L’instant j1var0


La littérature nativement numérique, écrite sur les blogs, sites et réseaux sociaux, accorde une part privilégiée à l’instant. Par là, ce pan de la création contemporaine à la fois rejoint l’ensemble de la littérature du XXIe siècle, et crée sa spécificité. Temps adapté à l’expression du fragment, l’instant du satori, rejoint ailleurs le kaïros, ce moment propice ou occasion, où se révèle sa réelle complexité temporelle. Rencontre d’éléments disparates, l’instant créateur ouvre le Web à une écriture renouvelée du haïku et de l’essai

The digital native literature, written on blogs, sites and social networks, gives a privileged part to the instant. In this way, this part of contemporary creation simultaneously joins all the literature of the 21st century, and also creates its specificity. Time adapted to the expression of the fragment, the instant of the satori, joins the kaïros, this propitious moment or opportunity, reveals its real temporal complexity. Encountering disparate elements, the creative instant opens the Web to a renewed writing of haiku and essay.


1. L’instant contemporain

La culture numérique, profuse dans son extraordinaire diversité, naît paradoxalement d’une pratique jivaro : tout contenu, texte, image, son, parce qu’il peut se réduire à une suite de 0 et de 1, va entrer dans un réseau où partage et transfert constituent les deux actions principales dont il sera l’objet. De là deux spécificités techniques de ces contenus, également formulables en termes d’exigences implicites chez les usagers : disponibilité et accessibilité. Dans l’instant qui suit ma requête sur un moteur de recherche, voilà qu’afflue une masse de données, qu’il s’agisse de bibliothèques musicales, ou de la BnF, dont la totalité des ouvrages, somme inimaginable de connaissances, se niche dans quelques misérables Téraoctets. La réduction des productions humaines en données par le numérique, au prix d’une désémantisation [1],  a pour conséquence de consacrer l’instant comme la temporalité « naturelle » de l’accès à ces données compressées.

Quand l’informatique, depuis qu’Apple décida de hisser un voile opaque entre l’utilisateur et l’intérieur de la machine, aux programmes secrets, ressortissait au XXe siècle, qui fut celui de son avènement, à la lenteur et à la complexité, constatons, avec Milad Doueihi, que le numérique du siècle suivant autorise, au cœur même de nos expériences quotidiennes, « des accès souples et multiples » [2]. Plus qu’une pratique documentaire, la consultation semble devenue un rapport intime aux données comme au réel.

Notre temps, écrit ainsi Raffaele Simone, est interrompu sans arrêt par le besoin compulsif de contrôler les médias que nous portons sur nous, de consulter notre portable, de photographier, de chercher des sites sur des cartes et des informations. Toutes ces pratiques bouleversent l’expérience du temps continu et sans cassure, car elles transforment le temps en séquences d’interruptions et de moments fragmentés. [3]

Nos pratiques numériques franchissent constamment seuils et frontières : du réel au virtuel, et retour. Ouvrir un onglet, une fenêtre, sélectionner du doigt un message reçu, cliquer sur l’icône d’un navigateur, activer l’un de ces « signes passeurs » : autant de gestes marqueurs de notre contemporanéité, autant de promesses d’une interaction immédiate avec le dispositif technologique. N’envisager le Web qu’en termes de big data, constituer des stocks de données pour les proposer à quelque moulinette encodée, fût-ce à destination de nos sciences humaines, ne conduit-il pas parfois à perdre de vue la qualité de l’expérience ici en jeu ? Le dossier Web Satori, consacré aux productions littéraires nativement numériques, souhaite, lui, se saisir de cet instant de l’apparition du phénoménal numérique, en examinant ses versants multiples, à commencer par ceux de la réception-consultation et de la création-publication. C’est bien plutôt d’une dynamique d’hybridation, d’ailleurs, qu’il s’agira, derrière cette symétrie trompeuse, l’écrilecteur tendant à brouiller, on le sait, les catégorisations habituelles.

En questionnant la littérature telle qu’elle s’écrit et se lit dans et par le numérique par le prisme de l’instant, nous voudrions aussi éroder les représentations hâtives d’une « révolution » numérique, dont la rupture serait le seul mode d’être. Si les innovations caractérisent les textes étudiés ici, elles ne prennent sens que dans une historicité qu’il nous appartient de rappeler. Loin d’une hypothétique table rase, paradigme anachronique d’ailleurs, présentée avec trop d’insistance par bien des lectures médiatiques de « l’ère numérique », la littérature qui s’écrit sur sites, blogs et réseaux sociaux, revisite bien des formes et des gestes que notre modernité avait repérés comme constitutifs du littéraire. Si elle vient les interpréter de nouveau, optant pour la variation et le retravail, c’est également en raison de son dialogue constant avec l’ensemble de la littérature contemporaine. Qui souhaiterait s’en prendre à la ghettoïsation de la littérature numérique, encore considérée par certains comme une sous-pratique de geeks lettrés ou d’ingénieurs sur le retour, n’aurait qu’à noter la commune origine des écritures actuelles, qu’elles s’inscrivent sur papier ou dans le Web. Le réseau accueille en effet une production constamment mobile, différente à chacun de mes consultations, et ouverte sur un rhizome infini de ressources. D’un tel espace décentré, le sujet contemporain est l’hôte par excellence, comme il l’est des écritures contemporaines en général : « Moi je ne sais pas. Il y aurait un centre ? » s’interroge ainsi Spencer, le personnage tout mouvement, dont Arno Bertina fait le narrateur de son gros roman – presque 500 pages – Je suis une aventure [4], ouvert ici presque au hasard parmi tant d’autres. Un tel refus d’assignation identitaire du sujet contemporain convie à n’en pas douter à des expériences parallèles voire sécantes, en ligne et en librairie, sur le papier et sur la Toile. La littérature numérique ne saurait donc se voiler l’hapax : c’est avec un monde en bascule qu’elle interagit, tout comme le font les propositions les plus aventureuses des éditeurs traditionnels. C’est même bien parce qu’il lui incombe, à elle aussi, et avec des moyens technologiques qui l’y prédisposent probablement, de tenter de se saisir de l’instabilité contemporaine et des mutations en cours, sociales, politiques et culturelles, qu’elle s’impose comme pratique et partage. Puisque penser notre environnement dans les seuls termes de la continuité héritée du positivisme du XIXe siècle ne paraît plus guère possible, la discontinuité et la délinéarisation du récit, et par conséquent des identités narratives afférentes, que produit chaque jour la littérature Web, paraît tout particulièrement apte à enregistrer et moduler les ondes de choc de nos vies, volontiers fragmentées en posts et tweets.

Aussi l’instant peut-il à bon droit se prétendre le « chronotype » [5] de la littérature numérique.

2. L’instant & le fragment

Le Web archive du discret. Sites et blogs littéraires n’échappent pas à la règle, qui déportent le modèle classique de l’œuvre vers un paradigme neuf, où la liste et l’anthologie tendent à supplanter la continuité causaliste du récit. Dès lors, ma lecture n’en pourra être que préhensive, extraction répétée de fragments, comme autant de bornes dans mon parcours exploratoire. Quand face à de telles accumulations de contenus, constitutives de sites-bases de données, l’internaute bénévole se sent quelque peu désemparé, force lui est d’inscrire son geste de lecteur en rupture avec une telle tendance cumulative. Ce faisant, il redonne au fragment initial – billet, post – son statut premier, que l’inscription dans une collection aux contours flous érodait. C’est d’ailleurs dans notre contexte de surabondance et d’infobésité numérique, où le flux charrie constamment un nombre incalculable d’informations, que l’instant s’affirme comme résistance. Face au mouvement général de coagulation des données, destiné à organiser la traçabilité de ces informations comme de nos activités en ligne, sont apparus en effet des gestes censés trouer la Toile conçue comme nasse. Bien des auteurs et artistes numériques, à l’image d’Alexandra Saemmer, par exemple, inscrivent ostensiblement leur travail dans une obsolescence qui constitue l’une des qualités propres de l’œuvre. Puisque supports, logiciels, navigateurs, évoluent et menacent la pérennité des programmes, autant adopter cette instabilité pour doter l’œuvre d’une intensité neuve. De nombreuses applications récentes viennent confirmer l’esthétique de l’instant comme l’une des modalités centrales de la communication numérique : que l’on songe à Snapchat, ou à Instagram Stories.

L’intime semble trouver là ses espaces de publication privilégiés, prolongements naturels d’une écriture de soi en ligne revisitant, par le blog principalement jusque-là, la discontinuité définitoire du journal personnel. Aux biographèmes barthésiens, déjà imaginés d’ailleurs comme éléments d’une navigation – « quelques détails, […] quelques goûts, […] quelques inflexions, disons : des “biographèmes”, dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la façon des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion » [6] – correspondent ce que nous pourrions nommer des blographèmes, éclats de soi qu’il appartient au lecteur de parcourir, voire de relier. Le poète luxembourgeois Lambert Schlechter livre ainsi, à longueur de posts, une « liasse de dix mille fragments » appelée à constituer son œuvre autobiographique en ligne.

Sans doute l’écriture du blog suscite-t-elle un rapport propre à son contenu comme à ses lecteurs. Pour qu’un tel journal à ciel ouvert fidélise ses lecteurs, la mise à jour doit en être très régulière, et mise en valeur comme attention accordée, parfois avec une frénésie certaine, à la capture de l’instant présent, voire à une scénographie de ce dernier. La présentation antéchronologique des posts, caractéristiques du blog, conduirait ainsi, selon Fanny Georges, à une « survalorisation de l’instant présent » dont les causes résideraient dans la nécessité pour l’utilisateur de ces plateformes de « nourrir continuellement la structure identitaire qui le manifeste pour exister dans sa communauté », car, poursuit-elle, « le Web 2.0 compromet le développement d’un Soi consistant et autonome pour le livrer à la précarité de l’urgence immédiate [7]. » Le constat peut s’élargir à l’ensemble des réseaux sociaux, et finalement à tous les modes de publication en ligne. C’est donc également une forme d’hystérisation de soi qui contribue à ériger l’instant en temporalité privilégiée de l’écriture personnelle sur le Web vécue sur le mode de l’urgence.

