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En jeu vidéo, des prémisses jusqu’aux expériences les plus contemporaines, l’imaginaire des premiers hackers porte et transmet un lien étroit qui unit jeu et informatique, un maillage d’interconnexion faisant alterner espace navigable et nœuds de rétroaction, ou encore la notion d’entropie propre à la cybernétique. Le paradigme hacker se présente ainsi comme interface de configuration d’une substance fictionnelle et iconique du jeu vidéo, et forge les soubassements d’une histoire et d’une esthétique vidéoludique.

In video games, from the beginning to the most recent experiences, the imaginary world of the first hackers established and maintains a link between gaming and computer science, an interconnection between a navigable space and junction feedback, even more, the concept of cybernetic entropy. Finally, the hacker paradigm reveals itself as an interface, setting up the fictional and iconic basis of video game history and aesthetics.


Texte intégral

Lorsqu’un mot est devenu polysémique, et travaillé, entre autres, par la psychanalyse, il est toujours de bon aloi de revenir à sa racine. Or, imaginaire a comme racine latine le terme ĭmāgĭnārius, qui signifie « ce qui existe en imagination » [1]. Le paradigme hacker, saisi dans sa relation au vidéoludique, a ceci de singulier qu’il opère des dialogues incessants entre existence en imagination et existence en application.

On ne peut faire l’économie de ce qui fonde l’état d’esprit hacker, non pas pour en faire l’histoire, des ouvrages s’en chargent parfaitement [2], mais plutôt afin d’envisager de quelle manière l’imaginaire hacker a forgé le jeu vidéo. Trois champs de force sont ici déterminants : le premier consiste à appréhender l’héritage dont les hackers se font le réceptacle, qu’il s’agisse d’architecture informatique ou d’un terreau scientifique plus théorique ; ensuite, il convient d’observer leur manière tout à fait singulière de s’emparer de cet héritage, en se faisant eux-mêmes interface de reconfiguration et de détournement de celui-ci ; enfin, les hackers se révèlent comme des vecteurs de transmission de pensées et d’outils, dont on peut percevoir encore assez aisément les enjeux fictionnel et iconique dans les expériences vidéoludiques contemporaines.

1. Le paradigme hacker

L’informatique est bien sûr préexistante à la première génération de hackers, qui est américaine et prend naissance au courant des années 1950. Or, ces prémisses informatiques offrent déjà quelques bribes de ce qui deviendra prégnant dans la culture hacker, c’est-à-dire une forte proximité entre le jeu et l’informatique, qui est d’ailleurs l’héritage d’un autre lien, celui qui unit le jeu et les mathématiques, les deux ayant en commun l’algorithme. Quelques exemples suffiront à illustrer ceci. L’un des premiers ordinateurs, le NIMROD [3], présenté lors d’une exposition scientifique en 1951 à Londres, n’est voué, comme son nom l’indique, qu’au jeu de Nim, un jeu de stratégie à deux joueurs. En 1952, afin d’illustrer l’interaction homme-machine lors de la réalisation de sa thèse à l’Université de Cambridge, A. S. Douglas s’appuie sur le jeu de morpion Noughts And Crosses (plus connu sous le nom d’OXO), réalisé sur un ordinateur EDSAC qui sert donc conjointement à la recherche et au jeu.

En s’approchant du continent américain, on se surprend à découvrir un objet inattendu sur la page Flickr associée au site Internet du Brookhaven National Laboratory, laboratoire scientifique du gouvernement américain situé dans l’État de New York, qui se consacre à des disciplines comme la physique, la chimie, la médecine, etc. En parcourant cette page, qui mène à des photographies témoignant de l’histoire du laboratoire, on y trouve tout le décorum scientifique attendu : des réacteurs, des accélérateurs, des aimants géants, des schémas, des scientifiques en blouse blanche, des hommes en tenue militaire, etc. Et au milieu de tout ce sérieux scientifique, la présence hétérogène d’un objet ludique : Tennis for Two, œuvre du physicien William Higinbotham. Durant les années cinquante, William Higinbotham est directeur du service instrumentation du Brookhaven National Laboratory. Au préalable, il aura fait partie de l’équipe ayant mis au point le mécanisme de déclenchement de la première bombe atomique qui dévastera le Japon [4], mais en 1958 il travaille sur les systèmes radar et les calculs de trajectoire de missiles. À l’occasion des portes ouvertes du laboratoire au grand public il imagine trouver un moyen de vulgariser les recherches qui y sont faites [5]. C’est ainsi qu’en modifiant la fonction première des appareils, il reconfigure les lignes d’un oscilloscope relié à un calculateur analogique [6] et crée un jeu où deux joueurs peuvent s’affronter, qu’il nomme Tennis for Two. Le jeu est rudimentaire : un trait horizontal figure le sol, un autre à la verticale et au milieu symbolise le filet ; un point mobile se déplace de part et d’autre du filet, dirigé par ce que l’on pourrait considérer comme un ancêtre du joystick. C’est un franc succès auprès des visiteurs du laboratoire, qui ne se rendent pas compte qu’ils ont été en quelque sorte dupés par ce dispositif puisque Higinbotham, en souhaitant vulgariser son travail, oriente vers un processus ludique un appareillage dont la fonction première est de contribuer à la recherche militaire en pleine Guerre froide. Il indifférencie jusqu’à la confusion l’acte de jeu et l’acte de  recherche. Tennis for Two est donc intéressant en ce qu’il révèle du contexte dans lequel le jeu vidéo prend racine, c’est-à-dire sa collusion avec la recherche scientifique, et plus précisément, militaire, dans un climat mettant aux prises deux blocs, l’Est et l’Ouest, en pleine concurrence idéologique, course à l’armement et conquête spatiale.

Les exemples que l’on vient de soumettre indiquent les symptômes d’indifférenciation qui sont à l’œuvre du point de vue des architectures informatiques, mais on décèle le même phénomène du côté des approches théoriques. Et on aimerait faire un détour ici du côté des pères fondateurs de l’ordinateur, Alan Turing et John Von Neumann. Alan Turing, mathématicien et informaticien britannique, outre qu’il conçoit le premier programme de jeu d’échecs en 1952, est surtout l’auteur de ce que l’on a coutume d’appeler le Test de Turing et qu’il nomme « jeu d’imitation ». Dans un article rédigé en 1950, « Computing Machinery and Intelligence », où est décrit le test chargé d’évaluer ce qui (in)différencie l’homme et une intelligence artificielle à partir de la conversation, on note l’usage d’occurrences toutes liées au champ lexical du jeu : « joueur » (« player »), jeu (« game »), stratégie (« strategy »). John Von Neumann, quant à lui, mathématicien et informaticien américano-hongrois, qui est l’un des fondateurs de l’architecture de l’ordinateur telle qu’on la connaît encore aujourd’hui, est co-auteur en 1953 d’un ouvrage intitulé Theory of Games and Economic Behavior [7]. Ouvrage évocateur s’il en est puisqu’il modélise mathématiquement une stratégie économique où les agents sont des joueurs et les situations des jeux. Von Neumann applique ici dans le domaine de l’économie sa théorie des jeux déjà formulée en 1928, qui ne s’intéressait alors qu’à une théorie des jeux de société [8].

Dans un contexte fortement marqué par la ludicisation de la technologie, et plus globalement de la pensée[9], on ne s’étonnera donc pas de trouver dans les années cinquante des professeurs et des étudiants au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Boston) qui hachent [10] des tabulatrices électromécaniques et des cartes perforées au club de modélisme (le TMRC, ou Tech Model Railroad Club), lieu par excellence du bidouillage [11] mêlé au jeu. La génération des premiers hackers (comme ils se nomment eux-mêmes) hérite de tout ce contexte culturel, où règne déjà une tendance à la ludicisation de la technique, et vont à leur tour se mettre à hacher leurs propres outils, des ordinateurs et des lignes de code. C’est ainsi qu’en 1962 un étudiant, Alan Kotok, réalise une thèse consacrée à la programmation d’un jeu d’échec sur IBM 7090 [12], premier programme considéré comme le plus approchant d’un vrai jeu d’échec. Mais surtout, c’est cette même année que le premier jeu vidéo entièrement programmé sur ordinateur voit le jour, Spacewar ! Si ce jeu existe, c’est grâce à la capacité des hackers du MIT à faire converger ce qui existe en imagination et ce qui existe en application. Tout d’abord ils reconfigurent la traditionnelle ludicisation de la technique, qui ne s’attachait jusqu’ici qu’à une reproduction des jeux séculaires (échecs, morpions), en apportant de nouvelles fonctionnalités et une nouvelle imagerie ; ils réemploient une erreur de codage [13], chose qui n’a été possible que parce qu’ils laissaient un libre accès au code et à sa modification ; enfin, appelés à créer un programme destiné à la recherche militaire, faisant montre de la performance d’un nouvel ordinateur, le PDP-1 [14], les hackers imaginent détourner la commande qui leur est faite en créant un jeu vidéo. Le paradigme hacker synthétise donc un héritage et le reconfigure de telle sorte que l’informatique ne se fait pas l’outil d’une indifférenciation-confusion entre jeu et recherche, mais devient un moyen d’opposer à la recherche militaire l’imaginaire d’un nouveau mode d’expression, le jeu vidéo.

