Fins du monde et les formats radiophoniques actuels de la fiction

1. Écriture

À l’origine de cette série en 24 épisodes produite en 2016 (saison 1; une saison 2 arrive), il y a la volonté d’écrire des fictions audio courtes, sur le modèle de la chanson. Certaines d’entre elles racontent en effet une histoire en moins de deux minutes, avec un sens évident de la formule et du récit. Les artistes-poètes de la variété, du « spoken word », du rap et encore du slam se sont eux aussi rapprochés de la fiction audio d’une certaine manière (par exemple Serge Gainsbourg, Fauve…). Chaque chanson raconte une histoire, un témoignage, parfois regroupés dans des concept album, où l’on suit un personnage, du début à la fin, par l’entremise de morceaux oscillant entre 2 et 5 minutes. Ces créations se rapprochent de la tradition orale et de la chanson populaire, transmettant des histoires via des chansons ou des poèmes, mais dans un format court correspondant aux moyens de diffusion actuels : la radio il y a quelque temps, et maintenant internet, avec un temps moyen d’attention du public de plus en plus court. Au cinéma, la forme courte est connue aussi (le court-métrage). Mais nous avons surtout pensé à des films comme Short Cuts de Robert Altman (1993), d’après les nouvelles de Raymond Carver (qui s’y connaît en histoire courtes), film qui avait rencontré un certain succès. L’on suivait plusieurs histoires qui n’avaient pas de lien apparent entre elle.

La forme courte est un défi en soi. En cela, la série s’est inscrite contre un discours ambiant privilégiant les formats longs et une certaine forme de lenteur, dont nous sommes par ailleurs proches. Comment raconter une histoire en peu de temps ? Paradoxalement, ce défi permettait de raconter des histoires qu’on n’aurait pas pris la peine de raconter dans une fiction plus longue. Parce qu’il aurait fallu plus de matière, ou qu’il aurait fallu développer les personnages. Dans Fins du monde, on accueille au contraire ces micro-récits avec bienveillance. La frustration est inhérente au projet lui-même. On se sait pas ce qui s’est passé avant que ne commence l’épisode, et on n’en saura pas davantage sur la suite de l’histoire. L’intention est d’arriver directement dans le moment-clé, le climax, sans avoir eu l’avant. Comme si un micro avait été témoin de la scène. Des fins du monde se produisent chaque jour sans qu’on en soit les témoins.

L’idée est de s’attarder sur des moments-clés de la vie de personnages, des fins du monde subjectives, chacun ayant sa propre représentation de la fin du monde. Qu’est-ce qu’une fin du monde pour quelqu’un ? Dans une période marquée par les dystopies et les humeurs maussades, précisons qu’il ne s’agit pas d’une fin du monde réelle, biblique ou autre, mais bel et bien d’une représentation personnelle de la fin du monde, à toutes les étapes de la vie. Il y a les vrais drames, et les noyades dans un verre d’eau. Il y a des accidentés (Accident du travail), des morts (La bicyclette), des fantômes (Retour). Mais il y a aussi des héros qui ont peur d’aller à un rendez-vous amoureux (Nouvelle Vague). Le grand écart des misères humaines est assumé. De nombreux romans américains ont été une source d’inspiration. Parmi eux, Herzog de Saul Bellow regorge d’exemples de toutes les mésaventures qui peuvent s’abattre sur un être humain. Dans ces moments-là, les personnages sont dans un grand désarroi et dans une grande solitude, même s’ils sont avec d’autres personnages. Une large place est donc accordée à la subjectivité, mais, en même temps, la forme est dialogale, il n’y a aucune voix intérieure, ou voix off, dans la série, qui serait l’expression des pensées intimes d’un personnage. Cette solitude dans l’épreuve est donc exprimée à travers une séquence qui met souvent deux personnages en scène, voire plusieurs. Il y a beaucoup d’humour aussi, de l’absurde, Fins du monde se tient à distance du pathos. Le projet est plutôt de rire de toutes ces situations dramatiques. Avec des paradoxes parfois, comme dans Writing room : une scénariste pense avoir la meilleure idée du siècle, et, pourtant, ses propos suscitent l’effroi, et provoquent son renvoi.

Dans Bangkok, une patiente s’est endormie dans une salle d’attente, et a raté son rendez-vous médical. Le lendemain, elle se réveille, et se rend compte qu’elle a passé la nuit-là. C’est une secrétaire ayant la voix d’un robot (incarnée par Marine Angé) qui l’interroge, et lui annonce qu’elle va devoir attendre trois mois pour un nouveau rendez-vous. Cet épisode illustre la déshumanisation de notre société : les outils n’ont jamais été aussi performants, mais en raison de l’absence de personnel on peut mourir sans avoir eu le temps d’être pris en charge ! Des épisodes comme celui-ci ont une dimension plus politique, comme Accident du travail qui raconte comment deux salariés d’une grande entreprise tentent de se débarrasser d’un ouvrier clandestin, accidenté sur un de leurs chantiers. Avec une certaine grandeur d’âme puisqu’ils le déposent près d’un hôpital avant de s’enfuir ! D’autres épisodes ont une veine plus intimiste, ou relèvent d’une sphère plus personnelle : La conférence met en scène un homme dont l’avenir professionnel est menacé suite à la fuite d’un stylo… Le lézard montre la dislocation d’un couple provoquée par l’assassinat d’un lézard. La folie est sous-jacente dans certains épisodes. Un homme raconte comment il se sent invincible quand il sort d’un cinéma qui a diffusé un film de super-héros (Le sabre). Mais malheureusement cette énergie disparaît trop vite, et ne lui permet pas de réussir son entretien d’embauche.

Tous les épisodes respectent-ils ce principe ? Il y a un épisode étrange, La fille, qui raconte l’entretien entre une fugueuse et une policière qui l’a retrouvée. Celui-ci ressemble presque davantage à une séquence de documentaire où l’on apprendrait qui est un personnage, ou un extrait d’une fiction. La fin du monde, dans La fille, c’est le parcours de cette fugueuse lui-même, et non pas une situation dramatique (la fugue est terminée). Il n’y a pas de climax, juste un coup de pinceau sonore, et la volonté de faire découvrir quelqu’un. C’est peut-être l’épisode qui détonne dans la série. C’est comme si on n’avait pas vu passer la fin du monde…

Y-a-t-il une unité dans la série ? C’est une question qu’on retrouve beaucoup dans l’univers du podcast. La plupart des podcasts de fiction qui ont marqué les esprits ces dernières années aux États-Unis relèvent plutôt du genre feuilletonnesque, même si le terme n’est plus à la mode. On retrouve les mêmes personnages et la même intrigue dans chaque épisode, afin de suivre une continuité scénaristique (Homecoming). En cela, Fins du monde s’écarte de ce schéma. The Truth de Jonathan Mitchell, à l’inverse, propose, comme Fins du monde, des épisodes unitaires, même si on y retrouve aussi quelques « feuilletons ». Dans Fins du monde, ce qui garantit l’unité, c’est la répétition d’une situation délicate dans laquelle sont pris les héros. Pour l’auditeur, il n’y a donc pas ce plaisir qui consiste à retrouver les héros, et voir évoluer une intrigue. En revanche, il y a la surprise, renouvelée à chaque épisode, de découvrir un monde nouveau, un dispositif différent, et une problématique originale. C’est davantage l’esprit qu’on retrouve que des protagonistes ou un récit. Il n’y a pas d’antagonisme dans ces deux types de conceptions de podcast de fiction. Plutôt une complémentarité.

