Quelques réflexions autour du documentaire et sa difficulté d’être ici et ailleurs

Texte intégral

Toute grande entreprise a coutume d’installer – généralement dans lieux bizarres, combles, serres ou pavillons isolés- des laboratoires de recherche, banc d’essai, centres expérimentaux – centres plus ou moins marginaux, si l’on peut dire- dont il est attendu beaucoup mais dont on se défie toujours quelque peu [1].

Réfléchir à partir de la proposition « Désir de belle radio : documentaires » : un défi.

Si nous le relevons c’est que, depuis un certain temps, l’avenir d’une « belle radio » et de (beaux) documentaires nous semble incertain. Et ce pas seulement en France : dans beaucoup d’autres pays, les documentaires – surtout ceux dits « de création » – deviennent plus rares, se fabriquent dans des conditions plus contraignantes, disparaissent de la grille, parfois en même temps que le programme dédié, jusqu’alors, à leur production [2].

Mais comment répondre à un défi s’ouvrant sur un domaine vaste et obscur, semé d’embûches et hanté par le souvenir de jours (qui nous semblaient) meilleurs ?

Mon entrée en matière sera par les quatre mots clefs destinés à sous-tendre une réflexion qui, tout en restant fragmentaire, va tenter d’interroger l’état des choses à l’heure actuelle.

1. Désir

Curieusement – et peut-être seulement dans ce contexte particulier – c’est le mot désir qui est le plus facile à définir :

quelque chose auquel on aspire, vers lequel on tend (dit le Robert).

Pour le documentariste, le désir est une deuxième nature : désir d’arpenter des villes invisibles, d’écouter des mondes nouveaux, de les faire entendre en les écrivant avec des sons ne connaît pas de limites… alors qu’en même temps deviennent moins nombreux et plus étriqués les lieux où pratiquer cette écriture singulière ; des lieux qui « entendent bien » qu’écrire avec des sons est une activité qui prend du temps, beaucoup de temps ; et qui comprennent que le temps est le tribut qu’il faut payer au son capturé.

2. Beau

 Le poète dit :

Beauté c’est Vérité, Vérité est Beauté, – voilà tout

Ce que vous savez sur terre, tout qu’il vous faut savoir [3].

Mais le poète (John Keats) parle d’une forme de beauté, spécifique et codée – celle du classicisme grec – et le « beau » n’est pas une valeur absolue, empirique, immuable. « La beauté » est un concept abstrait, subjectif, variable, versatile, conditionnel, contingent, traître. En quelque sorte intraitable.

« Des goûts et des couleurs on ne discute pas », dit le proverbe.

Pour que quelque chose soit considéré comme « beau », il faut un contexte qui le reconnaît en tant que tel, qui désire qu’il le soit et qui est heureux de reconnaître qu’il l’est.

Il en va de même pour les documentaires.

Jusqu’à présent ce contexte « désirant » et (littéralement) « reconnaissant » a toujours été « la radio ». Mais si, un jour, cet espace n’existait plus – et on le craint par moments – quel « comble, serre, ou pavillon isolé » pourrait le remplacer ?

Faire « de la radio », c’est pratiquer un métier artisanal dont le savoir-faire est transmis sur le terrain, par des compagnons.

3. Radio

Ah ! Le comment, le comment !

Le comment c’est tout l’essentiel : les moyens techniques, les moyens financiers, certes, mais d’abord le moyen d’expression, la réflexion sur la radiophonie proprement dite, sur l’instrument radiophonique l’outil et la matière et la manière, sur les problèmes spécifiquement radiophoniques— son, forme, fond, texte, écriture [4]

« Avant »… c’est-à-dire :

avant la révolution numérique…

avant la démocratisation de l’outil permettant à tous de « faire de la radio » : (enregistrement, montage, mixage)…

avant, donc, le raz-de-marée de podcasts venu saturer un espace considéré, jusqu’alors, comme exclusivement « radiophonique »…

il fut un temps où on pensait savoir ce que le mot « radio » voulait dire.

Peut-être qu’on ne sait plus.

Si, parfois, nous oublions que les mots « radio » et « podcast » sont des métonymies (le nom de l’objet diffusé est remplacé par celui qui désigne le mode de diffusion), nous sommes obligés de constater que les mots « podcast » et « radio » sont en train de devenir interchangeables, synonymes.

Mais

est-ce que un « podcast » est « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » peut être « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » voudrait être « de la radio » ?

Est- ce qu’un « podcast » parle la même langue que la radio ?

Ou bien, est-ce qu’un « podcast » est « autre chose » ? (Nouvelle tentative pour s’emparer des ondes, par exemple ? Rappelons-nous les utopistes, les futuristes et les autres qui ont voulu le faire.)

Ou encore, (ce qui n’est pas impossible) est-ce qu’un « podcast » ne serait qu’une façon de faire, à moindres frais, quelque chose qui ressemblerait à « de la radio » ?

« Autre chose ».

Parfois, dans un forum comme celui-ci, on serait tenté d’oublier que la vocation première de la radio n’est pas la création mais la communication d’information rendue accessible au plus grand nombre, grâce à une ligne éditoriale séduisante. La diffusion de fictions et de concerts de musique (sous-produits de la grande culture « générale ») est assimilable à cette démarche ; alors que la création proprement « radiophonique » (pourtant mentionnée explicitement dans la charte de la plupart des radios d’état, dont Radio France) suscite rarement beaucoup d’enthousiasme de la part de ceux qui ont le pouvoir de décider de son sort. Destinée à un public minoritaire (« élitiste »), gourmande en moyens techniques (« chronophage »), de facture et de contenu variables (« suspecte »), la création sonore suscite toujours une certaine méfiance. Sa place n’est jamais acquise d’avance. Les espaces qui lui sont accordés s’acquièrent à un certain prix, et pas pour toujours.

