Le flâneur, le collectionneur, le blogueur et l’art de la trouvaille


L’écriture littéraire du blog, en ses notes quotidiennes, micro-fictions ou poèmes, souvent suscités par des rencontres, et qui se donnent à lire à partir du plus récent, réinvente aujourd’hui une figure du flâneur (et, dans une moindre mesure, du collectionneur) et un art de la trouvaille dont les racines sont anciennes. Elle réactive une peinture de la vie moderne qui a conquis sa légitimité artistique au XIXe siècle, mais elle s’inscrit également dans une requalification des arts de faire et des pratiques quotidiennes dont Michel de Certeau a montré depuis les années 1970 l’importance dans la culture européenne, au côté de, et souvent en rivalité avec, les savoirs savants institutionnalisés depuis le XVIIe siècle. Nous voudrions ici analyser comment cette écriture du blog, en valorisant l’anodin, le fugace ou l’infime, approfondit un art de la déviance, politique, fictionnelle ou imaginaire, et réinterroge notre inscription dans un présent en devenir.

Literary writing on blogs in the form of daily notes, micro-fictions or poems, is often inspired by encounters, allowing the reinvention of the figure of the flâneur (and to a lesser extent, of the collector) and the ancient art of discovery. It revives the practice of the artistic depiction of modern life which gained legitimacy in the 19th century; but it may also be considered as one of the ‘arts of doing’ that Michel de Certeau regarded as so important in European culture. In the 1970s, Certeau showed how the ‘practice of everyday life’ was in competition with institutionalised scholarly knowledge from the 17th century onwards. Our aim here is to analyse how this blog writing, in placing value on the banal, allows us to question our own place in the ever-evolving present time.


Texte intégral

L’écriture littéraire du blog, en ses notes quotidiennes, micro-fictions ou poèmes, souvent suscités par des rencontres, et qui se donnent à lire à partir du plus récent, réinvente aujourd’hui une figure du flâneur (et, dans une moindre mesure, du collectionneur) et un art de la trouvaille dont les racines sont anciennes. Elle réactive une peinture de la vie moderne qui a conquis sa légitimité artistique au XIXe siècle, mais elle s’inscrit également dans une requalification des arts de faire et des pratiques quotidiennes dont Michel de Certeau a montré depuis les années 1970 l’importance dans la culture européenne, au côté de, et souvent en rivalité avec, les savoirs savants institutionnalisés depuis le XVIIe siècle. Nous voudrions ici analyser comment cette écriture du blog, en valorisant l’anodin, le fugace ou l’infime, approfondit un art de la déviance, politique, fictionnelle ou imaginaire, et réinterroge notre inscription dans un présent en devenir.

1. L’écrivain blogueur, peintre de la vie moderne

La présentation de la série « Balades photo » de Dominique Hasselmann par François Bon sur le site remue.net rappelle les grands modèles d’une écriture de la déambulation urbaine en dialogue avec l’image photographique :

Paris au gré de la flânerie, Paris des écrivains à portée d’œil, dans la magie baudelairienne des instants de la ville – entre instants d’épiphanie saisis sur le vif, et les livres et la littérature relus dans la rue, c’est sur remue.net manifester notre attachement à Nadja, au Paysan, à la grande tradition surréaliste d’entre la ville et les signes [1].

Ces chroniques urbaines intègrent d’ailleurs souvent une dimension réflexive, comme l’indique clairement la page « Flânerie interdite » de la série « La ville écrite » d’Arnaud Maïsetti, où tente de s’approfondir la relation avec les modèles invoqués, en même temps que le compagnonnage se tresse de renvois hypertextuels (ici soulignés) aux auteurs ou aux notions cités, qui essaie de conjurer l’angoisse d’un univers beaucoup plus contraint :

Baudelaire, Blanqui, Benjamin (Bataille, pour la destruction du but) (et Blanchot pour le désœuvrement) – dans nos errances, on voudrait rejoindre leurs ombres, on voudrait glisser la nôtre sous elles : et nos ombres sont errantes dans l’espace judiciarisé qu’est devenue la ville [2].

Quelques textes de la série de François Bon « Étrangetés concernant les villes » mettent particulièrement en abyme la figure du flâneur observateur, et questionnent la dimension problématique de la captation visuelle dans l’univers urbain. Dans « L’œil dans la ville », le flâneur (« moi, qui n’avait rien à faire ici et qui m’était arrêté une seconde photographier l’appareil ») tombe sur un œil autrement plus performant que le sien, un œil machine sur son trépied, qui capte, au-delà du visible, « notre réseau de relations, l’infini et grouillant nuage de notre totalité relationnelle », qui intègre et supplante la ville elle-même comme contexte de toutes les rencontres possibles. La série de photos qui accompagne ce texte progresse vers un gros plan de cet œil machine qui, occupant toute l’image, semble effectivement avoir englouti la ville et s’avancer avec voracité vers l’internaute [3].

Figure 1 oeil_2 (1)

Figure 2 oeil_3

Doc. 1 et 2 – « L’œil dans la ville », images en fin de texte (François Bon, Tiers Livre, série « Étrangeté concernant les villes », ici).

Dans la même série « Étrangetés concernant les villes », à la page « Branche 4 bis du tombeau de Joseph Beuys », composée d’une série de propositions cinématographiques (sous l’enseigne d’un miroir de surveillance, dont le passage de la souris provoque le grossissement), la Section 26 intitulée « développer l’inventaire des captations arbitraires » propose une réécriture de « l’homme des foules » de Poe puis Baudelaire, avec pour modèle non plus le peintre Constantin Guys, mais le cinéaste russe d’avant-garde Ziga Vertov :

images à hauteur de buste, et se déplacer soi dans une foule, devenir homme-caméra selon moyens mobiles d’aujourd’hui, transposer la suite des figures de Ziga Vertov dans une métropole contemporaine
passer aussi dans les tombes
explorer les lieux de travail
revenir à celui qui est dans son appartement et n’ose pas en sortir [4].

Ici s’articulent l’extérieur urbain dans la multiplicité de ses décors et l’intérieur-coquille du reclus, en une complémentarité qu’avait déjà décrite Walter Benjamin, quand les trouvailles chinées dehors se font ornementations d’un dedans à l’image de l’habitant [5].

Certains des textes de la série « Étrangetés concernant les villes », courts récits à tonalité fantastique [6], proches du poème en prose (qui peu à peu composent un Spleen des métropoles ?), n’oublient pas en effet de faire surgir les chambres, écrins des corps, en leurs métamorphoses contemporaines : cases superposées pour une humanité qui vit donc désormais en rampant [7] ; séries d’écrans qui matérialisent la chambre mentale, l’ancienne projection psychologique de l’individu sur son décor [8], en soutirant et affichant toutes ses données personnelles [9] ; série de chambres d’hôtels toutes semblables où l’identité du sujet ne peut plus s’affirmer que dans la scrutation de sa propre absence [10].

Les « instants d’épiphanie saisis sur le vif » peuvent donc susciter une dérive imaginaire où s’exprime l’angoisse inverse d’un vertige de la sériation, de la totalisation, qui piège le sujet singulier, entrave sa liberté et sa capacité à réagir. Ce sont les principes de ce surgissement fondateur, essentiel à la fertilité de la flânerie, et dont la perte est thématisée avec angoisse, que nous voudrions à présent analyser.

2. Un art du kairos

Il faut approfondir ce que la figure du flâneur et sa capacité de captation à l’aide des « moyens mobiles d’aujourd’hui » doit à une très ancienne intelligence tactique de l’occasion, du moment opportun (kairos), qui prédispose à la rencontre d’une trouvaille. Michel de Certeau en voit la trace dans la mètis des Grecs, analysée par Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dans Les Ruses de l’intelligence (1974), et il choisit d’en détailler le mécanisme pour pouvoir mieux comprendre, au chapitre suivant de son essai L’Invention du quotidien, les « Marches dans la ville », la façon dont les « marcheurs », à l’opposé des totalisations d’une vision surplombante ou panoramique, redécouvrent l’étrangeté du quotidien, en préférant le fragment et en amplifiant le détail, d’une part, en défaisant la continuité et en déréalisant la vraisemblance, d’autre part (il y a ainsi pour de Certeau une « rhétorique cheminatoire » qui repose sur la synecdoque et l’asyndète [11]). Cette façon d’isoler et de singulariser le détail de la déambulation urbaine est de fait à l’œuvre dans la série « Fictions dans un paysage » de François Bon. Cette série, sous-titrée « De l’imaginaire du monde par nos photographies qui l’arrêtent » (je souligne), appartient, comme la série «  Étrangetés concernant les villes », à la rubrique plus vaste « Tunnel des écritures étranges », et peut nous aider à comprendre le dispositif d’écriture du blogueur-flâneur : F. Bon évoque en effet pour « seule contrainte un lien le plus organique possible entre le texte – censé ne rien connaître d’autre, à ce moment précis, que ce qu’elles isolent provisoirement – et la série d’images sur un même point très précis de réel qu’on arrête. » (je souligne). Il ajoute : « C’est une série au long cours, uniquement basée sur l’irruption – tellement rare bien sûr – de ce dépaysement [12]. »

Or l’« irruption du dépaysement », l’apparition soudaine de l’étrange dans le quotidien qu’arpente le flâneur, et le retournement déréalisant de la perception ordinaire, reposent sur une gestion spécifique du temps et de la mémoire, sur cette saisie de l’occasion, du moment opportun, qu’analyse précisément Michel de Certeau. Ce retournement, qui fait que l’ordinaire le plus pauvre devient la source d’un potentiel insoupçonné, implique la mise en œuvre d’une mémoire pratique, d’une mémoire des expériences passées, concentré de savoir qui s’actualise paradoxalement dans l’instant (« l’occasion loge tout ce savoir sous le volume le plus mince. Elle concentre le plus de savoir dans le moins de temps [13] »). Qu’on songe par exemple à la quête du chineur qui saura repérer, au plus obscur d’une boutique délabrée, une pièce de grand prix, parce qu’il aura reconnu la courbe ou l’éclat d’un type d’objets qu’il collectionne depuis longtemps. Autre paradoxe associé à la saisie du moment opportun, celui qui s’opère dans la « juxtaposition de dimensions hétéronomes [14] », dans la requalification de l’objet perçu, pour suivre l’exemple du chineur, où le plus ordinaire (le débris apparent) devient le plus précieux (un violon de faïence, un éventail peint par Watteau [15]…). Un ordre spatial stabilisé (ici la boutique ensevelie dans sa poussière séculaire) est modifié par l’irruption du temps tranchant de l’occasion, et un « invisible savoir » bouleverse le « pouvoir visible [16] » (le beau est découvert en un endroit étiqueté dans l’espace social comme lieu de rebut).