L’idée de Fins du monde s’est cristallisée dans un hôtel à Neuchâtel, en Suisse, lors d’une journée consacrée à la radio. Les idées viennent souvent quand on se déplace, l’imaginaire se déploie mieux quand le corps est en mouvement. Le processus d’écriture a été le suivant : près d’une centaine d’histoires courtes ont été écrites. Une par jour à peu près, pendant plus de trois mois. Il est assez stimulant de commencer la journée par la question : quelle fin du monde pour aujourd’hui ? Il est assez amusant (et rassurant) de constater qu’une fois le processus enclenché il fonctionne à merveille. Des Fins du monde ont même été mises en concurrence certains jours, certaines ont dû patienter pour être couchées sur le papier. Cette durée impose aussi certaines contraintes, l’écriture doit rapidement indiquer quel est le sujet, quelle est la situation et quels sont les personnages. Il y a certes des énigmes dans Fins du monde, et tout n’est pas explicite, mais la compréhension de la séquence est souvent immédiate, et l’on saisit assez rapidement tous les enjeux. L’on assiste parfois à la fin du monde en direct (La conférence, Accident du travail, Changement de pneu), et dans ce cas l’immersion dans un univers est assez forte. Dans de nombreux épisodes, on arrive après la « catastrophe » (Le sabre, Fête foraine). Là, les personnages mesurent les conséquences de tel ou tel événement. Plus rarement la fin du monde n’arrive qu’à la fin, comme dans Inadmissible, qui met en scène un couple qui prépare une fête pour célébrer un succès à un examen. La fin de l’épisode révèle qu’il y a une erreur, et que l’héroïne n’a pas été admise du tout à son examen. La brutalité de la fin contraste avec la banalité de l’épisode. De par la durée très courte, nous avons aussi l’impression que chaque élément a plus une grande importance que dans les formes longues, chaque réplique, chaque son, chaque musique. Comme tout va vite, c’est comme si chaque part était déterminante, et connotait l’épisode. Toutes ces histoires de deux minutes sont des plans séquences : deux minutes de temps réel (à une exception près, Les 150, où il y a une ellipse). Montage interdit…

La série a certes un aspect autobiographique, mais pas dans le sens où les histoires qui la composent seraient nécessairement arrivées aux auteurs. Ce sont souvent des récits inspirés de faits réels, comme préviennent parfois certaines œuvres de fiction quand elles choisissent de rester imprécises sur l’origine d’une idée. Disons que les histoires sont arrivées jusqu’aux oreilles des auteurs de la série. Mais la vérité oblige aussi à dire que certains personnages sont inspirés de personnages de fiction. Aussi, pour certains épisodes, c’est la mention « inspirés de faits fictifs » qui aurait pu figurer dans le générique. Les épisodes dans lesquels un couple se désintègre lors d’une émission de radio en direct relèvent des deux catégories, celle du réel, et celle de la fiction. Le couple ressemble à celui qui présente les émissions de jazz diffusées tous les soirs sur la radio Fip. La question qui se pose souvent, c’est : qu’est-ce qui peut bien se passer quand le couple d’animateurs n’est pas à l’antenne, et que les disques défilent ? De quoi est constitué ce hors-champ radiophonique ? Il y a un creux, qui permet à l’imaginaire de se mettre au travail. Souvenir amusant aussi qui a eu son influence : une présentatrice de Fip ne s’était pas rendu compte un jour que son micro était resté allumé alors qu’elle téléphonait à quelqu’un. Les auditeurs pouvaient ainsi avoir accès à tout un pan de sa vie privée. Ça, c’est pour le réel. Mais le personnage masculin, lui, est inspiré de Waldo Lydecker, le chroniqueur radiophonique amoureux et délaissé du film Laura d’Otto Preminger (1944). Lydecker, par dépit, se suicide par arme à feu juste après sa dernière prestation à la radio. Ça, c’est pour la fiction. C’est un exemple parmi d’autres, et qui n’est bien sûr pas représentatif.

Ce qui est commun à tous les récits c’est la volonté de « jouer » avec sa propre histoire ‒ et celles des autres ‒ plus que d’être soi-même « joué », c’est-à-dire d’être condamné à la vivre sans prise de distance ni recul comme si on était une marionnette prisonnière du jeu d’un autre. Un jour, dans Le Monde, Vincent Lindon a révélé qu’il pensait qu’un grand nombre de personnages était témoins de ce qu’il faisait chaque jour. En permanence. Syndrome de l’acteur ? De ces quelques lignes d’interview, et de cette idée proche de l’univers de Pirandello, est né l’épisode Les 150, qui raconte comment un personnage se retrouve décontenancé quand tous les spectateurs de sa propre vie se sont évanouis du jour au lendemain. Affranchissement du regard d’autrui ou condamnation à vivre seul et désespéré ? Ce personnage est tellement enfermé dans son propre désarroi qu’il néglige la fan enamourée à qui il raconte son histoire. Dans Fins du monde, les obsessions se payent souvent assez cher.

S’il n’y a pas nécessairement de lien entre toutes les histoires, il y quand même une sorte de chronologie. Ça se passe de plus en plus mal, même si la tonalité des épisodes n’est pas tragique. Dans les derniers épisodes, le couple de Jazz se disloque définitivement, les héros meurent (Fête foraine) ou sont déjà morts (Fins du monde). Et il y a même un fantôme (Retour).

Une autre histoire, T’as pas d’vie, est inspirée d’une scène de tram. Un homme y insultait une femme au téléphone en lui donnant des conseils très directifs. Ce qui était étonnant, pour les passagers-spectateurs, outre la violence des propos et l’indifférence de cet homme vis-à-vis des autres voyageurs, c’est de ne pas entendre cette femme à l’autre bout du fil : que pouvait-elle bien répondre à cette succession d’injonctions et d’injures ? Nous n’avons pris aucune note sur le moment, mais l’histoire a été écrite quelques heures plus tard, et mise en ondes quelques jours après. Dans Fins du monde, il y a cette liberté-là : de nouvelles histoires peuvent surgir pendant le tournage, et prendre la place d’autres histoires pourtant écrites plusieurs mois auparavant.

Il est donc permis d’avoir une pensée pour toutes les histoires qui n’ont pas réalisées. Dans l’une d’entre elles, on suivait Alfred Hitchcock vieillissant se rendre à son bureau pour faire la sieste, et d’autres personnes dans l’attente de la nouvelle idée de génie du metteur en scène. Il s’endormait, et l’épisode s’arrêtait là… Dans une autre, l’ancien directeur du festival de Cannes, Gilles Jacob, se mettait en colère parce qu’il ne voulait pas monter les marches du Palais en compagnie de la réalisatrice Jane Campion avec … une canne. Sa coquetterie et son souci de son image était au centre de l’épisode. Il y aussi ces incendies que nous n’avons pas provoqués, ces larmes que nous n’avons pas enregistrées, ces Ferrari qui n’ont pas été volées. Peut-être ces histoires ressurgiront-elles un jour.

Une fois la série écrite, elle a été proposée à France Culture, mais la radio n’avait pas de format de 2 mn. Comme la série avait reçu le soutien du Fonds Gulliver, il a quand même été possible de réaliser les épisodes, qui ont été diffusés dans l’émission Par Ouï-dire de Pascale Tison, sur la RTBF, en Belgique, et sur des radios associatives. La série est aussi en accès libre sur le site sonyapodcast.com, site de podcast de fiction audio créé en août 2021, ainsi que sur la plupart des applications podcasts. Elle a aussi été diffusée par le site Magneto, au Québec.

2. Tournage

Durant les tournages, nous sommes présents tous les deux. Chacun a son propre rôle (Marine est plutôt la réalisatrice, Christophe l’écrivain-scénariste), mais chacun peut aussi avoir plusieurs rôles : ex, direction d’acteurs, ou casting. Marine Angé est en plus musicienne, ce qui apporte beaucoup à la série.

Comme il y avait un processus d’écriture, il y a eu un processus de tournage. En principe, l’idée était de consacrer une demi-journée à chaque fiction. On ne pouvait pas, sauf exception, en tourner plus d’une par demi-journée. Car chaque fiction a ses propres personnages, et son propre décor. Ce n’est pas une série rentable (2 mn de temps utile par demi-journée !).

Le tournage, c’est faire plusieurs choix : le lieu, le moment, et bien sûr les acteurs. Nous avons eu la volonté de tourner dans des décors réels, il n’y a pas de studio. Sauf une exception (Jazz, parce que ça se passe à la radio). Tous les épisodes ont été tournés à Strasbourg ou dans les environs. Volonté de tourner dans un territoire local, même si les fictions ne sont pas situées géographiquement. Choisir un lieu relève parfois de l’évidence. T’as pas d’vie, qui est inspirée d’une véritable histoire, a été enregistré dans un tram, comme les faits réels qui l’ont inspiré. Ce qui était amusant, c’est de voir les passagers surpris de voir l’acteur se mettre en colère, car le tournage change le réel. En tournant « dehors », nous injectons de la fiction dans l’espace public. Certains passants ou évènements interagissent avec le micro délibérément ou non, et transforment irrémédiablement l’épisode, en changeant presque du tout au tout son ambiance, et l’incarnation qu’en font les comédiens … pour le meilleur ou pour le pire.

Le premier épisode qui a été tourné est Les 150. Dans le bar d’une amicale de pêcheurs, près d’un canal, en périphérie de Strasbourg. C’était extraordinaire d’enregistrer un couple, avec tous les clients du bar. Il y aurait eu moyen de laisser plus de séquences documentaires, avec des extraits de conversation dans le café. Mais deux minutes, ça passe vite ! Et il n’y avait pas la place pour intégrer ces séquences. Mais ce souvenir est important, c’est là que nous avons su que Fins du monde serait possible.