2. ĭmāgo : point (pixel), ligne, code

Au premier regard, l’interface de Spacewar ! ne semble pas être autre chose que celle d’un écran radar, d’autant plus que l’écran CRT de l’ordinateur PDP-1 est de forme arrondie, évoquant immédiatement l’écran radar. L’image semble être composée des mêmes éléments : des lignes et des points de couleur blanche sur fond noir. Mais à y regarder de plus près, on se rend vite compte du travail de reconfiguration de ces lignes et de ces points, déliés et liés à nouveau pour former deux vaisseaux spatiaux, une étoile centrale, le tout sur un fond noir étoilé. Graphiquement, l’image radar est détournée pour figurer l’imaginaire de la littérature de science-fiction dont se nourrissent les hackers, et en particulier l’un des créateurs de Spacewar !, Steve Russell, imprégné des romans de science-fiction d‘Edward Elmer Smith et dont, selon ses dires, il venait d’achever le Cycle du Fulgur (Lensman series[15].

Ce sont donc les hackers qui donnent au jeu vidéo ses premières images. Et elles sont idéologiquement très marquées en ce qu’elles résultent de plusieurs détournements : détourner des outils destinés à la recherche ; faire la démonstration de la puissance d’une machine à partir d’un jeu vidéo ; détourner l’imagerie guerrière des écrans radar en l’investissant d’un imaginaire fictionnel, en l’occurrence ici, celui de la science-fiction.

Au-delà de Spacewar !, il est encore impossible à cette époque de générer des images par ordinateur, ce qui n’empêche pas la créativité du côté de ce qui reste encore les balbutiements du jeu vidéo. Au début des années 70, un jeu retient l’attention : Colossal Cave Adventure, réalisé par William Crowther, un ancien étudiant du MIT. Il tire sa réputation du fait qu’il est parmi les premiers jeux d’aventure en mode texte sur ordinateur, que certains qualifieront à posteriori de fiction interactive. Mais ce qui intéresse ici c’est qu’en tout premier lieu ce jeu place le rétroacteur [16] dans une position équivalente à son concepteur, qui consiste à saisir des lignes de texte analysées par un interpréteur de commande, qui ne sont certes pas du code informatique, mais où le rétroacteur est positionné comme le codeur de l’histoire devant cette interface en ligne de commande de l’analyseur syntaxique. Ici, il n’est pas seulement question de la prise en compte du textuel en tant qu’il génère mentalement des images, le jeu vidéo est également une reconfiguration de l’imaginaire en lien avec un textuel singulier, qui prend sa source dans l’écriture du code informatique. Et ce mode texte aura une certaine pérennité puisque là où il accuse davantage sa présence, c’est dans les jeux de hacking, qui reproduisent cette mise en position particulière du rétroacteur, qui comme un codeur exécute du code, et place parfois jusqu’à l’illusion naïve le rétroacteur dans la position démiurgique de celui qui détiendrait le code. Un exemple récent, presque pris au hasard, car il en existe un bon nombre [17], est Hacker Evolution [18]. Sur l’interface principale du jeu vidéo, on distingue la console de commande qui permet, en un mode texte flirtant avec des signes qui pourraient évoquer du code informatique, d’interagir avec le programme afin de produire des hacks. Remarquons ici que la visibilité du code ne cherche qu’à entretenir le rétroacteur dans l’illusion d’une indifférenciation entre un vrai hack et la simulation de celui-ci. Illusion qui repose principalement sur l’idée que simuler la position d’un codeur aurait de réelles actions et conséquences sur le monde.

Pour revenir à Colossal Cave Adventure, sa narration, qui prend place dans les souterrains d’une grotte, tire de la personnalité de son concepteur : passionné par la spéléologie [19] il est également l’un des membres de l’équipe de développement d’ARPAnet [20], ancêtre de l’Internet public [21]. Son jeu, il le développe sur un PDP-10 d’ARPAnet et le diffuse au sein de ce réseau en naissance et en puissance. Outre l’importance de la mise à disposition du jeu de manière libre auprès d’une communauté, se dessine ici quelque chose de plus éloquent qui consiste à imaginer  une mise en écho entre un réseau souterrain et la représentation de la mise en réseau d’ARPAnet. En vue du dessus, cartographier ARPAnet c’est cartographier un autre réseau du monde, c’est imager une interface qui tient à la fois des traditionnels schémas électriques ou électroniques, de l’architecture matérielle des circuits imprimés d’un ordinateur ‒ où les composants électroniques sont reliés les uns aux autres ‒ et de réseaux terrestres ou célestes. C’est donc une nouvelle cartographie d’interconnexions qui prend naissance, et redessine graphiquement des connexions, où se superposent aux autres réseaux du monde ceux des ordinateurs et leurs liens les uns aux autres. C’est ainsi que s’imaginent de nouvelles interconnexions, et c’est très exactement cette imagerie que l’on retrouve dans les jeux de hacking, où la matérialisation graphique est constituée de traits reliant des points de connexions. L’imaginaire aujourd’hui ne peut se défaire d’une identification immédiate de cette imagerie au réseau Internet, et dans le jeu vidéo cette imagerie s’apparente immédiatement à un réseau en lien avec du hacking : dans System Shock [22] un trait entre le personnage joué en vue subjective et une caméra de surveillance matérialise non seulement l’interconnexion avec l’environnement, mais également la nécessité d’un hack du système de surveillance [23] ; dans les mini-jeux de hacking de Deus Ex : Human Revolution [24] une interface matérialise graphiquement des ordinateurs reliés par des traits ; dans Hacker Evolution, ce sont des traits reliant des continents.

Au-delà des jeux vidéo qui ont pour thème le hacking, on peut lire ici ce qui est un fondement du jeu vidéo, qui fait alterner parcours dans un espace navigable (équivalent au trait) et nœud de rétroaction (équivalent, graphiquement, à un ordinateur). Et ce dernier, au fil du temps, va prendre de multiples autres formes : nœud de rétroaction avec des PNJ ou des PJ, ou des éléments quelconques de l’environnement vidéoludique. En clair, cette alternance entre navigation et nœud de rétroaction reproduit exactement un parcours spéléologique tout autant que le réseau ARPAnet, en même temps qu’elle reproduit organiquement notre relation à la machine. Les images vidéoludiques relèveraient donc d’une ontologique technique, souvent graphiquement symbolisée par un trait et un point, et plus certainement inscrite au cœur même du jeu vidéo par l’alternance navigation-nœud de rétroaction.

Le maillage en point (ou pixel), ligne et code sous forme de mode texte, gagne d’ailleurs une autre valeur esthétique lorsque ces signes se mettent à dessiner un monde qui touche à l’abstraction. On pense ici à plusieurs jeux vidéo, comme par exemple Darwinia [25], jeu vidéo de stratégie en temps réel et d’action, où la finalité consiste à lutter contre un virus ayant envahi un monde imaginaire, celui de Darwinia. Le jeu semble s’emparer de l’imagerie vintage des jeux vidéo des années 70/80 réalisés en mode filaire, mais fait de ce maillage une réflexion sur les interfaces-mondes, où la densité et l’ordonnancement du maillage se configurent et reconfigurent de telle sorte qu’ils dessinent des environnements allant du plus abstrait, en passant par un  maillage qui pourrait renvoyer à toute une iconologie liée aux constellations, aux systèmes routiers, pour s’achever dans le plus identifiable : des arbres, des montagnes. On pense également au jeu vidéo Rez [26]. Plutôt considéré comme un jeu de tir musical, il laisse souvent oublier que son contexte est le hacking : dans un réseau informatique, on dirige un virus dont la finalité est de délivrer Eden, une créature présente dans le noyau central. Le jeu met en résonance un réseau informatique avec une iconologie abstraite issue des théories de Kandinsky [27], auquel le jeu vidéo est dédié. Rez a ceci d’intéressant qu’il permet de redéployer une lecture de l’art abstrait, où les signes se révèlent comme les prémisses de ceux qui figureront une autre mise en réseau du monde, celle de l’informatique. De là à dire que l’art abstrait aurait préparé le terrain, ou accoutumé nos yeux, aux futures représentations visuelles en informatique… on laissera cette question en l’état pour l’heure.

Le paradigme hacker apporte donc son terreau fictionnel au jeu vidéo ainsi que toute sa substance iconographique. Il contribue à former les images du jeu vidéo, dans sa globalité, et pas seulement là où il est question du thème du hacking, qui lui ne garde que de manière ostentatoire ses traits d’origine (mode texte/mode filaire). On entend dorénavant le terme imaginaire en tant qu’il provient d’ĭmāgĭnārius, et prend sa source dans le mot ĭmāgo [28], « image ». Ce qui existe en imagination est donc agissant par l’image.

3. Entropie

L’information automatique, ou, si l’on préfère, l’informatique, est on ne peut plus liée à l’existence d’une pensée qui lui est contemporaine, la cybernétique, et on aimerait suggérer ici que la cybernétique dote l’informatique d’un terreau théorique, tout du moins, d’un état d’esprit, même si ces deux activités prennent des chemins différents à un moment donné [29]. En tout cas, les premiers hackers sont indéniablement bercés par la pensée de l’un des fondateurs de la cybernétique, le mathématicien Norbert Wiener, professeur au MIT de 1919 à 1964 [30].

