’avez rien à me cacher, ne cherchez pas à me cacher quelque chose, car je m’en apercevrais » (p. 17) ; « Parce qu’il y a des situations inadmissibles ; je ne les admettrai pas » (p. 18). On y découvre aussi des enchaînements déroutants dans les propos de Rébecca : « C’est ce jour-là qu’il a démoli la porte du garage à coups de hache. Nous avons vécu de bons moments tous les deux. » (p. 23).

Il y a dans ces usages humoristiques du langage une forme de préciosité qui n’est pas sans faire penser à Jean Giraudoux. Toutefois, l’usage qui est fait du langage, quand il devient moins poétique, moins lyrique, plus soucieux de la phrase qui fait mouche, qui rappelle le « clou » cher aux auteurs de vaudeville, peut permettre de mieux comprendre pourquoi Billetdoux a pu être considéré comme un auteur de boulevard. Il y a bien, ponctuellement, dans ses œuvres, cet échange de bons mots caractéristique du genre. Il n’autorise pas pour autant une appellation qui demeure abusive, et ce point commun est sans doute lui aussi illusoire. Ne faut-il pas y voir plutôt, de la part de Billetdoux, un simple clin d’œil à un théâtre qui n’est pas le sien, et accorder plus de crédit à sa propre déclaration : « […] tenter d’accommoder luxueusement et abruptement quelques formes traditionnelles du spectacle aux nouvelles manières de saisir le temps qui passe » (Lettre à Jean-Louis Barrault, 16 mars 1963) ?

6. Repartir à zéro

L’enfermement ensemble que choisissent Césaréo et Paméla à la fin de l’acte II de Tchin-Tchin n’est qu’une étape dans le dépouillement qu’ils ont entrepris et qui s’accomplira pleinement à l’acte III. Jean-Marie Lhôte le dit « fondé sur les règles franciscaines, où règne la volonté de dépouillement, ce principe de pauvreté, le premier des Béatitudes [26] ». Césaréo se met ensuite à écrire quotidiennement à Marguerite pour l’accabler de reproches et l’injurier, avant de s’en lasser avec brutalité : « On ne parle pas à un volatile, on le consomme ! » (p. 43). Il rompt les ponts par le même moyen avec ses frères et sœurs et décide de ne plus leur donner un sou. Il remet la direction de son entreprise « au comité ouvrier qui assurera le partage des bénéfices » (ibid.). Quant à la « totalité de (ses) parts d’actionnaire », il la place entre les mains de son ancienne femme de ménage. Le personnel de son entreprise est licencié, le bilan déposé, et le capital est reversé à un organisme philanthropique. Le voilà ruiné, « quinze années d’efforts éliminés en quelques mots » (p. 44). On est loin déjà de celui qui voulait s’efforcer « de gagner beaucoup d’argent pour être protégé de tout », qui se rêvait « hygiénique et capitonné» (p. 28) ! Paméla et lui ont fait le vide autour d’eux, la rupture avec la société est généralisée :

Oui, qui nous reste ? Nous avons injurié les voisins, le concierge, votre époux, mon épouse, mes beaux-parents, mes frères et sœurs, le pasteur anglican, mon curé, mon adjoint, mon ancien capitaine, le commissaire du quartier – anonymement, mais quoi ! –, quelques amis familiers et nos relations les plus huppées. Bon. Qui nous reste ? (p. 45)

Ce progressif dépouillement de tout se retrouve dans Il faut passer par les nuages. Le titre de la pièce est en lui-même significatif. Emprunté à Joubert, il suggère une forme d’épreuve nécessaire, salutaire : « Pour arriver aux régions de lumière, il faut passer par les nuages. Les uns s’arrêtent là ; mais d’autres savent passer outre » (p. 169). Dès la séquence 15 du premier « mouvement », Maître Couillard l’annonce sans le savoir, en s’adressant à Claire « dans le privé de (sa) tête » :

[…] vous aimez gagner, vous savez perdre, vos victoires vous ennuient, vos défaites vous profitent […] les affaires de ma petite Madame se portent beaucoup trop bien […] nous sommes trop riches […] nous ne pouvons plus que perdre beaucoup d’argent […] Il faut reconvertir, oui, chère Madame. Nous devons tout reconsidérer à zéro, sacrifier la routine […] Peau neuve ! Peau neuve ! Il n’y a pas d’autre solution. (p. 200-201)

