Présentation. L’entretien d’écrivain à la radio (1960-1985). Formes et enjeux
Au sein de la vaste logosphère créée par la radio au cours du XXe siècle, l’entretien d’écrivain est en France un genre « légion », abondant aussi bien en quantité qu’en diversité. Mode déterminant de la médiation de la littérature dans l’espace public, ce genre, produit de la civilisation du journal [1] avant d’être, aussi, celui de la radio et de la télévision, accompagne l’histoire des lettres dans les mutations à la fois médiatiques et commerciales qui l’affectent.
La pratique de l’entretien fait son apparition sur les ondes dès les années 1920 [2] ; les Radio-Dialogues de Frédéric Lefèvre sur Radio-Paris de 1930 à 1940, dérivés de sa célèbre série Une heure avec… publiée dans Les Nouvelles littéraires [3], lui donnent son premier lustre [4]. Le genre est particulièrement florissant dans les années 1950, qui voient naître à la fois le phénomène médiatiquement majeur des entretiens-feuilletons et l’entrée en scène de la télévision en noir et blanc, associant les écrivains dans son grand rendez-vous littéraire Lectures pour tous (1953-1968) [5]. Dans les années 1970-1980, radio et télévision se partagent les deux séries d’entretiens culturels les plus populaires : Radioscopie de Jacques Chancel sur France Inter (1968-1982, 1988-1990) et Apostrophes de Bernard Pivot sur Antenne 2 (1975-1990). Les années 1980 marquent un tournant majeur dans cette histoire à épisodes : si les écrivains continuent de répondre aux sollicitations de ces deux médias « historiques » [6], les émissions culturelles grand public leur font indéniablement moins de place, tandis que les émissions purement littéraires se raréfient hors de France Culture, transformée malgré elle en radio de niche. Une page se tourne alors.
Ce dossier a choisi de s’intéresser à l’étape qui suit celle de l’après-guerre et que, en considérant comme indicateur l’évolution institutionnelle du format le plus original et spécifique du médium, l’entretien-feuilleton, on peut identifier aux années 1960-1985. Deux dates en marquent symboliquement le début et la fin : la naissance de France Culture à la toute fin de 1963 [7], la réforme de la chaîne à la rentrée 1984 [8].
1. Périodisation
La naissance de France Culture, résolument conçue comme une radio du livre, du savoir et de la connaissance pour tous (même si elle peine en pratique à élargir son audience), marque la pleine normalisation du genre dans les programmes de la radio d’État. Comme l’écrit en 1963 Francis Crémieux en présentant ses entretiens avec Aragon, « l’entretien radio a maintenant ses passeports, et les juristes l’assimilent à une “œuvre de création”. Ils ont raison ; c’est le cadeau de la radio à l’histoire littéraire de la seconde partie du XXe siècle. On ne pourra plus ignorer ces parenthèses orales que les plus grands parmi nos écrivains ont tracées devant les micros ouverts [9]. » Le phénomène ne touche que marginalement France Inter (séries avec François Mauriac, André Chamson, André Maurois, André Obey, Yves Gandon, Paul Guth, Michel Butor), où Radioscopie de Jacques Chancel règne en maître à partir de 1969, avec son format quotidien d’une heure rarement modifié (exemple en 1980, quand Chancel reçoit Albert Cohen pour 5 émissions). Sur France Culture en revanche, il explose : l’essai d’inventaire établi par Pierre-Marie Héron dénombre plus de deux cents entretiens-feuilletons littéraires de tous formats, diffusés au rythme d’une petite dizaine de séries par an, allant jusqu’à une vingtaine en 1969-1970 et 1970-1971, une quinzaine en 1971-1972 et dans les trois années qui suivent la réforme de 1975. Il n’est pas rare qu’un même écrivain se prête à plusieurs reprises au jeu de l’entretien-feuilleton, à quelques années de distance : Aragon en 1963 et 1971, Soupault en 1963-1964 et 1975, Adamov en 1964 et 1969, Ionesco en 1964 et 1975, Malraux en 1967, 1974 et 1981, Marcel Arland en 1967 et 1972, Julien Green en janvier et novembre 1969, Michel Butor en 1967 et 1973, Julien Gracq en 1968 et 1977, Delteil en 1969 et 1971, Louis Guilloux en 1969 et 1975, Claude Simon en 1971 et 1976, Jean Tardieu en 1972 et 1985, Robert Mallet en 1972 et 1977, Michel Deguy en 1975 et 1978 et, seuls écrivains étrangers dans ce cas, Alejo Carpentier en 1964 et 1975, Jorge Luis Borges en 1965 et 1978. Du côté des intervieweurs, des adeptes de l’entretien cumulent les séries, comme Pierre de Boisdeffre lui-même, directeur de la Radiodiffusion de 1964 à 1968, Pierre Lhoste, Georges Charbonnier, Francis Crémieux, Francine Mallet, ou les écrivains Roger Vrigny, Jean Thibaudeau et Jean Daive. Une nouveauté de la réforme de 1975 est de relancer et renforcer le recours à des écrivains dans le rôle de l’intervieweur : Roger Grenier, Pierre Oster, Joseph Guglielmi, Bernard Delvaille, Michel Chaillou, Georges Perec, Édouard Maunick, Jean Daive, Michel Butor… L’allure des séries est durant les premières années très variable : certaines sont quotidiennes, d’autres pluri-hebdomadaires, hebdomadaires ou mensuelles. Certaines comptent trois, quatre, cinq ou six épisodes, d’autres dix (seize séries), douze (treize séries) ou quinze (trois séries). Et les épisodes, selon les séries, peuvent durer 12, 15, 20, 30, 40, 45 minutes ou une heure. Un format courant prédomine cependant : jusqu’en décembre 1972, 6 émissions de 15 à 20 mn (53 séries, un quart du corpus), hebdomadaires ou pluri-hebdomadaires jusqu’en 1969 (18 séries), quotidiennes ensuite (lundi-samedi) ; à partir de janvier 1973, 5 émissions quotidiennes de 15 mn en journée (lundi-vendredi) ; à partir d’avril 1975, 5 émissions quotidiennes de 25 à 30 mn en soirée (lundi-vendredi) (50 séries, un quart du corpus).