Céline Lafontaine [31] a montré combien la cybernétique était influente chez des penseurs comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou Jean-François Lyotard. Son analyse, bien que teintée d’un fort pessimisme quant à l’humanisme en contexte de postmodernité, a néanmoins la qualité de mettre en lumière la manière dont s’est diffusée la pensée cybernétique. Et à ce sujet, on remarquera que l’on s’est relativement peu arrêté sur cette question dans le domaine des arts, et encore moins dans celui du jeu vidéo, ce qui est tout à fait paradoxal lorsqu’on sait qu’il naît par et avec l’informatique, dans un foyer qui côtoie la cybernétique. Or, le paradigme hacker joue un rôle essentiel en tant qu’il véhicule l’un des concepts majeurs de la cybernétique, l’entropie, qui marque le degré de désorganisation d’un système. Norbert Wiener est le chantre de ce concept, et il ne s’arrête pas qu’à une analyse de l’entropie dans les sciences, en thermodynamique par exemple ‒ on oublie trop souvent d’ailleurs qu’il fut philosophe avant d’être mathématicien ‒, il la pense dans un cadre informationnel qui va au-delà du seul domaine scientifique, et l’envisage d’un point de vue métaphysique. Schématiquement, pour Wiener, plus le degré d’entropie est faible dans les systèmes de communication, plus il met en crise le secret politique et militaire. Pour mémoire, l’informatique prend son essor dans un contexte particulier, celui de la Guerre froide, et on sait que la recherche dans ce domaine a été particulièrement vive grâce aux soutiens et aux financements étatiques d’un pays qui souhaitait s’équiper des meilleurs outils pour ses armées (pour calculer les trajectoires des missiles, des simulateurs de vol, etc.). Dans ce contexte où la recherche universitaire est au service d’un complexe militaro-industriel et où les étudiants sont en compétition les uns avec les autres, les premiers hackers ne feront jamais directement de politique, ne signeront jamais une quelconque profession de foi. Cependant, leur mode de pensée et de vie, entièrement vouée à l’ordinateur, donne lieu à des règles tacites parmi eux, qui sont les suivantes :

L’accès aux ordinateurs ‒ et à tout ce qui peut nous apprendre quelque chose sur la marche du monde ‒ doit être total et sans restriction. Appliquez toujours ce principe : faites-le vous-même !

L’accès à l’information doit être libre ;

Défiez le pouvoir ‒ défendez la décentralisation ;

Les hackers doivent être jugés sur leurs résultats, et non sur des critères fallacieux comme leurs diplômes, leur âge, leur race ou leur classe ;

On peut créer de la beauté et de l’art avec un ordinateur ;

Les ordinateurs peuvent améliorer votre vie [32].

Steven Levy, que l’on cite ici, a très bien analysé tous ces points et l’on n’y reviendra donc pas. De manière évidente, en ayant à l’esprit ces quelques rudiments du code de conduite hacker, c’est finalement le phénomène entropique qui s’y trouve questionné [33]. Partager le code, le mettre en commun, c’est faire circuler l’information le plus possible, donc réduire le degré d’entropie ; détourner la brutalité guerrière de l’ordinateur, outil par et pour la guerre, en en faisant un espace prompt à l’imaginaire des jeux vidéo, c’est encore réduire le degré d’entropie. Hacker, c’est simplement permettre d’ouvrir des portes, ce qui était par ailleurs l’une des activités de base des premiers hackers, c’est-à-dire devenir expert en crochetage des serrures pour accéder aux salles des ordinateurs, portes qui, comme de fait exprès, forment les images récurrentes des jeux vidéo [34] ; hacker, c’est également pénétrer dans des systèmes militaro-industriels pour en déjouer les prises de pouvoir, ce que propose nombre de jeux vidéo, comme par exemple Deus Ex : Human Revolution. Hacker dans un jeu vidéo, c’est, d’une certaine manière, être confronté à l’entropie. Aussi surprenant que cela puisse paraître, un art, qui est certes avant tout considéré comme un loisir de masse, aussi peu pris au sérieux que le jeu vidéo, est peut-être celui qui positionne le plus souvent dans des situations et des images à fort caractère politique. D’autant qu’on ne s’amusera pas ici à dénombrer la quantité incroyable de jeux qui n’ont pas le hacking pour thème principal mais qui insèrent des phases de mini-jeux où il est question de hacker un système.

Sans faire directement de politique, les hackers formulent toutefois un projet que l’on pourrait qualifier de politique. Et ce mode de pensée, pétri de ce désir de réduction de l’entropie, participe à la construction d’un imaginaire qui essaime dans le jeu vidéo jusqu’à aujourd’hui. Le revers de la médaille, c’est que le paradigme hacker est écartelé entre deux pôles qui signent l’ambivalence même de son contexte de naissance : certes, il s’agit de forger, plus ou moins consciemment, les outils nécessaires à la réduction d’un degré d’entropie dans le monde, mais les hackers sont pris dans un contexte militaro-industriel.

Par voie de conséquence, des dissolutions du phénomène entropique sont également à l’œuvre. Et cela est opérant dans des expériences où il est question de glissements caricaturaux, comme Watch_Dogs [35], qui ne garde de cette figure du hacker que l’idée d’un justicier à la Robin des bois, motivé par l’unique vengeance individuelle et non une quête communautaire de diminution du degré d’entropie. Dorénavant le hacker est imagé par l’industrie vidéoludique (ici Ubisoft), qui place le rétroacteur dans une nouvelle formule d’indifférenciation, qui est cette fois un jeu de dupe renouant avec une indifférenciation-confusion : celle où est convoqué le hacker comme seul prétexte à la ludicisation d’une pseudo-réalité [36]. Mais cela relève des écarts variables, où une industrie du divertissement vide de sa substance entropique l’éthique hacker pour n’en garder que le folklore. Et en l’occurrence, le folklore débute ici avec l’obligation pour le rétroacteur de s’identifier à un avatar, un personnage vu à la troisième personne, alors que jusque-là il ne s’agissait de s’identifier qu’avec des signes présents à l’écran : mode texte rappelant du code source ou un réseau d’interconnexion.

De cette idée de dissolution de l’entropie on évoquera un dernier écart variable, qui touche cette fois au phénomène d’indifférenciation-confusion entre usage vidéoludique et usage militaire de l’outil informatique. On en a un exemple tout à fait intéressant dans une citation de l’ouvrage Doom de David Kushner, et qui concerne John Romero durant les années 80, créateur avec John Carmack du jeu Doom [37], tous deux étant d’une génération faisant suite à celle des premiers hackers, et qui contribuera, par l’entremise du jeu vidéo, au basculement de l’informatique vers une industrie du divertissement :

Un jour, un officier qui travaillait sur un projet de simulation de combat aérien demanda à Schuneman si son beau-fils [John Romero] serait intéressé par un job à mi-temps. […] On expliqua à Romero qu’on avait besoin de lui pour transposer un programme depuis une unité centrale vers un micro-ordinateur. Quand l’écran s’alluma, John découvrit un simulateur de vol assez rudimentaire. « Pas de problème, dit-il, les jeux, je connais ça comme ma poche [38]. »

On saisit bien ici la non-différenciation qui est faite entre un simulateur de vol et un jeu. Dans l’imaginaire de Romero, il ne s’agit ni plus ni moins que d’envisager les deux de la même manière.

4. Indifférencier > < Résister

Aujourd’hui, la figure du hacker essaime un peu partout, en littérature, au cinéma, et jusque dans l’imaginaire social et politique. Au point d’ailleurs qu’un grand écart variable entre l’imaginaire hacker et un hacker imaginaire amène à confondre hacking et cybercriminalité.

Le jeu vidéo est au premier rang de ce que les hackers se sont appliqués à transmettre. Cependant, les premiers hackers n’imaginaient pas que Spacewar ! servirait finalement aux ingénieurs de DEC pour tester les ordinateurs de la série PDP avant leur mise en vente, et que par ricochet, le jeu vidéo deviendrait une sorte de cheval de Troie au service de la vente de l’ordinateur domestique, et que les hackers des générations suivantes travailleraient à la conception de ces jeux vidéo, participant ainsi au courant des années 80 à la dilution dans le grand marché mercantile de l’informatique et du divertissement de ce qui fondait jusque-là l’état d’esprit des hackers. Ils n’imaginaient sûrement pas que les industries de l’informatique se souviendraient de la corrélation entre la performance des machines et le jeu vidéo. À tel point qu’aujourd’hui le jeu vidéo est devenu un instrument marketing pour démontrer la puissance des cartes graphiques. De même ils n’imaginaient probablement pas que l’armée américaine continuerait à s’approprier la fonction ludique de l’outil informatique, lui faisant prendre d’autres proportions, où il s’agit d’aller recruter des rétroacteurs dans des salles d’arcade pour leur proposer de piloter des drones [39], et de les mettre ainsi dans des postures vidéoludiques aux conséquences bien réelles, là où se déroulent les conflits du Moyen-Orient. Une autre indifférenciation-confusion opère également dans l’usage de simulations dérivées de jeux préexistants pour la formation des personnels de l’armée américaine, comme Virtual Battle Space 3, une simulation provenant du jeu Arma 3, et qui est devenue un standard dans les programmes d’entraînement des armées.

Le paradigme hacker, dans tout ce qu’il offre et lègue au jeu vidéo, a ceci de remarquable qu’il met en lumière tout un pan culturel laissé de côté et nombre de réflexions délaissées, comme le phénomène entropique, si peu discuté au cœur de pensées baignées par la cybernétique, alors même qu’il fait état d’une démarche critique, d’un réel acte de résistance. C’est d’ailleurs en souhaitant prolonger cet acte de résistance qu’on a fait le choix du terme de rétroacteur à la place de celui de joueur. Ce dernier semble en effet totalement inapproprié dans ce contexte, en ce qu’il renvoie à des spécificités ludiques traditionnelles d’une part, et d’autre part en ce qu’il participe à la voie de garage qui met en conflit narratologie et ludologie dans l’étude du jeu vidéo. Or, le jeu vidéo tire une partie de sa substance dans un environnement singulier, celui des premiers hackers et de la cybernétique, où la notion de boucle de rétroaction est fondatrice.


Notes

[1] Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Éditions Hachette, Paris, 1934, p. 773.