3. L’instant & l’occasion

1 JY Fick D'ici là no7

Doc. 1 ‒ Jean-Yves Fick, « Ce qui demeure », D’ici là, no7, Pierre Ménard (dir.), Publie.net, 2011.

Sur la labilité du temps, de l’ombre qui couvre peu à peu la lumière, sur la labilité du flux qui affole le Web à chaque seconde, Jean-Yves Fick inscrit un poème. Bref, qui dit justement la saisie impossible de l’instant conçu ici très classiquement comme intervalle, mais qui vient, par son geste même, non pas vainement tenter de retenir d’aucune façon ce qui toujours fera défaut, mais évider bien plutôt le texte de cette nécessité même. « Ce qui demeure », selon Fick qui intitule ainsi sa contribution à la revue de création en ligne D’ici là [8], sera « ce qu’il a vu de l’instant », soit « ce qui ne peut se dire du moment un point suspendu ». L’instant Web contient et libère à la fois une poétique de l’empêchement qui se sait incapable de tout bon débarras, et s’écrit précisément dans ce creux d’un indicible et d’un infigurable. La profusion même, qui nourrit un site comme celui de Jean-Yves Fick, témoigne de cette relance incessante du poème face à l’instant.

Christophe Sanchez, qui publie simultanément des clichés d’aube sur Instagram, et le même cliché accompagné d’un poème, sur son blog, propose également une telle écriture de l’instant numérique, tout particulièrement sensible – photo-sensible – aux moments d’entre-deux. La rubrique « Morning à la fenêtre » y reprend le motif crépusculaire, si populaire sur FlickR ou Instagram, dans un cadre proche du journal personnel, pour apercevoir « l’instant dans l’eau obscure d’un tourment [9] », et par-là capter « tout ce qui est “entre” et peut échapper à la présence du présent » – un éphémère qui « capte du temps dans les flux imperceptibles et les intervalles des choses, des êtres et de l’existant [10] ».

Si le seuil et l’intervalle mobilisent tant, c’est comme expérience paradoxale d’un écart – entre chien et loup – plein. L’instant que texte et image, puisque ce compagnonnage domine, s’emploient à dire, résonne en effet d’une pluralité de temporalités qui l’irise. Davantage qu’un point fugace insaisissable sur la ligne du temps, l’instant s’offre comme entrelacs d’expériences. Remontons… à Stendhal, qui face à l’exceptionnelle richesse d’instants revécus par sa mémoire dans leur éclat d’épiphanies, expérimente, dans sa Vie de Henry Brulard, la nécessité d’une saisie polysémiotique. Face à la gageure d’une transcription, dans la successivité de la phrase, de la synchronie définitoire de l’instant, il fut contraint de recourir au dessin, à l’image comme dispositif synoptique : « le glissement d’une sémiotique verbale à une sémiotique de l’image », commente Jean-Marie Seillan, « consacre l’incapacité, au moins relative, de l’écriture littéraire à saisir et à restituer la pluralité des sensations qui coexistent dans l’instant heureux [11] ».

L’instant, haussé au rang de révélation épiphanique, se fait ici occasion, « instant qui est pour nous une chance », écrit Jankélévitch dans Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien. Or, l’occasion, propice, est une « coïncidence ponctuelle » de plusieurs temporalités, celle du sujet et celle de l’événement qui surgit, l’intersection de lignes temporelles, l’instant de synchronisation miraculeuse de plusieurs rythmes, comme une polyrythmie heureuse :

L’occasion est une chance, et une chance inédite, inouïe, inespérée, par la réunion exceptionnelle de facteurs ou de conditions qui demeurent en général disjoints. L’occasion est l’alternative surmontée […], la conjonction critique succède à la disjonction chronique, le cumul au sporadisme ! […] C’est donc le “simul” de la simultanéité qui est le miracle [12].

Par l’alliance du texte et de l’image, les poèmes en ligne de Jean-Yves Fick cherchent l’occasion, proche du Kaïros de l’instant grec. Si la photographie jouit déjà, en elle-même, d’une complexité temporelle, « nouement » qui « se saisit en une seule fois de plusieurs temporalités [13] », comment le texte peut-il jouer sa propre carte ? Probablement par la domestication du verbal :

  1. amuï au profit de syntagmes nominaux, libres de flotter sans attache temporelle fixe, d’autant qu’ils se juxtaposent et proposent le plus souvent un parcours paratactique,
  2. ou délivré de telles amarres, par le choix massif d’un présent de l’indicatif d’aspect sécant, élu pour ses emplois dits « omnitemporels », qui font de ce tiroir verbal l’équivalent grammatical du flou photographique, capable de rendre simultanés pour l’œil les mouvements pourtant successifs d’un objet.

Négociant sans cesse avec les flux, tramé d’une diversité de temporalités et de rythmes, l’instant Web, en quête de formes adéquates, associe donc volontiers l’iconique au scriptural. Quand les poèmes de Fick font le choix de la parataxe, faut-il s’étonner de ce que la mosaïque se soit imposée comme le mode de publication privilégié de l’image sérielle sur Internet ? Parataxe iconique et parataxe textuelle jouent en effet des frictions entre partie et tout et transforment, à la limite, le poème même, en l’une de ces anthologies caractéristiques de la culture numérique. Significativement, Jean-Yves Fick accole d’ailleurs poème et mosaïque d’images, pour clore sa contribution à la revue D’ici là.

2 JY Fick D'ici là no7

Doc. 2 – Ibid.

Ces deux formes convergent dans la tentative d’écrire l’instant, non pas tant extrait du flux numérique ou vital, que reversé dans cette labilité. L’œuvre qui témoigne de cette tension fructueuse et qui perçoit en synchronie la diachronie fuyante, qui stabilise fragilement une telle fluidité, est mosaïquée. L’occasion aura ménagé ce dépassement dialectique de l’opposition originelle entre un instant-punctum, isolé comme saillie existentielle, et le flux numérique.

« L’occasion », poursuit Jankélévitch, « est un cas qui vient à notre rencontre [14] ». De fait, le paradigme de la rencontre semble fonder une poétique de l’instant Web, mieux peut-être que n’y parvient celui de la rupture, souvent mobilisé. De là l’omniprésence des haïkus numériques dans la blogosphère littéraire. C’est bien parce que cette forme poétique brève relève d’une « écriture absolue de l’instant [15] », propice au satori qu’elle s’impose comme scène privilégiée de la rencontre. Christophe Grossi intitule ainsi « Rencontre du jour » le contact noué furtivement avec une aigrette, dont le cliché et le texte porteront trace et témoignage [16].

3 C Grossi

Doc. 3 ‒ Philippe Grossi, http://deboitements.net/spip.php?article761

Si le haïku incarne et se définit comme « art de la rencontre », il jouit en effet sur le Web de la coexistence de systèmes sémiotiques différents, dont la coprésence réalise et autorise cette rencontre même. Jean-Pierre Balpe inscrit ainsi systématiquement, dans un blog explicitement consacré aux haïkus, le texte à l’intérieur de la photo [17].

4 JP Balpe

Doc. 4 ‒ Jean-Pierre Balpe, http://meshaikus.canalblog.com/.

L’instant Web, par le haïku, rejoint le punctum barthésien, qui montre ce « détail [qui] emporte ma toute lecture. […] Par la marque de quelque chose, la photo n’est plus quelconque. Ce quelque chose a fait tilt, il a provoqué en moi un petit ébranlement, un satori, le passage d’un vide (peu importe que le référent en soit dérisoire [18]) ». La photographie comme instantané offre sa saisie du réel au haïku numérique, comme une note – notula – prise au vol, « comme un gangster sort son colt », écrivait encore Barthes : le « tir photographique » de Cartier-Bresson, qui glosait par-là son fameux « instant décisif », résonne du même écho : « Bang » ! écrivait Balpe.

« C’est ça » résumait le punctum pour Barthes ; « ça-a-été », la photographie : posons qu’un « c’est là » devient nécessaire aujourd’hui pour spécifier l’apport du numérique, dans ce rapport iconotextuel voué au partage en ligne. L’« hypercontextualisation » du cliché numérique – du selfie notamment – comme « rapport de l’acteur à la situation » [19], sert une écriture numérique de l’instant consacrée à la collecte d’objets trouvés, au gré d’errances souvent urbaines qui rappellent les pratiques surréalistes puis situationnistes, mais s’affichent également comme des équivalents IRL de la sérendipité au cœur de la navigation sur Internet. Le geste photographique et poétique de Cécile Portier, par exemple, prélèvera une vulgaire pièce de monnaie.

5 C Portier

Doc. 5 ‒ Cécile Portier, http://petiteracine.net/wordpress/2014/06/gagne-ma-langue/

Renouant avec la poétique du hasard objectif et de l’objet trouvé, l’écranvain propose ici comme une porosité des espaces, numérique et réel, où la même errance conduit à la rencontre du trivial. « Semée », autre dispositif de la série « Compléments d’objets » sur le site de Cécile Portier, illustre également une telle métalepse, puisque c’est cette fois une semelle oubliée là sur laquelle tombe l’auteure, comme au gré de mes parcours en ligne je peux croiser incidemment telle ou telle page Web depuis longtemps délaissée par son propriétaire.

