Quelques réflexions autour du documentaire et sa difficulté d’être ici et ailleurs

Texte intégral

Toute grande entreprise a coutume d’installer – généralement dans lieux bizarres, combles, serres ou pavillons isolés- des laboratoires de recherche, banc d’essai, centres expérimentaux – centres plus ou moins marginaux, si l’on peut dire- dont il est attendu beaucoup mais dont on se défie toujours quelque peu [1].

Réfléchir à partir de la proposition « Désir de belle radio : documentaires » : un défi.

Si nous le relevons c’est que, depuis un certain temps, l’avenir d’une « belle radio » et de (beaux) documentaires nous semble incertain. Et ce pas seulement en France : dans beaucoup d’autres pays, les documentaires – surtout ceux dits « de création » – deviennent plus rares, se fabriquent dans des conditions plus contraignantes, disparaissent de la grille, parfois en même temps que le programme dédié, jusqu’alors, à leur production [2].

Mais comment répondre à un défi s’ouvrant sur un domaine vaste et obscur, semé d’embûches et hanté par le souvenir de jours (qui nous semblaient) meilleurs ?

Mon entrée en matière sera par les quatre mots clefs destinés à sous-tendre une réflexion qui, tout en restant fragmentaire, va tenter d’interroger l’état des choses à l’heure actuelle.

1. Désir

Curieusement – et peut-être seulement dans ce contexte particulier – c’est le mot désir qui est le plus facile à définir :

quelque chose auquel on aspire, vers lequel on tend (dit le Robert).

Pour le documentariste, le désir est une deuxième nature : désir d’arpenter des villes invisibles, d’écouter des mondes nouveaux, de les faire entendre en les écrivant avec des sons ne connaît pas de limites… alors qu’en même temps deviennent moins nombreux et plus étriqués les lieux où pratiquer cette écriture singulière ; des lieux qui « entendent bien » qu’écrire avec des sons est une activité qui prend du temps, beaucoup de temps ; et qui comprennent que le temps est le tribut qu’il faut payer au son capturé.

2. Beau

 Le poète dit :

Beauté c’est Vérité, Vérité est Beauté, – voilà tout

Ce que vous savez sur terre, tout qu’il vous faut savoir [3].

Mais le poète (John Keats) parle d’une forme de beauté, spécifique et codée – celle du classicisme grec – et le « beau » n’est pas une valeur absolue, empirique, immuable. « La beauté » est un concept abstrait, subjectif, variable, versatile, conditionnel, contingent, traître. En quelque sorte intraitable.

« Des goûts et des couleurs on ne discute pas », dit le proverbe.

Pour que quelque chose soit considéré comme « beau », il faut un contexte qui le reconnaît en tant que tel, qui désire qu’il le soit et qui est heureux de reconnaître qu’il l’est.

Il en va de même pour les documentaires.

Jusqu’à présent ce contexte « désirant » et (littéralement) « reconnaissant » a toujours été « la radio ». Mais si, un jour, cet espace n’existait plus – et on le craint par moments – quel « comble, serre, ou pavillon isolé » pourrait le remplacer ?

Faire « de la radio », c’est pratiquer un métier artisanal dont le savoir-faire est transmis sur le terrain, par des compagnons.

3. Radio

Ah ! Le comment, le comment !

Le comment c’est tout l’essentiel : les moyens techniques, les moyens financiers, certes, mais d’abord le moyen d’expression, la réflexion sur la radiophonie proprement dite, sur l’instrument radiophonique l’outil et la matière et la manière, sur les problèmes spécifiquement radiophoniques— son, forme, fond, texte, écriture [4]

« Avant »… c’est-à-dire :

avant la révolution numérique…

avant la démocratisation de l’outil permettant à tous de « faire de la radio » : (enregistrement, montage, mixage)…

avant, donc, le raz-de-marée de podcasts venu saturer un espace considéré, jusqu’alors, comme exclusivement « radiophonique »…

il fut un temps où on pensait savoir ce que le mot « radio » voulait dire.

Peut-être qu’on ne sait plus.

Si, parfois, nous oublions que les mots « radio » et « podcast » sont des métonymies (le nom de l’objet diffusé est remplacé par celui qui désigne le mode de diffusion), nous sommes obligés de constater que les mots « podcast » et « radio » sont en train de devenir interchangeables, synonymes.

Mais

est-ce que un « podcast » est « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » peut être « de la radio » ?

Est-ce qu’un « podcast » voudrait être « de la radio » ?

Est- ce qu’un « podcast » parle la même langue que la radio ?

Ou bien, est-ce qu’un « podcast » est « autre chose » ? (Nouvelle tentative pour s’emparer des ondes, par exemple ? Rappelons-nous les utopistes, les futuristes et les autres qui ont voulu le faire.)

Ou encore, (ce qui n’est pas impossible) est-ce qu’un « podcast » ne serait qu’une façon de faire, à moindres frais, quelque chose qui ressemblerait à « de la radio » ?

« Autre chose ».

Parfois, dans un forum comme celui-ci, on serait tenté d’oublier que la vocation première de la radio n’est pas la création mais la communication d’information rendue accessible au plus grand nombre, grâce à une ligne éditoriale séduisante. La diffusion de fictions et de concerts de musique (sous-produits de la grande culture « générale ») est assimilable à cette démarche ; alors que la création proprement « radiophonique » (pourtant mentionnée explicitement dans la charte de la plupart des radios d’état, dont Radio France) suscite rarement beaucoup d’enthousiasme de la part de ceux qui ont le pouvoir de décider de son sort. Destinée à un public minoritaire (« élitiste »), gourmande en moyens techniques (« chronophage »), de facture et de contenu variables (« suspecte »), la création sonore suscite toujours une certaine méfiance. Sa place n’est jamais acquise d’avance. Les espaces qui lui sont accordés s’acquièrent à un certain prix, et pas pour toujours.

Vous avez entendu le dernier programme de l’Atelier de création radiophonique tel qu’il a été conçu à sa création en octobre 1969. Une belle aventure prend fin aujourd’hui.

Je m’appelle René Farabet ; avec l’équipe de l’ACR et tous ceux qui nous ont accompagnés à travers le temps, nous souhaitons un bel avenir radiophonique à vous, auditeurs fidèles et exigeants [5].

Depuis des décennies se poursuit, ainsi, un jeu curieusement répétitif qui consiste à octroyer un espace « libre », destiné à la création, pour le reprendre quelques années plus tard [6].

Jeu de donner-pour-reprendre dont la forme (si, par hasard, on était effleuré par le désir de la dessiner) ressemblerait à celle de l’électrocardiogramme d’un cœur malade.

4. Documentaires

Domaine infini du vécu à saisir… désorganisation des structures brutes… organisation de l’en vrac du spontané [7]

En cherchant du côté des origines étymologiques du mot « documentaire », on trouve une définition bien plus austère que celle proposée par Alain Trutat. Du latin documentum (« modèle, exemple »), lui-même dérivé de docere (« montrer, faire voir, instruire »), le mot « documentaire » sert à désigner tout « objet » qui « documente » un « sujet » traitant d’un certain aspect du « réel ».