L’enregistrement, c’est aussi un moment où l’on tente de capter un climat, une atmosphère. Le lézard est censé se dérouler la nuit, dans une chambre d’hôtel. Nous n’avons pas enregistré la nuit, mais nous avons enregistré dans la chambre d’un appartement aux volets fermés. C’était important pour les acteurs d’être dans la pénombre, cela a créé une intimité entre eux, ils se sont mis à parler tout bas. Idem pour Quitter la nuit. Pour Accident du travail, la séquence se déroule dans une voiture, il faut rapidement trouver un hôpital car une personne est blessée. Eh bien nous avons enregistré dans une voiture, et roulé à une certaine vitesse, comme pour rendre compte de l’urgence de la situation. Il a même fallu faire un break car, avec l’accumulation des prises, l’actrice a eu des nausées. Nous avons la volonté d’enregistrer des comédiens en mouvement, même si on ne les voit pas dans un podcast de fiction audio. Ce mouvement est tout de même perceptible par les auditeurs, et nous permet d’incarner différemment les fictions. Il permet aussi une certaine dose de « mise en danger », qui nourrit différemment chacune des fictions et nous oblige à renouveler les stratégies. Parfois, le lieu de l’enregistrement ne correspond pas du tout à celui de la séquence. Bangkok se situe dans la salle d’attente d’un hôpital (décidément !) mais a été enregistré dans un… ascenseur, bloqué pour l’occasion. L’actrice a ainsi la désagréable impression d’être prise au piège, comme si elle souffrait de claustrophobie. C’est ce qui est agréable à la radio : grâce à l’absence d’image, on ne doit pas être réaliste. Ce qui est important, c’est le décor intérieur. Il est plus intéressant de signifier la déshumanisation du monde dans un ascenseur que dans une vraie salle d’attente. Retour, une histoire de fantômes, qui doit se passer dans un vestiaire de piscine a en réalité été tourné dans la… douche d’un appartement. Le facilitateur, avec son atmosphère de film d’espionnage, a été tourné près d’un canal… Le choix d’un lieu se fait aussi bien entendu en fonction de l’espace créé, et être dans une salle d’attente ne produit pas les mêmes sensations que d’être dans la cage d’un ascenseur. Tourner dans des décors naturels n’est parfois pas une sinécure. Nouvelle vague, qui a été enregistré dans un café, a sans doute été un des tournages les plus compliqués en raison des variations d’ambiance d’un moment à l’autre. Et encore, le gérant avait accepté de couper la musique.

3. Acteurs

Certains acteurs sont des professionnels, d’autres ne sont pas comédiens. Il y a les deux configurations. Cela s’est fait en fonction des rencontres. À Strasbourg, il y a le Théâtre National de Strasbourg, et sa très bonne école. Plusieurs comédiens de Fins du monde en sont issus : Camille Dagen et Romain Darrieu, le couple qui se sépare dans une émission de radio, Eve-Chems de Brouwer, qui joue dans Accident du travail et Quitter la nuit. Les comédiens sont bien entendu plus disposés à improviser, et à jouer avec un texte. Jazz ne devait être, à l’origine, qu’un épisode de 2mn30 comme les autres. Le texte correspond à cette durée-là. Mais Camille Dagen et Romain Darrieu ont commencé à improviser, et n’arrêtaient plus de se disputer ! C’était formidable, et nous les avons laissés créer des répliques qui n’existaient pas lors de l’écriture. Lors du montage, cela a d’ailleurs posé problème : comment travailler ce matériau ? Leur dialogue ne pouvait pas être réduit à deux petites minutes. Nous avons finalement choisi de réaliser quatre épisodes à partir de leur travail, et ces épisodes sont devenus des fils rouges de la saison 1 (Jazz, Train Bleu, Tendre est la nuit, It came out of blue). Il nous est aussi arrivé, lors d’une rencontre à la SACD, de diffuser les quatre épisodes, qui sont chronologiques, à plusieurs moments, pour ponctuer la soirée d’écoute. Ces épisodes sont une histoire autonome dans la série. Il y donc quand même des exceptions à ce désir d’éclatement des épisodes. La fille et La copie d’une part, et Fête foraine et Retour peuvent aussi être pensés comme une paire d’épisodes qui met en scène les mêmes personnages. Nous aurions voulu plus de correspondances encore entre les histoires, lors du tournage, mais la série n’avait pas été écrite dans cet esprit.

Parmi les non-professionnels, il y a tout un groupe d’étudiants du lycée Le Corbusier d’Illkirch (BTS Design Graphique). Ce sont d’ailleurs eux qui ont été les premières voix de Fins du monde. Bien avant que nous ne lancions les enregistrements de la saison 1, Ada Wojtowicz avait demandé si elle pouvait utiliser les textes pour un atelier radio. Le résultat était impressionnant, et c’est assez naturellement que plusieurs étudiants ont été invités à jouer dans la série. Ce sont eux qui ont constitué les duos. Lisa Pham Chanh Hieu et Simon Frenay (Le lézard), Camille Mertz et Ophélie Volfart (Inadmissible), Léa Mariette (La bicyclette, Retour, Fête foraine). C’est intéressant de voir que les textes de Fins du monde circulent, et qu’on peut les reprendre, comme des chansons.

La voix du générique, et celle de plusieurs épisodes (Le facilitateur, Fin du monde), est celle de Xavier Delcourt, professeur d’université à la retraite. Xavier a une voix qui « fictionne ». Le simple fait qu’il s’empare d’un texte, grâce à sa voix et à sa présence, nous plonge dans un univers mystérieux. Nous lui avons aussi demandé, ainsi qu’à un autre professeur à la retraite, Alain Chanel, d’interpréter un jeune adolescent qui doit rassurer son ami inquiet à l’idée d’un rendez-vous amoureux. Demander à des comédiens plus âgés d’interpréter des personnages jeunes était le pari de cet épisode, Nouvelle vague. Nous avions aussi la version réalisée par les jeunes étudiants du lycée Le Corbusier, qui était totalement différente ! Il y a aussi un décalage lié au fait que des personnages masculins ont été joués par des comédiennes. Ainsi, dans Inadmissible, un couple homme/femme s’est transformé en couple de femmes. Et le lycéen amoureux d’une fille de Fête foraine a été joué par une comédienne, ce qui change donc la dimension sexuelle de l’histoire. Tout n’est pas toujours conscient dans ces changements, c’est bien aussi.

Dans certains cas, avec ceux qui ne sont pas comédiens, nous nous sommes appuyés sur les compétences acquises dans le cadre de leur travail. Le personnage principal de Writing room, une scénariste, est interprétée par une vraie scénariste, Elina Gakou-Gomba. Celle-ci a modifié le texte initial, et a introduit de nombreuses expressions propres à son univers professionnel, qui apportent de la crédibilité à la séquence. Mélanie Fresard, qui joue une policière (La copie, La fille) interrogeant une adolescente, est elle-même en contact avec des jeunes dans le cadre de son travail au sein d’une association. Les deux commentateurs du prix de Formule 1 de Changement de pneu sont eux-mêmes journalistes, et sont spécialistes de sport ! Ils apportent beaucoup de crédibilité aux personnages. Il est très difficile de jouer des personnages de journalistes, ils ont souvent intériorisé des manières de s’exprimer au fil des années qu’il n’est pas facile de reproduire pour un acteur.

De nombreux comédiens sont aussi des artistes que nous connaissons. David Séchaud (Writing room, Accident du travail) est scénographe et metteur en scène, Juliette Autin (Les 150, Bangkok) est scénographe, Viny Besnard (La conférence) est autrice-compositrice et chanteuse, Robin Beilé (Les 150, Le facilitateur) et Mike Sapwe (T’as pas d’vie) également… Ils ne sont pas habitués à interpréter des personnages, mais ils ont l’expérience du travail de création. Ce qui est intéressant, c’est de créer ce petit décalage, de leur demander d’être à une autre place que celle qu’ils occupent la plupart du temps dans leur travail.