[2] Pour une histoire détaillée des premiers hackers on consultera l’ouvrage qui fait référence en la matière : Steven Levy, L’éthique des hackers [1984], Éditions Globe, Paris, 2013. Par ailleurs, la consultation de l’ouvrage électronique Hackers : bâtisseurs depuis 1959, de Sabine Blanc et Ophélia Noor sera un bon moyen d’actualiser le sujet (voir ici) [toutes les adresses Internet du présent travail ont été consultées et actualisées à la date du 10 octobre 2016].

[3] Une reproduction a été faite pour le Musée du jeu vidéo de Berlin (en ligne ici).

[4] Plus tard il fondera avec d’autres scientifiques américains la Federation of American Scientists (FAS), engagée dans la non-prolifération nucléaire.

[5] Des notes personnelles d’Higinbotham, citées dans l’ouvrage d’Harold Goldberg (AYBABTU. Comment les jeux vidéo ont conquis la pop culture en un demi-siècle [2011], Éditions Allia, Paris, 2013, p. 26), sont éclairantes à ce sujet : « Higinbotham déplorait que, lors des journées portes ouvertes à Brookhaven, on montrait surtout aux visiteurs “des écrans avec des images ou du texte, ou bien des objets statiques – des instruments ou des composants électroniques… Il m’a semblé qu’on pourrait animer ces journées si on proposait un jeu auquel les visiteurs pourraient jouer – un jeu dont le message serait : nos expériences scientifiques ont un sens pour la société” » ; « Lorsque Higinbotham reçut un nouvel ordinateur à Brookhaven et qu’il consulta le manuel, il nota que celui-ci “décrivait la façon dont on pouvait créer des trajectoires variées […] par le biais de résistances, de condensateurs et de relais”. Le manuel expliquait ainsi comment montrer à l’écran la trajectoire d’une balle de revolver, faire apparaître la résistance de l’air ou représenter les rebonds d’une balle. “Les rebonds d’une balle ? se dit Higinbotham. Ça doit être rigolo.” »

[6] Un Systron Donner 3300, consacré exclusivement à la recherche (voir Harold Goldberg, op. cit., p. 19).

[7] John Von Neumann, Oskar Morgenstern, Theory of Games and Economic Behavior, Princeton University Press, Princeton, 1944. Cet ouvrage, publié à plusieurs reprises en langue anglaise n’a jamais été entièrement traduit en langue française, à part son premier chapitre : John Von Neumann, Oskar Morgenstern, Théorie des jeux et comportements économiques, Université des Sciences Sociales de Toulouse I, année universitaire 1976-1977.

[8] On retrouvera d’ailleurs l’algorithme du minimax dans les jeux d’échecs programmés sur ordinateur.

[9] La ludicisation essaime tout autant dans les domaines politique et social. On renvoie à ce sujet au remarquable ouvrage collectif permettant de saisir les mécanismes de mises en application de la Théorie des jeux durant la Guerre froide : Judy L.  Klein, Rebecca Lemov, Michael D. Gordin, Lorraine Daston, Paul Erickson, Thomas Sturm, Quand la raison faillit perdre l’esprit : la rationalité mise à l’épreuve de la Guerre froide [2013], Zones Sensibles, Bruxelles, 2015. Merci à Anthony Masure pour ce formidable conseil de lecture.

[10] Selon la traduction littérale du mot anglais to hack, et traduit plus aisément aujourd’hui par le mot « pirater ».

[11] Ce mot, bien que familier, reflète très exactement tout l’art du bricolage des premiers hackers qui consistait à monter, démonter et améliorer des composants électriques et électroniques.

[12] A chess playing program for the IBM 7090 computer, thèse disponible sur Internet ici.

[13] Lire à ce propos le chapitre « Spacewar » de Steven Levy, op. cit., p. 49-71.

[14] Voir le site Internet du Computer History Museum.

[15] Voir à ce sujet Steven Levy, op. cit., p. 60, ainsi que Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Éditions La Découverte, Label « Zones », 2011, p. 111-112.

[16] Le mot de « rétroacteur » remplace ici celui de « joueur », et l’usage de ce terme trouvera tout son sens en conclusion.

[17] On pourrait évoquer Uplink, PC, 2001, développé par Introversion Software, conçu par Chris Delay, Mark Morris, Thomas Arundel.

[18] PC, 2007, développé et édité par Exosyphen Studios.

[19] On ajoutera ici que l’arborescence des livres de règles d’un jeu de rôle comme Dungeons & Dragons, dont était féru William Crowther, ne doit pas être étrangère à l’imaginaire d’une mise en interconnexion.

[20] Voir à ce sujet : Tony Hey, Gyuri Pápay, The Computing Universe. A Journey through a Revolution, Cambridge University Press, 2014, p. 176.

[21] L’Internet public date du début des années 1980 et le WWW de 1989.

[22] 1994, PC, développé par Looking Glass Studios, édité par Origin Systems.

[23] Tout le gameplay du jeu repose sur la matérialisation d’un trait entre le personnage joué à la première personne et les éléments avec lesquels il est possible d’interagir. En cela il serait intéressant d’analyser plus en profondeur pourquoi au fil du temps ce trait finira pas ne plus matérialiser qu’un lien et une interaction avec un système à hacker.

[24]  2001, PS3, développé par Eidos Montréal, édité par Square Enix.

[25] 2005, PC, développé par Introversion Software, édité par SDLL.

[26] 2002, PS2, développé par United Game Artists, édité par Sega.

[27] Le jeu s’appelait Project-K au départ, et son concepteur, Tetsuya Mizuguchi déclare s’être inspiré des écrits de Kandinsky pour réaliser ce jeu.

[28] Félix Gaffiot, op. cit., p. 773.

[29] Voir à ce sujet Mathieu Triclot, Le moment cybernétique. La constitution de la notion d’information, Éditions Champ Vallon, coll. « Milieux », Seyssel, 2008.

[30] Dans la présentation qu’il fait de l’ouvrage de Norbert Wiener, Cybernétique et société [1950], Éditions du Seuil, « Points Sciences », Paris, 2014, Ronan Le Roux évoque, page 23, le jeu étrange auquel s’adonnent les étudiants du MIT avec les ouvrages de Norbert Wiener : « Si Wiener choisit de rester dans la “métaphysique”, il l’assume – au point, d’ailleurs, que les étudiants du MIT hybrident ironiquement les titres des deux volumes de son autobiographie, dont le premier tome Ex Prodigy paraît en 1953, et le second I Am a Mathematician en 1956 : “Ex-Mathematician” et “I Am a Prodigy”… »

[31] Céline Lafontaine, L’empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Éditions du Seuil, Paris, 2004. Lire en particulier le chapitre « Le nouveau monde postmoderne », p. 143-170.

[32] Voir le chapitre « L’éthique des hackers », Steven Levy, op. cit., p. 37-48.

[33] On aurait également beaucoup à dire de l’esprit libertarien hérité de la philosophe et romancière Ayn Rand. Voir à ce sujet Steven Levy, op. cit., p. 133. On y trouverait encore un lien avec le jeu vidéo puisque la série Bioshock s’inspire directement des ouvrages d’Ayn Rand (jusqu’à faire une sorte d’anagramme à partir du nom de celle-ci pour donner son nom au fondateur de la cité sous-marine Rapture : Andrew Ryan).

[34] Aujourd’hui, ils sont encore nombreux les exemples paradigmatiques de ce type. On songe, parmi d’autres, à une séquence de fin du jeu vidéo Life is Strange, où l’espace navigable n’est composé que de passages de portes (2015, multiplateforme, développeur : Dontnod Entertainment, éditeur : Square Enix).

[35] Jeu multi-plateforme édité par Ubisoft et développé par Ubisoft Montréal, 2014.

[36] Un article du site Internet Slate analyse parfaitement bien cet aspect : Andréa Fradin, « Le hacking, ce n’est pas aussi simple que dans Watch Dogs » (en ligne ici).

[37] Éditeur et développeur : id Software, 1993.

[38] David Kushner, Doom [2003], Éditions Globe, Paris, 2014, p. 24.

[39] En 2015, lors de la sortie du film Good Kill, le réalisateur Andrew Niccol s’est exprimé à plusieurs reprises sur ce type de recrutement, ainsi que sur la similitude entre les deux actions : v. notamment ici et .

Bibliographie

Bibliographie

GOLDBERG Harold, AYBABTU. Comment les jeux vidéo ont conquis la pop culture en un demi-siècle [2011], Éditions Allia, Paris, 2013.

HEY Tony, PÁPAY Gyuri, The Computing Universe. A Journey through a Revolution, Cambridge University Press, 2014.

KLEIN Judy L., LEMOV Rebecca, GORDIN Michael D., DASTON Lorraine, ERICKSON Paul, STURM Thomas, Quand la raison faillit perdre l’esprit : la rationalité mise à l’épreuve de la Guerre froide [2013], Zones Sensibles, Bruxelles, 2015.

KUSHNER David, Doom [2003], Éditions Globe, Paris, 2014.

LAFONTAINE Céline, L’empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Éditions du Seuil, Paris, 2004.

LEVY Steven, L’éthique des hackers [1984], Éditions Globe, Paris, 2013.

TRICLOT Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, Éditions La Découverte, Label « Zones », 2011.

TRICLOT Mathieu, Le moment cybernétique. La constitution de la notion d’information, Éditions Champ Vallon, « Milieux », Seyssel, 2008.

VON NEUMANN John, MORGENSTERN Oskar, Theory of Games and Economic Behavior, Princeton University Press, Princeton, 1944.

WIENER Norbert, Cybernétique et société [1950], Éditions du Seuil, « Points. Sciences », Paris, 2014.