La naissance de France Culture marque aussi la complète banalisation du genre, au sens où il n’est plus besoin d’être un écrivain célèbre ou un « grand écrivain » pour avoir droit à cette forme de consécration. Petit à petit, c’est l’ensemble du champ littéraire qui est transformé en vivier, comme en témoigne un rapide relevé de noms pour les cinq premières années (remarquons aussi l’extension du genre aux littératures étrangères) : Audiberti, Soupault, Aragon, Germaine Beaumont, Jean Cassou, Arthur Adamov, Alejo Carpentier, Ionesco, Mauriac, Borges, André Chamson, André Beucler, Ilya Ehrenbourg, André Maurois, André Obey, André Salmon, Jean Giono, José Bergamin, Armand Salacrou, Pierre Mac Orlan, Emmanuel Roblès, princesse Bibesco, Roland Dorgelès, Salvador de Madariaga, Étiemble, Yves Gandon, Michel Butor, Armand Lanoux, Edmée de la Rochefoucauld, Francis Ponge, Maria Le Hardouin, Max Aub, Violette Leduc, André Malraux, Françoise Mallet-Joris, Roland Barthes, Marcel Arland, Maurice Druon, Louis Martin-Chauffier, Michel Leiris, Paul Guth, Emmanuel Berl, Jean Grenier.
En 1978, année de lancement des Nuits magnétiques par Alain Veinstein, chargé depuis 1975 de coordonner la production des entretiens-feuilletons, le genre connaît un coup d’arrêt aussi brutal qu’inopiné : aucune série identifiée en 1978-1979, une l’année suivante (cinq émissions avec Albert Cohen, dans « Radioscopie »), deux en 1980-1981 (cinq émissions de 25 mn avec Marguerite Duras, quinze d’une heure avec André Malraux), aucune les deux années suivantes… C’est une quasi extinction, jusqu’à la réforme de 1984.
En 1984, l’arrivée de Jean-Marie Borzeix change la donne : dans un contexte d’explosion des radios libres et de coupes budgétaires importantes, l’ancien rédacteur en chef des Nouvelles littéraires et ancien directeur des éditions du Seuil veut « moins de professeurs et plus de journalistes », afin de tourner plus encore la chaîne vers le monde présent et tous les aspects de la culture. Il introduit, par petites touches, plus de direct, d’actualité, d’information non culturelle, de débats d’idées, de documentaires. Mais en contrepartie, il suscite la création en janvier 1985 d’une grille de nuit quotidienne, Les Nuits de France Culture, dont la vocation est de rappeler, entretenir et valoriser le patrimoine sonore de la chaîne, dont les grandes séries d’entretiens qui ont fait l’orgueil de la chaîne durant quelques décennies [10]. Deux ans plus tard, à la rentrée 1987, le genre fait son retour dans les programmes de jour, au sein d’une émission quotidienne aujourd’hui encore bien connue, À voix nue, conçue par Alain Trutat. La particularité de la série, sous-titrée « Grands entretiens d’hier et d’aujourd’hui », est d’y faire alterner selon un principe de rotation bien réglé les archives anciennes et récentes et les séries inédites, auxquelles sont appliquées un même format standard de cinq émissions quotidiennes de 30 mn, du lundi au vendredi. Pour le genre de l’entretien-feuilleton, la réforme de 1984 et ses suites signifient donc à la fois un retour en grâce et un changement de régime, au sens où ses grandes heures sont dès lors massivement transformées en objet de mémoire, dans Les Nuits de France Culture d’abord, qui officialise le principe des archives, puis dans À voix nue. Avec l’essor de cette « radio de patrimoine » toutes directions incarnée aussi par des séries comme Une vie, une œuvre (depuis 1984), Le bon plaisir de… (1984-1999), Profils perdus (1987-1995) ou Radio archives (1987-1999), une grande époque de la France littéraire semble désormais achevée, perpétuée sur les ondes sur le mode nostalgique de la rediffusion [11], que célèbrent à l’envi et peut-être mythifient à mesure qu’elle s’éloigne ceux qui l’ont connue, avec le vœu, chez certains, qu’elle ne soit pas complètement révolue :
Ce genre difficile de l’entretien radiophonique avec un écrivain, Jacques Chancel (France-Inter), Philippe Caloni et Alain Veinstein (France Culture), Patrick Ferla (Radio Suisse romande), et parfois Alain Finkielkraut (France Culture) lorsqu’il renonce au débat à trois pour le tête à tête, l’ont magnifié. Ils l’ont fait en un temps où la radio s’offrait encore le luxe du temps. Durée moyenne : une heure. Mais une vraie heure, qui ne soit pas mangée par de la publicité ou des disques toutes les cinq minutes. […]
Les archives littéraires de Radio France sont d’une richesse que l’on n’ose dire patrimoniale car le mot fait fuir tant il pue la naphtaline. Espérons que […] l’entretien radiophonique avec un écrivain n’est pas mort [12].
