Tiers Livre : « le théâtre c’est dedans »


Scène de voix diffusées, de commencements toujours repris, de corps dont l’absence même témoigne d’une présence plus urgente, monologues successifs qui cherchent les intersections entre soi et le dehors, là où le dedans vibre de tout ce qui s’y affronte, site en tant qu’espace parcouru par le temps de le dire : tout cela fait de Tiers Livre un théâtre, non pas réel ou métaphorique, mais en puissance. C’est l’hypothèse, ou, pour mieux dire, le rêve de ce propos.



Texte intégral

Donc Tiers Livre est un théâtre,

le contraire d’un théâtre, évidemment, et c’est en cela peut-être que, plus sûrement, il l’est, radicalement : qu’il rejoint intérieurement le rêve et le désir et la possibilité d’un théâtre total, d’un théâtre qui se passerait d’en être un, enfin, qui pourtant incessamment lèverait cela, la présence réelle du théâtre, son rêve, son désir, sa possibilité :

théâtre de nos villes : toujours situés en bordure de nos villes, ces théâtres aujourd’hui, et pour y aller, ce n’est pas rien : ce n’est jamais rien, non, et c’est d’avoir traversé le dehors qu’on le rejoint, le froid souvent, et l’attente, le temps vide entre la vie et ; et on ne sait pas — vite, ensuite, ça commence ;

déjà on sait que c’est manqué, le théâtre dans nos villes : l’interruption de la vie qui fait semblant de ne rien interrompre ; les corps bien sûr sont là qui disent les mots, prennent la parole mais on ne sait pas à qui, à quoi, et nous dans le silence et le noir (pourquoi ?), on garde le silence et le noir, mais on ne nous a rien donné, on le garde quand même,

et sur ce quand même on pourrait en faire une vie, parce qu’il faudra bien le rendre, on n’en veut pas cependant, tout ce silence et ce noir, les théâtres vraiment dans nos villes, c’est incompréhensible et c’est ; en sortant toujours, cette impression que non, rien n’a eu lieu (à peine le lieu), et on pourrait bien cracher par terre en disant plus jamais,

plus jamais et pourtant, le vendredi soir prochain, on sera assis dans un autre théâtre, en se disant : ça commence encore, la présence réelle des corps levés devant nous pour dire les mots, et l’impossibilité de les toucher, juste là et pourtant si loin, insituable, le surgissement du proche inapprochable, comme un miracle.

le théâtre ou la levée des corps, et des voix qui n’appartiennent à personne, sur laquelle la ville soudain branchée, liée à elle comme des feuilles sur le point de tomber, le théâtre comme ce qui circonscrit un espace ouvert, un espace qui tiendrait d’un dedans — cavité, crâne, tombeau, berceau  —, et d’un dehors manifeste — puissance qui engouffre, et rien au-delà —, le théâtre comme cela, et comme ce qui ne saurait jamais l’être, le contraire de la vie (et le détester tant pour cela), et le seul lieu où l’on pourrait dire qu’ici se dit le contraire de la vie [1] (et l’aimer tant pour cela, oui, et y revenir, le vendredi soir prochain) : mais comment faire ? Et où approcher l’insituable de nos corps, du monde, et de l’autre ? Dans quel site pourrait se désigner l’insituable de nos expériences ?

sur l’écran est un cadre, le plateau, une fenêtre ; mille plutôt, mille qui s’entrecroisent, se chevauchent et se répondent, des voix mille et davantage, et l’écran, comme on s’y perd, des récits plus de mille et un, le carré dans lequel s’engouffre tout, le bruit du monde et soi-même, l’endroit de la bibliothèque et là où nous parvient la brutalité du réel, celui qui est l’actualité brute du temps, et sa part la plus secrète, le mystère qu’on confie à ces endroits publics,

oui, l’écran comme une table d’écriture, de lecture, du mouvement qui organise les flux de l’écriture à la lecture pour les confondre, l’écran est là où ça surgit, mais quoi, on ne sait pas c’est pour quoi on laisse surgir, et on appelle ça surgir,

l’écran, un grand plateau de théâtre où viennent des corps sans qu’ils aient besoin de corps vraiment, et des voix, et des morceaux épars de ciel et de ville, et comme on raconterait à un sourd le bruit, mais comment il l’entendrait, le sourd, tout ce bruit, en lui : voilà, c’est un théâtre, là vient se déposer ce geste ; à la fois : un enfouissement et un arbre, c’est l’écran, et

partout autour de l’écran, et auprès de nous, que l’on veille, c’est le silence, et le noir plus grand encore, que l’on porte : qui est l’accueil, mais intempestif ; le privilège de l’écran est là, quand le livre a encore besoin de lumière artificielle pour exister, non l’écran produit sa propre lumière parce que la fenêtre est sa propre lumière, et on ne se rend même pas compte que la lumière que l’écran diffuse n’est pas un éclat, seulement sa manière à lui de surgir pour être visible : un corps plongé dans un corps accroît son propre volume, on ne sait plus de quel corps on parle ; un corps est visible dès lors qu’il intercepte de la lumière : le site est à la fois de la lumière visible et ce qui le rend visible ; en arrière de la lumière, des signes, comme des mains négatives sur la paroi des roches noires, lointaines et sacrés, en fait des morceaux de réalités qui font écran à la lumière, on se penche ce sont des lettres, et mentalement soudain des mots, des voix qui sortent sans besoin de corps, qui passent,

le rideau déchiré était le plateau lui-même, on est enveloppé du silence et du noir parce que soudain, et on ne le savait pas, c’était la condition de ce théâtre, du site insituable enfin qu’est l’écran, un théâtre, vraiment, de pied en cape ;

d’un côté, la vie, de l’autre, nous-même, et pour que cela ait lieu (la présence), il faut bien qu’il y ait un tiers, quelque chose qui serait en dehors de soi où, non pas se voir, ou se lire, mais qui du dehors peuplerait tout un dedans, une sauvagerie de mots, et la tendresse de les déposer là ; un mur transparent, second, troisième, quatrième, de l’autre côté duquel on se tiendrait, et on dirait : c’est là : le tiers, ce ne sera pas un livre, évidemment, cet objet clos qui est déjà tout constitué de mots avant qu’on l’ouvre, comme fait pour du passé, l’avoir lieu du temps, non, c’est fini, le temps passé est une idée ancienne, le tiers, c’est aussi le tiers du livre, c’est le tiers d’un temps entre le passé et ce qui est sur le point de, quelque chose comme de la présence confondu avec son imminence et un désir : en chaque instant c’est là qu’on est, qu’on pourrait être, l’écran tendu pour qu’on le traverse, mais on ne franchira pas, et devant quoi l’on se tient : ceci à cause de quoi un jour de grand désœuvrement, on a commis le théâtre, la présence, soudain là sur l’écran, qui passe —

que la parole n’est pas l’attribut de l’homme, mais la preuve, on le sait : sur l’écran, donc, ce qui passe ne prouve rien que cela : le passage du temps, et sur la même surface de temps que soi, les textes qui s’écrivent écrivent aussi le temps, ce n’est pas un journal du temps, mais bien le levée des voix : oui, leur présence réelle ;

sur l’écran, c’est écrit (dans les archives, sans que je comprenne vraiment ce qu’est une archive dans Tiers Livre, puisque je le découvre en ma présence, hier soir, hôtel des Arts de Montpellier, dix-neuf heure neuf, je lis ce texte écrit je ne sais pas quand, dans le passé sans doute, un passé contemporain de ma lecture d’hier soir, les phrases anciennes mais qui disent maintenant pour nommer) maintenant, ce miracle :

Axiome, un : que le théâtre lui-même soit toujours présent dans ce qu’on avance. Que chaque phrase dite ait sens dans le miroir du théâtre se disant lui-même [2].

car miracle de cette phrase qui accomplit son propre miracle, le programme de sa présence, qu’elle exécute dans l’instant, son arrêt de mort, force vitale quand elle ajoute, via Fellini :

« Il suffirait de se poster à un coin de rue et regarder ». Lui rêve de ça, d’une pièce qui le mettrait en position d’assister au spectacle du monde et de le refaire [3].

théâtre, donc : coin de rue à l’angle duquel tourner (et quand même oser, même s’il pleut), si le site est ce théâtre, alors selon l’axiome deux :

le dehors est contenu dans la phrase, mais suggéré par l’écart de la phrase avec le dehors qu’elle nomme, quand le roman le contient pour s’y appuyer. Ici le dehors est l’ouverture noire du plateau sur rien, mais un rien qui réfère tout, le rien évidemment peuplé [4].

théâtre, oui : « séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain [5]» Un site comme ce théâtre même, non pas le théâtre de nos villes, mais son rêve, c’est-à-dire théâtre conçu comme un labyrinthe,

un espèce d’espaces où chaque texte est une nouvelle anti-chambre qui trompe le chercheur et repousse le lieu où se situe l’insituable du tombeau (il n’y a pas de salle de tombeau dans un site, pas même de tas de cendre qui dirait : « c’est fini », « c’est là qu’est le terme ») — un site multipliant les portes, un théâtre avec des scènes juxtaposées dans chaque acte, et le vieil art de Racine qui nous a appris que chaque scène rejoue en totalité l’ensemble de la pièce en monade : ici chaque texte est l’ensemble du site lui-même, et en chacun de ses points : toile ; toile qu’en agitant une des extrémités, je fais vibrer dans son ensemble, et parcours [6] : parcours en ligne d’erre.

théâtre du Tiers Livre, sa radicalité, l’épars d’un corps désorganisé à mesure qu’il se donne naissance, texte à texte, c’est-à-dire un jour après l’autre : la réplique de l’un qu’on endosse, et la réplique d’un autre que soi, le lendemain :

Axiome, quatre : […] que chaque réplique vaut comme totalité, et non pas comme lien rhétorique à ce à quoi elle répond, ou ce vers quoi elle ouvre. Et combien ici chutent [7].

théâtre : non pas lieu coupé où se raconter des histoires pour de faux, tromper l’attente, l’ennui, le froid, mais au contraire, théâtre là où seul peut-être l’invention de la présence prouve la présence, là où le monde s’engouffre et se trouve nommé, visible : dignité du geste, de la parole —

tant de routes, tant d’enjeux / Tant d’impasses, je me trouve au bord de l’abîme / Parfois je me demande ce qu’il faudra / Pour trouver la dignité [8]

dignité comme quête, comme chemin, dignité de la langue, cette anfractuosité de langue où vient surgir Tiers Livre comme arme de reconquête, tel qu’il se lève, tel qu’il avance au-devant de lui-même dans le noir et le silence des villes quand elle reflux le soir : reconquérir des territoires de fiction, reprendre possession des lieux (intérieurs, politiques, symboliques) que le pouvoir, ou la vie dans son organisation policière, nous a pris ;

Tiers Livre est l’autre nom du théâtre à cause de cela : qu’il est cette reconquête de nos territoires de fiction ;

vieux rêves du théâtre, « qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli [9] » : le lieu, c’est le site et le dehors tout entier là ; le jour, c’est aussi une part de la nuit, toujours le temps où je viens ouvrir l’écran pour m’y rendre, c’est le nuit qu’on vient lire, n’importe quel jour, tant qu’il demeure au présent [10] ; le fait accompli est la propre expérience du réel, sa traversée qui met sur le même plan les lectures et les rêves qui naissent d’elles, et les images de la ville, les terreurs, les libres pensées lâchées sur le monde pour mieux l’inventer, s’y affronter — et jusqu’à la fin, on ne sait pas, on rêve de temps à temps à cette fin qu’on a mis en arrière de soi, que le temps ne viendra jamais arrêter, maintenant qu’on est vivant, présent à cette vie de nouveau donnée : alors le théâtre rempli, on comprend que c’est nous-même, plein de ces rêves,

un rêve de théâtre, si le théâtre est le rêve qu’on en fait, qu’il est l’espace du déploiement, le lieu d’un long dépli : corps via l’absence de corps, et voix, possible par cette absence même, silencieuse, écrite :

lente cérémonie du temps propre à celui qu’on s’accorde pour lire (et auquel on s’accorde), des lumières sur l’écran, des présences désirées qui s’échappent ;

lieux fantastiques, là où celui qui parle, dedans Tiers Livre, déplie en lui les colères — « je parle dans la colère [11] », axiome zéro, non-écrit, implicite préalable à la prise de parole, tandis qu’on nomme lyrisme cet espace où vient naître la parole du « Tiers Livre » : colère comme force vitale, joyeuse, terrible, inquiète, croisement politique et éthique :

oui, le lyrisme comme espace où naît la colère, espace intérieur qui devient site — lieux fantastiques et intimes qu’ouvre « Tiers Livre » à chacune de ses pages et qu’on vient intercepter : théâtre du regard :

car au théâtre, j’aime (mais j’ai compris peu à peu que je ne peux pas faire autrement, que c’est un compromis que j’ai négocié avec le théâtre lui-même) me placer sur le côté, au bord, dernier fauteuil auprès de l’allée, pour intercepter la technique de l’acteur, ne pas la voir frontalement (d’où vient cette peur d’être dévisagé ?) ; ici, sur l’écran, c’est un même dispositif immédiatement qu’on endosse : celui qui dit je à la surface de l’écran vient intercepter les expériences du monde, et à même échelle, la vie, les essais libres de la pensée, les colères, les notes brèves arrachées au monde et à la volée les images que le réel pose sur lui qu’ensuite le site arrache pour les déplacer, nous les rendre de nouveau visibles, interception première qu’on intercepte à notre tour, de biais toujours :

le théâtre, un lointain insituable que seul le site peut désigner, comme présence et comme ailleurs

(phrase de Michaux sur le théâtre, ou sur le web :

Au théâtre s’accuse leur goût pour le lointain. La salle est longue, la scène profonde. / Les images, les formes des personnages y apparaissent, grâce à un jeu de glaces (les acteurs jouent dans une autre salle), y apparaissent plus réels que s’ils étaient présents, plus concentrés, épurés, définitifs, défaits de ce halo que donne toujours la présence réelle face à face. / Des paroles, venues du plafond, sont prononcées en leur nom. / L’impression de fatalité, sans l’ombre de pathos, est extraordinaire [12].

alors les violences du réel ainsi prises, découpées, nous sont rendues en propre et jamais dès lors le site est sa propre clôture : joie de ce théâtre qu’il appelle — joie en cela que sans cesse il cherche à sortir du théâtre : puissance du Tiers Livre quand on se retrouve dehors à sortir l’appareil photo pour saisir un type avec une violoncelle dans le dos, et parfois on ne l’enverra même pas, cette photo, à celui à qui pourtant on la destine, on la gardera pour soi parce qu’elle est trop floue, elle est toujours floue, cette image qu’on destine à celui qui l’a produite secrètement en nous, ou sur twitter on la déposera comme un salut, discret, à la cantonade, le monde qu’on aura ainsi partagé, parce que soudain il est de nouveau le nôtre, qu’il a été nommé, qu’il a pu faire de nouveau l’objet d’une conquête : site comme dépôt de ces récits qui forment le théâtre levé : un type flou avec son violoncelle dans le dos [13], ou les carrés de cimetières [14] qu’on longe en train [15], les caddies de supermarché abandonnés la nuit [16], ces rectangles d’immeubles [17], les grandes dalles dans les abords des villes [18], les mots obscènes qu’on nous inflige en immense sur les panneaux publicitaires [19], les novlangues du pouvoir [20], les regards des morts [21], les retards des trains à cause des sangliers follement libres [22], les chambres d’hôtels dans les villes de passage [23], les objets qui sont notre mémoire [24], et la mémoire comme appartenance au monde que l’on choisit, et les mots des autres, aussi, surtout, en partage [25], parce que le présent se donne, que c’est en cela qu’il est profondément présent, don absolu d’une langue rompue en deux pour que l’autre y vienne mordre, le site dans l’accueil de tout cela, cette pâture de villes et de ciel, comme au jusant des marées, laissés, ces corps de villes éventrées que l’écriture vient recueillir, en détourner l’usage, quelque chose comme matière vivante du monde, là, levé, en présence —

Marcher dans un décor, salle vide : les fantômes de voix s’accumulent, linéaments dans l’air, comme des reliefs matériels de parole. Quand je me déplace dans l’ossature ouverte du décor, je les sens me frôler au visage, je les sens réellement, je n’ai qu’à mettre la voix sur eux. Alors écrire devenant possible, par le relief et puis ce vide, mais un vide acoustique. Je suis redevable au théâtre de cette magie minimum, plateau devant salle vide, et c’est par ce lien et cette dette que j’accepte la responsabilité de parole [26].

le site comme ossature et vide premier, que chaque page accroit et remplace, le frôlement de visage, je pense à cette jeune Noire qui tout en haut du World Trade Center, tous les onze septembre de chaque année, tombe [27], avec en arrière, le visage de Michel Piccoli, pourquoi ces superpositions de sens deviennent le sceau du temps : théâtre cela aussi :

Ce qu’au-dedans on hurle, et ce qui est tellement trop lourd ou fort pour qu’on le hurle. Et qu’ici on aurait choisi. Comme plutôt ramper, se cacher, venir par les côtés, et que ce qu’on recevrait de paroles on n’aurait de cesse d’à nouveau s’en départir.