Quel que soit le sujet, la forme, ou le support, un documentaire se doit d’informer

Cousin germain du reportage (censé être « objectif »), le documentaire s’en distingue. Derrière le reportage se cache un « rapporteur », un porte-parole ; derrière le documentaire se révèle un auteur (et son imaginaire) dont la présence sera plus ou moins affirmée selon le type de documentaire qu’il voudrait faire et l’attente du programme auquel l’émission est destinée. Et la gamme-vaste- s’étend depuis « le-court-moment-de-réel-brut-à-peine-monté » jusqu’à ces documentaires dits (sans doute faute d’avoir trouvé mieux) « de création ».

Mais quelle que soit sa forme, faire un documentaire est toujours une entreprise hasardeuse. À partir de sons « sauvages » – et tout son capturé, déplacé de son environnement normal, devient « sauvage » – l’auteur aspire à créer un univers. Et, pourtant, le documentaire est souvent considéré comme le parent pauvre de la famille radiophonique – paradoxalement parce qu’il est composé de quelques sons « réels ». Il n’a pas les titres de noblesse de la fiction ou de la musique, pas l’authenticité du journal parlé, ni l’utilité d’un bulletin météo : il n’est pas traité avec les mêmes égards.

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Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue pas une jambe

disait Apollinaire [8].

Quand on me demande quel est mon métier, je dis que « je fais des documentaires ».

Je ne sais pas si c’est tout à fait vrai.

Il est vrai que mes « documentaires » traitent du monde réel – mais seulement d’une certaine façon ; que mes « protagonistes » sont des gens ordinaires, souvent anonymes ; que je partage avec le genre documentaire un certain goût pour cette banalité qui caractérise le réel (le réel est essentiellement banal) que je décline en moments discontinus composés de bribes de voix et de sons, toujours « naturels » – mais découpés, déplacés, mixes, sur-mixés…

Mais il est vrai, aussi, que loin d’informer, mes soi-disant documentaires – et ceux de beaucoup d’autres « documentaristes » – ne tiennent pas seulement à « informer » ; ils voudraient surtout faire rêver, transporter l’auditeur ailleurs, dans un espace-temps « autre ». Leur point de départ est rarement un sujet à documenter ; c’est une intuition, un détail. Le « sujet » se révèle fugitivement, progressivement, au fur et à mesure que la matière sonore se travaille. Le sujet est contenu dans le son. C’est le son qui va déterminer le sens. C’est le son qui est (en quelque sorte) le sens. « Le sujet », en fin de compte, sera probablement très peu de chose, du « presque rien » : quelques moments de « sensation vraie » (selon la phrase de Peter Handke).

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Suite à des études de littérature française en Australie et en France, j’ai entamé – par hasard et avec un enthousiasme teinté d’innocence – une carrière à l’Australian Broadcasting Corporation. Je ne savais pas ce que « faire de la radio » voulait dire : je n’avais jamais été effleurée par le moindre désir d’en faire (bien que la radio m’ait accompagnée le long d’une enfance un peu solitaire, passée à la campagne).

À cette époque, l’ABC était « une radio de service » dont la mission (explicite) était de « vaincre la tyrannie de la distance » qui régnait sur un continent immense peuplé de 8 millions d’habitants. Le signal sonore était fort, et les formes épurées ; des sons et des voix traversaient les airs en lignes droites.

Dans mon souvenir, c’était assez beau.

Mais l’ABC était aussi une radio qui portait la trace – les stigmates ? –de ses origines. C’était une « radio colonisée », une copie conforme de la BBC – jusqu’à la moindre inflexion de chaque

voix.

Cela paraissait étrange, même à l’enfant que j’étais alors.

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Tout ce qui est sonore aujourd’hui s’étouffe, a besoin de reprendre un peu d’air pour survivre, à la façon des oiseaux […]

En occident nous avons perdu l’oreille et c’est dire que nous sommes aveugles. Nos yeux s’arrêtent sur les objets mesurables et c’est dire que nous sommes sourds.

Il nous faudrait […] savoir que nos œuvres les meilleures s’inscrivent toujours dans le vent des sables [9].

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Quand je suis arrivée à l’ABC pour y travailler, des années plus tard, tout avait changé. Les anciens moules étaient en train de craquer. Ça sentait la marihuana dans la rue et la révolution dans le studio. Partout – sur les murs et sur toutes les lèvres- le même mot d’ordre :

« à bas la colonisation culturelle ».

Le désir de « belle radio » était très fort. Et pour que la radio fût « belle » il fallait qu’elle parle notre langue.

La lutte idéologique s’est dédoublée (c’est souvent le cas) d’une dimension esthétique : le désir de trouver/ inventer/ posséder/ savoir manier un langage radiophonique qui soit vraiment à nous.

Paradoxalement, ce désir nous a amenés ailleurs.

Nous avons décidé d’écouter et d’analyser des créations radiophoniques provenant d’autres pays ; nous voulions entendre d’autres voix, d’autres formes, d’autres types de syntaxe sonore.

Ce sont les émissions de l’Atelier de création radiophonique de France Culture – de facture si différente d’autres formes radiophoniques croisées jusqu’alors – qui ont retenu mon attention : écheveaux de paroles et de sons d’où jaillissaient des mondes invisibles, des histoires racontées autrement, qui résonnaient ailleurs, quelque part au-delà de la parole.

Une façon d’ « écrire sur bande magnétique », disait Alain Trutat.

Et, c’est ainsi, en écoutant ces émissions singulières, que j’ai commencé à comprendre que le son pouvait être un langage à part entière, avec une syntaxe qui lui est propre.

Un langage dont toute tentative de transcription (autre que la trace qu’il laisse en nous) était vouée à l’échec.

Un langage écrit dans le vent des sables. Langage à jamais « étranger ».

Langage qu’il faudrait laisser dire ce que lui seul sait dire.

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Son lavé, détaché de tout code, de toute convention psychologique. Pour.

Eternel rapport fond et forme et matière- la matière du son, élémentaire, nue, germinative.

Dire entre les lignes, entre les mots, le silence [10].

Notes

[1] Alain Trutat, « L’Atelier de création radiophonique », Cahiers d’Histoire de la radiodiffusion, n°92, avril-juin 2007, p. 197.

[2] L’Australian Broacasting Corporation (ABC) ; Danemarks Radio (DR) ; l’Italie (RAI) ; l’Espagne (RNE), les pays de l’ancienne Yougoslavie (dont surtout la Croatie, grande réalisatrice de documentaires de création) ; Yleisradio (Finlande) où les deux services de documentaires (de langue suédoise et de langue finnoise) ont disparu…

[3] John Keats, « Ode sur une urne grecque », dans Poèmes et Poésies, traduction Paul Gallimard, Paris, Mercure de France, 1910, p.148-149.

[4] Alain Trutat, op.cit., p. 198.

[5] Propos de René Farabet qui précèdent la diffusion de L’ingénieux maçon Lucio, de Cascante, Atelier de création radiophonique n°1399, diffusé sur France Culture le 30 décembre 2001. Enregistrement conservé à l’INA.

[6] Voir, par exemple, La radio d’art et essai après 1945, et La Radio après le Club d’Essai, Fabula, https ://www.fabula.org

[7] Alain Trutat, op. cit, p. 201.

[8] Guillaume Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, préface, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. 865.

