Présentation

Ce numéro est consacré à la radio de fiction aujourd’hui, celle qui s’invente, se crée, se produit et se diffuse depuis dix ans… et qui se porte bien, si on en croit la presse nationale des années 2010, qui va même jusqu’à parler, en 2019, d’un « âge d’or » de la fiction en France. Un prochain numéro évoquera le documentaire de création, autre facette de la belle radio, celle qui, sans négliger parfois les styles et finalités du journalisme (d’information, d’opinion, de reportage…), n’obéit globalement pas aux rythmes, impératifs et servitudes de l’actualité, mais propose aux auditeurs de savourer… quoi ? Des œuvres. On n’écoute pas souvent en boucle des émissions d’information disponibles en replay, mais des fictions et des documentaires élaborés avec soin, talent ou génie, oui, comme on relit des livres qu’on aime. La beauté dont il est question ici n’est pas affaire de contenus, ni nécessairement de « belles histoires », de « belles formes » ou de « beaux sons », mais d’adéquation entre ce que l’on veut faire entendre et les formes pour le faire. Le style n’est pas affaire de technique, mais de vision, disait Proust : même dans le cas d’œuvres en partie collectives comme celles du théâtre, de la radio, du cinéma, cela reste vrai. La fiction radio a ses « stylistes », ceux qui veulent travailler « dans le son » comme on travaille « dans la phrase », et elle a ses « romanciers », centrés sur l’histoire à faire entendre. Tous confrontés aux mêmes questions de construction de sens, de rythme et d’imaginaire, ils leur apportent des réponses différentes qui illustrent la variété des espèces possibles au sein de la belle radio de fiction.

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Dans ce vaste domaine de la fiction radio, quels changements depuis dix ans : on est aujourd’hui un peu sur une autre planète, tellement cela bouge ! Aujourd’hui, la radio de fiction se fait podcast (moins que le documentaire certes…) et la « fiction radio » se noie dans la « fiction audio », dont les plateformes de diffusion (SoundCloud, iTunes, Deezer, Spotify…) et quelques studios de production (Sybel, Bababam…), sans être encore très productifs, investissent le territoire. Comme le dit très bien Blandine Masson, directrice du service des fictions à France Culture depuis 2005, dans sa contribution liminaire, « la concurrence aujourd’hui n’est plus sur les ondes : elle est sur le web ». Mais on verra aussi, en la lisant, pourquoi cela ne lui fait pas peur.

Plus étonnant quand on connaît l’histoire compliquée des relations entre théâtre et radio au long du XXe siècle – bien différentes de ses relations avec le cinéma –, bien relatée par Blandine Masson dans Mettre en ondes, son essai sur la fiction radiophonique publié chez Actes Sud au printemps 2020, la radio de fiction semble désormais réconciliée avec la scène. En tout cas elle s’invite désormais durablement au théâtre et ne craint plus de faire venir à elle des metteurs en scène. Lucien Attoun, grand prospecteur du théâtre vivant dans son émission longue durée Nouveau Répertoire dramatique (1969-2002), dédiée à la diffusion de pièces inédites, avait ouvert la voie avec La radio sur un plateau (2012-2013), proposant la retransmission de travaux de plateau (mises en voix, version radiophonique de pièces). Radiodrama, à l’initiative d’Alexandre Plank, qui vient lui aussi du monde du théâtre, propose à des metteurs en scène de « mettre en ondes des pièces qu’ils ont mises en scène ». Mais on (re)crée aussi sur scène des fictions radio ou audio, comme Avance rapide de Tanguy Viel (2007), Piletta ReMix (2016) du Collectif Wow !, Les chemins de désir de Claire Richard (2020). On voit aussi des réalisateurs radio collaborer à des mises en scène et être invités en résidence dans des CDN, comme en témoignent Alexandre Plank et Christophe Rault au cours de la table ronde sur les « Aspects économiques et culturels de la production de fiction radio aujourd’hui ». Bref, sur ce front-là aussi, les lignes bougent.

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Incontestablement, Internet a été un formidable révélateur du goût des auditeurs contemporains pour la fiction radio. Il a sans doute toujours existé, mais on ne le savait pas, ou plus assez depuis le tournant des années 2000 où France Culture, après avoir définitivement tourné la page des 11 heures hebdomadaires de programmes dramatiques proposées dans les années 1980 et touché le fond en 1998 avec 6h40 hebdomadaires, essayait depuis 2013 de se maintenir autour de 7 heures – ce qui est en soi énorme ! On ne le savait plus assez non plus à France Inter, longtemps bastion de la fiction populaire [1]. Et on ne le savait pas assez à Arte Radio, qui durant ses premières années, tout en s’adonnant aux formats courts ou ultra-courts – comme le rappelle ici Christophe Rault – et en produisant en 2006 et 2008 deux saisons d’un feuilleton remarqué, Le Bocal de Mariannick Bellot, préférait globalement la « parole vraie » des documentaires et des audioblogs, où s’entendent les anonymes et les enjeux de société [2]. Avant 2009, l’heure était partout à la désaffection du genre, à la morosité, malgré des indicateurs positifs comme le phénomène des festivals de l’écoute, la bonne santé des partenariats avec des théâtres ou des festivals, l’existence depuis 2002 (jusqu’à 2012) d’un festival exclusivement consacré aux fictions radios francophones, « Les Radiophonies », lancé par l’auteur et acteur de théâtre Yves Gerbaulet.

À France Culture, tout a changé en 2009, avec l’ouverture au podcasting : la direction a découvert, éberluée, que le public était bien au rendez-vous de la fiction mais qu’on ne le voyait pas. Divers changements s’en sont suivis, dont le plus important est sans doute la superproduction de podcasts natifs, décidée en 2017, amorcée en 2018. L’Appel des abysses, L’Incroyable expédition de Corentin Tréguier au Congo, Projet Orloff, Hasta Dente, DreamStation… le choix assumé est celui de la fiction grand public, et le résultat est là, avec en août 2020 plus de 3 921 500 téléchargements tous podcasts confondus [3]. Ce séisme de 2009 à France Culture a coïncidé, chez Arte Radio, avec un changement de regard sur la fiction, accompagné d’un discours assez offensif de Silvain Gire sur les pratiques de production du genre à Radio France [4], et aussi de quelques prix Italia et autres (Comme un pied de Mariannick Bellot en 2012, De guerre en fils de François Pérache en 2017, etc.). Les radios associatives s’y sont mises aussi (formats courts de préférence) comme Radio Grenouille (Marseille) ou Jet FM (Nantes) [5]. Bref, on s’animait à nouveau dans le domaine de la fiction radio ! Pour un peu on retrouverait, toutes proportions gardées et compte tenu de la complète transformation du champ médiatique, les fabuleux scores d’écoute des feuilletons quotidiens de la grande époque comme Signé Furax, de Pierre Dac et Francis Blanche (1951-1952, 1956-1960) ou Noële aux quatre vents de Dominique Saint-Alban (1965-1969), ou de séries comme Les Maîtres du mystère (1957-1965), ou même, deux décennies plus tard, La Dramatique de minuit (1984-1990) [6].

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Les 20 et 21 mai derniers, un colloque en ligne sur “Le désir de belle radio aujourd’hui / la fiction” (programme ici), organisé par l’EA 1573 de l’université Paris 8 (Éliane Beaufils)​ ​et le laboratoire Rirra 21 de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 (Pierre-Marie Héron, Florence Vinas-Thérond)​ ​en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), a permis d’associer à des interventions d’universitaires et de l’Ina, l’approche de producteurs, réalisateurs, auteurs de fictions radiophoniques aujourd’hui en France, Belgique, Suisse et au-delà, pour évoquer les aspects aussi bien économiques et médiatiques qu’esthétiques de leur pratique du genre, et découvrir quelques univers d’auteurs. Le public des passionnés fut au rendez-vous, avec une cinquantaine de connexions en moyenne durant les deux jours. Un prochain volume aux Presses universitaires de Rennes en donnera les actes. Dans ce numéro, nous avons choisi de mettre en avant les tables rondes et les interventions des producteurs, réalisateurs et auteurs. Leurs parcours, approches et préoccupations actuelles sont suffisamment divers pour que le lecteur ait un aperçu intéressant de ce qui se vit aujourd’hui dans le domaine de la fiction radio. À tous, bonnes lectures ou écoutes.

Notes

[1] Avec des personnalités motrices comme Patrice Galbeau, l’homme des Tréteaux de la nuit et de La Dramatique de minuit, Jacques Santamaria, le grand promoteur du retour des longs feuilletons à épisodes comme Le Perroquet des Batignolles (Jacques Tardi et Michel Boujut, 1997), et Patrick Liégibel, l’homme des Nuits noires, programme réduit comme peau de chagrin et arrêté en 2015 avec le départ de son producteur. Depuis le départ de Patrick Liégibel, le « Monsieur Dramatiques » de France Inter pendant des décennies, formé à l’école de Patrice Galbeau à partir de 1980, deux émissions de flux seulement proposent de la fiction à France Inter : Affaires sensibles le vendredi (fictions policières), Autant en emporte l’histoire le dimanche soir (fictions historiques). Soit un total de 40 fictions par an… jusqu’en 2019, date à laquelle la direction a décidé de réduire la production de moitié, en contrepartie d’un investissement dans le podcast natif, avec de nouvelles signatures mais aussi des conditions de réalisation moins soignées (v. Caroline Constant, « La fiction se réduit comme peau de chagrin » [à France Inter], L’Humanité, 22 octobre 2019).

[2] V. Christophe Deleu « Arte Radio : dix ans d’intimité radiophonique », Syntone, 21 septembre 2012, en ligne ici.

[3] Source : Médiamétrie-eStat, données cumulées septembre 2019 – août 2020.

[4] « Nous souhaitons déringardiser le genre. Dans On connaît la chanson, d’Alain Resnais, le personnage d’André Dussollier est auteur pour la radio : tout le monde prétend que c’est chouette, mais personne n’écoute ce qu’il fait. C’est exactement le cas des fictions actuelles. Elles sont réalisées artificiellement, on y perçoit le son du studio !… Nous ne voulons pas d’œuvres patrimoniales ni d’adaptations littéraires. Il nous faut oublier le modèle du théâtre et s’inspirer de celui du cinéma, plus vivant et naturel » (propos cités par Laurence Le Saux dans « La radio raconte de nouveau des histoires », Télérama, 5 décembre 2009).

[5] Syntone proposait en mars 2015, dans son « Chantier fiction », un tour d’horizon rapide des radios associatives produisant ou diffusant de la fiction sonore (voir ici). Il serait intéressant de voir ce qu’il en est aujourd’hui.

[6] Aujourd’hui à France Culture, les cases « fiction » des émissions de flux se présentent ainsi (la fiction radio native n’en occupe qu’une petite partie) :

Fictions / Le Feuilleton (depuis 2008), du lundi au vendredi de 20h30 à 20h55, « espace de création radiophonique, de grandes adaptations d’œuvres du patrimoine classique et contemporain pour mêler tous les métiers et les talents de la radio » : Millenium de Stieg Larson (troisième émission la plus téléchargée en 2012), Sans moi de Marie Desplechin, Jeu de société de David Lodge, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Le Chat du rabbin de Joann Sfar, L’Amérique m’inquiète de Jean-Paul Dubois…

L’Atelier fiction (depuis 2011), vendredi de 23h à minuit, qui veut « donner à entendre les écritures d’aujourd’hui à travers des textes, le plus souvent inédits, d’écrivains issus de la littérature, de la poésie ou du théâtre », incluant depuis 2012 diverses collections comme La radio sur un plateau, Radiodrama (depuis 2013), Fictions Pop (2015-2018 ; traversées musicales contemporaines d’œuvres littéraires du patrimoine lues par des comédiens) ;

Fictions / Samedi noir (depuis 2014), samedi de 21h à 22h, « rendez-vous destiné au grand public » : on y raconte des histoires à suspense, de toutes époques et de formes variées, « dramatiques radiophoniques, lectures, scénarios, adaptations, pages arrachées » ;

Fictions / Théâtre et Cie, dimanche de 21h à 23h, qui veut « redonner toute leur place aux grandes œuvres du patrimoine, d’Eschyle à Koltès en passant par Shakespeare », en proposant « des cycles consacrés à des auteurs et en associant des metteurs en scènes et des dramaturges ».

Auteur

Pierre-Marie Héron, ancien membre de l’Institut universitaire de France, est professeur de littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Il y mène depuis de nombreuses années des recherches sur les écrivains et la radio en France (XXe et XXIe siècles), au sein du Rirra21. Derniers titres parus : Aventures radiophoniques du Nouveau Roman (PUR, 2017) ; Poésie sur les ondes (PUR, 2018) ; L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985) (Komodo 21, 2018) ; Atelier de création radiophonique (1969-2001) : la part des écrivains (Komodo 21, 2019) ; Nuits magnétiques (1978-1999) : la part des écrivains  (Komodo 21, 2021) ; Michel Butor et la radio (Komodo 21, 2021).

 




La fiction à France Culture : les défis et chantiers du moment

 

On ne peut pas échapper à la réflexion sur l’héritage lorsque l’on travaille pour le service public de la radio. On ne peut pas non plus oublier de s’interroger sur la transmission. L’histoire nous fonde et en même temps il est nécessaire de lui échapper. La meilleure définition d’un héritage qui laisse libre restera toujours pour moi cet aphorisme de René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. »  Il m’est parvenu pour la première fois par Alain Trutat, pour lequel l’amitié de René Char était essentielle. Mais j’ai compris le sens de cet aphorisme très tard, en lisant le commentaire qu’en fit la philosophe Hannah Arendt lors d’un entretien radiophonique. En l’écoutant, j’ai compris qu’un héritage n’est pas une répétition mais une réinvention, ce n’est pas non plus la reconduction de règles et de principes, mais bien l’art de « saper » les habitudes et la nécessité de penser de manière critique.