N’est-ce pas ce fonctionnement que l’on trouve à l’œuvre dans « La disparition de la jeune fille en rouge », extrait de la série « Étrangetés concernant les villes » de François Bon, où un escalier (de parking ?) est requalifié comme un « avaleur » ? Si l’escalier anodin, aux montants de béton maculés d’inscriptions taguées, est soudain perçu comme un prédateur, gueule ouverte vers une passante qui le frôle (comme le montre la photographie qui ouvre le texte), c’est parce qu’une mémoire de savoirs et d’expériences disjointes (« On dit que les villes sont vivantes. » ; « On leur a tant demandé, à nos villes. On les use […], on les creuse […] » ; « On dit que la fonction sacrificielle est si vieille dans nos sociétés […] »), s’actualise soudain dans un choc ici complexe, celui d’une rencontre sitôt doublée d’une disparition (« Elle était là et puis soudain plus [17] »), qui transforme la perception du contexte immédiat, soudain rendu responsable de la disparition, « de façon quantitativement disproportionnée » à l’équilibre alentour qui semble perdurer. La stabilité environnante, thématisée en amont par « la boutique étroite, l’air comme endormie » avec ses « alternateurs alignés sur des étagères » (de sorte que le narrateur est presque un collectionneur fasciné par la série, « répétition d’un objet de plus chargé pour moi de mémoire », « curieux assemblage » qui prépare la découverte de l’autre curiosité qu’est « l’avaleur »), l’est en aval par le vide dans lequel résonne l’événement (vide de la boutique, vide des alentours). Mais la saisie du moment a fait jaillir un savoir nouveau, la conscience que la « structure de fer et de béton, immobile », est en fait un « avaleur » dont il faut désormais s’éloigner prudemment. Face à la banalité anesthésiante de l’ordre urbain se dresse la dénonciation de sa violence cachée, qui programme la disparition perlée des individus auxquels on cesse d’être attentifs, plus radicalement encore que ces objets vieillissants des boutiques étroites auxquels s’attache encore la nostalgie du promeneur [18]. L’instant de la saisie est d’autant plus dramatisé qu’il résonne comme celui d’autres pertes à venir. Le kairos de la rencontre du flâneur est un moment d’autant plus précieux qu’il est plus fragile, et le flâneur connaît le maelström menaçant dans lequel il se produit (« La rue assourdissante autour de moi hurlait », dit Baudelaire) : pour l’écrivain blogueur, ce n’est plus seulement le tourbillon de la ville, c’est aussi celui de l’espace virtuel du web qui lui confère la conscience aiguë de cette fragilité.

Figure 3 disparition jfemme en rouge

Doc. 3 – « La disparition de la jeune fille en rouge », image liminaire (François Bon, Tiers Livre, série « Étrangeté concernant les villes », ici).

À la flânerie urbaine répond ainsi l’autre flânerie, dans le cyberespace, quand la rencontre dans l’espace réel transcrite par le texte et l’image devient chez le lecteur naviguant dans l’espace virtuel l’occasion d’une autre trouvaille, suscitant à son tour la mise en jeu d’une mémoire des expériences passées qui s’actualise en un instant. Ce jeu de réactions en chaîne a également été pensé par Michel de Certeau, qui met en valeur l’altérité qui stimule la mémoire que mobilise l’occasion :

La mémoire pratique est régulée par le jeu multiple de l’altération, non seulement parce qu’elle ne se constitue que d’être marquée des rencontres externes et de collectionner ces blasons successifs et tatouages de l’autre, mais aussi parce que ces écritures successives ne sont « rappelées » au jour que par de nouvelles circonstances. […] la mémoire est jouée par les circonstances, comme le piano « rend » des sons aux touches des mains. Elle est sens de l’autre. Aussi se développe-t-elle avec la relation […]. Plus que enregistrante, elle est répondante [19].

On comprend que cette mémoire répondante « du tac au tac [20] » est aujourd’hui particulièrement stimulée par la circulation de l’information en réseaux, et on peut voir l’exemple de ces trouvailles en chaîne lorsque les commentaires accueillis sur la page du blogueur ne sont pas simple acquiescement, mais rebondissement et surgissement d’une autre image. Ainsi, sur le site Gammalphabet où Jean-Yves Fick publie chaque jour un court poème proche du haiku, et parfois une photographie, peut-on trouver le texte suivant, dont nous donnons ensuite le commentaire qu’il a suscité un jour après :

infime — 112                         13 juillet 2016

aux lisières du jour
des rires d’étoiles
peu à peu qui s’effacent

sans jamais d’ironie
le fleuve découvre
leurs reflets sur ses rives

même aux sables noirs.

1 commentaire

loess de miroirs, grain à grain l’écho se mire [21]

Dans le poème de J.-Y. Fick se déploie un petit diptyque qui oppose un ciel d’aube à l’obscurité du fleuve, étrangement unifié par un picotement pâlissant d’étoiles. Or le commentaire est surtout sensible à cet émiettement, qu’il accentue, et transpose sur le plan sonore (dans l’image et l’allitération généralisée en r). Ce rebondissement est peut-être inconsciemment stimulé par la photographie postée le même jour par Jean-Yves Fick (sans lien direct avec le poème) et intitulée « Machiner la pluie – totem urbain 1 », où des architectures urbaines floutées par la double médiation, qui écrase la perspective, d’une vitre et de la pluie, donnent l’illusion d’un visage stylisé. Si le lien entre le commentaire (qui se rapporte au poème) et l’image (laissée sans commentaire), n’est pas délibéré, en dépit des jeux de miroirs et de délitements qu’ils partagent, l’architecture de la page dessine l’habituel carrefour qui appelle le surgissement d’autres rencontres, et peut-être, de nouvelles fulgurances, avec les autres interventions sollicitées, concernant le même poème (« Laisser votre commentaire »), ou répondant au premier commentaire (« Répondre »), ou renvoyant aux poèmes précédant (« Machiner la pluie – totem urbain 1 ») ou suivant (« infime – 113 »).

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Doc. 4 – « Machiner la pluie – totem urbain 1 » (Jean-Yves Fick, Gammalphabet, 13 juillet 2016, ici).

Figure 5 commentaire Infime 112

Doc. 5  – Commentaire signé « annajouy, 14 juillet 2016, 17h25 »,  au poème « infime – 112 » (Jean-Yves Fick, Gammalphabet, 13 juillet 2016, ici).

On voit comment cette écriture du blog maximise son ouverture à toutes les rencontres, et démultiplie la force subversive du kairos, en mobilisant une pluralité de mémoires, potentiellement riches de « détails ciselés, singularités intenses [22] », et susceptibles de produire des retournements inattendus. Michel de Certeau prolonge l’analyse de ce fonctionnement de la mémoire, dont il restitue l’étonnante plasticité dans ses actualisations instantanées et souvent disruptives, jusqu’à une sorte de préscience des usages contemporains du web :

Le plus étrange est sans doute la mobilité de cette mémoire où les détails ne sont jamais ce qu’ils sont : ni objets, car ils échappent comme tels, ni fragments, car ils donnent aussi l’ensemble qu’ils oublient ; ni totalités, car ils ne se suffisent pas ; ni stables, puisque chaque rappel les altère. Cet « espace » d’un non-lieu mouvant a la subtilité d’un monde cybernétique. Il constitue probablement […] le modèle de l’art de faire, ou de cette mètis qui, en saisissant des occasions, ne cesse de restaurer dans des lieux où les pouvoirs se distribuent l’insolite pertinence du temps [23].

Il en ressort que flânerie urbaine et flânerie sur le net relèvent toutes deux d’un art de faire, d’un savoir pratique où la saisie du moment joue un rôle crucial, à chaque instant, et le monde, mouvant, se réinvente, dans chacune de ces occasions captées et retournées.

En décrivant un « art de la mémoire » fondé sur la gestion empirique du moment, De Certeau s’oppose à une conception plus traditionnelle des techniques de mémoire depuis l’Antiquité, où la remémoration des choses repose sur leur insertion dans un quadrillage spatial, assemblage des éléments d’une architecture, voire vitrines successives d’une collection : de la sorte, « la spatialisation du discours savant » rationalise et contrôle l’imprévisible de l’occasion [24].