6 C Portier Semée

Doc. 6 ‒ Cécile Portier, http://petiteracine.net/wordpress/2011/06/semee/

Perec aujourd’hui, parallèlement à son herbier urbain, nourri des traces – tracts, tickets… – de l’existence contemporaine, réaliserait peut-être un herbier numérique qui, dans le cloud ou sur un disque dur externe, archiverait des captures d’écran de ses navigations sur Internet… Telle pratique serait fidèle à l’esprit de l’auteur et à son goût du jeu. C’est même là, encore, un point de rencontre, que cette ludicité attachée à la sérendipité, comme le montre Servanne Monjour [20], et intrinsèquement, à l’instant, friand de surprises et d’impromptus quand la durée, elle, ne peut d’empêcher de planifier, en tablant sur quelque constance des individus et du monde. Aussi l’instant Web manifeste-t-il au mieux, dans ces productions littéraires nativement numériques, une intention d’invention.

4. L’instant & l’énonciation créatrice

La simplification technique du processus éditorial, rendue possible par les performances actuelles du réseau, des plateformes et des logiciels dédiés, autorise un mode de publication quasi instantané. Thierry Crouzet évoque ainsi la touche « Send », aux pouvoirs presque magiques :

Un Send n’est pas réversible, le Net mémorise, interdit l’oubli, tant chaque chose est aspirée, archivée au-delà de toute possibilité d’effacement, à moins d’un cataclysme. Pas de repenti, ou si peu, foncer en avant vers le texte suivant. Assumer son imperfection, jouir de l’éjection de bits vers les papilles sursensibilisées des récepteurs étrangers [21].

Le lecteur internaute accède à des productions qui conservent quelque chose de leur élan premier : découvrant un texte qui vient d’être rédigé, tweet ou post, j’en perçois non seulement le contenu mais également la force de projection, forme de dripping numérique, sur l’écran que je contemple. C’est bien le geste même de l’écranvain qui perdure et constitue partie du rayonnement de l’œuvre publiée en ligne.

Symétriquement, l’auteur tend à raccourcir, parfois jusqu’à l’infime instant, le délai attribué à la validation sociale du contenu édité : « Internet se définirait ainsi comme le lieu d’une prétention à l’immédiateté du feedback dans les processus littéraires », admettra-t-on aisément, avec Étienne Candel et Gustavo Gomez-Mejia [22]. Plus largement, la culture de l’engagement de l’internaute ressortit à l’immédiateté et à l’instantanéité. La viralité des mèmes, par exemple, exploite ce pan tacite de la pratique du partage d’un contenu par les internautes. Là encore, contrairement aux apparences, l’instant ne conteste pas tant le flux qu’il ne se découvre des aires communes où se réalise une coprésence polyrythmique. Le même, partagé parfois des millions de fois, y perd-il de son aura originelle ? Pas forcément, semble-t-il, puisque le modèle benjaminien de la reproductibilité technique ne se superpose que partiellement à ces pratiques, qui relèveraient davantage d’une (ré)itérabilité numérique de l’instant. L’instant originel – une vidéo, par exemple – est en effet censé conserver, même diffusé aussi largement, sa puissance disruptive première : c’est même parce qu’il la conserve qu’il m’incite, à mon tour, à entrer dans la chaîne du partage.

On le voit, les caractéristiques techniques qui définissent le support et donc ses pratiques, ne sauraient épargner l’énonciation même de l’œuvre. Présentant l’ouvrage de Dominique Hasselmann, 140 Tunnels – en 140 signes chacun – proposé en ligne par Publie.net, François Bon affirme nettement une telle interaction :

Il faut s’y faire. Twitter est désormais un outil adulte de création. Non par culte du bref, mais par ce rapport de publication immédiate, circulante, qui permet d’être au plus près du réel et en même temps de le construire comme fiction [23].

Le texte littéraire met alors ses pas dans ceux de la photographie, dont l’histoire peut, de ce point de vue, se résumer à la réduction progressive du temps de pose jusqu’à « une pointe presque invisible –, le suspens de l’instantané, qui est à la fois le plus bref et le plus absolu [24] ». C’est également l’horizon de la performance, dépendante d’un hic et nunc, ouverte au geste autant voire plus qu’au résultat-œuvre, qui se propose ici à l’œuvre littéraire numérique saisie à travers le prisme de l’instant. Chaque clic sur un lien hypertexte, d’ailleurs, souligne « l’énergie suggestive du langage, de l’image, de l’éclairage, de la mise en espace et de l’animation », pour Alexandra Saemmer [25].

L’hypertexte participe donc d’une poétique et d’une économie pragmatique du ravissement, le clic m’engouffrant brutalement dans un ailleurs inconnu. De même, le surgissement en ligne de l’œuvre littéraire hyperliée, ou tout simplement nativement numérique, parfois encore mal dépolie, entachée de scories qui pourront éventuellement disparaître lors d’une ultérieure relecture-mise à jour, lui confère l’intensité conservée du geste créateur. L’instant créateur, comme le soulignait déjà Bachelard, ouvre à la dimension du commencement [26].

Or, le commencement, toujours relancé, a déjà son genre : l’essai, dont la poétique se laisse caractériser par « cet élan permanent de l’entrée, pulsion de discours renouvelée à chaque phrase [27] ». Le site « en recomposition permanente [28] » et le blog perçu comme « enchevêtrements, marqueterie, hoquetante psalmodie [29] » entassant fragment sur fragment, renouent avec cette évolutivité inhérente à l’essai, en cela distinct du traité aux visées plus péremptoires. C’est même à une vitalité neuve qu’il aspire, reprenant à chaque occasion le fil de son discours, non seulement pour le moduler et le prolonger, mais bien pour y réinscrire un élan énonciatif capable de revigorer l’ensemble. Dès lors, multipliant les incipit, le site ré-arme et ré-ancre à chaque instant la performativité d’une parole d’écrivain. Il fait même de l’instant l’occasion d’une telle relance de la pensée. Si l’essai comme le site renoncent à l’affirmation de vérités intimidantes d’être présentées comme définitives et indépassables, c’est que tous deux s’ancrent de fait dans un terreau mouvant par définition, celui du présent de leur énonciation. « La philosophie prétend aux vérités éternelles, si l’on en croit Platon », rappellent Glaudes et Louette, « l’essai fait du circonstanciel l’objet de sa méditation [30]». Nommons e-ssai le terrain de jeu de cet « instant qui décide et qui ébranle » tant l’auteur que le lecteur, progressant par vagues successives, gages d’une nouveauté entretenue comme un feu précieux : « Il faut du nouveau », écrivait encore Bachelard, « pour que la pensée intervienne, il faut du nouveau pour que la conscience s’affirme et que la vie progresse. Or, dans son principe, la nouveauté est évidemment toujours instantanée [31]. »

Au terme de ce parcours, qui lui-même se contente d’ouvrir le dossier Web Satori, l’instant, considéré comme le régime de temporalité privilégié d’une écriture numérique, s’est déployé tant vers sa réception en aval, qu’en amont vers des formes et des genres anciens, revisités par l’activité de ces écrivains du Web, ou écranvains. C’est qu’un des strates les plus profondes des pratiques littéraires concernées se nourrit du rêve fou de dire, malgré tout, malgré la modernité et Mallarmé notamment, le monde par le langage. L’immédiateté, le fantasme de la synchronie perception/publication/réception, permettrait de rétribuer autrement le défaut des langues. L’efficace technique incarné par des outils performants, smartphone, tablette, ordinateur, l’éclatement sémiotique des contenus – son, image, texte – tentent ainsi de négocier avec l’embarras propre à notre littérature dans son rapport au monde. Les tenants d’un Web de l’information soulignent d’ailleurs à l’envi la puissance du réseau et saluent l’instant comme cet éclair performatif réduisant presque à néant bruit et retard dans la transmission des messages. Mais si les écranvains, on en aura vu quelques exemples ici, exploitent à leurs fins propres les capacités des plateformes, c’est bien pour mener, toujours, une interrogation sur le rapport de la langue au monde, voire pour évider cet instant trop plein, saturé d’informations, en le faisant dialoguer notamment avec l’image photographique. Les poèmes de Jean-Yves Fick déterritorialisent volontiers le référent de la photo, par la mise en espace de blancs, venus trouer le texte mais aussi susciter des circulations d’air entre l’écrit et l’image. Les « Grains d’instants » de Christophe Grossi se jouent ainsi, de façon exemplaire, d’un rapport de l’écriture à l’immédiateté supposée de l’image déposée sur Instagram, en proposant décalages et « déboîtements » – le titre de son blog littéraire – indispensables au surgissement d’une écriture décentrée [32].

7 C Grossi Grainns d'instants

Doc. 7 ‒ Christophe Grossi, http://deboitements.net/spip.php?rubrique50

Autant de formes de résistance vive à l’évidence, voire à la fascination de l’instant comme possibilité, ici reconnue vaine, de fixer le sens.

Notes

[1] Je renvoie ici à l’ouvrage de Serge Bouchardon, La Valeur heuristique de la littérature numérique, Paris, Hermann, « Cultures numériques », 2014, p. 12.

[2] M. Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 18.

[3] R. Simone, Pris dans la Toile. L’esprit au temps du Web, Paris, Gallimard, 2012, p. 24.

[4] A. Bertina, Je suis une aventure, Paris, Verticales, 2012, p. 370.

[5] J’ai plaisir à emprunter cette notion à Yves Vadé, qui l’avait forgée dans son article « Pour introduire les chronotypes », in L’Invention du XIXe siècle, le XIXe siècle par lui-même, Paris, Klincksieck, 1999, p. 195-205.

[6] R. Barthes, Œuvres complètes, t. 3, Paris, Seuil, 2002, p. 706.

[7] F. Georges, « Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du Web 2.0 », Réseaux, no154, 2009, p. 191 et 168.