Et c’est à lui, tout naturellement, que Claire confie dès le début du deuxième mouvement la « reconversion » de ses biens au profit de son mari et de ses fils, à savoir ses « quatre volontés […] testamentaires » : « Je vous prie simplement d’étudier la façon la plus avantageuse de leur céder la plupart des actions, titres de propriétés ou autres qui dépendaient jusqu’alors de ma disposition exclusive » (p. 214). Renoncer à sa fortune se veut ici un acte pleinement généreux et libérateur à l’égard de sa famille. Claire veut aider ses proches à se « décoconner » (p. 246) de son influence, en faisant en particulier que Jeannot devienne Jean (p. 268-269) : « Je voudrais que chacun d’eux soit assuré des moyens d’accomplir son rêve profond » (p. 215) ; « Je veux faire cadeau à mon fils de quelques raisons de se battre » (p. 245). Couillard, en « comptable de ses biens » (p. 235), ne pourra que désapprouver en vain ce « confusionnisme sentimental » conduisant à « jeter l’éponge, se lancer dans l’improvisation et saborder son navire » (p. 228) : il est hors-jeu, « il confond l’argent et l’amour » comme le dit Claire (p. 241). Quand il fait le bilan des ventes effectuées, Claire l’encourage à poursuivre « la chanson de ce qui reste à vendre» (p. 244) : « Oui, oui, oui, liquidons. » (p. 243).

Mais ce dépouillement, là encore, est une façon de retrouver une identité, de s’appauvrir pour se connaître, s’élever :

Je transforme des murs en argent, de la terre en papier-monnaie, je n’enlève rien à personne, à qui suis-je en train de sucer le sang ? Ce que j’ai fait, je le défais, où est le mal ? Au nom de quoi m’accusez-vous ? C’est moi qui me dépossède. Laissez-moi donc au bout du compte prendre des ailes comme il me plaît. Une personne de mon âge a bien le droit de s’envoler. (p. 250)

L’abbé Mamiran ne s’y trompe pas quand il confie à Dieu qu’il croit que « cette femme est tentée par la sainteté » (p. 253-254). Ni Lucas quand il la voit essayer « de transformer le bordel en reposoir » (p. 254). Elle ne se veut rien d’autre « qu’une pauvresse » (p. 258) et deviendra à la fin de l’œuvre une nouvelle « madone à l’enfant » (p. 295).

Pour Paméla et Césaréo, une fois la page de leurs vies passées tournée, la relation avec Bobby compte encore. Mais celui-ci veut partir, et son départ serait pour Paméla le signe d’un complet échec :

J’ai sacrifié mon époux, ma vie de femme, les années, ma fureur ; les promesses de ma jeunesse, je ne les ai pas tenues, à cause de lui. Je lui ai donné raison contre tout et contre moi-même, il est encore accroché là, et aujourd’hui il me juge et il s’en va ! Je ne veux pas qu’il s’en aille ! (p. 38)

Ce sentiment d’échec se retrouvera chez Claire dans Il faut passer par les nuages : « Monsieur l’abbé, je n’ai rien su faire de ma vie. J’ai couru, sans savoir au juste après quoi, bâtissant des murs et des murs, étendant toujours mes domaines » (p. 207). « […] je n’ai pas fait ce que je dois pour moi-même ni pour quiconque […] » (p. 208). Et sa lucidité annonce celle, plus tardive, de Paméla : « […] mon père, je n’ai jamais aimé. Il me faut tout recommencer ou bien peut-être disparaître. Ce soir j’ai désir de crier. […] Je voudrais devenir absente […] » (p. 209).

Dans Tchin-Tchin, Bobby se retrouve un temps enfermé dans un placard (on veut l’empêcher de quitter le foyer) : c’est un fils, non un amant, qui s’y cache à présent. Mais cette détention ne peut empêcher son départ, dès que Césaréo le libère (p. 48-49). Il reviendra néanmoins pour emprisonner sa mère à son tour, l’empêcher de revoir Césaréo, avec aussi peu de succès : ils se retrouvent tous les deux pour vivre dans la rue. Et quand Bobby sera chassé de chez son père pour avoir couché avec Marguerite, quand il sera trouvé ivre mort sur les quais par sa mère et Césaréo, c’est sa mère qui lui fera les poches et lui dérobera son portefeuille : il n’est plus alors son enfant, mais un gamin qui a réussi.

Ce détachement total du lien maternel était annoncé par Paméla à l’acte précédent : « Je n’aime pas Bobby. Je ne t’aime pas, Bobby ! Je ne suis pas capable d’être entièrement occupée de Bobby comme je l’ai été. » (p. 46). Moins lucide sur elle-même et ses sentiments, le personnage avait encore des exigences quand il menaçait de la quitter : « Il doit obéissance à sa mère ! Gratitude ! Amour ! Il doit la vie à sa mère ! On ne renie pas sa propre source ! » (p. 38). Elle ne mesurait pas alors qu’elle ne parlait que d’elle-même, de la « mère douloureuse » (p. 39) dont elle se voulait l’image à tout prix, au détriment de son propre enfant.