Vous avez entendu le dernier programme de l’Atelier de création radiophonique tel qu’il a été conçu à sa création en octobre 1969. Une belle aventure prend fin aujourd’hui.

Je m’appelle René Farabet ; avec l’équipe de l’ACR et tous ceux qui nous ont accompagnés à travers le temps, nous souhaitons un bel avenir radiophonique à vous, auditeurs fidèles et exigeants [5].

Depuis des décennies se poursuit, ainsi, un jeu curieusement répétitif qui consiste à octroyer un espace « libre », destiné à la création, pour le reprendre quelques années plus tard [6].

Jeu de donner-pour-reprendre dont la forme (si, par hasard, on était effleuré par le désir de la dessiner) ressemblerait à celle de l’électrocardiogramme d’un cœur malade.

4. Documentaires

Domaine infini du vécu à saisir… désorganisation des structures brutes… organisation de l’en vrac du spontané [7]

En cherchant du côté des origines étymologiques du mot « documentaire », on trouve une définition bien plus austère que celle proposée par Alain Trutat. Du latin documentum (« modèle, exemple »), lui-même dérivé de docere (« montrer, faire voir, instruire »), le mot « documentaire » sert à désigner tout « objet » qui « documente » un « sujet » traitant d’un certain aspect du « réel ».

Quel que soit le sujet, la forme, ou le support, un documentaire se doit d’informer

Cousin germain du reportage (censé être « objectif »), le documentaire s’en distingue. Derrière le reportage se cache un « rapporteur », un porte-parole ; derrière le documentaire se révèle un auteur (et son imaginaire) dont la présence sera plus ou moins affirmée selon le type de documentaire qu’il voudrait faire et l’attente du programme auquel l’émission est destinée. Et la gamme-vaste- s’étend depuis « le-court-moment-de-réel-brut-à-peine-monté » jusqu’à ces documentaires dits (sans doute faute d’avoir trouvé mieux) « de création ».

Mais quelle que soit sa forme, faire un documentaire est toujours une entreprise hasardeuse. À partir de sons « sauvages » – et tout son capturé, déplacé de son environnement normal, devient « sauvage » – l’auteur aspire à créer un univers. Et, pourtant, le documentaire est souvent considéré comme le parent pauvre de la famille radiophonique – paradoxalement parce qu’il est composé de quelques sons « réels ». Il n’a pas les titres de noblesse de la fiction ou de la musique, pas l’authenticité du journal parlé, ni l’utilité d’un bulletin météo : il n’est pas traité avec les mêmes égards.

******

Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue pas une jambe

disait Apollinaire [8].

Quand on me demande quel est mon métier, je dis que « je fais des documentaires ».

Je ne sais pas si c’est tout à fait vrai.

Il est vrai que mes « documentaires » traitent du monde réel – mais seulement d’une certaine façon ; que mes « protagonistes » sont des gens ordinaires, souvent anonymes ; que je partage avec le genre documentaire un certain goût pour cette banalité qui caractérise le réel (le réel est essentiellement banal) que je décline en moments discontinus composés de bribes de voix et de sons, toujours « naturels » – mais découpés, déplacés, mixes, sur-mixés…

Mais il est vrai, aussi, que loin d’informer, mes soi-disant documentaires – et ceux de beaucoup d’autres « documentaristes » – ne tiennent pas seulement à « informer » ; ils voudraient surtout faire rêver, transporter l’auditeur ailleurs, dans un espace-temps « autre ». Leur point de départ est rarement un sujet à documenter ; c’est une intuition, un détail. Le « sujet » se révèle fugitivement, progressivement, au fur et à mesure que la matière sonore se travaille. Le sujet est contenu dans le son. C’est le son qui va déterminer le sens. C’est le son qui est (en quelque sorte) le sens. « Le sujet », en fin de compte, sera probablement très peu de chose, du « presque rien » : quelques moments de « sensation vraie » (selon la phrase de Peter Handke).

******

Suite à des études de littérature française en Australie et en France, j’ai entamé – par hasard et avec un enthousiasme teinté d’innocence – une carrière à l’Australian Broadcasting Corporation. Je ne savais pas ce que « faire de la radio » voulait dire : je n’avais jamais été effleurée par le moindre désir d’en faire (bien que la radio m’ait accompagnée le long d’une enfance un peu solitaire, passée à la campagne).

À cette époque, l’ABC était « une radio de service » dont la mission (explicite) était de « vaincre la tyrannie de la distance » qui régnait sur un continent immense peuplé de 8 millions d’habitants. Le signal sonore était fort, et les formes épurées ; des sons et des voix traversaient les airs en lignes droites.

Dans mon souvenir, c’était assez beau.

Mais l’ABC était aussi une radio qui portait la trace – les stigmates ? –de ses origines. C’était une « radio colonisée », une copie conforme de la BBC – jusqu’à la moindre inflexion de chaque

voix.

Cela paraissait étrange, même à l’enfant que j’étais alors.

******

Tout ce qui est sonore aujourd’hui s’étouffe, a besoin de reprendre un peu d’air pour survivre, à la façon des oiseaux […]

En occident nous avons perdu l’oreille et c’est dire que nous sommes aveugles. Nos yeux s’arrêtent sur les objets mesurables et c’est dire que nous sommes sourds.

Il nous faudrait […] savoir que nos œuvres les meilleures s’inscrivent toujours dans le vent des sables [9].

******

Quand je suis arrivée à l’ABC pour y travailler, des années plus tard, tout avait changé. Les anciens moules étaient en train de craquer. Ça sentait la marihuana dans la rue et la révolution dans le studio. Partout – sur les murs et sur toutes les lèvres- le même mot d’ordre :

« à bas la colonisation culturelle ».