Or ces deux modèles coexistent en réalité : il y a de fait une tension persistante entre, d’une part, le quadrillage rationalisant de la taxinomie, qui garantit une visibilité du contexte, et, partant, une lisibilité de la trouvaille, progressivement enveloppée dans les couches successives de ses significations, de ses appartenances à des classifications, et, d’autre part, l’aléa des empilements d’expériences qui ont créé l’occasion et permis l’émergence soudaine de ladite trouvaille.

Cette tension est diversement gérée sur les blogs littéraires. Certains parient plutôt sur le surgissement : le poème du jour apparaît dès l’accès à la page d’accueil de Gammalphabet, il faut dérouler longuement celle-ci pour découvrir enfin le blogroll, menu latéral où sont listées d’abord les billets les plus récents, ensuite les différentes séries poétiques dans lesquels ils sont réordonnés. Sur la page d’accueil du site « Désordre » de Philippe de Jonckheere, des photos sont jetées en vrac (tas épars remélangé à chaque navigation), sur lesquelles il faut cliquer pour accéder à une série qu’on peut alors dérouler chronologiquement, mais sans jamais pouvoir visualiser une architecture d’ensemble du site [25].

Figure 6 De Jonckheere

Doc. 6  – Page d’accueil du site « Désordre » de Philippe de Jonckheere (https://www.desordre.net/), le 6 août 2016.

À l’opposé, d’autres sites s’ouvrent d’abord par un sommaire. Celui du Tiers Livre de François Bon, quoique détaillé, semble répondre à une rhétorique assez pragmatique, qui mime les interrogations du lecteur (sa première subdivision s’intitule « qui quoi comment ? », et chaque page contient dans son en-tête la formule « mais quelle est cette rubrique (se repérer) »). La page d’accueil des Carnets d’Arnaud Maïsetti propose quant à elle un sommaire extrêmement soigné, en diverses catégories qui contiennent chacune trois subdivisions, lesquelles listent les trois textes les plus récents. Mais chaque page du carnet présente ensuite, au-delà d’un menu latéral gauche avec un sommaire simplifié qui reprend le dispositif classificatoire initial, un choix de liens qui invite à une circulation plus libre sur le site, et qui répond à une rhétorique plus désinvolte : « par le milieu », « une autre page des carnets arrachée par hasard ». À contrepied des dispositifs taxinomiques qui balisent trop strictement la lecture et limitent la surprise des rencontres, il s’agit d’encourager celles-ci en multipliant comme on l’a vu les carrefours, mais on peut se demander si la quête du « moment », constamment stimulée puisqu’il suffit de cliquer sur un lien, n’est pas à tout moment menacée par la nomenclature, et la trouvaille sur le point de s’enliser dans l’exhibition ou le classement de la collection. Est-ce que les mises en listes piègent l’instant du surgissement ? À moins qu’elles ne le protègent et le pérennisent dans l’espace mouvant du web…

3. L’art de l’infime et de la fugue

On voudrait finalement s’attacher à la façon dont certains blogs littéraires s’efforcent de thématiser l’instant, quand il est moins temps du retournement que temps qui passe et temps qu’il fait, temps mouvant mais suspendu dans le moment de sa captation (sensorielle et/ou photographique) et de sa transcription (écrite), temps rendu sensible dans l’attention à l’infime, non plus temps électrisé du surgissement mais temps autrement arrêté dans sa continuité, par une préhension ponctuelle. Le flâneur, comme on sait, a la tête en l’air et le nez au vent, à moins qu’il ne scrute à terre un détail insignifiant.

La démarche n’est pas nouvelle. Comme le rappelle Marie-Ève Thérenty, « il ne faudrait pas imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment [26] […] ». Le flâneur des poèmes en prose du Spleen de Paris est fasciné par « l’architecture mobile des nuages », « les merveilleuses constructions de l’impalpable [27] ». L’écriture diariste des Goncourt enregistre le jour qui « se lève pour la première fois dans la brume d’automne » (6 octobre 1870), « un ciel de sang, une lueur de cerise, teignant le ciel jusqu’au bleu ombre de sa nuit … » (24 octobre 1870), « un léger lavis de nuages violets sur une feuille de papier d’or » (27 octobre 1870) [28]. Le haïku a rendu compte aussi des instants du jour, et ajoute à l’éphémère de la notation, la brièveté de la forme et l’effet de surprise de la chute. Ces différents héritages (et le dernier cité, particulièrement) inspirent l’écriture littéraire des blogs, comme l’attestent ces deux exemples, emprunté l’un au site « Paumée » de Brigitte Célérier, l’autre au site « Fut-il » de Christophe Sanchez : « ciel de pierre bleue / sous coup de fouet modéré / du seigneur mistral » (mardi 2 aout 2016, « Dans les rues, matin ») [29] ; « L’attente de l’aube / Monte en ventre bleu / Et rouge, couperose / Sur le visage de l’im- / Patient » (vendredi 8 janvier 2016) [30].

On voudrait surtout s’attarder sur les poèmes du site Gammalphabet de Jean-Yves Fick, parfois rangés dans des séries au titre explicite (« Infimes », « Formes de peu »), qui comptent chacune plus d’une centaine d’items. Ces poèmes sont aussi tressés aux fils d’autres catégories : « Icaria », « Notes brèves », « Riens »… Dans ces séries ouvertes, qui classent tout en mélangeant, et étiquettent en blanc, car elles n’indiquent que le vide ou le presque néant, l’écrivain laisse en outre visibles des ratures et des tâtonnements, dans un site lui-même placé sous le signe de l’essai (avec son sous-titre « Des essais de voix par temps contemporain ») :

infimes – 118, 25 juillet 2016

des feuillages
d’encore l’été
et dessous des voix

que viennent mêler d’ombres
les formes diverses du jour
avant que les yeux ne se ferment

tout un monde bascule chute vers sa nuit [31].

L’instant fragile du soir d’été où des voix conversent se dit dans un feuilletage de formes, de sons, d’ombres, et la frêle épaisseur s’abolit. Confusions infimes d’échos ténus qui sont pourtant preuves de l’être :

infimes – 123, 3 août 2016

rumeurs
comme de voix
mais ce sont

tout bas
d’autres hôtes
qui bruissent

l’exister — [32]

formes de peu — 213,

cela que hisse delà
le corps soudain aboli  évanoui évanescent épuisé
regarde l’étrange
extrême de vivre [33].

Objets non finis, glissés dans des séries ouvertes, à l’intersection de fils à tresser encore, voilà ce que semblent être les instants captés, en mots transposés, de Jean-Yves Fick. Loin de la taxinomie qui fige l’instant, il suscite, comme Des Esseintes avec son orgue à parfums dont des touches manquent, de curieuses contre-collections [34], qui jouent de la perception et de son évanescence, de l’essence et de son abolition, de l’émergence et de la néantisation : le plus fragile, et le plus essentiel, de chaque instant, paradoxalement travaillé et esthétisé dans sa fragilité même.

Notes

[1] En ligne ici. Voir aussi la récente synthèse de Marie-Ève Thérenty, « La rue au quotidien. Lisibilités urbaines, des tableaux de Paris aux déambulations surréalistes », Romantisme, n° 171, 2016, p. 5-14.

[2] http ://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1726, consulté le 6 août 2016. Voir aussi la page « Enjoy », de la même série « La ville écrite ». La violence coercitive de la ville suscite un positionnement à rebours du flâneur, comme l’avait déjà montré Walter Benjamin (Chapitre III, « Le flâneur » dans Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot, 2002).

[3] « L’œil dans la ville », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3231, consulté le 6 août 2016.

[4] « Branche 4 bis du tombeau de Joseph Beuys », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3231, consulté le 6 août 2016.

[5] Paris, capitale du XIXe siècle, Exposé de 1939, « Louis-Philippe ou l’intérieur », Cerf, 1989, p. 40 sq.

[6] Sur l’utilisation de ce registre chez F. Bon, en lien avec la déambulation urbaine, voir notamment Gilles Bonnet, François Bon. D’un monde en bascule, La Baconnière, 2011 (chap. 5, « Mondes possibles », section « Dans la ville fantastique », p. 185 sq.)

[7] « Vivre en rampant ».

[8] Voir mon essai Poétique de la collection au XIXe siècle, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2010, accessible en ligne : http ://books.openedition.org/pupo/618?lang=fr

[9] « Remembrance of things past », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3536, consulté le 6 août 2016.

[10] « J’ai dormi dans mon absence (nuits Cergy) », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4066, consulté le 6 août 2016.

[11] L’Invention du quotidien (1980), Gallimard, « Folio Essais », 1990, t. I, p. 151 sq.

[12] « Fictions dans un paysage. Sommaire général », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4004, consulté le 6 août 2016. C’est F. Bon qui souligne le mot dépaysement.

[13] L’Invention du quotidien, op. cit, p. 126.

[14] Ibid., p. 127.

[15] Ce sont les trouvailles respectives des héros de Balzac et de Champfleury (Le Cousin Pons, 1847 ; Le Violon de faïence, 1862).

[16] Ibid., p. 128.

[17] « Un éclair… puis la nuit ! » (Baudelaire, « À une passante »).

[18] L’obsolescence est une thématique privilégiée de l’écriture littéraire du blog : voir par exemple Dominique Hasselmann, « Machine-aérolithe d’un temps disparu », http ://remue.net/spip.php?article1686, et, sous forme de séries de textes et d’images, les devantures condamnées du blog « Au petit commerce », http ://aupetitcommerce.tumblr.com. C’est « l’archéologie du présent » qui s’écrit alors sur le net, pour reprendre le titre évocateur d’un portfolio du photographe Georgios Makkas, « The Archeology of Now », http ://www.gmakkas.com/portfolio/C00005CBWq5gxTjk/G00005nk8B9pj9n4 (sites consultés le 6 août 2016).