Auteur

Estelle Dalleu est Docteur en Études cinématographiques ; elle est chargée d’enseignement à la Faculté des Arts et membre titulaire de l’EA – Approches Contemporaines de la Création et de la Réflexion Artistiques de l’université de Strasbourg. Issue du monde professionnel du jeu vidéo, elle est depuis quelques années programmatrice et commissaire d’exposition de la section jeu vidéo du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Son principal objet de recherche académique s’intéresse à l’esthétique et à l’histoire du jeu vidéo. Elle a organisé en 2015 des journées d’études consacrées aux singularités du jeu vidéo, dont les actes sont à paraître. Par ailleurs elle participe à des colloques et des publications en lien avec sa problématique de recherche (« Kara : métadiscours vidéoludique autour de l’androïde » contribuera en 2017 à l’ouvrage Animé/Anima : Robots, marionnettes, automates sur scène et à l’écran [Éditions Lettres modernes Minard] ; « De quelques circonvolutions vidéoludiques : cercle, spirale et boucle », est à paraître en 2017 dans Circonvolution(s). Monographie d’un mouvement du cinéma).

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Journal du brise-lames


Le Journal du brise-lames est au départ un texte de Juliette Mézenc. Le Journal du brise-lames aurait pu être un livre. Il se trouve que le Journal du brise-lames devient progressivement un jeu. Notre projet était de concevoir un livre en utilisant les ressources du jeu vidéo et de l’espace virtuel 3D temps réel. Ce faisant, le Journal du brise-lames sort peu à peu du champ strict du livre pour devenir ce que l’on appellera ici un FPS littéraire.

The Journal du brise-lames is originally a text written by Juliette Mézenc. The Journal du brise-lames could have been a book, but is gradually becoming a game. Our project was to design a book using video game resources and real-time 3D virtual space. Thus, the Journal du brise-lames is slowly emerging from the strict field of the book to become what will be called here a literary FPS.


Texte intégral

Le Journal du brise-lames est au départ un texte de Juliette Mézenc. Le Journal du brise-lames aurait pu être un livre [1]. Il se trouve que le Journal du brise-lames devient progressivement un jeu. Notre projet était de concevoir un livre en utilisant les ressources du jeu vidéo et de l’espace virtuel 3D temps réel. Ce faisant, le Journal du brise-lames sort peu à peu du champ strict du livre pour devenir ce que l’on appellera ici un FPS littéraire [2].

Au cours de ce processus de création, nous apprenons le jeu, son esthétique et ses codes, et sommes de plus en plus amenés à jouer avec le jeu, comme le font les enfants, sérieusement et méthodiquement, l’art envisagé ici comme la continuation du play de Winnicott [3], activité libre et inventive, allant jusqu’à désosser le jeu pour voir ce qu’il a dans le ventre, l’ouvrir pour donner également à voir l’espace de production du jeu, l’espace de travail, comme c’est déjà le cas dans le texte du Journal du brise-lames qui contient le journal d’écriture du Journal du brise-lames.

Jouer donc avec l’esthétique du jeu : donner à voir des images « mal finies », des images intermédiaires et notamment des images filaires, faire des barres de vie des barres de lecture, travailler l’esthétique du bug.

Il s’agit aussi de jouer avec les codes du jeu, la navigation, les niveaux, le rapport particulier au temps avec le fameux binôme F5/F9 qui permet de recommencer une séquence à l’infini, expérimenter cette « possibilité extraordinaire » qu’évoque Mathieu Triclot lorsqu’il s’interroge dans Philosophie des jeux vidéos sur « ce que serait le monde, le grand monde, celui qui nous entoure, s’il était pourvu des touches F5/F9 [4] », et ceci pour créer une expérience d’écriture et de lecture inédite, entre jeu-vidéo et littérature.

Le travail sur le déploiement du matériau existant génère des questions et des émerveillements, une rêverie du jeu se met en place, qui produit à son tour des textes qui trouveront sans nul doute leur place quelque part dans l’espace du jeu.

1. Note d’intention

1.1. Par Juliette Mézenc, auteur

C’est en écrivant que progressivement je comprends (un peu) mieux ce que j’écris. Il se trouve que, sans le vouloir, ce qui me travaille et cherche une forme dans l’écriture trouve invariablement son expression dans des récits fragmentaires, non linéaires, des assemblages de textes aux tonalités et voix parfois radicalement différentes.

Nos vies ne sont pas réalistes. Leurs architectures me semblent souvent assez proches de la « baraquette », faite d’objets variés et mal appariés qui forme pourtant un tout dans lequel on peut tenter de vivre, et parfois c’est une joie. La vie comme un agencement hétéroclite de plages d’ennui, d’étrangetés, de faits concrets, de scènes rêvées, lues, vécues, à l’image des Fraises sauvages de Bergman dans lequel un vieil homme revisite, au sens littéral, l’espace de son enfance, la vie comme un milieu dans lequel on évolue en faisant sans cesse l’expérience de la discontinuité, du saut, de la simultanéité temporelle, comme c’est le cas pour le narrateur de la Recherche du temps perdu lorsqu’il retrouve, dans la cour de l’hôtel de Guermantes, la sensation éprouvée des années plus tôt sur les dalles inégales du baptistère de Saint-Marc, à Venise.

Un texte littéraire n’est pas le reflet de la vie, mais un organisme vivant qui suit les mêmes lois, participe des mêmes mouvements qu’un être vivant. Je crois que c’est la raison pour laquelle mes récits relèvent plus de la « baraquette » que du roman linéaire, souvent qualifié de traditionnel mais qui, si l’on songe à la diversité des formes que le roman a pu prendre depuis Tristan et Yseult, n’est sans doute de toute façon qu’une coquille vide.

Rencontre d’évidence, donc, entre mes processus de pensée/création et ce que permet le numérique, en particulier une circulation libre dans un texte qui au départ s’y prête, du fait de sa structure hétérogène, fragmentaire et non linéaire.

C’était déjà la cas avec Poreuse, récit pour lequel je n’avais pas envisagé au départ une publication numérique mais qui a pu trouver sa forme la plus accomplie aux éditions Publie.net, grâce au format e-pub qui autorise différents parcours de lecture dans le texte.

Le choix du FPS littéraire pour le Journal du brise-lames est une étape supplémentaire vers une plus grande liberté de mouvement pour le lecteur qui pourra naviguer à volonté dans l’espace-temps de l’œuvre. Le lecteur participera ainsi, comme c’est déjà le cas dans un livre classique, mais ici de façon plus aiguë et plus extensive, au processus de création, construisant peu à peu son propre parcours, unique, dans un FPS littéraire qui proposera une infinité de lectures possibles.

1.2. Par Stéphane Gantelet, artiste codeur

La création numérique a cela de particulier qu’elle fait appel à de nombreuses « couches » de savoir qui, articulées entre elles, autorisent des comportements prévisibles et adaptables. On comprend donc bien la complexité de l’opération qui nécessite la compréhension plus ou moins profonde de ces strates. Ce qui m’intéresse dans la démarche technique de la création d’un jeu vidéo, ce n’est pas tant de devenir un expert en acquérant une large partie de ce savoir, que de tenter de découvrir des pistes et des interactions inédites que seules les expérimentations au plus près de la technique peuvent révéler. Ce faisant, j’acquiers une compréhension plus profonde de la technologie, me donnant l’occasion d’amener parfois le jeu à « se réfléchir ».

2. Historique du projet par Juliette Mézenc

Tout commence avec le brise-lames, île de béton reliée à la ville de Sète par tout un trafic de petits bateaux, qui forme une frontière poreuse entre les eaux de la mer et les eaux du port. Le brise-lames est un colosse de 3,2 kilomètres qui brise les vagues depuis plus de deux siècles et qui fascine de par sa structure, les éléments qui le composent, son histoire, riche et mouvementée, et aussi en raison de l’étroite relation qu’il entretient avec les Sétois qui se sont appropriés ce lieu de mille façons.

C’est donc ce bout de territoire qui a suscité le désir d’écrire le Journal du brise-lames, sorte de carnet de bord tenu par le brise-lames, en imaginant qu’il a une voix et qu’il consigne au jour le jour ses observations, ses rêves, ses pensées. Le Journal du brise-lames s’est écrit sur la durée et s’est chargé peu à peu de dialogues chapardés au gré des balades sur le brise-lames, de récits racontés par les habitués du lieu, pêcheurs, artistes, tagueurs.

Ce texte a donné lieu à des mises en lignes régulières sur mon blog puis des extraits ont été transférés sur mon site Mot Maquis au moment de sa création. Première existence du texte, premiers retours, des lecteurs ont suivi et manifesté leur intérêt. J’ai continué à écrire et à mettre en ligne, à la fois le texte lui-même mais aussi des réflexions et interrogations sur l’écriture du texte. Le journal d’écriture du Journal de brise-lames fait partie dès le départ de l’œuvre numérique et ne manquera pas d’être intégré au FPS littéraire.

Le site comme espace de diffusion permettait aussi d’intégrer des photos prises sur place mais aussi des dessins réalisés par l’artiste Agnès Rosse, des sons captés puis retravaillés sur ordinateur, des vidéos réalisées avec l’artiste Stéphane Gantelet.

Parallèlement, nous avons été invités en différents lieux à des lectures-performances où nous avons eu l’occasion d’expérimenter plusieurs formes : pecha kucha à la BnF et au Centre Cerise (repris sur le site remue.net) ; lecture et création d’images en direct au festival « Hors-lits », puis au festival « Chercher le texte » à Beaubourg ; vidéopoèmes pour l’exposition « Détournement » à Aubais dans le cadre des Artistes Nomades et pour le festival « Entre chien et loup » à Loupian (repris sur le site Tapin2).

L’ensemble a donc pris peu à peu une forme qui ne pouvait pas entièrement se matérialiser dans un format papier. Nous avons songé un temps à un site spécialement dédié, mais très vite nous avons eu l’idée de déployer cette matière dans un environnement 3D proche de celui d’un jeu vidéo.