[9] François Billetdoux, Dans le vent des sables, texte sur la Radiophonie écrit au moment de la première diffusion de l’ACR, le 3 octobre, 1969. Disponible à la BnF.

[10] Alain Trutat, op. cit, p. 200.

Liste des sons

1. Le Transcamerounais (extrait), par José Pivin, dans Prix Italia 1977, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 23 octobre 1977. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’06.
2 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille, dans La Radio et les escargots, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 10 juillet 1973. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 5’50.
3 Deux mouches s’étaient accouplées dans mon oreille (2e), même source. Durée : 5’00.
4. Phil Niblock : La Musique a besoin de temps, prod. René Farabet, France Culture, ACR du 20 octobre 1996. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 1’35.
5. Corbeau australien, enregistrement Kaye Mortley. Durée : 1’40.
6. Skye Boatsong, radio scolaire, archives Australian Broadcasting Corporation, date inconnue. Durée : 1’44.
7. Le voyage, par Kaye Mortley, France Culture, L’Expérience du 20 octobre 2019. Durée : 2’48.
8. India Song de Marguerite Duras, de et par Georges Peyrou, France Culture, Atelier de création radiophonique du 12 novembre 1974. Enregistrement conservé à l’INA. Durée : 3’30.

Auteur

Kaye Mortley, d’origine australienne, a fait des études de littérature française à Sydney (licence), Melbourne (master) et Strasbourg (doctorat), puis enseigné un temps à l’université avant d’intégrer le département « Fictions et documentaires » de l’Australian Broadcasting Corporation (ABC). Installée à Paris en 1981, elle produit des documentaires sonores pour l’ACR et d’autres émissions de France Culture comme Nuits magnétiques, Surpris par la nuit, L’atelier de la création ou (tout récemment) L’Expérience, ainsi que pour diverses radios d’État en Europe (Allemagne, Belgique, Finlande, Suisse), tout en gardant des liens avec l’ABC. Citons quelques œuvres à redécouvrir, parmi celles diffusées sur France Culture : Là-haut, le Struthof (ACR, 1995, version courte 1998) ; Une famille à Mantes-la-Jolie (ACR, 2000) ; Retour en Australie, série de 5 petites séquences sur les lieux de son enfance dans l’immense plaine de l’Ouest australien : « Le Train », « L’Aube », « La Route  », « L’École », « Le Soir » (Résonances, 2001) ; Dans la rue (Le monde en soi, 2005) ; La ferme où poussent les arbres du ciel (Les Passagers de la nuit, 2011, trois épisodes ; autre version dans L’atelier de la création, 2013) ; Thèbes: ville fauve, ville noire – the road movie (L’atelier de la création, 2011) ; Si je perdais mes oreilles… je deviendrais aveugle (L’atelier de la création, 2014). En 1989, sollicitée par Phonurgia Nova, elle se lance pour quelques décennies dans l’animation d’ateliers de « documentaire sonore de création », ateliers mêlant théorie et pratique de l’écriture sonore, dont témoigne un ouvrage collectif paru en 2013 sous sa direction, La Tentation du son (Phonurgia nova éditions). Des prix internationaux (Futura, Europa, Italia, IRAB, grand prix de la SCAM) ont salué la qualité de son travail à plusieurs reprises.

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Produire des documentaires de création à France Culture : la nécessité de la collaboration


Face à la difficulté de saisir des figures d’auteurs singuliers dans les programmations de documentaires de création au sein de France Culture, l’auteur de cet article a décidé de mener une enquête auprès de producteurs délégués, de réalisatrices et d’une coordinatrice pour cerner les modalités de fabrication en vigueur sur la chaîne de service public et chaîne historique de production de documentaires sonores de création. Cette enquête permet de mettre en lumière des modalités de collaboration ainsi que les effets des contextes de production sur les acteurs et les contenus.

Faced with the difficulty of identifying figures of singular authors in the programming of creative documentaries within France Culture, the author of this article decided to conduct a survey of executive producers, directors and a coordinator to identify the manufacturing methods in force on the public service chain and historical production chain of creative sound documentaries. This survey sheds light on the modalities of collaboration as well as the effects of production contexts on actors and content.


Texte intégral

Le documentaire sonore de création offre une hétérogénéité de formes qui rend difficile son analyse, comme l’a d’emblée relevé Christophe Deleu dans le chapitre qu’il consacre à l’essai de définition de cette forme de récit radiophonique dans son ouvrage Le documentaire radiophonique  [1], paru en 2013. Qui plus est, un auditeur en quête d’auteurs radiophoniques se trouve assez rapidement orienté vers les productions qui se situent après les débuts de l’Atelier de création radiophonique (ACR), créé en 1969 et dirigé par René Farabet jusqu’en 2001 comme l’a souligné l’appel du colloque d’où est issu ce numéro. La multiplicité des contenus pourrait-elle expliquer à elle seule la difficulté d’entendre émerger des écritures qui font œuvre et dépassent l’unicité de l’objet ? La chaîne France Culture a bien participé au fil de nombreuses années, dans le cas d’une de Kaye Mortley[2], à la construction patiente d’une écriture singulière que nul ne conteste, à l’élaboration d’une œuvre radiophonique au sens propre, donc. Mais le parcours de Kaye Mortley ne représente-t-il, pas dans le système de production des documentaires de création, une survivance d’un mode opératoire hérité des origines qui lui aura permis de construire une œuvre ?

Cela pose la question de la possibilité du « devenir auteur ». Quelles conditions permettent ce développement ? Pour quelles raisons est-ce devenu si difficile de repérer des auteurs dans les diffusions de documentaires de création sur France Culture ? En parcourant, sur le site internet de la chaîne, les émissions dédiées aux documentaires de création depuis L’Atelier de la création, quelques ACR maintenus avec parcimonie, Création on Air et maintenant L’Expérience, on relève une diversité qui semble témoigner d’une grande liberté accordée aux auteurs dès lors que le traitement narratif du projet s’annonce comme étranger à un fonctionnement communicationnel de l’objet radiophonique. Dans les espaces dédiés à la production de documentaire radiophonique de création, la radio n’est pas perçue comme un media de masse conditionné par les règles de la communication mais comme une brève hétérotopie sonore qui s’invite dans la programmation de la chaîne. Les diverses présentations des émissions annoncent cette volonté d’ouverture à des aventures hors normes, des jeux avec le genre documentaires :

L’Atelier de la création s’aventure sans autre boussole que le goût de l’intime et celui de l’extime, le plaisir des enregistrements bruts autant que les montages ciselés, le respect du recueillement et celui du vagabondage, le désir de donner à entendre les Ateliers timides autant que L’Atelier de création radiophonique (le premier jeudi de chaque mois), avec l’espoir de toucher parfois des terres inconnues…

 

Création On Air, un espace d’expérimentation sonore tous les mercredis et jeudis sur France Culture. S’aventurer sans autre boussole que le plaisir des enregistrements bruts autant que les montages ciselés, avec l’espoir de toucher parfois des terres inconnues…

 

Documentaire d’auteur et d’écriture sonore, L’Expérience est un espace libéré des genres radiophoniques (magazine, reportage, documentaire, fiction…), qui s’en affranchit ou qui les mêle. C’est un temps d’expression du singulier.