Donc, comment être attentif au passé sans se laisser écraser ? Comment regarder toujours loin devant sans oublier d’où l’on vient ? C’est un exercice difficile.

Depuis 2017, tout s’est accéléré dans le monde sonore. J’écris sonore car la « radio » n’est définitivement plus le seul lieu de diffusion des fictions sonores. Elle reste dans le domaine du service public le seul lieu de production de l’antenne et du podcast, mais la concurrence aujourd’hui n’est plus sur les ondes : elle est sur le web.

La radio de service public a ceci de particulier qu’une émission d’antenne devient du podcast automatiquement et qu’un podcast peut devenir de l’antenne. Nous sommes donc confrontés à la nécessité de penser un monde sonore qui n’existait pas il y a quelques années, mais aussi de nous défaire du doux confort du monopole.

C’est un défi énorme pour la fiction à Radio France.

Ce qui continue de la différencier des plateformes de podcast c’est tout à la fois la multiplicité des formes et des formats qu’elle propose (feuilletons, lectures, créations expérimentales de L’Atelier fiction, concerts fictions, spectacles radiophoniques, séries sonores, etc.) mais aussi la manière de se produire. Il existe une école Radio France si l’on peut dire, qui consiste à enregistrer dans un même mouvement les sons, les mouvements et les voix dans un geste de mise en scène complet, là où les studios de podcast enregistrent des voix seules sur lesquelles ils post-produisent fortement. Le « hors les murs » dans lequel nous nous sommes engagés pour plusieurs années accentue encore cette manière de produire. Le son direct devient un style propre à ces fictions nouvelles entièrement tournées en décors naturels, et c’est un savoir-faire unique.

Lorsque j’ai hérité en 2005 de cette charge et de cette responsabilité ‒ la direction des fictions ‒, je savais que je devais m’atteler à deux enjeux de taille : la rénovation de la réalisation, avec l’ouverture de nouveaux agréments, et la refonte complète du système de production. J’y ai travaillé avec acharnement, accompagnée au fil des ans par des directeurs et directrices de France Culture de plus en plus impliqués et de plus en plus demandeurs de fictions.

Aujourd’hui ces deux rénovations ont été accomplies : d’une part les fictions à France Culture sont produites et non plus seulement administrées, c’est-à-dire qu’on y fait des choix et qu’on y différencie le flux de l’exceptionnel afin de bâtir une véritable politique de programmes en donnant les moyens nécessaires aux productions ambitieuses. D’autre part, elles ont quitté leur place obscure de « niche » pour s’exposer de plus en plus fortement, avec par exemple la naissance des Concerts fictions, la réinvention des spectacles radiophoniques à Avignon et ailleurs, l’association avec des « médiateurs » comme Sofiane ou Omar Sy, ou encore les créations originales avec la Comédie-Française comme Les aventures de Tintin et enfin l’innovation du podcast de fiction depuis 2018. La radio aujourd’hui sait se faire voir et se faire entendre, antenne et podcast confondus. Elle s’est enfin affirmée, comme le lui recommandait avec une insistance bienveillante Alain Trutat.

Bien sûr, d’autres chantiers ne cessent de s’ouvrir comme celui de l’écriture de séries mais aussi le développement de ces fictions, leur exploitation à travers l’édition, leur seconde vie pour certaines, dans l’audiovisuel, leur exportation internationale, les tournées des spectacles. C’est une activité vivante qui ne cesse d’ouvrir de nouvelles perspectives.

L’ouverture du podcast en 2010 nous avait révélé un public, et avait réveillé la belle endormie que nous tendions à devenir. La réouverture de la Maison de la radio au public en 2014 et l’apparition des plateformes de podcast à partir de 2015 nous ont secoués fortement et obligés à humer l’air du temps et à rester éveillés, en alerte, je dirais : vivants.

En 2022, cent ans après la naissance de la première œuvre de fiction radiophonique, la fiction est un objet de désir pour les auteurs, les réalisateurs, les musiciens, les techniciens, les bruiteurs, les designers sonores, les acteurs. C’est un monde qui bruisse et s’agite, « plein de bruits et de fureurs ».

C’est surtout un monde qui pour le moment arrive encore à tenir tout ensemble le regard vers l’avenir et l’attention à ses origines : le théâtre et la littérature, qui ont donné naissance à cette belle radio centenaire, sont toujours au cœur de la création radiophonique. Le succès des séries en podcast n’a pas fait disparaître la création des pièces de théâtre, l’accueil des auteurs d’aujourd’hui comme ceux du passé. Nous parvenons à tenir tout ensemble tradition et innovation. C’est le luxe inouï du service public, c’est sa mission : « divertir, éduquer, transmettre ». Je lui souhaite une très longue vie et je salue ceux qui, il y a un siècle, ont eu le désir de transmettre à travers des ondes, des mots, des notes, des pensées et des voix. Je salue Pierre Schaeffer qui eut la folle idée en pleine guerre de fonder un « art radiophonique » qui est le nôtre aujourd’hui et que nous avons, collectivement, la charge de faire toujours et toujours évoluer. Je salue surtout ce public nombreux d’« aveugles invisibles » ‒ comme le définissait Tristan Bernard en 1930 ‒ qui nous écoute et nous redonne toujours plus, chaque jour, le désir de fabriquer et inventer de nouvelles fictions.

Enfin, contrairement aux plateformes privées, et c’est sa force, la radio publique porte toujours en elle, je le pense, ce double projet politique et esthétique d’une radio pour tous, d’une culture pour tous.

Auteur

Blandine Masson dirige le service des fictions à France Culture depuis 2005, après y avoir été réalisatrice de fictions pendant dix ans, un métier « pratiqué intensément et jamais quitté intérieurement », dit-elle au début de Mettre en ondes. La fiction radiophonique, essai publié chez Actes Sud au printemps 2020. Fille de comédienne et elle-même attirée par le théâtre, elle a fréquenté l’Académie expérimentale des théâtres et dirigé pendant cinq ans (1989-1993) la revue trimestrielle Les Cahiers du Renard, dédiée aux conditions de la création artistique. Très proche d’Alain Trutat (1922-2006), qu’elle a assisté au début des années 1990 dans son dernier grand chantier à Radio France que fut la rénovation des émissions dramatiques, elle en assume volontiers l’héritage en promouvant au sein de la chaîne un esprit d’accueil, de décloisonnement et d’ouverture. Elle continue aussi l’action de partenariat entre théâtre et radio incarnée dans les années 1970 par Lucien Attoun, l’enthousiaste et influent producteur du Nouveau Répertoire dramatique et fondateur de Théâtre Ouvert, auquel elle rend volontiers hommage. Témoin du formidable renouveau apporté à la fiction radio par « l’arrivée d’une nouvelle génération de réalisateurs formés à la dramaturgie, à la réalisation cinématographique, au théâtre, à la mise en scène, à la radio, à la musique », d’une part, et l’ouverture de la chaîne au podcasting en 2009 d’autre part (« Cela a révolutionné l’écoute. Ce fut un séisme car nous ne savions pas que ce genre était autant suivi »), elle engage en 2017 le service des fictions dans la superproduction de podcasts natifs en son binaural, en partenariat avec la SACD. Les premiers voient le jour en 2018. Aujourd’hui il existe quatre cases « fiction » à France Culture, accessibles en replay : Le Feuilleton (depuis 2008), du lundi au vendredi de 20h30 à 20h55 ; L’Atelier fiction (depuis 2011), vendredi de 23h à minuit ; Samedi noir (depuis 2014), samedi de 21h à 22h ; Théâtre et Cie, dimanche de 21h à 23h. À quoi s’ajoutent, sur franceculture.fr, deux à trois podcasts de fiction à épisodes par an (avant la pandémie) ; le prochain, le 2 décembre : Probation, de Mahi Bena (scénario) et Cédric Aussir (réalisation). De la radio, cette « addiction, douce ou dure selon les êtres », Blandine Masson dit dans Mettre en ondes : « J’y ai passé près de vingt-cinq ans de ma vie sans jamais avoir le sentiment de m’y installer et sans jamais vouloir m’y installer. […] Et en même temps j’y ai mis tout ce que j’aime : mon amour des voix, de la littérature, des textes, de tous les textes, des acteurs, de la musique, ma relation difficile avec le théâtre et ma passion pour la fiction. »




Dialogue avec Noémie Fargier

1. Quelques mots sur mon parcours avant d’entrer à Radio France

2. Fiction, documentaire… mon désir aujourd’hui : être en prise avec le monde

3. Ce qui m’importe comme réalisateur (maîtriser les données techniques pour mieux les évacuer ; multiplier les projets ; avoir une dramaturgie, mais pas d’esthétique fixe)

4. Ce qui m’intéresse aujourd’hui en fiction (faire connaître les gens qu’on ne croise pas ; improviser avec le vécu des interprètes)

5. Aujourd’hui, pousser les choses plus loin : Making Waves

6. Questions-réponses

6.1. Question sur Le Chagrin, version radio (C. Deleu)

6. 2. Question sur la collaboration des metteurs en scène dans Radiodrama (É. Beaufils)

6.3. Question sur la pratique de l’improvisation (P.-M. Héron)

Auteurs

Noémie Fargier est chercheuse postdoctorale à l’EHESS, où elle prolonge autour des pratiques de cartographies sonores des recherches sur le field recording et l’écologie acoustique développées l’année dernière au sein de l’Institute for Advanced Studies in Humanities (IASH) de l’Université d’Édimbourg. Son doctorat, sous la direction de Marie-Madeleine Mervant-Roux (Université Paris 3 – CNRS) et Peter Szendy (Brown University), a porté sur l’expérience sonore dans le spectacle vivant contemporain. Formée à la réalisation sonore, Noémie Fargier, qui est également autrice et metteuse en scène, signe depuis 2019 la création sonore de ses spectacles.

Alexandre Plank a étudié la philosophie à Weimar et la dramaturgie au Théâtre National de Strasbourg. Il travaille depuis 2010 pour France Culture, où il a créé deux collections de L’Atelier Fiction : Radiodrama en 2013 (réinvention radiophonique d’un projet scénique), Fictions Pop en 2015 (traversées musicales contemporaines d’œuvres littéraires du patrimoine lues par des comédiens : Vendredi ou les limbes du Pacifique, avec Romain Humeau et Denis Lavant, Le Maître et Marguerite avec le groupe Moriarty et Jean-Pierre Leaud…). Son travail a été récompensé de plusieurs prix, dont le prix Italia en 2016 pour Le Chagrin (Julie et Vincent) [aussi primé par la SGDL] et en 2020 pour Vie et mort de Yuanli (deux œuvres initialement diffusées dans  Radiodrama), et en 2018 le prix Phonurgia/SACD de la fiction francophone/SACD pour Demain s’ouvre au pied de biche. Il a aussi co-fondé en 2019 le collectif Making Waves, qui vise à favoriser l’éclosion d’espaces de dialogue, de transmission, d’expression et de création par la radio et le podcast (création de séries audio, podcasts, œuvres sonores et musicales, parcours et dispositifs immersifs, en collaboration avec des radios, musées, théâtres et institutions publiques, en plusieurs langues, en France et dans le monde). En 2020-2021, Making Waves est notamment partenaire du Théâtre des Amandiers (projet Radio Amandiers) et de MA Scène nationale ‒ Pays de Montbéliard (projet Radio noMAde). À écouter ou regarder : ici et (suite) entretien du 20 août 2017 avec Marie-Laurence Rancourt, dans le cadre du festival Résonance (Montréal) ; entretien vidéo à l’occasion des Phonurgia Nova awards 2018.




Entendre et faire entendre

1. Une formation sur le tas, d’Arte Radio à l’ACSR

2. « Je commence à comprendre ma pratique et à avoir envie de la formuler »

2.1. Lectures décisives: Rudolf Arnheim, Étienne Fuzellier

2.2. « Je suis proche de la BD et du roman graphique »

2.3. Jean-François Augoyard, Yann Paranthoën, l’OURAPO

3. Questions-réponses

3.1. Réflexions sur la transmission aux étudiants et sur la diffusion à l’étranger

3.2. Façons de produire de la fiction : la BBC et sa troupe de comédiens

3.3. « Un de mes rêves» (réalisé) : retravailler une fiction en studio

Auteur

Christophe Rault est ingénieur du son, réalisateur radio, artiste sonore et musicien.  Co-fondateur d’arteradio.com avec Silvain Gire en 2001, responsable de la réalisation, de la couleur sonore et de la maintenance technique pendant 7 ans (« Un endroit rêvé pour apprendre, expérimenter et rencontrer  la radio, son langage, ses acteurs. Il a alors fallu tout apprendre et tout inventer en même temps, à l’aube du podcast et du renouveau radiophonique des années 2000 »). Aujourd’hui artisan de la radio en indépendant, pour lui-même, avec ou pour les autres ; administrateur de l’Atelier de Création Sonore et Radiophonique de Bruxelles (www.acsr.be) pendant plusieurs années, de BabelFish Production pour la production et la diffusion radio et photo depuis 2016 (www.babelfishasbl.com) ; de l’Association de Soutien aux Auteurs-rices Radio (www.asar.be) depuis septembre 2018.  Travaille également pour le théâtre, la danse, les expositions et installations. A également organisé de nombreuses formations sur la radio, son langage et sa technique aux sein de diverses structures en Europe (BBC, Radio Suisse Romande, Arteradio, Jet FM, Radio Grenouille…). Lauréat de plusieurs prix : Prix Europa, Prix SCAM-SACD Belgique et France, Longueur d’ondes. Dernière fiction radiophonique : Super Vachement Vite (2021), avec Olivier Chevillon, sélection officielle Prix Europa 2021 Best Fiction of the Year, Prix Phonurgia Nova et Grand Prix Nova Roumania. Site personnel :  http://www.christopherault.org/. À lire : entretien du 21 novembre 2019  avec Thomas Guillaud-Bataille.