Nous avions aussi constitué un petit protocole. Nous ne souhaitons pas que les comédiens lisent leur texte durant l’enregistrement. Nous commencions donc par leur faire lire le texte, de manière neutre. Puis nous enregistrions une ou plusieurs prises avec le texte, puis, progressivement nous cachions le texte. Ce qui n’a rien d’évident pour ceux qui ne sont pas comédiens. Mais c’est ainsi, nous préférons les interprètes en mouvement, avec parfois quelques maladresses, à une lecture parfaite. Les comédiens ne pouvaient pas se reposer sur le texte. Nous leur disions souvent : INTERDICTION de lire ! Ce qui importait, c’était la réinterprétation du texte par les « acteurs », la manière dont ils vivaient la situation, et incarnaient le personnage. C’est plus une fidélité à la situation qu’au texte que nous recherchons. Nous ne sommes donc pas dans une impro totale, c’est même tout l’inverse. Le moment du tournage est pour nous une des phases de l’écriture de Fins du monde.

4. Montage / Réalisation

Le processus de réalisation débute souvent à la première lecture du texte. Nous discutons ensemble de l’idée globale émanant de la fiction, de ce qu’elle nous évoque dans notre expérience propre. Ce processus sera aussi répété auprès des acteurs dans une moindre mesure. Nous décidons ensuite du lieu du tournage ainsi que des acteurs. Ces choix emmènent la fiction dans une direction, par exemple dans Le sabre, nous avons pensé à Florian Bonvarlet qui entretient lui-même une relation particulière avec les films de Quentin Tarantino, et à qui nous avons demandé de jouer de la guitare en même temps qu’il jouait le texte, ce qui le mettait plus à l’aise, et qui, même si le montage deviendrait bien plus difficile par la suite, apportait une couleur inédite à l’épisode.

Dans Writing room, nous avons joué dans le lieu de travail (temporaire) d’Elina Gakou-Gomba. Pour l’épisode Fin du monde, nous avons décidé de partager les rôles entre une enfant et une personne plus âgée. Souvent nous recherchons un « décalage » avec le texte d’origine, une sorte de déplacement, ou alors un fil à tirer pour amener l’histoire à prendre une direction plus burlesque, plus fantastique, pour, en fait, créer un autre regard par la mise en scène du texte original. Dans Retour, le décalage vient du fait que Léa Mariette joue les deux personnages de l’épisode, le lycéen amoureux et le fantôme, qui est en réalité une lycéenne qui s’est tuée dans un accident de manège. Les deux jeux sont différents : le lycéen parle normalement, tandis que le fantôme chuchote, comme s’il ne voulait pas être découvert (ils sont dans une cabine de la piscine).

Une fois le tournage fini, nous passons par une phase de dérushage et de montage. Ce processus engendre parfois une sorte de réécriture, qui nous amène à choisir ensemble la direction finale que prendra l’épisode, comme par exemple dans Jazz, ou Fête foraine. Au début, la construction du rythme des épisodes était difficile. En effet, nous avions à chaque fois entre 1 et 2 heures de rush pour un épisode de 2 minutes, avec en plus parfois un jeu inégal dû à des comédiens non-professionnels. Certaines séquences de texte mises bout à bout duraient souvent 10 minutes, parfois 20 minutes. Et en plus, nous souhaitions laisser dans ces 2 minutes des silences et des espaces pour le son, mais aussi introduire les épisodes par quelques secondes de sons, afin de laisser le temps à l’auditeur de s’immerger dans l’univers créé. Puis nous avons petit à petit réussi à réduire les montages à 8 minutes puis 5 et enfin environ 2 minutes. Comme lors du processus d’écriture, au bout de quelques épisodes, le rythme est trouvé et le montage devient plus évident. Dans cette phase de travail, le format des 2 minutes a aussi été très contraignant. Fête foraine a pris énormément de temps au mixage car des sons de manège sont mixés avec de la musique, et trouver le bon rythme et la bonne place de chaque élément a donné du fil à retordre !

La question du rythme est primordiale. Dans Fins du monde nous avons cherché à créer des sortes de ponctuations au sein des épisodes. Des temps d’écoute du son, des temps d’arrêt, des respirations, mais aussi des blocs de phrases ponctués de points d’interrogation. Chaque épisode devait posséder sa couleur propre, son univers et ses contrastes et, comme pour les morceaux qui composent un concert, des tempos. La musique est un élément que nous avons du mal à considérer comme un simple « habillage », même si souvent elle semble s’en approcher. Les épisodes sont travaillés comme des compositions musicales, avec des basses, des voix, des instruments, des éléments percussifs, un tempo, des timbres. Par cela, nous nous rapprochons de la musique électro-acoustique. Souvent la musique découle de sonorités que nous percevons déjà dans le tournage… bruits blancs dus à une soufflerie, murmure urbain, rythme des échanges entre les voix, timbre des voix… Jonglant entre des enregistrements que nous avions déjà réalisés et des créations originales réalisées sur le vif.

Sur le vif, car notre pratique de la création musicale est très liée à l’improvisation elle aussi. Nous prenons un instrument, un objet, une voix, et hop, nous enregistrons en direct. Souvent ça marche. Puis nous montons, nous mixons, avec la fiction. C’est ce qui s’est passé dans Retour ou Bangkok par exemple.

Dans Writing room, la musique a été pensée « efficace », afin de rappeler les musiques de « soap opéra » et justement de servir une sorte « d’habillage » mais qui correspond au format que nous voulions y évoquer. Elle permet également de ponctuer le débit de l’actrice, sa manière de parler et d’ajouter de l’humour à l’épisode. En effet, l’auditeur entend ici des bruitages qu’il sait inconsciemment inaudibles des personnages fictifs. Cela crée une sorte de mise en abîme de la fiction. Car justement dans Fins du monde nous souhaitons que l’auditeur écoute, au sens presque d’espionner.

Dans Le facilitateur et Quitter la nuit, nous avons ajouté des enregistrements musicaux d’il y a quelques années de Thomas Rochard et Marine Angé. Les montages ont été alors réalisés par des aller-retours entre ces musiques et le tournage de la fiction. Dans Le facilitateur, les frottements d’archet dialoguaient bien avec le murmure de la ville ; nous avons également ajouté des enregistrements de corneilles afin de créer une véritable ambiance cinématographique.

Dans La bicyclette, le violoncelle devient lui-même un personnage, dialoguant avec le personnage principal. Dans Le plongeon, le son de la fin, enregistré lors d’un concert de Matthias Moss et Marine Angé, incarne ce « monstre » ou objet effrayant évoqué par le personnage. Dans cet épisode, pour reprendre toujours cette idée « d’écoute » du public, nous avons choisi d’altérer le son par des coupures brutes, pour laisser entendre que l’aspect fantastique ayant lieu dans la fiction se répercute également dans l’univers de l’auditeur.

C’est également un parti pris dans les épisodes Jazz, Train bleu, Tendre est la nuit et It came out of the blue. Dans ces épisodes, « l’écoute » est portée à son apogée puisque nous écoutons ce que nous ne devrions pas entendre, le off d’un plateau radio. Pour renforcer cette idée, nous avons choisi d’alterner les points de vue. En effet, nous entendons parfois la fiction depuis le studio radio, dans lequel a lieu le dialogue des personnages de David et Mélanie (son clair et neutre, pas de sons d’ambiance) mais nous l’entendons également depuis le lieu d’écoute d’auditeurs fictifs, puisque nous entendons un son provenant d’un poste radio, depuis une salle de bain, une cuisine, un salon…. Et accompagnés des bruits du quotidiens (ceux qui nous accompagnent tous dans nos écoutes radiophoniques, auditeurs que nous sommes) : lavage de la vaisselle, brossage de dents, douche…. Et c’est là pour nous le lieu du fantastique, quand le fantastique opère un déplacement entre le fond et le format de la fiction. L’épisode Jazz agit comme une porte d’entrée des fictions de la série. L’auditeur est dans la fiction, c’est lui qui la fabrique, et « écoutant », en espionnant des bribes d’histoires, des fins du monde. Les trois autres épisodes mettant en scène ce studio radio, agissent en fil rouge pour ponctuer la série, comme les dialogues des présentateurs lors d’une émission de jazz.

Dès le début de ce travail nous avions à peu près une idée de l’ordre dans lequel nous diffuserions ces épisodes (il existe également une version d’une heure avec tous les épisodes à la suite dans un seul format, et sans générique), ce qui a contribué aux univers des épisodes. Dans Fins du monde, quelques bruitages ont été réalisés (La copie, Quitter la nuit et pour Writing room aussi, car nous voulions un aspect « soap opéra ». Parfois, les sons sont téléchargés depuis des banques de sons. Beaucoup de sons ont subi des transformations, des montages en couches, afin de créer des univers inédits et immersifs.