Le désir de « belle radio » était très fort. Et pour que la radio fût « belle » il fallait qu’elle parle notre langue.

La lutte idéologique s’est dédoublée (c’est souvent le cas) d’une dimension esthétique : le désir de trouver/ inventer/ posséder/ savoir manier un langage radiophonique qui soit vraiment à nous.

Paradoxalement, ce désir nous a amenés ailleurs.

Nous avons décidé d’écouter et d’analyser des créations radiophoniques provenant d’autres pays ; nous voulions entendre d’autres voix, d’autres formes, d’autres types de syntaxe sonore.

Ce sont les émissions de l’Atelier de création radiophonique de France Culture – de facture si différente d’autres formes radiophoniques croisées jusqu’alors – qui ont retenu mon attention : écheveaux de paroles et de sons d’où jaillissaient des mondes invisibles, des histoires racontées autrement, qui résonnaient ailleurs, quelque part au-delà de la parole.

Une façon d’ « écrire sur bande magnétique », disait Alain Trutat.

Et, c’est ainsi, en écoutant ces émissions singulières, que j’ai commencé à comprendre que le son pouvait être un langage à part entière, avec une syntaxe qui lui est propre.

Un langage dont toute tentative de transcription (autre que la trace qu’il laisse en nous) était vouée à l’échec.

Un langage écrit dans le vent des sables. Langage à jamais « étranger ».

Langage qu’il faudrait laisser dire ce que lui seul sait dire.

                                                                       ******

Son lavé, détaché de tout code, de toute convention psychologique. Pour.

Eternel rapport fond et forme et matière- la matière du son, élémentaire, nue, germinative.

Dire entre les lignes, entre les mots, le silence [10].

Notes

[1] Alain Trutat, « L’Atelier de création radiophonique », Cahiers d’Histoire de la radiodiffusion, n°92, avril-juin 2007, p. 197.

[2] L’Australian Broacasting Corporation (ABC) ; Danemarks Radio (DR) ; l’Italie (RAI) ; l’Espagne (RNE), les pays de l’ancienne Yougoslavie (dont surtout la Croatie, grande réalisatrice de documentaires de création) ; Yleisradio (Finlande) où les deux services de documentaires (de langue suédoise et de langue finnoise) ont disparu…

[3] John Keats, « Ode sur une urne grecque », dans Poèmes et Poésies, traduction Paul Gallimard, Paris, Mercure de France, 1910, p.148-149.

[4] Alain Trutat, op.cit., p. 198.

[5] Propos de René Farabet qui précèdent la diffusion de L’ingénieux maçon Lucio, de Cascante, Atelier de création radiophonique n°1399, diffusé sur France Culture le 30 décembre 2001. Enregistrement conservé à l’INA.

[6] Voir, par exemple, La radio d’art et essai après 1945, et La Radio après le Club d’Essai, Fabula, https ://www.fabula.org

[7] Alain Trutat, op. cit, p. 201.

[8] Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, préface, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. 865.

[9] François Billetdoux, Dans le vent des sables, texte sur la Radiophonie écrit au moment de la première diffusion de l’ACR, le 3 octobre, 1969. Disponible à la BnF.

[10] Alain Trutat, op. cit, p. 200.

Liste des sons

1. Le Transcamerounais (extrait), par José Pivin, dans Prix Italia 1977, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 23 octobre 1977. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’06.
2 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille, dans La Radio et les escargots, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 10 juillet 1973. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 5’50.
3 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille (2e), même source. Durée : 5’00.
4. Phil Niblock : La Musique a besoin de temps, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 20 octobre 1996. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’35.
5. Corbeau australien, enregistrement Kaye Mortley. Durée : 1’40.
6. Skye Boatsong, radio scolaire, archives Australian Broadcasting Corporation, date inconnue. Durée : 1’44.
7. Le voyage, par Kaye Mortley, France Culture, L’Expérience du 20 octobre 2019. Durée : 2’48.
8. India Song de Marguerite Duras, de et par Georges Peyrou, France Culture, Atelier de création radiophonique du 12 novembre 1974. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 3’30.

Auteur

Kaye Mortley, d’origine australienne, a fait des études de littérature française à Sydney (licence), Melbourne (master) et Strasbourg (doctorat), puis enseigné un temps à l’université avant d’intégrer le département « Fictions et documentaires » de l’Australian Broadcasting Corporation (ABC). Installée à Paris en 1981, elle produit des documentaires sonores pour l’ACR et d’autres émissions de France Culture comme Nuits magnétiques, Surpris par la nuit, L’atelier de la création ou (tout récemment) L’Expérience, ainsi que pour diverses radios d’État en Europe (Allemagne, Belgique, Finlande, Suisse), tout en gardant des liens avec l’ABC. Citons quelques œuvres à redécouvrir, parmi celles diffusées sur France Culture : Là-haut, le Struthof (ACR, 1995, version courte 1998) ; Une famille à Mantes-la-Jolie (ACR, 2000) ; Retour en Australie, série de 5 petites séquences sur les lieux de son enfance dans l’immense plaine de l’Ouest australien : « Le Train », « L’Aube », « La Route  », « L’École », « Le Soir » (Résonances, 2001) ; Dans la rue (Le monde en soi, 2005) ; La ferme où poussent les arbres du ciel (Les Passagers de la nuit, 2011, trois épisodes ; autre version dans L’atelier de la création, 2013) ; Thèbes: ville fauve, ville noire – the road movie (L’atelier de la création, 2011) ; Si je perdais mes oreilles… je deviendrais aveugle (L’atelier de la création, 2014). En 1989, sollicitée par Phonurgia Nova, elle se lance pour quelques décennies dans l’animation d’ateliers de « documentaire sonore de création », ateliers mêlant théorie et pratique de l’écriture sonore, dont témoigne un ouvrage collectif paru en 2013 sous sa direction, La Tentation du son (Phonurgia nova éditions). Des prix internationaux (Futura, Europa, Italia, IRAB, grand prix de la SCAM) ont salué la qualité de son travail à plusieurs reprises.