Copyright

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Fins du monde et les formats radiophoniques actuels de la fiction

1. Écriture

À l’origine de cette série en 24 épisodes produite en 2016 (saison 1; une saison 2 arrive), il y a la volonté d’écrire des fictions audio courtes, sur le modèle de la chanson. Certaines d’entre elles racontent en effet une histoire en moins de deux minutes, avec un sens évident de la formule et du récit. Les artistes-poètes de la variété, du « spoken word », du rap et encore du slam se sont eux aussi rapprochés de la fiction audio d’une certaine manière (par exemple Serge Gainsbourg, Fauve…). Chaque chanson raconte une histoire, un témoignage, parfois regroupés dans des concept album, où l’on suit un personnage, du début à la fin, par l’entremise de morceaux oscillant entre 2 et 5 minutes. Ces créations se rapprochent de la tradition orale et de la chanson populaire, transmettant des histoires via des chansons ou des poèmes, mais dans un format court correspondant aux moyens de diffusion actuels : la radio il y a quelque temps, et maintenant internet, avec un temps moyen d’attention du public de plus en plus court. Au cinéma, la forme courte est connue aussi (le court-métrage). Mais nous avons surtout pensé à des films comme Short Cuts de Robert Altman (1993), d’après les nouvelles de Raymond Carver (qui s’y connaît en histoire courtes), film qui avait rencontré un certain succès. L’on suivait plusieurs histoires qui n’avaient pas de lien apparent entre elle.

La forme courte est un défi en soi. En cela, la série s’est inscrite contre un discours ambiant privilégiant les formats longs et une certaine forme de lenteur, dont nous sommes par ailleurs proches. Comment raconter une histoire en peu de temps ? Paradoxalement, ce défi permettait de raconter des histoires qu’on n’aurait pas pris la peine de raconter dans une fiction plus longue. Parce qu’il aurait fallu plus de matière, ou qu’il aurait fallu développer les personnages. Dans Fins du monde, on accueille au contraire ces micro-récits avec bienveillance. La frustration est inhérente au projet lui-même. On se sait pas ce qui s’est passé avant que ne commence l’épisode, et on n’en saura pas davantage sur la suite de l’histoire. L’intention est d’arriver directement dans le moment-clé, le climax, sans avoir eu l’avant. Comme si un micro avait été témoin de la scène. Des fins du monde se produisent chaque jour sans qu’on en soit les témoins.

L’idée est de s’attarder sur des moments-clés de la vie de personnages, des fins du monde subjectives, chacun ayant sa propre représentation de la fin du monde. Qu’est-ce qu’une fin du monde pour quelqu’un ? Dans une période marquée par les dystopies et les humeurs maussades, précisons qu’il ne s’agit pas d’une fin du monde réelle, biblique ou autre, mais bel et bien d’une représentation personnelle de la fin du monde, à toutes les étapes de la vie. Il y a les vrais drames, et les noyades dans un verre d’eau. Il y a des accidentés (Accident du travail), des morts (La bicyclette), des fantômes (Retour). Mais il y a aussi des héros qui ont peur d’aller à un rendez-vous amoureux (Nouvelle Vague). Le grand écart des misères humaines est assumé. De nombreux romans américains ont été une source d’inspiration. Parmi eux, Herzog de Saul Bellow regorge d’exemples de toutes les mésaventures qui peuvent s’abattre sur un être humain. Dans ces moments-là, les personnages sont dans un grand désarroi et dans une grande solitude, même s’ils sont avec d’autres personnages. Une large place est donc accordée à la subjectivité, mais, en même temps, la forme est dialogale, il n’y a aucune voix intérieure, ou voix off, dans la série, qui serait l’expression des pensées intimes d’un personnage. Cette solitude dans l’épreuve est donc exprimée à travers une séquence qui met souvent deux personnages en scène, voire plusieurs. Il y a beaucoup d’humour aussi, de l’absurde, Fins du monde se tient à distance du pathos. Le projet est plutôt de rire de toutes ces situations dramatiques. Avec des paradoxes parfois, comme dans Writing room : une scénariste pense avoir la meilleure idée du siècle, et, pourtant, ses propos suscitent l’effroi, et provoquent son renvoi.

Dans Bangkok, une patiente s’est endormie dans une salle d’attente, et a raté son rendez-vous médical. Le lendemain, elle se réveille, et se rend compte qu’elle a passé la nuit-là. C’est une secrétaire ayant la voix d’un robot (incarnée par Marine Angé) qui l’interroge, et lui annonce qu’elle va devoir attendre trois mois pour un nouveau rendez-vous. Cet épisode illustre la déshumanisation de notre société : les outils n’ont jamais été aussi performants, mais en raison de l’absence de personnel on peut mourir sans avoir eu le temps d’être pris en charge ! Des épisodes comme celui-ci ont une dimension plus politique, comme Accident du travail qui raconte comment deux salariés d’une grande entreprise tentent de se débarrasser d’un ouvrier clandestin, accidenté sur un de leurs chantiers. Avec une certaine grandeur d’âme puisqu’ils le déposent près d’un hôpital avant de s’enfuir ! D’autres épisodes ont une veine plus intimiste, ou relèvent d’une sphère plus personnelle : La conférence met en scène un homme dont l’avenir professionnel est menacé suite à la fuite d’un stylo… Le lézard montre la dislocation d’un couple provoquée par l’assassinat d’un lézard. La folie est sous-jacente dans certains épisodes. Un homme raconte comment il se sent invincible quand il sort d’un cinéma qui a diffusé un film de super-héros (Le sabre). Mais malheureusement cette énergie disparaît trop vite, et ne lui permet pas de réussir son entretien d’embauche.

Tous les épisodes respectent-ils ce principe ? Il y a un épisode étrange, La fille, qui raconte l’entretien entre une fugueuse et une policière qui l’a retrouvée. Celui-ci ressemble presque davantage à une séquence de documentaire où l’on apprendrait qui est un personnage, ou un extrait d’une fiction. La fin du monde, dans La fille, c’est le parcours de cette fugueuse lui-même, et non pas une situation dramatique (la fugue est terminée). Il n’y a pas de climax, juste un coup de pinceau sonore, et la volonté de faire découvrir quelqu’un. C’est peut-être l’épisode qui détonne dans la série. C’est comme si on n’avait pas vu passer la fin du monde…

Y-a-t-il une unité dans la série ? C’est une question qu’on retrouve beaucoup dans l’univers du podcast. La plupart des podcasts de fiction qui ont marqué les esprits ces dernières années aux États-Unis relèvent plutôt du genre feuilletonnesque, même si le terme n’est plus à la mode. On retrouve les mêmes personnages et la même intrigue dans chaque épisode, afin de suivre une continuité scénaristique (Homecoming). En cela, Fins du monde s’écarte de ce schéma. The Truth de Jonathan Mitchell, à l’inverse, propose, comme Fins du monde, des épisodes unitaires, même si on y retrouve aussi quelques « feuilletons ». Dans Fins du monde, ce qui garantit l’unité, c’est la répétition d’une situation délicate dans laquelle sont pris les héros. Pour l’auditeur, il n’y a donc pas ce plaisir qui consiste à retrouver les héros, et voir évoluer une intrigue. En revanche, il y a la surprise, renouvelée à chaque épisode, de découvrir un monde nouveau, un dispositif différent, et une problématique originale. C’est davantage l’esprit qu’on retrouve que des protagonistes ou un récit. Il n’y a pas d’antagonisme dans ces deux types de conceptions de podcast de fiction. Plutôt une complémentarité.

L’idée de Fins du monde s’est cristallisée dans un hôtel à Neuchâtel, en Suisse, lors d’une journée consacrée à la radio. Les idées viennent souvent quand on se déplace, l’imaginaire se déploie mieux quand le corps est en mouvement. Le processus d’écriture a été le suivant : près d’une centaine d’histoires courtes ont été écrites. Une par jour à peu près, pendant plus de trois mois. Il est assez stimulant de commencer la journée par la question : quelle fin du monde pour aujourd’hui ? Il est assez amusant (et rassurant) de constater qu’une fois le processus enclenché il fonctionne à merveille. Des Fins du monde ont même été mises en concurrence certains jours, certaines ont dû patienter pour être couchées sur le papier. Cette durée impose aussi certaines contraintes, l’écriture doit rapidement indiquer quel est le sujet, quelle est la situation et quels sont les personnages. Il y a certes des énigmes dans Fins du monde, et tout n’est pas explicite, mais la compréhension de la séquence est souvent immédiate, et l’on saisit assez rapidement tous les enjeux. L’on assiste parfois à la fin du monde en direct (La conférence, Accident du travail, Changement de pneu), et dans ce cas l’immersion dans un univers est assez forte. Dans de nombreux épisodes, on arrive après la « catastrophe » (Le sabre, Fête foraine). Là, les personnages mesurent les conséquences de tel ou tel événement. Plus rarement la fin du monde n’arrive qu’à la fin, comme dans Inadmissible, qui met en scène un couple qui prépare une fête pour célébrer un succès à un examen. La fin de l’épisode révèle qu’il y a une erreur, et que l’héroïne n’a pas été admise du tout à son examen. La brutalité de la fin contraste avec la banalité de l’épisode. De par la durée très courte, nous avons aussi l’impression que chaque élément a plus une grande importance que dans les formes longues, chaque réplique, chaque son, chaque musique. Comme tout va vite, c’est comme si chaque part était déterminante, et connotait l’épisode. Toutes ces histoires de deux minutes sont des plans séquences : deux minutes de temps réel (à une exception près, Les 150, où il y a une ellipse). Montage interdit…

La série a certes un aspect autobiographique, mais pas dans le sens où les histoires qui la composent seraient nécessairement arrivées aux auteurs. Ce sont souvent des récits inspirés de faits réels, comme préviennent parfois certaines œuvres de fiction quand elles choisissent de rester imprécises sur l’origine d’une idée. Disons que les histoires sont arrivées jusqu’aux oreilles des auteurs de la série. Mais la vérité oblige aussi à dire que certains personnages sont inspirés de personnages de fiction. Aussi, pour certains épisodes, c’est la mention « inspirés de faits fictifs » qui aurait pu figurer dans le générique. Les épisodes dans lesquels un couple se désintègre lors d’une émission de radio en direct relèvent des deux catégories, celle du réel, et celle de la fiction. Le couple ressemble à celui qui présente les émissions de jazz diffusées tous les soirs sur la radio Fip. La question qui se pose souvent, c’est : qu’est-ce qui peut bien se passer quand le couple d’animateurs n’est pas à l’antenne, et que les disques défilent ? De quoi est constitué ce hors-champ radiophonique ? Il y a un creux, qui permet à l’imaginaire de se mettre au travail. Souvenir amusant aussi qui a eu son influence : une présentatrice de Fip ne s’était pas rendu compte un jour que son micro était resté allumé alors qu’elle téléphonait à quelqu’un. Les auditeurs pouvaient ainsi avoir accès à tout un pan de sa vie privée. Ça, c’est pour le réel. Mais le personnage masculin, lui, est inspiré de Waldo Lydecker, le chroniqueur radiophonique amoureux et délaissé du film Laura d’Otto Preminger (1944). Lydecker, par dépit, se suicide par arme à feu juste après sa dernière prestation à la radio. Ça, c’est pour la fiction. C’est un exemple parmi d’autres, et qui n’est bien sûr pas représentatif.

Ce qui est commun à tous les récits c’est la volonté de « jouer » avec sa propre histoire ‒ et celles des autres ‒ plus que d’être soi-même « joué », c’est-à-dire d’être condamné à la vivre sans prise de distance ni recul comme si on était une marionnette prisonnière du jeu d’un autre. Un jour, dans Le Monde, Vincent Lindon a révélé qu’il pensait qu’un grand nombre de personnages était témoins de ce qu’il faisait chaque jour. En permanence. Syndrome de l’acteur ? De ces quelques lignes d’interview, et de cette idée proche de l’univers de Pirandello, est né l’épisode Les 150, qui raconte comment un personnage se retrouve décontenancé quand tous les spectateurs de sa propre vie se sont évanouis du jour au lendemain. Affranchissement du regard d’autrui ou condamnation à vivre seul et désespéré ? Ce personnage est tellement enfermé dans son propre désarroi qu’il néglige la fan enamourée à qui il raconte son histoire. Dans Fins du monde, les obsessions se payent souvent assez cher.

S’il n’y a pas nécessairement de lien entre toutes les histoires, il y quand même une sorte de chronologie. Ça se passe de plus en plus mal, même si la tonalité des épisodes n’est pas tragique. Dans les derniers épisodes, le couple de Jazz se disloque définitivement, les héros meurent (Fête foraine) ou sont déjà morts (Fins du monde). Et il y a même un fantôme (Retour).