Étrangeté du théâtre : ne pas pouvoir s’immobiliser, avoir envie de marcher, chercher sur le plateau les points d’appui, où résister au vide, et par quoi la parole peut prendre énergie de sourdre. Beckett a introduit qu’on reste fixe : se soumettre assez l’énergie pour la canaliser depuis ce point fixe. Il me suffit de penser cela pour être effrayé [28].

car le théâtre arpenté est son propre désir : la seule géométrie possible du site est une circulation : le site comme les cartes de Gracq [29], devant quoi on rêve longtemps parce que c’est du temps et de l’espace à la fois [30], c’est le lieu et la formule d’un roman qui aurait trouvé en lui son épuisement et son recommencement ailleurs, car le théâtre, c’est aller,

et dans le site, cet en-allée horizontale d’un jour à l’autre pour déjouer la fosse à bitume du web : la souveraine en-allée qui disperse, l’archive quand elle remonte et qui devient l’actualité même du présent.

Le théâtre, c’est dedans, tu avais dit. Un jardin sauvage, tu avais continué… C’est la ville qui en toi crée géométrie intérieure, et la condition pour que dans cette géométrie tu disposes non pas les mots, mais probablement toi-même et toi au dedans, mais probablement la pensée même, et ton désir de ces musiques obsessives, récurrentes, qui sont musiques des seules brillances dans la nuit. Il suffit, très loin dans la ville, la géométrie grise d’une vitre encore éclairée, il suffit du mystère gris de ce qui t’en sépare, il suffit – à un rouge frotté – de l’impression évidemment fausse que la ville te regarde et t’attend [31].

donc, Tiers Livre est ce théâtre, théâtre du dedans qui en retour rend le dehors désirable et possible, un dehors qui n’attendra pas longtemps pour qu’on vienne s’y affronter : le site est une planche d’appel —

alors, et enfin, le site comme théâtre de rues, qu’on vient approcher à main nues et « Quand une ville résulte d’une idée architecturale globale, chaque rue est dessinée pour un usage, mais l’usage réinvente ses coutumes, ses traverses [32]. » — là où il a lieu, Tiers Livre, c’est au point d’usage qui vient où la ville est abandonnée à elle-même, c’est-à-dire à celui qui vient le recueillir pour l’écrire, et le donne à celui qui le lit, passage des rues abandonnés du Pays de France jusqu’au Saint-Laurent, la rue large du fleuve si large qu’on ne voit pas l’autre rive, circule  et fait circuler les énergies qui voudrait s’en réapproprier les forces : « On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie, rêvait tendrement Artaud. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelques temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie [33]. » Il ajoutait, ailleurs : « La vie est de brûler des questions [34] » — dans tout ce feu, reste encore la brûlure ;

au moment où le théâtre cesse commence le dehors, au moment où l’interruption du théâtre s’interrompt s’ouvre ce qu’au dehors le monde nous refusait et qui devient possible : c’est ce moment qu’élabore infiniment Tiers Livre : de la présence, radicale, celle qui désigne les territoires qu’en partage on reconnaît nôtres, et qu’ainsi nommé, on va rejoindre,

Notes

[1] De Bernard-Marie Koltès, la dette inestimable en partage.

[2] François Bon, « Théâtre » ; texte d’abord paru dans le nº 61 de la revue Alternatives théâtrales, Bruxelles. Repris dans Tiers Livre ici.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Samuel Beckett, Le Dépeupleur, Paris, Minuit, 1970, p.   7 (premiers mots du texte).

[6] Voir ce que dit Gilles Deleuze dans les dernières lignes de son ouvrage sur Marcel Proust, Proust et les signes, Paris, PUF,  « Quadrige », 1970.

[7] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[8] Bob Dylan, Dignity, chanson enregistrée pour la réalisation de l’album Oh Mercy, en 1989 — non retenu dans la version finale de l’album, elle ne parut que dans la compilation Bob Dylan’s Greatest Hits Volume 3 en 1994. « So many roads, so much at stake / So many dead ends, I’m at the edge of the lake / Sometimes I wonder what it’s gonna take / To find dignity » (Traduction personnelle).

[9] Nicolas Boileau, Art poétique, 1674 (Chant III,  vers 45-46).

[10] « Né le plus souvent avec la tragédie même (qui est une journée), le Soleil devient meurtrier en même temps qu’elle : incendie, éblouissement, blessure oculaire, c’est l’éclat (des Rois, des Empereurs). Sans doute si le soleil parvient à s’égaliser, à se tempérer, à se retenir, en quelque sorte, il peut retrouver une tenue paradoxale, la splendeur. Mais la splendeur n’est pas une qualité propre à la lumière, c’est un état de la matière : il y a une splendeur de la nuit. » (Roland Barthes, Sur Racine, “L’Homme racinien”, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1979, p. 25.

[11] « Elle dit : Et c’est se dresser face à l’ordre du monde, se tendre la main, un instant s’ériger contre l’ordre et le remplacer par un autre, éphémère et provisoire, né de l’excès même où collectivement on s’est mis et qui ne lui survivra pas. Elle répète : Impatience. Je parle dans la colère. » (François Bon, Impatience, Minuit, 2004, repris dans Tiers Livre ici.

[12] Henri Michaux, Ailleurs, « Voyage en Grande Garabagne », Paris, Gallimard, « Poésie/NRF », p.  19.

[13] « violoncelle rouge à jambes », en ligne ici (sauf indication contraire, les pages citées ici sont issus du site de François Bon, Tiers Livre ; on se borne à indiquer le titre dans lequel on peut les lire, ce 29 septembre 2014).

[14] « [31] un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés », en ligne ici.

[15] « tombes », en ligne ici, ou « Paysage Fer | passer du livre au film »,  (et échos au Désordre : « commandes, livraisons, alignement… », ).

[16] « La ville, quand elle ne se regarde pas elle-même », en ligne ici (et la série des publicités sur caddies de supermarché : « caca dans l’eau », ou « mangez du chat »).

[17] « zone urbaine | Microsoft est (aussi) un immeuble », en ligne ici.

[18] « roman-photo | les ascenseurs aussi sont une fiction », en ligne ici.

[19] « l’homme en pub », en ligne ici.

[20]  « lots pour nos Enfants », en ligne ici.

[21] « Rimbaud regard bouche », en ligne ici.

[22] « zone urbaine | vidéo du train qui pleure », en ligne ici,  ou « à celle dont je ne saurai rien »,  .

[23] « nature morte hôtel Cergy », en ligne ici, ou « Roubaix, chambre d’hôtel offerte », .

[24] « Autobiographie des objets | compléments, extensions (41) », en ligne ici.

[25] Le sommaire des « Vases communicants » en ligne ici.

[26] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[27] « cette jeune Noire tout en haut du World Trade Center », en ligne ici.

[28] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[29] « de Gracq considéré comme un site web », en ligne ici et dans ce dossier.

[30]  « voyage de Savenay à Brevenay », en ligne ici.

[31] « théâtre dedans » (texte paru d’abord sur le site Ana2B à l’occasion des vases communicants, en septembre 2011).

[32] « Cergy, la ville | rue abandonnée du pays de France », en ligne ici (texte issu du projet numérique CergyLand, autre espace sur le net de François Bon depuis septembre 2013, autour de son travail à l’école d’Art de Cergy).

[33] Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, in Œuvres, IV, Paris, Gallimard, p. 14.

[34] Antonin Artaud, « Correspondance avec Jacques Rivière », dans LOmbilic des Limbes et autres textes, Paris, Gallimard, « Poésie », 2003 [1968], p. 51.

Auteur

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille. Maître de Conférences à l’université Aix-Marseille, il enseigne la théorie et la pratique du théâtre. Il est l’auteur de récit (« Où que je sois encore…, Seuil, 2008 ; La Mancha, La Nuit Mytride, 2009) et de fictions numériques (Anticipations, 2011 ; Affrontements, 2012) aux éditions publie.net. Dramaturge de la compagnie La Controverse, il écrit également pour le théâtre (Les Tombeaux sont appelés des solitudes, 2013 ; Les Filles perdues, 2014). Il prépare actuellement une biographie de Bernard-Marie Koltès. Depuis 2006, il tient ses Carnets d’écriture en ligne : www.arnaudmaisetti.net.

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« Dans la mer immense des ondes » : espace de l’interlocution et éléments sonores dans le théâtre de François Billetdoux

L’article porte sur les rapports entre le théâtre de François Billetdoux et le monde du son et de la radio. Trois problèmes fondamentaux s’y trouvent abordés : 1 : les voix intérieures et métaphysiques (appels) qui se font entendre dans l’univers des pièces examinées ; 2 : les dispositifs interlocutoires dans lesquels les personnages parlent comme s’ils étaient des stations émettrices (communication asymétrique) ; 3 : les effets constituant le paysage sonore des pièces étudiées et les éléments liés à la technique radiophonique. L’article propose également une grille d’analyse des formes monologales du discours, typiques de l’œuvre de Billetdoux.

The article concerns the relationship between the theatrical works of François Billetdoux and the world of sound and the radio. It addresses three main issues: 1: voices of inner and metaphysical nature which can be heard in the studied works; 2: speech situations where characters speak as though they were the radio broadcasting stations (asymmetrical communication); 3: effects that make up the “soundscape” of the works and items related to the radio technology. The article also proposes a useful criteria grid for analyzing the monologue forms of discourse characteristic of the dramaturgy of François Billetdoux.

 


Texte intégral

1. Remarques préalables

« Aussi un texte de théâtre ne s’écrit-il pas seulement pour l’œil et l’imaginaire d’un lecteur. Il doit pouvoir être dit, en passant par la voix qui ne se limite pas à la bouche. Il doit pouvoir être entendu, en passant par l’ouïe qui ne se limite pas à l’oreille. » C’est François Billetdoux qui s’exprime ainsi dans la préface de Réveille-toi, Philadelphie ! en août 1988 [1], en nous donnant une certaine indication ‒ sinon l’indication essentielle ‒ pour comprendre avec quelle largeur de vue il considère les problèmes du son et de la voix dans une œuvre théâtrale. Cette conception très profonde, quasi métaphysique, de la perception sensorielle n’étonne point chez cet auteur qui, dès ses premiers textes, n’a eu de cesse d’explorer les possibilités et les limites de la théâtralité.

Les qualités d’expérimentateur qui caractérisent Billetdoux sont d’ailleurs toujours mises en avant par tous ceux qui s’intéressaient à son œuvre. Pierre Marcabru appelle Billetdoux un « expérimentateur-né [2] ». Geneviève Latour le présente comme un « homme d’innovations [3] ». « De la scène, de l’écran, du micro, il connaît toutes les techniques dont il se sert avec bonheur au service de son théâtre [4] », écrit-elle, pour conclure : « Plus le temps passe et plus il se consacre au travail de laboratoire [5] ». Bertrand Poirot-Delpech affirme que Billetdoux a opéré des « progrès irreversibles dans l’approche des personnages et la technique dramatique [6] ». Mathilde La Bardonnie, pour finir, voit en Billetdoux un « expérimentateur radiophonique [7] ». En effet, très sensible au potentiel artistique des différents codes sémiotiques, Billetdoux ne pouvait pas passer à côté de cet ingrédient fondamental de la mise en scène qu’est la phonosphère du spectacle. Dans le corpus théâtral de l’auteur, celle-ci s’avère d’une richesse exceptionnelle, et mériterait un examen approfondi et ordonné. La tâche dépassant, bien entendu, les limites d’un article, je vais me concentrer [8] sur les trois principales catégories de phénomènes à travers lesquelles on perçoit le singulier travail du son dans le théâtre de Billetdoux, ainsi que certains éléments radiophoniques et qualités radiogéniques de ses pièces, à savoir les appels, les effets sonores [9] et la communication asymétrique.

2. «Dans la mer immense des ondes »

Avant d’effectuer le relevé des éléments sonores et « radioactifs » chez Billetdoux, ouvrons une brève parenthèse et relisons une de ses dernières chansons. Jamais ne sont là ceux qu’on aime, chantée en finale de la dernière pièce de Billetdoux Appel de personne à personne, reflète, en miniature, tout ce dont il sera question ci-après. Texte très révélateur en ce qui concerne les grands thèmes de la dramaturgie billetdulcienne, il a aussi fourni, comme on le verra, la citation-phare qui figure dans le titre du présent article.

Jamais ne sont là ceux qu’on aime

quand on pleure entre quatre murs.

Ceux qu’on aime s’en vont si vite

sans qu’on sache après quoi ils courent.

Mais aujourd’hui, si je m’égare

dans la montagne ou dans les rues

il suffit que j’ose un murmure

pour qu’un inconnu me retrouve

Ref.

Je ne serai plus seule au monde.

Quelqu’un me parle dans le vent.

Je peux m’en aller n’importe où.

Le vent, le vent me suit partout.

Je ne connais pas son visage.

Je ne connais pas son pays.

Pourquoi risquer d’être déçue ?

Je ne connais que sa voix chaude.

Il me dit : nous sommes tout deux

sur une même longueur d’ondes.

Je lui dis : je ne vous crois pas.

Mais quel bonheur qu’il me réponde.

[Ref.]

Il me suit jusque dans ma chambre.

Je n’ai plus peur quand je m’endors.

Il me dit de faire attention

partout à la moindre des choses.

Nous ne parlons plus que d’amour,

du moins de ce qui lui ressemble.

Je ne dirai pas ce que c’est

mais tout est beau et tout m’enchante,

[Ref.]

La nuit le jour n’importe l’heure

j’entends qu’on me parle d’ailleurs.

Alors je quitte mon journal.

Je n’ai plus peur du temps qui passe.

Il m’a dénichée dans le ciel

par la trace d’une colombe.

Pourvu qu’il ne me perde pas

Dans la mer immense des ondes.

Je ne serai plus seule au monde.

Quelqu’un me parle dans le vent.

Je m’en vais trouver ma voilure.

Alors bon vent bon vent bon vent [10] !

Tout est là, donc, en filigrane : un personnage dédoublé qui monologue, un appel mystérieux qui transite par les ondes ; un émetteur que l’on n’entend pas et que l’on entend quand même d’une certaine manière ; un récepteur-décodeur qui croit entendre une voix, mais ne sait pas qui c’est, une situation initiale de solitude qui finit par être surmontée en quelque sorte. Il y a aussi et surtout l’éther, cet espace de diffusion de la voix où les ondes se propagent, électromagnétiques, télépathiques, métaphysiques. Voici les éléments-clés qu’il était important de présenter succinctement au début du parcours, pour opérer une certaine mise en perspective.

La parenthèse fermée, passons en revue tout ce qui, chez Billetdoux, a trait au son, à la radio, aux effets acoustiques.

3. Appel(s)

La première notion qu’il faut absolument mettre en relief quand on parle des structures sonores dans le théâtre de Billetdoux est celle d’appel ou des appels, puisqu’il s’agit là de toute une famille de phénomènes. Tantôt matériels (purement acoustiques), tantôt psychologiques ou métaphysiques, les appels se retrouvent dans presque toutes les pièces de Billetdoux, même dans certains textes appartenant à la veine néoboulevardière que j’exclus ici de mon propos. Tous ces nombreux appels qui retentissent dans les pièces de Billetdoux peuvent se regrouper en quelques catégories générales :

  1. des appels qui font revenir le protagoniste à un endroit auquel il était attaché à une époque donnée, et qu’il avait ensuite quitté pour des raisons plus ou moins obscures (on les ignore pour la plupart du temps). Ce genre d’appel a lieu dans six pièces : Bien amicalement, Comment va le monde ?, Silence, l’arbre remue encore, Rintru pa trou tar hin ! et La Nostalgie, camarade.
  2. des appels lancés par des personnages solitaires qui ont rencontré quelqu’un sans lui parler, qui croient avoir rendez-vous avec un inconnu, ou qui s’adressent à une personne absente de leur univers. Ceci est le cas ans Femmes Parallèles, Ne m’attendez pas ce soir, Ai-je dit que je suis bossu ? et Appel de personne à personne.
  3. des appels prenant la forme de souvenirs lointains soudainement ranimés, ou de souvenirs transformés en appels pressants, quasi vocaux ; c’est ce que l’on voit se produire dans Il faut passer par les nuages et dans À la nuit la nuit dans une moindre proportion.
  4. une catégorie open où se regroupent des appels d’autres types : les invocations de Has been bird, les ululements du loup dans Réveille-toi, Philadelphie ! ou encore les recherches-enquêtes où le protagoniste poursuit un objectif qui devient une vocation, comme par exemple Mathieu dans Pitchi Poi.