Copyright

Tous droits réservés.




Considérer la radio comme un des beaux-arts


Au micro d’Agathe Mella en 1987, Alain Trutat revient sur les tout débuts de l’ACR, son projet de départ, son influence stylistique sur d’autres programmes de France Culture, sa légitimité au sein de la chaîne, les fondamentaux de l’art sonore, rattaché au spectacle, distinct du journalisme et de son allégeance à l’information, l’apport des autres arts, la nécessité d’un accompagnement critique des émissions. L’article de 1974 présenté à la suite, tout en articulant déjà à sa manière certains de ces thèmes, est remarquable par son style d’avant-garde : il mime le déroulement d’une bande magnétique, pour, selon un phrasé discontinu et dans une typographie bruitiste, défendre, « à côté de la radio pour tous », une « radio pour chacun » dans laquelle l’ACR peut, pour sa part, « exiger un auditeur exigeant ».

Speaking to Agathe Mella in 1987, Alain Trutat revisits the very beginnings of the ACR, his original project, his stylistic influence on other France Culture programs, his rightful place within the station, the fundamentals of radio art, connected to performance as distinct from journalism and its allegiance to information, the contribution of other art forms, the necessity of critical support of programs. The 1974 article that follows, all while already articulating in its own way some of these themes, is notable for its avant-garde style: it mimics the unwinding of a magnetic tape in order to defend, according to a fragmented phrasing and a  bruitist typography, “next to the radio for all”, a “radio for each person” in which the ACR can, for its part, “demand a demanding listener.”


1. Alain Trutat au micro d’Agathe Mella (1987)

Entretien diffusé dans Les chemins de la connaissance, 8, France Culture, mercredi 2 septembre 1987, 10h30-11h. Dans le cadre d’une série en dix épisodes des Chemins de la connaissance, consacrée à « La recherche à la radio », diffusée du 24 août au 4 septembre 1987 (épisodes 1 à 5 : « La technique et la musique », épisodes 6 à 10 : « Les essais et la création »). Personnalités interrogées : Pierre Schaeffer, Jacques Poullin, Pierre Henry, Michel Philippot, François Bayle pour « La technique et la musique », Bernard Blin, François Billetdoux, Alain Trutat, René Farabet, Yann Paranthoën pour « Les essais et la création ». Transcription, mise en page et notes de Pierre-Marie Héron.

*

Agathe Mella ‒ Alain, si mes souvenirs sont exacts, vous êtes à l’origine d’une longue série d’émissions, qui s’appelle l’Atelier de création. Est-ce que vous pouvez vous souvenir à peu près à quel moment cette série continue a pris naissance ?

Alain Trutat ‒ Moi je ne dirais pas que c’est une série d’émissions, je dirais que c’est plutôt un lieu de travail que j’ai voulu essayer de mettre sur pied, disons un avatar très très modeste de ce qu’avait pu être autrefois le Club d’Essai ou le Studio d’Essai. Je sais que ça date d’après 69, mais ça faisait plusieurs temps que ça marinait. J’avais fait des projets, d’ailleurs j’en avais parlé avec Schaeffer, avec Tardieu [1]. C’est pour vous dire qu’il y a quand même une certaine filiation, un souci de ne pas avoir à la radio que des productions élaborées dans le minimum de temps, pour une consommation courante ‒ une production qui pouvait être de qualité ‒, mais d’essayer d’avoir aussi des productions qui seraient beaucoup plus poussées, beaucoup plus affinées.

Et pour lesquelles il y aurait ‒ ah ça, j’y ai toujours tenu ‒ une servitude antenne, parce que moi je crois que la radio, c’est toute la chaîne, ça n’est pas uniquement ce que l’on fait en studio, ce que l’on écoute en studio, mais c’est ce que l’on écoute après, sur sa chaîne ou sur son transistor, dans d’excellentes ou de médiocres conditions. Et une émission c’est ce qui sort, c’est ce qui est passé par le filtre de l’antenne, c’est ce que l’on reçoit chez soi. Je me méfie beaucoup de l’écoute uniquement, qui peut être très très belle. Je crois que ce qui a tué le premier Studio d’Essai, c’est que, effectivement, les gens se réunissaient, rue de l’Université, et écoutaient beaucoup entre eux, et puis cela n’allait pas au-delà [2]. Or c’est peut-être très intéressant, très passionnant, parce qu’on avait affaire à des gens très attentifs, qui étaient riches et qui donnaient des idées, mais il n’y avait pas cette espèce de réponse du public. Même si on ne la reçoit pas, parce qu’on sait très bien que l’auditeur écrit très peu, il y a toute une série d’impondérables qui se passent entre la sortie du magnétophone et la réception, et ça, ça fait partie pour moi de la radio. Là je sais que c’est un des points dont j’avais débattu, parce que, lorsque j’en avais parlé, c’était à Dhordain, il m’avait dit « Ah mon petit père – vous connaissez son langage – oui… Quelle connerie, j’y comprends rien, mais vas-y ! » Mais alors il avait discuté : « Mais bon, l’antenne », etc. Il souhaitait que ça se fasse – pas trop cher ‒, et puis de temps en temps quand il y avait un produit, qu’on le diffuse.