Une autre histoire, T’as pas d’vie, est inspirée d’une scène de tram. Un homme y insultait une femme au téléphone en lui donnant des conseils très directifs. Ce qui était étonnant, pour les passagers-spectateurs, outre la violence des propos et l’indifférence de cet homme vis-à-vis des autres voyageurs, c’est de ne pas entendre cette femme à l’autre bout du fil : que pouvait-elle bien répondre à cette succession d’injonctions et d’injures ? Nous n’avons pris aucune note sur le moment, mais l’histoire a été écrite quelques heures plus tard, et mise en ondes quelques jours après. Dans Fins du monde, il y a cette liberté-là : de nouvelles histoires peuvent surgir pendant le tournage, et prendre la place d’autres histoires pourtant écrites plusieurs mois auparavant.

Il est donc permis d’avoir une pensée pour toutes les histoires qui n’ont pas réalisées. Dans l’une d’entre elles, on suivait Alfred Hitchcock vieillissant se rendre à son bureau pour faire la sieste, et d’autres personnes dans l’attente de la nouvelle idée de génie du metteur en scène. Il s’endormait, et l’épisode s’arrêtait là… Dans une autre, l’ancien directeur du festival de Cannes, Gilles Jacob, se mettait en colère parce qu’il ne voulait pas monter les marches du Palais en compagnie de la réalisatrice Jane Campion avec … une canne. Sa coquetterie et son souci de son image était au centre de l’épisode. Il y aussi ces incendies que nous n’avons pas provoqués, ces larmes que nous n’avons pas enregistrées, ces Ferrari qui n’ont pas été volées. Peut-être ces histoires ressurgiront-elles un jour.

Une fois la série écrite, elle a été proposée à France Culture, mais la radio n’avait pas de format de 2 mn. Comme la série avait reçu le soutien du Fonds Gulliver, il a quand même été possible de réaliser les épisodes, qui ont été diffusés dans l’émission Par Ouï-dire de Pascale Tison, sur la RTBF, en Belgique, et sur des radios associatives. La série est aussi en accès libre sur le site sonyapodcast.com, site de podcast de fiction audio créé en août 2021, ainsi que sur la plupart des applications podcasts. Elle a aussi été diffusée par le site Magneto, au Québec.

2. Tournage

Durant les tournages, nous sommes présents tous les deux. Chacun a son propre rôle (Marine est plutôt la réalisatrice, Christophe l’écrivain-scénariste), mais chacun peut aussi avoir plusieurs rôles : ex, direction d’acteurs, ou casting. Marine Angé est en plus musicienne, ce qui apporte beaucoup à la série.

Comme il y avait un processus d’écriture, il y a eu un processus de tournage. En principe, l’idée était de consacrer une demi-journée à chaque fiction. On ne pouvait pas, sauf exception, en tourner plus d’une par demi-journée. Car chaque fiction a ses propres personnages, et son propre décor. Ce n’est pas une série rentable (2 mn de temps utile par demi-journée !).

Le tournage, c’est faire plusieurs choix : le lieu, le moment, et bien sûr les acteurs. Nous avons eu la volonté de tourner dans des décors réels, il n’y a pas de studio. Sauf une exception (Jazz, parce que ça se passe à la radio). Tous les épisodes ont été tournés à Strasbourg ou dans les environs. Volonté de tourner dans un territoire local, même si les fictions ne sont pas situées géographiquement. Choisir un lieu relève parfois de l’évidence. T’as pas d’vie, qui est inspirée d’une véritable histoire, a été enregistré dans un tram, comme les faits réels qui l’ont inspiré. Ce qui était amusant, c’est de voir les passagers surpris de voir l’acteur se mettre en colère, car le tournage change le réel. En tournant « dehors », nous injectons de la fiction dans l’espace public. Certains passants ou évènements interagissent avec le micro délibérément ou non, et transforment irrémédiablement l’épisode, en changeant presque du tout au tout son ambiance, et l’incarnation qu’en font les comédiens … pour le meilleur ou pour le pire.

Le premier épisode qui a été tourné est Les 150. Dans le bar d’une amicale de pêcheurs, près d’un canal, en périphérie de Strasbourg. C’était extraordinaire d’enregistrer un couple, avec tous les clients du bar. Il y aurait eu moyen de laisser plus de séquences documentaires, avec des extraits de conversation dans le café. Mais deux minutes, ça passe vite ! Et il n’y avait pas la place pour intégrer ces séquences. Mais ce souvenir est important, c’est là que nous avons su que Fins du monde serait possible.

L’enregistrement, c’est aussi un moment où l’on tente de capter un climat, une atmosphère. Le lézard est censé se dérouler la nuit, dans une chambre d’hôtel. Nous n’avons pas enregistré la nuit, mais nous avons enregistré dans la chambre d’un appartement aux volets fermés. C’était important pour les acteurs d’être dans la pénombre, cela a créé une intimité entre eux, ils se sont mis à parler tout bas. Idem pour Quitter la nuit. Pour Accident du travail, la séquence se déroule dans une voiture, il faut rapidement trouver un hôpital car une personne est blessée. Eh bien nous avons enregistré dans une voiture, et roulé à une certaine vitesse, comme pour rendre compte de l’urgence de la situation. Il a même fallu faire un break car, avec l’accumulation des prises, l’actrice a eu des nausées. Nous avons la volonté d’enregistrer des comédiens en mouvement, même si on ne les voit pas dans un podcast de fiction audio. Ce mouvement est tout de même perceptible par les auditeurs, et nous permet d’incarner différemment les fictions. Il permet aussi une certaine dose de « mise en danger », qui nourrit différemment chacune des fictions et nous oblige à renouveler les stratégies. Parfois, le lieu de l’enregistrement ne correspond pas du tout à celui de la séquence. Bangkok se situe dans la salle d’attente d’un hôpital (décidément !) mais a été enregistré dans un… ascenseur, bloqué pour l’occasion. L’actrice a ainsi la désagréable impression d’être prise au piège, comme si elle souffrait de claustrophobie. C’est ce qui est agréable à la radio : grâce à l’absence d’image, on ne doit pas être réaliste. Ce qui est important, c’est le décor intérieur. Il est plus intéressant de signifier la déshumanisation du monde dans un ascenseur que dans une vraie salle d’attente. Retour, une histoire de fantômes, qui doit se passer dans un vestiaire de piscine a en réalité été tourné dans la… douche d’un appartement. Le facilitateur, avec son atmosphère de film d’espionnage, a été tourné près d’un canal… Le choix d’un lieu se fait aussi bien entendu en fonction de l’espace créé, et être dans une salle d’attente ne produit pas les mêmes sensations que d’être dans la cage d’un ascenseur. Tourner dans des décors naturels n’est parfois pas une sinécure. Nouvelle vague, qui a été enregistré dans un café, a sans doute été un des tournages les plus compliqués en raison des variations d’ambiance d’un moment à l’autre. Et encore, le gérant avait accepté de couper la musique.

3. Acteurs

Certains acteurs sont des professionnels, d’autres ne sont pas comédiens. Il y a les deux configurations. Cela s’est fait en fonction des rencontres. À Strasbourg, il y a le Théâtre National de Strasbourg, et sa très bonne école. Plusieurs comédiens de Fins du monde en sont issus : Camille Dagen et Romain Darrieu, le couple qui se sépare dans une émission de radio, Eve-Chems de Brouwer, qui joue dans Accident du travail et Quitter la nuit. Les comédiens sont bien entendu plus disposés à improviser, et à jouer avec un texte. Jazz ne devait être, à l’origine, qu’un épisode de 2mn30 comme les autres. Le texte correspond à cette durée-là. Mais Camille Dagen et Romain Darrieu ont commencé à improviser, et n’arrêtaient plus de se disputer ! C’était formidable, et nous les avons laissés créer des répliques qui n’existaient pas lors de l’écriture. Lors du montage, cela a d’ailleurs posé problème : comment travailler ce matériau ? Leur dialogue ne pouvait pas être réduit à deux petites minutes. Nous avons finalement choisi de réaliser quatre épisodes à partir de leur travail, et ces épisodes sont devenus des fils rouges de la saison 1 (Jazz, Train Bleu, Tendre est la nuit, It came out of blue). Il nous est aussi arrivé, lors d’une rencontre à la SACD, de diffuser les quatre épisodes, qui sont chronologiques, à plusieurs moments, pour ponctuer la soirée d’écoute. Ces épisodes sont une histoire autonome dans la série. Il y donc quand même des exceptions à ce désir d’éclatement des épisodes. La fille et La copie d’une part, et Fête foraine et Retour peuvent aussi être pensés comme une paire d’épisodes qui met en scène les mêmes personnages. Nous aurions voulu plus de correspondances encore entre les histoires, lors du tournage, mais la série n’avait pas été écrite dans cet esprit.

Parmi les non-professionnels, il y a tout un groupe d’étudiants du lycée Le Corbusier d’Illkirch (BTS Design Graphique). Ce sont d’ailleurs eux qui ont été les premières voix de Fins du monde. Bien avant que nous ne lancions les enregistrements de la saison 1, Ada Wojtowicz avait demandé si elle pouvait utiliser les textes pour un atelier radio. Le résultat était impressionnant, et c’est assez naturellement que plusieurs étudiants ont été invités à jouer dans la série. Ce sont eux qui ont constitué les duos. Lisa Pham Chanh Hieu et Simon Frenay (Le lézard), Camille Mertz et Ophélie Volfart (Inadmissible), Léa Mariette (La bicyclette, Retour, Fête foraine). C’est intéressant de voir que les textes de Fins du monde circulent, et qu’on peut les reprendre, comme des chansons.

La voix du générique, et celle de plusieurs épisodes (Le facilitateur, Fin du monde), est celle de Xavier Delcourt, professeur d’université à la retraite. Xavier a une voix qui « fictionne ». Le simple fait qu’il s’empare d’un texte, grâce à sa voix et à sa présence, nous plonge dans un univers mystérieux. Nous lui avons aussi demandé, ainsi qu’à un autre professeur à la retraite, Alain Chanel, d’interpréter un jeune adolescent qui doit rassurer son ami inquiet à l’idée d’un rendez-vous amoureux. Demander à des comédiens plus âgés d’interpréter des personnages jeunes était le pari de cet épisode, Nouvelle vague. Nous avions aussi la version réalisée par les jeunes étudiants du lycée Le Corbusier, qui était totalement différente ! Il y a aussi un décalage lié au fait que des personnages masculins ont été joués par des comédiennes. Ainsi, dans Inadmissible, un couple homme/femme s’est transformé en couple de femmes. Et le lycéen amoureux d’une fille de Fête foraine a été joué par une comédienne, ce qui change donc la dimension sexuelle de l’histoire. Tout n’est pas toujours conscient dans ces changements, c’est bien aussi.

Dans certains cas, avec ceux qui ne sont pas comédiens, nous nous sommes appuyés sur les compétences acquises dans le cadre de leur travail. Le personnage principal de Writing room, une scénariste, est interprétée par une vraie scénariste, Elina Gakou-Gomba. Celle-ci a modifié le texte initial, et a introduit de nombreuses expressions propres à son univers professionnel, qui apportent de la crédibilité à la séquence. Mélanie Fresard, qui joue une policière (La copie, La fille) interrogeant une adolescente, est elle-même en contact avec des jeunes dans le cadre de son travail au sein d’une association. Les deux commentateurs du prix de Formule 1 de Changement de pneu sont eux-mêmes journalistes, et sont spécialistes de sport ! Ils apportent beaucoup de crédibilité aux personnages. Il est très difficile de jouer des personnages de journalistes, ils ont souvent intériorisé des manières de s’exprimer au fil des années qu’il n’est pas facile de reproduire pour un acteur.

De nombreux comédiens sont aussi des artistes que nous connaissons. David Séchaud (Writing room, Accident du travail) est scénographe et metteur en scène, Juliette Autin (Les 150, Bangkok) est scénographe, Viny Besnard (La conférence) est autrice-compositrice et chanteuse, Robin Beilé (Les 150, Le facilitateur) et Mike Sapwe (T’as pas d’vie) également… Ils ne sont pas habitués à interpréter des personnages, mais ils ont l’expérience du travail de création. Ce qui est intéressant, c’est de créer ce petit décalage, de leur demander d’être à une autre place que celle qu’ils occupent la plupart du temps dans leur travail.

Nous avions aussi constitué un petit protocole. Nous ne souhaitons pas que les comédiens lisent leur texte durant l’enregistrement. Nous commencions donc par leur faire lire le texte, de manière neutre. Puis nous enregistrions une ou plusieurs prises avec le texte, puis, progressivement nous cachions le texte. Ce qui n’a rien d’évident pour ceux qui ne sont pas comédiens. Mais c’est ainsi, nous préférons les interprètes en mouvement, avec parfois quelques maladresses, à une lecture parfaite. Les comédiens ne pouvaient pas se reposer sur le texte. Nous leur disions souvent : INTERDICTION de lire ! Ce qui importait, c’était la réinterprétation du texte par les « acteurs », la manière dont ils vivaient la situation, et incarnaient le personnage. C’est plus une fidélité à la situation qu’au texte que nous recherchons. Nous ne sommes donc pas dans une impro totale, c’est même tout l’inverse. Le moment du tournage est pour nous une des phases de l’écriture de Fins du monde.

4. Montage / Réalisation

Le processus de réalisation débute souvent à la première lecture du texte. Nous discutons ensemble de l’idée globale émanant de la fiction, de ce qu’elle nous évoque dans notre expérience propre. Ce processus sera aussi répété auprès des acteurs dans une moindre mesure. Nous décidons ensuite du lieu du tournage ainsi que des acteurs. Ces choix emmènent la fiction dans une direction, par exemple dans Le sabre, nous avons pensé à Florian Bonvarlet qui entretient lui-même une relation particulière avec les films de Quentin Tarantino, et à qui nous avons demandé de jouer de la guitare en même temps qu’il jouait le texte, ce qui le mettait plus à l’aise, et qui, même si le montage deviendrait bien plus difficile par la suite, apportait une couleur inédite à l’épisode.