 Que veut dire tout cela ? Cela veut dire tout d’abord que les structures profondes du théâtre de Billetdoux ont souvent un caractère sonore ou para-sonore, dans la mesure où il s’agit là assez souvent d’une entente télépathique, métaphysique entre les personnages qui captent des messages immatériaux purement intentionnels. Ensuite apparaît le problème technique du rendu scénique de toutes ces instances (ré)clamantes. En fait, qu’il s’agisse d’une voix perçue intérieurement par un personnage ou d’une voix qu’il entend réellement, le spectateur, lui, va devoir en être informé par un stimulus sensoriel concret, parce qu’il faut bien donner à toutes ces étranges voix une forme sensible. Il serait logique qu’au niveau de la mise en scène ce soit le plus souvent, pour tous les cas de figure, un stimulus sonore. Le tableau ci-dessous reprend la question des appels pièce par pièce :

Titre de la pièce Type d’appel
A la nuit, la nuit  Les souvenirs de Marie-Louise et de Jean-Pierre appellent respectivement Benoît et Marthe.
Bien amicalement René appelle l’autre René au moyen d’un télégramme.
Comment va le monde… ? Job est appelé par la voix d’une femme (Guillaume).
Il faut passer par les nuages Martin (un jeune garcon mort) appelle Claire.
Has been bird  Marybird (morte) est appellée et interpellée par différents groupes de personnages.
Pitchi-Poï ou la parole donnée Pas d’appel au sens strict. Mathieu cherche à travers toute l’Europe la femme juive qui lui avait confié une enfant pendant la guerre.
Silence ! l’arbre remue encore… Octobre, revenant dans son village, suit la voix d’Aurélie qu’il entend dans son esprit.
Femmes parallèles Monologues où les personnages s’adressent à des interlocuteurs absents parfois avec des appels.
Rintru pa trou tar hin !  Un appel fait revenir le protagoniste (Marco Paulo) à la maison.
Ne m’attendez pas ce soir Evangéline et Bonaventure s’appellent l’un l’autre sans se rencontrer.
Les Veuves Les veuves appellent L’Oncle Rouge-et-or (retour du protagoniste à l’endroit qu’il avait quitté).
La nostalgie, camarade Un appel mystérieux (celui d’Eugénie ?) fait revenir Bougre de Jacques au théâtre où il avait travaillé à l’époque.
Ai-je dit que je suis bossu ?  Pas d’appel au sens propre du terme. Pourtant, Emmanuel invite sa voisine Enrika à l’appeler. L’interjection : « Appelez-moi ! » revient comme un refrain.
Réveille-toi, Philadelphie ! Le Loup appelle Philadelphie.
Appel de personne à personne L’Oiseleur Z’Ailé (un merle) appelle Rachel. Celle-ci se sent appelée par une voix inconnue.

 

4. Communication asymétrique

Le deuxième problème dont il est impossible de faire abstraction quand on parle des pièces de Billetdoux est la communication qui n’en est pas une et qui pourtant, parfois, s’accomplit quand même dans une certaine mesure et dans un certain sens. Paul-Louis Mignon écrivait ceci à propos des pièces de Billetdoux : « […] la société humaine s’y représente de façon sordide ; les êtres se cherchent, se rencontrent, mais demeurent étrangers, solitaires [11] ». Sordide n’est sans doute pas le bon mot, mais à part cela, l’observation est tout à fait juste : les personnages de Billetdoux se cherchent, mais demeurent étrangers les uns aux autres. Très juste me paraît également une autre remarque, de Jean-Luc Dejean, relevant que dans toutes les œuvres de Billetdoux « l’humour et la douleur se confondent dans ce carrefour des solitudes, le langage [12] ». Jean-Luc Dejean a raison d’insister sur le langage, car la solitude chez Billetdoux est une solitude très expressive, très langagière ; elle se dit, elle n’en finit pas de se dire, comme chez Beckett et d’autres maîtres de la parole solitaire ou solitude parlante.

Ici un dossier volumineux pourrait se (r)ouvir concernant les techniques adialectiques, adialogiques et paradialogiques à l’œuvre dans le théâtre de Billetdoux, lesquelles j’ai recensées en 2005 [13]. Au lieu de refaire le parcours déjà fait, je me limiterai à une récapitulation tabulaire, très succincte, qui insiste surtout sur la manière dont se trouve construite la plateforme interlocutoire dans les pièces ici sélectionnées :

Titre de la pièce Type de la plateforme interlocutoire et structure énonciative
À la nuit, la nuit Communication virtuelle : jeux de rôles.
Bien amicalement  Une rencontre par quiproquo. Règlement de comptes entre anciens amis (communication « par procuration » entre Carducci et Gabrièle).
Comment va le monde… ?  Réduction bi-logale : sur 300 personnages, 2 seulement parlent ; communication asymétrique fréquente ; chansons en arrière fond.
Il faut passer par les nuages  Suite de monodiscours qui se répondent avec décalage ou restent sans réponse ; polylogues oniriques ; toute une gamme de procédés adialogiques et paradialogiques.
Has been bird  Communication asymétrique ; Marybird constitue un foyer focal où convergent des voix et des discours orchestrés venant depuis « la salle ».
Pitchi-Poï ou la parole donnée Reportage filmique ; scènes dialoguées + dialogue d’enregistrements et témoignages ; utilisation de voice off de l’acteur, y compris quand celui-ci est à l’image.
Silence ! l’arbre remue encore… Plateforme interlocutoire incohérente : les récits des événements faits a posteriori alternent avec les événements montrés en direct ; style enquête par endroits ; monologues délirants d’Octobre.
Femmes parallèles Soliloques, monologues, quasi-monologues. Divers degrés d’absence de l’allocutaire. Divers procédés de prise en charge du discours de l’interlocuteur absent.
Rintru pa trou tar hin !  Enquête policière et journalistique (+ reconstitution) ; dialogue normal + dialogue de témoignages, de voix enregistrées, etc., emploi de voice off.
Ne m’attendez pas ce soir Disjonction chronotopique de la plateforme d’interlocution. Juxtaposition de monologues d’Évangéline et de Bonaventure. Mixages sur l’axe passé / présent.
Les Veuves Dialogue quasi-normal. Épuration rhétorique, discours réduit au minimum ; répliques adialectiques (questions sans réponse, exclamations, souhaits, etc.).
La nostalgie, camarade Polylogues : solos + flashes ; nombreuses répliques téléphoniques ; scènes oniriques avec chuchotements, borborygmes, voix lointaines, lamentos etc.
Ai-je dit que je suis bossu ?  Double structure interlocutoire : 1 : communication intrapersonnelle (voix réelle et voix intérieure du protagoniste) ; 2 : Emmanuel écoute par la cloison les cris d’Enrika et les bruits produits dans son appartement.
Réveille-toi, Philadelphie ! Dédoublement diachronique du personnage (Phila), nombreuses répliques téléphoniques (Velt), monologues chantés (complainte Laraou raou).
Appel de personne à personne Incompatibilité statutaire des interlocuteurs (femme / oiseau) ; communication bilatéralement asymétrique ; le dialogue se mue par endroits en un récit formé par l’alternance des interventions de L’Oiseleur et Mocking Bird.

 

En regardant sous un angle radiophonique tous les personnages que Billetdoux fait soliloquer ou monologuer dans ses pièces, on peut affirmer qu’ils font comme s’ils étaient autant de stations de radio individuelles : ils émettent leurs messages et attendent que leurs interlocuteurs passent un beau jour un coup de fil interactif au studio duquel le message était parti. Cela est peut-être une vision un peu simplificatrice, mais la formule n’est pas tout à fait fausse. Dans le théâtre de Billetdoux, la communication interpersonnelle s’effectue à peu près de cette manière-là, dans bon nombre de pièces.

On pourrait enfin, dans un dessein plus pédagogique ‒ et aussi pour introduire un élément neuf et concret dans cette séquence ‒ proposer une grille d’analyse permettant d’examiner toutes les formes monodiscursives (mono-formes et/ou mono-séquences) qui abondent dans la dramaturgie de Billetdoux et qui en font l’une des caractéristiques essentielles [14].

Critère Pistes d’analyses, questions à (se) poser 
1: Proportions (en %) et impact dans l’ensemble de l’œuvre S’agit-il d’un monodiscours autonome (mono-forme) ou inséré dans un discours englobant (mono-séquence) ? Quelle partie de l’œuvre est occupée par les séquences monodiscursives ? Quelle est l’importance des mono-séquences dans l’économie de l’œuvre ? La mono-séquence provoque-t-elle des anachronies (prolepses / analepses), des ralentissements/accélérations de l’action ?
2: Filiations génériques du monodiscours + intertexte À quels genres de discours s’apparentent les monodiscours donnés (journal d’information, émission radiophonique, one-person-show, tirade classique, mono-récit, etc.) ? Y a-t-il des références à d’autres textes/œuvres (allusions, citations) ?
3: Situation du sujet parlant Pour quelle raison le sujet parlant s’exprime en monodiscours (à cause de quels déficits, quelles contraintes) ? Où se trouve-t-il ? Qui est-il ? À qui s’adresse-t-il ? Veut-il obtenir une réponse ou non ? Pourquoi ? Quelle est son attitude vis-à-vis de l’allocutaire ?
4: Situation de l’allocutaire Peut-on repérer un/des destinataires dans le monodiscours (participants ratifiés et non-ratifiés) ? Dans l’affirmative, comment sont-ils rendus présents ? ou quelles sont les modalités de leur absence (corporelle, visuelle, auditive, inaptitude à interagir) ? De quelle manière les éventuels propos ou réactions de l’allocutaire sont-ils/elles pris en charge par le sujet parlant/pensant ? Quel effet la présence/absence de l’allocutaire exerce-t-elle sur le monologuant ? Y a-t-il dans le monodiscours des stimuli sensoriels extralinguistiques ou non-linguistiques qui favorisent son développement ?
5: Finalité dramaturgique Pourquoi une séquence donnée est-elle monodiscursive ? Doit-elle vraiment l’être ? L’auteur emploie-t-il une stratégie communicationnelle spécifique ? opère-t-il un tour de force ?
6: Fonctions artistiques Quelles fonctions artistiques le monodiscours remplit-il (images, visions, effet poème) ? Quelles sont les fontions rhétorico-pragmatiques du langage utilisé dans le monodiscours ?
7: Structure Comment la mono-séquence est-elle construite ? Peut-on y repérer des parties ? Si oui, comment s’articulent-elles entre elles (linéarité, circularité, répétitivité, parenté avec des formes monologales connues, etc.) ?
8: Type et mode de communication S’agit-il d’un soliloque, d’un quasi-monologue ou d’un monologue ? Le monodiscours imite-t-il la parole solitaire ou plutôt la pensée silencieuse (dans quelle mesure le discours du monologuant est-il articulé, non-articulé, chaotique) ? Peut-on noter la présence d’appareils tel qu’un microphone ? Dans l’affirmative, quel type de situation de communication se trouve défini par leur usage ?
9: Interactions entre différents niveaux et secteurs de l’organisation textuelle Que peut-on dire des relations entre l’appareil didascalique (qui est aussi une forme de monodiscours parfois) et le monodiscours étudié ? Y a-t-il des interactions entre la parole auctoriale et celle du sujet parlant ? Comment le monodiscours s’inscrit-il dans l’architecture de l’univers de l’œuvre ?
10: Jeu d’acteur, mise en scène et décors Quelles contraintes ou quel type de jeu sont imposés à l’acteur (aux acteurs) par la forme monodiscursive choisie par l’auteur ? Comment spatialiser ce monodiscours (accessoires à utiliser, décors, praticables à mettre en place, effets sonores, lumineux, autres) ?

 

5. Personnages, phénomènes et objets liés à l’univers du son

En lisant les textes de Billetdoux, on remarque un certain nombre de phénomènes, de faits, de personnages et d’objets qui ont trait à l’acoustique et plus particulièrement au monde de la radio. On distinguera tout d’abord des pièces que l’on pourrait appeler stéréophoniques (avec, bien évidemment, toutes les réserves que l’on peut émettre vis-à-vis de cette étiquette). En effet, dans quelques-unes des pièces de Billetdoux, on détecte des tentatives pour obtenir, par différents moyens, des effets de stéréophonie (il s’agit surtout de Silence, l’arbre remue encore ! Ne m’attendez pas ce soir, Ai-je dit que je suis bossu ?, Réveille-toi, Philadelphie ! et Appel de personne à personne). La stéréophonie s’obtient là par deux stratégies du dédoublement du personnage : dédoublement diachronique et synchronique.

La première pièce basée sur la stéréophonie diachronique est Silence, l’arbre remue encore ! où l’on a affaire à la juxtaposition des répliques prononcées à des moments temporels différents. En effet, l’histoire du protagoniste, Octobre, est racontée deux fois, et ceci presque simultanément, puisque les événements montrés en direct alternent avec les récits faits a posteriori des mêmes événements. À part ce téléscopage temporel, Silence… pose encore un autre problème sonore : celui de la Voix d’Aurélie, la femme du protagoniste, qui parle à celui-ci dans le vent, ou dans son esprit, et qui opère un téléguidage de son mari.

Différent et à la fois semblable est le cas de Ne m’attendez pas ce soir où le personnage de Bonaventure est montré à la fois comme enfant et adulte. Cette pièce, qualifiée par Jean-Pierre Miquel de « petit bijou de spectacle [15] », est d’ailleurs conçue comme une Instrumentation. À la place de la liste habituelle de dramatis personae, on y trouve en fait une liste d’instruments dans laquelle figurent entre autres : Le Vroum (« objet sonore »), des voix enregistrées et « une suite de bruitages en stéréophonie », comme le précise la didascalie (p. 8). Ces bruitages sont nombreux et variés : ce sont des échos, des cris musicaux, des cris d’enfants, des bruits de train, de grille, de scie mécanique, de marteau de porte, de voiles en plastique, de pas de danse exécutés au ralenti, de vol de mouettes, de voiture qui démarre, de dynamitage… La didascalie signale même une « maison sonore » (p. 22) et une « poursuite sonore » (p. 46). Tout cela forme donc un soundscape très riche. Un autre procédé intéressant à relever ici est celui du duo flute-violoncelle [16] qui fait pendant au dialogue d’Évangéline et Bonaventure à un moment donné de la pièce et qui peut être qualifié de blanding [17]. La musique va d’ailleurs assumer, tout au long de la pièce, des tâches mimétiques très concrètes, puisqu’on trouve dans le texte des « blessures musicales » (p. 11, 15), des « appels musicaux » (p. 14), des « cris musicaux » (p. 16), des « menaces musicales » (p. 18), etc. Dans Ne m’attendez pas ce soir on notera même des moments où les personnages utilisent le micro (p. 20).

Même chose, enfin, pour Réveille-toi, Philadelphie ! où le personnage principal subit lui aussi une sorte de dédoublement qui fait que nous entendons parler en même temps Philadelphie jeune fille et Philadelphie vieille femme. Mais cette fois-ci, le procédé est beaucoup plus discret, si bien qu’il risque de passer inaperçu, si on ne lit pas la pièce de façon attentive. Le technicien du son devrait bien entendu s’interroger ici sur les moyens les plus adéquats pour donner une existence scénique au « loup » que l’on ne voit jamais et qui doit pourtant faire sentir sa présence dans la sonosphère : comment rendre ses hurlements qui apparaissent dès les premières scènes, comment rendre le « grincement lupin » que l’on entend vers la fin du texte (p. 107) ?

Pour la catégorie de la stéréophonie synchronique, deux textes sont à prendre en compte. Le premier – Ai-je dit que je suis bossu ? est explicitement conçu pour être « vu en stéréophonie » (p. 70). Au point de vue énonciatif, la pièce est faite du monologue d’un vieil homme, Emmanuel, qui parle/pense à deux voix (réelle et intérieure) et qui s’adresse à sa voisine séparée de lui par une cloison, si bien qu’Emmanuel n’a qu’une vision auditive (ou écoute aveugle [18]) de ce qui se passe de l’autre côfté du mur [19]. La didascalie suggère ici ouvertement qu’on pourrait utiliser deux haut-parleurs pour difuser les deux voix du personnage (p. 70).