Si Bobby a voulu se libérer de sa mère, c’est elle en fait qui consomme la rupture en en faisant un étranger à sa vie, en mettant à nu son égoïsme. Tout comme le fera Claire Verduret-Balade dans Il faut passer par les nuages, quand elle parviendra à « se dégager de ses petits » et qu’ils iront « s’affronter au monde librement » (p. 173).

Un certain pessimisme sur la vie et les relations humaines finit parfois par dominer, bien illustré par cet échange entre Jonathan et Elsbeth dans Le Comportement des époux Bredburry : « Elsbeth. Comment vit-on alors ? En se séparant de ceux qu’on aime ? Jonathan. Oui, madame. En se séparant de ceux qu’on aime » (p. 59).

Au dernier acte de Tchin-Tchin, réduits à l’état de clochards, passés du vouvoiement au tutoiement, Césaréo et Paméla reviennent dans le quartier des Halles qu’ils avaient fréquenté quand ils avaient noué connaissance, ou errent sur les quais en bord de Seine. Leur vie pourrait s’arrêter là, mais ils font au contraire des projets de départ, sans savoir leur destination précise : « Césaréo. Demain, on prend la route, Paméla. Par la porte d’Italie » (p. 61). Et l’on ne peut être surpris qu’à la question « Où on va ? » de Paméla, Césaréo réponde tout à la fin de la pièce : « Où on veut » (ibid.). Ils réalisent ainsi le projet formulé l’été précédent par Paméla : « Vendons tout ce qui peut se vendre ici et partons. Nous rencontrerons peut-être des gens agréables » (p. 52). Une perspective s’ouvre alors pour eux, comme pour Jonathan et Rébecca à la fin du Comportement des époux Bredburry. On les quitte alors qu’ils se sont retrouvés et sont partis « voir tomber le soleil » (p. 81). Quant à Claire, elle semble bien avoir traversé les nuages en conservant Pitou près d’elle, en le sauvant de la pension où les autres voulaient le placer…


Que reste-t-il du boulevard, du vaudeville, après notre exploration ?

Bien sûr, les pièces étudiées en ont vaguement l’apparence : les signes d’un univers bourgeois, dans le statut initial des personnages, dans leur cadre de vie – même s’il ne se réduit pas à un salon aux portes qui claquent –, une relation de couple souvent compliquée, un adultère parfois au lointain, des réparties vives et brillantes propices à séduire l’oreille…

Mais les personnages, comme on a pu le voir, n’ont rien de fantoches interchangeables, sans épaisseur psychologique, au simple service du mouvement comique. Rien de ces figures colorées et sommaires, propices à déclencher le rire par leur naïveté ou leur stupidité. L’intrigue ne comporte pas non plus ces rebondissements convenus, avec découverte de celui qui se cachait, confusion sur son identité, courses-poursuites, qui ont fait la saveur du théâtre de boulevard.

De toute évidence, l’essentiel ici est ailleurs : dans un rituel qui se met en place à l’écart de tout réalisme véritable, une mécanique non des chassés-croisés et des quiproquos, mais celle, bien plus originale, d’une relation en plusieurs saisons, où chacun cherche, grâce à l’autre, à devenir lui-même, et cela en dépit d’une communication complexe, menacée en permanence de renforcer les solitudes [27].

Tchin-Tchin plus de cinquante ans après sa création, continue à nous surprendre, à nous dérouter, à nous déranger. C’est bien le signe de sa vitalité. Certes, la pièce ne s’inscrit pas dans la radicalité du théâtre de l’absurde, mais elle questionne également les rapports humains, les zones d’ombre de l’individu (« en moi-même il fait noir et triste » dit Césaréo, p. 18). Elle le fait par le biais d’une comédie insolite teintée d’amertume, de noirceur, qui montre à la fois les limites et les pesanteurs des conventions sociales, tout en laissant deviner qu’on peut s’en libérer, en sacrifiant les futilités matérielles et en prenant la route de l’aventure…

Notes

[1] Brigitte Brunet, Le théâtre de Boulevard, Paris, Nathan Université, « Lettres sup. », 2004, p. 102.

[2] Michel Corvin, Le Théâtre de boulevard, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989, p. 63.

[3] Id., p. 42.

[4] Philippe Soupault, Eugène Labiche, Paris, Mercure de France, 1964.

[5] Henri Gidel, Le Vaudeville, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1986, p. 64.

[6] Henri Gidel, Le Vaudeville, op. cit., p. 64.