Une première version de ce FPS littéraire a été réalisée au cours d’une résidence au Centre des Arts d’Enghien les Bains (2013-2014). Cette version, Nous sommes tous des presqu’îles*, associe des extraits du Journal du brise-lames, ainsi que des images créées par Stéphane Gantelet, à des réalisations produites en atelier de création numérique par des jeunes qui vivaient leur première année en France.

3. Description détaillée de l’œuvre : Principes de fonctionnement, architecture du FPS littéraire et techniques utilisées

3.1. Game design

Le jeu de tir en vue subjective, souvent appelé Doom-like ou FPS, sigle pour l’expression anglaise First Person Shooter, est un type de jeu vidéo de tir basé sur des combats en vision subjective, c’est-à-dire que le joueur voit l’action à travers le regard du protagoniste.

Dans le Journal du Brise-lames, l’enjeu est de découvrir une œuvre artistique et non de mener un combat. Pourtant l’angle de vue est bien celui du genre FPS puisque le point de vue du lecteur/joueur est celui de la caméra, placée à hauteur d’homme, au niveau des yeux.

Doc. 1Mezenc

Doc. 1 ‒ La caméra en position derrière le joueur (capsule rose). Capture d’écran.

Le Journal du brise-lames ayant la forme d’un journal (un jour, un texte), la progression dans le récit est matérialisée par les dates fictives d’écriture des textes. Cette structure particulière au journal nous permet donc de disséminer les textes dans l’espace du jeu de façon à ce que le lecteur/joueur s’y déplace tout à fait librement, sans respect imposé de la chronologie de lecture, puisque les textes se succèdent dans le journal sans pour autant se suivre comme c’est le cas dans un récit linéaire. Lorsque le lecteur pénètre dans une zone de texte, l’affichage de la date en surimpression à l’écran lui permet cependant de se situer dans le temps. L’espace du jeu FPS permet donc au lecteur/joueur de créer sa propre chronologie de lecture, et ceci à son rythme. Il garde la maîtrise du temps et du texte. Il pourra ainsi choisir de lire ou de ne pas lire certains passages, de passer d’un niveau à l’autre sans avoir à finir le chapitre.

Le jeu s’adresse à un public qui ne s’adonne pas forcément au jeu vidéo. Aussi, la navigation est conçue pour être la plus simple possible. Elle se fait à la souris pour les déplacements et les actions à effectuer (clics droit et gauche) et avec l’aide du clavier plus ponctuellement (barre d’espace pour sauter et flèche haut/bas pour augmenter la vitesse de déplacement).

La navigation très libre, dans le Journal du Brise-lames, que permet la plateforme de jeu est matérialisée aux yeux du lecteur grâce à un sommaire chronologique présent en permanence sur la droite de l’écran, sous forme de barres de lecture translucides. Dans un FPS classique, la « santé » du joueur est représentée par une barre de progression qui devient de plus en plus rouge à mesure que ce dernier perd en force de vie dans ses combats, renseignant en permanence le joueur sur les capacités de son avatar à progresser dans le jeu. Dans le Journal du Brise-lames, les barres de vie deviennent des barres de lecture.

Rouges au départ, elles deviennent vertes au fur et à mesure de la lecture du texte. Il y a autant de barres de lecture que de textes, et ceci à chaque niveau du jeu. Les barres de lecture sont positionnées à l’écran l’une sous l’autre, de manière chronologique. Ainsi, si le lecteur sort d’une zone de lecture avant l’achèvement de cette dernière, il en est informé par la barre de progression de la barre de lecture. De même, lorsque qu’il pénètre dans une bulle, la barre de lecture concernée apparaît en couleur « solide » (pas de transparence) se détachant des autres, et la progression reprend.

Enfin, pour arpenter le vaste espace du niveau, d’un texte à l’autre, comme on tourne les pages d’un livre, il suffit de faire un clic droit pour que toutes les barres d’espace apparaissent en couleur « solide ». Un plan du niveau sur lequel on se trouve apparaît également. La zone géographique du texte sur le plan étant associée à la barre de lecture, il suffit de cliquer pour que le joueur s’élève dans les airs et soit propulsé dans la bulle de texte qu’il a choisie.

Ainsi, si se déplacer dans un livre consiste à tourner les pages, se déplacer dans notre FPS littéraire consiste à se déplacer dans l’espace du jeu.

L’accès à un nouveau niveau est possible même si la lecture complète des textes ou la résolution d’une énigme n’a pas abouti. L’équivalence entre l’espace et le texte créée par notre mécanisme de lecture nous permet d’atteindre notre objectif : proposer au lecteur une expérience de la lecture à la fois fluide et anarchique, radicalement différente de celle du papier.

Doc. 2Mezenc

Doc. 2 ‒ Différentes zones de lecture disposées dans l’espace de jeu sur le brise-lames. Capture d’écran.

L’espace général dans lequel se déploie le jeu est un espace virtuel entièrement fabriqué avec des techniques de modélisation et d’animation sophistiquées, qualifié de « monde » dans le domaine du jeu vidéo.

L’espace du « monde » est divisé en plusieurs parties ou niveaux. Chaque partie du monde correspond à un niveau. Un niveau regroupe l’ensemble des interactions programmées pour se dérouler dans cet espace du jeu.

Le déplacement du joueur dans l’espace est matérialisé par « une ligne de lecture » qui s’affiche en permanence et en surimpression sur l’écran de l’ordinateur de telle sorte que les éléments en 3D du décor n’en masquent jamais la vue. Il s’ensuit une sorte de brouillage visuel puisque la perspective de la « ligne de lecture » respecte la perspective du monde, mais semble se jouer de sa profondeur. En effet, elle ne respecte pas la loi du premier plan masquant le plan suivant en même temps que le temps passé sur le jeu accumule les lignes au point de finir par rayer tout l’écran à la manière d’un gribouillage. Ainsi, le monde devient moins lisible et le temps se trouve matérialisé dans l’espace du monde. Un bouton Retour arrière doublé d’une glissière permet à tout moment de remonter l’espace en revenant sur ses pas en mode accéléré le long de cette « ligne de lecture ».

Un système de sauvegarde permet de conserver les signets de lecture du joueur ainsi que divers paramètres afin de lui permettre de reprendre son jeu/lecture là où il l’avait arrêté. Il est possible d’enregistrer jusqu’à quarante parties et donc d’avoir plusieurs lecteurs sur une même machine.

Doc. 3Mezenc

Doc. 3 ‒ Liste de sauvegardes. Il suffit de cliquer sur le nom de la sauvegarde pour la charger. Capture d’écran.

Tout au long du jeu il suffit de cliquer sur le bouton du menu pour faire apparaître une liste des barres de lecture (à jour) de tous les niveaux du jeu et ainsi avoir une vision concise et précise de l’état d’avancement de la lecture (et donc de la découverte « du monde »).

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Doc. 4 ‒ Liste de lecture. Capture d’écran.

Il suffit alors de cliquer sur une des barres de lecture pour se rendre à cet endroit de l’espace même si ce dernier se trouve sur un autre niveau. Les navigations dans le texte et l’espace sont ainsi intimement mêlées.

Mais il est également possible de transformer les barres de lecture en liens vers le texte seul en cliquant sur le bouton texte. La vue change et en cliquant sur un titre de texte ce dernier s’affiche en plein écran pour une lecture autonome. On peut ensuite soit passer au texte suivant, soit revenir au jeu.

Doc. 5Mezenc

Doc. 5 ‒ Texte affiché en plein écran. Capture d’écran.

La mer :

Le brise-lames de Sète est une île de béton. Le mer est la raison de son existence et par conséquent un élément important du gameplay. L’accès au brise-lames se fait par le fond de la mer au large de Sète lors de la scène d’ouverture du niveau 1. Ensuite, alors qu’elle est présente sous une forme traditionnelle de mer, elle se retire peu à peu en venant se plier sur le contour du brise-lames jusqu’à disparaître.

Plus tard dans le jeu, suite à un processus déclenché par le joueur, elle sera créée et dépliée à nouveau en temps réel. En fait la mer préexiste au moment du lancement du jeu ce qui permet de l’afficher sans délai. Mais lorsqu’elle doit à nouveau réapparaître, ce sont bien les calculs en temps réel qui fabriquent sa surface et sa forme. Ce travail complexe de création de polygones et de déplacement de vecteurs est assuré par un ensemble de scripts développés spécialement pour le jeu. Ainsi la mer du début est le résultat d’une mer produite par le jeu qui a été sauvegardée dans un fichier afin d’être réutilisée. Une mise en abîme importante pour nous apparaît dès lors, puisque le jeu devient une source pour le jeu. C’est un monde qui se nourrit aussi de lui-même.

Doc. 6Mezenc

Doc. 6 ‒ La mer sous sa forme traditionnelle au début du jeu. Chargement depuis un fichier de la géométrie de la mer. Capture d’écran.

Doc. 7Mezenc

Doc. 7 ‒ Organisation polygonale du maillage de la mer. Capture d’écran.

Doc. 8Mezenc

Doc. 8 ‒ Ici le brise-lames repose sur le sable car la mer s’est retirée. Capture d’écran.

On voit en blanc des tirs de bouées pour détecter le contour du brise-lames et déplier la mer à partir de ce dernier. Une fenêtre fait état du nombre de tirs et de la progression générale dans la création du contour. On voit aussi tout en haut de l’écran une succession de barrettes colorées avec le mot « Cercle » affiché au dessous. La barrette colorée est une représentation visuelle (equalizer) du son diffusé à cet instant. Ce son créé en temps réel (pas de fichier audio préexistant) est une interprétation en onde sonore du mot « Cercle » prélevé dans la lecture du texte de Juliette Mézenc (fichier audio) que l’on entend au moment de la création du contour du brise-lames.