La deuxième pièce à dédoublement synchronique, Appel de personne à personne, est une mini-opérette. Elle a même, selon le mot de l’auteur, une version radiophonique en bonne et due forme. Dans Appel…, nous voyons donc un autre personnage se scinder en deux : Rachel. Comme Philadelphie ou encore Marybird (dans Has been bird), elle est secondée par son Double, mais cette dualité ne s’accentue pourtant que vers la fin de l’histoire où la femme subit une sorte de transfiguration psychologique et spirituelle que nous apprenons par la voix de ce Double, justement. Cependant, ce qui paraît plus important ici, c’est tout une série d’effets sonores et musicaux qui font de cette œuvre un véritable conte musical : chansons, comptines, danses, ballades, berceuses, cris d’oiseaux, équivalences métriques, vocaliques, consonantiques, bruits de pas, de gouttes d’eau tombant du robinet, onomatopées, etc. Dans la version discographique (très jolie, soit dit en passant), on peut noter en particulier des effets de fade-in et fade-out très classiques (apparition / disparition progressive des sons, des chants, des musiques).

Étant donné l’inventivité de Billetdoux dans le domaine dramaturgique, les autres pièces du corpus présentent chacune un cas particulier de la structuration du paysage sonore, si bien qu’il est nécessaire de les décrire un à un, séparément, sans recours aux critères généraux et subsumants. C’est l’ordre chronologique de la composition qui va déterminer le cours de l’exposé.

La première pièce importante de Billetdoux, À la nuit la nuit, ne contient pas beaucoup de phénomènes acoustiques qui se démarquent comme tels, l’auteur exploitant ici d’autres effets et/ou contraintes formelles. Ce qu’on peut relever, c’est juste le fait que Marthe chante une chanson en s’accompagnant de la guitare et qu’elle met en marche pendant quelques minutes « un vieux phono » (p. 47) ; à part cela, il n’y a pas vraiment ici de choses à retenir sur le plan auditif.

Il en est de même, à mon avis, de Bien amicalement, même si Billetdoux lui-même semble contester cet état de choses. En effet, il écrit à son propos ceci : « Il y a bien des silences dans ce texte qui appartiennent strictement pour moi à l’espace sonore, ainsi qu’un mouvement dramatique à inscrire dans la durée propre aux œuvres pour l’oreille seule. Tout n’est pas dit dans les mots [20]. » La déclaration, à mon humble opinion, peut prêter à controverse. Il faudrait, en fait, entendre la pièce à la radio, mise en ondes par l’auteur lui-même de préférence, pour voir comment il entendait utiliser les silences dont il parle. Ceux-ci en tout cas ne sont même pas signalés dans le dialogue par des didascalies adéquates. Le soin de les repérer et d’en mesurer la longueur a été laissé à l’équipe réalisatrice [21].

Dans Pitchi Poï…, qui se présente comme un mélange de documents visuels et sonores s’organisant en un film-reportage, c’est surtout la présence de langues étrangères et d’accents étrangers qui paraît auditivement saillante. Tout cela vient du grand rêve de Billetdoux qui sous-tend ce télé-film, à savoir celui de créer une œuvre vraiment européenne. Étant donné la forme scénaristique de l’œuvre (scénarisation [22] psychologique et technique), l’adaptation radiophonique serait assez facile à réaliser. Rien qu’en supprimant la vision et en compactant la durée, on obtiendrait une émission de radio tout à fait intéressante.

Ritru pa trou tar hin ! n’affiche pas non plus beaucoup d’effets sonores spécifiques sauf l’usage des enregistrements sur bande magnétique effectués lors de l’enquête policière qui constitue l’armature de l’intrigue. Ce que l’on doit signaler en outre dans Ritru pas…, c’est le curieux personnage de Ouaoua définit comme « parleur audio-visuel » (p. 10). Il est clair, dans ces conditions que le dispositif scénique de cette pièce doit nécessairement comporter un certain nombre d’appareils éléctroacoustiques permettant non seulement la reproduction des voix, mais surtout la figuration des personnages (comme Ouaoua) dont le fonctionnement repose sur une association entre le corps humain et l’objet inanimé.

Comment va le monde… est une œuvre où l’on remarque une organisation assez spéciale de l’espace sonore. En effet, grâce à une série de couplets qui ponctuent la pièce, on entend cet espace se diviser en deux dans le sens de la profondeur. Il y a l’espace de l’action et « la marge de l’action » (p. 52), comme le dit Billetdoux. Dans cette marge, on voit évoluer tout un groupe de personnages secondaires, qui chantent et qui ne vivent que par ce chant. Billetdoux emploie à propos de Comment va le monde… le terme de contrepoint (p. 51), qui serait selon lui une sorte de principe organisateur de cette pièce. Mais du point de vue de la mise en scène du son, plutôt que de parler de contrepoint, il faudrait peut être s’exprimer en termes de plans sonores, puisqu’on a ici affaire à un jeu classique entre le plan proche et le plan moyen, ou plutôt entre le plan moyen et éloigné, le plan proche étant réservé, dans la technique radiophonique, à produire d’autres types d’effets (voix intérieure, proximité spatiale par rapport à l’auditeur, etc).

Pour ce qui est de Il faut passer par les nuages, il importe de signaler tout d’abord l’agencement musical des parties (allegretto ma non troppo / andantino / scherzo grave / allegro pathétique / aubade). À l’intérieur de cette macro-structure dynamico-rythmique, Billetdoux s’ingénie à exploiter divers types de nuances vocales : nous avons ainsi la mezza voce, les voix transformées par le téléphone, les lectures de lettres, les conférences, etc. Parmi tous ces effets sonores, il y en a un qui constitue un certain défi pour la mise en scène de la pièce : les interventions du personnage fantomatique de Clos-Martin, ce revenant qui « jaillit par petites bulles de la conscience de Claire », comme le dit avec justesse Sheila Louinet [23]. Idem pour la fin de la pièce où, avec le cauchemar de Claire (une séquence polylogale très complexe), un autre vaste champ de manœuvres acoustiques s’ouvre au metteur en scène.

Has been bird est une pièce-reportage où, encore une fois, tout repose sur une orchestration de discours plutôt que sur un véritable dialogue. Ce qui saute aux yeux ici, c’est le rôle fondamental de deux personnages, reporter et speaker, qui prononcent la grande majorité des répliques. Ces deux personnages-là, avec une foule d’autres voix, chorales ou individuelles, constituent ce que j’appelle un macro-actant narratif s’opposant spatialement aux protagonistes. On doit noter aussi, dans Has been bird, un emploi fréquent de la voix basse et du silence, ainsi que le fait, fondamental pour notre optique, que le discours du reporter ressemble parfois à celui d’un journaliste qui effectue une relation en direct pour la radio. En fait, le reporter de Has been bird se comporte comme si le public ne voyait pas la scène.

Dans les monologues des Femmes parallèles, les personnages, selon la prescription explicite de l’auteur, doivent être traités comme des instruments (p. 9). Ce postulat, tant qu’il reste théorique, paraît anodin, mais dans la pratique il risque de s’avérer difficile à réaliser. Il est certes vrai que chacun des sept monologueurs adopte une autre diction, une autre prosodie et que chacun parle un autre langage. Il n’en reste pas moins que cette instrumentation-là repose essentiellement sur les contrastes de tonalités très généraux. En tout cas, les monologues réunis sous le titre générique de Femmes parallèles pourraient donner lieu à des analyses acoustiques plus minutieuses.

La Nostalgie, camarade est par contre une pièce à nombreux effets sonores proprement dits, et c’est sans doute l’une des pièces les mieux travaillées de ce côté-là. Elle rappelle de ce point de vue Ne m’attendez pas ce soir, avec l’usage des échos (fig. 2), du jeu du violon (fig. 5), des voix off (fig. 8), du téléphone (tout au long de la pièce). On y repère en outre des bruits de démolition (martèlements, stridences, coups métalliques) et un effet strictement radiophonique de cross-fade dans la séquence 7 où les stridences se transforment en cris d’oiseaux, les cris d’oiseaux en sonneries de téléphone, les sonneries de téléphone en sifflets de train, d’ambulance etc.

Enfin, Les Veuves, sorte d’intermedial performance, conjuguant théâtre, marionnettes, musique (et ponctuellement télévision), tout en étant surtout basé sur les éléments visuels, recèle pourtant pourtant une curiosité importante : le curieux dispositif de « la croix sonore qui répercute aux quatre vents » (p. 24) – un véritable appareil émetteur grâce auquel les filles appellent l’Oncle Rouge-et-or.

On pourrait conclure en une phrase: la dramatugie de Billetdoux ne sonne pas creux.

Notes

[1] Les références bibliographiques complètes des pièces mentionnées ou examinées se trouvent dans la bibliographie de fin d’article.

[2] V. ici.

[3] « François Billetdoux ou Le Magicien du Théâtre », en ligne ici.

[4] En ligne ici.

[5] « François Billetdoux ou Le Magicien du Théâtre », op. cit.

[6] Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 24 octobre 1964.

[7] « Le monde tourne, Billetdoux est mort », Libération, 27 novembre 1991.

[8] Cette intervention a un caractère expiatoire. J’essaie par là de réparer une sorte de faute originelle que j’avais commise il y a 15 ans, et que j’ai perpétrée ensuite, inconciemment, pendant un certain nombre d’années. En effet, lorsque je commençais à écrire sur le théâtre de François Billetdoux, à la fin des des années 1990, ainsi que dans quelques-unes de mes publications postérieures, je n’ai pas assez insisté sur l’impact que les activités radiophoniques et médiatiques de l’auteur avaient pu avoir sur sa dramaturgie. La journée d’études sur Billetdoux (et la radio) organisée à Montpellier par Pierre-Marie Héron en avril 2015 a été une excellente occasion pour revenir en arrière et réviser les choses sous cet aspect-là.

[9] Il importe cependant de remarquer que le théâtre de Billetdoux ne saurait être interprété seulement sous cet angle-là. Certes, Billetdoux a travaillé à la Radio pendant de longues années, mais il s’est également frotté, et fortement, à la télévision, au cinéma, à la musique, de sorte que ses textes dramatiques portent de fait différentes marques et empreintes : radiophoniques, télévisuelles, cinématographiques, musicales. La télévision est présente dans Rintru pas…, le cinéma et la télé dans Pitchi poï.., le happenning dans Les Veuves, la musique dans Appel de personne à personne ; nous assistons en outre à une sorte d’opéra funèbre avec Has been bird et à une espèce de one-person-show avec Femmes Parallèles. Dans le répertoire de Billetdoux on trouvera même une interrogation sur le téléphone dans le spectacle d’HiFi. Ce n’est donc pas seulement la radio qui a informé l’œuvre théâtrale de cet auteur et il serait un peu partial, dans ces conditions-là, de faire de la piste radiophonique l’unique perspective d’analyse.

[10] Appel de personne à personne, Arles, Actes Sud-Papiers, 1992, p. 47-48.

[11] L’Avant-scène, no 193, p. 6.

[12] Le Théâtre français d’aujourd’hui, Paris, Nathan, 1971, p. 119.

[13] Witold Wołowski, L’adialogisme et la poétisation du texte dramatique dans le théâtre de François Billetdoux, Lublin, TN KUL, 2005.

[14] Le présent tableau s’inspire d’un certain nombre de travaux portant sur les différentes formes monodiscursives, en particulier des études conversationnistes (C. Kerbrat-Orecchioni), de l’ouvrage collectif dirigé par F. Fix et F. Toudoire-Surlapierre, Le Monologue au théâtre (1950-2000). La Parole solitaire (Dijon, E.U.D., 2006), et surtout de mes propres travaux : « Absence de personnage de théâtre dans Les Chaises d’Eugène Ionesco et dans Comment va le monde de François Billetdoux », Roczniki Humanistyczne, t. XLVIII, z. 5, 2000, p. 25-72 ; « Aux origines de l’adialogisme théâtral : Le Cantique des Cantiques », Roczniki Humanistyczne, t. LII, z. 5, 2004, p. 87-97 ; « Soliloque, quasi-monologue, monologue », Roczniki Humanistyczne, LIII, z. 5, 2005, p. 81-104 ; L’adialogisme et la poétisation du texte dramatique dans le théâtre de François Billetdoux, op. cit. ; « Qu’est-ce qu’une réplique théâtrale ? », Romanica Cracoviensia, 5 / 2005, p. 147-159 ; Du texte dramatique au texte narratif. Procédés interférentiels et formes hybrides dans le théâtre français du xxe siècle, Lublin, Wydawnictwo KUL, 2007.

[15] L’Avant-scène, 571, septembre 1975, p. 20.

[16] Comme le soulignent J. Bachura et A. Pawlik, la musique (rarement autonome au point de vue sémiotique dans le théâtre radiophonique) doit toujours être considérée comme co-créatrice des significations dans les pièces conçues pour la radio. V. « Znaczeniowa funkcja muzyki w słuchowisku », Folia Litteraria Polonica, 3, (17), 2012, p. 162.

[17] Pour une brève description des techniques de base utilisées dans les pièces radiophoniques, v. Richard James Gray, French radio drama from the interwar to the Postwar period (1922-1973), dissertation disponible ici.

[18] Le terme est de Rudolf Arnheim, Radio, trad. Lambert Barthélémy en collab. avec Gilles Moutot, Paris, Van Dieren, 2005 (éd. originale 1936), p. 219.

[19] On a ici affaire à une situation acousmatique au sens schaefferien du terme. V. Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, Paris, Seuil, 1966 ; ainsi que les remarques intéressantes de Philippe Baudoin, « Le transistor et le philosophe. Pour une esthétique de l’écoute radiophonique », Klesis. Revue Philosophique, juin 2007, p. 1-18.

[20] L’Avant-scène, n°193, 15 mars 1959, p. 25.

[21] Dans le cas des œuvres théâtrales écrites exprès pour la radio, il est d’ailleurs intéressant d’examiner en détail leur pouvoir de visualisation. Un spécialiste du théâtre radiophonique, Józef Mayen, soutenait naguère que le facteur essentiel déterminant la spécificité de ce genre de théâtre réside bien dans sa capacité d’engendrer des images visuelles dans l’esprit des auditeurs. Lorsqu’un drame destiné à la radio semble acoustiquement déficitaire, il faut peut-être examiner plus en profondeur ses qualités picturales qui activent l’imagination du public, sans quoi on ne saurait vraiment juger de son adaptabilité radiophonique (J. Mayen, Radio a literatura, Warszawa, Wiedza Powszechna, 1965, p. 208).

[22] Au sens où l’entend Gérard Leblanc dans Scénarios du réel, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 9. V. aussi Julie Roué, La question du « je ». Traité de l’intime dans le documentaire radiophonique, en ligne ici.

[23] Sheila Louinet, compte rendu du spectacle de Jean-Claude Penchennat au Théâtre de l’Épée-de-Bois à Paris, en ligne ici.

Bibliographie

Corpus d’étude

Bien amicalement, L’Avant-scène, n°193, mars 1959.

Comment va le monde, môssieu? Il tourne, môssieu!, in Théâtre 2, Paris, La table Ronde, 1964.

Il faut passer par les nuages, in Théâtre 2, Paris, La Table Ronde, 1964.

Has been bird, pièce inédite, achevée en octobre 1966, coll. part..

Rintru pa trou tar hin! pièce inédite, publiée en brochure à l’occasion de la première représentation au Théâtre de la Ville (Paris), en avril 1970.

Les Veuves, L’Avant-scène, n°571, septembre 1975.

Silence! L’Arbre remue encore…, Arles, Actes Sud-Papiers, 1986.

À la nuit la nuit, in Petits drames comiques, Arles, Actes Sud-Papiers, 1987.

Réveille-toi, Philadelphie!, Arles, Actes Sud-Papiers, 1988.

Appel de personne à parsonne, Arles, Actes Sud-Papiers, 1992.

Pitchi-Poï ou la parole donnée, Arles, Actes Sud-Papiers, 1992.

Ne m’attendez pas ce soir!, Arles, Actes Sud-Papiers, 1994.

Femmes parallèles, in Monologues, Arles, Actes Sud-Papiers, 1996.

Ai-je dit que je suis bossu?, in Monologues, Arles, Actes Sud-Papiers, 1996.

La nostalgie, camarade, Arles, Actes Sud-Papiers, 1997.