[19] L’Invention du quotidien, op. cit., p. 132.

[20] « L’occasion, saisie au vol, ce serait la transformation même de la touche en réponse, un « retournement » de la surprise attendue sans être prévue : ce qu’inscrit l’événement, si fugitif et rapide qu’il soit, est retourné, lui est retourné en parole ou en geste. Du tac au tac. » (ibid., p. 133).

[21] https ://gammalphabets.org/2016/07/13/infime-112/, consulté le 6 août 2016.

[22] L’Invention du quotidien, op. cit., p. 133.

[23] Ibid., p. 133 (je souligne).

[24] Ibid., p. 134. M. de Certeau se refère à l’important ouvrage de Frances Yates, The Art of Memory (1966, première traduction française en 1975).

[25] https ://www.desordre.net/, consulté le 6 août 2016.

[26] Marie-Ève Thérenty, « L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon », Itinéraires [en ligne], 2010-2 | 2010, http ://itineraires.revues.org/1964, p. 61, consulté le 6 août 2016.

[27] Baudelaire, « Le port », « La soupe et les nuages ».

[28] E. de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1956, t. II, p. 304, 320, 322.

[29] http ://brigetoun.blogspot.fr/, consulté le 6 août 2016.

[30]  La série « Morning à la fenêtre » de Christophe Sanchez a été pensée à l’avance dans sa périodicité et dans sa mise en forme textuelle, mais aussi dans sa publication, comme l’atteste le commentaire de la dernière livraison, publié le 13 janvier 2016 : « C’est la dixième semaine du « morning » par la fenêtre. Deux strophes de quatre vers avec la contrainte de terminer par un vers court, un ou deux mots. Chaque « poème » est publié sur les réseaux sociaux. Un par jour. » (http ://www.fut-il.net/2016/01/morning-la-fenetre-s10.html, consulté le 6 août 2016). Il s’agit de « co-joindre le temps de l’écriture et de la publication », également « datés et préservés par la date », et par-là moins périmés que placés « sous la sauvegarde de l’événement », pour reprendre les termes d’Arnaud Maïsetti (« Lire et écrire numérique : journal d’un désœuvrement », 5 juin 2013, http ://arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1077, consulté le 6 août 2016).

[31] https ://gammalphabets.org/2016/07/25/infimes-118/, consulté le 6 août 2016.

[32] https ://gammalphabets.org/2016/08/03/infimes-123/, consulté le 6 août 2016.

[33] https ://gammalphabets.org/2016/07/31/formes-de-peu-213-2/, consulté le 6 août 2016.

[34] Voir mon article « Huysmans et la collection : le bazar, le répertoire, le bouquet, le recueil », Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, n° 101 (centenaire de la mort de Huysmans), dir. André Guyaux, 2008, p. 17-44.

Auteur

Dominique Pety est professeure de littérature française à l’Université Savoie Mont Blanc depuis 2008. Ses travaux de recherche concernent particulièrement les représentations de la collection au XIXe  siècle (Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Droz, 2003 ; Poétique de la collection au XIXe  siècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2010), ainsi que l’organisation des savoirs et les pratiques de classement : elle a notamment codirigé la Bibliographie du XIXe  siècle Lettres-Arts-Sciences-Histoire, initiée par Claude Duchet, de 1999 à 2009 (SEDES puis Presses de la Sorbonne Nouvelle). Elle travaille actuellement sur les représentations de l’amateur, des anciennes pratiques savantes aux technologies du numérique (voir notamment Dominique Pety (dir.), Patrimoine littéraire en ligne : la renaissance du lecteur ?, Chambéry, Publication de l’Université Savoie Mont Blanc, « Corpus », 2015).

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Valoriser l’instant : Désordre de Philippe De Jonckheere


Désordre, site internet alimenté et développé par Philippe De Jonckheere depuis plus de quinze ans, est une œuvre hypermédiatique à la structure étoilée qui se caractérise par l’hybridation sémiotique et la transartialité dans un cadre oscillant entre l’autobiographique et l’autofictionnel. Sorte de journal polyphonique en ligne, fortement marqué par l’activité photographique, il rejoue la pratique diaristique en convoquant, de par son ancrage numérique, texte, images et sons. Composé de très nombreux projets, Désordre s’attache avant tout à investir et à explorer activement l’infra-ordinaire. Y est exalté le pas-grand-chose, le presque rien, de même qu’y est souligné le caractère composite, bigarré, de la vie. Nous mettons dès lors en lumière la manière dont Désordre, en offrant des recombinaisons de l’expérience du réel et en opérant un délitement de la temporalité linéaire, effectue la relance d’une dynamique sensorielle et affective, qui permet la revalorisation de l’instant trivial alors transfiguré en moment auratique, épiphanique.  Autrement dit, il s’agit d’illustrer comment De Jonckheere investit la masse, la pesanteur du quotidien – sa substance épaisse, compacte et mobile – pour y faire surgir des moments d’éclat, d’envol.

 

Désordre, website that Philippe De Jonckheere has been developing and maintaining for over fifteen years (since 2000), is an hypermediatic work with a star-shaped structure characterized by semiotic hybridization and transartiality, in a context oscillating between the autobiographic and the autofictional. Acting a kind of polyphonic online journal, strongly impacted by photography, it reenacts the diaristic practice by summoning, through its digital anchoring, text, images and sounds. Composed of numerous projects, Désordre is first and foremost devoted to vesting and actively exploring the infra-ordinaire. The work exalts the not much, the hardly anything, as well as the composite and variegated nature of life. We highlight therefore the way Désordre, by offering recombinations of the experience of the real and by operating a disintegration of the linear temporality, revives the sensory and affective dynamics that allows the revalorization of trivial moments then transfigured in auratic, epiphanic instants. In other words, this paper is about illustrating how De Jonckheere invests the mass, the weight of everyday life – its thick, compact and mobile substance – in order to reveal (bursting) moments of brightness and joyful surge.


Texte intégral

Non, plus de roman jamais,

mais cueillir à la croûte dure

ces éclats qui débordent

et résistent [1]

 

 

Désordre, site internet alimenté et développé par Philippe De Jonckheere depuis plus de quinze ans, est une œuvre hypermédiatique à la structure étoilée qui se caractérise par l’hybridation sémiotique et la transartialité dans un cadre oscillant entre l’autobiographique et l’autofictionnel. Sorte de journal polyphonique en ligne, fortement marqué par la pratique photographique, il rejoue la pratique diaristique en convoquant, de par son ancrage numérique, texte, images et sons. Composé de très nombreux projets, Désordre s’attache avant tout à investir l’infra-ordinaire. Y est exalté le pas-grand-chose, le presque rien, de même qu’y est mis en lumière le caractère composite, bigarré, de la vie. Il donne à voir, à lire, et surtout à ressentir l’expérience du quotidien et, par elle, celle du sensoriel, dans sa pluralité. Le temps constitue l’autre élément-phare de cette œuvre-monstre qui semble infinie. Les différents projets qui la façonnent, souvent à contrainte [2], témoignent en effet de réflexions spécifiques autour de la temporalité : qu’est-ce qu’un moment ? un jour ? une année ? Qu’est-ce qui en forme l’essence ? Quel rapport peut-on entretenir avec l’éphémère, le maintenant, le soudain ?

1. Investir l’infra-ordinaire, rejouer le temps

Désordre traite de la vie ordinaire. Elle est une œuvre de la vie et, plus, une œuvre-vie : « c’est l’existence même de son auteur qui fait le contenu du site » [3]. Les titres de plusieurs projets menés par De Jonckheere y font en effet explicitement référence : La Vie – en premier lieu –, Le quotidien, Tous les jours, Le petit journal, Février, etc. Elle aborde ainsi de front la question du quotidien, en suivant la double dimension qu’il renferme : temporelle – la succession des jours au fur et à mesure, de même que le « tous les jours » – et spatiale (chosique) – le décor de toute existence humaine. Le quotidien, « sol de toute existence », « fait primitif de toute existence humaine », « propriété d’essence de la vie humaine » pour reprendre les mots de Bruce Bégout qui lui a consacré un volumineux ouvrage [4], constitue, de prime abord, « le connu (accessible, compréhensible et familier) » [5]. Il témoigne en ce sens d’un « sur-présent » [6]. C’est pourquoi il est la plupart du temps considéré comme anodin ou quelconque ; on l’esquive, on l’escamote. En tant que « monde donné et pré-donné pour partie » [7], on ne le regarde généralement pas, on ne s’y attarde pas. Herman Parret soutient ainsi, dans une phrase qui convoque De Certeau et Merleau-Ponty, que « [l]e quotidien est « tout ce qui parle, bruit, passe, effleure, rencontre », c’est la « prose du monde », c’est l’événement dû au hasard de la circonstance mais ces événements sont des milliers et ils sont tous pareils » [8].

De Jonckheere, avec Désordre, choisit précisément d’investir le quotidien – ce « reste » de la vie qui en constitue pourtant la plus grande partie –, d’y prêter attention [9], afin de remettre en question la fausse évidence qu’il représente. Il se met en travers de l’indifférence qu’on lui oppose. Son œuvre, marquée par « un enjeu du minuscule » [10], s’inscrit ainsi dans la continuité de celle de Georges Perec, dont il reconnaît explicitement l’héritage [11]. Désordre explore le quotidien et se situe donc en-deçà de l’extraordinaire et du spectaculaire.