La périodisation exposée ci-dessus ne vaut peut-être pas pour l’entretien radiophonique d’écrivain en général, notamment pour cette espèce rapide et sommaire, plus proprement journalistique, qui préfère le nom d’interview et obéit plus étroitement aux rythmes de l’actualité. Mais on la propose à titre d’indicateur au moins dans ce dossier.
2. Entretiens-feuilletons
Pour faire droit à la diversité des formes d’entretien rencontrées, les études sont réparties en deux volets.
Le premier revient sur l’entretien-feuilleton, genre propice à l’explication approfondie par un écrivain, en compagnie d’un journaliste ou d’un autre écrivain, de son œuvre et de ses idées sur la littérature. Deux collectifs se sont intéressés à l’émergence du genre après la seconde guerre mondiale et à sa première décennie d’existence [13]. Ce qui semble assez naturel : la recherche a toujours tendance à concentrer ses efforts, pour commencer, sur des moments inauguraux. Mais la suite de son histoire restait jusqu’à présent largement inconnue. Il était impossible évidemment, vu l’ampleur du corpus, de pratiquer plus que des sondages. Du moins avons-nous cherché une certaine diversité, en veillant à ce que les grands profils d’écrivain (romanciers, poètes, dramaturges) soient représentés ; que certains d’entre eux illustrent les inflexions idéologiques du moment (influence des sciences humaines, thème de la « mort de l’auteur »…) ; enfin, que les corpus précèdent et suivent la réforme de 1975 entraînée par la dissolution de l’ORTF (1974), qui a aussi son importance dans l’approche du genre. L’échantillon ainsi réuni fait apparaître des continuités bien sûr, mais également des nouveautés, qui sont peut-être surtout des écarts momentanés, dans la mesure où ces développements n’ont pas eu beaucoup d’imitateurs.
2.1. Nouveautés
La première nouveauté touche à l’objet des entretiens. On la trouve dès le début de la période, dans les entretiens d’Audiberti et d’Adamov avec Georges Charbonnier diffusés en 1963 et 1964, qu’on peut sans hésiter classer dans la tendance socratique et plus globalement philosophique du genre [14], à l’extrême opposé de l’interview de reportage illustrée, au sein de l’espèce feuilleton, par des journalistes comme André Parinaud ou Pierre Lhoste [15]. Ce qui en effet intéresse Charbonnier, universitaire épris de sciences humaines, ce ne sont pas seulement les œuvres de ses interlocuteurs, qu’il s’agirait de présenter ou raconter au public, de replacer dans un contexte, une carrière : ce sont les systèmes esthétiques qui les gouvernent. C’est aussi, un cran au-dessus, la définition de l’Écrivain et de la Littérature (avec majuscules). Une telle préoccupation n’était pas inexistante auparavant, mais elle s’impose ici pour la première fois, dans ces années 1960 riches en débats sur les nouveaux chemins à donner à la critique littéraire au contact des sciences humaines [16], comme l’objectif central d’un genre où domine la tendance « confessionnelle ». Dans cette voie, Charbonnier, qui de 1955 à 1976 aura mené plus de vingt séries d’entretiens avec des grands noms de la culture contemporaine, se montrera plus audacieux encore avec Butor (1967), à ses yeux le seul écrivain « systématique » de son temps, et avec Barthes (1967 aussi), avec qui il s’agira « de définir l’écriture, les rapports de l’écrivain avec l’écriture, et d’esquisser les rapports du lecteur avec l’écriture [17] ».
Une deuxième nouveauté vient du contournement de la convention chronologique qui organise grosso modo la majorité des entretiens-feuilletons, même quand leurs promoteurs ‒ c’est le cas du fondateur du genre, Jean Amrouche ‒ défendent une vision plus proustienne que beuvienne du rapport vie-œuvre. Les entretiens du martiniquais Césaire avec son frère en « parole insulaire » le poète Edouard Maunick en 1976, étudiés ici par Florian Alix, en sont une bonne illustration. Si d’un côté en effet ils entrent avec bonheur dans l’allure « à sauts et à gambades » du style de conversation promu par la (jeune) tradition « franco-française » du genre [18], de l’autre ils défendent l’idée d’un rapport à l’espace culturellement plus structurant que le rapport au temps. Privilégiant une approche géographique, nourrie d’une vision métaphorique de la Martinique, ils font de l’espace insulaire la clé de lecture de l’identité de Césaire et de l’imaginaire de son œuvre.