Mais, aussi, parce que nous avons décidé de tourner beaucoup d’épisodes en extérieur ou dans des environnements réels, certains épisodes sont livrés presque dénués de sons ajoutés (La conférence, Le sabre, T’as pas d’vie…). Ici il s’agissait de laisser vivre les sons présents dans les tournages, parfois déjà musicaux, mais aussi parce que nous souhaitions donner à certaines fictions un traitement plus cru, et plus proche d’une sorte de document, ou de témoignage. Ce traitement nous a permis aussi d’alterner la diffusion avec des épisodes plus chargés en couches sonores.

Y-a-t-il une unité stylistique ? En fait, chaque épisode est une sorte de petit laboratoire en soi. L’inspiration est cinématographique. Certains épisodes relèvent du genre fantastique (Le plongeon, Retour, Fin du monde, Les 150), d’autres du genre film noir (It came out of Blue, avec sa musique jazzy et ses bruits de pluie) ou du polar survitaminé (Accident de travail). Avec d’autres, nous avons aussi la volonté de nous inscrire dans tel ou tel genre cinématographique. Nouvelle vague ne s’appelle pas ainsi par hasard, c’est l’esprit des premiers films de Claude Chabrol et de Jean-Luc Godard qui inspirent ce dialogue d’amis qui parlent des filles qu’ils aiment. L’esprit de la nouvelle vague se retrouve aussi dans Le lézard et Quitter la nuit (dialogue amoureux), Fête foraine, avec la voix de Léa Mariette qui évoque les voix off de François Truffaut. En revanche, pour ce dernier, les bruits de fête foraine et de cris de foule sont un contrepoint à cette dimension plus romanesque. Comme si la beauté luttait contre la trivialité, et que le songe du héros se heurtait à la prosaïque réalité. Changement de pneu commence comme une retransmission sportive à la TV, mais se termine comme un film tragique qui pourrait se dérouler pendant la Guerre du Vietnam. Même en 2mn30, on peut donc jouer avec beaucoup d’instruments pour créer une atmosphère.

5. Économie

Avec Fins du monde, nous nous trouvons dans une économie précaire. Certains des choix que nous avons faits (peu de matériel, format, tournages en extérieurs, acteurs non professionnels…) ont la place dans cette économie, mais nous les revendiquons également dans le traitement et le fond de notre sujet. Cette économie précaire dans laquelle nous nous trouvons n’est pas un choix en soi, nous aimerions rémunérer plus justement nos partenaires et nous-mêmes, et il existe peu de moyens mis à disposition pour la fiction radiophonique en France.

Fins du monde a été créé dans un mouvement de transformation du paysage de la fiction radiophonique en France, entre les créations radiophoniques et le podcast. La série a d’ailleurs été diffusée par les deux biais, à la radio en Belgique (RTBF, Par Ouï-dire) et au Canada (Magneto), ainsi que, de notre propre initiative, en podcast en France (ici). Son format correspond également pour nous à une tentative de se rapprocher des modalités d’écoute de la musique sur internet et à la radio. Même si nous nous sommes rapprochés d’une certaine forme d’efficacité due au format court, nous n’en avons pas moins essayé de traiter un questionnement de fond qui parcourt les 24 épisodes, pour au final entretenir l’attention des auditeurs sur 60 minutes.

Conclusion

Dans ce travail, nous souhaitons immerger le public dans un monde de sons, aux univers et aux couleurs variées. Nous souhaitons lui faire entendre des voix provenant de milieux différents, aux grains, aux accents, à la musique variée. Lui faire entendre des sonorités étranges, et lui donner accès, par la fiction, et par un format proche de la chanson, à des questionnements de fond, mais aussi à activer son sens de l’écoute. Lorsque nous avons réalisé ces épisodes, nous avions notre propre fiction dans la tête, pour nous, les épisodes étaient des évènements qui arriveraient simultanément.

Notre manière de travailler se souhaite horizontale : les acteurs et musiciens ont aussi leurs propres interprétations et suggestions, ainsi que les espaces dans lesquels nous travaillons. Dans Fins du monde, et de manière assez spécifique à ce travail-là, nous n’adaptons pas vraiment les textes mais nous écrivons, avec le son et avec des mots et l’enregistrement, de véritables créations originales, basées sur des histoires, des sons, des voix des interprétations… Ceci, de l’écriture à la réalisation, en passant par le tournage où nous sommes tous présents. Ainsi se créent des histoires qui nous échappent… et c’est pour le mieux.

La saison 2 est pour très bientôt ! Mais nous ne reproduirons pas le même dispositif. Il y aura moins d’épisodes ‒ une dizaine ‒ et les durées se rapprocheront des dix minutes. En revanche, il y aura davantage de liens entre les épisodes, et tous auront plus ou moins une structure identique. Mais les personnages seront aussi à chaque fois différents.

Fins du monde s’écoute sur les plateformes de podcast, et sur : https://sonyapodcast.com/

Auteurs

Marine Angé est artiste, autrice, réalisatrice sonore et musicienne.

Christophe Deleu est professeur à l’université de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d’enseignement du Journalisme). Il a publié plusieurs ouvrages, dont Le documentaire radiophonique (Ina-L’Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF. Il est président de la commission radio de la Société des Gens de Lettres.

Copyright

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Le roman des voix. Entretien avec Christophe Deleu

Colette Fellous ‒ Je me souviens de la première fois où je suis allée voir Alain (Alain Veinstein) pour lui proposer une série de Nuits magnétiques. C’est Alain Trutat qui m’avait envoyée chez lui, car j’avais déjà produit plusieurs ACR [1]. J’étais une vraie écouteuse des Nuits magnétiques. Tous les soirs j’écoutais, j’étais passionnée par tout ce monde qui était là. Et donc je lui ai dit simplement que j’avais très envie de faire une série sur « la première fois », sur toutes les premières fois qu’on pouvait connaître. Dans ce bureau, j’ai prononcé juste deux ou trois mots, comme deux ans auparavant devant René Farabet quand je lui avais proposé de faire un ACR sur la mémoire et le cercle [2]. Comme Alain savait que je venais de l’Atelier (il avait écouté cette émission sur la mémoire et le cercle, m’a-t-il glissé), il m’a dit très vite : « Je vous préviens, ici, c’est au ras des pâquerettes. » Il y avait une jolie malice dans ses yeux et déjà une connivence, quelque chose qui faisait qu’il y avait de l’air, de l’humour, de la légèreté, et en même temps de l’engagement parce qu’on connaissait l’un et l’autre la grande exigence de la radio. Je savais qu’il était poète, lui savait sans doute que j’étais écrivain, mais en même temps on ne se connaissait pas et on s’est tout de suite fait confiance [3].

Par rapport à l’Atelier de création, que j’aimais beaucoup, qui a été un peu ma formation, les Nuits magnétiques représentaient un espace de liberté, de vraie liberté. C’était un lieu directement ancré dans le mouvement du monde, moins figé que l’Atelier. J’en avais un peu assez de faire des Ateliers : c’était très intéressant, mais sans le mouvement, la liberté que je cherchais dans la radio, liberté de la phrase, de la voix, de la composition, du montage ; liberté, au fond, d’une forme à inventer autant que dans le roman. Je venais de faire paraître mon premier roman [4], et je voulais faire de la radio une sorte de roman. Alain proposait comme ligne conductrice des Nuits magnétiques la radio comme un récit : de mon côté, je le voyais peut-être moins comme un récit, plus comme un roman avec la voix des autres, et le bruit du monde. Les gens qu’on rencontre, ça devient souvent comme des personnages d’un roman : on ne les rencontre pas juste pour nous, on sait qu’après ils vont être écoutés par d’autres. Il y a donc à la fois une proximité et une distance, aussi. C’est un peu un jeu.

J’aime beaucoup les chemins parallèles de la radio et du roman, j’ai besoin de cet esprit d’équipe, les techniciens, les réalisateurs, les assistants, tout ce qui fait la beauté de la radio. J’ai besoin bien sûr de ceux que je vais rencontrer et qui vont me confier leur parole, c’est merveilleux d’aller dans des pays lointains ou des villes encore inconnues et de rencontrer de nouveaux visages, de nouvelles voix pour ensuite les faire partager au public, c’est une expérience unique. Être toujours en mouvement, écouter, bouger, être à la recherche. J’aime le mouvement en fait, pas seulement le mouvement de la pensée, mais le mouvement physique. Et en même temps, pour écrire, j’ai besoin de solitude, de fouiller dans une mémoire ancienne, des régions plus étroites, plus secrètes. Mais la voie que je recherche est la même, ainsi je ne me sens jamais séparée.