[…] c’est le frêle espoir, non de retenir un peu de ce qui s’écoule, projet fantasque, mais de maintenir en pleine lumière, ce qui justement reste et demeure dans l’ombre, une ombre qui s’épaissit à mesure que s’entasse sur eux de nouveaux événements pareillement minuscules et aussi peu aptes à émerger de la masse indifférenciée du temps qui englue ce que justement on oublie. [12]

Du reste, dans son texte Pourquoi – qui peut être appréhendé comme un long auto-commentaire sur son travail –, l’élément majeur qu’il retient du Nouveau Roman c’est « l’acharnement » que ce mouvement a déployé « à décrire le vernaculaire et l’infime » [13]. Le quotidien serait ainsi comparable à un bouquet d’orties, cette plante ni rare, ni munificente, dont on se détourne habituellement et qui peut même être vue comme négative (elle est urticante). De Jonckheere a d’ailleurs dédié tout un texte [14] à cette herbacée qui peut aussi être vue comme extrêmement vivifiante (sa piqure réveille) ; perspective qu’il rattache précisément au quotidien.

Ainsi que le note Bégout [15], la quotidienneté a pour foyer essentiel le moi. Désordre se fait dès lors également œuvre du quotidien par son ancrage éminemment subjectif, dont témoignent la narration à la première personne du singulier ainsi que le déploiement du diaristique. Les différents projets de De Jonckheere sont autant de récits de vie, de récits de soi, qui empruntent pour la majorité d’entre eux la voie photographique. À l’instar de l’identité, le quotidien, chez De Jonckheere, n’est pas lisse. Matière ample, informe et mobile, il n’incarne pas l’« espace du propre et de l’identique » [16]. Il apparaît plutôt comme l’espace de l’hétérogène, du divers, dessinant un domaine de l’inconstance, de la mobilité [17], de la précarité, de l’hétéroclite [18] ; ce dont rend superbement compte son projet La Vie (comme elle va) [19] qui se présente sous la forme de photographies disparates superposées venant dresser un chemin existentiel autre qu’agendaire : sensible.

illustration 1

Doc. 1 – Capture d’écran du projet La vie comme elle va (Toute la vie).

illustration 2

Doc. 2 – Capture d’écran du projet La vie comme elle va (Toute la vie).

Illustration 3

Doc. 3 – Capture d’écran du projet La vie comme elle va (Toute la vie).

Dans Désordre, l’attention est portée au détail, à ce qui relève de l’anecdotique, de l’inaperçu. La Vie rend ainsi compte du vitrail, de la fresque que peut composer le quotidien, cette « broderie baroque où des milliers de motifs s’entrelacent dans un capharnaüm optique » [20]. Le quotidien y est multiforme, indéfini, flottant, indécis, équivoque [21]. Désordre joue avec la nature ambivalente du quotidien qui oscille « entre endotique et exotique » [22], entre familier et inconnu, entre habituel et étonnant, entre évidence et opacité. L’œuvre de De Jonckheere investit ainsi la « tension frontalière entre ces deux pôles »[23] pour amener le quotidien vers une appréhension renouvelée [24]. Elle met à mal la quotidianisation, c’est-à-dire une « fixation unique sur le familier », les « diverses opérations de domestication de l’espace, du temps et de la causalité » [25]. De Jonckheere discute et réinterroge le quotidien qui est d’ordinaire indiscuté [26] (ou présenté comme indiscutable) et écarté de toute considération. Il creuse sa richesse et s’ouvre à son caractère dispersé.

Désordre est ainsi une œuvre de déconstruction, puis de reconstruction, du quotidien. Son auteur saisit ce dernier autrement que comme un simple décor et/ou comme un lieu qui serait celui de la déréliction. Il remet au premier plan la toile de fond à laquelle le quotidien est souvent rattaché et relégué. Avec lui, il ne s’agit donc pas de dépasser le quotidien, mais de l’investir, de le traverser, de voir ce qu’il recèle et, par là, de rejouer sa configuration. L’Album d’Adèle [27], qui retrace les six premières années de la vie de sa fille, en donne un exemple substantiel. Des 2191 jours écoulés, restent 234 photographies, 234 instants. Désordre offre ainsi des recombinaisons du réel, du temps, du quotidien, qui s’effectuent par la revalorisation d’instants, de l’instant.

Un autre mode d’investissement du quotidien opéré par De Jonckheere passe par une logique de la répétition, de l’accumulation. En effet, Désordre peut donner à voir « la quotidienneté comme [un] mode d’être du quotidien [qui] se manifeste dans une pluralité inépuisable d’apparitions quotidiennes de choses, de personnes, de faits » [28]. Le projet À quoi tu penses [29], qui reprend un ensemble de pensées qui ont émergé dans la tête de De Jonckheere lors de chacun de ses passages (allers-retours en train entre Paris et Clermont, durant six ans) devant les deux cheminées de la centrale nucléaire de Neuvy-sur-Loire, s’inscrit dans cette perspective.

Je pense que j’ai eu cette idée l’année dernière. Dans le train. Au retour. J’anticipais ces nombreux allers-retours entre Paris et Clermont, et naturellement, je suis décidément incapable de ne rien faire pour rien, je me demandais quel petit projet je pourrais entamer à propos de ces allers-retours. Et je pensais à ceci d’assez simple, un stratagème pas trop compliqué, faire des photographies du même endroit qui se trouve sur le parcours, à l’aller comme au retour, et levant le nez de mon livre, ou de l’ordinateur portable posé sur la tablette qui me tombe maladroitement sur le ventre, noter au vol ce à quoi je suis précisément en train de penser, manière de répondre comme si on m’avait demandé : à quoi tu penses? Je me disais alors qu’il fallait que je trouve un endroit, toujours le même, quelque chose que je ne pourrais pas rater sur le parcours. Il y avait bien le pont qui enjambe la Loire à Nevers. Je ne sais pas exactement pourquoi mais j’ai préféré la centrale nucléaire de Cosne-sur-Loire [30].

Chaque pensée (ou presque) est ainsi assortie d’une image de la centrale. Au fil des clics, s’amasse alors une quantité impressionnante de photographies de la centrale. L’expérience routinière est ainsi rendue, mais non pas comme quelque chose d’aride ou d’inutile, voire d’harassant, mais comme quelque chose de stimulant. Le caractère répétitif de l’expérience quotidienne devient fécond : il ouvre à la pensée. Aussi, chez De Jonckheere, l’expérience du quotidien n’est pas synonyme de fadeur.

La modalité itérative peut aussi plus simplement inviter à porter une attention accrue au détail, aux vétilles du monde sensible, afin de relancer une dynamique sensorielle, comme peuvent en témoigner deux montages réalisés par De Jonckheere, qui s’inscrivent par ailleurs dans la lignée des réalisations de Barbara Crane [31].

illustration 4

Doc. 4 Capture d’écran du projet Les rigaudières – mai 2004 ; voir ici.

illustration 5

Doc. 5 – Capture d’écran du projet Les rigaudières – mai 2004 ; voir ici.

La répétition qui a priori tend à familiariser, est investie d’une portée inverse dans l’œuvre de De Jonckheere. Cette dernière vient étrangéiser le banal en lui octroyant une profondeur. L’évident devient particulier, spécifique, parfois même mystérieux. Chez De Jonckheere, le quotidien n’est pas, pour reprendre les mots de Michael Sheringham, « un présent fluide, […] sans relief » [32]. Son œuvre ne vise pas à une simple reproduction de la réalité. De Jonckheere se réapproprie le quotidien, il l’explore, avec une participation active, hors des sentiers battus. « Seul un quotidien transformé pourrait résoudre cet éternel conflit entre le trivial et le festif » [33], allègue Sheringham ; De Jonckheere, dans Désordre, semble avoir trouvé une résolution à cette tension.

2. Entre mémoire et oubli : une structure labyrinthique

Désordre, qui peut être vu comme une plongée dans le millefeuille que constitue le quotidien, remet en question le cours régulier des choses. S’y établit une esthétique de la déliaison, de la diffraction. L’œuvre est ainsi à l’image des Mille Chemins photographiés par Hanno Baumfelder, qui constitue un des « invités » [34] du site.

illustration 6

Doc. 6 – Capture d’écran de différentes pages de Mille chemins, Hanno Baumfelder

En effet, la page d’accueil actuelle [35] du site offre au regard un ensemble d’images disparates, une constellation de photographies qui constituent autant de portes ouvertes sur des mondes, en s’affranchissant des contraintes du sens et de l’unité. On pense spontanément à un tiroir rempli de souvenirs qui aurait été retourné.

Illustration 7

Doc. 7  – Capture d’écran de page d’accueil de Désordre ; 1er décembre 2016.

Chaque image renvoie à un des projets menés par De Jonckheere (ou à un élément issu d’un de ses projets) depuis une quinzaine d’années. D’emblée, toute linéarité est mise à mal. Le visiteur du site se retrouve plongé au cœur d’une structure labyrinthique dans laquelle il n’a d’autre choix que de se perdre. La figure du labyrinthe est au demeurant représentée et signifiée à de nombreuses reprises sur des pages du site.

Illustration 8.1

Illustration 8.2

illustration 8.3

Doc. 8 – Figures de labyrinthes glanées sur le site.

Associée au sigle de l’infini (plusieurs fois reproduit sur le site), elle informe le processus global – entropique, de dislocation – suivi et engendré par Désordre.