[8] D’ici là, no7, Pierre Ménard (dir.), Publie.net, 2011.

[9] http ://www.fut-il.net/2015/12/morning-la-fenetre-s04.html

[10] Christine Buci-Glucksman, Esthétique de l’éphémère, Paris, Galilée, 2003, p. 25.

[11] J.-M. Seillan, « L’instant stendhalien et les limites de l’écriture littéraire », Modernités, no11, « L’instant romanesque », Talence, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998, p. 31.

[12] V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien, t. 1, « La manière et l’occasion », Paris, Seuil, Points, 1980, p. 142.

[13] Jean-Christophe Bailly, L’Instant et son ombre, Paris, Seuil, 2008, p. 54.

[14] Op. cit., p. 16.

[15] Roland Barthes, La Préparation du roman I et II, Paris, Seuil / Imec, 2003, p. 85.

[16] deboitements.net/spip.php?article761

[17] http://meshaikus.canalblog.com

[18] Roland Barthes, La Chambre claire, in O.C. t. 5, Paris, Seuil, 2002, p. 828.

[19] André Gunthert, L’Image partagée. La photographie numérique, Paris, Textuel, 2015, p. 156 et 154.

[20] S. Monjour, La Littérature à l’ère photographique, Thèse de doctorat, Rennes 2 – Montréal, 2015, p. 103.

[21] http ://tcrouzet.com/2013/11/24/la-send-generation-pecha-kucha-remix/. Voir également Thierry Crouzet, La Mécanique du texte, Publie.net, 2015.

[22] Voir leur article « Écrire l’auteur : la pratique éditoriale comme construction socioculturelle de la littérarité des textes sur le Web », in L’Auteur en réseau, les réseaux de l’auteur, Orianne Deseilligny & Sylvie Ducas (dir.), Nanterre, Presses Universitaires Paris Ouest, 2013, p. 61.

[23] https ://www.publie.net/livre/140-tunnels/

[24] J.-C. Bailly, op. cit., p. 112.

[25] A. Saemmer, Matières textuelles sur support numérique, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2007, p. 16.

[26] Voir son Intuition de l’instant, Paris, Le Livre de Poche, 1994, p. 18 notamment.

[27] Marielle Macé, Le Temps de l’essai. Histoire d’un genre en France au XXe siècle, Paris, Belin, 2006, p. 164.

[28] http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3749 .

[29] http ://lambertschlechter.blogspot.fr/search?updated-max=2015-09-25T12 :48 :00%2B02 :00&max-results=15&start=32&by-date=false; 19 septembre 2015.

[30] P. Glaudes & J.-F. Louette, L’Essai, Paris, Hachette, « Contours littéraires », 1999 ; 2ème édition, Paris, Armand Colin, 2011, p. 134.

[31] G. Bachelard, op. cit., p. 22 et 37.

[32] Voir http ://deboitements.net/spip.php?rubrique50 .

Auteur

Gilles Bonnet est Professeur de littérature à l’Université Jean Moulin-Lyon 3, où il dirige le centre de recherches MARGE. Ses travaux portent sur la littérature française moderne et contemporaine, et tout particulièrement sur les rapports entre littérature et Internet. Un essai, intitulé Pour une poétique numérique, paraître fin 2017 aux éditions Hermann. Il a édité les actes du colloque « Internet est un cheval de Troie : la littérature, du Web au livre », sur le site Fabula (lien).

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Langue, genre et automatisation : le projet En française dans la texte


En française dans la texte est un projet artistique traitant du rapport de la langue française au genre. L’article revient sur la motivation du projet : faire apparaître et dénoncer le sexisme de la langue française, construit historiquement au XVIIe siècle, à l’origine d’une invisibilisation des femmes à travers l’institution de la primauté du masculin dans la langue. Il montre comment, aujourd’hui, les outils de traitement automatique du langage prolongent cette discrimination sexiste dont il analyse certains mécanismes qui peuvent passer inaperçus, par exemple les biais de genre dans le traducteur automatique de Google.

En française dans la texte is an artistic project dealing with French language and gender. Its outputs are texts which are edited and then automatically translated from common French language into a version of French whose grammatical gender is feminine only. In French, most words (nouns ‒ including those of inanimate objects ‒, adjectives, pronouns, determiners…) are gendered in masculine or feminine forms. This article is based on our experience as artists with that project. We analyze how sexist gender rules have been set up by the Académie française, a preeminent council for matters pertaining to the French language created by Cardinal Richelieu, the chief minister to King Louis XIII in 1635. Since the seventeenth century, those sexist gender rules have persisted. Nowadays, natural language processing tools reproduce and amplify sexist biases, such as gender prediction in Google Translate.


Texte intégral

Ce texte part de notre expérience en tant qu’artistes avec le projet En française dans la texte [1], un projet critique sur le thème « langue française et genre ». Il tente d’en analyser le contexte, c’est-à-dire le sexisme de la langue française, un sexisme construit historiquement au XVIIe siècle et renforcé par les technologies numériques d’aujourd’hui.

Notre réflexion et notre pratique artistique s’inscrivent dans un renouveau des féminismes depuis quelques années, qui s’exprime sous différentes formes. Tout récemment, par exemple, les campagnes sur les réseaux sociaux comme #metoo et #balancetonporc ont largement rendu publique l’ampleur du phénomène de harcèlement sexiste, mais aussi les réticences spécifiquement françaises à les entendre et à agir en conséquence.

Le projet artistique En française dans la texte a pour origine notre volonté de lutter contre le paternalisme inscrit au cœur de la langue française, en traduisant « en française », c’est-à-dire entièrement au féminin, des textes provenant de différents horizons, grâce à des algorithmes complétés par des corrections manuelles. C’est ainsi que les traductions perturbent sensiblement les messages originaux, en créant un sentiment d’inquiétante étrangeté proche du trouble que génère l’expression poétique. Cette littérature « en française » produit aussi un certain humour en dévoilant à l’improviste, comme des lapsus, l’origine ou la parenté de certains mots ou expressions, par exemple « il n’aurait pas le culot de venir ici » devient en française « elle n’aurait pas la culotte de venir ici ». Enfin, notre proposition rend obsolète tout le débat autour de l’écriture dite inclusive.

Ce processus de traduction s’inscrit dans la poésie numérique telle que Kenneth Goldsmith la définit dans L’écriture sans écriture ‒ du langage à l’âge numérique, c’est-à-dire une poésie ouverte aux multiples régimes d’écriture de l’Internet, une poésie dont les moteurs sont l’appropriation, la copie, la compilation, l’agrégation de matériaux hétérogènes et déjà existants. Une poésie à mille poètes, humains et non-humains (numériques, incluant toutes les opérations conduites par les ordinateurs).

Le programme de traduction en française génère automatiquement une nouvelle prosodie, les phrases en française sont bousculées par des hiatus et des allitérations : sa amour (au lieu de son amour), elle la la donne (au lieu d’il le lui donne)… Les mots gagnent une expressivité nouvelle par l’aspect déconcertant et insolite des formes féminines substituées et des néologismes. Ce jeu avec la langue est un acte performatif, un acte de langage, qui agit sur le monde et sème littéralement un « trouble dans le genre [2] ». C’est un des propres de la poésie que de produire des effets de révélation du monde.

1. Genre linguistique : histoire d’une discrimination construite

L’histoire du genre linguistique ne s’est pas faite seulement par l’usage des locuteur-rices, elle est surtout le résultat d’une lutte idéologique (incarnée par l’Académie française puis prolongée de manière implicite par les GAFA[3] pour imposer la primauté du masculin au détriment du féminin et pour invisibiliser et discriminer les femmes dans l’espace social. C’est l’histoire d’une discrimination construite par des règles et par des techniques.

1.1. Grammaire : introduction de la primauté du masculin au XVIIe siècle

La langue française comporte deux genres : tous les substantifs désignant indifféremment des entités animées et inanimées sont soit féminins, soit masculins. La règle de base prévoit que les déterminants, les adjectifs, les participes passés, les pronoms s’accordent en genre et en nombre avec les substantifs auxquels ils se rapportent ou auxquels ils se substituent (par exemple, un pantalon blanc, des chaussettes blanches).

C’est au XVIIe siècle que naît une nouvelle règle qui déroge à la précédente et institue la primauté du masculin sur le féminin. Elle est l’œuvre de l’Académie française (créée par Richelieu en 1635 pour normaliser et perfectionner la langue). En 1647, le grammairien et académicien Claude Favre de Vaugelas la justifie par le postulat suivant : « le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le féminin et le masculin se trouvent ensemble. » Mais cette nouvelle règle ne fut pas unanimement, ni immédiatement acceptée. Ainsi, Gilles Ménage (autre grammairien du XVIIe siècle) rapporte une conversation avec Madame de Sévigné :

S’informant sur ma santé, je lui dis : Madame, je suis enrhumé. Je la suis aussi, me dit-elle. Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement [4].

D’ailleurs, en ancien français comme en latin, il était permis d’accorder l’adjectif en genre et en nombre avec le nom qu’il qualifie le plus proche. Cette règle, qui reprend du service aujourd’hui, est nommée règle de l’accord de voisinage, ou de proximité, comme dans la formulation des sondages et statistiques électorales au lieu de des sondages et statistiques électoraux qui est la forme « correcte » toujours préconisée aujourd’hui par l’Académie. Elle fut d’un usage commun jusqu’à la Révolution française. Racine appliquait la règle de voisinage de manière habituelle, par exemple avec l’alexandrin « mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête [5] » dans Iphigénie (1674) ou bien « Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle [6] » dans Athalie (1691).