[…] Ce nouvel espace se décline également sous forme de collections en accueillant L’Atelier de création radiophonique (ACR), et des productions pour le Cinéma sonore.

Intense expérience de l’auteur, de l’équipe qui l’enregistre, de ceux qui vont l’écouter, L’Expérience promet d’être un voyage unique de vécus particuliers, de mises en situation originales, de moments de vie enregistrés en temps réel, de paysages sonores parcourus ou de moments performatifs en direct. Intimes ou rares, les limites de L’Expérience sont inconnues [3].

On perçoit dans cette volonté affichée par les coordinateurs un héritage des pairs fondateurs : « la fondation d’un Atelier de création radiophonique tend à réaffirmer par des œuvres nouvelles la vitalité de l’expression radiophonique originale et la primauté de l’invention permanente dans les arts [4] ». Mais si la liberté d’écriture semble réelle aux oreilles de l’auditeur, qu’en est-il au moment de la production ? Quelle différence entre la présentation d’une émission créant un horizon d’attente chez les auditeurs comme chez les porteurs de projets et la réalité de la production ? Peut-on valider l’hypothèse selon laquelle 

[l]e documentaire poétique s’appuie sur une écoute dite « réduite », et considère le son pour lui-même. C’est moins le sens des propos entendus qui est central, que la valeur esthétique des univers sonores. […] L’écoute figurative (qui s’intéresse à la provenance des sons) et l’écoute codale (qui se fixe sur le sens du message délivré) seront ici au second plan [5].

L’écoute d’une quantité significative de documentaires de création aura tendance à fragiliser cette définition, tant les auteurs semblent recourir à des modes narratifs variés, y compris des modes que l’on serait tenté de classer du côté des documentaires d’interaction à visée informative. Pourtant leurs productions se trouvent accueillies dans les espaces dédiés à la création. On pourrait se demander s’il n’y a pas un moment, dans la temporalité de la fabrication, susceptible de modifier la trajectoire d’une intention poétique en l’éloignant du périmètre de la création. Pour répondre à cette question, il nous apparaît important de saisir les modalités de production d’un geste documentaire qui entend ancrer son projet dans la dynamique du documentaire de création.

À France Culture, les modalités de production ont une particularité que l’on ne trouve nulle part ailleurs et qui placent l’auteur d’un projet dans un environnement de relations complexes. Après avoir défini cet écosystème singulier, nous en interrogerons les conséquences. Derrière les conditions de productions, c’est la question de l’auteur qui se dessine en creux, au point que l’on est conduit à s’interroger sur la façon dont les acteurs d’un processus de création s’accordent dans un ensemble de flux et d’impératifs. Pour esquisser une réponse à ces nombreuses interrogations liées, j’ai choisi de convoquer la méthode de l’enquête orale. Les témoins rencontrés sont au nombre de six et occupent des fonctions concernées par le champ de cette étude : coordination, réalisation, production déléguée et ont évolué ou évoluent au sein des émissions consacrées au documentaire poétique sur l’antenne de France Culture : Atelier de création radiophonique (ACR), L’Atelier de la création, Création on Air, L’Expérience. Au centre de mon enquête, je situe la trajectoire de Kaye Mortley, qui aura ici le rôle de modèle.

1. État des lieux des conditions de production

Lorsqu’on est auteur et que l’on a un projet de documentaire, on écrit son idée de projet que l’on adresse au coordonnateur de l’émission ciblée. Si le projet retient l’attention, il est alors proposé à un chargé de réalisation qui entrera en contact avec l’auteur pour les premiers échanges sur les intentions de ce dernier. Il arrive qu’auteur [6] et réalisateur aient déjà émis le désir de collaborer ensemble avant cette phase de sélection, alors le binôme est déjà formé et a souvent commencé à échanger sur le projet. Néanmoins, au stade où le projet est retenu par la production, l’équipe technique – composée des techniciens preneurs de son en studio et sur le terrain et de l’ingénieur du son responsable du mixage – n’est pas encore désignée et le sera en fonction des plannings, souvent tardivement au moment du tournage et du mixage.

Il convient de souligner que l’auteur, bien que n’étant pas un permanent de l’antenne, est responsable de son projet et qu’il lui revient de planifier et organiser le tournage : ce qu’il souhaite enregistrer et qui il souhaite interviewer. Il doit alors s’assurer que cette organisation correspond au temps alloué par la production. On soulignera d’emblée qu’il est ainsi question de composer une équipe dont producteur et réalisateur sont les acteurs constants pendant toute la durée de fabrication.

Or la création de cette équipe se fait dans un temps restreint et intense – de l’ordre de dix à douze jours – et elle doit aboutir à la réalisation d’un documentaire au format défini par la programmation qui est actuellement de 58 minutes. On peut alors s’interroger sur la façon dont l’auteur intègre cette logique de production et devra désormais développer son projet avec le réalisateur et non plus seul avec ses désirs d’écriture, lesquels peuvent être plus ou moins développés. De même que l’on peut s’interroger à propos des réalisateurs qui se trouvent associés tout aussi intensément au projet d’un auteur qu’ils ne connaissent pas le plus souvent et avec la nécessité de mener à bien la production selon les moyens techniques, financiers et temporels dont il dispose.

Il n’est pas encore question de se demander si la collaboration fonctionnera entre ces deux collaborateurs et si elle permettra un développement satisfaisant ; à ce stade, on se rend déjà compte que les rôles sont distribués par un cadre et que les agents doivent s’accommoder des moyens qui leurs sont alloués. Cela est vrai pour toute activité, y compris une activité de création, car la production est le premier cadre dans lequel s’inscrit tout acte soutenu financièrement. Malgré tout, la question des moyens et de leur compression, qui s’est accrue dans le temps, est trop souvent revenue dans les témoignages pour être ignorée. Il faudrait en effet définir un seuil minimal en deçà duquel il devient difficile voire impossible de prétendre à l’acte créateur. En effet ceux de nos témoins qui ont traversé plusieurs décennies d’émissions dédiées au documentaire de création radiophonique ont pu souligner l’érosion du temps mais aussi la modification du cadre de production dans le sens d’une moindre liberté donnée aux équipes en création. Les auteurs ont vu le temps dédié à la production d’un documentaire passer de plusieurs mois pour l’Atelier de création radiophonique dirigé par René Farabet, à dix ou douze jours avec 43 heures de montage pour une heure de programme, aujourd’hui. On assiste donc à une compression du temps d’une part, mais aussi un déplacement dans la conception de l’auteur qui était au centre de la production pendant les décennies Farabet. C’est précisément cette liberté qui a intéressé Kaye Mortley lorsqu’elle y a forgé ses premières pièces pour France Culture.

Dans cet état des lieux des conditions de production, il convient de préciser que le temps de préparation n’est pas compris dans le contrat conclu entre le producteur délégué et la chaîne, mais seulement le temps de la fabrication. La préparation est la phase essentielle au cours de laquelle l’auteur se nourrit, par exemple, des archives Ina qu’il écoute et sélectionne afin de les intégrer dans le montage, et commence à opérer un dialogue entre ces contenus sonores et les enregistrements qui seront réalisés en équipe. C’est aussi une phase de repérage du terrain et des témoins, de préparation approfondie de son projet qui comprend de nombreuses heures, les plus nombreuses sans doute. Or ce temps long de la préparation solitaire, qui est certainement un garant essentiel de la qualité du projet, entre en confrontation avec le temps court de la fabrication, qui exclut ou réduit très considérablement la possibilité du doute, des tentatives et des erreurs inhérents à l’acte créatif.