Illustration 9

 

Doc. 9 – Voir ici.

Tout parcours de lecture de l’œuvre est ainsi déterminé par l’aléatoire, l’incertain, le changeant, le disjoint. René Audet et Simon Brousseau, dans un article qui évoque la poétique de la diffraction de l’œuvre littéraire numérique, évoquent au sujet de Désordre « une expérience de navigation sans cesse plus déroutante, complexe » [36]. Le hasard et l’égarement y sont programmés. La page d’accueil n’est en effet jamais la même, les images qui s’y trouvent s’y disposant différemment à chaque nouvelle actualisation. Une fluence permanente et multidirectionnelle, calquée sur celle du réel, caractérise ainsi l’œuvre. Suivant le principe d’un perpetuum mobile – propre à l’existence humaine –, rien n’y est jamais fixé.

Début 2011, je devais penser que ce n’était pas assez désordre comme cela, et donc pourqui [sic] est-ce que les vignettes de la page d’accueil devraient absolument être dans le bon sens? Ben pour aucune bonne raison, c’est tellement une question de bon sens. En 2016 cette page d’accueil est toujours la pour son principe de construction aléatoire, elle s’enrichit de chaque nouvel ajout dans le site et, beauté de la chose, elle donne, en fait, accès à la presque totalité du site, ses 289 450 fichiers, répartis dans ses 10192 dossiers, quand je pense qu’il y en a pour insinuer que ce site est mal conçu, quel autre site de presque 300.00 fichiers donne accès à la presque totalité de son site depuis sa seule page d’accueil [37] ?

La page d’accueil du Désordre étant ce qu’elle est également, extrêmement résistante au calcul de probabilités, et qui envoie vers autant de pages qui sont faites de cette façon désormais curieuse et non fixe, autant vous dire que dorénavant plus personne ne voit la même chose sur le site du Désordre. […] Sans compter qu’aussi nombreux que vous soyez à regarder cette page, et même plusieurs propositions de cette page, il est peu probable que deux visiteurs voient, ne serait-ce qu’une seule fois, la même combinaison. CQFD : cette page n’est pas partageable sur les réseaux asociaux, vous ne pourrez pas dire, tiens regarde-ça!, “ça” n’existe que par très faible intermittence. Et vous n’imaginez même pas à quel point cette pensée m’est agréable [38].

 

Le plan du site proposé par De Jonckherre, sorte de brouillon manuscrit, est, à l’avenant, lui-même labyrinthique. Il se trouve d’ailleurs sur une page qui est ironiquement intitulée « Je vous fais un plan, vous y verrez plus clair » [39].

Illustration 10

Doc. 10 – Plan du site dessiné à la main.

L’œuvre, qui ne cesse de figurer et d’exprimer l’intotalisable et l’impermanence, est ainsi mue par un principe d’errance, de dérive, qui se veut, en fin de compte, principe de rencontre(s), de convergence. Valorisant le dispars, elle est polyphonique. Elle invite à s’ouvrir à l’instant, porteur de possibles.

Désordre, marquée par un processus d’expansion progressive non-téléologique, est à la fois un labyrinthe et un champ ouvert qui traverse et plonge non seulement dans l’épaisseur du quotidien, mais aussi dans l’épaisseur temporelle de l’existence humaine, composée de multiples strates. Il vient reconfigurer ces deux expériences. En effet, comme l’a noté Bertrand Gervais dans le deuxième tome de ses Logiques de l’imaginaire, « l’expérience du labyrinthe est régulièrement conçue comme une sortie hors du temps, comme un désordre mis dans le temps. La désorientation n’y est pas que spatiale, elle est aussi temporelle. Tous les temps s’y mêlent, car ils ne se suivent plus selon une logique de consécution traditionnelle » [40]. L’œuvre de De Jonckheere opère un délitement de la temporalité. Elle fait ressentir la discontinuité ontologique de l’expérience du temps. Elle investit et creuse de nouveaux tracés ; elle fraye mille chemins. La réorganisation (déstructuration) du temps opérée par l’auteur embrasse ainsi un principe entropique et offre dès lors l’expérience d’une déambulation dans un espace labyrinthique en transformation constante, en perpétuel réajustement. Œuvre (du) nomade, elle ouvre au flottement, au « musement ». Théorisé par Gervais, ce dernier est défini comme « l’invention d’un nouvel ordre, l’irruption de l’inédit » [41]. « Confusion et émerveillement, ces deux traits résument bien les processus cognitif et affectif de l’être dans le labyrinthe » [42], observe Gervais. Or, De Jonckheere joue avec la confusion (liée à l’égarement) comme mode premier de réception de son œuvre et fait de l’émerveillement (des petites choses) son principe structurant. Désordre donne donc à penser la vie comme labyrinthe.

Nos existences sont des labyrinthes dont certains méandres sont communs à d’autres dédales empruntés par d’autres (pas toujours contemporains d’ailleurs). Ces réseaux sont amenés à s’intercroiser à l’envi, pourvu qu’on ait l’intelligence de s’y perdre. Sur la petite fenêtre lumineuse j’offrais enfin aux autres voyageurs ne serait-ce qu’un infime pixel, qui s’éteindrait sans doute un jour, mais qui aujourd’hui brillait de toute sa fierté de nouvel arrivant [43].

L’œuvre de De Jonckheere rend saillant le mécanisme de la ligne brisée tel que l’a développé Gervais dans son ouvrage éponyme. La linéarité laisse place à la tabularité. Marqué par la disjonction et le pluriel, échappant à la trajectoire nette et uniforme, Désordre se présente en effet comme un grand jardin aux sentiers qui bifurquent, pour reprendre le titre d’une nouvelle de Borges. Audet et Brousseau, qui insistent sur son caractère retors, affirment que la mémoire (et ses lacis) en constitue « le principe fondateur » [44]. On ne peut le dénier [45]. Toutefois, il est également possible d’approcher l’œuvre à partir du pendant antagonique de la mémoire : l’oubli, qui constitue « un trait dominant de l’imaginaire du labyrinthe » [46], selon Gervais.

Oubli de soi, de ses déterminations spatio-temporelles et de la façon de retrouver son chemin. Le labyrinthe, c’est l’errance provoquée par une multitude de choix à faire qui enfoncent le sujet toujours plus profondément dans la confusion. En fait, le labyrinthe n’est pas un lieu de mémoire, il en est tout le contraire, c’est-à-dire un endroit fait pour le musement, pour un esprit qui s’aventure dans des pensées disjointes [47].

Désordre peut en effet être vu comme un théâtre de l’oubli qui « abolit le temps et impose l’instant multiplié comme seule réalité » [48]. Sa structure labyrinthique aménage l’oubli, mais ce dernier n’y est pas saisi comme un manque ou un déficit, mais comme une opportunité de vivre (et revivre) le réel de manière plurielle.

Illustration 11

Doc. 11 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 169.

Désordre est ainsi une œuvre qui propose d’entrer dans l’oubli : « entrer dans l’oubli c’est se défaire du temps » [49] étant donné que « l’instant [y] devient la seule réalité, multipliée à l’infini » [50]. L’oubli est au demeurant intimement lié à l’expérience du quotidien, ainsi qu’a pu le remarquer Bégout : « le monde quotidien est le monde de l’oubli » [51]. Tellement ample, qu’il est impossible de tout en retenir. C’est dès lors autour de cette perspective que se développe l’œuvre de De Jonckheere qui, à travers les différents projets qui la composent – et qui visent à une dislocation de l’expérience du temps –, épouse (une logique de) l’oubli. Une autre phrase de Gervais vient appuyer notre proposition : « Le labyrinthe permet en fait de juxtaposer l’oubli et le musement. Le musement est ce qui échappe à une mémoire ordonnée ou impérialiste et il ouvre l’oubli au domaine de la présence. [Le labyrinthe] s’impose ainsi comme la pierre d’assise d’un imaginaire de l’oubli » [52]. Par ailleurs, dans l’oubli, souligne Gervais, prévalent « la libre association, le coup de dés, l’air du temps, le jeu pur » [53], qui constituent quatre éléments centraux de Désordre, dont rendent compte, à titre d’exemple, trois pages tirées du Petit journal où une tension (de l’ordre du disruptif) naît entre ce qui est dit et ce qui est montré, entre texte et image.

Illustration 12

Doc. 12 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 48.

Illustration 13

 

Doc. 13 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 214.

Illustration 14

Doc. 14 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 247.

Ancré dans un rapport à l’oubli, Désordre s’inscrit dans une perspective d’errance. Cette dernière engage une esthétique du pluriel et de l’hétérogène – que l’on retrouve dès la page d’accueil du site –, qui vient s’opposer à l’hégémonie de l’unité, de l’homogénéité et de la centralité. Comme l’a noté Gervais, « [l]a mesure de l’errance » est « l’instant comme multiplicité » [54]. La multiplicité évoquée est partout présente dans Désordre qui est organisée suivant une poétique du fragment associée à une esthétique de la délinéarité, de la discontinuité. À l’instar de nombreuses œuvres hypermédiatiques, le site affiche en effet une textualité ouverte, perpétuellement inachevée, marquée par « la fragmentation, l’indétermination, la multinéarité et le manque de clôture inhérents au médium » [55]. L’éclatement et la diffraction en composent les deux caractéristiques-phares. En d’autres mots – ceux de Bégout –, l’œuvre s’inscrit dans une « dynamique infinie et aventureuse de l’exploration tous azimuts » [56]. Remplie de projets, Désordre met en lumière le disparate. À travers une logique de la périphérie, y sont réhabilitées les « petites choses » et les faits futiles et volatiles du quotidien.