Malgré tout, la primauté du masculin sur le féminin finit par s’imposer définitivement au XVIIIe siècle en vertu de la tautologie : « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle [7] », rappelée par le grammairien et académicien Nicolas Beauzée en 1767.

Aujourd’hui, même si l’influence de l’Académie s’émousse, le masculin s’impose encore, contre toute logique, dans des expressions comme quelle heure est-il ? » au lieu de quelle heure est-elle ? qui serait pourtant la forme attendue puisque le mot heure est du féminin. Sans parler des cas où le masculin est utilisé à la place de ce qui serait un neutre dans d’autres langues, par exemple, il fait beau où le il est purement arbitraire…

Tout récemment, l’Académie française continue à raisonner de manière sexiste et erronée en prétendant que « le masculin a valeur générique ou non marquée, le féminin est la forme marquée [8] ». En réalité, comme le fait remarquer Éliane Viennot et ses co-autrices dans l’ouvrage collectif Lacadémie contre la langue française [9], les académiciens confondent masculin et racine d’un mot. Ils pensent sans doute que coiffeuse est formé d’après coiffeur, alors qu’en fait, les mots dérivent d’une racine commune et non d’une forme masculine à laquelle il faudrait retrancher ou rajouter quelque chose. À partir de n’importe quelle racine, le français est apte à faire des substantifs masculins et féminins, des verbes, des adjectifs… Par exemple : la racine coiff- permet de créer : coiffeur, coiffeuse, coiffer… Cette méconnaissance de la langue est étonnante de la part de l’Académie, mais n’est pas si étrange puisque la composition actuelle de cette institution ne comprend aucun.e linguiste, aucun.e agrégé.e de grammaire, aucun.e historien.ne de la langue [10].

1.2. Vocabulaire : dépréciation du féminin – Galant, galante

Pour des raisons qui ne font que traduire le sexisme de la société, le féminin est souvent dépréciatif. C’est fréquemment le cas quand il désigne une qualité ou une fonction. Il suffit de comparer les formes masculines et féminines pour saisir la différence sémantique : galant, galante, un homme galant est courtois, une femme galante est une prostituée ; professionnel, professionnelle, un professionnel connaît bien son métier, une professionnelle est une prostituée ; couturier, couturière, un couturier est un créateur, une couturière est une petite main, etc. Dans le domaine de la terminologie des métiers et fonctions, jusqu’au XXe siècle, les termes comme la présidente ou la capitaine ne désignaient pas celle qui exerce la fonction de présidente ou de capitaine, mais l’épouse du président ou du capitaine, c’est-à-dire la subordination au statut marital. En matière de désignations métaphoriques, l’exemple des noms d’oiseaux est flagrant : pour quelques coqs ou paons, combien de poules, poulettes, poules pondeuses, poules mouillées, poules de luxe, mères-poules, cocottes, cailles, oies (blanches), pies (jacassantes), bécasses, dindes ? Toute la basse-cour y passe.

1.3. « Madame le Président » ‒ Invisibilité linguistique des femmes : une invisibilité délibérée

Un des usages fondamentaux du latin, des langues romanes qui en sont issues et en conséquence du français, est de parler des femmes au féminin et des hommes au masculin.

C’est à partir du XVIIIe siècle que le français est délibérément masculinisé. C’est tout particulièrement visible dans les noms de métiers et de fonctions. Il est à noter que le XVIIe siècle est la période à laquelle un certain nombre de femmes de lettres comme Mmes de Lafayette, de Scudéry, de Sévigné, de Villedieu, Deshouillères, de Coligny de la Suze et bien d’autres, commencent à accéder à la notoriété, malgré l’interdiction qui est faite aux femmes de poursuivre des études secondaires et supérieures. Cette reconnaissance nouvelle des femmes dans le monde des lettres, jusqu’alors chasse-gardée exclusive des hommes, explique le refus des académiciens de tolérer désormais les termes féminins désignant les activités qu’ils ne voulaient pas partager avec les femmes : « [i]l faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc. [11] » écrivait ainsi Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689). Si les académiciens prirent la peine de les interdire, c’est que ces formes étaient bien en usage courant jusqu’au XVIIe siècle. Pour preuve, la langue juridique conserve encore aujourd’hui des traces de cet usage ancien des formes féminines. Par exemple, les termes demanderesse ou défenderesse ont réussi à passer outre l’interdiction de l’Académie, sans doute parce que la langue juridique est encore plus conservatrice que cette dernière.

En France, la lutte contre l’invisibilité linguistique des femmes est récente : il faut attendre 1984 pour qu’une commission relative à la féminisation des noms de métiers [12] soit mise en place sous l’impulsion de Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la femme (de 1981 à 1986). L’instigatrice de cette commission était Anne-Marie Houdebine, sa présidente, Benoite Groult.

Malgré les préconisations ministérielles favorisant la féminisation dans les textes officiels, les résistances restent fortes. En 2014, l’Académie française continue de refuser des formes telles que professeure, auteure, ingénieure, procureure etc, qu’elle considère comme de « véritables barbarismes [13] » alors que ces formes sont la norme au Québec.

À l’Assemblée nationale, en octobre 2014, alors que la présidente de séance, Sandrine Mazetier (députée PS), demande au député LR Julien Aubert de respecter la présidence et le règlement de l’Assemblée en l’appelant « Madame la présidente », il persiste à employer les mots « Madame le président ». Sanctionné par le bureau de l’Assemblée et privé à ce titre d’un quart de son indemnité parlementaire pour un mois (soit 1378 euros), il dépose un recours en justice en janvier 2015.

1.4. Le langage épicène : le « péril mortel » pour les Immortels

Plusieurs propositions de langue épicène, c’est-à-dire permettant de nommer les deux genres sans discrimination, ont vu le jour récemment, comme l’emploi de parenthèses, mais cette forme discrimine la marque du féminin en la plaçant entre parenthèses, c’est-à-dire en position inférieure ; à l’opposé, l’emploi du E majuscule (motivéEs), est la forme la plus militante, utilisée dans des contextes féministes et LGBTQI [14], mettant en avant la marque du féminin ; l’emploi du trait d’union ; l’emploi du point médian, semblable au trait d’union mais plus discret, ainsi que nous l’utilisons dans cet article.

Ces pratiques typographiques pour démasculiniser la langue écrite n’ont pas encore abouti à une norme commune. De plus, elles provoquent des réactions disproportionnées de la part de nombreuses personnalités, en particulier des ministres, des journalistes et des membres de l’Académie française qui déclarent en 2017 « devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel [15] ».

2. Renforcement de la discrimination par la technologie

Les formes de sexisme et de discriminations à l’œuvre dans les relations sociales et inscrites dans la langue sont conséquemment présentes dans les outils numériques utilisés au quotidien, en particulier sur Internet : moteurs de recherches, plateformes et réseaux sociaux…

2.1. Les nouvelles formes de misogynie en ligne

Le cyber-harcèlement sexiste est un fait avéré, même s’il n’est pas reconnu par les instances modératrices des plateformes, ni par la justice. Selon des études récentes citées par le collectif Féministes contre le cyberharcèlement :

Une jeune femme sur cinq déclare avoir été victime d’au moins un cyberharcèlement d’ordre sexuel depuis l’âge de quinze ans et une adolescente sur quatre déclare être victime d’humiliations et de harcèlement en ligne concernant son attitude (notamment sur son apparence physique ou son comportement amoureux ou sexuel). Ce que ces études ne disent pas en revanche, c’est que les femmes qui subissent d’autres formes de discriminations en raison d’un handicap, de leur origine, leur couleur de peau, leur religion, leur orientation sexuelle, leur identité de genre sont encore plus exposées à ce type de violences [16].

Contrairement à l’espace physique de la rue, du lieu de travail ou du lieu de vie, les agressions misogynes en ligne prennent la forme de textes écrits, souvent associés à la propagation d’informations et de photographies personnelles sans consentement (doxing).

Insultes et autres menaces fusent facilement, pouvant émaner d’un très grand nombre de personnes à la fois, à travers des campagnes de harcèlement coordonnées. Ces actes misogynes sont minimisés autant par les plateformes publiques d’échanges et de discussions sur lesquelles elles ont lieu, que par la police et la justice, et plus généralement l’opinion publique, et par conséquent sont perpétrés souvent en toute impunité. Par exemple, malgré de nombreuses polémiques au cours des années, une plateforme comme Twitter n’a pas pris de disposition pour empêcher le cyber-harcèlement de ses utilisateur⋅rices, sauf en de très rares cas, et de manière souvent ponctuelle.

Ce fut le cas par exemple avec le bannissement de Twitter en janvier 2016 de Milo Yiannopoulos, ex-journaliste (du site américain néoconservateur Breitbart News) pour sa campagne de harcèlement contre l’actrice africaine-américaine Leslie Jones à l’occasion de la sortie de la nouvelle version de la comédie fantastique S.O.S Fantômes avec un casting féminin.

Cette parole misogyne se retrouve à tous les échelons de la société, ainsi le candidat puis président Trump adopte sciemment une façon de communiquer sur Twitter sexiste et raciste. Ses tweets envers Barack Obama alors président et Hillary Clinton, sa rivale dans l’élection présidentielle américaine, en sont des exemples [17]. Donald Trump sait pertinemment qu’ils seront « retweetés » et largement cités dans la presse, autant par ses partisans que par ses opposants outrés par sa façon de s’exprimer.

Pour attirer l’attention sur le fait que les pratiques de harcèlement sont courantes et par la même occasion attirer les trolls [18], Sarah Nyberg a crée le compte @arguetron [19], un bot qui envoie toutes les 10 minutes des affirmations progressistes et qui reçoit donc des tonnes d’immondices sexistes.