[7] Ibid.

[8] Id., p. 87.

[9] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 113.

[10] Id., p. 116.

[11] Michel Corvin, Le Théâtre de boulevard, op. cit., p. 43. On a pu aussi parler d’ « hennequinade », en référence au vaudevilliste Alfred Hennequin (1842-1887) pour désigner « toute pièce où les portes jouent un rôle important » (Henri Gidel, Le Vaudeville, op. cit., p. 118).

[12] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 120.

[13] M. Corvin, Le Théâtre de boulevard, op. cit.,, p. 46.

[14] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 123.

[15] François Billetdoux, Tchin-Tchin, Arles, Actes Sud-Papiers, (1986), 1998, p. 7. C’est le cas de toutes les pièces de Billetdoux qui « essaye toujours d’écrire au plus près de “l’esprit du temps”, afin de tenter de le comprendre en profondeur en cherchant à lui trouver, sinon à lui donner, un sens » (Jean-Marie Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, Arles, Actes Sud-Papiers, 1988, p. 80).

[16] Évoquées en I, 1, p. 17.

[17] Évoquées p. 17 et p. 59.

[18] F. Billetdoux, Tchin-Tchin, op. cit., p. 7. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto.

[19] F. Billetdoux, Il faut passer par les nuages, in Théâtre, Paris, La Table Ronde, 1964, vol. 2, p. 172. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto. La pièce a été rééditée chez Actes Sud-Papiers en 1987, et réimprimée cette année (2015).

[20] F. Billetdoux, Le Comportement des époux Bredburry, Arles, Actes Sud-Papiers, 1991, p. 24. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto.

[21] L’Avant-Scène, n° 193, 15 mars 1959, p. 24, pour cet article de presse et les suivants.

[22] “Color”, in The Golden Book of Poetry, New York, Simon and Schuster, 1947.

[23] « […] le monologue peut raconter bien des choses, tandis que le soliloque est un entretien avec soi-même » (op. cit., p. 64). On sait la place que les monologues occupent par ailleurs dans son œuvre radiophonique ou théâtrale…

[24] « Paméla. […] quand votre verre est aux trois quarts plein […] et que vous n’avez pas soif, comment en venez-vous à le prendre et à le vider ? / Césaréo. Par vertige » (Tchin-Tchin, op. cit., p. 25).

[25] Voir aussi Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 254 et p. 256.

[26] Jean-Marie Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, op. cit., p. 90.

[27] Sans qu’il soit question d’y renoncer, le but restant d’aller au-delà de la solitude… Voir J.-M. Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, op. cit., p. 166.

Bibliographie

Corpus d’étude

BILLETDOUX François, Tchin-Tchin, Arles, Actes Sud-Papiers, 1998. Paru initialement dans Théâtre 1, Paris, La Table Ronde, 1959.

‒ Le Comportement des époux Bredburry (1961), Paris, Actes Sud-Papiers, 1991.

Il faut passer par les nuages, in Théâtre 2, Paris, La Table Ronde, 1964. Réédition : Actes Sud-Papiers, (1987), 2015.

Ouvrages 

L’Avant-Scène n° 193, 15 mars 1959.

Europe, n° 786 : « Le Vaudeville », octobre 1994.

AUTRUSSEAU, Jacqueline, Labiche et son Théâtre, Paris, L’Arche, 1971.

BARROT, Olivier, & CHIRAT, Raymond, « Ciel, mon mari ! » ‒ Le Théâtre de Boulevard, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998.

BRUNET, Brigitte, Le théâtre de Boulevard, Paris, Nathan Université, « Lettres sup. », 2004.

CORVIN, Michel, Le Théâtre de boulevard, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989.

GIDEL, Henri, Le théâtre de Georges Feydeau, Paris, Klincksieck, 1979

‒ Le Vaudeville, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1986.

LHÔTE Jean-Marie, Mise en jeu François Billetdoux, L’arbre et l’oiseau, Paris, Actes Sud-Papiers, 1988.

SOUPAULT, Philippe, Eugène Labiche, Paris, Mercure de France, 1964.

Auteur

Jean Bardet, professeur agrégé de Lettres modernes, longtemps chargé de cours à l’Université de Paris Est/Marne-la-Vallée, est l’auteur des huit notices consacrées aux œuvres dramatiques de François Billetdoux dans le Dictionnaire des pièces de théâtre françaises du XXe siècle (Jeanyves Guérin (dir.), Champion, 2005), et de sept éditions critiques parues aux éditions Gallimard, dont celles du Paradoxe sur le comédien de Diderot (folioplus classiques n°180) et de la comédie Poil de Carotte de Jules Renard (folioplus classiques n°261).

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