Ouvrages

ARNHEIM Rudolf, Radio [1936], Paris, Van Dieren éditeur, 2005.

DEJEAN Jean-Luc, Le Théâtre français d’aujourd’hui, Paris, Nathan, 1971.

FIX Florence & TOUDOIRE-SURLAPIERRE Frédérique, Le Monologue au théâtre (1950-2000). La Parole solitaire, Dijon, E.U.D., 2006.

GRAY Richard James, French radio drama from the interwar to the Postwar period (1922-1973), en ligne ici.

LEBLANC Gérard, Scénarios du réel, Paris, L’Harmattan, 1997.

MAYEN Józef, Radio a literatura. Szkice, Warszawa, Wiedza Powszechna, 1965.

ROUÉ Julie, La question du « je ». Traité de l’intime dans le documentaire radiophonique, www.acsr.be/wp-content/uploads/la_question_du_je.pdf

SCHAEFFER Pierre, Traité des objets musicaux, Paris, Seuil, 1966.

WOŁOWSKI Witold, L’adialogisme et la poétisation du texte dramatique dans le théâtre de François Billetdoux, Lublin, TN KUL, 2005.

Du texte dramatique au texte narratif. Procédés interférentiels et formes hybrides dans le théâtre français du xxe siècle, Lublin, Wydawnictwo KUL, 2007.

Articles

BACHURA Joanna, pawlik Aleksandra, « Znaczeniowa funkcja muzyki w słuchowisku », Folia Litteraria Polonica, 3, (17), 2012, p. 162-170.

BAUDOUIN Philippe, « Le transistor et le philosophe. Pour une esthétique de l’écoute radiophonique », Klesis. Revue Philosophique, Juin 2007, p. 1-18.

LATOUR Geneviève, « François Billetdoux ou Le Magicien du Théâtre », www. regietheatrale. com

MIGNON Paul-Louis, « Billetdoux François », L’Avant-scène, n°193, mars 1959, p. 6.

MIQUEL Jean-Pierre, « Le grand auteur français de sa génération », L’Avant-scène, n°571, septembre 1975, p. 20-21.

WOŁOWSKI Witold, « Absence de personnage de théâtre dans Les Chaises d’Eugène Ionesco et dans Comment va le monde de François Billetdoux », Roczniki Humanistyczne, XLVIII, z. 5, 2000, p. 25-72.

– « Aux origines de l’adialogisme théâtral : Le Cantique des Cantiques », Roczniki Humanistyczne, t. LII, z. 5, 2004, p. 87-97.

– « Soliloque, quasi-monologue, monologue », Roczniki Humanistyczne, LIII, z. 5, 2005, p. 81-104.

« Qu’est-ce qu’une réplique théâtrale ? », Romanica Cracoviensia, 5 / 2005, p. 147-159.

Auteur

Witold Wołowski est professeur de lettres à l’Université Catholique de Lublin Jean Paul II (Pologne). Spécialiste du théâtre francophone du XXe siècle, théoricien de la littérature et du spectacle théâtral. Domaines de recherche privilégiés : hybridité générique en littérature, didascalies, interactions entre le théâtre et d’autres média. Principaux ouvrages monographiques : 2005 : L’adialogisme et la poétisation du texte dramatique dans le théâtre de François Billetdoux, Lublin, TN KUL ; 2007 : Du texte dramatique au texte narratif. Procédés interférentiels et formes hybrides dans le théâtre français du XXe siècle, Lublin, Wydawnictwo KUL ; 2015 : Didascalies et didascalité au théâtre et non seulement, Lublin, Wydawnictwo KUL (sous presse).

Copyright

Tous droits réservés.




Réveille-toi, Philadelphie !

 


Une maison dans la forêt, un loup qui rôde, une petite fille de neuf ans, ‒ bientôt douze, qui a soudain quatre-vingt trois ans, un père négligent.  C’est un conte, une comptine, un fait divers violent, une pièce de rêve qui a connu un grand succès lors des représentations en 1988. Une des plus belles réussites du dramaturge François Billetdoux.

A house in the forest, a roaming wolf, a little girl of nine years old, ‒ going on twelve, who suddenly turns eighty-three, a neglecting father. It’s a fairy tale, a nursery rhyme, a violent current event, a dream play that received a great success when first produced in 1988. One of the greatest achievments of dramatist François Billetdoux.

 


Texte intégral

Ce titre éclatant et cryptique est celui de la pièce de François Billetdoux qui marque son retour à la scène et son dernier succès. Elle est créée au Théâtre national de la Colline le 7 octobre 1988 et se joue jusqu’au 18 novembre dans une mise en scène de Jorge Lavelli. Ce dernier vient de prendre la direction de ce nouveau lieu théâtral, construit dans le 20e arrondissement de Paris par J. Fabre et V. Perrottet, qui attire l’attention par sa programmation brillante : Le Public de Federico Garcia Lorca, Une visite inopportune de Copi et, pour cette première saison complète, l’œuvre de Billetdoux qui reçoit le prix du Syndicat de la critique pour la meilleure création d’une pièce en langue française et le Molière du meilleur auteur (1989) ; l’interprétation de Denise Gence suscite également beaucoup d’enthousiasme. La distribution est la suivante :

Victor Velt : Claude Rich

Hildegarde : Anna Prucnal

Philadelphie 1 : Marie-Eugénie Maréchal (ou Barbara Planchon ou Anne Meson Poliakoff)

Le Préfet : Max Vialle

Abigaïl : Myriam Boyer

Philadelphie 2 : Denise Gence

Le docteur Cornélius : Henri Garcin

La pièce est publiée aux éditions Actes Sud-Papiers en 1988. Il existe à la BnF un important fonds François Billetdoux qui regroupe des notes préparatoires et des brouillons, le manuscrit autographe de la pièce, la version révisée de l’acte 3, scène 7 et une correspondance adressée par Jorge Lavelli.


Pourquoi ce succès ?

D’abord parce que la pièce est très habilement construite pour susciter l’intérêt : un premier acte en 5 scènes pour poser la situation et les personnages, un acte II en 7 scènes qui commence par une surprise considérable dont les conséquences occupent le reste du temps, un entracte nécessaire après tant de volubilité langagière puis un acte III en 7 scènes qui élargit le jeu scénique à l’extérieur pour aboutir à un effet de bouclage final à la fois apaisant et ironique.

L’intrigue est localisée dans une maison « en automne dans quelque forêt noire. » (p. 13) Les deux espaces de la maison et de la forêt semblent s’interpénétrer.

Un nombre réduit de personnages : un père et sa fille, une nurse, une amie, un préfet, un docteur, permet de maintenir subtilement l’équilibre entre action et dialogue. L’auteur fait feu de tout bois pour croiser les registres entre drame familial, satire sociale et conte enfantin avec des trouvailles constantes et un brio d’écriture remarquable.

La structure narrative s’appuie sur un fait divers : un animal menaçant décime les troupeaux. Dans la masse des notes et brouillons de Billetdoux on trouve un texte dactylographié relatant des faits et un feuillet manuscrit, daté du 12-10-1979, disant : « Voici le document concernant la “Bête de Vosges” transmis par Antoine Reille producteur de l’émission de Marylise de la Grange. Apparemment le loup court toujours [1]. »

C’est à partir de cet événement que se déploie l’action principale. Le prédateur est signalé et pisté. Les services publics s’organisent. Le Préfet vient voir Velt puisque la bête se dirige vers sa propriété ; c’est l’objet de la scène 3 de l’acte 1 :

Le Préfet : Bien. Comme vous ne le savez pas, j’espère, le bilan actuel du carnage est catastrophique, en tout cas pour l’opinion : sept moutons égorgés en septembre, quatre-vingt-treize à la fin octobre ; la courbe de la hausse est statistiquement sensible. Plus onze vaches et une pouliche victimes d’une agression spécifique. Plus : trente et une poules, trois canards et un dindon, passés à trépas ou à la casserole. (p. 31)

La traque est organisée pour attirer la bête dans la forêt du domaine mais on devine, lors d’un échange à l’acte 3 entre Cornélius et le Préfet, que ce dernier est prêt à tout pour se débarrasser du problème y compris à liquider Velt et sa fille comme victimes expiatoires.

Le Préfet : […] Comme je ne crois guère que le monsieur pourra nous livrer la défroque d’un animal acceptable pour calmer les populations, autant se résoudre à un carnage anonyme. Puis on nommera une commission d’enquête. On pourra lui raconter tout ce qu’on voudra, tout sera noté, donc exact. Puis comme en l’occurrence, nous n’avons pas besoin de coupable, à part le loup, on oubliera. Avec le temps. (p. 79)

Grâce au fait divers l’auteur tisse une trame socio-politique en arrière-plan de son intrigue qu’il inscrit dans une durée limitée puisqu’il y a urgence. Il faut agir vite.

Puisque loup il y a, présent et invisible, cela entraîne l’utilisation sur scène d’objets concrets qui servent d’appui de jeu et acquièrent aussi une fonction symbolique. C’est le cas du fusil qui passe de mains en mains, instrument de mort et de pouvoir ; plusieurs coups de feu, trois, sont tirés. C’est aussi le piège à loup qui se referme, comme pour l’accuser, sur le pied de Velt, à l’acte 3, scène 4.

Velt (se mordant le poing) : … Hou ou aou ! Surtout ne pas cri-aye-ier ! Non. Que c’est bête ! […] Pourquoi maman mon pied gauche ?

Pourquoi le mien à moi qui suis si gentil le dimanche ?

aouh maman le piège me tire jusqu’aux souriceaux !

Quel est l’idiot qui m’a foutu cette bricole à denture dans l’herbage de ma forêt ? (p. 96)

C’est également la peau du loup qu’il faut pouvoir exhiber. Philadelphie s’en empare à l’acte 3, scène 5.

Elle sort vivement du mirador

la peau du loup

referme avec précaution

puis s’installe sur les marches

La la la ! Ne pas s’en faire !

Il est venu, il est venu !

Oh maman est-il venu ?

Comme il est râpeux !

Pourquoi ne le voulait-il pas l’enlever, maman, son costume ? (p. 100)

Elle confie la dépouille à Hildegarde qui la porte sur son dos.

Au début de la scène finale, Velt reparaît et, selon les didascalies : « Il porte sa gibecière, son fusil et le pardessus noir du loup qu’il accroche à des patères »(p. 110). Le pelage est devenu costume. Atténuation ou constatation de la proximité entre humains et animaux ?

Une partition sonore s’organise dès l’acte 1, scène 4 : « La lune se lève. Au loin le premier hurlement du loup » (p.37). Et ainsi tout au long de la pièce, par exemple acte 3, scène 2 : « Au loin le loup hurle » (p.91) Le point culminant est atteint à la fin de l’acte 3, scène 6 : « Tout alentour éclate un concert de hurlements qui ne sont pas que d’animaux, les hommes étant si bêtes parfois » (p.109). C’est l’une des morales de l’histoire. Elle est d’autant plus troublante que l’on ne voit jamais le loup, même si tout au long de cette scène 6 on l’entend remuer, gémir et que son ombre se précise.

Crainte, peur et sang, tous les éléments sont là pour imposer la sensation d’une menace de mort. Qui sera tué, par qui ?


À l’instar du personnage d’Hildegarde qui tente obstinément de rappeler la légende du loup du nord, Billetdoux organise sa pièce comme un conte. Les références abondent ; dès l’acte 1, scène 2, le « Petit chaperon rouge » (p. 20) est mentionné. Dans ses notes préparatoires [2], l’auteur évoque la Belle au bois dormant, Blanche neige endormie et il fait allusion à Bruno Bettelheim dont le livre La psychanalyse des contes de fées [3] connaît un grand succès dans les années 1976-1981 qui correspondent à la gestation de l’œuvre. Bien entendu on perçoit des échos de la célèbre comptine « Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n’y est pas » qui est utilisée directement p. 89.

Billetdoux s’interroge sur ses personnages et sur ce qu’ils représentent comme symboles.

 Philadelphie – n’a pas d’arrière-pensées, ne calcule pas

– elle est amoureuse de tout ce qui vit, en tant que métamorphose dont la mort fait partie, ainsi que le vieillissement et elle souffre sans cesse de tout ce qui empêche l’amour

– elle est drôle parce qu’elle dit « ce qui est » comme elle le voit et l’entend.

Velt est un énorme peureux qui cherche sans cesse à rassurer par « bon sens ».

Le Dr Cornélius est un « puits de sciences » qui ne sait rien, que par « savoirs ».

Mme Abigaïl est une « consommatrice », elle cherche l’avoir. C’est une ogresse de l’amour sexuel, de l’argent, du pouvoir (la réussite).

Hildegarde est une « ordonnée », une sorte d’insecte humain qui accepte tout ce qui est « dans l’ordre ».

Le Préfet est un représentant en principe du pouvoir, du gouvernement, du peuple mais en fait de quelque chose qui n’existe pas et change tout le temps : « l’opinion publique [4]. »

Il dessine ainsi le schéma d’une série de situations qui sont comme autant d’étapes d’un conte.

Ainsi donc, il était une fois un Monsieur Victor Velt qui avait ramené du pensionnat dans sa maison forestière sa fille unique et souffrante Philadelphie. Il lui avait donné une nurse Hildegarde. Et il avait pour amante la séductrice Abigaïl. On le voit, Billetdoux est doué pour l’onomastique. Il s’en amuse dans son texte : « Velt : […] Mon nom d’origine est Weltanschaung. Mais loin, loin. Puis Weltang. Enfin Welt. Avec double V. Aujourd’hui n’en reste qu’un. Avec le temps. » (p. 29)

Philadelphie célèbre l’amour fraternel et sororal [5]. Abigaïl évoque l’exultation du père.

Il y a dans la maison une double menace, celle du loup, extérieure, celle du père irrité, intérieure. La petite fille de neuf ans déclare que le loup vient la chercher. Elle demande à son père de le protéger. Le pacte est assorti d’une menace.

Philadelphie : Mais si tu pars avec ton fusil

Dès que tu auras fermé la porte

À chaque heure qui passera

Je vieillirai d’une année.

Velt : Ah mon petit comme on t’a bourrée de contes !

Il faudra que j’y remédie.

Philadelphie : Si tu reviens à minuit tapante

J’aurai presque mes dix-huit ans

Je saurai si je suis jolie.

Mais si c’est seulement demain à midi

J’en aurai trente oh mon papa

je serai vieille fille

sans avoir fait de bêtises.

Jure promesse s’il te plaît

d’accorder ta sauvegarde

à mon loup tout éperdu !

Velt : C’est promis. » (p. 23-24)

Mais la promesse n’est pas tenue. Et lorsque Velt rentre au logis après trois jours et quatre nuits de chasse, la petite a quatre-vingt-trois ans ! L’effet théâtral est puissant. Il impose un changement d’interprète très soigneusement élaboré puisque et le public et les personnages mettent longtemps, jusqu’à la scène 5 de l’acte 2, à voir vraiment l’apparence de Philadelphie.

Entre Philadelphie-vêtue en jeune fille de pensionnat, dans un vêtement de sa mère-tenant son gros oreiller qu’elle ne lâchera pas.

Philadelphie (faisant révérence) : Oh le bonjour docteur Cornélius ! Me voilà debout ! ça vous ébaubit !

Cornélius (rendu stupide à son tour) : Non ne m’embrassez pas ! Euh je suis bourré de microbes ! » (p. 53)

Ce jeu de bascule exacerbe soudain les relations entre les personnages et ajoute au thème de la fascination effrayée pour le loup, celui du conflit des générations.

Comme le remarque Billetdoux dans son avant-propos : « Le théâtre sert à retrouver ce sens de la vie que l’on renifle dans l’adolescence, au-dehors et au-dedans, puis que l’on perd vers la quarantaine dans “l’ambiguïté du concret”, en découvrant avec plus ou moins de bonheur la conscience d’une solitude » (p. 7).

Dès lors on comprend que le sujet principal de la pièce est la confrontation du Père et de sa Fille. L’enfant abandonnée, ignorée, mal aimée, annonce son mariage à l’assemblée ébahie : « Devinez avec qui ? Devinez !…Vous ne pourrez pas le croire ! Avec le loup ! Oui, qui se nomme Lupus Lazuli » (p. 54).

Les rôles liés à l’âge étant renversés, les adultes perdent pied et s’allongent sur le sol. « Bientôt trois des grandes personnes seront couchées par terre, en grappe, avec Velt accroupi, sous l’œil étonné de Philadelphie qui se tient à distance, son oreiller contre elle » (p.60).