En ce qui concerne le cyber-harcèlement en France, il semble que peu de plaintes aboutissent. Par exemple, la militante féministe Caroline de Haas a porté plainte en février 2016 pour diffamation et injures publiques et provocation au viol suite à des milliers de messages sur Twitter et Facebook en réaction à son tweet le 7 janvier 2016 qui disait : « Ceux qui me disent que les agressions sexuelles en Allemagne sont dues à l’arrivée des migrants : allez déverser votre merde raciste ailleurs ». Un an plus tard, le verdict tombe, un non-lieu car le juge a annoncé ne pas pouvoir identifier les personnes, le procureur aurait pu imposer à Facebook et Twitter de fournir les adresses IP mais ne l’a pas fait.

2.2. Les algorithmes sont-ils sexistes ?

Le langage utilisé en ligne charrie donc stéréotypes et préjugés qui concernent le genre (mais aussi la race, l’orientation sexuelle, la classe sociale, etc). Ces mots, phrases, documents deviennent la matière première traitée par les algorithmes en ligne. Ces textes deviennent des données qui sont classées, triées, agrégées afin d’être utilisées sous de multiples modes.

Pour exploiter sur le plan sémantique le vaste volume de données produites chaque jour (55 000 gigabytes par seconde de trafic internet selon le site Internet Live Stats [20]), des technologies ont dû être inventées. L’une d’elles, particulièrement en expansion actuellement, est le « machine learning » (ou apprentissage automatique), qui est un des domaines de l’intelligence artificielle.

2.2.1. Un exemple de méthode de machine learning : word embeddings

Afin de créer du sens à partir des mégadonnées ou big data, c’est-à-dire ces très larges ensembles de données hétérogènes non structurées (archives numérisées, données scientifiques, commentaires et autres textes issus de chats et des réseaux sociaux…), il faut développer des méthodes beaucoup plus complexes que les algorithmes utilisés pour des données structurées (déjà répertoriées et classées dans des bases de données). Des modèles sont alors conçus afin de réduire cette complexité et la transformer en unités d’informations utilisables de manière opérationnelle par les machines.

Cet apprentissage automatique, terme français pour traduire l’expression machine learning, renvoie à des techniques variées où l’intervention humaine est plus ou moins présente. On parle d’apprentissage supervisé ou non-supervisé en fonction de l’implication humaine dans le processus. La supervision (humaine) concerne la phase d’entraînement des machines afin de constituer des modèles à partir d’exemples validés. À l’inverse, dans le cas d’un apprentissage non supervisé, la nature des données d’entraînement n’est pas connue, l’algorithme permettant l’émergence d’une structure depuis les données mêmes.

Le recours aux word embeddings est une des techniques les plus efficaces du traitement automatique du langage naturel. Il s’agit d’une méthode d’apprentissage automatique de la langue par les machines, basée sur une représentation des relations entre les mots par des vecteurs dans un espace 3D. La proximité sémantique des mots est représentée par leur proximité spatiale. Cette représentation géométrique est ensuite beaucoup plus facile à manipuler par les machines pour reconnaître les entités-mots, les classer, les étiqueter. Les proximités représentées par les vecteurs reflètent les préjugés sociaux, eux-mêmes inscrits dans le big data : ainsi le terme femme est plus proche de celui d’infirmière que celui de médecin, et le terme homme est plus proche de celui de médecin que dinfirmier.

2.2.2. La notion de biais

C’est ainsi que le machine learning relaye les stéréotypes et les distorsions (ou biais) extraites du big data. Or, ce type de développement biaisé sert de base à de nombreuses applications comme le moteur de recherche de Google ou son traducteur automatique.

Aylin Caliskan[2 1] a montré comment, dans le cas de la traduction d’une langue non genrée vers une langue genrée, le traducteur automatique prédit le genre en fonction des proximités spatiales générées par les word embeddings. En turc, langue non genrée, « o bir doktor » est traduit par Google Translation par « il est médecin » (au lieu d’« il ou elle est médecin ») et « o bir hemsike » est traduit par « elle est infirmière [22] ».

Le moteur de recherche de Google s’appuie également sur la méthode des word embeddings pour répondre aux requêtes. Ainsi, lorsqu’il doit afficher la liste des doctorants en informatique d’une université [23], il ordonne les résultats en classant d’abord les étudiants puis les étudiantes, car le mot informaticien est plus proche spatialement du mot homme que du mot femme, biais manifeste.

En mars 2016, Microsoft lance sur Twitter Tay [24], un robot de conversation qui emprunte l’identité d’une adolescente et qui a pour but de devenir plus intelligente au fil de la conversation. Au bout de quelques heures, Microsoft ferme le compte suite aux propos extrêmes tenus par le bot (racistes, sexistes, homophobes, négationistes…). En effet, le programme d’intelligence artificielle fonctionne par mimétisme et met dans sa bouche le vocabulaire et les tournures utilisées généralement en ligne, et donc stéréotypées. De plus, Tay a fait l’objet d’une campagne très suivie de détournement de ses capacités conversationnelles. Partisans de Donald Trump, soutiens du mouvement anti-féministe GamerGate et autres trolls de tous bords se sont associés pour transformer l’intelligence artificielle en un compte Twitter de robot néo-nazi.

Ces trois exemples montrent bien comment les algorithmes relaient en les systématisant le sexisme et le racisme de la société.

Des chercheurs travaillent sur des manières de supprimer les préjugés liés au genre reproduits et renforcés par ces outils. Toutefois, la réelle volonté des GAFA de corriger ces biais est bien faible car ces entreprises commerciales n’ont pas pour but la poursuite du bien commun ni la justice sociale. De plus, l’égalité femme-homme n’est pas au cœur de leurs pratiques : par exemple, Google vante sa politique d’égalité dans l’entreprise alors que le ministère du travail américain vient justement de l’accuser de pratiquer une disparité salariale « extrême ».

Par ailleurs, l’élaboration des algorithmes, la collecte et le tri des données, la supervision des phases d’apprentissages des machines ne sont pas expertisés de manière indépendante. Une grande opacité semble donc régner sur des processus qui influencent notre accès à l’information. Ces processus nous sont présentés comme transparents et purement techniques alors qu’ils façonnent de manière biaisée notre rapport au monde.

3. Le projet en française dans la texte

Nous avons développé le projet En française dans la texte pour prendre le contre-pied des masculinistes qui imposent leur loi depuis des centaines d’années. Il s’agit d’une opération de décolonisation de la langue française, de démasculinisation radicale qui institue un seul genre, le féminin.

Ce choix de réduire les deux genres à un seul, le féminin, outrepasse les solutions préconisées par le langage épicène, c’est-à-dire utilisant une terminologie générique désignant indifféremment le féminin et le masculin, ou par l’écriture inclusive qui tente de représenter de manière équitable les deux genres. C’est là notre manière de refuser la binarité du genre (masculin/féminin), de la faire exploser au profit de tous les possibles. Une lecture attentive de nos traductions en française est parfois nécessaire pour démêler les relations entre des personnages tous désignés au féminin et pour imaginer leurs identités potentielles.

Après plusieurs siècles de prééminence du masculin, et prenant acte du retard français en matière d’égalité femme/homme dans tous les domaines de la société (travail, politique, culture, loisirs…) et de la langue, nous trouvons légitime de promouvoir aujourd’hui ce systématisme inversé. Quand, enfin, la langue française ne discriminera plus les femmes, nous songerons à participer à l’invention d’une nouvelle forme de langue non genrée.

Le projet consiste à traduire au féminin, à adapter, à éditer des textes pré-existants venant de différents domaines : fiction, documentaire, textes théoriques…

Les textes créés ont en commun un processus de production algorithmique qui a pour effet de révéler l’arbitraire du genre, et de générer des trouvailles littéraires (la marché aux bestiales, la droite de vote, les factrices économiques…). Notre projet s’inscrit ainsi dans une forme de littérature algorithmique ou de poésie numérique.

L’algorithme de féminisation utilisé est complété par des relectures et des corrections manuelles. Nous occupons ainsi une double fonction d’autrices et de petites mains que nous avons expérimentée à travers deux réalisations : A votée et Wikifémia.

3.1. Processus de traduction en française

Le projet En française dans la texte donne lieu à une production textuelle en française qui fait l’objet de performances, de publications, d’expositions… Ces traductions nécessitent le développement d’outils de travail spécifiques.

3.1.1. Les règles de féminisation

Nous nous sommes longuement interrogées sur l’envergure à donner à notre féminisation. Devrions-nous utiliser les formes féminines existantes dans le français actuel ? Ou bien inventer des formes féminines en nous basant sur les règles préconisées par le guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres grades et fonctions publié en 1999 [25] ? Ou enfin créer des néologismes de toutes pièces ? Après avoir testé ces différentes possibilités, nous avons opté pour une féminisation franche, mais qui préserve la lisibilité.

Par ailleurs, nous avons opté pour une féminisation des mots, pas des choses. Il ne s’agit pas d’un monde sans hommes mais d’une langue sans masculin : un homme devient en française une homme, pas une femme. Nous développerons éventuellement plus tard d’autres modalités. Nous nous réservons le droit de faire évoluer ces règles dans un sens plus radical ou plus créatif.

Nous avons intitulé ces règles la bonne usage en référence au Bon usage de Grevisse en vigueur dans toutes les écoles primaires depuis plusieurs générations.

La bonne usage

Règle générale :

Substituer systématiquement les formes féminines aux formes masculines.

Application de la règle aux substantifs :

Remplacer systématiquement les formes masculines par les formes féminines quand elles existent. Si aucune forme féminine n’existe, utiliser les formes masculines précédées d’un déterminant féminin par exemples : une institutrice, une parapluie, une petite sac en papier, ma grande-père

‒ Application de la règle aux participes présents :

Les participes présents sont arbitrairement au masculin singulier en français, il faut donc utiliser arbitrairement le féminin singulier en française, par exemple, nous travaillons en chantante.