C’était plutôt un petit programme, un microprogramme si je puis dire, qu’une émission. C’est devenu une émission, ‒ et ça je le regrette ‒ c’est devenu une émission quand les moyens nous ont été diminués. Parce que ce microprogramme, qui comportait à l’origine des séquences d’aspects différents, de disciplines différentes ‒ disciplines radiophoniques ‒, d’approches radiophoniques différentes, de tons, etc. dans chaque soirée, nécessitait évidemment plus de moyens. Et lorsque les moyens techniques ont été diminués, on a diminué le nombre de sujets, le nombre d’approches, pour continuer à essayer d’avoir sur un seul thème l’approche la plus affinée, complexe, à la fois, parfois trop sophistiquée, enfin…

Il y a eu des échecs, mais je crois qu’il y a eu des réussites exceptionnelles.

Ce qu’il y a eu d’étonnant dans les réussites, ça a été l’influence qu’a eu l’Atelier, notamment, sur des tas de modes de présentation. Les premiers qui ont piqué en ont fait des trucs. Je ne dis pas que dans l’Atelier il n’y a pas parfois, ou qu’il n’y a pas eu parfois, des moments où c’était des trucs. Mais c’était quand même assez rare, ce n’était jamais des effets pour l’effet, c’était toujours pour essayer d’écrire au-delà du son premier, pour essayer de donner des approches multiples, de multiplier les informations sonores à partir d’un même thème. Mais il est évident que cela a été repris souvent, et repris comme effet pour l’effet, comme truc pour le truc. Ce qui d’ailleurs a amené l’Atelier – puis c’était une nécessité, une heureuse évolution – à peut-être plus de froideur, plus d’ascèse, et à peut-être moins de sophistication dans le sens péjoratif du terme.

Extrait d’émission

Alain Trutat ‒ Nous nous sommes fondés entièrement sur les programmes de la Biennale de Paris dont j’avais par ailleurs la responsabilité. Vous savez qu’à cette époque-là on était très producteurs à la Biennale, c’était un lieu où on enregistrait beaucoup de choses, il y avait des spectacles présentés, etc., enfin la Biennale était beaucoup plus riche que maintenant, ça indiquait tout de suite un état d’esprit, la Biennale ‒ ça s’appelait la Biennale des jeunes artistes de Paris. À cette époque-là elle était encore très vigoureuse, assez insolente, et l’Atelier était aussi dans la ligne, dans cet état d’esprit, ce qui nous a même valu quelques rappels à l’ordre de temps en temps – enfin, disons, une ou deux fois par an. Dans les thèmes retenus, dans les thèmes travaillés, dans les thèmes évoqués.

Et je pense que ça représentait sur Culture un lieu où il y avait des perturbations. Je l’ai dit en général plutôt pour France Culture et je le pense plus pour France Culture que pour l’Atelier seul, mais j’ai toujours pensé que France Culture devait être un accélérateur d’identité (sourire). Alors je dirais que l’Atelier là-dedans était une particule qui avait sa fonction propre dans cette accélération d’ensemble – parce que France Culture doit former un tout et doit avoir cette diversité.

L’accablement dont j’ai été couvert pendant au moins cinq ans ou six ans, c’est que les gens me disaient :« Ah oui vous voudriez que tout France Culture soit comme l’Atelier », etc. Parce que les gens ne comprennent pas, les gens ont toujours un esprit globalisant, totalitaire… Mais surtout pas ! ça aurait été inaudible ! Parce que l’Atelier parfois c’était inaudible !

Extrait d’émission

Alain Trutat ‒ Je vais employer un mot qui va faire rire certains : je dirais qu’il y avait quand même une primauté de l’esprit sur la matière – mais que dans certains cas il y pouvait y avoir une primauté de la matière sur l’esprit. J’appelle l’esprit le fond, et la matière la forme, le travail sur le son, etc. Tout ça on essayait de le conjoindre…

J’ai toujours pensé que toute parole pouvait être nue, parfaitement nue, et tout ça dépend de son contenu. Et puis que toute parole pouvait être au contraire perturbée, brisée, rompue, mêlée, malaxée, nattée avec une autre parole selon aussi ce que l’on veut exprimer. Il y a deux niveaux, il y a le niveau de ce que… j’avais une formule qui vaut ce qu’elle vaut, c’était : « Sont-ce sons sans sens ou sons sensés [3] ? » Est-ce que ce sont des sons qui n’ont pas de sens ou est-ce que ce sont des sons qui ont un sens ? Je pense que tout son a un sens, mais le sens qu’il a vient de son organisation, de son rapport avec le son voisin, avec le son avec lequel on peut le faire cohabiter, auquel on peut le conjoindre. Alors le problème, c’était à la fois d’aborder des idées, des propos qui, ou esthétiquement ou dans leur contenu, pouvaient être nouveaux – si tant est qu’il y ait quoi que ce soit de nouveau, mais là c’est un faux débat, il est évident qu’il y a toujours des choses nouvelles dans la façon de les dire–, et alors c’était aussi, justement, la façon de dire ces choses qui comptaient.

Vous savez il y a un mot… vous connaissez mon immense modestie, je dirais qu’il est ou de Victor Hugo ou de moi, je ne sais plus (sourire) : « La forme, c’est le fond amené à la surface [4]. » Je crois que c’est ça : trop souvent, on recouvre le fond, parce qu’on met des déluges de forme, on met, comme sur les tableaux, un « bitume » inutile puisqu’on cache le fond – donc il n’est même plus inutile, il est – employons un grand mot – criminel, comme à la radio la moitié sinon les trois quarts des fonds sonores. Cela dit, il y a parfois des multiplicités d’informations sonores qui peuvent être intéressantes, parce qu’elles peuvent multiplier aussi dans l’esprit … je dirais, des visions.