En investissant l’oubli, De Jonckheere revalorise positivement ce terme d’habitude saisi de manière dépréciative. Dans Désordre, l’oubli rend possible l’émergence du neuf, de dispositions de/du sens alternatives. Gervais note en ce sens que « [l]’oubli permet au nouveau de survenir. Il est disjonction, rupture, événement inattendu » [57] ; il est « un geste qui assure la progression […] et le renouvellement » [58]. Comme l’ont mentionné Sébastien Biset et Myriam Watthee-Delmotte, « en posant l’oubli ou le non-savoir en son centre, [l’œuvre] peut créer l’ouverture à un savoir nouveau, à l’insoupçonné » [59]. C’est par l’investissement de l’oubli que le site de De Jonckheere peut dresser de nouveaux chemins d’appréhension du réel. Autrement dit, avec Désordre, De Jonckheere rappelle que le quotidien, une fois saisi à partir de l’oubli positif propre au musement – « là où la durée cède le pas à une logique de l’instant » [60] –, peut être envisagé comme un chaos fécond d’où peut sortir de l’inédit, du différent, voire de l’inespéré.

3. Épiphanisation de l’éphémère

Désordre est le lieu d’un détachement de la temporalité linéaire, de la ligne du temps. Ce sont des instants particuliers qui se voient valorisés et investis d’une valeur intrinsèque. C’est à partir d’eux que s’établit une nouvelle temporalité. S’y retrouve ainsi une sorte de présent toujours en acte et l’instant épiphanique en constitue la pierre angulaire. Le site se présente en effet comme un stock d’expériences, de fragments d’existence, à tout moment potentiellement disponibles et activables. Chaque post/projet/image s’inscrit dans un régime de l’actuel, d’une possible réactualisation : tout post, toute image, est potentiellement ressurgissable à tout moment. Dans Désordre, le fugitif, le ponctuel, la fulgurance épiphanique sont conservés, retenus. Alors que Parret affirme que la quotidienneté enchâsse le sublime [61], De Jonckheere le fait ressurgir. Il réveille le « « bref instant d’indicible allégresse » (Greimas), [l’]immobilisation de l’objet-monde, [l’]éblouissement et [le] guizzo-tressaillement » [62]. Chez De Jonckheere, dont l’œuvre répond à l’impératif de Pénone – « que l’éphémère s’éternise » –, le momentané est conservé, maintenu en éclat(s), comme dans l’assemblage photographique extrait de son projet L’Album d’Adèle.

Illustration 15

Doc. 15 – Capture d’écran d’une des pages de L’album d’Adèle.

C’est par l’affect (la joie enfantine en ce qui concerne l’image ci-dessus) que l’instant peut être à nouveau rendu présent, investi, fixé. Comme le soutient Christine Buci-Glucksmann, « [l]’éphémère n’est pas le temps mais sa vibration devenue sensible » [63]. Le rapport à l’instant, son établissement, sa survenance, sont donc liés chez De Jonckheere au surgissement du pathémique. L’instant est toujours affectualisé. L’affect inscrit et instruit l’instant. Dit autrement : « L’instantanéisme [est] marqué par l’affect dans la présence du présent » [64]. Aussi, De Jonckheere investit le quotidien, cette « expérience résiduelle de la vie humaine » [65], à partir de sa modalité affective – qui lui est d’habitude soustraite. Il fait ressortir les résonnances pathémiques du quotidien qui viennent alors le magnifier. Désordre fracture ainsi la couche (couverture) grise et morne qui le tapisse habituellement et qui le rend par là invisible, insipide. En déployant des tonalités affectives et émotives, il fait craquer le vernis lisse et grisâtre dont on le farde couramment. De Jonckheere opère ainsi des trouées dans son « halo brumeux » [66], il le déneutralise, le déatonalise. Désordre dépasse la factualité (qui est, d’une certaine manière, facticité) du quotidien pour faire surgir son affectivité [67]. Est donc abandonnée une logique réaliste/descriptive, au profit d’une logique affective. Avec l’œuvre de De Jonckheere, on va de la perception vers la sensation. En interrogeant la perception, l’œuvre engage vers un retour de la sensation et de ses modulations les plus tenues. C’est pourquoi l’érotisme [68] (du corps féminin) se manifeste fréquemment dans l’œuvre, jetant ainsi un pont vers une phrase de Herman Parret : « Le sein : le toucher-goût, accès privilégie à l’aisthèsis, et le sein du corps féminin comme principe d’où se disséminent les expériences esthétiques. Dé-naturaliser, dé-moraliser le sein, pour en faire la condition de possibilité du sublime du quotidien. Corps lactifiés, corps organisés autour, à partir du sein » [69].

Illustration 16

Doc. 16 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 226.

Illustration 17

Doc. 17 – Capture d’écran d’une page du projet Pola Journal.

Désordre ouvre à une autre manière de regarder et de sentir. Il introduit à une réexpérimentation du monde et du quotidien dans leur sensorialité brute. Il rouvre aux formes, aux sons et aux couleurs, au donné sensible et incarné. De Jonckheere, en jouant avec la plasticité (de l’expérience) du temps et du quotidien, construit ainsi le champ d’une expérience renouvelée de ces deux instances. Il les réarticule. La nouvelle temporalité établie par Désordre est donc pathétique. Le temps y est réagencé, re-produit (et non reproduit), autour d’instants investis affectivement. Par exemple, son projet CONTRE [70], qui est né à la suite d’un texte de François Bon, consiste en la rédaction d’une phrase ou d’un court texte qui va à l’encontre de quelque chose, que ce soit le moustique (novembre#1), les plaisanteries des collègues (novembre#7) ou encore le “petit monde des pensées (perdues)” (novembre#40).

Je me suis dit qu’il fallait que je travaille, que je photographie et que j’écrive contre. Tout du moins je vais essayer. Au moins une fois par jour. Une fois par jour, contre, au moins essayer. Et tenir, tenir le plus longtemps possible, contre.

Le texte est assorti d’une photographie qui laisse place à une deuxième si l’on place le curseur de la souris sur l’image. Un évènement, une pensée, un instant est ainsi épinglé, distingué, comme moment épiphanique. Des instants singuliers deviennent auratiques.

Illustration 18.1Illustration 18.2

 

Doc. 18 – Captures d’écran du 130ème fragment de Contre (série « Novembre »).

Avec Quotidien, De Jonckheere retrace neuf années d’une vie à l’aide de neuf images qui surgissent aléatoirement et qui viennent illustrer sa vie entre 2005 et 2013.

Illustration 19

Doc. 19 – Capture d’écran du projet Quotidien (2005-2013) ; 20 novembre 2016.

La Vie par les deux bouts [71], qui a pour visée de mettre côte à côte deux moments d’une même journée, de rapprocher la première photographie d’une journée avec la dernière photographie de la même journée (et cela pour toute l’année 2011), exemplifie l’épiphanisation d’instants anodins d’une autre manière encore.

Illustration 20

Illustration 21

 

Illustration 22

Doc. 20, 21, 22 – Captures d’écran du projet La vie par les deux bouts.

Par l’investissement du transitoire et du dérisoire, d’instants singuliers, l’œuvre de De Jonckheere rompt avec le temps horizontal du quotidien, qui est celui « de l’enchaînement mécanique des causes et des effets » [72]. Elle emmène ainsi vers ce que Michel Ribon a dénommé « le temps vertical » : un « présent perpétué qui nous offre une présence » [73] ; « un temps de secousse, de rupture, d’éveil » [74], d’irruption ; « un temps de création et de nouveauté ; un temps de métamorphose ou de transfiguration » [75]. De Jonckheere investit ainsi la masse, la pesanteur du quotidien (sa substance épaisse, compacte et mobile) en y faisant surgir des moments d’éclat, d’envol. Désordre est en ce sens une œuvre qui transfigure le quotidien et sa prétendue banalité. L’éphémère y est instant d’inflexion, ressac. Mais ces moments d’arrêt, de stase, ne figent en aucun cas la dynamique de l’œuvre dès lors qu’ils sont inscrits dans un flux [76] : le flux (du) sensible propre à toute vie humaine. Cette logique du flux s’observe entre autres dans son projet Carte postales d’Italie, où De Jonckheere investit le médium de la carte postale, objet de l’image (instant) en mouvement (entre deux êtres).

Illustration 23

Doc. 23 – 38ème page du projet Cartes postales d’Italie ; voir ici.

Illustration 24

Doc. 24 – 42ème page du projet Cartes postales d’Italie ; voir ici.

La poétique du fragment que De Jonckheere développe est intimement liée à sa pratique de la photographie. Les fragments textuels sont marqués par la même immédiateté que les photographies qui les accompagnent : ils s’accordent au régime d’instantanéité propre au cliché. Aussi, sa pratique de la photographie, extrêmement prégnante dans Désordre, informe non seulement sa poétique du fragment, mais aussi l’esthétique de l’éphémère qu’il met en place. Le fragment est lié à l’instant réinvesti ; réinvestissement (personnel) que rend possible la photographie. La poétique du fragment qui associe texte et image, participe donc du rapport épiphanique au temps.

Illustration 25

Doc. 25 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 224.