Application de la règle aux participes passés :

Les participes passés sans complément d’objet direct antécédent sont arbitrairement au masculin singulier en français, il faut donc utiliser arbitrairement le féminin singulier en française, par exemple, a votée.

3.1.2. Le programme de traduction automatique

Le programme informatique de traduction est développé en Python. Python est un langage de programmation orienté objet, multiplateforme, placé sous une licence libre, et particulièrement adapté à l’analyse lexicale. Ce script fait appel à un fichier qui substitue les formes masculines aux formes féminines. Ce dictionnaire est établi en application de la bonne usage. Nous l’avons constitué à partir de la base de données Lexique 3.81 [26], outil libre et gratuit développé par l’Université de Savoie. Il est en perpétuelle expansion et reçoit au fur et à mesure de nouvelles entrées au gré de nos traductions.

Nous avons aussi pris le parti de créer des néologismes. Ainsi le terme ordinateur est traduit par ordinatrice sur le modèle des noms de machines de l’atelier de mécanographie (la tabulatrice, l’interclasseuse ou encore la calculatrice…). C’était d’ailleurs l’un des noms préconisés en 1955 par Jacques Perret, professeur de philologie latine à la Sorbonne, dans une lettre à Christian de Waldner, président d’IBM France, qui l’interrogeait pour avoir son avis sur le nom à donner aux premières machines qu’IBM s’apprêtait à construire en France [27]. Actuellement, le script ne corrige pas encore automatiquement les erreurs liées aux homonymes orthographiques que nous corrigeons manuellement : « il répondit sur un ton sévère » est traduit automatiquement par « elle répondit sur une ta sévère »…

3.2. Notre double rôle d’autrices et de petites mains

Nous accordons une attention particulière à ce travail de relecture et de correction manuelle. Nous sommes conscientes de la manière dont les systèmes automatisés sont basés sur l’exploitation du travail de petites mains.

L’automatisation ne remplace pas le travail humain, mais le déplace loin des lieux visibles de la technologie car le discours se concentre sur l’automatisation des fonctions cognitives par les machines. Ce travail est invisibilisé, à cause du statut subalterne des personnes qui le font, mais aussi parce que, pour les besoins des machines, les tâches sont découpées dans des unités si petites qu’elles ne sont pas toujours reconnues comme du « vrai » travail. Ainsi, lorsque les internautes remplissent des formulaires ou écrivent des commentaires et qu’il leur est demandé de prouver qu’ils « ne sont pas des robots », les opérations qu’ils font, comme cliquer sur les photos de voiture, servent à améliorer le système de reconnaissance d’images de Google, les internautes servant gratuitement d’experts pour calibrer les algorithmes. Sur la plateforme Mechanical Turk d’Amazon dont le sous-titre est ironiquement « l’intelligence artificielle artificielle », les turkers peuvent réaliser, pour quelques centimes, des tâches qui sont nommées des Hits (Human Intelligence Tasks) qui sont trop complexes pour être réalisées actuellement par des algorithmes, comme écrire des légendes de photos, traduire quelques phrases d’une langue à l’autre, etc. À ces deux types de travail non qualifiés, il faut ajouter d’autres pratiques sous le nom de « digital labor » : modérations de plateformes de l’internet, annotations de base de données, numérisations de grands volumes de livres, etc. [28]. Hetéromation est le processus dans lequel le travail des humains et des machines est imbriqué de telle sorte qu’il est difficile de les différencier [29].

En tout état de cause, et tant qu’autrices et artistes, nous endossons et revendiquons le double rôle de néo-académiciennes-programmeuses ET de petites mains [30].

3.3. Choix des textes à traduire

Le travail sur le corpus de textes à traduire a nécessité plusieurs étapes. Nous avons pratiqué une série de tests sur différents matériaux textuels (fictions, essais, articles de journaux, etc), et nous nous sommes concentrées sur des champs plus spécifiques (féminismes, approches critiques des technologies…).

Ces expérimentations linguistiques ont orienté nos choix artistiques et éditoriaux, et nous ont conduit, après avoir abordé un texte de fiction écrit par un auteur unique, à finalement privilégier un texte documentaire et dont l’écriture est collective.

L’encyclopédie Wikipédia nous intéresse particulièrement comme texte source car il s’agit d’un écosystème, d’un monde en miniature, et d’un laboratoire de la production du savoir universel. Son organisation structurée et ses protocoles nous ont semblé propices à accueillir notre traitement algorithmique de féminisation et nos propres protocoles. Nous avons eu plus d’audace à modifier, perturber, déconstruire un tel texte, ressenti plus de liberté à nous l’approprier, peut-être aussi parce que nous sommes également, par ailleurs, contributrices de Wikipédia et connaissons cette construction de l’intérieur.

Notre appropriation du texte va bien au delà d’une simple traduction automatique, il s’agit, dans un premier temps, d’un travail de sélection, d’édition et d’adaptation « humaine » afin de construire un récit.

3.4. Réalisations

Jusqu’à présent, nous avons travaillé à partir de deux textes, un texte de fiction par un auteur de science-fiction reconnu, et un texte documentaire à partir d’articles écrits collectivement dans le cadre de l’encyclopédie en ligne Wikipédia.

3.4.1. A votée

Notre première traduction a été établie d’après une nouvelle d’Isaac Asimov sur les rapports entre élections, technologies et genre, qui résonnait avec la campagne présidentielle française de 2017 et avec l’actualité technologique (algorithmes prédictifs, machine learning, etc). Cette nouvelle a servi de texte-source pour une performance.

À titre d’exemple, voici le début de la performance :

C’était la grande jour. La Jour de l’Élection ! À la début, ça avait étée une année semblable à toutes les autres. Peut-être une peu plus mauvaise parce que c’était une année présidentielle mais, somme toute, pas pire qu’une autre année présidentielle. Les politiciennes parlaient de la grande corps électorale et de l’énorme cerveau électronique qui était à sa service. La presse analysait la situation à l’aide d’ordinatrices industrielles et multipliait les allusions à ce qui allait se produire. Commentatrices et éditorialistes en contradiction les unes avec les autres énuméraient les États et les comtés critiques.

La performance consiste en une lecture du texte en française par une comédienne, accompagnée d’un surtitrage en vidéo qui fait apparaître l’orthographe étonnante du texte en française [31]. De plus, sur l’écran, apparaissent des commentaires informatifs, critiques, ironiques qui viennent ponctuer la lecture.

Pour la performance nous avons fait appel à la comédienne Coraline Cauchi [32] qui a la tâche ardue de faire passer de manière naturelle et fluide un texte très difficile à dire car il remet en cause des automatismes linguistiques ancrés depuis l’enfance.

doc1

Doc. 1 ‒Performance A votée présentée le 2 mars 2017 à l’université d’Orléans.

3.4.2. Wikifémia

Wikifémia propose de traduire en française et de mettre en scène des biographies de femmes remarquables figurant dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Bien qu’elle soit basée sur un principe de neutralité, l’encyclopédie en ligne Wikipédia n’échappe pas aux stéréotypes : dans sa version francophone, 16% seulement des biographies sont consacrées à des femmes. Avec le projet Wikifémia, nous souhaitons faire connaître plus largement des personnalités historiques invisibilisées, alors qu’elles ont contribué au développement de la pensée, de la culture, de la science, de la politique, au même titre que les hommes, du moins quand elles n’en ont pas été empêchées. Nous produisons ainsi de nouvelles narrations ouvertes pour compenser des représentations monolithiques quasi exclusivement masculines.

Wikifémia est conçue comme un ensemble de plusieurs productions parallèles et complémentaires : une série de performances, des outils en ligne, des workshops et éditathons [33], une publication papier à paraître ultérieurement.

Les performances prennent comme point de départ un article de Wikipédia et en déplient les hyperliens. Nous choisissons de ne retenir que les liens concernant des femmes. Ainsi nous mettons en lumière les réseaux et les relations que ces femmes entretiennent. Les aiguillages que constituent ces hyperliens structurent le récit. Nous générons ainsi une narration non linéaire qui relie les protagonistes dans une perspective féministe. Dans le même temps, nous souhaitons mettre en valeur le processus d’élaboration des articles par les contributeur·rices de Wikipédia.

La première performance de la série propose une narration augmentée autour d’une personnalité oubliée de la fin du XIXe siècle, Madeleine Pelletier. Cette performance prend pour point de départ l’article de Wikipédia qui lui est consacré. Madeleine Pelletier (1874-1939) devient en 1906 la première femme médecin diplômée en psychiatrie en France. Elle est également connue pour ses multiples engagements politiques et philosophiques et fait partie des féministes les plus engagées à l’époque des premières luttes pour le droit de vote des femmes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Le texte de la performance est composé d’une sélection de fragments d’articles réécrits en française. Il est construit sur la base de l’arborescence des liens depuis l’article Madeleine Pelletier, sur plusieurs niveaux d’hyperliens. Nous avons pré-selectionné une centaine d’articles consacrés à des femmes ou à des organisations de femmes (journaux, associations, organisations politiques, problématiques féministes). Nous abordons différents aspects de la vie de ces femmes, mêlant anecdotes, citations, histoire des mentalités et commentaires critiques. Le travail d’édition a consisté à agencer ces différents éléments afin de construire une progression dramatique.

Voici un extrait du texte de la performance Wikifémia :

Article La Fronde

La Fronde a pour originalité de ne pas être seulement une journal destinée aux femmes, c’est la première quotidienne française conçue, rédigée, administrée, fabriquée et distribuée exclusivement par des femmes journalistes, rédactrices, typographes, imprimeuses, colporteuses. La Fronde est fondée par Marguerite Durand en 1897 et paraît jusqu’en 1903.