Doc. 9Mezenc

Doc. 9 ‒ Une fois tous les calculs terminés (les calculs sont répartis sur une durée fixe afin de ne pas provoquer de ralentissements dans le jeu), la mer commence à se déplier. Capture d’écran.

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Doc. 10 ‒ La mer changeant d’aspect et se transformant en surface solide navigable pour le joueur. Capture d’écran.

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Doc. 11 ‒ La mer devenue un mur infranchissable. Capture d’écran.

Le Journal du brise-lames possède lui aussi un vocabulaire de formes liées à sa fonction et son architecture. Ainsi il est constitué, entre autres, d’énormes cubes de béton et de tétrapodes qui servent de support au déroulement du jeu.

Doc. 12Mezenc

Doc. 12 ‒ L’avatar inspiré des tétrapodes du brise-lames en mode fil de fer. Capture d’écran.

3.2. Techniques

Techniquement parlant le Journal du brise-lames met en œuvre un ensemble de technologies qui sont combinées et centralisées dans le Framework dédié au jeu vidéo Unity. Unity est donc le point de convergence des éléments du jeu, lieu où les comportements sont décrits et organisés entre eux par programmation. Le langage utilisé est pour l’essentiel le Unity script, soit une version adaptée par les développeurs de Unity du Javascript. Certains scripts sont programmés en C#.

3.3. Sound design

L’environnement sonore et la voix sont spatialisés (3D Sound) pour créer une sensation d’immersion, et ainsi les déplacements dans l’espace du jeu modifient les sensations sonores. Le son est fondamental dans la logique du projet. En effet, comme dans tout univers multimédia, le son donne de la profondeur aux images.

Mais, s’agissant de créer un univers poétique inspiré et porté par un texte, le son de ce projet, c’est avant tout la voix. La majorité des textes sont lus et donc préenregistrés. Les textes du Journal du Brise-lames sont lus par Juliette Mézenc mais à voix basse, sur le ton de la confidence. La voix du jeu est celle du Brise-lames qui tient son journal. C’est donc une entité réputée sans voix qui s’exprime à l’oreille d’un lecteur capable d’entendre ce que l’on n’entend généralement pas. Le niveau d’entrée du son est amplifié permettant une écoute facile, mais le climat d’intimité créé par la voix de Juliette Mézenc lisant à voix basse son propre texte implique l’auditeur dans le contenu du jeu.

Les sons d’environnement et la musique sont générés par le joueur en fonction de ses actions, de sa vitesse mais, là aussi, de sa position dans le texte. Ils sont créés en temps réel par des courbes audio à partir d’un script conçu spécialement et qui utilise les mots du texte, convertis par l’intermédiaire d’un dictionnaire de note en valeurs numériques comprises entre -1 à 1 et interprétées par la machine en temps réel. D’autres fonctions créées pour le jeu transforment les pixels de l’écran ou les mouvements de la souris, par exemple, en son.

3.4. Level Design : Les différents niveaux du « monde »

Le parti pris consiste à s’éloigner du photoréalisme très présent dans l’univers du jeu vidéo 3D pour proposer des images qui ne pourraient être produites autrement que par la création assistée par ordinateur. L’univers graphique du jeu est inspiré aussi de vidéo-poèmes réalisés et diffusés sur internet qui reposent à leur tour sur une recherche visuelle liée aux nouvelles technologies que Stéphane Gantelet mène depuis une dizaine d’années.

Par exemple la technologie de modélisation ou « catch » de sujet réel par photographie est très imparfaite et propose donc une lecture de l’environnement à la fois décalée et très éloignée du photoréalisme qu’elle est censée apporter au volume virtuel, suggérant des trous, des failles, dans le maillage d’espace-temps du jeu.

Doc. 13Mezenc

Doc. 13 ‒ Saynète de Go home view réalisée à partir d’une trentaine de catchs. Capture d’écran.

3.4.1. Niveau 0 : splash screen

Le splash screen est l’écran d’accueil qui a comme fonction de lancer le lecteur sur une nouvelle partie ou de reprendre le jeu là où il l’avait arrêté lors d’une précédente session. Il doit s’afficher très rapidement et donc être assez simple.

Le titre du jeu apparaît progressivement sous les déplacements de trois points qui dessinent le titre grâce à un script créé pour l’occasion. Les déplacements de ces trois points nourrissent un tableau de datas qui sont converties en ondes sonores en temps réel et produisent un environnement sonore original lié aux mouvements sur l’écran.

Doc. 14Mezenc

Doc. 14 ‒ Dessin du titre du jeu en temps réel. Capture d’écran.

3.4.2. Niveau 1 : préliminaires

Le niveau 1 est le plus court. Il propose une plongée dans la mer où se trouve un boyau qui, en passant par une succession de galets, permet de remonter à la surface et pénétrer dans le brise-lames. Il héberge deux textes fondateurs du récit qui sont lus par Juliette Mézenc. Il crée et pose l’ambiance du jeu ainsi que son concept de navigation où les barres de vies sont en fait des barres de lecture.

Doc. 15Mezenc

Doc. 15 ‒ Ouverture de la scène sur Sète vue du ciel. Capture d’écran.

Doc. 16.Mezenc

Doc. 16 ‒ La mer s’ouvre et invite le joueur, par un « LA » animé, à faire son premier clic pour prendre la main dans le jeu. L’idée est d’impliquer le lecteur/joueur progressivement et de l’amener à se déplacer par lui-même. Capture d’écran.

Doc. 17Mezenc

Doc. 17 ‒ Un système de magnétisme accompagne le joueur pour qu’il ne s’éloigne jamais de la trajectoire à suivre pour accéder au brise-lames et qu’il avance dans le bon sens. Capture d’écran.

Doc. 18Mezenc

Doc. 18 ‒ Déplacement dans « le brise-lame intérieur ». Capture d’écran.

Doc. 19Mezenc

Doc. 19 ‒ Arrivée dans la zone des galets. Capture d’écran.

Doc. 20Mezenc

Doc. 20 ‒ Une fois le dernier galet atteint le joueur est aspiré vers la surface et le changement de niveau se met en place. Le nouveau niveau charge. Capture d’écran.

3.4.3. Niveau 2 : le brise-lames

Le niveau 2 propose une balade/lecture sur le brise-lames. Des infos-bulles accompagnent le lecteur pour lui indiquer les choses importantes pour la navigation comme la « barre d’espace pour sauter ». Le clic droit affiche le plan. Des vidéos ou des effets de post-production ainsi que divers avatars permettant au joueur de muter peuplent ce niveau. Un mini-jeu sous l’eau propose aussi de toucher des sacs plastiques qui évoquent des poulpes ou des bouteilles en plastique qui se transforment en goélands.

Doc. 21Mezenc

Doc. 21 ‒ Affichage du plan permettant de se rendre d’une zone de texte à une autre rapidement en passant « par les airs ». Capture d’écran.

Doc. 22Mezenc

Doc. 22 ‒ Barre de lecture démarrant. Capture d’écran.

Doc. 23Mezenc

Doc. 23 ‒ La glissière « Vitesse » évolue de haut en bas en fonction de la position de la souris à l’écran. Capture d’écran

En effet, plus le joueur pousse la souris vers le haut, plus il se déplace rapidement. La barre d’accès rapide comprend : le bouton AIR qui permet d’aller au niveau suivant, le bouton TXT qui lui permet d’afficher le texte en mode prompteur en plus d’écouter l’enregistrement audio, le bouton Retour arrière (absent de la capture d’écran) qui permet de revenir sur ses pas en mode accéléré à tout moment et enfin la croix qui permet de sortir du jeu. Capture d’écran.

Doc. 24Mezenc

Doc. 24 ‒ Texte en mode prompteur. Capture d’écran.

3.4.4. Niveau 3 : les caves

On accède au niveau 3 en franchissant une porte du lazaret du brise-lames. Ce niveau héberge une succession de récits de rêve. Ces rêves sont spatialisés sous forme de bulles de son dans des pièces aux formes qui varient en fonction des textes. Il n’y a pas de rupture de continuité comme souvent dans un changement de niveau car les objets de jeu en avant du joueur s’activent progressivement alors que se désactivent discrètement les objets de jeu de la partie extérieure du brise-lames.

Doc. 25Mezenc

Doc. 25 ‒ Porte d’entrée du niveau 4. Comme pour les autres niveaux la flèche « LA » indique la bonne porte pour aider le joueur. Capture d’écran.

Doc. 26Mezenc

Doc. 26 ‒ Prompteur d’activation d’objet de jeu. Capture d’écran.

Doc. 27Mezenc

Doc. 27 ‒ Succession de salles hébergeant des rêves. Capture d’écran.

Doc. 28Mezenc

Doc. 28 ‒ Écran de transition lors du changement de niveau vers le niveau suivant soit le niveau des Newtopies. Capture d’écran.

3.3.5. Niveau 4 : les Newtopies

Le niveau 4 est radicalement différent. En cliquant sur le niveau suivant le monde se renverse faisant chuter le joueur dans le ciel. Se présente alors à lui un ensemble de cartes inspirées des cartes IGN qui vont se modifier au fur et à mesure de son déplacement. Tour à tour, elles vont se déformer en montagnes ou en creux laissant alors apparaître en volume les éléments principaux de chaque carte, à savoir les routes, les rivières, les maisons, les limites de champ et les courbes de niveau alors que le texte fait entendre les voix d’un peuple qui fait vivre et incarne une utopie artisanale et très concrète.