Aura, éclats, épiphanies. De ces trois termes rattachés aux instants du quotidien tels qu’ils sont valorisés dans Désordre, surgit la notion d’éblouissement, qui permet de mieux encore les caractériser. L’éblouissement, c’est une étincelle sur un fond d’obscurité. L’étincelle, ici, ce serait donc le moment épiphanique, le satori [77] – soit souvenir, soit éclat soudain – qui ressort (au sein) du fond d’obscurité que constitue le quotidien dans la doxa occidentale. L’éblouissement vient condenser des affects autour d’un élément qui joue le rôle de catalyseur : un clair-obscur dans le cas évoqué ci-dessous.

Illustration 26

Doc. 26 – Capture d’écran du Petit journal – fragment 220.

L’éblouissement s’établit également toujours entre fascination et inquiétude. La fascination ressort des instants exposés par De Jonckheere tandis que l’inquiétude est celle que l’on peut rattacher au statut du temps dans l’œuvre, dont l’état étale est intranquillisé. De Jonckheere met donc en lumière des instants du monde – pour reprendre un syntagme merleau-pontien [78] –, des moments de félicité, qui, à leur tour, dans un mouvement de réversibilité, viennent éclairer et enluminer le quotidien. Les scènes d’éblouissements qui modèlent le Désordre ouvrent ainsi à la beauté de l’instant à portée de main en même temps qu’elles invitent à se rendre disponible et attentif aux frémissements du sensible ainsi qu’aux empreintes du sublime qui ponctuent toute expérience du quotidien ; right now, wrong then.

Illustration 27.1Illustration 27.2

Doc. 27 – Captures d’écran du 23ème fragment de Contre (série « Septembre »).

Notes

[1] François Bon, Impatience, Paris, Éditions de Minuit, 1996, p. 67.

[2] Voir notamment son projet 22042003.txt (http ://www.desordre.net/bloc/adam_project/index.htm).

[3] Voir https ://www.desordre.net/bloc/fluctuat/010.htm.

[4] Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, Paris, Allia, 2005, successivement p. 44, 39 et 98.

[5] Ibid., p. 38.

[6] Ibid., p. 19.

[7] Ibid., p. 38.

[8] Herman Parret, Le Sublime du quotidien, Paris/Amsterdam/Philadelphia, Hadès-Benjamins, 1988, p. 18.

[9] Comme le note Michael Sheringham à la toute fin de la conclusion de son ouvrage Traversées du quotidien. Des surréalistes aux postmodernes (PUF, 2013) : « En fin de compte, c’est peut-être essentiellement à l’acte et au processus de l’attention qu’il faudrait associer le quotidien, plus encore qu’à un pouvoir de résistance et de résilience » (p. 484).

[10] Voir http ://www.desordre.net/bloc/pourquoi.html.

[11] Le lien à Perec est explicite chez De Jonckheere, qui reprend notamment le principe de la contrainte pour nombre de ses projets. L’auteur de La Vie mode d’emploi fait partie des quelques écrivains qui constituent ce qui semble être le panthéon littéraire (http ://www.desordre.net/textes/bibliotheque/auteurs/) de De Jonckheere et plusieurs de ses projets se présentent comme des hommages à des textes de Perec. Par exemple,  Je me souviens de Je me souviens de Georges Perec (ici) ou Tentative d’épuisement de Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec (). L’œuvre perecquienne constitue ainsi un intertexte majeur de Désordre.

[12] Voir http ://www.desordre.net/bloc/pourquoi.html.

[13] Voir http ://www.desordre.net/bloc/pourquoi.html.

[14] http ://www.desordre.net/textes/nouvelles/orties.html.

[15] Voir Bruce Bégout, op. cit., p. 213-214.

[16] Ibid., p. 25.

[17] Le quotidien ne cesse donc « de se faire, de se défaire et de se refaire tous les jours dans la multitude éclatée des gestes ordinaires qui tentent d’apprivoiser le réel contingent » (ibid., p. 93).

[18] Ibid., p. 37.

[19]  http ://www.desordre.net/bloc/vie/reprise/index.htm.

[20] Bruce Bégout, op. cit., p. 71.

[21] Voir ibid., p. 37 et 43.

[22] Ibid., p. 42.

[23] Ibid., p. 44.

[24] On pourrait même dire qu’elle creuse l’exotique au sein de l’endotique.

[25] Voir Bruce Bégout, op. cit., p. 565 et 566.

[26] Voir ibid., p. 247.

[27] http ://www.desordre.net/photographie/numerique/adele/index.htm.

[28] Bruce Bégout, op. cit., p. 122.

[29] http ://www.desordre.net/bloc/a_quoi_tu_penses/voyages/index.htm.

[30] http ://www.desordre.net/bloc/a_quoi_tu_penses/voyages/20060331.htm.

[31] Il n’est pas anodin que la photographe fasse partie des « invités » du site.

[32] Michael Sheringham, op. cit., p. 23.

[33] Ibid., p. 159.

[34] http ://www.desordre.net/invites/hanno/index.htm.

[35] Elle a évolué à de nombreuses reprises au cours du temps. Voir ici.

[36] René Audet et Simon Brousseau, « Pour une poétique de la diffraction de l’oeuvre littéraire numérique : l’archive, le texte et l’œuvre à l’estompe », Protée, Vol. 39, no1, printemps 2011, p. 17.

[37] Voir « Le Désordre dans tous ses états ». Ou « Comment j’ai amplement merdé dans la réalisation de ce site » (lien).

[38] Voir http ://www.desordre.net/photographie/numerique/quotidien/titre.htm, nous soulignons.

[39] Voir http ://www.desordre.net/plan.htm.

[40] Bertrand Gervais, La ligne brisée : labyrinthe, oubli et violence, Montréal, Le quartanier, « Erres essais », 2008, p. 16, nous soulignons.

[41] Ibid., p. 35.

[42] Ibid., p. 113.

[43] Voir « Comment j’en suis arrivé à un tel désordre » (lien).

[44] Audet René et Brousseau Simon, op. cit., p. 11.

[45] Le jeu de prédilection de De Jonckheere est d’ailleurs le memory, dont le principe est repris à de nombreuses reprises sur le site. Voir notamment : http ://www.desordre.net/memory/index.html.

[46] Bertrand Gervais, op. cit., p. 33.

[47] Ibid.

[48] Ibid., p. 62.

[49] Ibid., p. 88.

[50] Ibid.

[51] Bruce Bégout, op. cit., p. 67.

[52] Bertrand Gervais, op. cit., p. 64.

[53] Ibid., p. 61.

[54] Ibid., p. 62.

[55] Guy Bennett, « Ce livre qui n’en est pas un : le texte littéraire électronique », dans Littérature, n°160, 2010/4, p. 39.

[56] Bruce Bégout, op. cit., p. 242.

[57] Bertrand Gervais, op. cit., p. 60.

[58] Ibid., p. 57 et 58.

[59] Sébastien Biset et Myriam Watthee-Delmotte, « Représenter in situ : Ernest Pignon-Ernest à l’interface de la mémoire et de l’oubli », dans Représenter à l’époque contemporaine. Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques, Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.), Bruxelles, FUSL, 2010, p. 261.

[60] Bertrand Gervais, op. cit., p. 58.

[61] Voir Herman Parret, op. cit., p. 20.

[62] Ibid.

[63] Christine Buci-Glucksmann, Esthétique de l’éphémère, Paris, Galilée, 2003, p. 26.

[64] Herman Parret, op. cit., p. 166.

[65] Bruce Bégout, op. cit., p. 219.

[66] Ibid., p. 173.

[67] Ce n’est pas tant la représentation qui importe mais bien plutôt de rendre présent, de rendre présent l’expérience de l’éphémère. On ne doit donc pas parler de « littérature factuelle » (Genette) en ce qui la concerne et, en cela, le travail de De Jonckheere se distingue de celui de Perec.

[68] Voir aussi par exemple son projet « Anne ».

[69] Herman Parret, op. cit., p. 209.

[70] http ://www.desordre.net/bloc/contre/

[71] http ://www.desordre.net/photographie/numerique/bouts/index.htm.

[72] Michel Ribon, À la recherche du temps vertical dans l’art. Essai d’esthétique, Paris, Kimé, 2002, p. 12.

[73] Ibid.

[74] Ibid., p. 13.

[75] Ibid., p. 279.

[76] Pour un bon nombre de ses projets (dont La Vie par les deux bouts, Amorces ou encore Carroussel), le défilement des pages est programmé (suivant un algorithme établi par De Jonckheere). Le lecteur est dès lors de facto entraîné dans un flux.

[77] Instant épiphanique, moment d’éveil dans le bouddhisme zen.

[78] Voir Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit, Paris, Gallimard, 1964, « Folio », p. 23.

Auteur

Corentin Lahouste est chercheur à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique), au sein du Centre de recherche sur l’imaginaire (CRI) qui est rattaché à l’Institut des Civilisations, Arts et Lettres (INCAL)Il prépare, sous la co-direction de la professeure Myriam Watthee-Delmotte (UCL) et du professeur Bertrand Gervais (UQÀM, Montréal), une thèse de doctorat consacrée aux figures, formes et postures de l’anarchie dans la littérature contemporaine en langue française. Sa recherche porte plus spécifiquement sur les œuvres de Marcel Moreau, de Yannick Haenel et de Philippe De Jonckheere (hypermédia). Commencée dans le contexte du Pôle d’Attraction Interuniversitaire « Literature and Media Innovation », elle se poursuit actuellement dans le cadre d’un mandat d’aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique belge (FNRS). Un premier article lié à son travail de thèse a été publié dans la revue Mémoires du livre/Studies in Book Culture. Ce dernier est consacré à la poétique du graffiti dans le roman Les Renards pâles de Yannick Haenel.

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