Troisième nouveauté : la rupture avec le modèle conversationnel. C’est l’originalité formelle de la série d’émissions tirée de l’entretien de Georges Perros avec Jean Daive, poète nouveau venu à France Culture, examinée par Céline Pardo dans un bel article, fluide et sensible. On est en 1975, une nouvelle réforme de France Culture a lieu, conseillée dans l’ombre du directeur Yves Jaigu par Alain Veinstein ; il s’agit de faire du neuf, de « moderniser » le genre. Sans que le degré de responsabilité de l’intervieweur soit clairement établi, le résultat en est un dispositif sans questions (elles sont remplacées par de laconiques « ponctuations » du propos ajoutées au montage), offrant à l’auditeur la parole libre d’un poète vagabondant autour du fil conducteur proposé (l’ordre de parution de ses livres, et pour finir ses lectures). Ce procédé du dialogue « monologisé » semble avoir été de mode après 1975 : on le trouve expérimenté à grande échelle par Édith Lansac et Gilbert Maurice Duprez dans l’émission De la nuit (France Culture, 1975-1977), étudiée dans la deuxième partie de ce dossier (Christophe Deleu), ainsi que dans les premiers mois de Bruits de pages, le magazine littéraire des débuts de Nuits magnétiques, aussi étudié en deuxième partie (Galia Yanoshevsky). Dans la série avec Perros, il aboutit à créer un contraste assez inconfortable entre la voix improvisatrice du poète et celles, trop étudiées, apprêtées, de Jean Daive et de la comédienne Michèle Cohen qui ponctuent les émissions après-coup de brefs propos et lectures de passages. Pourtant, malgré la défiance de Perros vis-à-vis de l’exercice, et d’une certaine manière malgré lui, une « œuvre radiophonique à part entière » se crée là, par la seule force de présence du poète au micro, échappant de tous côtés à la mise en forme de sa parole, de sa voix, de sa pensée, dans une souveraine indifférence à leur esthétisation.
Dans les entretiens de Jean Tortel avec Joseph Guglielmi et Liliane Giraudon diffusés en 1976, eux aussi commandés par Alain Veinstein, l’entorse au modèle conversationnel courant est d’un autre ordre, et semble dériver du souci des intervieweurs d’approcher la poésie de l’auteur comme un tout, porté par une vision génératrice d’un style et notamment d’un lexique propre. Le procédé consiste à utiliser au fil de la conversation, des listes de mots pris dans ce « vocabulaire tortellien » et à faire parler le poète dessus. Des lectures les complètent, « aussi peu attentives à la chronologie de l’œuvre que les échanges dialogués » en dépit du « schéma grossièrement chronologique » (Catherine Soulier) des entretiens planifié avant les enregistrements, trop peu sollicité en pratique pour être utile aux auditeurs.
2.2. Paradoxe
Dans la dernière série étudiée ici, les entretiens de Robbe-Grillet avec Thibaudeau (1975), on sera peut-être surpris de ne pas trouver de grande nouveauté formelle : de la part de chef du file du Nouveau Roman et d’un ancien de Tel Quel, tous deux méfiants vis-à-vis de notions jugées périmées en 1957 par le premier (le personnage, l’histoire, l’engagement…), on pouvait s’attendre à plus de réflexion critique sur les formes de discours et les enjeux littéraires et médiatiques d’un genre où l’auteur est nécessairement présent en personne, et plus de réappropriation. Mais on sait que Robbe-Grillet, remarquable conférencier, débatteur et parleur par ailleurs, a un rapport essentiellement utilitaire à la parole [19], laquelle n’est pas à ses yeux le lieu où se joue sa qualité d’écrivain, mais seulement son image publique. C’est bien pourquoi, comme le montre l’article de Jochen Mecke, la question centrale de ces entretiens est celle de la posture : il s’agit pour Robbe-Grillet, au lendemain des colloques de Cerisy qui ont consacré l’appellation du groupe, de conforter, en racontant à sa manière son parcours artistique (littérature et cinéma surtout), une image d’« éternel débutant » révolutionnaire, celui grâce à qui une avant-garde d’abord non reconnue a été consacrée. L’autobiographie intellectuelle y est instrumentalisée au service d’une entreprise médiatique de persuasion, dans laquelle l’auteur des Gommes et son interlocuteur se livrent à une justification de l’œuvre et du personnage public de l’auteur.
3. Magazines et autres émissions
Le second volet du dossier met d’abord en avant, dans des articles consacrés à Roger Vrigny, José Artur, Jacques Chancel et Alain Veinstein, le genre du magazine, où quelques intervieweurs réguliers conduisent la plupart des interviews ‒ le mot s’avère ici souvent plus adapté que celui d’entretien, sans le disqualifier non plus. Cette forme de sérialité est à vrai dire la plus courante à la radio, mais elle s’avère d’une multiformité redoutable, par la variété d’enjeux, d’usages et de combinaisons à laquelle l’interview d’écrivain se prête. On la trouve dans des émissions littéraires comme dans des émissions culturelles (où les écrivains sont souvent bien représentés, sans être toujours les plus nombreux). Elle peut former le tout de ces émissions ou seulement une ou plusieurs de ses parties, à des endroits variables, en lien ou non avec l’actualité, etc. Exemples : dans Un livre… des voix, une des plus fameuses émissions de France Culture, environ 3900 émissions sur trente ans (1er avril 1968-30 juillet 1999), qui s’organise autour d’un livre récemment paru ou à paraître dont elle fait entendre des extraits lus par des comédiens, l’interview de l’auteur n’est pas systématique, alterne parfois avec une préface parlée, parfois augmentée d’une postface, et, quand elle a lieu, est menée non par le producteur, mais parle réalisateur de l’émission. Dans Nouveau Répertoire dramatique (1969-2002) en revanche, émission de Lucien Attoun visant à diffuser et faire connaître le théâtre vivant et inédit de son temps, l’audition de la pièce est systématiquement précédée d’un entretien de 5 à 15 mn avec l’auteur (ou à défaut avec l’adaptateur ou le traducteur), sur son parcours, son théâtre, ses idées sur le théâtre, la pièce qui va être diffusée. Dans Allegro… ma non troppo (1973-1983), émission littéraire de divertissement animée par Françoise Treussard et Bertrand Jérôme (qu’on retrouve aux commandes, à partir de 1984, de la célèbre émission de jeux radiophoniques et littéraires Des Papous dans la tête sur France Culture), chaque émission fait entendre une ou des interviews, mais sans accorder de traitement de faveur aux écrivains, qui sont en fait peu nombreux, tous supposés « grand public » (auteurs de romans policiers ou à succès), jamais invités ni interrogés pour leur œuvre mais seulement pour parler des mœurs de la vie littéraire ou de tout autre chose, et sont en somme surtout attendus, comme les autres interviewés, sur leur capacité à faire passer un bon moment à l’auditeur.