Ce niveau est découpé en trois temps :

‒ navigation sur les cartes et déformation de ces dernières. Lorsque le joueur croise la route d’un des éléments principaux des cartes cités plus haut, un pictogramme visuel contextuel apparaît, rappelant les légendes des cartes IGN.

‒ en cas de chute sous les cartes, déclenchement de Newtopie Editor. Newtopie Editor est, à l’image d’un traitement de texte, une fenêtre plein écran avec menu déroulant invitant le joueur à écrire à son tour. Un assistant qui va puiser des éléments classés par catégories dans le texte des Newtopies de Juliette Mézenc est à la disposition du joueur qui augmentera ainsi son propre texte ou produira une forme de texte automatique et aléatoire, plus ou moins organisé.

‒ en sortant de Newtopie Editor, retour sur les cartes dépourvues cette fois de plans mais constituées uniquement des éléments 3D que sont les routes, les rivières etc. Le sol est produit à la volée sous l’avatar, accréditant l’idée que le chemin se fabrique en cheminant. Les pictogrammes visuels sont alors en lien avec le ciel, le temps qu’il fait change en fonction des zones de déplacement du joueur. Les pictogrammes visuels ne reflètent plus les éléments de la carte mais le ciel et le temps qu’il fait (passage de la pluie à l’orage, du coucher de soleil au grand ciel bleu etc.).

Doc. 29Mezenc

Doc. 29 ‒ Arrivée sur le niveau Newtopies. Le dessin de la carte se propage sous les pieds du joueur dès qu’il touche un élément de la carte en 3D. Capture d’écran.

Doc. 30Mezenc

Doc. 30 ‒ Chute sous les cartes. Capture d’écran.

Doc. 31Mezenc

Doc. 31 ‒ Apparition progressive de l’éditeur Newtopies. Capture d’écran.

Doc. 32Mezenc

Doc. 32 ‒ Écriture en cours et menu déroulant de changement de couleur. Le nombre de caractères du texte définit la sortie de l’éditeur Newtopies. Ainsi une barre de progression indique au joueur combien il lui reste de caractères à taper pour retourner au jeu. Il faudra donc qu’il écrive quelque chose pour retourner sur les cartes. Capture d’écran.

Doc. 33Mezenc

Doc. 33 ‒ Menu déroulant Newtopies Macros de l’aide à l’écriture puisant des groupes de mots pris dans le texte de Juliette. Capture d’écran.

Doc. 34Mezenc

Doc. 34 ‒ Pictogrammes visuels à présent indiquant des éléments de temps liés au ciel d’arrière plan (Skyboxes). Capture d’écran.

Doc. 35Mezenc

Doc. 35 ‒ Les Skyboxes changent à chaque fois que le joueur rencontre un élément 3D de catégorie différente (les catégories sont créées en lien avec les éléments 3D de la carte : courbes de niveaux, habitations, etc.). Capture d’écran.

3.4.5. Niveau 5 : Mathilde

Le niveau 5 est celui qui met en scène le personnage féminin de Mathilde. L’avatar que pilote le joueur est donc un personnage, et non plus une sphère ou un tétrapode. Cependant ce personnage est traité sans volume avec des aplats de couleurs afin d’échapper au réalisme et conserver la dimension énigmatique que le texte lui confère. D’un point de vue technique il s’agit d’un personnage 3D animé avec une hiérarchie complète de « bones » pilotés par une « state machine » permettant de combiner les différents mouvements de l’avatar Mathilde (attente, marche, saut, course, etc.). L’action se déroule cette fois en suivant la chronologie du texte sans jamais forcer le joueur. En effet une passerelle générée de manière procédurale se déploie sous les pas du joueur et un bloc de béton vient se positionner à intervalles réguliers sur cette passerelle. Ensuite le bloc s’ouvre et se déplie pour proposer un environnement réalisé par photogrammétrie [5] navigable librement ou en mode « Visite guidée ». Dans ce dernier mode le joueur suit un parcours le long d’une spline prévue à cet effet. Chaque bloc de béton abrite une « saynète ». Une de ces saynètes déclenche un programme (script) qui déplie la mer en temps réel. C’est aussi le lieu d’une confrontation entre migrants et Sétois.

Le niveau démarre par une activation des objets de jeu rendus visibles aux yeux du joueur sous forme de cubes et par une liste déroulante qui affiche les uns après les autres les milliers d’objets qui constituent le niveau au démarrage.

Doc. 36Mezenc

Doc. 36 ‒ Mathilde. Capture d’écran.

Doc. 37Mezenc

Doc. 37 ‒ La passerelle se déployant et s’ajustant sous les pas de Mathilde. Capture d’écran.

Doc. 38Mezenc

Doc. 38 ‒ Saynète « go home view ». Capture d’écran.

Doc. 39Mezenc

Doc. 39 ‒ Saynète sur le texte érotique dans le Journal du brise-lames d’Ulysse et de Calypso. Capture d’écran.

Doc. 40Mezenc

Doc. 40 ‒ Ciel (skybox) en mode bulbe. Capture d’écran.

Doc. 41Mezenc

Doc. 41 ‒ Dissolution de l’image à l’aide d’un shader et débogage à l’aide de la console. Capture d’écran.

Doc. 42Mezenc

Doc. 42 ‒ Exemple de « ligne de lecture » (en jaune) matérialisant le déplacement du joueur dans l’espace de cette saynète. Image de travail. Capture d’écran.

4. Cible

Le Journal du brise-lames étant un ouvrage artistique et littéraire sous forme de jeu vidéo, la question du « lectorat » se pose, participant ainsi au débat actuel autour de la littérature numérique tout autant que celui portant sur l’intérêt, la place et le statut du jeu vidéo.

Membre actif du MUUG (Montpellier Unity User group) qui regroupe les studios de jeux vidéo indépendants de Montpellier, j’ai eu l’occasion de faire une présentation du jeu en l’état devant une soixantaine de programmeurs et graphistes dont la plupart ont commencé leur carrière dans la société Ubisoft, basée à Montpellier. Le caractère littéraire de ce projet n’a pas été un frein, bien au contraire : le monde du jeu vidéo est constitué essentiellement de passionnés qui ont soif de découvrir de nouvelles façons de conjuguer des outils qu’ils connaissent et qui sont donc très friands de sensations et de concepts nouveaux.

Conclusion

« On dirait que le brise-lames n’est pas une personne ni même un
 personnage mais on dirait qu’il a une voix […]. On dirait que le brise-lames a une peau […]. On dirait qu’il a des yeux qui veillent, balayent la nuit. […] On dirait que dans sa peau circule de l’eau. On dirait que la 
mer, il l’a dans la peau. On dirait qu’il veille, posté entre les eaux du port et les eaux de
 la mer, entre la ville et la plaine marine. On dirait que vous me suivrez les yeux ouverts [6]. »

Doc. 43 ‒ Teaser du jeu vidéo.

Le Journal du brise-lames est un poème épique dit à des tétrapodes. Le Journal du brise-lames est un essai documenté sur le brise-lames de Sète, qui fait barrage de son corps pour protéger le port de la mer. Le Journal du brise-lames est une pièce de théâtre où chaque voix porte une fiction en elle. Le Journal du brise-lames est un roman qui sait sonder les profondeurs du béton poreux, de l’eau violente, et des courants temporels. Le Journal du brise-lames est un jeu vidéo donnant à voir respirer le Journal du brise-lames [7]. Bien sûr, le Journal du brise-lames est aussi un journal. Il s’exprime en son nom propre. Et il s’adresse à tous. Matière vivante prise dans un incessant va-et-vient qui évoque autant le rythme des marées que le circuit du sang dans un corps humain, cette œuvre hybride ne cesse de s’incarner et se réincarner sous la forme de ces coulées de mots qui ne coagulent pas.

Notes

[1] Le Journal du brise-lames paraîtra le 15 avril 2020 chez Publie.net.

[2] FPS littéraire : le lecteur évolue en caméra subjective dans un environnement virtuel où lire/voyager fait gagner des points de vie.

[3] Donald Woods Winnicott, Jeu et réalité ; l’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975.

[4] Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011, p. 21.

[5] Modèle 3D généré à partir d’images réalisées autour d’un modèle.

[6] Phrases extraites du jeu-vidéo.

[7] La version bêta-test du jeu est disponible ici.

Auteurs

Juliette Mézenc vit et écrit à Sète. Elle travaille régulièrement avec d’autres écrivains et artistes, en particulier Stéphane Gantelet et Cécile Portier. Ses terrains de jeu : l’écriture « entre les genres », la fiction transmédia, la performance et le vidéopoème. Juliette Mézenc mène également de nombreux ateliers d’écriture auprès de publics variés. Son site : mot maquis. Publications : Sujets Sensibles (2009), Publie.net ; Poreuse, roman (2012), Publie.net ; Elles en chambre (2014), aux Éditions de l’attente. Publications dans la revue numérique D’ici là (n°4 et n°5, n°6, n°7 et n°10) ainsi que sur les sites remue.net et tapin².

Stéphane Gantelet est un artiste qui vit et travaille à Sète. Sculpteur et même fondeur (bronze), il s’intéresse très vite à l’espace virtuel (3D) et la programmation orientée jeu vidéo. Il collabore avec des auteurs et réalise aussi bien des sculptures physiques que des espaces numériques programmés. Il travaille actuellement à la réalisation du FPS littéraire le « Journal du brise-lames » sur un texte de Juliette Mézenc. Il a participé entre autres au festival d’art numérique « Les Bains Numériques », au festival d’écriture numérique « Chercher le texte » à Beaubourg, au festival Kolyada en Russie, et au festival d’Avignon avec l’auteur Cécile Portier dans le cadre de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Sites : http://www.gantelet.com ; http://s.gantelet.over-blog.com/

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