Un des moments les plus importants se situe à l’acte 3. « Dans la luminosité bleue de la nuit : le mirador bâti dans les branches d’un vieil arbre immense planté sur une colline en clairière, surplombant la forêt profonde » (p.81). Billetdoux en a fait un dessin dans ses notes préparatoires. C’est une cabane enfantine où Philadelphie apporte des objets de ménage minuscules qui sont des jouets.

C’est aussi un lieu suspendu qui illustre le combat symbolique du haut et du bas, de l’esprit et du corps, du ciel et de la terre, de l’innocence et de la compromission. Billetdoux esquisse un schéma du conflit dans ses notes :

esprit

Lucifer en haut Mirador

VELT

Philadelphie Abigaïl

Âme Animal Corps

dedans en bas dehors [6]

À ce moment là Velt se trouve tout à fait déconnecté de sa fille et incapable de communiquer avec elle. Il la vouvoie, l’appelle Madame, s’emporte. Les échanges entre eux sont semi- délirants.

 Velt : Comment croire oh comment croire que tu es Philadelphie ?

Philadelphie : Je le suis comme la graine et l’œuf et le nuage. J’en donne mon petit doigt à couper.

Velt : Quel changement quand même ! Et pour quel profit ?

Philadelphie : Ça c’est le secret du papillon multicolore. Mais oh mon papa, moi c’est moi ! C’est moi !

Elle se coupe le petit doigt.

Au loin le loup hurle. (p. 91)

 Culpabilité, colère, menace et désarroi. Qui va être sacrifié ? Qui va être sauvé ?

On devine du coup le sens caché du titre de la pièce. À plusieurs reprises dans ses notes Billetdoux fait allusion à « la fille de Jaïre [7] ». Dans son texte il indique que Philadelphie a neuf ans, bientôt douze (p. 21, 101, 110). Dans la Bible (Marc 5 : 21-43, Matthieu 9 :18-26, Luc 8 :40-56), il est rapporté que Jésus a ramené à la vie la fille de Jaïre , âgée de douze ans, en prononçant ces paroles, en araméen, « Talitha Koumi », ce qui veut dire : « Jeune fille réveille-toi ».

La pièce nous fait suivre à sa manière la mise à l’épreuve initiatique de Velt, le père et de Philadelphie sa fille, qui se transforme et change d’âge.


« Qui rêve qu’il dort ? » lance Philadelphie à Hildegarde lors de leur confrontation à l’acte 3, scène 5 (p. 101). Billetdoux compose avec soin une pièce onirique, ce qui lui donne une grande liberté de langage et d’invention scénique. C’est probablement pour cela qu’il met en exergue à son texte d’introduction une citation d’Arcane 17 d’André Breton (p. 7).

Une grande partie de l’action se déroule au crépuscule ‒ acte 1 ou en pleine nuit ‒ acte 3 sauf la scène finale. Au cours de la scène 5 de l’acte 1, on assiste à l’endormissement progressif d’Hildegarde et de Philadelphie qui va commencer sa transformation.

Philadelphie : […] mais à quoi je sers en ce monde

Si je ne peux même plus même

Faire danser mes petits doigts ?

Elle essaie en vain de remuer les mains

au-dessus des couvertures

dans la lumière en provenance du miroir-sorcière. (p. 39)

L’ambition de l’auteur est de constituer « un RÊVE VRAI », il écrit ces mots en majuscules dans ses brouillons [8]. Il consulte un livre sur les cauchemars de l’enfant [9]. Il note des remarques comme venues du subconscient qui peuvent servir de soubassement à l’histoire racontée : « Un rêve vrai. Une petite fille qui ne veut pas dormir/mourir, exsangue, qui étouffe d’interdits, qui veut croire » et qui souhaite « se faire re-connaître comme personne par le père [10] ». François Billetdoux rédige aussi quelques notes par ci par là sous la rubrique « pour moi père » et s’appuie sur sa propre expérience avec ses filles.

Il règne un climat de divagation comme si les personnages ne contrôlaient pas leurs discours et leurs comportements, un mélange très bien dosé d’inquiétude, d’humour, de poésie et d’interrogation finement définie par la citation de Goethe placée avant le texte : « Quel est le secret le plus important ? Celui qui se révèle » (p. 11).

Avec sa partition sonore forestière, ses jeux d’ombres fantasmagoriques, ses corps qui se cherchent, ses paroles claires et confuses portées par une langue vive et légère traversée par le modèle des comptines enfantines, la scène est le lieu de l’entrecroisement des rêves.

La séquence finale a été réécrite en juillet 1988 pour les représentations [11]. De façon plus nette que dans la version précédente de 1981, elle propose une sortie de l’épreuve, de l’obscurité et donne à voir, au petit matin, les retrouvailles entre Velt, qui « arrive en fort mauvais état avec un gros pied plâtré » et Philadelphie redevenue petite fille : « Philadelphie ‒ neuf ans bientôt douze ‒ apparaît noircie de fumée dans sa longue chemise déchiquetée et une “poupée” au petit doigt. » (p. 110-111). Nouvelle permutation d’interprète, et amorce d’un dialogue de réconciliation.

Velt : Ah Phila philon philou ! Je veux t’embrasser. Mais je n’ose pas.

Philadelphie : C’est que je suis encore bien dépenaillée.

Velt : Certes. Moi de même. Mais juste un tout petit peu dans le cou !

Elle tend le cou. Il y pose un baiser.

Je ne sais s’il vient à mordre (p 112)

 Le sort jeté s’en est allé. Comme si tout le monde avait dormi et rêvé ce qui vient de se passer. Restent un père et sa fille qui refont connaissance. Et le loup en chacun de nous.

Suprême élégance, le « je » dans la didascalie finale. À nous d’imaginer.


C’est une bien belle pièce que François Billetdoux a écrite presque au terme de sa carrière de dramaturge. Elle appartient à cette catégorie des œuvres qui parlent de l’adolescence et s’inspirent des contes. On peut évoquer parmi ses contemporains Romain Weingarten, auteur de L’Été (1966) et aujourd’hui Joël Pommerat qui aime raconter à sa façon Le Petit chaperon rouge (2004), Pinocchio (2008) ou Cendrillon (2011).

Par chance Billetdoux a rencontré un metteur en scène qui a su avec son équipe trouver le bon registre et le juste équilibre pour donner à la pièce sa pleine force. Du coup nous souhaitons laisser la parole finale à Jorge Lavelli qui lorsqu’il a reçu le manuscrit ‒ donc bien avant de se lancer dans la création, lui a écrit depuis Marbella, le 28 août 1986 :

[…] C’est du plus beau théâtre qui soit ; celui qui embrasse dans un même mouvement la réalité et le rêve, le mythe et la fable, le quotidien et l’allégorie et tout cela avec une simplicité et une élégance surprenantes. Les personnages sont sensibles et touchants et l’humour, toujours présent, ne cesse pas de les accompagner : ils finissent par nous séduire et envahir nos pensées [12].

Document

Texte de la dernière scène de la pièce, acte 3, scène 7 dans la version du manuscrit de 1981. BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (329).

Dans la grande chambre
qui a l’air encore plus immense que d’habitude
Velt entre fatigué, sale, dans une tenue de chasse
avec un gros pied plâtré.
Velt : Phila ! ma Delphine ! Hop c’est l’heure ! Voilà ton papa du matin chagrin qui s’en vient sonner ton réveil !..
Quelle est donc dongue don la vilaine qui ne veut pas quitter son lit ?..
Mon dieu, mon dieu ! rien qu’un polochon dans les couvertures ! Encore un malheur !
Et les gouttes de sang partout ! partout !
Philadelphie (off) : Hou hou hou !
Velt : Où es-tu ?
Philadelphie : Dans la cheminée ! Je me fais voir les étoiles.
Velt : En plein jour ?
Philadelphie ‒ 9 ans bientôt douze ‒ apparaît noircie de fumée
dans une longue chemise déchiquetée
et une « poupée » au petit doigt.
Philadelphie (faisant révérence) : Le bonjour, mon papa. Je ne t’attendais pas de si tôt.
Velt : Vous m’avez bien petite mine !
Philadelphie : En votre absence, je m’avais coupé mon petit doigt qui dit tout.
Mais il m’a repoussé la nuit dans le ruisseau
qui s’en va lon laire.
Velt : Et que vous dit-il de neuf ?
Philadelphie : Ah ça c’est encore un secret tralala.
Velt : Nous reprendrons cette conversation plus tard.
Philadelphie : Non mon papa n’entre pas dans la salle de bains. Elle est occupée.
Velt : Ah oui j’avais oublié Hildegarde.
Philadelphie : Oh elle a bien du tintouin. Elle est plongée dans les dictionnaires, sous la tonnelle d’aristoloche. Ce qu’on se demande, c’est si on pourra te garder.
Velt : C’est à dire ?
Philadelphie : Supporteras-tu de vivre dans une maison de verre ?
Velt : Ah ça quand même comme allusion c’est trop ! S’il y a quelqu’un mon petit qui a toujours eu horreur du mensonge, eh bien je ne sais pas qui c’est !
Philadelphie : Et à quoi lui sert-il ce gros pied-là qu’il a ?
Velt : À battre la mesure ! pan pan pan tireli relan !
Mais à quel moment, ma petite maman, aurai-je l’autorisation d’accéder à mon lieu de toilette ?
Philadelphie : Pas avant quarante jours.
Velt : Simple curiosité ! Je peux me laver dans le vieil abreuvoir. Mais qui est donc dans la salle de bains ?
Philadelphie : Oh à peu près personne ! Si minuscule ! On se demande qui c’est. Il n’a pas dit son nom.
Velt : Et que fait-il ?
Philadelphie : Oh il flotte ! Il est dans la baignoire. Oh papa, mon papa, je n’ai pas pu faire autrement !
Velt : Et d’où nous vient-il ?
Philadelphie : Du ruisseau, je pense. Ah ne lui fais pas peur ! Il est encore sauvage !
Velt : Ah bon ?
Elle le conduit en catimini
vers la porte de la salle de bains
qu’elle ouvre avec précaution.
Philadelphie : C’est un enfant loup, mon papa ! Mais un peu loup de mer.
On entend le vilain cri
D’une sorte de bébé phoque
Velt : Ra ro roh ! Comme il me ressemble !
François Billetdoux. 13 août 1981

Notes

[1] Bnf, Département des Arts du spectacle, fonds Billetdoux, 4-COL-162 (328), brouillons manuscrits, feuillets 92-110.

[2] BnF, fonds Billetdoux, 4-COL-162 (327) feuillet 32.

[3] Bruno Bettelheim, La psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 1976.

[4] BnF, fonds Billetdoux, 4-COL-162 (327) feuillet 31.

[5] « Philadelphie : fraternité. Reconnaître l’autre quel que soit l’âge » (BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (327) feuillet 34).

[6] BnF, fonds Billetdoux, 4-COL-162(328) feuillet 59.

[7] BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (328) feuillets 128 et 195.

[8] Id., feuillet 59.

[9] Id., feuillet 287.

[10] BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (327) feuillet 34.

[11] BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (330).

[12] BnF, fonds Billetdoux 4-COL-162 (756)

Bibliographie

BILLETDOUX, François, Réveille-toi, Philadelphie !, Paris, Actes Sud-Papiers, 1988.

BnF Archives et manuscrits, Fonds Billetdoux, François. Sous-unités de description :

4-COL-162 (326) Notes préparatoires et brouillons

4-COL-162 (327) Contenu d’une chemise intitulée « Aspects généraux » notes préparatoires manuscrites autographes

4-COL-162 (328) Brouillons manuscrits

4-COL-162 (329) Texte manuscrit autographe de la pièce

4-COL-162 (330) Version révisée de l’acte III, scène 7

4-COL-162 (756) Correspondance adressée à François Billetdoux par Jorge Lavelli.

Gallica (site BnF) montre 37 photographies du spectacle par Daniel Cande, 1988.

Le Théâtre national de la Colline donne accès sur son site, à la rubrique archives, à quelques photos du spectacle, à l’affiche et au programme de salle.

Auteur

Professeur émérite en études théâtrales à l’université Paul Valéry Montpellier.

Ses recherches portent sur l’histoire et l’esthétique du théâtre : Gaston Baty, Actes Sud-Papiers, 2004 ;  participation à l’édition du Théâtre complet de Jean Cocteau, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2003 ; contribution à l’anthologie Le Théâtre du XX° siècle, Histoire, textes choisis, mises en scène, Avant-scène théâtre, 2011.

Il travaille régulièrement comme dramaturge, particulièrement avec le metteur en scène Jacques Nichet,  voir son livre Je veux jouer toujours, Milan, 2007 et Dramaturgies, mélanges offerts à G. L., Espaces 34, 2013.

Copyright

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«Sans arrêt l’oreille doit être à nouveau conquise» : la radio au service du théâtre des paroles novarinien


En 1980, Valère Novarina propose à l’Atelier de création radiophonique sa première émission, significativement intitulée « Le Théâtre des oreilles ». La radio s’est en effet emparée très tôt de l’écriture dramatique radicale de ce jeune auteur qui peine à trouver son public, et dont l’œuvre se caractérise par son oralité et son rejet de l’idée de représentation. Jusqu’en 1998, date à laquelle le théâtre de Novarina sera révélé à un public plus large, l’Atelier de création radiophonique va ainsi devenir pour le dramaturge à la fois le lieu où affirmer les partis pris théoriques et esthétiques de son « drame de la parole » ; le laboratoire où mettre à l’épreuve son théâtre des voix ; et la scène sonore où créer quelques-unes des meilleures interprétations de ses œuvres.

In 1980, Valère Novarina gave the Atelier de Création Radiophonique his first radio program, which was significantly entitled “The Theater of the ears”. Indeed, radio quickly took over the radical dramatic writing of this young playwright struggling to find his audience, and whose work is characterized by orality and a rejection of the idea of representation. Until 1998, when Novarina’s work would reach a larger audience, the Atelier de Création Radiophonique thus became for the playwright the place to assert the theoretical and esthetical position of his “word drama” ; the laboratory where he could test his theater of voices ; and the sound stage where some of the best performances of his work were created.


Texte intégral

L’aventure radiophonique de Valère Novarina commence alors qu’il est très jeune, et elle décide de son avenir d’écrivain. Novarina a raconté à plusieurs reprises cette expérience fondatrice : il a quinze ans, et sur le poste à galène qu’il a fabriqué lui-même il capte avec ses écouteurs, une nuit, à la radio suisse romande, les notes d’une sonate de Beethoven. C’est à la suite de la vision éprouvée en écoutant ce morceau de piano à la radio qu’il rédige ses premiers écrits littéraires :

La pulsion d’écrire m’est venue de ce contact sonore. Quelque chose s’est déclenché, du côté du langage, par l’oreille. Depuis lors, dans chaque phase d’écriture intense, j’éprouve des sensations physiques particulières, une sorte de sensibilisation douce du côté de l’oreille : presque une caresse, comme un toucher [1].

De fait, tout au long de sa carrière d’auteur dramatique, Novarina n’a cessé d’affirmer son appartenance à la littérature orale, déclarant écrire pour la voix, mettre en scène « le drame de la parole [2] » et pratiquer l’écriture de façon à se délivrer de l’idée de représentation [3]. Dans un de ses tout premiers textes, Le Babil des classes dangereuses [4], dont le titre est en lui-même explicite, il met en scène les personnages de Bouche et Oreille. Novarina parle d’ailleurs de ce texte, qui date de 1972, non comme d’une pièce ou d’un livre mais comme d’un livret, impraticable sur scène, et à lire à haute voix [5]. Par la suite, il théorise abondamment l’art de l’écrivain et celui de l’acteur comme exploration, incorporation, mastication et profération de la matière du langage, un art du mouvement et de la danse des mots, autant que de l’espace et de la résonance produits par la parole émise. Il fait son théâtre de la combustion du verbe traversant les corps. On ne s’étonne donc pas que la radio ait accompagné la trajectoire de Novarina, qui faisait à la question « Vous considérez-vous comme un auteur de théâtre ? », la réponse suivante, qui semble décrire les composantes de l’écoute radiophonique :

Non. Je pense que j’essaye de faire des pièces de théâtre, que je n’y arrive pas, parce que je suis un aveugle : quand j’écris je ne vois rien. J’entends absolument tout, j’entends comment les choses doivent être dites mais je n’ai pas de représentation de la scène, alors ça se passe complètement dans le noir. On crée les choses beaucoup à partir de ses infirmités. J’ai une situation d’infirme par rapport au théâtre [6].