En bref, la monnaie courante des interviews d’écrivain s’inscrit dans un cadre préexistant et contraignant, dont le dispositif (format et but de l’émission, notoriété, identité de l’intervieweur, destinataires…) demande souvent à être pris en compte. Il y avait donc lieu, dans ce volet du dossier plus spécialement, et dans le prolongement des quelques études existantes portant sur les intervieweurs d’écrivains [20], de situer résolument la focale du côté des formes et formats, en général négligés par les chercheurs en littérature qui, lorsqu’ils étudient des entretiens, se concentrent essentiellement sur les contenus et les auteurs, en raison d’une très naturelle inclination disciplinaire [21]. Le pli n’est pas complètement pris encore de considérer l’entretien comme une performance au sens donné aujourd’hui à ce mot [22], dont la valeur propre, sans être toujours artistique, peut l’être aussi à l’occasion.
Dans ce deuxième volet, le choix a été fait d’étudier quatre séries illustres, dont certaines, encyclopédiques, ont totalisé des milliers d’émissions sur plusieurs décennies, pour tenter de saisir à travers des exemples remarquables quelques grandes tendances du genre durant la période. Une cinquième série, De la nuit (1975-1977), émission quotidienne de nuit, en différé, de cinquante minutes, complètement insolite et hors-normes, étudiée par Christophe Deleu, complète cet ensemble en témoignant à sa manière de la tendance des années 1970 à la normalisation de la figure de l’écrivain, en même temps que d’un désir de sortir des habitudes de l’entretien pour faire entendre les voix d’écrivain autrement : coupées de leur source, anonymisées, mêlées à d’autres… et, ainsi privées de leur identité civile et sociale, données à entendre pour elles-mêmes et ce qu’elles disent. Pour ne pas en rester à l’étude des formes de l’interview dans ces émissions en contexte français, les deux derniers articles du dossier proposent aussi une brève incursion du côté des postures d’écrivain. Guido Gallerani analyse la pratique et la théorisation de l’interview radiophonique chez Roland Barthes, consciemment partagée à partir de 1975 entre l’interview d’idées et l’interview personnelle ‒ la seule qui permette à la fois de dire je et d’impliquer vraiment le corps, la voix, l’imaginaire du parleur. Il montre aussi comment, via les interviews du second type, s’opère dans la posture publique de Barthes, au cours des années 1970, un déplacement de la figure de l’intellectuel vers celle de l’amateur. Jérôme Meizoz et François Vallotton nous entraînent quant à eux en Suisse romande, pour décrire plusieurs émissions remarquables des années 1960-1990, en les situant dans la tradition médiatique du pays, avant de montrer sur trois exemples (Jacques Chessex, Anne-Lise Grobéty, Nicolas Bouvier) l’intérêt des sources audiovisuelles dans l’approche de l’« identité médiatique » des écrivains.
Concernant les émissions sérielles étudiées dans les quatre premiers articles, il a paru intéressant de séparer les émissions culturelles, où les écrivains ne sont pas les seuls interviewés, des émissions purement littéraires et, dans chaque cas, de mettre en parallèle des séries contrastant fortement entre elles d’une manière ou d’une autre. Soit, pour les émissions culturelles (articles de David Martens et Marine Beccarelli) : Radioscopie (1968-1982, 1988-1990), émission quotidienne d’une heure diffusée en fin d’après-midi en direct et en studio, exclusivement composée d’entretiens en tête-à-tête, et Le Pop Club (1965-2005), émission quotidienne de variétés et de nuit en direct et hors-studio ; les deux sur France-Inter. Et, pour les émissions littéraires (articles de Pierre-Marie Héron et Galia Yanoshevsky) : La Matinée littéraire (1966-1984), magazine hebdomadaire d’1h45 puis 1h30 le matin en studio, associant direct et différé, et Bruits de pages (1978-1980), magazine mensuel puis bi-mensuel d’1h20 le soir, en direct et en différé aussi ; les deux sur France Culture.