La radio nourrit l’écriture car lorsque j’écris, beaucoup de choses de l’expérience de la radio me reviennent, du montage notamment, du rythme des voix, de la musique. J’ai beaucoup appris sur la façon de rythmer une phrase par l’habitude d’écouter très attentivement la voix et la pensée des autres. Et de l’autre côté, j’aime composer une émission, même avec peu de moyens à la façon d’un roman, c’est-à-dire que je prends la liberté de mettre ensemble des gens ou des thèmes qui n’ont pas forcément de rapports entre eux puisque je sais que comme dans l’écriture je leur trouverai un lien. Dans un livre, tout peut surgir au détour d’une phrase, on peut parler d’autre chose, lever la tête, décrire le ciel ou une branche d’arbre et puis on revient, on reprend la route, le récit. Le roman, c’est une pensée des liens. Quand j’écris, je suis moins préoccupée par le sujet que par ces liens à faire. C’est cela la fiction pour moi, la forme d’un livre, sa liberté, son audace, son mouvement, c’est ce que j’aime par-dessus tout, dans les livres que je lis également.

Mais la fiction apparaît dès qu’on écrit ou qu’on enregistre quelque chose : ça de détache de soi ou du réel et ça devient une autre matière. Même à partir d’enquêtes très concrètes, même quand j’évoque des expériences intimes de ma vie, pour moi dès que je les installe dans une forme, elles deviennent de la fiction. Je pense que c’est aussi parce que c’est destiné à être lu ou écouté par un public qu’on ne voit pas, auditeurs, lecteurs. C’est « adressé », comme aurait dit Barthes. Ce n’est plus une chose qu’on a vécue soi-même, c’est une chose qu’on va rapporter, retravailler, mais qui est adressée. Et qui, sans adresse, n’existerait pas.

Christophe Deleu ‒ Vous parlez de l’écoute et de l’adresse : une chose me frappe dans Nuits magnétiques, c’est que, dès qu’on commençait à écouter, on savait qu’on était pris en charge en tant qu’auditeur. Dès le générique, dès l’accueil, on savait qu’on allait être bien traité.

Colette Fellous ‒ Oui, tout de suite, il fallait plonger l’auditeur dans un monde à la fois… mystérieux, secret, intime je veux dire, mais où tout le monde pouvait entrer et s’y reconnaître, c’est ça qui était beau. On invitait l’auditeur, en fait. La radio, c’est vraiment un pacte, un pacte grandiose entre celui qui parle, qui ne voit pas l’auditeur, et l’auditeur, qui écoute et ne voit pas celui qui parle. Je crois d’ailleurs que tous les producteurs de Nuits magnétiques avaient ce pacte, qui était aussi… un peu consolidé par les chargés de réalisation, qui défendaient l’esprit d’une émission et pouvaient dire par exemple à un nouveau producteur : « Ah non, là ce n’est pas Nuits magnétiques. » Pour différencier aussi l’émission des autres émissions de la chaîne, dès le générique, dès le « chapeau ». Le ton était facilement reconnaissable.

C’est très bizarre ce qui se passe quand on « passe » à la radio. Il suffit que le micro soit ouvert, que la bande magnétique se mette à défiler, pour que le temps tout d’un coup se découpe d’une autre façon. C’est très difficile à expliquer, c’est une sensation impalpable. Mais parfois, de l’autre côté, lorsque c’est réussi, l’auditeur arrive à entendre ce frémissement de la voix, de ce qu’elle ne dit pas complètement mais qu’elle fait ressentir. On devine le début d’un sourire, l’éclat des yeux, la forme des lèvres, le temps entre deux phrases devient si allusif, si beau, si plein. Le temps de l’enregistrement est cet endroit du monde où tout à coup on se retrouve au bord du vide et que les mots, la voix, le silence, toutes les choses qui sont suspendues dans l’air prennent la peine de se mettre ensemble pour créer un nouveau temps qui n’appartiendra désormais qu’à la radio. Un temps de grâce. C’est là qu’il vivra, c’est là qu’il sera reconstruit et qu’on l’offrira au public. C’est un temps qui sépare et qui relie en même temps, qui peut faire même oublier parfois ce que vous êtes en train de dire. Mais c’est un temps qui ne triche jamais, et qui vous fait entrer de plain-pied avec ce que vous êtes. Votre voix témoigne de tout, de vous et des autres, à ce moment-là. Rien n’échappe au micro, il prend tout, en vrac, le bien et le mal, les failles et les défauts autant que les plis de la vérité, la malice d’un sourire, les accrocs du vent ou l’amertume d’une existence…

Si j’ai fait de la radio, c’est vraiment pour ça : pour créer et entrer dans ce temps-là. Créer avec peu de choses. Avec les sons, les ambiances des villes (même très proches… la rue d’en-bas aussi bien…). Surtout avec la voix des autres. Avec les mots qui vont être rassemblés et dont on va prendre soin aussi. Je me souviens que je préparais assez vite mes textes d’introduction ou mes textes de liaison. Je prenais quelques notes pendant la préparation, mais j’avais besoin ensuite de la pression de l’antenne pour écrire vraiment. Je les écrivais presque un quart d’heure avant le début de l’émission, afin de mieux transmettre une émotion, ou plutôt pour retrouver mon émotion première, celle que j’avais eue au moment de l’enregistrement et faire que l’auditeur soit exactement au même niveau que cette émotion, que nous écoutions et découvrions ensemble. Je ne voulais pas que ce soit très écrit, comme dans mes romans où je revenais sur les phrases pendant des mois. Pour la radio, non, j’avais envie que ce soit comme une émotion « jetée » à la mer, offerte comme un bouquet. Donc, c’était à la fois précis et travaillé, mais autrement que dans un roman, il fallait que ce soit à consommer tout de suite. La radio a la beauté de l’éphémère, de l’imparfait, de l’inachevé. Ce qui fait que je n’ai jamais réécouté ces textes, et que je ne les ai pas utilisés non plus dans mes romans. J’en ai énormément, comme Laure Adler. C’était toujours des textes pensés, réfléchis, mais écrits vraiment pour la radio, pour être dits, la voix devenant elle-même un langage à part entière. Et c’est ce que j’aime aussi : il y a une générosité de la radio, qu’on ne retrouve pas tellement ailleurs. Une générosité qui était celle aussi des responsables de programmes comme Alain, ou comme René Farabet à l’ACR, qui laissaient leur chance aux « premières fois » justement, aux jeunes auteurs qui arrivaient avec leur désir de radio.

Je pense ici à Roland Barthes, avec qui les choses se sont passées exactement de la même façon. J’étais allée le voir pour m’inscrire à son séminaire [5]. Je ne le connaissais pas mais j’avais lu beaucoup de choses de lui. Je voulais absolument suivre son séminaire, mais je ne savais pas comment lui montrer que c’était très important pour moi. Il m’a d’abord dit qu’il regrettait, que son séminaire était complet, qu’il voulait organiser des séminaires restreints et que du coup, il y avait très peu d’étudiants. J’étais désemparée et je lui ai juste dit que c’était important, que je ne le dérangerais pas, que j’avais juste besoin d’une « présence lointaine ». Ces mots ont suffi pour qu’il m’accepte, c’était une sorte de pacte entre nous, nous étions « sur la même longueur d’ondes », il m’a fait confiance et a dit « Alors, d’accord. » Je n’ai jamais oublié ce moment où il m’a ouvert la porte, et quand de jeunes producteurs arrivaient, je les écoutais, même si ce qu’ils proposaient n’était peut-être pas encore très travaillé. Mais je sentais par leur présence s’il y avait un vrai désir ou pas. Il n’y a pas de radio, d’art en général, sans désir. Et la radio, pour nous, ce n’était pas simplement un outil de communication, c’était de l’art. De l’art éphémère, certes, consommable, qui se modifiait d’un jour à l’autre, qui se renouvelait et se transformait sans cesse.