Je dis toujours que les quatre mamelles de la radio, c’est : parole, musique, bruit et silence. Ce qu’on oublie toujours. Le silence est capital. Bien sûr pas le trou, pas le vide, pas le blanc. Le silence. Or ce dont crève à mon avis la radio – ça c’est une influence journalistique que je trouve très néfaste –, c’est que plus jamais on ne laisse la pensée respirer. On ne laisse pas au temps le temps d’exister. Or pour moi la radio c’est une question de temps. C’est linéaire, ça se déroule dans le temps, ça n’est pas comme un tableau où on a tout de suite une vue globale, panoramique. Bien sûr, l’œil s’accroche toujours plus ou moins de tel ou tel côté, on sait qu’on oriente plus la lecture dans un certain sens, etc. Tandis que la radio ça se déroule obli-ga-toi-re-ment dans le temps ; d’ailleurs le ruban magnétique en est la preuve matérielle. Or ce qu’il faut, c’est laisser au temps le temps d’exister. On ne le fait plus à la radio et ça c’est terrible, à la radio, ce « débagoulé » continu… et alors l’assommoir sonore.

Extrait d’émission

Alain Trutat ‒ Ce que je voudrais dire aussi à propos de l’Atelier : il y a eu un double souci, qui a l’air un peu contradictoire, d’une part d’affirmer au maximum l’appareil radiophonique, le terrain sonore, le terrain radiophonique et de penser toujours que la radio existe en soi : de la radio considérée comme un des beaux-arts. Et qu’il y a là quelque chose de capital, de toujours penser à l’instrument qu’on utilise – d’ailleurs ça a amené à faire plusieurs programmes sur la radio, sur le son, etc. Et d’autre part le souci – et ça n’est pas contradictoire –, en plaçant la radio parmi les beaux-arts, de considérer aussi l’apport des autres arts. Parce que je crois beaucoup à l’interpénétration, à l’apport des autres arts. Par exemple, il y a eu des travaux assez poussés sur les rapports avec la peinture. Bon, d’une part je suis passionné de peinture, et j’ai toujours pensé qu’il fallait essayer de trouver des possibilités de rendre visible, de « donner à voir », la peinture. Il y a plusieurs approches possibles pour arriver à rendre l’esprit d’un peintre. Bien sûr, l’auditeur ne connaissant pas la toile n’imaginait pas forcément la toile du peintre. Mais là je crois qu’il y a eu des réussites. Même chose dans le rapport avec le cinéma. On a travaillé, ou sur le cinéma, ou avec des cinéastes qui ont fait des réalisations à l’Atelier. Pourquoi uniquement se limiter à la musique sous prétexte que c’est du son ? Alors c’est très intéressant parce qu’on s’enrichit les uns les autres. Le drame c’est de se limiter toujours à ses petites brochures, à ses petits micros, ses petites distributions, ce qu’on est obligé de faire dans bien des cas – et ce ne sont pas forcément des petites brochures, des petits micros et des petites distributions ! Mais je veux dire qu’il y a quand même un côté formel, au départ, où on fonctionne sur des rails, plus ou moins riches – ils peuvent être très très riches d’ailleurs. Il faut tâter des terrains, c’est un peu ça la recherche, il faut essayer de voir, et puis tout ne réussit pas… De même qu’on a diffusé aussi parfois des bandes sonores de films, uniquement, par exemple je me souviens avec Georges Perec, la bande sonore d’un film, qu’il commentait en même temps, on a fait tout un travail… C’est ça qui est passionnant.

Il y a trente-six formes de radio, il y a trente-six approches, de même qu’il y a trente-six tons de voix et tout, c’est comme dans tous les spectacles. Mais moi, ce que j’aurais voulu – je crains que ce soit de plus en plus difficile maintenant, c’est que la radio soit considérée, je vous le disais, comme un des beaux-arts. En tout cas elle doit appartenir au spectacle. Je veux dire qu’une certaine radio, celle qui m’intéresse, j’ai toujours considéré qu’elle avait de toute façon un public restreint, de même que, disons, les livres de poésie.

Ce qui est dramatique à la radio c’est qu’il n’y a plus aucun appareil critique. Il n’y a aucun appareil critique en face, c’est ça qui est dramatique. Parce que je pense – et c’est pour ça que la radio n’a pas réussi à atteindre vraiment le statut de l’art – qu’un art vit aussi… de lui d’abord, de son existence, de ce qu’il propose – oui, propose… et puis de la façon dont il est reçu. Or il n’y a aucun appareil critique. Il n’y a pas une critique de radio. Il y a eu une époque, quand même, où il y avait une certaine attention aux programmes ; maintenant il n’y a plus que Télérama qui publie des petites informations sur la radio. Il y a eu autrefois, quand même, La Chambre d’écho, la revue du Club d’Essai [5], les Cahiers [d’étude de radio-télévision], avec des articles de Bachelard, de Tardieu [6], etc. J’ai d’ailleurs recueilli tout ça, je voulais les publier, je n’en ai jamais eu les moyens, et puis je n’ai jamais eu le temps de poursuivre. J’ai toute une petite collection de prête. Des écrits sur la radio il y en a très très peu : il y a quelques écrits des futuristes italiens, qui proposaient des choses [7] ; il y a quelques textes de Brecht [8]… Il y aurait un corpus très intéressant à composer.