3.1. Deux magazines culturels sur France-Inter : Radioscopie et Le Pop Club
Radioscopie et Le Pop Club, dont l’idée ou la conception reviennent en tout ou partie au directeur de France-Inter d’alors, Roland Dhordain, illustrent ce que celui-ci appelait, après d’autres, les « deux écoles de l’interview », celle de la courtoisie et celle de la « muflerie » [23]. Avec Chancel, « le torero socratique [24] », l’intervieweur met des gants pour parvenir à ses fins, se montre affable, concerné, généreux de son admiration ; ce qui lui permet aussi de mieux faire accepter, « entre deux pattes de velours », le « coup de griffe » [25] quand il survient. Dans Le Pop Club en revanche, José Artur s’inscrit délibérément dans la tradition de l’interview impertinente, qui répond pour lui au style de l’époque (« en 1965, pour se faire entendre, il fallait provoquer beaucoup [26] »). Il s’agit d’y parler « comme si tu parlais chez toi à table avec des copains [27] », donc de traiter les écrivains non comme des écrivains, mais comme des copains… tout en sachant, comme dirait Cocteau jusqu’où aller trop loin (Artur revendique le sens de la limite dans l’irrespect). Deux approches complètement différentes, donc, de l’interview, déterminant côté intervieweur deux personnages d’intervieweur à jouer. Et une convergence paradoxale : au fond, même si les deux séries sont culturelles, la littérature y conserve une place à part, eu égard au prestige dont elle bénéficie en France… et qu’elle exerce sur deux producteurs autodidactes des Lettres, qui se sont cultivés seuls et savourent leur plaisir de rencontrer des grands de ce monde approchés dans les livres. Ainsi, comme le souligne Marine Beccarelli, les écrivains ont droit à un traitement de faveur dans Le Pop Club : 55 minutes d’interview au lieu de dix à quinze pour les autres invités [28]. Quant à Jacques Chancel, venu comme José Artur du monde des variétés, sa passion pour la littérature induit un comportement d’intervieweur lui aussi décalé par rapport aux attentes d’une émission culturelle, comme le met en évidence David Martens en analysant des interviews a priori non littéraires de Radioscopie : là où un intervieweur culturel, adaptant ses questions à son interlocuteur, parlerait prioritairement de médecine avec un médecin, de politique avec un ministre ou de musique avec un musicien, Chancel se flatte d’avoir avec tous des « conversations » (et non des interviews), se plaît à citer les grands auteurs, à faire le lettré, et ne manque jamais de tirer à un moment ou un autre ses interlocuteurs du côté de la littérature. Comme si ce talentueux « passeur », animé d’un secret désir d’être lui-même un auteur, n’avait de cesse de faire passer tous ses interlocuteurs, écrivains ou non, et le grand public qui l’aime et l’écoute les yeux fermés, dans l’espace des Belles-Lettres consacré par des siècles de culture française.
3.2. Deux magazines littéraires sur France Culture: La Matinée littéraire et Bruits de pages
Entre La Matinée littéraire et Bruits de pages, concernés eux aussi par le clivage général courtoisie/muflerie, le principal contraste est d’un autre ordre. Notons d’abord ce qui rapproche les deux séries : leurs producteurs et principaux conducteurs d’interview, Vrigny et Veinstein, l’un romancier, l’autre poète, sont des écrivains, non de simples journalistes. Autrement dit, ils parlent à leurs interlocuteurs de pair à pair, investis de la légitimité qui vient de leur condition d’écrivain et pas seulement de l’autorité qui vient de leur fonction. Ce qui les oppose relève un peu de la querelle des Anciens et des Modernes : ils n’invitent pas les mêmes auteurs, ne recommandent pas les mêmes livres, ne sont pas liés aux mêmes éditeurs (le premier est toute sa vie un auteur Gallimard, le second est proche des éditions Orange Export Ltd), n’ont pas la même conception de la littérature. Ils n’ont pas non plus le même regard sur l’industrie du livre. Vrigny, lui-même prix Femina 1963, tout en critiquant « le climat de show-business qui asphyxie la vie littéraire », ne considère pas que les bons écrivains soient desservis par le système des prix littéraires, des réseaux d’influence, des coups médiatiques, qui au contraire leur permet d’avoir des lecteurs ou plus de lecteurs, et « L’Invité de la semaine », la principale séquence d’interview de son magazine, joue volontiers le jeu de cette médiatisation d’un écrivain qui fait l’actualité. Veinstein, en revanche, pour qui seule compte la littérature « en mouvement » ou « en formation », se plaint que les médias n’en aient que pour les « mauvais livres », la littérature industrielle, les « best-sellers fabriqués à la hâte », de sorte que Bruits de pages sert avant tout de faire du bruit en faveur des vrais écrivains qu’il veut faire connaître et de leurs livres trop peu lus.
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Relativement modeste par sa focalisation presque exclusive sur la France et par la période retenue (1960-1985), ce dossier s’inscrit dans le prolongement de travaux envisageant la pratique de l’entretien d’écrivain dans la presse écrite et dans le livre [29], au croisement du journalisme et de la littérature [30]. Il n’est cependant pas sans ambitions. D’une part, il propose de mieux connaître une facette de l’histoire de la littérature longtemps oubliée, en raison de l’inaccessibilité relative des supports qui en gardent la trace (jusqu’à l’avènement de la numérisation des archives) et de son supposé moindre prix au regard de l’œuvre elle-même. De ce point de vue, il s’inscrit dans un certain air du temps de la recherche littéraire dans le monde francophone, qui s’intéresse volontiers aujourd’hui, non seulement à la médiatisation des écrivains et à leurs activités publiques (au-delà du seul domaine de la presse), mais à tout ce qui peut entrer dans une compréhension plus large du domaine de la littérature, bien au-delà des seules formes du livre [31]. D’autre part, les articles réunis font avancer notre connaissance de l’histoire de la radio dans son versant littéraire, ce qui n’est pas négligeable, dans un pays qui s’est longtemps vu et se pense encore largement comme « le pays de la littérature » (Pierre Lepape) et dont la radio, par tradition, fait une large place aux écrivains. Les analyses produites peuvent par conséquent servir de références et de relais à des travaux futurs.