Christophe Deleu ‒ Ce qui était aussi étonnant, quand on écoutait Nuits magnétiques, c’est qu’en dehors des émissions de début de semaine (soit le lundi, soit le mardi, en fonction des saisons), c’était les producteurs de chaque émission qui prononçaient le nom de l’émission, qui disaient eux-mêmes le fameux « Nuits magnétiques, bonsoir… » et qui accueillaient les auditeurs. On est assez loin d’une émission considérée comme une « marque » où celui qui présente serait toujours le même…

Colette Fellous ‒ Oui, en début de semaine, Alain, ou Laure, ou moi, nous présentions les émissions de la semaine, mais après c’était complètement les émissions des producteurs, c’était à eux de les présenter, chacun avec son style, sa voix, ce n’était jamais pareil… Et c’est cet ensemble de voix et de personnalités qui comptait aussi. Il y avait bien sûr des producteurs qui revenaient. D’ailleurs lorsqu’Alain m’a confié les Nuits, en 1989, j’ai voulu qu’il y ait une continuité avec lui, j’ai repris Mathieu Bénézet [6], Franck Venaille, Jean-Pierre Milovanoff, Jean Daive… J’ai donc endossé ce rôle de poursuivre les Nuits magnétiques sans les trahir, mais en étant évidemment un peu différente. J’ai introduit par exemple le « docu-fiction », comme on dit. J’ai continué bien sûr à sortir des studios, dans Nuits magnétiques. Pour donner à voir le monde comme on le vit, et pas seulement des rencontres en studio. Mais il y a eu des émissions peut-être un peu plus… journalistiques qu’à l’époque d’Alain, mais toujours personnelles. Avant mon Carnet nomade, que j’ai commencé au sein des Nuits en 1997, j’ai créé Les Petites ondes, qui me permettaient d’avoir une émission que je signais moi-même tous les mois [7], et en 1997, À ciel ouvert qui était plus sur l’international [8]. Vers la fin de Nuits magnétiques, j’ai aussi créé de petites séquences qui s’appelaient Coupé, rêvé, collé, qui étaient des modules courts mais où l’on pouvait se permettre toutes les fantaisies [9]…

Du côté des producteurs, à côté de ceux que j’ai nommés et qui ont continué d’être réguliers comme écrivains producteurs, je voudrais nommer Nancy Huston [10]. J’ai engagé des débutants (qui sont devenus professionnels ensuite, comme Anice Clément, qui venait de commencer avec Alain [11]) ou des artistes qui tentaient une expérience radiophonique, je pense à André S. Labarthe [12], Michel Boujut [13], Catherine Soullard, qui a réalisé plusieurs séries [14], Lorette Nobécourt [15], François Weyergans [16], Colette Mazabrard [17], et tant d’autres. Je pense aussi au cinéaste Robert Kramer que j’aimais beaucoup, qui s’est essayé pour la première fois à faire une émission dans Nuits magnétiques [18]. Il a réalisé quelques très belles émissions aux Nuits, il en avait été très heureux [19] et moi aussi : son métier de cinéaste apportait un ton différent, sa façon de commenter, de décaler un peu les choses, c’était vraiment très beau. J’aimais beaucoup l’idée que des artistes ou des écrivains qui n’avaient jamais fait de radio tentent une « première fois ». Au fond comme si je n’avais jamais quitté le thème de ma toute première émission à Nuits magnétiques ! Je voulais que chaque émission soit comme une première fois, avec l’énergie, la curiosité, l’invention et le désir, toujours à renouveler. Parce que si on reprend toujours la même forme, si c’est le moule qui revient, pour moi ce n’est plus la radio que j’aime, qu’on aime. Il faut que ce soit toujours différent, et c’est possible, parce que la radio est souple et offre beaucoup de possibilités, avec peu de moyens.

Mon rôle, quand j’ai repris les Nuits magnétiques, c’était de choisir les projets et de coacher les producteurs – je ne parle pas ici bien sûr des producteurs chevronnés, mais de ceux qui venaient avec leur désir de radio et ne savaient pas trop comment s’y prendre. S’ils avaient une vraie personnalité, une vraie personnalité et… une belle promesse, je les écoutais, presque comme un psychanalyste ! J’écoutais ce qu’ils disaient et à partir de leurs mots je leur suggérais deux ou trois choses, mais c’est eux, bien sûr, qui décidaient par la suite. Je donnais un déclic, et ensuite je les laissais faire, et trouver eux-mêmes. Je n’avais aucun modèle, aucune envie de dire comment faire, c’était d’ailleurs la loi des Nuits magnétiques : Alain Veinstein et Laure Adler agissaient aussi de la même façon, une fois que le sujet avait été accepté, ils nous laissaient complètement libres. Il n’y avait aucun contrôle, ce qui nous guidait c’étaient ces seuls mots : la confiance, la liberté, l’intelligence, la beauté aussi, et l’engagement. On était tous là parce qu’on voulait créer. Et renouveler la radio !

La radio a été vraiment modernisée par les Nuits magnétiques. On entendait des voix qu’on ne pouvait pas entendre ailleurs, c’était magnifique. Il y avait des choses qu’on ne pouvait plus faire dans les Nuits, même des choses drôles et un peu naïves, comme par exemple utiliser l’expression « chers auditeurs » (qui revient aujourd’hui !) : on voulait être plus proches, on ne voulait pas qu’il y ait une frontière entre celui qui parlait et celui qui écoutait. Donc, pendant des années, on a essayé de dépoussiérer, d’effacer des habitudes très anciennes, pour donner une autre idée de la radio, où tout serait possible, une autre matière.

Et cela, je trouve que ça ressemblait à ce que faisait Roland Barthes. Barthes nous disait que tous les petits détails que d’habitude on négligeait, ceux de la vie quotidienne par exemple, ou les doutes, les pannes, tout cela pouvait au contraire être très intéressant et que si on les intégrait dans l’écriture, si on les mettait en scène, cela pouvait donner une forme différente à un texte et du coup ça renouvelait le genre. Dans les Nuits magnétiques, on pouvait ainsi inclure des ratages, des fous-rires, des séquences qui normalement auraient dû être hors-champ… tout était possible du moment que ça faisait sens. Je repense à l’expression d’Alain Veinstein « au ras des pâquerettes » : pour moi, c’était aussi Barthes, ça. Quand j’ai entendu ça, dit avec humour dans la bouche d’Alain, j’ai tout de suite pensé que j’étais au bon endroit. Cela voulait dire qu’on allait ennoblir les petites choses, leur redonner du sens, les rendre majestueuses, en fait. Grâce à la magie de la radio. Et que c’était ça, que ce serait ça, notre tâche.

Notes

Notes ajoutées par les éditeurs.