1. Une scène radiophonique pour porter atteinte au théâtre

Tel fut le point de départ. Il fallait ensuite qu’ait lieu la rencontre avec la radio. À cet égard, la situation des auteurs dramatiques face à l’Atelier de création radiophonique est particulière, puisque l’année même où celui-ci est créé, en 1969, se crée également le Nouveau répertoire dramatique, sous l’impulsion de Lucien Attoun [7]. C’est d’abord ce dernier qui propose à Novarina, en 1972, de diffuser sa première pièce, L’Atelier volant, que vient de publier la revue Travail théâtral [8]. La mise en ondes est assurée par Georges Peyrou, dans une version remaniée pour la radio par Novarina, et la réalisation [9], bénéficiant d’une remarquable distribution [10], est à la hauteur de cette première pièce ambitieuse. Sans chercher à tirer parti des ressources propres du langage radiophonique, elle présente néanmoins une dramaturgie des voix qui déploie la parole novarinienne dans la pluralité de ses dimensions, qui travaille les écarts avec les intonations et les interprétations attendues, qui invente un équivalent spatial, sonore, vocal et rythmique à l’étrangeté d’un texte frayant déjà très loin des côtes réalistes et des conventions dramatiques. L’émission n’appartenant pas au corpus de l’Atelier de création radiophonique, il ne s’agit pas ici d’en analyser plus longuement les procédés. Notons simplement, mais c’est essentiel, qu’en l’occurrence la radio s’empare immédiatement d’une œuvre déroutante (dont Jacques Sallebert, alors directeur de la Radiodiffusion, interdit la diffusion le 22 avril 1972, parce que la pièce est trop brûlante et critique sur le plan politique !), de l’œuvre d’un inconnu, un auteur dramatique qui n’a encore jamais été mis en scène, et qu’elle va répondre au désir de Valère Novarina d’écrire hors de l’économie du théâtre, ou contre le théâtre.

On ne peut en effet dissocier l’aventure radiophonique de Novarina de sa trajectoire d’auteur et d’homme de théâtre. Or l’autre épisode fondateur de la relation de Novarina à la radio est la mise en scène de L’Atelier volant, sa première pièce donc, en 1974, par Jean-Pierre Sarrazac [11]. Elle est à l’origine d’un malentendu profond entre les deux hommes [12], et Novarina, ne supportant pas d’être chassé des répétitions, écrit alors en deux jours la Lettre aux acteurs [13] : ce pamphlet, qui fait le procès des metteurs en scène, énonce une nouvelle théorie de l’acteur qui remet celui-ci au centre du phénomène théâtral et au centre du texte lui-même. Le spectacle de L’Atelier volant connut ensuite un accueil particulièrement houleux et les rapports dégénérèrent à l’intérieur de la troupe.

Cette première expérience violente du passage de son texte à la scène conduit alors Novarina à écrire contre le théâtre, contre l’économie des spectacles dramatiques : économie temporelle (un spectacle ne doit pas excéder une certaine durée), économie de personnel (il doit comporter un nombre de personnages réduit), économie spatiale (peu de changements de lieux, comptabilité des entrées et sorties), etc. Le Babil des classes dangereuses, rédigé après L’Atelier volant, met en scène 257 personnages, dans des lieux impossibles, dans une longueur de texte impossible ; La Lutte des morts [14] nomme 1000 personnages et fait 200 pages, Novarina écrit aussi ce texte avec la volonté de produire une œuvre impossible à mémoriser ; enfin Le Drame de la vie [15] culmine à 2587 personnages – même si le terme de personnages ne convient plus, puisqu’il s’agit plutôt d’entités vocales surgissant le temps d’une réplique et disparaissant aussitôt. Ainsi s’ouvre la période des écrits utopiques de Novarina, des textes démesurés qui tournent le dos au plateau. Cette période correspond également pour l’auteur à une traversée du désert, à la fois scénique et éditoriale. Ses textes sont refusés partout, entre 1972 et 1978, et la véritable percée scénique de l’œuvre novarinienne n’interviendra qu’en 1984, lorsqu’André Marcon la fera entendre [16].

Ajoutons enfin, pour achever cette présentation du contexte général dans lequel se développent les relations entre Novarina et l’Atelier de création radiophonique, qu’au-delà du cas particulier de Valère Novarina, les années 70-80 correspondent à une époque sombre pour les auteurs dramatiques : d’une part les « grands » metteurs en scène entrent en action ; d’autre part, de Grotowski à Mnouchkine, le statut du texte sur scène change radicalement ; enfin le théâtre se voit placé sous le régime du visuel, au détriment de la dimension sonore, par la primauté donnée à la mise en scène et à la « co-présence active, physique, des acteurs et du public », comme l’a analysé Marie-Madeleine Mervant-Roux [17]. Durant cette période, la radio devient le refuge des auteurs et des textes, elle continue de la sorte à assurer sa fonction de laboratoire du théâtre contemporain, en y ajoutant celle d’éditeur, comme en témoigne Liliane Atlan :

Après 68, il s’est passé qu’on aurait pu mourir, il y a eu une série d’années noires pour les auteurs dramatiques, il suffisait d’être auteur dramatique pour être piétiné, et à ce moment-là, France Culture […] nous [a] permis de survivre, la diffusion sur France Culture était devenue une forme d’édition, et je dirais même la seule forme d’édition où on puisse encore jouir d’une vraie liberté [18].

Novarina entérine ces propos, déclarant : « C’était une époque où France Culture (avec Alain Trutat, Lucien Attoun) jouait un rôle important pour nous tous : la radio était le premier endroit où l’on pouvait faire entendre ses textes [19] ».

C’est donc dans ce contexte que l’Atelier de création radiophonique ouvre ses portes à Novarina, en 1980. Le compagnonnage entre l’ACR et l’œuvre de Novarina donnera lieu à huit émissions, échelonnées entre 1980 et 1994. Pourquoi s’arrête-t-il en 1994 ? En 1989, Novarina met en scène Vous qui habitez le temps au Festival d’Avignon ; puis en 1991 Je suis au Théâtre de la Bastille, et en 1995 il monte La Chair de l’homme au Tinel de la Chartreuse à Avignon. À partir de là, les créations s’enchaînent, d’autant qu’en 1998 la mise en scène de L’Opérette imaginaire [20] par Claude Buchvald conquiert soudain à Novarina un public élargi. Les créations radiophoniques cessent dès lors que l’auteur trouve à s’exprimer directement sur la scène. Si Novarina reste très présent sur les ondes (le catalogue de l’Inathèque affiche 290 notices lorsqu’on tape son nom), c’est désormais par le biais des entretiens, régulièrement programmés à l’occasion de la publication de ses livres ou de la création de ses spectacles.

La radio, et plus particulièrement le Nouveau répertoire dramatique et l’Atelier de création radiophonique, auront donc pleinement joué leur rôle de têtes-chercheuses, d’éclaireurs, de diffuseurs, de promoteurs, de tremplins d’une œuvre radicale qui a mis presque vingt ans à trouver son public au théâtre.

2. La radio comme laboratoire et mise à l’épreuve d’une écriture d’oreille

Comment Novarina s’est-il emparé du médium radiophonique ? Quelles fonctions la radio a-t-elle rempli à l’égard de l’œuvre novarinienne ? En réalité, sur les huit émissions réalisées, deux seulement sont le fait de Novarina lui-même, la première et la dernière. Elles se démarquent nettement des autres, et attribuent deux fonctions distinctes à la radio. En 1980, Novarina aborde la radio à la fois comme un lieu et un outil d’expérimentation, comme un laboratoire et une mise à l’épreuve de son langage. Carte blanche lui est donnée par Alain Trutat pour réaliser une émission qu’il intitule Le Théâtre des oreilles. Elle dure plus de deux heures et s’est constituée à partir de quatre séances d’enregistrement au studio 110 de la Maison de la Radio.

À cette époque, Novarina expérimente divers supports artistiques qui sont à la fois des prolongements et des dérivatifs de son activité d’écriture. Il a commencé à dessiner en 1978 mais c’est en 1980, la même année que cette première émission radiophonique, qu’il se livre à ses premières performances de dessin en public [21], performances qu’il appelle des crises de dessin. Or l’émission radiophonique va lui permettre de plonger plus avant dans l’univers sonore qu’il a déjà commencé à travailler par l’écriture, de développer ses recherches sur l’oralité et la voix, et de tâter du langage instrumental. Il s’enferme donc dans le studio 110 avec ses livres, La Lutte des mortsEntrée de l’homme de Valère dans le Théâtre des oreillesNaissance de l’homme de V., et des instruments : « piano, célesta, xylophone, violon, trompes, contrebasse, flûte, cor, guitare, clarinette, accordéon, voix, pieds, mains [22] ».

L’émission, expérimentale, se présente comme une immersion sonore dans un milieu – acoustique – où les frontières entre langage instrumental, langage verbal et langage vocal tendent à se dissoudre, où Novarina travaille les traversées de l’un à l’autre, les frottements : pour sortir la voix de son insularité, comme il œuvre dans ses textes à sortir le verbe de son carcan signifiant ; pour mettre en présence, comme les protagonistes d’une pièce, les différents régimes de la parole et de la voix, du bruit au son, du son au mot, du mot à la modulation, etc.

Dans La Lutte des morts, il a porté à son paroxysme une écriture visant à déstabiliser perpétuellement la lecture et l’audition, à maintenir lecteur et spectateur sur le qui-vive. L’idée centrale de ce texte était de supprimer toute perspective sémantique, sonore ou rythmique, en se fixant l’objectif fou d’écrire une langue faite d’hapax, une langue qui en finirait avec « ses refrains, son vieux système stupide d’écho [23] ». La méthode appliquée était la suivante : « […] une méthode à faire dire à sa bouche tout ce qu’elle veut. Il voulait la plier, la travailler, la soumettre tous les jours à l’entraînement respiré, l’affermir, l’assouplir, la muscler par l’exercice perpétuel – jusqu’à ce qu’elle devienne une bouche sans parole, jusqu’à parler une langue sans bouche [24] ». Son émission radiophonique prolonge et amplifie cette recherche méthodique, en tressant à ses textes sa propre voix et celle des instruments qu’il manipule, en explorant toutes les possibilités expressives et discordantes, c’est-à-dire échappant aux cadences et aux harmonies préétablies, de ces trois langages.

En somme Le Théâtre des oreilles élargit la pulsion expressive au corps entier de l’auteur, en prolongeant ses attributs (bouche, mains, pieds) par les instruments et en permettant à l’ensemble des sons émis de résonner dans l’espace. Le Théâtre des oreilles devient, matériellement, une scène et une mise en scène sonore où peut s’incarner la page écrite ; c’est l’unique possibilité offerte à Novarina de se faire homme-orchestre de son œuvre, et de lui donner, sans l’intermédiaire des acteurs et des musiciens, un corps sonore dans l’espace et le temps. On sait que Valère est un acteur empêché [25], un danseur empêché, peut-être un musicien empêché. Dans le cadre spatial, temporel et acoustique du studio 110, plus rien ne l’empêche. L’émission est une performance physique, à l’image des lectures-marathon que Novarina a inaugurées en 1972 et qu’il va poursuivre au long des années 1980. Le mot Théâtre du titre est donc à prendre au pied de la lettre, un théâtre de la dépense respiratoire et articulatoire, de l’athlétisme pulmonaire et vocal.

De fait, dans ses expériences sonores, Novarina s’inscrit sans aucun doute dans les pas de deux illustres devanciers. En explorant les possibilités expressives de la voix hors du mot, en conduisant l’oreille aux limites des cris et des bruits qu’il tire de son appareil phonatoire et des instruments, il évoque l’émission d’Artaud, Pour en finir avec le jugement de dieu : réalisée en 1947, elle est finalement diffusée en 1973 et Novarina n’a pu que l’écouter. On sait la place qu’occupe Artaud dans son œuvre, Artaud à qui il consacre une année entière et son mémoire de Master en 1965. L’autre grand aîné est Jean Dubuffet, avec qui Novarina engage une correspondance nourrie à partir de 1978 [26]. Dubuffet, grand défigurateur de l’image humaine, pour reprendre une expression chère à Novarina, s’est aussi aventuré du côté de la défiguration de l’écrit. En 1960 il fait paraître La Fleur de barbe [27], qu’il met en ondes en 1961, dans une émission [28] où on l’entend dire son texte, qu’il tresse déjà dans un réseau serré d’échos, d’improvisations musicales, de bruitages vocaux et de contrepoints sonores. Comme Le Théâtre des oreilles, La Fleur de barbe tient autant de la performance physique éprouvante que de l’émission radiophonique. Dubuffet, par ailleurs prévenu par Novarina de la diffusion du Théâtre des oreilles, lui en fera compliment :

Et le dimanche 22 juin la longue fête à France Culture, je l’ai trouvée excellente, très étonnante et régalante. Les séquences de musique m’ont paru de même farine que les musiques que j’ai faites moi-même naguère. Votre idée qu’on est jeté non dans un monde mais dans une langue, que c’est la langue et non un sang qui coule dans nos veines, est on ne peut plus fondée. Reste à tirer parti de ce faux sang [29].

On aura compris que Novarina s’intéresse de façon essentielle à ces questions de pratique du souffle, et de passage entre le souffle et la parole, entre le souffle et la pensée. Il ramasse sa pratique d’écrivain dans cette formule : « Écrire comme un expiré » et décrit ainsi le besoin qui le pousse à dire ses textes à haute voix :

Impression grandissante de folie, de forcer le monde à entendre une autre langue. Comme un sacrifice. J’offre une maladie. Besoin physique, après le livre qui s’écrit toujours en silence, de donner une lecture pour achever l’expulsion et réapprendre à souffler. […] Il ne s’agit pas d’interpréter, de diffuser oralement le texte écrit mais de pratiquer une expérience mentale d’expiration, comme un qui serait à chaque fois obligé de se nourrir de sa propre parole [30].

Cette théorisation intervient entre 1972 et janvier 1980, donc avant la réalisation du Théâtre des oreilles, dont on a vu que les enjeux dépassent de beaucoup la lecture des textes.

3. Le jeu radiophonique du théâtre novarinien : de l’expérimentation à l’affirmation d’un canon

En réalité c’est après 1980, dans les émissions suivantes, que l’Atelier de création radiophonique va réellement faire entendre l’œuvre novarinienne et donner la possibilité aux auditeurs de faire l’expérience, en temps réel, c’est-à-dire aussi en souffle et en oreille réels, de ces plongées dans une autre langue, de ces traversées respiratoires et verbales. Là où Novarina ne faisait entendre que des bribes de ses écrits, entrecoupées ou chevauchées par des compositions instrumentales, les émissions postérieures consacrées à son œuvre ont en commun de faire entendre les textes dans leur quasi-totalité et dans leur continuité, en dépit des coupes nécessaires pour ne pas excéder les heures d’antenne attribuées. Surtout, Novarina y procède en quelque sorte à une délégation de sa voix. Désormais, ce sont des acteurs qui prennent en charge ses textes. Sur les ondes vont s’élaborer les modes de jeu du théâtre novarinien qui s’imposeront ultérieurement sur les scènes.

En 1982, Jean-Loup Rivière crée Le Monologue d’Adramélech, tiré du Babil des classes dangereuses, dans une mise en ondes inégalée [31]. Cette fois les moyens propres de la radio sont exploités au profit du texte : la déformation des voix des acteurs, rendues enfantines, suraiguës et asexuées, leur « artificialisation » par la technique sonore, les effets d’échos et de superposition vocale, travaillent dans le sens de l’anti-réalisme du texte, de son refus de la représentation, de son tressage prosodique, et contrastent d’autant avec l’émergence de la voix d’Adramélech. À cet égard, l’émission de Rivière propose aussi un chef-d’œuvre de diction : entouré de Clothilde Mollet, Christian Rist et Gérard Wajeman, Alain Cuny y interprète Adramélech, ce roi biblique figurant aussi le roi du drame face à un monologue d’une longueur inhumaine. Son entrée a été annoncée en début d’émission par une musique de péplum digne des meilleures reconstitutions hollywoodiennes, qui vient rendre au Babil des classes dangereuses sa dimension burlesque et ludique. Mais la performance de Cuny constitue une sorte d’hapax historique de l’interprétation novarinienne, dans la mesure où il est le seul à avoir mis le texte à l’épreuve de la lenteur et des silences – prenant le contrepied du tempo virtuose, de la prouesse articulatoire et de la cadence étourdissante qu’adopteront par la suite les comédiens dans les spectacles de Novarina. Pas une syllabe qui ne soit investie de la masse physique de l’acteur, du grain de sa voix et de son souffle très audible, et ne s’en trouve prodigieusement incarnée, charriant avec elle toute une profondeur imaginaire. L’écriture de Novarina, soumise à cet inhabituel ralentissement qui équivaut à une mise à nu, ne perd rien de son rayonnement poétique et signifiant, de sa force d’étrangeté ni de sa puissance évocatrice. Au contraire, sa densité sonore et prosodique éclate.