En fait la radio souffre aussi de la communication, c’est-à-dire qu’on est envahi par une maladie qui s’appelle communication, dont on n’arrive pas à se débarrasser, parce qu’elle n’a aucun sens, elle n’est plus naturelle. Le drame c’est que, d’un côté il y a une toute petite fourmi, et puis de l’autre côté il y en a dix mille. Et elles sont toutes valables. Mais la toute petite fourmi, évidemment, on finit par ne plus l’entendre, ne plus la voir. Or c’est à partir de l’instant où quelqu’un peut s’exprimer personnellement qu’il pourra communiquer quelque chose vraiment. Sinon il est un transmetteur, il est… c’est beaucoup plus flou. Vous croyez que le père Léautaud avait le souci de communiquer ? Non, de s’exprimer. Et les gens d’ailleurs, la plupart, l’ont reçu. Certains ne recevaient que le côté clownesque, etc., et n’attendaient pas ce qu’il pouvait y avoir de plus profond, par-delà effectivement tout un aspect d’humeur, mais… je crois que c’est ça qu’il faut préserver. Même s’il ne s’agit pas que toute la radio soit comme ça.

Filet musical

Alain Trutat ‒ Très grossièrement, que ce je distingue toujours, c’est la radio-diffusion – je ne parle pas de l’institution, de l’organisme ni de l’établissement, mais de la radiodiffusion –, c’est-à-dire tout ce qui est diffusé par la radio, où elle ne sert que de support, et la radio-phonie, qui est le lieu où, à un certain moment, la phonie, c’est-à-dire les sons, est utilisée aussi pour être une sorte de communication – puisque vous me parliez de communication.

Agathe Mella ‒ Oui, mais spécifique à la radio.

Alain Trutat ‒ Spécifique à la radio ! Et je dirais que l’Atelier, pour moi, c’est de la radiophonie. Au même titre que certains programmes de ce qui, avant L’Oreille en coin, s’appelait… enfin, du temps où Codou et Garretto en étaient directement les responsables [9] – à l’origine, plus maintenant, je trouve que maintenant ils ne font plus de la radiophonie. Et que les émissions très populaires de Stéphane Pizzella, Les Nuits du bout du monde [10], que peut-être les jeunes générations ne connaissent pas, étaient de la radiophonie. Émissions méprisées par beaucoup, mais dans le genre, je ne vois pas qu’on ait fait mieux depuis. Il y avait un travail radiophonique, un travail sur le son.

2. Alain Trutat, « Ce mardi 5 mars 1974… » (1974)

Publié dans l’art vivant, n°47, mars 1974, p. 32-34. Article sollicité par Daniel Caux, chargé de cours à Paris 8, passionné de création musicale, producteur à l’Atelier de création radiophonique depuis 1970, et membre de la rédaction du mensuel. Numéro intitulé « Biblioclastes… Bibliophiles ». Il faut tourner le magazine à la verticale pour lire l’article, qui défile sur deux colonnes (gauche et milieu) de la rubrique « Tribune libre », dont la colonne de droite est occupée par un texte de René Farabet et des photos.

2_1974_1_Trutat_Art vivant 47_1-couv

2_1974_1_Trutat_Art vivant 47_2

2_1974_1_Trutat_Art vivant 47_3

2_1974_1_Trutat_Art vivant 47_4

Notes

[1] Voir, dans le numéro « Jean Tardieu et la radio » des Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n°48, mars-mai 1996, p. 148-158, la publication d’une « proposition » co-signée par Jean Tardieu et Alain Trutat, datée du 24 avril 1968 et adressée au directeur de la Radiodiffusion de l’époque, Pierre de Boisdeffre, en réponse, écrit Tardieu dans un mot d’accompagnement, à son projet d’un « “atelier de création radiophonique” chargé de fournir un programme d’émissions, à la fois distinct, limité et régulier, appelé à jouer un rôle assez voisin de l’ancien “Club d’Essai” ». Document conservé au Service d’Archives écrites de Radio France.

[2] De fait, le Studio d’Essai, créé par la direction de la Radiodiffusion nationale (Radio-Vichy) en janvier 1943, supprimé en mai 1945, n’a diffusé d’émissions que très exceptionnellement, notamment le samedi 3 juillet 1943 après-midi (adaptations d’œuvres de Proust par Albert Ollivier et de Montherlant par lui-même, inédit radiophonique de Claude Roy). Sur le Studio d’Essai, voir l’article de Karine Le Bail dans Martin Kaltenecker et Karine Le Bail, Pierre Schaeffer : les constructions impatientes, Paris, CNRS, 2012, p. 117-127.

[3] Titre donné par Alain Trutat à une émission de l’ACR du 28 juin 1970, qui fait notamment entendre, en première audition, Isma ou ce qui s’appelle rien de Nathalie Sarraute, dans la mise en ondes remarquable de Claude Roland-Manuel.

[4] Mot connu de Victor Hugo, cité en général sans référence.

[5] La Chambre d’écho n’a eu qu’un numéro, hors-commerce, en 1947. Au sommaire, des textes de : Jean Tardieu, Jean Cocteau, Paul Gilson, Charles-Albert Cingria, R.-J.-T. Griffin, Henry Barraud, Arthur Honegger, René Leibovitz, Paul Claudel, André Jolivet, Léon-Paul Fargue, Paul-Louis Mignon, Pierre Renoir, Charles Dullin, Jacques Prévert et Kosma, Agnès Capri, Maurice Cazeneuve, Samy Simon, Jacques Peuchmaurd, Roger Pradalié.

[6] 28 numéros, de 1954 à 1960. Table des matières des numéros 1 à 20 (1954-1958) dans le n°20.

[7] Notamment « La Radia », manifeste de Marinetti et Masnata publié dans la Gazzetta del Popolo le 22 septembre 1933, « à rapprocher des émissions futuristes que Marinetti et Dépéro inaugurent le 24 novembre 1933 sur Radio-Milano », écrit Michel Collomb. Son article nous apprend que le manifeste a aussitôt été repris en français, sous le titre « Manifeste de la Radia futuriste », dans Comœdia du 14 décembre 1933, p 4 (Michel Collomb, « Les premiers jalons d’une esthétique de la radio », dans Claudia Krebs (dir.), Radio, entre approches critiques, théoriques, expérimentales, Berlin, Avinus Verlag, Berlin, 2008, p.115-130). Ce manifeste, publié en retraduction par Syntone en 2001 (ici), ne figure pas dans l’anthologie critique de Giovanni Lista, Théâtre futuriste italien, publié en 1976 aux éditions L’Âge d’Homme.