Article Marguerite Durand

Marguerite Durand (1864-1936) est une journaliste, féministe et actrice française, fondatrice de la journal La Fronde.

“La Figaro en 1896 m’avait chargée d’écrire une article sur la Congrès internationale de la condition et des droites de la femme que des obstructions malveillantes, des quolibets et des chahuts d’étudiantes signalaient bruyamment à l’attention publique. Je fus frappée par la logique de la discours, la bien-fondée des revendications et la maîtrise, qui savait dominer l’orage et diriger les débats, de la présidente Maria Pognon.”

Article Maria Pognon

Maria Pognon (1844-1925) est une journaliste et oratrice française, socialiste, féministe et franche-maçonne.

“Les hommes avancent, de classe en classe, jusqu’à la poste de Directrice ; pourquoi les femmes ayante prouvée par leur travail, des capacités égales à celles des hommes, sont-elles exclues de toutes les emplois rémunératrices ? Nous attendons la réponse !”

Retour à l’article Marguerite Durand

“Je refusai d’écrire l’article de la Figaro. Mais l’idée m’était venue d’offrir aux femmes une arme de combat, une journal qui devait prouver leurs capacités en traitante non seulement de ce qui les intéressait directement, mais des questions les plus générales et leur offrir la profession de journaliste active.”

La performance consiste en un tissage de voix reprenant le principe des hyperliens de Wikipédia. La parole est distribuée entre une comédienne, Coraline Cauchi, des performeuses-opératrices, Cécile Babiole et Anne Laforet, et des voix de synthèse. Ces différents régimes de parole permettent de mettre en relief notre travail d’édition sur les articles et notre réflexion critique sur l’encyclopédie.

Les recherches faites autour de notre projet En française dans la texte nous ont amenées à nous interroger sur l’évolution de la littérature algorithmique. Depuis l’Oulipo, la littérature algorithmique, en changeant d’échelle, a aussi changé de nature : il ne s’agit plus de jouer avec les mots dans le périmètre familier d’un dictionnaire de langue française, mais d’une pratique qui se confronte à la masse en expansion du big data. La maîtrise des outils de traitement automatique du langage met en jeu de nombreux facteurs économiques et techniques (capacité à utiliser et développer des programmes informatiques sophistiqués), culturels (prédominance de l’anglais dans les modèles de traitement du langage…), qui dépassent largement les frontières de la seule langue française et de la langue tout court.

Bibliographie

Bolukbasi Tolga, Chang Kai-Wei, ZOU James, SALIGRAMA Venkatesh, KALAI Adam, Man is to Computer Programmer as Woman is to Homemaker? Debiasing Word Embeddings, en ligne.

CALISKAN Aylin, BRYSON Joanna, NARAYANAN Arvind, « Semantics derived automatically from language corpora contain human-like biases », Science, 356 (6334). p. 183-186.

CARDON Dominique & CASILLI Antonio, Quest-ce que le Digital Labor ? Bry-sur-Marne, INA, coll. « Études et controverses » 2015.

EKBIA Hamid & NARDI Bonnie, Heteromation and its (dis)contents : The invisible division of labor between humans and machines, First monday, 2014, en ligne.

IRANI Lilly, Justice for « Data Janitors », Public books, 2015, en ligne.

GOLDSMITH Kenneth, L’écriture sans écriture – du langage à l’âge numérique, Paris, Jean Boîte Éditions, 2018.

O’NEIL Cathy, Weapons of math destruction, New York, Crown Books, 2016.

VIENNOT Éliane (dir.), LAcadémie contre la langue française : le dossier «féminisation », Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2015.

—, Non, le masculin ne lemporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2014.

 

Notes

[1] http://enfrancaisedanslatexte.fr/ et http://robertelarousse.fr/ (consultation le 11 mai 2018).

[2] Cette formule est un clin d’œil au titre de l’essai de Judith Butler, Trouble dans le genre, paru en 1990, qui a montré comment est performé le genre.

[3] Expression communément utilisée pour désigner l’ensemble : Google, Amazon, Facebook et Apple.

[4] Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, éditions iXe, 2014, p 80.

[5] Jean Racine, Iphigénie, 1674, Acte III, scène 5.

[6] Jean Racine, Athalie, 1691, Acte IV, scène 2.

[7] Éliane Viennot, Bannir la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin, Slate, 19 mars 2017, en ligne  (consulté le 11 mai 2018) ; « La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres – Mise au point de l’Académie française », en ligne (consultation le 11 mai 2018)

[9] Éliane Viennot (dir.), avec Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger, Anne-Marie Houdebine, et la collaboration d’Audrey Lasserre, L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation », Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2015.

[10] En ligne (consulté le 11 mai 2018). Les académiciens sont écrivain, avocat, haut-fonctionnaire, historien, philosophe, romancier, historien d’art, poète, homme d’Église, homme politique, chef d’État, essayiste, biologiste, scénariste, médecin, journaliste, réalisateur.

[11] Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! , op. cit., p. 52.

[12] En ligne (1) et (2) (consultés le 11 mai 2018).

[13] Art. cit.

[14] LGBTQI : Lesbiennes Gays Bisexuel.les Trans Queer Intersexes

[15] En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[16] En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[17] « If Hillary Clinton can’t satisfy her husband, what makes her think she can satisfy America ? » « Sadly, because President Obama has done such a poor job as president, you won’t see another black president for generations! ».

[18] Un.e troll est un.e internaute qui écrit intentionnellement des messages désobligeants, polémiques, provocants, absurdes, de mauvaise foi, voire insultants, et souvent répétitifs, sur des sites communautaires, de conversation ou de réseaux sociaux.

[19] En ligne (1) et (2) (consultés le 11 mai 2018).

[20] En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[21] En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[22] Aylin Caliskan, conférence « A story of discrimination and unfairness », 27 décembre 2016, 33C3 Hambourg, en ligne (consulté le 11 mai 2018).

[23] Tolga Bolukbasi, Kai-Wei Chang, James Zou, Venkatesh Saligrama, Adam Kalai, Man is to Computer Programmer as Woman is to Homemaker? Debiasing Word Embeddings, en ligne (consulté le 11 mai 2018).

[24] En ligne  (consulté le 11 mai 2018).

[26] En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[27] Jacques Perret (1906-1992). Lettre du 16 avril 1955 de J. Perret, professeur à l’université de Paris, à C. de Waldner, président d’IBM France (Archives IBM France). En ligne (consulté le 11 mai 2018).

[28] Lilly Irani, Justice for « Data Janitors », Public books, 2015, en ligne (consultation le 11 mai 2018).

[29] Hamid Ekbia, Bonnie Nardi, Heteromation and its (dis)contents : The invisible division of labor between humans and machines, First monday, 2014, en ligne (consulté le 11 mai 2018).

[30] Les « petites mains » sont parfois visibles sur les images des documents numérisés. Voir http://theartofgooglebooks.tumblr.com/ (consultation le 11 mai 2018)

[31] La performance a été montrée le 2 mars 2017 au l’Université d’Orléans, le 5 mai 2017 à la Gaité Lyrique et le 16 juin à l’ENSCI-Les Ateliers à Paris.

[32] Compagnie Serres chaudes : http://serreschaudes.fr/ (consulté le 11 mai 2018).

[33] Mot-valise composé d’édition et de marathon, un éditathon est un atelier court et intensif consacré à la rédaction et à l’apprentissage de l’édition d’articles au sein de Wikipédia.

Auteurs

Cécile Babiole est artiste. Elle est active depuis les années 1980, dans le champ musical d’abord, puis dans les arts électroniques et numériques (voir son site). Elle associe dans ses créations arts visuels et sonores au travers d’installations et de performances qui interrogent les médias, questionnent les technologies et tentent d’en transposer de façon détournée les usages normés dans le champ de la création. Ses derniers travaux s’intéressent à la langue (écrite et orale), à sa transmission, ses dysfonctionnements, sa lecture, sa traduction, ses manipulations (Conversation au fil de l’eau, Leçon de vocabulaire, Spell, Disfluences, Copies non conformes, En française dans la texte, etc.). Son travail a été exposé internationalement (Centre Pompidou, Gaîté Lyrique – Paris, Mutek, Elektra – Montréal, Fact – Liverpool, MAL – Lima, NAMOC – Beijing…). Il a été distingué par de nombreux prix et bourses (Ars Electronica, Locarno, prix SCAM, bourse Villa Médicis hors les murs, Transmediale Berlin, Stuttgart Expanded Media Festival…). Cécile Babiole est par ailleurs membre du collectif d’artistes-commissaires « Le sans titre ».

Anne Laforet est chercheure, enseignante, artiste et critique. Elle est docteure en sciences de l’information et de la communication (voir son site).  Sa thèse a été publiée en 2011 éditions Questions théoriques sous le titre Le Net art au musée. Stratégies de conservation des œuvres en ligne. Ses thématiques de recherche sont principalement la conservation et la documentation des arts numériques, l’anarchronisme, les relations entre analogique et numérique, l’internet, le logiciel libre et les pratiques artistiques collaboratives. Depuis 2011, elle enseigne à la Haute École des arts du Rhin (HEAR) à Strasbourg. Elle a participé activement au projet de recherche européen Digital art conservation à l’Espace Multimédia Gantner et à la HEAR de 2010 à 2012, et a été chercheure associée au laboratoire art audio Locus Sonus de 2011 à 2013 et commissaire de l’exposition « Anarchronismes, machines à perturber le temps » (IMAL, Bruxelles en 2015 ; Espace Gantner, Bourogne en 2016). Depuis 2013, elle collabore régulièrement avec les collectifs Constant et Algolit pour des projets artistiques et éditoriaux.

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