Ajoutons que la compression du temps et des moyens s’accompagne désormais d’une accélération de la production, qui voit s’enchaîner les étapes : tournage, dérushage, réalisation, mixage. On assiste ainsi au déploiement d’un écosystème de production en inadéquation avec ce pour quoi il existe : produire des œuvres de pensée et de création.

Or, auteurs et réalisateurs insistent sur le fait qu’il faut pouvoir respirer entre le tournage et le montage, revenir sur une séquence de montage, avoir une solitude d’auteur pendant la fabrication, « se nettoyer » les oreilles avant le mixage. Cet état des lieux résulte à la fois de mon expérience de productrice déléguée pour deux documentaires [7] réalisés à France Culture et de mon enquête auprès des témoins qu’il est désormais temps de présenter.

2. Choix des personnes interviewées.

L’enquête a été motivée par un désir de comprendre les impacts que les assignations de rôles peuvent avoir tant sur les professionnels impliqués que sur les documentaires. J’ai voulu atteindre une complémentarité dans les témoignages en choisissant d’une part des duos d’auteur-réalisateur ayant pu collaborer à plusieurs reprises, d’autre part des parcours variés dans la production sonore et radiophonique. Cette circulation dans la parole de chacun m’a permis d’entrapercevoir la singularité des cheminements et de voir émerger des lignes saillantes dans le paysage ainsi créé au fil des témoignages. Les six témoins que j’ai écoutés occupent ou ont occupé des fonctions de conseillère de programmes, coordination, réalisation, production déléguée.

Pour son rôle de conseillère de programmes, coordinatrice de plusieurs émissions dédiées au documentaire de création mais aussi pour son expérience de documentariste, j’ai désiré m’entretenir avec Irène Omélianenko. Aux fonctions de réalisation, j’ai entendu Nathalie Salles – œuvrant à la réalisation de documentaires aussi bien de création qu’informatifs – et Véronique Lamendour, également réalisatrice pour plusieurs émissions documentaires mais avec une spécialisation dans le documentaire de création depuis une dizaine d’années. J’avais également l’intention de recueillir le témoignage de Manoushak Fashahi pour analyser la relation singulière qu’elle développe depuis les années 2000 avec Kaye Mortley mais il nous fut impossible de nous rencontrer pour des raisons de disponibilité. Du côté des auteurs, j’ai rencontré Éric Cordier, Laure-Anne Bomati et Kaye Mortley. Éric Cordier est musicien, plasticien, performer et a produit une dizaine de documentaires de création avec Nathalie Salles. Laure-Anne Bomati s’est formée au CREADOC. Elle est engagée dans plusieurs collectifs de création dont « Étrange miroir » à Nantes et réalise des créations sonores pour des spectacles et des expositions. Elle a produit trois documentaires de création avec Véronique Lamendour. Enfin, Kaye Mortley est documentariste pour de nombreuses radios en France et à l’échelle internationale [8] ; elle a essentiellement collaboré avec Manoushak Fashahi depuis une vingtaine d’années dans ses productions pour France Culture.

3. Vu du côté de la réalisation

Lorsque j’interroge Nathalie Salles sur la manière dont elle vit son rôle de réalisatrice dans l’association avec un auteur, elle commence par me dire qu’elle a besoin de rencontrer l’auteur avant de commencer le travail, afin de sentir comment l’auteur porte son projet et s’il est plus ou moins conscient des enjeux liés à la production radiophonique. Elle procède donc à un diagnostic opérationnel pour vérifier si l’auteur est en capacité de saisir les éléments importants dans la phase de tournage afin que son travail de réalisation ne soit pas empêché par manque d’éléments. Elle a besoin d’assister aux enregistrements car le tournage, indépendamment des considérations techniques, est nécessaire pour lui permettre d’entrer dans le projet de l’auteur. Il lui est donc difficile de récupérer des enregistrements menés en amont de la production, bien que cela puisse se faire exceptionnellement.

Si sa fonction de réalisatrice veut qu’elle soit davantage en position d’observation immersive pendant le tournage et que ce moment soit celui de l’auteur, elle entre néanmoins en action dès lors qu’elle sent un auteur un peu en fragilité sur son projet. Elle est alors en capacité de forcer un peu en intervenant et en provoquant certaines prises ou en faisant reformuler des paroles car elle est déjà dans la projection du montage et elle sait déjà si elle aura la matière pour réaliser. Ainsi l’attitude prise par Nathalie Salles dans la production du documentaire la place dans un rôle de superviseur en capacité de garantir un résultat de production et une efficacité. Elle se considère comme facilitatrice : « J’accompagne l’auteur et j’y mets évidemment le savoir-faire du métier. »

Mais si le métier permet de produire dans un cadre donné il ne fait pas tout. Elle ajoute donc qu’elle doit se sentir stimulée et en relation avec l’auteur pour s’investir dans le projet car elle est animée par le désir et l’énergie de l’autre. Sans cette relation qui va jusqu’à la confiance et la capacité de l’auteur à collaborer avec elle, la production ne peut se faire dans de bonnes conditions. Dès lors qu’elle sent qu’une forme d’accord est trouvée entre les deux personnes elle se place là où elle sent qu’elle peut se placer, s’adaptant à la nature de la collaboration.

Lorsqu’on aborde la façon dont elle travaille avec les auteurs pour tenter de cerner la question de l’auctorialité comme garante d’une singularité, on obtient une réponse complexe : dans un documentaire de création, fond et forme se confondent, alors que dans un documentaire informatif la procédure diffère, que le plus souvent l’auteur y est en charge du contenu quand la réalisation se concentre sur les ambiances et les musiques. À partir du moment où le processus de création d’un documentaire de création ne permet pas de séparer clairement les rôles, il revient aux équipes éphémères de trouver les modalités de leur collaboration et de faire naître des aventures forcément singulières. Cependant, il arrive que la rencontre ne se fasse pas. Les raisons évoquées par les deux réalisatrices sont l’instrumentalisation de leur fonction par un auteur omniscient.

On perçoit d’emblée dans ce témoignage que la production d’un documentaire porté par un auteur fait appel à cet impalpable qui est la capacité des individus à s’entendre, à œuvrer ensemble alors qu’ils ne se sont pas choisis et qu’ils ont peu de temps pour se connaître. En plus des conditions matérielles s’ajoute donc l’adéquation des caractères qui ne peut être garantie. Je me souviens que c’est une des premières choses que m’avait dites Irène Omélianenko lorsque je l’avais rencontrée pour discuter de mon projet de documentaire sur Didier-Georges Gabily pour l’émission Une vie, une œuvre, ensuite réalisé par Nathalie Salles.

Certains des éléments soulevés par Nathalie Salles reviennent dans le témoignage de Véronique Lamendour. Elles se rejoignent notamment sur la question de l’investissement nécessaire sans quoi il n’y a pas de plaisir à faire ce métier. Pour toutes les deux, les premiers échanges avec l’auteur sont essentiels. Ils permettent de saisir ce qui anime le projet et sont considérés comme un premier temps essentiel à la collaboration qui a la vertu de préciser le projet voire parfois de « le faire accoucher », selon l’expression employée par Véronique Lamendour.