Avis aux chercheurs et aux curieux désireux de se plonger dans l’atmosphère sonore d’une époque qui a compté dans l’histoire culturelle du XXe siècle.
Notes
[1] Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant (dir.). La Civilisation du journal, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011.
[2] Voir à ce sujet les pages de Christopher Todd sur les émissions parlées de l’entre-deux-guerres, dans Pierre Descaves, témoin et pionnier de la radio, Lewiston / Queenstown / Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2000, 2 vol. ; ouvrage dont le fil biographique se nourrit d’un vaste panorama de la radio de l’époque.
[3] Bruno Curatolo (dir.), « Les Nouvelles littéraires : une idée de littérature ? », colloque Fabula, février 2012, [En ligne], URL : http://www.fabula.org/colloques/sommaire1451.php
[4] Pierre-Marie Héron, « Les radio-dialogues de Frédéric Lefèvre », Lieux littéraires, « L’interview d’écrivain », n°9-10, novembre 2006, p. 149-172.
[5] Sophie de Closets, Quand la télévision aimait les écrivains : « Lectures pour tous », 1953-1968, Bruxelles, De Boeck / Bry-sur-Marne, INA, 2004.
[6] Il n’existe pas aujourd’hui d’ouvrage de référence sur l’histoire de la culture à la radio en France. Sur la chaîne culturelle de l’ORTF puis Radio France, on peut lire 50 ans de France Culture, d’Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin (Paris, Flammarion, 2013), illustré et bien documenté ; sur les émissions littéraires à la télévision, L’Écrivain sacrifié, vie et mort de l’émission littéraire, de Patrick Tudoret, bien informé aussi mais assez polémique (Lormont, le Bord de l’Eau / Bry-sur-Marne, Ina, coll. « Penser les médias », 2009).
[7] Le nom de la chaîne s’écrit avec trait d’union jusqu’en 1984.
[8] Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, op. cit., p. 86-93, donnent un aperçu des grandes évolutions de programmes de France Culture au fil des réformes et changements de direction.
[9] « Dix entretiens avec Aragon présentés par Francis Crémieux », Cahiers littéraires de l’ORTF, 2e année, n° 3, 3-16 novembre 1963 p. 9-11.
[10] Voir Marine Beccarelli, Les Nuits du bout des ondes. Introduction à l’histoire de la radio nocturne en France, 1945-2013, Bry-sur-Marne, Ina, 2014.
[11] Et de l’édition, papier ou sonore : la collection « Les Grandes Heures » (Ina / Radio France), qui rassemble aujourd’hui autour de 40 titres, est lancée en 1994 pour « pérenniser les grands entretiens radiophoniques d’artistes, cinéastes, écrivains et intellectuels qui ont marqué le XXe siècle » (propos de l’éditeur). En 2013, année de commémoration des 50 ans de France Culture, l’Ina et Radio France s’associent aux éditions de la Table Ronde pour republier ou publier une transcription de douze de ces séries, diffusées entre 1950 et 2000 (Les Grandes Heures, Paris, 2013, 472 p.)
[12] Pierre Assouline, blog La République (des livres), billet « Les écrivains se confessent à la radio comme nulle part ailleurs », 1er décembre 2013. En ligne : http://larepubliquedeslivres.com/les-ecrivains-se-confessent-la-radio-comme-nulle-part-ailleurs/. Consulté le 16 mars 2018.
[13] Pierre-Marie Héron (dir.), Les écrivains à la radio : les Entretiens de Jean Amrouche, Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2000 ; Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2010.
[14] Suzanne Guellouz, Le dialogue, Paris, PUF, coll. « Littératures modernes », 1992.
[15] Sur l’interview de presse parlée, il n’y a pas à notre connaissance de travaux récents. On peut consulter : Arlette Dupont, Henri Vaume, « La radio interroge : de l’interview-rite à l’interview-confession », in Jean Tardieu (dir.), Grandeurs et faiblesses de la radio, Paris, Unesco, 1969, p. 119-146, et, pour une approche linguistique, Patrick Charaudeau (dir.), Aspects du discours radiophonique, Paris, Didier-Érudition, 1984 (chapitres « Problèmes d’analyse des médias, définition d’un genre : l’interview » et « Comparaison des interviews : type José Artur et type Jacques Chancel »). Le numéro spécial des Cahiers de praxématique [en ligne], 61 | 2013 : « Le discours radiophonique en pratiques », sld notre collègue de Paul-Valéry Montpellier Laurent Fauré, n’aborde pas spécifiquement le genre. Sur l’interview de presse écrite (qui n’a formellement pas grand-chose à voir avec la précédente), voir Jean-Marie Seillan, « L’interview », in Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant, Alain (dir.). La Civilisation du journal, op. cit., p. 1025-1040, ainsi que sa présentation fouillée des Interviews de Joris-Karl Huysmans, Paris, Champion, 2002, p. 7-90.
[16] Voir Georges Poulet (dir.), Les chemins actuels de la critique, actes du colloque de Cerisy-la-Salle, 2-12 septembre 1966, textes revus et publiés par Jean Ricardou, Paris, Plon, 1967.
[17] Georges Charbonnier, « De la littérature à l’écriture », Cahiers littéraires de l’ORTF, 6e année, n°2, 7-21 octobre 1967, p. 39.
[18] Ils l’investissent de leur vision du monde insulaire, qui assimile la circulation de la parole d’un thème à un autre à un archipel de paroles, un cabotage d’île en île, dans lequel le mouvement empêche la clôture et l’étouffement, sans pour autant éloigner des horizons familiers, des racines.
