Soupault vaudeville

Résumé

Partant du constat que Soupault, auteur d’un essai sur Labiche, admirait en lui l’auteur de comédies de caractère (le plus grand après Molière…) plus que le vaudevilliste, l’article interroge la référence explicite au vaudeville dans deux pièces radiodiffusées de Soupault, La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». L’examen de la série Le Théâtre où l’on s’amuse produite par Soupault et Chouquet de 1953 à 1956 et des émissions du poète sur Labiche d’une part, du choix du médium radiophonique pour la diffusion de ces deux pièces d’autre part, encadre cette analyse.


 Focusing on the fact that Soupault, author of an essay on Labiche, admired him as the author of character comedies (the greatest after Molière…) more than the writer of vaudeville, the article questions the explicit reference to vaudeville in two radio plays , La Fille qui faisait des miracles [The Girl who performed Miracles], “vaudeville in four acts and a prologue” (1951) and La Maison du Bon repos [The House of Good Rest] (1976), “tragi-vaudeville in five acts and a prologue”. A first part is devoted to a review of the series Le Théâtre où l’on s’amuse [Theatre to have fun] produced by Soupault and Chouquet from 1953 to 1956, and of the poet’s programs on Labiche. The last part comments on the choice of the radio medium for the creation of the two plays.


Texte intégral

Cet article aurait pu s’intituler « Soupault et Labiche », car son point de départ est bien la relation du poète surréaliste au célèbre vaudevilliste du XIXe siècle, qu’il a considéré à partir de 1942 comme le plus grand auteur comique français après Molière. Mais en réalité, si Soupault tenait Labiche en si haute estime c’est moins comme auteur de vaudevilles, genre facile, léger, agréable mais superficiel – et produit phare de l’industrie du théâtre au XIXe siècle ‒ que comme auteur de véritables comédies de caractère, et profond observateur de la société bourgeoise du Second Empire [1]– d’où vient la famille de Soupault [2]. Il y revient souvent dans son essai sur Labiche rédigé en 1942-1943 [3], d’abord publié en 1945 puis, dans un texte refondu et nuancé, en 1964 : « […] Labiche n’était pas seulement un habile vaudevilliste mais un créateur de caractères [4] » ; « Il n’a jamais cédé à la tentation, comme le faisaient les boulevardiers […], de briller aux dépens du caractère de ses personnages [5] ». Le vaudevilliste, écrit Soupault, est un « fabricant de farces [6] » qui ne recule devant aucun artifice, aucune invraisemblance, aucune outrance pour faire rire, tandis que l’auteur comique est un observateur du genre humain qui fait rire en montrant l’homme (le bourgeois dans le cas de Labiche) tel qu’il est, au naturel. L’un est un farceur ; l’autre un auteur sérieux. En bref, Labiche, tout en étant un vaudevilliste de talent, a échappé aux lois du genre en suivant une vocation qui s’inscrit d’ailleurs dans les sous-titres de ses 160 pièces connues : à la vingtaine de vaudevilles composées jusqu’en 1859 succèdent des comédies-vaudevilles (environ 70) et comédies « mêlées de chants » ou « de couplets » (une vingtaine) d’une part, jusqu’en 1861, d’autre part des comédies tout court, « intitulé exclusif de son œuvre à partir de 1870 jusqu’à la fin (1877) [7] ». Tout l’essai de Soupault construit et peut-être même durcit une opposition entre vaudeville et comédie qui nous empêche à notre tour de parler de Labiche comme d’un simple vaudevilliste. Or Soupault de son côté a délibérément choisi le terme de vaudeville pour caractériser deux de ses pièces radiodiffusées après la guerre, plus exactement la première et l’avant-dernière : La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), initialement sous-titré « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue [8] ». Que signifie cet attachement au genre ou au terme du vaudeville, non seulement dans l’élan de l’essai sur Labiche après la guerre, mais encore vingt-cinq ans plus tard ? Nous pointerons d’abord, sans trop insister sur la distinction comédie / vaudeville, l’implication de Soupault homme de radio en faveur d’un « théâtre où l’on s’amuse », avant d’interroger la référence au vaudeville dans les deux pièces citées et pour finir le choix du médium radiophonique.