Pour ce qui concerne les conditions de production, celle-ci insiste beaucoup sur le temps qui lui manque, ce qu’elle vit mal, alors que Nathalie Salles ne soulève pas d’emblée ce problème comme pouvant générer un mal-être dans sa fonction. Les rapports que l’une et autre entretiennent avec cette question sont différents : là aussi la question du caractère entre en jeu dans la façon de vivre le métier et de s’adapter à la situation. Nathalie Salles semble pouvoir s’accommoder de la compression du temps et adopte l’attitude qu’il faut pour contrôler le bon déroulement du projet dans un rythme soutenu, même si elle reconnaît que la situation est inconfortable et qu’elle génère une tension nerveuse accusée par le corps. De son côté, Véronique Lamendour a une présence plus calme. Elle est observatrice et laisse travailler l’auteur au moment du tournage, laissant les choses se dérouler comme elles le doivent [9]. Mais précisément le resserrement des conditions de production entre en conflit avec cette façon d’habiter la fonction. Dans son témoignage, elle parle de la vitesse dans laquelle elle est prise dans les dernières émissions et des conséquences que cela peut avoir sur la possibilité de faire naître une forme dite « documentaire de création ». Cet argument fait écho à l’entretien mené avec Irène Omélianenko : pour faire un documentaire, il faut non seulement avoir un projet et être habité par lui mais aussi avoir du temps et de la solitude pendant la fabrication, pas seulement avant.

Véronique Lamendour parle elle aussi de projet et non de sujet : lorsqu’elle s’engage dans la réalisation, elle cherche un projet pour lequel elle trouve un intérêt. Revient encore une fois l’énergie dégagée par l’auteur comme élément vital à la possibilité de collaboration. Elle précise également ne pas aimer l’habitude et préférer explorer, faisant alors entendre combien ce métier a besoin d’être nourri par des auteurs habités par un désir de création et en capacité d’explorer des formes et des approches non-conventionnelles. On sent poindre la relation complexe qui se noue entre désir d’auteur, désir de réalisateur et conditions de production qui sont aussi des conditions de travail.

Du côté de la production, les arguments en faveur du projet sont forts et garantissent la sélection d’une proposition, mais coordinatrice comme réalisatrices reconnaissent aussi la situation de précarité dans laquelle se trouvent les auteurs. Elles ont parfaitement conscience qu’un documentaire peut être proposé non parce qu’il est mûri et rêvé mais parce qu’il permet d’avoir des heures pour l’intermittence, malgré la faible rémunération que perçoivent les producteurs délégués. Ceci est un fait qui pourrait également concourir à expliquer la difficulté à voir émerger des œuvres : l’insuffisance de la rémunération cumulée à l’insuffisance des moyens qui conditionnent les enregistrements et la réalisation, puis l’enchaînement des actions, aboutissent à un écosystème défavorable à l’émergence de documentaires sonores de création.

C’est notamment cette grande fragilité financière qui règle la question de l’auctorialité, cette fois-ci du point de vue contractuel et juridique. Il est clairement établi que seul l’auteur perçoit des droits d’auteurs redistribués par la SCAM [10] et que ce versement compense la faible rémunération allouée pour la production déléguée d’un documentaire. Ainsi, bien que les modalités de collaboration entre auteur et réalisateur fassent intervenir la dimension artistique de la réalisation, la reconnaissance de la production intellectuelle d’une œuvre de création et œuvre de l’esprit revient uniquement au producteur délégué. Cette répartition reconnaît l’origine du projet comme appartenant exclusivement à l’une des deux parties quand bien même elle serait associée à d’autres parties dans l’action de mettre en œuvre son idée. Voyons à présent les modalités de collaboration entre les deux réalisatrices rencontrées et deux auteurs avec lesquels elles ont pu collaborer à plusieurs reprises.

4. Deux expériences concrètes de collaboration : Éric Cordier et Nathalie Salles, Véronique Lamendour et Laure-Anne Bomati

Lorsque je demande à Éric Cordier et Nathalie Salles – dans des entretiens séparés – comment se passe leur collaboration, l’enthousiasme est partagé et le plaisir est réel pour chacun. Éric Cordier me dit qu’ils sont parfaitement compatibles parce que lui est musicien et que l’articulation dramaturgique ne l’intéresse pas au premier plan, ce pourquoi il suit sans difficulté les propositions narratives de Nathalie Salles lorsqu’il les trouve pertinentes. Dans cet espace laissé fluctuant par l’auteur musicien, la réalisatrice se voit offrir une place stimulante qui ne devient pas le lieu d’une négociation mais celui d’une liberté qui lui est offerte. D’autres auteurs, plus engagés dans la poétique du récit, ne délègueraient pas si facilement cet espace-là. Tous deux forment un duo de collaborateurs artistiques faisant bouger les lignes des fonctions.

Or, il est important de souligner que la qualité de cette collaboration a mûri dans le temps long de l’expérience partagée et s’est construite au fil de la dizaine de documentaires qu’ils ont construits ensemble. On en revient toujours à la notion de temps, qui d’une manière ou d’une autre permet à la création d’advenir. Chez Nathalie Salles et Éric Cordier, les aventures passées nourrissent les aventures en devenir et il se construit une forme de compagnonnage qui s’accommode des conditions de productions libérales. L’un et l’autre ont acquis la capacité à œuvrer ensemble là où des collaborations naissantes ne peuvent se reposer sur cet acquis de l’expérience commune. C’est grâce à leur connaissance mutuelle qu’il leur est possible d’atteindre rapidement la zone de création. Ce duo-là m’amène à questionner la circulation de l’auctorialité. Nathalie Salles se défend d’être considérée comme autrice mais accepte d’être considérée comme collaboratrice artistique. Éric Cordier y souscrit également de son côté.

Concernant la collaboration entre Véronique Lamendour et Laure-Anne Bomati, les entretiens ne permettent pas de mettre leur relation à un niveau de complicité et de complémentarité aussi développé, certainement pour les raisons évoquées précédemment. Néanmoins, Laure-Anne Bomati insiste sur le fait qu’un lien de confiance et un accord de travail a pu se construire au fil des trois collaborations. Il m’a cependant été difficile de détecter les indices pour avancer dans la question sur l’auctorialité.