Dans Writing room, nous avons joué dans le lieu de travail (temporaire) d’Elina Gakou-Gomba. Pour l’épisode Fin du monde, nous avons décidé de partager les rôles entre une enfant et une personne plus âgée. Souvent nous recherchons un « décalage » avec le texte d’origine, une sorte de déplacement, ou alors un fil à tirer pour amener l’histoire à prendre une direction plus burlesque, plus fantastique, pour, en fait, créer un autre regard par la mise en scène du texte original. Dans Retour, le décalage vient du fait que Léa Mariette joue les deux personnages de l’épisode, le lycéen amoureux et le fantôme, qui est en réalité une lycéenne qui s’est tuée dans un accident de manège. Les deux jeux sont différents : le lycéen parle normalement, tandis que le fantôme chuchote, comme s’il ne voulait pas être découvert (ils sont dans une cabine de la piscine).

Une fois le tournage fini, nous passons par une phase de dérushage et de montage. Ce processus engendre parfois une sorte de réécriture, qui nous amène à choisir ensemble la direction finale que prendra l’épisode, comme par exemple dans Jazz, ou Fête foraine. Au début, la construction du rythme des épisodes était difficile. En effet, nous avions à chaque fois entre 1 et 2 heures de rush pour un épisode de 2 minutes, avec en plus parfois un jeu inégal dû à des comédiens non-professionnels. Certaines séquences de texte mises bout à bout duraient souvent 10 minutes, parfois 20 minutes. Et en plus, nous souhaitions laisser dans ces 2 minutes des silences et des espaces pour le son, mais aussi introduire les épisodes par quelques secondes de sons, afin de laisser le temps à l’auditeur de s’immerger dans l’univers créé. Puis nous avons petit à petit réussi à réduire les montages à 8 minutes puis 5 et enfin environ 2 minutes. Comme lors du processus d’écriture, au bout de quelques épisodes, le rythme est trouvé et le montage devient plus évident. Dans cette phase de travail, le format des 2 minutes a aussi été très contraignant. Fête foraine a pris énormément de temps au mixage car des sons de manège sont mixés avec de la musique, et trouver le bon rythme et la bonne place de chaque élément a donné du fil à retordre !

La question du rythme est primordiale. Dans Fins du monde nous avons cherché à créer des sortes de ponctuations au sein des épisodes. Des temps d’écoute du son, des temps d’arrêt, des respirations, mais aussi des blocs de phrases ponctués de points d’interrogation. Chaque épisode devait posséder sa couleur propre, son univers et ses contrastes et, comme pour les morceaux qui composent un concert, des tempos. La musique est un élément que nous avons du mal à considérer comme un simple « habillage », même si souvent elle semble s’en approcher. Les épisodes sont travaillés comme des compositions musicales, avec des basses, des voix, des instruments, des éléments percussifs, un tempo, des timbres. Par cela, nous nous rapprochons de la musique électro-acoustique. Souvent la musique découle de sonorités que nous percevons déjà dans le tournage… bruits blancs dus à une soufflerie, murmure urbain, rythme des échanges entre les voix, timbre des voix… Jonglant entre des enregistrements que nous avions déjà réalisés et des créations originales réalisées sur le vif.

Sur le vif, car notre pratique de la création musicale est très liée à l’improvisation elle aussi. Nous prenons un instrument, un objet, une voix, et hop, nous enregistrons en direct. Souvent ça marche. Puis nous montons, nous mixons, avec la fiction. C’est ce qui s’est passé dans Retour ou Bangkok par exemple.

Dans Writing room, la musique a été pensée « efficace », afin de rappeler les musiques de « soap opéra » et justement de servir une sorte « d’habillage » mais qui correspond au format que nous voulions y évoquer. Elle permet également de ponctuer le débit de l’actrice, sa manière de parler et d’ajouter de l’humour à l’épisode. En effet, l’auditeur entend ici des bruitages qu’il sait inconsciemment inaudibles des personnages fictifs. Cela crée une sorte de mise en abîme de la fiction. Car justement dans Fins du monde nous souhaitons que l’auditeur écoute, au sens presque d’espionner.

Dans Le facilitateur et Quitter la nuit, nous avons ajouté des enregistrements musicaux d’il y a quelques années de Thomas Rochard et Marine Angé. Les montages ont été alors réalisés par des aller-retours entre ces musiques et le tournage de la fiction. Dans Le facilitateur, les frottements d’archet dialoguaient bien avec le murmure de la ville ; nous avons également ajouté des enregistrements de corneilles afin de créer une véritable ambiance cinématographique.

Dans La bicyclette, le violoncelle devient lui-même un personnage, dialoguant avec le personnage principal. Dans Le plongeon, le son de la fin, enregistré lors d’un concert de Matthias Moss et Marine Angé, incarne ce « monstre » ou objet effrayant évoqué par le personnage. Dans cet épisode, pour reprendre toujours cette idée « d’écoute » du public, nous avons choisi d’altérer le son par des coupures brutes, pour laisser entendre que l’aspect fantastique ayant lieu dans la fiction se répercute également dans l’univers de l’auditeur.

C’est également un parti pris dans les épisodes Jazz, Train bleu, Tendre est la nuit et It came out of the blue. Dans ces épisodes, « l’écoute » est portée à son apogée puisque nous écoutons ce que nous ne devrions pas entendre, le off d’un plateau radio. Pour renforcer cette idée, nous avons choisi d’alterner les points de vue. En effet, nous entendons parfois la fiction depuis le studio radio, dans lequel a lieu le dialogue des personnages de David et Mélanie (son clair et neutre, pas de sons d’ambiance) mais nous l’entendons également depuis le lieu d’écoute d’auditeurs fictifs, puisque nous entendons un son provenant d’un poste radio, depuis une salle de bain, une cuisine, un salon…. Et accompagnés des bruits du quotidiens (ceux qui nous accompagnent tous dans nos écoutes radiophoniques, auditeurs que nous sommes) : lavage de la vaisselle, brossage de dents, douche…. Et c’est là pour nous le lieu du fantastique, quand le fantastique opère un déplacement entre le fond et le format de la fiction. L’épisode Jazz agit comme une porte d’entrée des fictions de la série. L’auditeur est dans la fiction, c’est lui qui la fabrique, et « écoutant », en espionnant des bribes d’histoires, des fins du monde. Les trois autres épisodes mettant en scène ce studio radio, agissent en fil rouge pour ponctuer la série, comme les dialogues des présentateurs lors d’une émission de jazz.

Dès le début de ce travail nous avions à peu près une idée de l’ordre dans lequel nous diffuserions ces épisodes (il existe également une version d’une heure avec tous les épisodes à la suite dans un seul format, et sans générique), ce qui a contribué aux univers des épisodes. Dans Fins du monde, quelques bruitages ont été réalisés (La copie, Quitter la nuit et pour Writing room aussi, car nous voulions un aspect « soap opéra ». Parfois, les sons sont téléchargés depuis des banques de sons. Beaucoup de sons ont subi des transformations, des montages en couches, afin de créer des univers inédits et immersifs.

Mais, aussi, parce que nous avons décidé de tourner beaucoup d’épisodes en extérieur ou dans des environnements réels, certains épisodes sont livrés presque dénués de sons ajoutés (La conférence, Le sabre, T’as pas d’vie…). Ici il s’agissait de laisser vivre les sons présents dans les tournages, parfois déjà musicaux, mais aussi parce que nous souhaitions donner à certaines fictions un traitement plus cru, et plus proche d’une sorte de document, ou de témoignage. Ce traitement nous a permis aussi d’alterner la diffusion avec des épisodes plus chargés en couches sonores.

Y-a-t-il une unité stylistique ? En fait, chaque épisode est une sorte de petit laboratoire en soi. L’inspiration est cinématographique. Certains épisodes relèvent du genre fantastique (Le plongeon, Retour, Fin du monde, Les 150), d’autres du genre film noir (It came out of Blue, avec sa musique jazzy et ses bruits de pluie) ou du polar survitaminé (Accident de travail). Avec d’autres, nous avons aussi la volonté de nous inscrire dans tel ou tel genre cinématographique. Nouvelle vague ne s’appelle pas ainsi par hasard, c’est l’esprit des premiers films de Claude Chabrol et de Jean-Luc Godard qui inspirent ce dialogue d’amis qui parlent des filles qu’ils aiment. L’esprit de la nouvelle vague se retrouve aussi dans Le lézard et Quitter la nuit (dialogue amoureux), Fête foraine, avec la voix de Léa Mariette qui évoque les voix off de François Truffaut. En revanche, pour ce dernier, les bruits de fête foraine et de cris de foule sont un contrepoint à cette dimension plus romanesque. Comme si la beauté luttait contre la trivialité, et que le songe du héros se heurtait à la prosaïque réalité. Changement de pneu commence comme une retransmission sportive à la TV, mais se termine comme un film tragique qui pourrait se dérouler pendant la Guerre du Vietnam. Même en 2mn30, on peut donc jouer avec beaucoup d’instruments pour créer une atmosphère.

5. Économie

Avec Fins du monde, nous nous trouvons dans une économie précaire. Certains des choix que nous avons faits (peu de matériel, format, tournages en extérieurs, acteurs non professionnels…) ont la place dans cette économie, mais nous les revendiquons également dans le traitement et le fond de notre sujet. Cette économie précaire dans laquelle nous nous trouvons n’est pas un choix en soi, nous aimerions rémunérer plus justement nos partenaires et nous-mêmes, et il existe peu de moyens mis à disposition pour la fiction radiophonique en France.

Fins du monde a été créé dans un mouvement de transformation du paysage de la fiction radiophonique en France, entre les créations radiophoniques et le podcast. La série a d’ailleurs été diffusée par les deux biais, à la radio en Belgique (RTBF, Par Ouï-dire) et au Canada (Magneto), ainsi que, de notre propre initiative, en podcast en France (ici). Son format correspond également pour nous à une tentative de se rapprocher des modalités d’écoute de la musique sur internet et à la radio. Même si nous nous sommes rapprochés d’une certaine forme d’efficacité due au format court, nous n’en avons pas moins essayé de traiter un questionnement de fond qui parcourt les 24 épisodes, pour au final entretenir l’attention des auditeurs sur 60 minutes.

Conclusion

Dans ce travail, nous souhaitons immerger le public dans un monde de sons, aux univers et aux couleurs variées. Nous souhaitons lui faire entendre des voix provenant de milieux différents, aux grains, aux accents, à la musique variée. Lui faire entendre des sonorités étranges, et lui donner accès, par la fiction, et par un format proche de la chanson, à des questionnements de fond, mais aussi à activer son sens de l’écoute. Lorsque nous avons réalisé ces épisodes, nous avions notre propre fiction dans la tête, pour nous, les épisodes étaient des évènements qui arriveraient simultanément.

Notre manière de travailler se souhaite horizontale : les acteurs et musiciens ont aussi leurs propres interprétations et suggestions, ainsi que les espaces dans lesquels nous travaillons. Dans Fins du monde, et de manière assez spécifique à ce travail-là, nous n’adaptons pas vraiment les textes mais nous écrivons, avec le son et avec des mots et l’enregistrement, de véritables créations originales, basées sur des histoires, des sons, des voix des interprétations… Ceci, de l’écriture à la réalisation, en passant par le tournage où nous sommes tous présents. Ainsi se créent des histoires qui nous échappent… et c’est pour le mieux.

La saison 2 est pour très bientôt ! Mais nous ne reproduirons pas le même dispositif. Il y aura moins d’épisodes ‒ une dizaine ‒ et les durées se rapprocheront des dix minutes. En revanche, il y aura davantage de liens entre les épisodes, et tous auront plus ou moins une structure identique. Mais les personnages seront aussi à chaque fois différents.

Fins du monde s’écoute sur les plateformes de podcast, et sur : https://sonyapodcast.com/

Auteurs

Marine Angé est artiste, autrice, réalisatrice sonore et musicienne.

Christophe Deleu est professeur à l’université de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d’enseignement du Journalisme). Il a publié plusieurs ouvrages, dont Le documentaire radiophonique (Ina-L’Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF. Il est président de la commission radio de la Société des Gens de Lettres.

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Fiction radio : convictions d’un soutier du tout-script

1. Pour qui, comment, avec qui j’écris des fictions radio

 

 

2. Quelques convictions / obsessions / pratiques d’écriture

 

 

Auteur

Comédien depuis 2007 (théâtre, télévision, radio) après une première carrière comme analyste médias pour différentes instances du gouvernement (cabinet du premier ministre, présidence…), François Pérache est aussi auteur radio, trouvant son inspiration dans son expérience de certaines sphères de pouvoir et des sujets politiques liés à la conquête ou l’exercice du pouvoir. Son coup d’essai en 2014, le feuilleton, 57 rue de Varenne, diffusé sur France Culture, est récompensé du prix Europa 2014 de la meilleure série radio européenne et totalise aujourd’hui cinq saisons (2014, 2016, 2017, 2018, 2020), avec une sixième et dernière en préparation. En 2014, il écrit aussi deux « Nuits noires » pour France Inter, J’y suis j’y reste, pastiche de la célèbre émission Là-bas si j’y suis  de Daniel Mermet sur France Inter (1989-2014) et Coude à coude, une « farce politique », veine dans laquelle s’inscrivent aussi deux séries de 4 épisodes pour France Inter, émission « Affaires sensibles » de Fabrice Drouelle : La Veste, 2018, qui met en scène la défaite de François Fillon aux Présidentielles de 2017 et Jeanne revient, un docufiction sur la famille Le Pen. De guerre en fils, diffusé par Arte Radio en 2016, feuilleton 6×12 min. environ, récompensé en 2017 de plusieurs prix (Phonurgia Nova, Italia, Ondas), apporte une inflexion familiale. Sa dernière œuvre, Les Palmes, sous-titre « Farce tragique en milieu scolaire fermé » est une satire du monde de l’Éducation diffusée sur France Culture, en octobre 2020. À lire ou écouter : entretien du  1er juillet 2020 avec l’Atelier Canopé du Finistère ; entretien du 8 juillet 2021 avec Thomas Guillaud-Bataille.