1. Soupault entre comédies et vaudevilles

1.1. Le théâtre où l’on s’amuse

Le théâtre où l’on s’amuse est le titre d’une série produite par Soupault et Jean Chouquet au milieu des années cinquante durant trois saisons, de novembre 1953 à mai 1956 [9], conservées quasiment au complet par l’Ina (32 émissions sur 34). L’émission est programmée la première année sur la Chaîne parisienne, la chaîne grand public, à raison de deux fois par mois (dans la première quinzaine). Elle est diffusée les deux années suivantes sur la Chaîne nationale, réputée plus sérieuse et culturelle, à un rythme mensuel. Un petit dialogue-préface entre les deux producteurs et un de leurs acteurs indique au début de la première émission l’intérêt et l’ambition de la série : les théâtres ont du mal à trouver des pièces comiques, qui pourtant abondent dans le répertoire ; les deux producteurs se font fort d’en proposer très régulièrement aux auditeurs, françaises ou étrangères, sans négliger les auteurs vivants ; tout ce qu’ils souhaitent, c’est de leur faire passer un bon moment assis chez eux dans leur fauteuil, comme s’ils étaient au théâtre. L’esprit de l’émission est donc simple et les producteurs s’y tiendront, en fuyant aussi le genre sérieux dans les quelques préfaces ajoutées ici et là aux pièces, toutes traitées à la manière d’un petit sketch dialogué, vivant et léger [10].

Dans ce répertoire, les grands noms du vaudeville et du boulevard ont la part belle : Labiche, Feydeau, Courteline, Henry Becque ; Meilhac et Halévy, Tristan Bernard, Marcel Achard, Sacha Guitry, André Roussin et, pour les étrangers, Bernard Shaw. Quelques auteurs comiques célèbres font leur entrée dans la série dès les débuts avec Molière et Gogol, mais les producteurs privilégient le genre farce sur la haute comédie : de Molière ils donnent Georges Dandin, et de Gogol un vaudeville (adapté par Soupault), Le Mariage. De Shakespeare une comédie gaie et une farce, dans des adaptations de Soupault : Comment on dresse une garce (13 mars 1954, d’après La Mégère apprivoisée) et Les jeunes commères de Windsor, farce en cinq actes (1er juin 1955). Même sélection du genre gai quand la deuxième année, passant sur la Chaine nationale, ils puisent dans l’œuvre de Vigny, qu’on n’attendait pas là, et de Musset (Quitte pour la peur et Il ne faut jurer de rien[11]. La dernière émission de la série avant l’été 1956 semble donner le ton de cette entreprise de divertissement : l’hilarant Ubu roi d’Alfred Jarry (5 mai 1956). Mais plutôt qu’une farce ou un vaudeville, c’est une comédie que Soupault choisit pour prendre congé des auditeurs dans l’ultime émission, en septembre : Rendez-vous à Senlis de Jean Anouilh, « pièce rose » mêlant au comique une note d’amertume, comme en réaction à l’arrêt inopiné de la série au seuil d’une nouvelle année, arrêt visiblement imposé aux deux producteurs [12].

Ce balancement final de Jarry à Jean Anouilh indique bien l’éventail des rires proposés dans ce « théâtre où l’on s’amuse », mais redisons quand même l’avantage numérique donné aux pièces de boulevard… à l’exception de Labiche : dans son cas précisément, Soupault s’est attaché à donner la priorité à l’auteur de comédies, avec trois émissions, sur l’auteur de vaudevilles (une émission) [13].

1.2. Le « moment Labiche »

Labiche est, avec Le Misanthrope et l’Auvergnat, le premier auteur dramatique adapté à la radio par Soupault. L’adaptation de cette comédie-vaudeville en un acte passe dans le cadre des Soirées de Paris (Chaîne nationale) en septembre 1953, soit deux mois donc avant le démarrage du Théâtre où l’on s’amuse. Les auditeurs de cette série assez éclectique ne pouvaient guère imaginer la place occupée par Labiche dans le palmarès de Soupault, même si, le soir de Moi (4 décembre 1954), la préface dialoguée plaidait déjà pour une réhabilitation de son génie comique. Quelques années plus tard en revanche, Soupault semble être devenu à la radio française celui qu’on vient chercher et qu’on interviewe dès qu’il est question de Labiche. Entre 1960 et 1964 notamment, il n’arrête pas d’en parler. C’est son grand « moment Labiche ». Le point de départ est une série de douze émissions conçue par lui sous le titre « Situation de Labiche en 1960 » [14] et diffusée tous les vendredis du 25 novembre 1960 au 10 février 1961 dans la très sérieuse Heure de culture française de la Chaîne nationale [15]. La série repasse deux fois telle quelle (sous un titre un peu modifié quand même), toujours dans la collection Heure de culture française, d’abord de novembre 1963 à février 1964, puis de juillet à septembre 1964 [16], soit avant et après la sortie en février 1964 de l’édition revue et augmentée de son essai de 1945 sur Labiche [17], à laquelle la série radiophonique a du reste servi de matrice. Autour de cette série et de ses rediffusions, on a aussi des interviews, des préfaces parlées à des radiodiffusions de pièces de Labiche assurées par d’autres producteurs.