C’est la raison pour laquelle j’ai précisé mon enquête sur la réalisation du documentaire Tôt ou tard… Quitter Tanger pour lequel l’autrice avait obtenu une bourse SCAM. La préparation de son terrain avait alors pu se faire in situ, à Tanger, où elle s’était rendue plusieurs fois. Elle avait ainsi pu choisir ses personnages et nourrir son projet de la singularité de leur parcours de vie. Le documentaire en question est précisément centré sur le désir de départ qui anime les personnes rencontrées. Au moment où la réalisation est financée par l’émission Création on air, une équipe composée de l’autrice, la réalisatrice et le technicien son se rend à Tanger pour enregistrer les voix et les sons d’ambiances pour la composition du paysage sonore qui parcourt la création. Laure-Anne Bomati était arrivée une semaine avant le tournage et avait pu constater que certains des témoins qu’elle souhaitait enregistrer avaient quitté Tanger. C’était là un risque inhérent au projet puisque tel était leur désir et que c’est précisément ce désir de départ qui l’intéressait. Grâce à son long travail de repérage, elle a pu trouver de nouveaux personnages pour assurer le tournage lorsque les collaborateurs techniques sont arrivés. L’équipe de production était alors présente pour trois jours à Tanger ce qui est une durée très courte qui ne peut supporter le contretemps. Or les aléas se sont imposés lorsque le matériel d’enregistrement a été confisqué à l’aéroport d’arrivée pour n’être restitué que la veille du départ. Heureusement, l’autrice avait apporté son enregistreur – ce qui a pu sauver des enregistrements – mais le matériel professionnel a été rendu bien tardivement et a obligé l’équipe à trouver des solutions pour effectuer les prises de son d’ambiance avant le départ.

L’entretien menée avec l’une et l’autre m’apprend par ailleurs que Véronique Lamendour a accompagné Laure-Anne Bomati dans la construction dramaturgique en la rassurant sur le fait qu’elle pouvait laisser le temps à la parole de se déployer longuement. Ici, la réalisatrice lui a donné confiance pour aller dans le sens de son écriture. Mais, en tant que réalisatrice, elle a aussi fait des propositions pour stimuler la narration et a invité l’autrice à faire entendre sa voix dans les interstices des témoignages car il lui importait d’entendre ce qui animait le projet. Il n’est encore une fois pas question de se revendiquer auteur, mais d’être dans une relation de collaboration avec l’auteur.

5. Autour de Kaye Mortley

Les sons sont comme des pensées qui se mélangent. Ce n’est jamais monochrome. Je ne cherche pas à restituer le réel comme il s’exprime. Je prends le réel et je le retourne dans tous les sens jusqu’à être un kaléidoscope. Je trouve qu’il y a trop de paroles, je voudrais qu’il y en ait de moins en moins [11].

Ces phrases prononcées par Kaye Mortley ont une densité poétique et lorsqu’on l’invite à parler de son travail, il y a ces échappées dans le langage qui ponctuent la conversation. Des paroles, il y en a mais c’est leur disposition, leur résonance qui les fait vivre plutôt qu’un sens organisé à la manière du discours. Le discours cadre le langage, il est une organisation établie dans la logique d’une transmission d’information. Et c’est cela que fuit Kaye Mortley, nous semble-t-il. Il n’est pas question d’enfermer un auditeur ni de s’enfermer soi-même. Comment alors concilier un esprit qui aime vagabonder dans le réel avec les logiques de production que nous venons d’énoncer ? Si les sons sont comme des pensées qui se mélangent, est-ce qu’on peut être libre de penser quand on est contraint ? Si le réel est un kaléidoscope à force d’être retourné, est-ce que l’exercice peut se combiner à deux ? Peut-on demander à deux esprits d’écrire en « kaléidoscopie » ? Ou l’énergie qui circule dans les jeux d’associations entre les sons n’est-elle pas si fragile qu’elle doive être seule avec elle-même ? Je me suis demandée comment Kaye Mortley faisait pour produire des documentaires avec un tel sens du fragment dans le montage qu’il en vient à ressembler à une composition musicale faites de motifs, d’éclats, de virgules et parfois aussi d’unités syntaxiques de discours organisé.

N’ayant pas eu accès au témoignage de Manoushak Fashahi, il m’est impossible de développer les modalités de leur collaboration. Néanmoins, il n’est pas incohérent d’avancer que pour être réellement auteur, il est nécessaire de créer ses espaces de liberté tant que cela est possible. Une question s’impose : est-ce que la logique de production à laquelle nous accordons notre attention est en accord – au sens musical du terme – avec la pratique de Kaye Mortley ? Convenons que pour écrire avec des fragments de réel, il est nécessaire d’enregistrer beaucoup de matière, ce qui implique une disponibilité de temps mais aussi une attitude à l’égard du terrain. Cette disponibilité est synonyme de liberté accordée à l’auteur, liberté qui se joue dès l’enregistrement, or la production de documentaires à France Culture repose sur une répartition des tâches. La technique n’est pas l’affaire de l’auteur, car la technique est un métier nécessitant un savoir-faire. Il est important de souligner que les métiers sont protégés. Le problème survient quand les plannings de l’organisation du travail restreignent les possibilités de récolter, cueillir les sons qui pour certaines œuvres, dont celles de Kaye Mortley, sont comme des notes de musiques dans une partition. Nombreux sont les auteurs qui se sentent dépossédés de leur écriture à partir du moment où ils ne peuvent assurer leurs enregistrements car c’est dans ces moments décisifs que la matière commence à vivre et il faut pouvoir l’écouter vivre, se laisser traverser par elle, se mettre en résonance avec elle, avec ces sons du monde, ces voix, ces rencontres qui se font au micro et qui parfois ne pourraient se faire autrement. La logique de l’interview programmée ne convient pas à toutes les écritures. Il faut parfois pouvoir mener de brèves conversations, circuler et enregistrer des instantanés de vie.

À France Culture, l’auteur est pris dans un réseau de relations, heureux pour certains, contraignant pour d’autres, habitués, comme Kaye Mortley, à glisser parmi les fonctions sans distinction et qui considèrent les phases de production non pas comme des phases techniques mais comme faisant partie du mouvement de l’écriture. Un auteur se construit au fil des années et, dans sa construction, les contextes de production éprouvés sont décisifs. Kaye Mortley, en produisant des émissions pour la radio australienne où elle a commencé sa carrière, puis en circulant dans les radios européennes, a été placée dans des situations d’écritures divergentes. Il n’y a qu’à France Culture que les fonctions sont ainsi compartimentées. Ailleurs, le producteur est responsable du fond comme de la forme et œuvre seul jusqu’au moment du mixage où il travaille avec un ingénieur du son. Alors ce moment du mixage est décisif. La majeure partie des témoins entendus considèrent les mixeurs comme des magiciens qui deviennent de plus en plus essentiels à mesure que le temps de la réalisation est compressé. Tous ont parlé de l’importance du mixage comme étant le moment ultime où la rencontre se fait avec un nouveau collaborateur découvrant le projet et le révélant par une nouvelle écoute. À de nombreuses reprises il aura été question du mixage comme d’une pratique mystérieuse et alchimique.

*

Cette enquête m’amène à formuler une conclusion en demi-teinte quant à la capacité qu’aurait France Culture à faire émerger des voix singulières mais aussi à accompagner des auteurs pourtant reconnus dans le paysage du documentaire de création radiophonique, tant les contraintes pèsent sur tous les acteurs. Mais il n’en reste pas moins vrai que la diffusion d’un documentaire sur France Culture est symboliquement importante pour un auteur ; il s’y joue parfois une question de légitimité. De même que l’on ne niera pas l’importance des belles expériences de collaboration vécues tant par des auteurs que par des réalisateurs.

Notes

[1] Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan et Ina éditions, « Mémoires de radio » 2013.

[2] Nous employons ici le verbe « participer » pour souligner le fait que Kaye Mortley a construit son œuvre en circulant dans diverses radios à l’échelle internationale et que les modalités de productions éprouvées dans ces radios ont elles aussi façonné la fabrique de son œuvre.