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De la poésie sonore à la fiction audio

Le présent colloque tombe à point nommé. La fiction radio manque cruellement aujourd’hui d’espaces pour réfléchir à sa pratique. Il y a peu nous avions encore la revue Syntone qui nous servait de chambre d’écho, c’était un peu nos Cahiers du Cinéma à nous. Nous n’avons plus la revue Syntone, et nous nous sentons bien seuls. Des moments réflexifs comme celui-ci sont d’autant plus précieux qu’ils contribuent à faire émerger une prise de conscience de notre propre pratique, à faire naître une culture.

Je vais essayer, dans cette intervention, de décrire brièvement mon parcours artistique, de montrer comment je suis passé de la poésie sonore à la fiction radio [1], pourquoi ce passage a été tout naturel pour moi, alors que – comme me le rappelait Pierre-Marie Héron en préambule – c’est un trajet finalement assez peu commun ; je souhaiterais ensuite mettre en lumière les concepts qui sous-tendent la notion même de poésie sonore, et qui continuent à éclairer ma pratique de la fiction audio ; enfin, en vous ouvrant ma modeste boîte à outils conceptuels, j’ai l’espoir que l’un ou l’autre de ces outils puisse vous servir également dans votre approche de la radio et nous aide à dessiner ensemble un horizon de la fiction audio.

J’aimerais commencer en annonçant mon présupposé de départ (sans doute très largement partagé dans ce colloque) : la fiction radio est un art ; c’est ma conviction ; la fiction radio est un art à part entière, au même titre que le cinéma ou la littérature par exemple, et en tant que tel n’a pas à rougir devant ces grands modèles. L’intitulé même de ce colloque, évoquant un « désir de belle radio », semble à la fois placer avec enthousiasme la radio au rang des Beaux-Arts, et suspendre dans le même temps son geste à la condition d’un désir encore à réaliser.

J’affirmais à l’instant que la fiction radio est un art à part entière. Pourtant, à la différence de ses grands aînés, on ne peut pas dire que se rencontre couramment dans la jeunesse de vocation à la fiction radio. Je ne pense pas que beaucoup d’adolescents se soient réveillés un matin en se disant : « Plus tard je ferai de la fiction radio », alors que c’est le cas pour l’écriture, la musique, le cinéma, etc. On peut donc se demander pourquoi ce n’est pas le cas, et si cet état de fait ne jette pas quelque ombre sur la prétention de la fiction radio à être un art à part entière.

Je ne déroge pas à la règle moi-même. Dans ma jeunesse, je ne me suis pas non plus rêvé réalisateur de fictions radio [2]. Ma vocation, c’était plutôt la poésie. J’étais biberonné à Lautréamont, Henri Michaux, Antonin Artaud (dont l’émission longtemps censurée Pour en finir avec le jugement de dieu faisait déjà partie de mon panthéon). Mais à l’époque tout ce qu’on me proposait comme poésie contemporaine dans les rangées des bibliothèques publiques, c’était une sorte de « poésie blanche », très abstraite, qui ne semblait pas pouvoir parler du monde dans lequel je vivais – le monde du parking de l’hypermarché, des lotissements résidentiels Bouygues ou du journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault. Mon désir poétique se fracassait contre ces réalités, et s’y fracassait d’autant plus que le langage – les vieux mots du dictionnaire français, fatigués par des siècles d’usage [3] – ne me semblait pas adapté pour décrire dans toute sa crudité cette réalité contemporaine, et la transcender.

À partir de ce moment-là j’ai pensé que je devais renoncer à la poésie, et que le salut viendrait de ce que je pensais être son antithèse : le cinéma. Paradoxalement c’est en commençant mes études de cinéma, aux Beaux-arts de Genève, que je découvre la poésie sonore [4]. C’est un choc : on m’avait caché cette forme de poésie jusqu’à ce jour ! J’assiste donc à des lectures-performances de poètes qui « sortent le poème de la page », le mettent « debout » sur scène, le font passer à travers leur corps, leur voix, comme Christian Prigent ou Christophe Tarkos. Je commence moi-même à pratiquer la poésie sonore, sur scène, avec ma propre voix, avec des textes qui sonnent, en m’accompagnant parfois de sons, déjà. En même temps dans mes études de cinéma je découvre comment fonctionnent les logiciels audio, je prends l’essentiel de mon plaisir à post-synchroniser mes petits films d’étudiant – c’est-à-dire à refaire tous les sons un à un, à la façon d’un Tati ou d’un Fellini. Mais je m’avère être un bien piètre cinéaste ; en séance de visionnage, mes rushes me semblent toujours fades, décevants, jamais à la hauteur de mes images mentales.

La rencontre avec la radio se produit quand j’arrive à Bruxelles, dans le cadre de mes études de cinéma – la radio est alors le seul endroit à Bruxelles à accueillir ma passion pour la poésie sonore. Mais pas n’importe quelle radio : l’atelier de création sonore radiophonique (acsr). C’est un endroit unique en son genre, qui me permet très tôt de proposer des dispositifs radiophoniques pour des formes poétiques [5]. Quand j’y arrive dans les années 2000, l’acsr bouillonne de réflexions sur la radio – « la radio est un art » est notre mantra. Mais autant, dans nos discussions, cette certitude est assez facile à défendre quand il s’agit du documentaire radiophonique, avec des grandes figures comme Yann Paranthoën ; ou quand il s’agit de la création radiophonique de type Hörspiel, avec des noms comme René Farabet, Luc Ferrari ou encore l’ACR de France Culture ; autant cette affirmation devient beaucoup plus difficile à tenir quand il s’agit de fiction radiophonique. En tout cas, dans notre expérience à ce moment-là, nous n’avons jamais vécu de choc esthétique en écoutant une fiction radio, il n’y a aucune grande figure que nous admirons et dont nous voulions nous inspirer. Il faut rappeler qu’à l’époque on parle encore de « dramatiques radio » sur les ondes publiques, que ce qu’on y entend sent souvent le renfermé, le studio. La fiction radio d’alors ne nous semble pas animée d’une volonté propre, elle semble se contenter de son rôle de faire-valoir servile d’un texte et d’un auteur. Ce n’était pas ce dont nous rêvions. Et cet état de fait nous embêtait beaucoup, parce que nous nous disions que théoriquement il n’y avait aucune raison pour que la fiction radio ne soit pas un art majeur.

Jusqu’à ce que l’on découvre – c’est le déclic qu’on attendait – cette fiction radio qui s’appelle Le Bocal, de Mariannick Bellot et Christophe Rault, sur Arte Radio. Ce n’est sans doute pas pour rien si le changement vient d’une webradio (c’est complètement nouveau à l’époque), si la révélation vient du numérique. On est en 2006 pour la première saison, puis en 2008 pour la deuxième (la plus aboutie selon moi). Et là soudain on se dit : c’est une fiction audio purement radiophonique, qui intègre le son comme une dimension intrinsèque de son écriture ; c’est absolument irréductible à la littérature, au théâtre ou au cinéma ; c’est purement radiophonique… C’est ce qu’on attendait. Ce modèle nous a libérés, nous a permis de nous dire : voilà, c’est possible.

À partir de ce moment-là, je commence moi-même à réaliser des fictions radio. Dans une « première période » si j’ose dire, que je qualifierais d’expérimentale [6], je réalise encore des fictions radio « en poète » ; c’est-à-dire qu’à chaque fois je trouve une idée sonore qui me semble valoir la peine d’être réalisée, mais à chaque fois je me dis aussi que c’est la dernière fois, que c’est un one shot. Je ne suis pas encore entièrement convaincu que la fiction radio est un langage à part entière. Dans Kirkjubæjarklaustur par exemple, l’idée était de faire une fiction radio « normale » en quelque sorte, mais où tous les sons – narration, dialogues, musique, bruitage, sound design, paysage sonore – sont faits « à la bouche ». La seule source sonore, c’est la bouche des trois interprètes que nous sommes. À partir de cette source unique, on recrée tout un monde. C’est une sorte de geste d’arte povera radiophonique, si l’on veut, d’affirmation de l’artificialité radicale de la radio et en même temps de sa simplicité et sa puissance universelle. À partir de rien, à partir de la flammèche vacillante d’une voix, on peut recréer le monde. Pas besoin d’autre chose. Au diable le réalisme ! Encore une fois, l’idée derrière cette démarche était de créer un objet strictement radiophonique, sans équivalent dans d’autres disciplines, cinéma ou littérature par exemple.

Et puis dans un deuxième temps, après cette période « expérimentale », j’entre dans une deuxième période plus « fictionnelle » [7], où je commence à assumer que je suis un réalisateur de fictions radio, que c’est devenu mon mode d’expression principal, mon métier, où je commence à apprécier le simple fait de raconter une histoire avec les moyens du son et de la radio, où je suis enfin convaincu qu’il y a une infinité de styles possibles en fiction radio, que c’est un langage à part entière [8].

*

Après avoir rapidement brossé mon parcours, j’aimerais revenir maintenant à la notion de « poésie sonore » – un bien étrange objet quand on y pense –, et prendre le temps de m’arrêter sur certains des concepts qui la traversent, et qui contaminent encore ma propre façon de faire la radio. Dans le cadre de cette intervention, je ne parlerais pas de toute la poésie sonore (il faudrait un colloque entier pour cela), je me concentrerai donc uniquement sur Henri Chopin, un des fondateurs de la poésie sonore [9], à la fois parce qu’il est sans doute le plus emblématique des poètes sonores, mais surtout parce que son œuvre est celle qui m’a le plus marqué. Il n’y a quasiment pas de mots dans les audiopoèmes d’Henri Chopin (c’est ainsi qu’il les nomme), c’est essentiellement du souffle, du corps qui est enregistré. Il y aurait de multiples façons de décrire le travail d’Henri Chopin. L’un d’elles – très caricaturale – consisterait à dire par exemple que c’est quelqu’un qui a enregistré des gargouillis sur un magnétophone et qui appelé ça « poésie ». Comme dans un geste duchampien où l’on pose l’estampille « art » sur une pissotière. Au-delà de la provocation, ce geste a le mérite de faire table rase d’une certaine poésie – pompeuse, précieuse, académique, bourgeoise (rayer la mention inutile). Et cela fait le plus grand bien. Mais c’est aussi une affirmation du corps, de l’organique – là encore en opposition à une poésie « blanche », abstraite, éthérée. Et c’est aussi tout simplement très beau. Si on écoute du Henri Chopin aujourd’hui, c’est d’une beauté lunaire, ça ne ressemble à rien, c’est une expérience inouïe, comme si on venait d’atterrir pour une heure sur une planète aux paysages inconnus qu’on ne serait pas sûr d’être amené à revoir un jour.

Mais – et c’est là où je voulais en venir – c’est aussi un geste théorique. Le simple fait d’appeler « poésie » l’enregistrement de cette voix pure, de ce pur vouloir-dire dénué de mots, contient toute une pensée, complexe et élaborée, repliée sur elle-même. Que nous dit ce geste ? Que toute l’histoire de la littérature est une simple parenthèse, un accident de parcours technologique dans l’histoire d’un art qui serait beaucoup plus vaste, beaucoup plus ancien, et qui serait la Poésie sous la forme de la tradition orale, l’Art de la parole, un art originel qui aurait toujours été là. Depuis la nuit des temps la poésie aurait été orale, sauvage, sous la forme du cri ou du chant, primitif d’abord, accompagnant pendant des dizaines de millénaires Homo Sapiens dans ses chasses ou dans ses peintures rupestres à la lueur des torches, puis s’articulant, devenant exclamation, émerveillement, imprécation, mélopée, ritournelle, litanie, sortilège, prière, jeu, joute ; elle se serait certainement civilisée au Néolithique, à la fondation des Cités et des civilisations, raffinée, enrichie au contact des autres langues et des autres cultures, sous la forme de l’épopée notamment, occasionnellement accompagnée de cordes pincées ou de tambours de peaux ; elle serait devenue d’une sophistication extrême, ses meilleurs aèdes auraient été recherchés dans les cours les plus prestigieuses – nous sommes à l’époque des sources orales de l’Iliade et de l’Odyssée – mais toute cette lente construction d’un art s’est évanouie d’un coup dans notre mémoire, comme finissent toujours par s’évanouir les paroles. Ce n’est finalement que très tardivement dans l’histoire de la Poésie que s’opère la rencontre déterminante avec une nouvelle technologie, l’écriture, une technologie de comptables à l’origine, inventée pour répertorier le nombre de jarres d’orge ou de têtes de bétail que l’on devait. La rencontre avec cette technologie a été – on le sait – ô combien heureuse et féconde, et a engendré cette longue idylle qu’on appelle littérature. Mais pour passionnante qu’elle soit, ce moment particulier de la Poésie qu’est la littérature n’en constitue pas pour autant l’Alpha et l’Oméga, elle n’en est si l’on veut que le dernier méandre. Et tout nous incite à croire que la Poésie avant l’écriture était tout aussi heureuse et féconde. Le geste d’Henri Chopin consiste (entre autres) à nous reconnecter à cette fécondité heureuse des origines, à faire revivre son énergie essentielle et à la réinventer à l’aune de notre temps.