[8] Textes de 1928-1932 regroupés en France dans la section « Théorie de la radio » du volume I de ses Écrits sur l’art et la littérature aux éditions de l’Arche, coll. « Travaux », 1970.

[9] L’Oreille en coin a commencé sur France Inter, samedi 30 mars 1968, sous le nom de TSF 68 (puis 69, 70, 71). L’émission a reçu le Prix des critiques de radio et de télévision en 1975. Sur l’émission, voir la vivante évocation de Thomas Baumgartner, accompagnée d’un CD : L’Oreille en coin, une radio dans la radio, préface de François Cavanna, Paris, Nouveau monde éditions / France Inter, 2007.

[10] Émission inaugurée mardi 17 octobre 1950 à 22h15 sur la Chaîne parisienne, diffusée tous les quinze jours jusqu’en 1966, sur France Inter à partir de 1964. Textes d’émissions des débuts publiés dans Les nuits du bout du monde, André Bonne, 1953, avec une lettre-préface de Pierre Benoît.

Auteur

Alain Trutat (1922-2006) est un des grands noms de la radio d’État en France dans la deuxième moitié du XXe siècle et une de ses personnalités les plus influentes à l’étranger, notamment au sein de l’Union Européenne de Radiodiffusion et de la Communauté des radios publiques de langue française (CRPLF), dont il préside la Commission culturelle de 1973 à 1979. Jean-Marie Borzeix, directeur de France Culture (1984-1997) salue en lui « non seulement la mémoire de la chaîne, mais un de ses éveilleurs », dont « l’un des principaux mérites fut de ne pas être, en dépit de sa passion pour les studios, un homme de média, mais un homme épris de poésie, de théâtre, de peinture, de toutes les formes de création, parmi lesquelles l’art radiophonique ». Il fait ses débuts à la radio tout jeune, dans les années trente (à Radio Tour Eiffel avec Jean Nohain, puis Poste parisien, puis à Radio-Luxembourg avec Jean Masson). Il y revient après la guerre comme assistant de réalisation au service des émissions littéraires et dramatiques, passagèrement dirigé par le poète Jean Lescure. Il y fait ses classes « auprès de réalisateurs chevronnés » (« On apprend à la fois ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, enfin ce qu’on estime ne pas devoir faire ») et collabore un peu au Club d’Essai. Son parcours de producteur, adaptateur et réalisateur à la RTF et à l’ORTF jusqu’en 1965, nourri de relations, amitiés et collaborations avec nombre d’écrivains et artistes de l’époque (Eluard, André Frénaud, Du Bouchet, Michaux, Beckett, Obaldia, Duras, Ollier, Sarraute… Jean Vilar, Marias Casarès, Alain Cuny, Michel Piccoli, Edith Scob…), cumule les belles émissions, parmi lesquelles : Pâques à New-York de Blaise Cendrars (1946) ; Don Quichotte est parmi nous, magnifique et fantasque feuilleton en huit épisodes de Georges Ribemont-Dessaignes et Henri-François Rey (1947) ; Le Soleil des eaux de René Char (1948) ; Chemins et routes de la poésie de Paul Eluard (1949) ; Bonjour Monsieur Jarry (1951) ; Au bois lacté [Under milk wood] de Dylan Thomas (1954, prix Italia en version originale) ; en 1955 Ruisselle de Roger Pillaudin, prix Italia 1955, Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras et, dans des adaptations d’Adamov, La Logeuse, de Dostoïevski et Les âmes mortes de Gogol ; en 1957 Le Square de Marguerite Duras et Ad majorem Joyce gloriam (hommage à Joyce) ; Tous ceux qui tombent [All that Fall] de Beckett (1959) ; Thomas l’imposteur de Cocteau (1960) ; en 1961, Cendres [Embers] de Beckett, Reportage international d’un match de football de Jean Thibaudeau et Histoire véridique de Jacotin, d’après un conte de Camillo Cela, prix Italia 1961 ; Les Enfants de palais de Michel Cournot, prix Italia 1963. Chargé en 1962 par Henry Barraud la réforme de la Chaîne nationale, il est à l’origine de sa transformation en France Culture. Sans complètement renoncer à la réalisation (signalons Ici la voix de Georges Hugnet en 1967, Cris de Maurice Ohana, prix Italia 1969, Sans [Lessness] de Beckett en 1971, non diffusé…). Il passe ensuite « de l’autre côté », comme conseiller artistique de l’ORTF de 1965 à 1974 puis, de 1975 à 1997, conseiller de programmes de France Culture, notamment pour les dramatiques (dont le service est rebaptisé « Fictions » à son initiative en 1992), et à ce titre membre du jury du prix Italia. Dans ces fonctions il est avec Lucien Attoun un des artisans de la présence continue de la chaîne au Festival d’Avignon à partir de 1969. La même année il ouvre à France Culture, avec l’appui de Jean Tardieu, l’Atelier de création radiophonique, dans la vie duquel il reste « très très présent » (Andrew Orr) jusqu’au début des années 1980. Hors du domaine des fictions, on lui doit de nombreuses émissions, dont Profils perdus (émission de portraits, 1987-1995, sur une idée de Jean-Marie Borzeix) et À voix nue (émission d’entretiens, depuis 1987). Ses archives papier professionnelles sont déposées aux Archives nationales.

Copyright

Tous droits réservés.