1 ACR « Des ronds dans l’onde » du 1er juin 1980 ; « Perdus, pas perdus » du 25 janvier 1981 ; « Marrakech » du 11 octobre 1981 ; « Une langue et ses acteurs : le yiddish » du 7 février 1982. La première collaboration de Colette Fellous à l’Atelier de création radiophonique remonte à 1975, notamment pour une lecture à plusieurs voix d’un texte de Denis Roche (« Décharge publique », ACR du 2 novembre 1975). L’Atelier de création radiophonique est un programme de France Culture créé par Alain Trutat et René Farabet en 1969, qui a perduré sous divers formats et dans diverses cases jusqu’en 2018. V. le numéro de Komodo 21, 10 | 2019, qui lui est consacré.
2 ACR « Des ronds dans l’onde » du 1er juin 1980. Avec Jacques d’Arès, Jean Guizerix, Claude Itzykson, Edmond Jabès, Brice Lalonde, Pierre Lamaison, Wilfride Piollet, Jacqueline Risset, Raoul Ruiz, Jean Thibaudeau, Eva de Vitray-Meyerovitch, Jean-Louis Schefer, Jean-Noël Vuarnet, Bianu Zéno, et lecture d’extraits de Métamorphoses du cercle de Georges Poulet.
3 Le projet proposé est devenu une émission en cinq parties, « La première fois », France Culture, Nuits magnétiques, du 8 au 12 novembre 1982.
4 Roma, Paris, Denoël, 1982. Dans l’émission Mythologie de poche que lui consacre Thomas Baumgartner en 2011, Colette Fellous fait le lien entre ce roman, histoire, dans « une forme assez ouverte », « d’une fille qui se promenait dans une ville et qui rencontrait des gens, et ces gens lui parlaient », et son approche de la radio : « Je me suis dit “J’ai envie de faire la même chose en radio. Ce que je fais dans un roman j’aimerais le faire avec la voix des autres. Mais la voix réelle ; et peut-être qu’après, en recueillant des voix, je pourrais leur trouver une forme, et inventer un petit roman radiophonique à partir de ça” » (France Culture, 26 août 2011).
5 Voir le récit de cette rencontre, quand elle avait 22 ans, et l’évocation de la relation avec Roland Barthes, dans La préparation de la vie, Paris, Gallimard, 2014.
6 Il produit ou co-produit une ou deux séries par an de 1992 à 1998.
7 Premier numéro mardi 2 octobre 1990. Magazine mensuel diffusé le premier mardi du mois jusqu’au numéro 3 (4 décembre 1990) puis le premier vendredi du mois, jusqu’au vendredi 3 octobre 1997.
8 Rendez-vous mensuel inauguré le 1er janvier 1997, réalisateurs tournants. Carnet nomade commence lundi 3 novembre de cette année.
9 Première émission jeudi 16 juillet 1998 (prod. Monica Fantini, Yvon Croizier, Gaëlle Meininger, Emmanuelle Forner, et Irène Bérélowitch, Michel Pomarède, réal. Anne Pascale Desvignes). Suite de courts reportages vivants (10-15 mn) introduits par une conversation détendue entre les membres de l’équipe de production (tournante).
10 Ses premières séries documentaires pour Nuits magnétiques datent de 1989 : « Recluses et vagabondes » (14-17 mars 1989, en co-production avec Leïla Sebbar) ; « Vies à vifs » (12-15 septembre 1989). Nancy Huston inaugure sa collaboration avec Colette Fellous par une deuxième série de « Vies à vif » (23-26 juin 1992). Suivent des séries sur les « Passions instrumentales » en 1993 (16-19 février), sur la création en 1995 (« Créer, procréer : les voies de l’immortalité », 7-10 février), sur « Tonino Guerra : mille poètes » en 1996 (deux émissions, 14-15 mai). Sa dernière série, « Étranges Français », est diffusée en deux fois deux émissions, les 16-17 septembre 1997 et 26-27 octobre 1998 (suite d’entretiens avec des étrangers résidant en France, sur leur perception de la France).
11 Sa première série pour Nuits magnétiques, sur « Les curés de campagne », date des 27-30 septembre 1988 ; sa première pour Colette Fellous, « Naissance », est diffusée du 18 au 21 septembre 1990. Elle produit ensuite une quinzaine de séries documentaires, la plupart en quatre volets, jusqu’en 1998. Sa dernière émission, jeudi 15 juillet 1999, est un documentaire d’une heure sur un couple venu s’installer deux ans plus tôt au village de Pré Célestine dans l’Aubrac, dans des conditions difficiles (racontées par la femme, Nicole Lombard, dans Étrangers sur l’Aubrac).
12 On pense surtout à « Monologue dans le vestibule d’une grande oreille », mardi 30 mai 1995, réal. Vincent Decque. André S. Labarthe co-produit ensuite en 1996, avec Isabelle Rèbre, une série sur le cinéma (« Ceci n’est pas du cinéma », 6-9 février), et participe en 1997 et 1998 à quelques autres émissions sur le cinéma, notamment « Georges Bataille à perte de vue : l’impossible et le cinéma » (20 octobre 1997), consacrée à son pari impossible de faire un film sur Bataille (pour « Un siècle d’écrivains » sur France 3).
13 Critique de cinéma, essayiste et romancier, entré à Nuits magnétiques à l’époque de Laure Adler (il assure la chronique de cinéma dans le magazine La nuit et le moment). Juste avant le départ d’Alain Veinstein, il co-produit avec Robert Kramer et Sylvie Péju une série sur Fellini (« Fellini Mondo », quatre émissions, du 15 au 18 mai 1990). Pour Colette Fellous, il produit quatre émissions unitaires d’1h15 en 1991 (« Robert Kramer : atelier de l’artiste », « Courbet dans sa vallée »), 1992 (« Montréal blues », sur le cinéma au Québec), 1995 (« Le photographe et le jeune homme contrarié », enquête sur le photographe Paul Strand, à partir d’une photo de jeunesse retrouvée).
14 Notamment avec les séries documentaires « Métiers et caractères » (quatre émissions, 26-29 septembre 1995), « Mère et fils » (quatre émissions, 21-23 février 1996), « Portraits » (cinq émissions, 8-12 décembre 1997), « Ailleurs sur un pont » (cinq émissions, 2-6 mars 1998), « J’ai envie / J’ai pas envie » (trois émissions, 27-29 avril 1999). Sa dernière émission est un portrait de « Laurent Naouri, baryton » (22 juin 1999). Elle continue dans Surpris par la nuit de 1999 à 2004.
15 Pour « Mais si ce soir, je dîne avec Fedor », diffusé vendredi 30 avril 1999, réal. Anne-Pascale Desvignes.
16 Colette Fellous pense certainement à « La comédienne et l’écrivain », seule « expérience » à proprement parler de l’auteur dans Nuits magnétiques, décrit ainsi dans la notice Ina : « un kaléidoscope de sons, de voix et de musiques, et un témoignage très moderne sur les rapports affectifs et féconds entre deux générations, entre une fille et son père. Un document psychologique, un hommage à l’art radiophonique et une confidence sur le monde intérieur d’un écrivain. »
17 Critique de cinéma, partie comme enseignante en Inde en 1996 où elle va rester pendant dix ans, elle intervient dans une série documentaire de de 1999 sur l’Inde, « Chroniques indiennes de Nizamuddin Est » (cinq émissions, 5-9 juillet, prod. Patrick Cazals et Colette Fellous). Après la transformation de Nuits magnétiques en Surpris par la nuit, elle est régulièrement présente dans Carnet nomade entre 1999 et 2005.
18 Il s’agit sans doute de la mini-série « De près, de loin », deux émissions diffusées dans Nuits magnétiques les 7 et 8 novembre 1991. « De près, de loin, où se trouve exactement le pays natal ? Que devient-il ? Où sont ses bruits, où est sa langue ? Reportage et récit de Robert Kramer pendant un voyage à travers les États-Unis, son mariage avec Erika, la description des paysages avec les sons d’ambiance, la visite sur la tombe de son grand-père » (notice Ina).
19 Notamment « Lettre à Chuong, à Hanoï », documentaire sonore d’1h15 diffusé dans Nuits magnétiques du 20 novembre 1992, composé en marge de son film Point de départ, en salles en 1994, qui raconte son retour à Hanoï (en 1969, ce cinéaste américain d’extrême-gauche avait co-produit People’s War, tourné dans le Vietnam en guerre). Colette Fellous lui rend un bel hommage dans « Pour Robert Kramer », Carnet nomade du 13 avril 2001.

Auteur

Colette Fellous est née en Tunisie et vit en France depuis l’âge de dix-sept ans. Après des études à la Sorbonne (1968-1971) puis à l’École pratique des hautes études (1972-1976), où elle suit notamment le séminaire de Roland Barthes, et des débuts de comédienne (1974-1976), elle devient productrice de radio, d’abord pour l’Atelier de création radiophonique de René Farabet (1980-1982), puis pour les Nuits magnétiques d’Alain Veinstein, à partir de 1982. Son premier roman, Roma, est paru en 1982 chez Denoël, comme Calypso en 1987. Depuis Rosa Gallica en 1989,  tous ses romans sont publiés chez Gallimard. Enfant, elle écoutait Les Maîtres du mystère et Salut les copains ! « sous de grands parasites sonores qui me ravissaient, parce qu’ils me montraient bien que j’étais de l’autre côté de la Méditerranée et que mon rêve habitait dans le pays de cette radio »À 8 ans, elle découvre la technique des bruitages lors d’une visite scolaire à Radio Tunis : premier émerveillement devant la magie de la radio. À 32 ans, seule avec son Nagra, pour « La première fois », sa première série aux Nuits magnétiques, elle enregistre Vladimir Jankélévitch jouant du piano chez lui et lui développant merveilleusement « ce qu’était “l’apparition disparaissante”, le je-ne-sais-quoi et le presque-rien ». À 40 ans, en 1990, Alain Veinstein et Laure Adler lui confient la coordination des Nuits magnétiques, qu’elle assure jusqu’à la disparition de l’émission à l’été 1999. C’est là, avec le mensuel Les Petites ondes (1990-1997) puis le bi-mensuel Carnet nomade (1997-2015)conçu avec la liberté d’un carnet d’écrivain et fonctionnant comme une « petite université de poche », qu’elle inaugure une forme d’écriture de soi, parallèlement à une forme plus autobiographique de ses livres aussi : Le Petit Casino en 1999 puis le cycle de six livres ouvert par Avenue de France en 2001, puis Aujourd’hui en 2005, Plein été en 2007, Un amour de frère en 2011, La préparation de la vie en 2014 et Pièces détachées en 2017. Son dernier livre Kyoto song, qui amorce un cycle consacré au voyage, est paru en 2020. Carnet nomade a continué jusqu’à son départ de France Culture, en 2015, année marquant pour elle la fin d’un « métier » qu’elle aura vécu « très profondément, dans [s]a peau, dans [s]on corps », comme elle le confiait quelques années plus tôt dans un texte racontant son enfance, sa naissance à l’écriture, ses années de radio et tout spécialement son Carnet nomade. Colette Fellous a créé et dirige au Mercure de France la collection «Traits et portraits » (28 titres depuis 2006).

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