Si on suit ce chemin de pensée jusqu’au bout, on pourrait affirmer que l’écriture au fond n’est rien d’autre qu’une technologie d’enregistrement de la voix. On se souvient que Saint Augustin s’étonnait de voir un de ses collègues lire un texte à voix-basse. C’était une anomalie à l’époque. Un texte était censé être restitué à voix-haute. Un lecteur devant un manuscrit, c’était un peu comme une tête de lecture devant une bande magnétique, un diamant sursautant dans un microsillon ; il s’agissait de déchiffrer un système de signes et de le transposer en phénomène acoustique, phonatoire. À ceci près que l’enregistrement audio restitue le grain de la voix, son timbre, son rythme, quand l’écriture ne parvient à capturer que la suite des mots, le flux d’énonciation – dans lequel il nous arrive parfois tout de même de pouvoir encore « entendre » la voix-fantôme de l’énonciateur : c’est l’autre nom du style. Pour comprendre l’étonnement de Saint Augustin, il nous faut procéder par transposition. Imaginons par exemple que l’invention de la notation musicale ait rendu complètement obsolètes les concerts et les disques, et que désormais la musique ne se consomme plus qu’en silence, dans la solitude de sa chambre, le nez sur sa partition… La poésie sonore fait en quelque sorte retour aux origines de la poésie orale, en restituant ce lien au phonatoire, au timbre de la voix vivant et vibrant, mais en conservant de l’histoire de la littérature l’écriture, ou archi-écriture au sens derridien, l’inscription de cette voix vivante et vibrante sur ce nouveau papier qu’est la bande magnétique [10]. Car la poésie sonore n’est pas qu’affaire de présence sur scène du corps du poète ; dès le départ, c’est le magnétophone  qui est cardinal dans la fondation de la poésie sonore[11], pensé comme un nouveau stylo.

*

Si l’on fait pour sienne cette « théorie » que je viens d’énoncer, on ne s’étonnera pas que le glissement de la poésie sonore à la fiction audio se soit fait tout naturellement, un peu à la manière d’un écrivain qui, après avoir touché à la poésie, jetterait son dévolu sur le roman pour élargir sa palette [12].

Jusqu’à présent j’ai utilisé presque indifféremment les termes fiction radio et fiction audio. Il est temps de marquer ma préférence pour ce dernier. Est-ce à dire que je rattacherais d’une façon ou d’une autre la fiction audio à la grande Geste de la Poésie sonore dessinée par Henri Chopin, et que ce faisant je lui confèrerais un caractère plus essentiel que la fiction radio ? Je ne suis pas loin de le penser : le terme de fiction audio me semble plus vaste, en effet, je m’y reconnais plus, et j’affectionne particulièrement cette filiation, ce glissement sémantique de poésie / sonore à fiction / audio. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille jouer la fiction audio contre la fiction radio. Je ne pense pas que ça ait la moindre utilité. On sait combien il est tendu ces jours-ci de remettre en cause la radio face au rouleau compresseur du podcast – avec le danger d’un nivellement par le bas, d’un sous-financement, voire d’une disparition complète de la création radio. Je rappelle que le slogan du premier Paris Podcast Festival en 2018 était : « Ce n’est pas de la radio, c’est du podcast ! » [13]. Dans cette situation, on peut comprendre que soit très mal vécue par les acteurs et les actrices de la radio de création, œuvrant dans une ombre la majorité du temps, cette OPA agressive du podcast sur la narration sonore, tirant la couverture à soi, reléguant la radio au rang d’antiquité, criant haut et fort avoir inventé la roue.

Je pense que nous sommes à un moment particulier de notre histoire. Ce n’est sans doute pas pour rien si ce colloque s’est donné pour cadre d’études les dix ou vingt dernières années de notre médium. Cela coïncide avec l’arrivée du numérique dans les techniques d’enregistrement, de production et de diffusion [14]. Je suis convaincu que cette (r)évolution technologique a bouleversé plus qu’on ne le pense notre façon de faire de la fiction radio, son esthétique en général. Quand j’ai commencé à manipuler du son au tournant des années 2000, il n’était pas rare encore d’utiliser la bande magnétique, que ce soit pour l’enregistrement ou pour le montage. Je n’ai aucune nostalgie de cette époque-là, parce que pour moi c’était un support beaucoup plus lourd, beaucoup moins malléable que le son sur ordinateur. Une partie de l’amour que je voue au son est liée à la fluidité organique du numérique que j’ai tout de suite ressentie en le découvrant. J’évoquais plus haut Le Bocal sur Arte Radio. Pour moi c’est typiquement une œuvre d’une époque numérique. Je suis persuadé que c’était infaisable sur un vieux banc de montage magnétique, ou alors cela aurait été tellement fastidieux, cela aurait demandé tellement d’heures de travail pour atteindre une telle intrication du son et de la narration que personne n’aurait même songé à s’aventurer dans une telle esthétique.

Avec le numérique, le son acquiert une véritable plasticité, on peut modeler et remodeler à l’infini le flux d’ondes sonores qui coule de votre ordinateur. Pour illustrer cette impression, je vais donner un exemple : dans une de mes fictions, John Haute Fidélité, j’ai échantillonné un extrait d’une symphonie de Beethoven et j’ai modifié après coup les notes à l’intérieur même du sample, pour y introduire des dissonances presque dodécaphoniques. Comme si Beethoven avait écouté du Arvö Part sur son mp3. Ou comme si j’avais pu prélever l’ADN sonore de Beethoven, le modifier génétiquement et l’expédier par uchronie musicale dans un monde parallèle inconnu. Si les techniques du montage et du mixage étaient déjà présentes à l’ère du magnétophone et faisaient partie intégrante de son esthétique, le numérique a ajouté une nouvelle dimension sonore : l’art de la mutation.

Dans les années à venir, de nouvelles technologies audio vont faire leur apparition : l’Intelligence Artificielle ou les deepfakes vont nous permettre (ou nous permettent déjà [15]) de cloner des voix, par exemple la voix des morts, et de leur faire dire ce que l’on veut. Je me prends à imaginer une fiction où j’exhumerais une archive inconnue du général de Gaulle… ou une chanson inédite d’Édith Piaf… Ces technologies ne sont pas effrayantes à mes yeux dans leur usage artistique (dans un usage journalistique ou de manipulation de la vérité, c’est tout autre chose), elles sont réjouissantes au contraire, car elles mettent le créateur sonore dans la position de l’écrivain-démiurge, pouvant convoquer le monde à l’infini sur son ordinateur. Et cela va selon moi dans le sens d’un art audio comme art majeur.

Mais le tournant principal que le numérique a fait prendre à notre médium à mon avis se situe au niveau de la diffusion – la radio considérée non plus seulement comme art de flux, mais aussi comme art de stock. On peut ici reprendre à notre compte l’analogie avec le bouleversement que l’écriture a provoqué dans la poésie orale. Ce qui apparaît avec le numérique, c’est moins la possibilité de conserver des traces des œuvres passées – l’archivage sur bandes magnétiques ayant toujours existé dans les grandes radios publiques – que celle de les partager et de consulter facilement et largement [16]. Les écrivains ont leur bibliothèque, les cinéastes ont leur cinémathèque, et c’est dans la connaissance intime des œuvres du passé, dont on peut s’inspirer ou qu’on peut au contraire rejeter, que se crée une culture, par sédimentation. Or jusqu’à assez récemment en radio nous n’avions pas l’équivalent d’une radiothèque. La radio était un art quasi-amnésique, où chaque génération recommençait à bâtir sur du sable.

Cela a changé depuis une petite vingtaine d’années. Nous nous écoutons les uns les autres. Nous ne « ratons » plus la diffusion des œuvres de nos collègue, dans la mesure où celles-ci restent généralement consultables pendant des années [17]. Ces écoutes, ainsi que l’existence de festivals, de quelques – trop rares – articles critiques (dans feu Syntone, aujourd’hui dans Télérama ou Le Monde), ou d’un colloque comme celui-ci, contribue à créer l’émulation indispensable à la formation d’une véritable scène de la fiction sonore francophone.

En revendiquant plus haut mon attachement au terme fiction audio, j’ai peut-être donné l’impression de me placer moi-même dans cette catégorie d’artistes audio détachés de toute institution radiophonique, créant et diffusant indépendamment sur Internet. Or il n’en est rien. Mon mode de production reste extrêmement attaché à l’institution « radio » [18], qu’elle soit publique ou non, ne serait-ce que parce que c’est là qu’on peut trouver le financement indispensable à une production professionnelle comprenant comédiens, bruiteurs, sound designers, ingénieurs du son.

Cependant ces purs artistes de « fiction audio » détachés de l’institution radiophonique que je décris existent. Je citerai trois noms. Daniel Martin-Borret tout d’abord, qui – même s’il est régulièrement diffusé sur des radios – est vraiment pour moi l’exemple parfait de l’auteur audio, produisant ses pièces sur son propre blog, faisant tout lui-même, de l’écriture à la technique en passant par la musique et la diffusion, une sorte d’écrivain audio total (je ne sais pas s’il apprécierait ce terme). Je citerai également Èlg, un musicien électronique expérimental basé à Bruxelles qui a réalisé avec Amiral Prose une fiction audio hallucinée, à mille lieux du « storytelling » omniprésent dans le podcast. Je vous le recommande vivement, c’est très inspirant. Et enfin je citerai Vimala Pons, une circassienne et comédienne (notamment dans les films de Bertrand Mandico) et son très étrange et abouti Mémoires de l’Homme Fente, un livre audio ou « film sans images » (tel qu’elle le nomme) distribué directement en cassette. Il me semblerait malhonnête de qualifier son travail de «  radiophonique », puisqu’à aucun moment la radio ne semble entrer en ligne de compte, ni dans sa production, ni dans sa diffusion, ni même en tant que simple référence. Pourtant, loin d’être une simple « lecture audio » agrémentée de quelques effets sonores, son récit et sa construction font preuve d’une grande maturité sonore. Il n’y a pas de doute pour moi : nous pratiquons le même art : la «  fiction audio ». Et dans un autre registre, beaucoup plus pop et pulp, la saga mp3, apparue dans les années 2000, a sans doute fait de la « fiction radio » sans le savoir pendant des années, à l’instar de monsieur Jourdain. Pour emprunter une métaphore à la biologie, on pourrait dire qu’il y a eu « convergence évolutive » vers la forme de la fiction audio, en provenance de différents médias et de différents milieux, n’ayant pas forcément de rapport les uns des autres.

Deux mots pour finir.

Avant de nous projeter un tant soit peu vers l’avenir, prenons déjà notre élan vers le passé. On trouve déjà la trace de cette aspiration à la fiction audio dès le XVIIe siècle, chez Cyrano de Bergerac (l’auteur, pas le personnage de la pièce d’Edmond Rostand). Dans son livre L’Autre Monde : Les États et Empires de la Lune et du Soleil, il imagine des livres parlants, dont les auteurs nous s’adresseraient à nous directement au creux de l’oreille, avec une voix toute musicale [19].

Pour revenir enfin à ma question initiale : existe-t-il aujourd’hui une vocation à la fiction audio ? Il y a trois ou quatre ans, j’aurais encore été forcé de répondre par la négative. Mais c’est en train de changer sous nos yeux. J’en veux pour preuve l’ouverture récente d’un Master radio à l’INSAS (l’école de cinéma, radio et théâtre de Bruxelles) et l’existence d’une spécialisation « fiction radio ». Des jeunes gens aujourd’hui veulent faire de la fiction audio, c’est leur premier choix, c’est leur médium de prédilection. Voilà qui devrait lever nos derniers doutes : oui, la fiction audio est un art à part entière, un art qui a tout son (bel) avenir devant lui.

Notes

[1] Fiction radio ou fiction audio : je reviendrai sur la différence que je mets entre ces deux termes.

[2] Seules peut-être les fictions jeunesse des Histoire du Pince-Oreille sur France Culture me faisaient rêver, littéralement, puisque je les écoutais dans un demi-sommeil : elles avaient une liberté de ton et de réalisation que n’avaient pas à mes oreilles les fictions plus sérieuses pour adultes.

[3] Ou comme le disait le poète Francis Ponge  : « Supposons que chaque peintre, le plus délicat, Matisse par exemple… pour faire ses tableaux, n’ait eu qu’un grand pot de rouge, un grand pot de jaune, un grand pot de, etc., ce même pot où tous les peintres depuis l’Antiquité (français mettons, si vous voulez) et non seulement tous les peintres, mais toutes les concierges, tous les employés de chantiers, tous les paysans ont trempé leur pinceau et puis ont peint avec cela. Ils ont remué le pinceau, et voilà Matisse qui vient et prend ce bleu, prend ce rouge, salis depuis, mettons, sept siècles pour le français. Il lui faut donner l’impression de couleurs pures. Ce serait tout de même une chose assez difficile ! C’est un peu comme ça que nous avons à travailler » (« La pratique de la littérature », in Méthodes, Paris, Gallimard, « Folio », p. 226).

[4] Grâce au professeur, traducteur, historien de la médecine, organisateur de festival et poète sonore Vincent Barras.