[3] Présentation des émissions sur le site internet de France Culture.

[4] Christophe Deleu, op. cit., p.172. C. Deleu cite Jean Tardieu, « Pour un Atelier de création radiophonique – projet », texte daté du 24 avril 1968, publié dans Cahiers de la Radiodiffusion, n°62, octobre-décembre 1999, p.153.

[5] Ibid., p. 171.

[6] Dans le vocabulaire en cours à Radio France, l’auteur du projet investit la fonction de producteur délégué.

[7] Défaut d’ingérence : paroles de casques bleus en ex-Yougoslavie (production déléguée avec Anne Kropotkine), Véronique Lamendour (réalisation), Irène Omélianenko (production), France Culture, L’atelier de la création, 3 septembre 2014. Et Didier-Georges Gabily (1955-1996) : Revenir sur les lieux, Nathalie Salles (réalisation), Irène Omélianenko (production), France Culture, Une vie, une œuvre, 3 juin 2017.

[8] Radios finnoises, suisses, belges, allemandes et australienne.

[9] C’est ainsi que j’ai vécu la collaboration avec l’une et l’autre et je reconnais dans ces entretiens, l’énergie des deux réalisatrices avec lesquelles j’ai eu à collaborer.

[10] Société civile des auteurs multimédias.

[11] Kaye Mortley, entretien avec Séverine Leroy, octobre 2021.

Bibliographie

Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, 50 ans de France Culture, Paris, Flammarion, 2013.

Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan et Ina éditions, « Mémoires de radio » 2013.

Kaye Mortley, La tentation du son, Arles, Phonurgia Nova, 2013.

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Laure-Anne Bomati (production déléguée), Véronique Lamendour (réalisation), Tôt ou tard… Quitter Tanger, dans Création on air, prod. Irène Omélianenko, France Culture, 28 septembre 2016.

Éric Cordier (production déléguée), Nathalie Salles (réalisation), XIE, Picabian night, dans Création on Air, prod. Irène Omélianenko, France Culture, 2 décembre 2018.

Kaye Mortley (production déléguée), Manoushak Fashahi (réalisation), Le voyage, dans L’Expérience, prod. Aurélie Charon, France Culture, 20 octobre 2019.

Auteur

Séverine Leroy est maîtresse de conférences en études théâtrales à l’Université Catholique de l’Ouest à Angers et « apprentie documentariste » sonore. En fonction des productions, elle est autrice indépendante ou productrice déléguée pour France Culture (Défaut d’ingérence : paroles de casques bleus en ex-Yougoslavie, avec A. Kropotkine en 2014 et Didier-Georges Gabily 1955-1996 : Revenir sur les lieux, en 2017). Après avoir consacré sa thèse à la poétique de la mémoire dans l’œuvre théâtrale de Didier-Georges Gabily (2015), elle a essentiellement développé ses recherches en direction des processus de création en s’intéressant à l’archivage, la documentation et désormais le documentaire sur le geste créateur (La fabrique du spectacle : http://www.fabrique-du-spectacle.fr/ UOH, Univ.Rennes2, projet européen ARGOS). Elle est membre du consortium européen réuni dans le projet ARGOS : observatoire des processus de création (Europe Créative Culture 2018-2021). Elle mène des activités de recherche création en lien avec les pratiques sonores de la recherche et réalise des documentaires sonores à dimension artistique ou de recherche. Ses documentaires sonores liées aux processus de création sont : Variation Rothko : une immersion sonore, 30’16, 2021 ; À l’écoute du Purgatorio au TeatrO Bando, 31’06, 2021 ; Sonorités d’une partition scénique : La terra dei lombrichi, 34’22, 2021, tous trois issus des terrains européens du projet ARGOS. Le documentaire audiovisuel : C’est quoi être ensemble ? Dans le processus de création de Sauvage, réal : Séverine Leroy et Henri Huchon, 44’00, 2021, s’ajoute à cet ensemble. Ces productions sont accessibles via le lien suivant : https://www.lairedu.fr/recherche/?re=argos. Séverine Leroy a par ailleurs co-fondé le collectif Micro-sillons à Rennes en 2012 avec Anne Kropotkine et mené des réalisations sonores (avec Gwendal Ollivier) en s’intéressant particulièrement à la puissance poétique des matériaux archivistiques (Les sons de l’arrière, 2015 ; Sur les routes : petites et grande histoire de la décentralisation théâtrale, 2016 ; Sur écoute, 2016.) En 2019, elle signe un documentaire consacré à l’histoire de l’ADEC qu’elle réalise en compagnonnage avec Henry Puizillout (Histoires d’amateurs : les cinquante ans de l’ADEC, 2019). En avril 2022, elle sera en résidence de création avec le CNCA (Centre National pour la Création Adaptée) de Morlaix pour un documentaire sonore dans le service enfance de la fondation Ildys à Brest.

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Michel Butor, le temps infinitif… et la radio

À plusieurs reprises, j’ai sollicité la participation de Michel Butor dans mes « documentaires de création ».

Le documentaire de création est un produit radiophonique curieux : ni Hörspiel, ni art acoustique, ni fiction, ni musique – surtout pas ce qu’on appelle un « reportage » – il est hybride, mutant, un peu orphelin…

Et s’il semble puiser sa matière dans le réel, c’est l’imaginaire qu’il prise.

« Mais l’imaginaire est dans le réel, et nous voyons le réel par lui », dit Butor… « Une description du monde qui ne tiendrait pas compte du fait que nous rêvons ne serait qu’un rêve »…

Trois courts extraits des émissions Combien de lieues jusqu’à Babylone… ? (1999), C’est au printemps qu’on moissonne les moutons et des Antipodes aux Antipodes (1985) nous révèlent une certaine façon de « rêver le réel ».

À chaque fois, Butor grossit son texte tout en approfondissant sa réflexion sur le support du poème – affiche, radio, livre – et sur les rapports complexes de l’écrit et de l’oral.

Nous ne nous demandons pas ici quelle place tient la radio dans la genèse de ce poème (car existe-t-il pour Butor une forme définitive de ses textes ?) ; nous examinons plutôt les recherches poétiques, à la fois formelles et sonores, menées par l’écrivain grâce au support radiophonique.

Auteur

Née en Australie, Kaye Mortley a fait des études de littérature française à Sydney (licence), Melbourne (master) et Strasbourg (doctorat), puis enseigné un temps à l’université avant d’intégrer le département « Fictions et documentaires » de l’Australian Broadcasting Corporation. Deux bourses, du gouvernement français puis du gouvernement finlandais, lui permettent de faire une année de stage à l’Atelier de création radiophonique de France Culture puis trois mois à l’Yleisradio d’Helsinki, renommée pour ses archives de « son naturel ». Basée à Paris depuis 1981, elle réalise des documentaires sonores pour l’A.C.R de France Culture, ainsi que pour de nombreuses radios d’état en Europe et pour l’Australian Broadcasting Corporation. De nombreux prix internationaux (Futura, Europa, Italia, IRAB, grand prix de la SCAM) ont salué la qualité de son travail à de nombreuses reprises. Elle a coordonné en 2013 l’ouvrage collectif La Tentation du son (Phonurgia nova éditions).

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