Puis c’est en 1986 que René Farabet met en ondes Pour Louis de Funès [32], dans l’interprétation d’André Marcon, avant de réaliser en 1989 l’enregistrement radiophonique du Discours aux animaux [33], à nouveau interprété par Marcon (il s’agit en réalité d’une émission hybride, composée pour la première partie d’une captation de la performance de l’acteur à Saint-Émilion en juillet 1987, et pour la seconde partie d’un enregistrement de 1989 en studio). Pour ces deux émissions, Farabet se borne à capter et diffuser le jeu essentiellement vocal de Marcon, sans aucun recours à des procédés spécifiquement radiophoniques. Le canon du jeu novarinien « classique » se met en place, fait d’austérité (accentuée par un plateau absolument nu et par le pardessus sombre qui revêt Marcon et masque son corps) et d’une économie du geste tout entière tournée vers la mise en relief du seul texte, un jeu qui, curieusement, est presque un jeu radiophonique dans la mesure où il rejette tout effet scénique autre que la corporalité et la vocalité de l’acteur engagé dans la profération du texte. Sans cesse reprise au théâtre depuis sa création [34], la performance d’André Marcon dans Le Discours aux animaux est devenue un modèle d’interprétation du texte novarinien, une référence qui restera historiquement attachée à l’œuvre. Ici, voix du texte, voix de l’acteur à la radio et au théâtre ne font plus qu’une, formant un exemple assez rare de coïncidence des voix et de leur passation au travers des médias successifs.

Il convient d’ajouter à cette liste, bien que l’émission n’ait pas été réalisée dans le cadre de l’Atelier de création radiophonique mais du Nouveau répertoire dramatique, la création du Repas, en 1995, sous la direction de Claude Buchvald, dans une réalisation de Jacques Taroni [35]. À l’instar d’Adramélech, cette mise en ondes est remarquable, et la particularité du contexte radiophonique, la prise de risque de cette captation en direct et qui était jouée en public, ont permis aux comédiens de trouver un équilibre parfait entre fantaisie interprétative et virtuosité de la diction, splendeur sonore et vélocité rythmique, concentration et circulation des voix. Valère Novarina participe à cette création, endossant à nouveau sa casquette de lecteur, puisqu’il profère la longue liste liminaire et la liste finale. Dans ce dernier exemple, le dispositif de la dramatique réalisée en public et en direct démontre à nouveau que, dans le cas d’un théâtre de paroles comme celui de Valère Novarina, radio et théâtre tendent à se confondre : ici le théâtre se réalise pleinement dans la radio, et l’on se souvient de la définition que donne Novarina des acteurs et des spectateurs : « il y a ceux qui parlent et ceux qui viennent regarder parler, regarder la parole [36] ».

Dans le cas de Novarina, la radio aura ainsi permis aux textes, avant que le théâtre ne s’y risque, de déployer dans l’espace et le temps la parole comprimée sur la page, d’en faire entendre la force orale, le mouvement, la rythmique interne, la substance sonore. Or il faut l’avouer, sans ce passage par l’oral, sans la transmission de cette clé rythmique et intonative que Cuny, puis Marcon et la troupe de Buchvald ont su trouver, il est très difficile de s’aventurer dans la forêt novarinienne. L’Atelier de création radiophonique aura joué un rôle décisif, de courroie de transmission et de mise à l’épreuve des textes, entre l’auteur, les interprètes et les auditeurs, et elle est directement responsable de l’ouverture de Novarina à un plus vaste public, puisque c’est la réussite du Repas à la radio qui persuada la troupe de monter le spectacle l’année d’après à Beaubourg, et que cette mise en scène permit ensuite de monter L’Opérette imaginaire.

Il faut également saluer l’intrépidité de l’Atelier de création radiophonique qui, dans cette politique de promotion des auteurs contemporains, ne mit pas en ondes ce qu’il y a de plus facile à entendre mais au contraire, du moins dans le cas de Novarina, les morceaux de bravoure, et les plus indigestes : le monologue d’Adramélech, le plus long monologue de tout le théâtre français, écrit, selon Novarina, « dans la volonté d’épuiser l’acteur, de le pousser à bout [37] » ; Le Discours aux animaux, roman théâtral insaisissable se traduisant là encore par un immense monologue ; et la prodigieuse liste des choses à manger que développe Le Repas sur des dizaines de pages.

4. Un aperçu radiophonique de l’atelier du créateur

Ces réalisations diffèrent donc de celles que produit Novarina, en 1980 et en 1994, et j’en viens à cette dernière collaboration entre l’auteur et l’Atelier de création radiophonique. En 1994 Novarina crée Les Cymbales de l’homme en bois du limonaire retentissent, une émission de deux heures [38]. Comme pour Le Repas, le texte est issu de l’une des quatre gigantesques listes qui étayent La Chair de l’Homme, la rosace de la Loterie Pierrot. Il est égrené par Jean-Marie Patte, de façon délibérément lente et avec une platitude recherchée. À l’instar du Théâtre des oreilles, ce nouvel « essai radiophonique », comme le désigne Novarina, ne fait pas entendre le texte en continu. Novarina ne cesse d’y intervenir, d’en interrompre le déroulement, de la même façon qu’il tressait la lecture de ses extraits avec ses improvisations musicales et buccales dans la première émission. Cette fois, il insère dans la lecture de Jean-Marie Patte tout le matériau sonore dont il s’est inspiré pour nourrir et écrire cette liste. On entend tour à tour des chansons de Jean Liardet, homme du Chablais et grand ami de Novarina ; des bruits de la Foire de Crête ; les voix des animateurs de stand et notamment celle de la sœur de Gugusse qui faisait tourner la roue de la Loterie ; de la musique émanant des musiciens et des divers stands ; un accordéon ; des bruits d’animaux ; la voix du fameux Gugusse ; la musique du limonaire du manège Dufaud. Ce n’est donc pas tant le texte qui ressort, que ce matériau vivant, mouvant, cet écheveau de sons que l’écriture a entrepris à la fois de capter et de démêler. Loin de mettre en scène son texte pour en faire entendre la vertigineuse virtuosité, Novarina au contraire, via la lecture de Jean-Marie Patte, l’arythmise et l’aplanit volontairement, utilisant la radio pour remonter aux sources sonores de la liste, faire entendre l’univers bruissant de la foire de Crête. L’auditeur a ainsi l’impression d’entrer, concrètement, dans la fabrique du texte, et d’assister à l’incroyable processus de mise en mots silencieux de cette énorme masse sonore. La radio fait entendre l’arrière-plan de la langue de Valère, révèle les coulisses de son écriture, comme si elle faisait entrer dans son atelier.

Pour Novarina, la radio joue alors aussi le rôle d’un Conservatoire, ou d’un réservoir de ces bruits, de ces sons et de ces milliers de noms qu’il a si patiemment récoltés auprès des gens du pays, conservatoire des voix et des accents, des patois et des parlers des habitants du Chablais. Par la radio, il donne accès à des archives sonores qu’il n’a fait entendre nulle part ailleurs : dans une autre émission [39] on entend les chants des paysans de Trécout, la voix de sa mère, celle de Louis de Funès, le yiddish de Leile Fischer et de Léon Spiegelmann.

Novarina n’aura donc pas employé le médium radiophonique à seule fin de diffuser ses propres textes (on tombera d’accord, de ce point de vue, que Le Théâtre des oreilles était plutôt de nature à faire fuir l’auditeur ordinaire) : ce sont d’autres réalisateurs qui les auront fait entendre. Il n’aura pas exploité ou repris dans ses mises en scène les possibilités techniques du langage radiophonique dont certaines réalisations avaient démontré les ressources expressives, dramatiques et poétiques. Il n’aura pas non plus investi la radio pour développer une écriture spécifiquement radiophonique, à l’instar d’autres auteurs de cette époque, de Sarraute à Perec, de Butor à Prigent. Mais il a intégré la radio dans son processus d’écriture, soit pour confronter sa création verbale à d’autres expressions sonores, soit, en aval de ses textes, pour garder trace de leur genèse et remettre le texte à l’épreuve de la richesse phonique du réel. En cela, il a joué de la radio comme d’un instrument d’exigence et de vigilance à l’égard de sa propre écriture, s’appliquant à lui-même la mise en garde qu’il formule, en 1992, dans une émission qui n’est pas l’Atelier de création radiophonique mais Le bon plaisir : « On est naturellement sourd, naturellement redevenant sourd tous les jours, fabriquant nous-mêmes de la surdité et de la mort ; sans arrêt l’oreille doit être à nouveau conquise, l’oreille, c’est-à-dire l’ouverture d’un espace [40]. »

Notes

[1] Alain Berset (dir.), Valère Novarina, théâtres du verbe, Paris, José Corti, 2001, p. 353 ; Marion Chénetier-Alev et Valère Novarina, L’Organe du langage c’est la main [entretiens], Paris, Argol éditions, 2013, p. 10.

[2] V. Valère Novarina, Le Drame dans la langue française, Paris, Christian Bourgois, 1978 ; Le Théâtre des paroles, Paris, P.O.L, 1989.

[3] V. Valère Novarina, Le Drame dans la langue française, op. cit., p. 41 et 56 ; Pour Louis de Funès, dans Le Théâtre des paroles, op. cit., p. 124 et 127.

[4] Valère Novarina, Le Babil des classes dangereuses, dans Théâtre, Paris, P.O.L, 1989.

[5] Archive INA n° PHD99229601, « Démarches », émission produite par Gérard-Julien Salvy pour France Culture, enregistrée le 9 février 1978.

[6] Archive INA n° PHD98042222, « Du jour au lendemain », émission réalisée par Georges Haddadène, produite par Alain Veinstein et François Poirié pour France Culture, enregistrée le 1er janvier 1987.

[7] V. Pierre-Marie Héron, « Lucien Attoun, prospecteur du théâtre contemporain », dans Le Théâtre à (re)découvrir, Witold Wołowski (dir.), Peter Lang, 2 volumes, 2018, vol. I, p. 15-47.

[8] L’Atelier volant a été publié pour la première fois dans la revue Travail théâtral (Lausanne, Éditions La Cité), n°5, 1977.

[9] Archive INA n° PHD99218510, « L’Atelier volant », une émission du Nouveau répertoire dramatique, réalisée par Georges Peyrou, et produite pour France Culture par Lucien Attoun, enregistrée le 26 janvier 1972.

[10] Les interprètes en sont Tsilla Chelton, Marcel Maréchal, Jean Bolo, Colette Bergé, Bérengère Dautun, Rosy Varte, René Jacques Chauffard, Jean Martin et Denis Manuel.

[11] L’Atelier volant de Valère Novarina, mise en scène de Jean-Pierre Sarrazac, création le 25 janvier 1974 au Théâtre de Suresnes Jean Vilar.

[12] Pour un historique de cette première mise en scène, v. L’Organe du langage c’est la main, op. cit., p. 49-55.

[13] Lettre aux acteurs, dans Le Théâtre des paroles, op. cit.

[14] Valère Novarina, La Lutte des morts, dans Théâtre, op. cit.

[15] Valère Novarina, Le Drame de la vie, Paris, P.O.L, 1984.

[16] André Marcon interprétera Le Monologue d’Adramélech dans une mise en scène de Christian Rist, au festival de La Rochelle, création le 4 juillet 1984.

[17] Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Pour une histoire des disques de théâtre », Le son du théâtre 1. Le passé audible, Théâtre/Public n°197, Gennevilliers, 2010, p. 69.  

[18] Liliane Atlan, archive INA n° PHD99236173, « Colloque Théâtre et radio », Nouveau répertoire dramatique, émission réalisée par Évelyne Frémy, produite par Lucien Attoun, diffusée le 13 novembre 1980 sur France Culture.

[19] Valère Novarina, Marion Chénetier-Alev, L’Organe du langage c’est la main, op. cit., p. 40.

[20] L’Opérette imaginaire de Valère Novarina, mise en scène de Claude Buchvald, création le 21 septembre 1998 au Quartz de Brest.

[21] À la galerie MEDaMOTHI à Montpellier le 2 avril 1980 ; à la galerie Art Contemporain-Jacques Donguy à Bordeaux, les 11 et 12 juin ; à la galerie Arte incontri, Fara Gera d’Adda, en Italie, le 14 décembre.

[22] Archive INA n° PHD86076547, « Le Théâtre des oreilles », émission réalisée par Valère Novarina pour l’Atelier de création radiophonique, produite par Alain Trutat, diffusée le 22 juin 1980.

[23] Le Drame dans la langue française, op. cit., p. 51.

[24] Valère Novarina, Entrée dans le théâtre des oreilles, dans Le Théâtre des paroles, op. cit., p. 67.

[25] Il échoue au Conservatoire en 1962, mais il écrit en 1972 : « Acteur, je n’ai jamais été que ça. Non pas l’auteur mais l’acteur de mes textes, celui qui les soufflait en silence, qui les parlait sans un mot » (« Carnets », dans Le Théâtre des paroles, op. cit., p. 85).

[26] Jean Dubuffet & Valère Novarina, Personne n’est à l’intérieur de rien, Paris, L’Atelier contemporain, 2014.

[27] Édition d’auteur limitée à 500 exemplaires, texte imprimé sur papier vélin Arches par l’imprimerie Duval.

[28] Archive INA n° PHD99280548, « La Fleur de barbe », émission produite et réalisée par Jean Dubuffet, diffusée le 1er janvier 1961.

[29] Jean Dubuffet & Valère Novarina, Personne n’est à l’intérieur de rien, op. cit., p. 17.

[30] « Carnets », dans Le Théâtre des paroles, op. cit., p. 86-87.

[31] Archive INA n° PHD98023935, émission « Abécédaire », produite et réalisée pour l’Atelier de création radiophonique par Jean-Loup Rivière, enregistrée le 1er janvier 1982.

[32] Archive INA n° PHD98038939, « Suite Valère Novarina », émission de l’Atelier de création radiophonique produite et réalisée par Monique Burguière et René Farabet, enregistrée le 1er janvier 1986.

[33] Archive INA n° 00388810, « Le Discours aux animaux de Valère Novarina », émission de l’Atelier de création radiophonique produite et réalisée René Farabet, enregistrée le 1er janvier 1989.

[34] La pièce a été créée par André Marcon au Théâtre des Bouffes du Nord, le 19 septembre 1986. Au moment où s’écrit cet article, en décembre 2018, la dernière représentation d’André Marcon dans Le Discours aux animaux date d’août 2018, au colloque Valère Novarina de Cerisy, plus de trente ans donc après sa création.

[35] Archive INA n° 00029342, « La Chair de l’homme : Le Repas », émission du Nouveau répertoire dramatique réalisée par Jacques Taroni et produite par Lucien Attoun, dans une dramaturgie de Claude Buchvald, diffusée le 13 mai 1995.

[36] Archive INA n° 00755749, Le Bon plaisir, émission produite et réalisée par Yvonne Taquet pour France Culture, enregistrée le 17 septembre 1992.

[37] « Abécédaire », émission citée.

[38] Archive INA n° 00599102, Les cymbales de l’homme en bois du limonaire retentissent, émission de l’Atelier de création radiophonique produite et réalisée par Valère Novarina, enregistrée le 20 mars 1994.

[39] « Le Bon plaisir », émission citée.

[40] Ibid.

Auteur

Marion Chénetier-Alev est maître de conférences en études théâtrales à l’École Normale Supérieure d’Ulm,  membre de l’UMR 7172 THALIM-Arias (CNRS). Ses recherches portent sur la stylistique et la dramaturgie des écritures dramatiques modernes et contemporaines ; sur la théorie et la poétique du travail de l’acteur ; sur l’histoire et les enjeux de la critique dramatique ; ainsi que sur les liens entre théâtre et radio, et l’histoire sonore du théâtre. Auteur de L’Oralité dans le théâtre contemporain (Éd. Universitaires Européennes, 2010), elle a également publié un livre d’entretiens avec le dramaturge Valère Novarina, L’Organe du langage, c’est la main (Argol, 2013) ; dirigé des collectifs sur la critique dramatique (PUFR, 2013), l’histoire sonore du théâtre (Éditions Ulm, 2017), et le jeu de Maria Casarès (RHT, 2018). Traductrice, elle a également co-publié l’édition scientifique et bilingue du Théâtre des Fous d’E. Gordon Craig (IIM/L’Entretemps, 2012).

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