[5] Voir par exemple le cycle Bru(i)xelles sur la webradio SilenceRadio : www.silenceradio.org/grid.php?folder=4

[6] Comprenant Personnologue (2009), Kirkjubæjarklaustur (2011) et Pamela (2015), voir www.dicenaire.com/radio

[7] Avec des pièces comme John Haute Fidélité (2017), Version 133 (2019), DreamStation (2019), Clinique de la Mémoire Morte (2020), voir www.dicenaire.com/radio

[8] Aujourd’hui, si je devais rapprocher la fiction radio d’une autre discipline, ça serait plutôt de l’art de guider les rêves éveillés – c’est une bonne définition je trouve du métier du créateur fiction radio.

[9] Avec Bernard Heidsieck, principalement.

[10] Bernard Stiegler, lui aurait parlé d’hypomnémata, c’est-à-dire d’extériorisation de notre mémoire dans un support matériel consultable a posteriori.

[11] Ainsi Henri Chopin, quand je lui demandais lors du festival Radiophon’ic 2003 à Bruxelles quel conseil il donnerait à un jeune poète sonore, préconisait avant tout l’usage… du (magnétophone à bande) Revox !

[12] Citons, parmi mille noms possibles, un Roberto Bolaño dont ça a été le parcours.

[13] Calqué sur le slogan de HBO, la chaîne câblée qui a produit toutes ces excellentes séries TV, « It’s not TV, it’s HBO ».

[14] Je renverrai ici à l’excellente série d’articles de Juliette Vocler sur les origines du podcast, Il était une fois le podcast : http://syntone.fr/il-etait-une-fois-le-podcast-1-faire-table-rase/

[15] https://www.theverge.com/tldr/2018/4/17/17247334/ai-fake-news-video-barack-obama-jordan-peele-buzzfeed

[16] Avant l’arrivée d’Internet, la seule source accessible d’archives radiophoniques était Les Nuits de France Culture, et depuis 1989, les splendides livres-CDs des éditions Phonurgia Nova (que leur nom soit béni pour l’Éternité dans les cieux radiophoniques).

[17] Ainsi on me parle encore encore régulièrement de Personnologue, ma première pièce en 2009…

[18] Et nous sommes nombreux dans ce cas, comme Alexandre Plank ou Benjamin Abitan…

[19] « C’est un livre où pour apprendre les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que des oreilles. […] il en sort comme de la bouche d’un homme ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage […] » (op. cit.).

Auteur

Sebastian Dicenaire est poète, performeur, auteur et réalisateur de fictions sonores. Impliqué dans la programmation de Silence Radio, émanation de l’ACSR, de son début en 2005 à son arrêt en 2012, il réalise ses premières fictions avec l’ACSR, en collab. avec Christophe Rault : Personnologue en 2009 (Prix Les Radiophonies 2010 du meilleur texte –  et de la meilleure interprète féminine pour Laurence Vielle) ; Kirkjubæjarklaustuen 2011, mention spéciale au prix Europa (2011) et prix SACD Belgique de la fiction radio 2012 ; Pamela en 2015, un feuilleton parodique des romans à l’eau de rose en huit épisodes, Prix Phonurgia Nova de la Fiction Francophone 2016. Son avant-dernière œuvre, une fiction d’anticipation, est un podcast natif pour France Culture, DreamStation, 2019 ; sa dernière, Clinique de la Mémoire Morte, en 4 épisodes, a été produite par RTS-Podcast & Le Labo et mise en ligne à l’automne 2020.

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Table ronde 1. Écrire/adapter des fictions pour la radio : formes, théâtralité et publics

1. Préambule  et présentation des auteurs par eux-mêmes

 

 

2. Théâtralité et radio

 

 

2.1. Sophie Bocquillon

 

 

2.2. Sebastian Dicenaire

 

 

2.3. François Pérache

 

 

2.4. Emmanuelle Pireyre

 

 

3. Discussion

3.1. Réponses sur la langue dans la fiction radio contemporaine (SB-FP)

 

 

3.2. Réponse de François Pérache sur fiction et pacte réaliste

 

 

3.3. Réponses sur la relation au public (EP-SD-FP)

 

 

Auteurs

Sebastian Dicenaire est poète, performeur, auteur et réalisateur de fictions sonores. Impliqué dans la programmation de Silence Radio, émanation de l’ACSR, de son début en 2005 à son arrêt en 2012, il réalise ses premières fictions avec l’ACSR, en collab. avec Christophe Rault : Personnologue en 2009 (Prix Les Radiophonies 2010 du meilleur texte –  et de la meilleure interprète féminine pour Laurence Vielle) ; Kirkjubæjarklaustuen 2011, mention spéciale au prix Europa (2011) et prix SACD Belgique de la fiction radio 2012 ; Pamela en 2015, un feuilleton parodique des romans à l’eau de rose en huit épisodes, Prix Phonurgia Nova de la Fiction Francophone 2016. Son avant-dernière œuvre, une fiction d’anticipation, est un podcast natif pour France Culture, DreamStation, 2019 ; sa dernière, Clinique de la Mémoire Morte, en 4 épisodes, a été produite par RTS-Podcast & Le Labo et mise en ligne à l’automne 2020.

Comédien depuis 2007 (théâtre, télévision, radio) après une première carrière comme analyste médias pour différentes instances du gouvernement (cabinet du premier ministre, présidence…), François Pérache est aussi auteur radio, trouvant son inspiration dans son expérience de certaines sphères de pouvoir et des sujets politiques liés à la conquête ou l’exercice du pouvoir. Son coup d’essai en 2014, le feuilleton, 57 rue de Varenne, diffusé sur France Culture, est récompensé du prix Europa 2014 de la meilleure série radio européenne et totalise aujourd’hui cinq saisons (2014, 2016, 2017, 2018, 2020), avec une sixième et dernière en préparation. En 2014, il écrit aussi deux « Nuits noires » pour France Inter, J’y suis j’y reste, pastiche de la célèbre émission Là-bas si j’y suis  de Daniel Mermet sur France Inter (1989-2014) et Coude à coude, une « farce politique », veine dans laquelle s’inscrivent aussi deux séries de 4 épisodes pour France Inter, émission « Affaires sensibles » de Fabrice Drouelle : La Veste, 2018, qui met en scène la défaite de François Fillon aux Présidentielles de 2017 et Jeanne revient, un docufiction sur la famille Le Pen. De guerre en fils, diffusé par Arte Radio en 2016, feuilleton 6×12 min. environ, récompensé en 2017 de plusieurs prix (Phonurgia Nova, Italia, Ondas), apporte une inflexion familiale. Sa dernière œuvre, Les Palmes, sous-titre « Farce tragique en milieu scolaire fermé » est une satire du monde de l’Éducation diffusée sur France Culture, en octobre 2020.

 

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Table ronde 2 : Aspects économiques et culturels de la production de fiction radio aujourd’hui

(Le tout début de la table ronde n’a malheureusement pas été enregistré)

1. Blandine Masson : Modes de production et politique de programme à France Culture, avec des studios fermés pour cause travaux

 

 

2. Alexandre Plank : Making Waves et l’aventure de la radio en Afrique francophone

 

 

3. Christophe Rault : Structures d’aide, avantages et inconvénients d’être un indépendants. Trois exemples, en Belgique et en France

 

 

4. Prolongements

4.1. Alexandre Plank : Un modèle qui va se développer, les résidences de création radio et productions radio dans des théâtres

 

 

4.2. Blandine Masson : Aujourd’hui les réalisateurs de fiction sont complètement légitimes

 

 

5. Fiction radio et cinéma

5.1. Quand l’univers du cinéma arrive en force (revient) dans la fiction audio 

 

 

5.2. Blandine Masson : La concurrence ne nous fait pas peur ; plutôt le changement des mentalités

 

 

5.3. Le Nuage et autres productions : le son et/ou l’image ? (AP, CR, BM)

 

 

Auteurs

Christophe Deleu est professeur à l’université de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d’enseignement du Journalisme). Il a publié plusieurs ouvrages, dont Le documentaire radiophonique (Ina-L’Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF. Il est président de la commission radio de la Société des Gens de Lettres.

Blandine Masson dirige le service des fictions à France Culture depuis 2005, après y avoir été réalisatrice de fictions pendant dix ans, un métier « pratiqué intensément et jamais quitté intérieurement », dit-elle au début de Mettre en ondes. La fiction radiophonique, essai publié chez Actes Sud au printemps 2020. Fille de comédienne et elle-même attirée par le théâtre, elle a fréquenté l’Académie expérimentale des théâtres et dirigé pendant cinq ans (1989-1993) la revue trimestrielle Les Cahiers du Renard, dédiée aux conditions de la création artistique. Très proche d’Alain Trutat (1922-2006), qu’elle l’a assisté au début des années 1990 dans son dernier grand chantier à Radio France que fut la rénovation des émissions dramatiques, elle en assume volontiers l’héritage en promouvant au sein de la chaîne un esprit d’accueil, de décloisonnement et d’ouverture. Elle continue aussi l’action de partenariat entre théâtre et radio incarnée dans les années 1970 par Lucien Attoun, l’enthousiaste et influent producteur du Nouveau Répertoire dramatique et fondateur de Théâtre Ouvert, auquel elle rend volontiers hommage. Témoin du formidable renouveau apporté à la fiction radio par « l’arrivée d’une nouvelle génération de réalisateurs formés à la dramaturgie, à la réalisation cinématographique, au théâtre, à la mise en scène, à la radio, à la musique », d’une part, et l’ouverture de la chaîne au podcasting en 2009 d’autre part (« Cela a révolutionné l’écoute. Ce fut un séisme car nous ne savions pas que ce genre était autant suivi »), elle engage en 2017 le service des fictions dans la superproduction de podcasts natifs en son binaural, en partenariat avec la SACD. Les premiers voient le jour en 2018. Aujourd’hui il existe quatre cases « fiction » à France Culture, accessibles en replay : Le Feuilleton (depuis 2008), du lundi au vendredi de 20h30 à 20h55 ; L’Atelier fiction (depuis 2011), vendredi de 23h à minuit ; Samedi noir (depuis 2014), samedi de 21h à 22h ; Théâtre et Cie, dimanche de 21h à 23h. À quoi s’ajoutent, sur franceculture.fr, deux à trois podcasts de fiction à épisodes par an (avant la pandémie) ; le prochain, le 2 décembre : Probation, de Mahi Bena (scénario) et Cédric Aussir (réalisation). De la radio, cette « addiction, douce ou dure selon les êtres », Blandine Masson dit dans Mettre en ondes : « J’y ai passé près de vingt-cinq ans de ma vie sans jamais avoir le sentiment de m’y installer et sans jamais vouloir m’y installer. […] Et en même temps j’y ai mis tout ce que j’aime : mon amour des voix, de la littérature, des textes, de tous les textes, des acteurs, de la musique, ma relation difficile avec le théâtre et ma passion pour la fiction. »

Alexandre Plank a étudié la philosophie à Weimar et la dramaturgie au Théâtre National de Strasbourg. Il travaille depuis 2010 pour France Culture, où il a créé deux collections de L’Atelier Fiction : Radiodrama en 2013 (réinvention radiophonique d’un projet scénique), Fictions Pop en 2015 (traversées musicales contemporaines d’œuvres littéraires du patrimoine lues par des comédiens : Vendredi ou les limbes du Pacifique, avec Romain Humeau et Denis Lavant, Le Maître et Marguerite avec le groupe Moriarty et Jean-Pierre Leaud…). Son travail a été récompensé de plusieurs prix, dont le prix Italia en 2016 pour Le Chagrin (Julie et Vincent) [aussi primé par la SGDL] et en 2020 pour Vie et mort de Yuanli (deux œuvres initialement diffusées dans  Radiodrama), et en 2018 le prix Phonurgia/SACD de la fiction francophone/SACD pour Demain s’ouvre au pied de biche. Il a aussi co-fondé en 2019 le collectif Making Waves, qui vise à favoriser l’éclosion d’espaces de dialogue, de transmission, d’expression et de création par la radio et le podcast (création de séries audio, podcasts, œuvres sonores et musicales, parcours et dispositifs immersifs, en collaboration avec des radios, musées, théâtres et institutions publiques, en plusieurs langues, en France et dans le monde). En 2020-2021, Making Waves est notamment partenaire du Théâtre des Amandiers (projet Radio Amandiers) et de MA Scène nationale ‒ Pays de Montbéliard (projet Radio noMAde).

Christophe Rault est ingénieur du son, réalisateur radio, artiste sonore et musicien.  Co-fondateur d’arteradio.com avec Silvain Gire en 2001, responsable de la réalisation, de la couleur sonore et de la maintenance technique pendant 7 ans (« Un endroit rêvé pour apprendre, expérimenter et rencontrer  la radio, son langage, ses acteurs. Il a alors fallu tout apprendre et tout inventer en même temps, à l’aube du podcast et du renouveau radiophonique des années 2000 »). Aujourd’hui artisan de la radio en indépendant, pour lui-même, avec ou pour les autres ; administrateur de l’Atelier de Création Sonore et Radiophonique de Bruxelles (www.acsr.be) pendant plusieurs années, de BabelFish Production pour la production et la diffusion radio et photo depuis 2016 (www.babelfishasbl.be) ; de l’Association de Soutien aux Auteurs-rices Radio (www.asar.be) depuis septembre 2018.  Travaille également pour le théâtre, la danse, les expositions et installations. A également organisé de nombreuses formations sur la radio, son langage et sa technique aux sein de diverses structures en Europe (BBC, Radio Suisse Romande, Arteradio, Jet FM, Radio Grenouille…). Lauréat de plusieurs prix : Prix Europa, Prix SCAM-SACD Belgique et France, Longueur d’ondes).




Mots de la fin