[19] Voir Galia Yanoshevsky, « Alain Robbe-Grillet et la parole (vive) : Entretiens et oralité », in Christian Milat et Roger-Michel Allemand (dir.), Alain Robbe-Grillet : balises pour le XXIe siècle, Ottawa/Paris, Presses de l’Université d’Ottawa et les Presses Sorbonne Nouvelle, 2010, p. 66-75, et Les Discours du Nouveau Roman. Essais, entretiens, débats, Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 2006, p. 145-157.
[20] Voir notamment les articles de Pierre-Marie Héron sur les séries de Frédéric Lefèvre et André Gillois (« Les radio-dialogues de Frédéric Lefèvre », art. cit. ; « De l’impertinence dans les interviews d’écrivain : l’exemple de la série radiophonique Qui êtes-vous ? (1949-1951) », Argumentation et analyse du discours [revue en ligne], n°12, Galia Yanoshevsky (dir.), 2014) ; David Martens et Christophe Meurée, « L’intervieweur face au discours littéraire : stratégies de positionnement chez Madeleine Chapsal, Jacques Chancel et Bernard Pivot », Argumentation et Analyse du Discours, op. cit. [En ligne], URL : http://journals.openedition.org/aad/1639, ainsi que Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens littéraires, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2014.
[21] Très souvent, dans les études sur auteur, l’entretien est perçu et traité comme une source secondaire permettant à la critique d’avancer, notamment en confirmant ou en infirmant certaines de ses hypothèses.
[22] Voir Jérôme Meizoz, La littérature « en personne ». Scène médiatique et formes d’incarnation, Genève, Slatkine, 2016 ; Jan Baetens, À voix haute. Poésie et lecture publique, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2016 ; Olivier Penot-Lacassagne et Gaëlle Théval (dir.), Poésie & Performance, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2018.
[23] Roland Dhordain, Le Roman de la radio, de la TSF aux radios libres, op. cit., p. 214.
[24] Gabriel Matzneff, « Jacques Chancel ou le torero socratique », Le Figaro littéraire, 22 février 1971.
[25] Ibid.
[26] José Artur, Parlons de moi, y’a que ça qui m’intéresse, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 196.
[27] José Artur, entretien avec Marine Beccarelli, 10 mai 2012, in Marine Beccarelli, Les Nuits du bout des ondes. Introduction à l’histoire de la radio nocturne en France, 1945-2013, Bry-sur-Marne, Ina, 2014, p. 189.
[28] Notons que le genre décontracté et provocateur de José Artur apparaît d’autant mieux comme un style voulu et travaillé qu’il paraît contredire son respect des écrivains.
[29] Anneleen Masschelein, Christophe Meurée, David Martens et Stéphanie Vanasten, « The Literary Interview. Toward a Poetics of a Hybrid Genre », Poetics today, vol. 35, 1-2, 2014, p. 1-50. Voir également Martine Lavaud, Marie-Ève Thérenty (dir.). Lieux littéraires, n°9-10, novembre 2006 : « L’interview d’écrivain » ; John Rodden, Performing the Literary Interview, Lincoln, University of Nebraska Press, 2007; ainsi que Galia Yanoshevsky, L’Entretien littéraire. L’anatomie d’un genre, Paris, Classiques Garnier, à paraître.
[30] Les deux s’y rencontrent souvent. Pour des approches relativement contrastées de la « littérarité » de l’entretien d’écrivain en général, voir David Martens et Christophe Meurée, « Ceci n’est pas une interview. Littérarité conditionnelle de l’entretien d’écrivain », dans Poétique, n° 177, 2015, p. 113-130 ; Galia Yanoshevsky, « On the Literariness of the Author Interview », Poetics today, vol. 37, n° 1, 2016, p. 181-213.
[31] Voir par exemple Céline Pardo, La Poésie hors du livre. Étude sur les médiations orales de la poésie en France de 1945 aux années soixante, Paris, PUPS, 2015 ; Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Alexandra Saemmer, Alain Vaillant (dir.), La Poésie délivrée, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Orbis litterarum », 2017 ; colloque international « Extension du domaine des lettres », Claude Pérez et Alexandre Gefen (dir.), Aix en Provence et Marseille, 14-16 septembre 2017. On peut également songer au programme ANR « Littépub » dirigé par Myriam Boucharenc et Laurence Guellec (http://littepub.net/).
Auteurs
Pierre-Marie Héron est professeur de littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il anime à Montpellier un programme de recherche sur les écrivains et la radio en France (XX-XXIe siècles), et a dirigé huit ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Aventures radiophoniques du Nouveau Roman (avec Françoise Joly et Annie Pibarot) en 2017 et Poésie sur les ondes (avec Marie Joqueviel-Bourjea et Céline Pardo) en 2018, aux Presses universitaires de Rennes.
David Martens, professeur de littérature française moderne et contemporaine à l’Université de Louvain (KU Leuven), où il assure la direction du programme « La Fabrique du patrimoine littéraire. Les collections d’essais biographiques illustrés en France (1944-2014) ». Ses travaux portent sur la figure de l’écrivain telle qu’elle se constitue, se communique, se médiatise dans le champ littéraire et plus largement culturel de son temps : L’Écrivain vu par la photographie (2017), Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens littéraires (2014), Écrivains : modes d’emploi (2012). L’écrivain, un objet culturel (2012). Il a conduit un colloque sur L’interview littéraire dont les actes vont paraître aux PUR.
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