Le côté surprenant de la série est que Soupault… s’y prend au sérieux, lui qui a le sérieux en horreur ! Sous prétexte de parler de l’actualité du théâtre de Labiche, le poète parcourt de façon assez monotone sa vie et son œuvre, en suivant un fil chronologique. L’exercice, qui relève de la causerie pure, sans audition d’extraits de pièces, est aussi appelé entretien, plutôt que conversation par exemple, et même une fois exposé [18], par les speakers chargés des annonces et désannonces, ce qui est révélateur du manque de légèreté et de liberté de ton de Soupault par rapport aux genres de la parole enseignante. De surcroît, sans doute parce qu’il se sait mauvais conférencier, il lit son texte, et plutôt mal (trébuchements, fréquentes déglutitions), ce qui paraît incroyable chez un homme de radio de son expérience, si soucieux par ailleurs d’innover dans ses émissions de variétés (théâtre, poésie). Du ton adopté au choix de la chaîne et du programme accueillant les douze émissions, l’Heure de culture française, tout se passe en réalité comme si le poète avait changé de cible par rapport à la série Le Théâtre où l’on s’amuse : cette fois il ne veut plus distraire le grand public, mais plutôt convaincre le public cultivé de la grandeur méconnue du génie de Labiche, que la Comédie-Française remet de son côté à l’honneur durant ces années. Reste à savoir si cette entreprise de réhabilitation, qui est un de ses chevaux de bataille favoris, devait nécessairement se faire dans le style critique le plus académique, sur la chaîne la plus culturelle et dans une des émissions les plus sérieuses de la chaîne… Pour reprendre une des expressions favorites du poète, il n’a pas voulu « faire le malin », et c’est dommage.

Il existe cependant une version enrichie de la série, diffusée du 3 mars au 19 mai 1963 sur France 4-Haute Fidélité (rebaptisé France Musique en décembre suivant) sous le titre « Théâtre de Labiche » : dans cette version, les causeries de Soupault sont complétées par l’audition de scènes spécialement interprétées pour l’émission. Certes, il y a parfois un rapport assez lâche entre le sujet d’une émission et les scènes de Labiche qui la complètent. Certes, Soupault laisse à la speakerine le soin d’annoncer les extraits des pièces et n’ajoute rien à son texte de 1960 pour les introduire ou mettre en perspective. Mais la série a au moins le mérite de produire une anthologie de textes, dont le choix revient sans doute à Soupault et qui nous renseigne à la fois sur la perception qu’il a de Labiche au début des années soixante et sur celle qu’il voudrait faire passer [19]. Disons en résumé que, conformément à l’orientation des causeries, ce corpus Labiche privilégie les grandes années de l’auteur (les années 1850 et surtout 1860) et ses grands succès, en équilibrant les goûts du public et les siens (concession : La grammaire, best-seller des patronages) [20], mais en restant dans le genre de la comédie ou de la comédie-vaudeville plus que du vaudeville pur, à l’exception du Voyage de M. Perrichon, qui, tout en étant sous-titré comédie, est pour Soupault le vaudeville par excellence de Labiche et même la réalisation exemplaire du genre, « le vaudeville du vaudeville ». La quatrième émission (21 avril 1963) justifie ce choix en parlant de Labiche comme d’un auteur inégal, poussé par le goût du jour à travestir des caractères en personnages de vaudeville (« confusion regrettable ») et en invitant à préférer les pièces où se manifeste l’« observateur attentif » aux « pièces en un acte », aux « farces » et aux « pochades » de l’auteur.

2. Le vaudeville : oui et non

2.1. L’attrait du vaudeville

Il y a quelque chose d’étonnant dans cette insistance de Soupault à vouloir sauver Labiche de ses vaudevilles par ses comédies, et l’amuseur par le peintre cruel de la société bourgeoise de son époque. Parallèlement en effet, lui-même cède à l’attraction du vaudeville, au point de vouloir absolument inscrire le mot en sous-titre de sa première pièce radiodiffusée après la guerre, La Fille qui faisait des miracles. Le mot est présent dès le premier jet de la pièce, en trois actes, commencé à l’université de Pennsylvanie où Soupault est Visiting Professor en 1944-1945 [21]. Peu après, quand il veut revenir au théâtre c’est encore un vaudeville, Le Parasite, inspiré du roman de Dostoïevski Les habitants de Stepanchikov (1859), qu’il va présenter à son vieil ami Marcel Herrand, directeur du Théâtre des Mathurins, lequel l’accueille finalement en 1952 dans Les Lundis de Paris, la série qu’il produit sur Paris Inter [22]. Plus tard, en 1966, Soupault écrit pour la télévision un projet de vaudeville resté inédit, Le plus grand amour, réunissant entre autres un M. Percepied, pharmacien prospère, un M. Chantefort, contrôleur des contributions directes, un M. Tirelaine, « professeur à l’école de pharmacie, pédant » et un M. Tartempoil, « jeune homme invité comme cure dent ». Et l’enveloppe air mail sur lequel il inscrit au verso la première liste des personnages porte aussi le projet de dédicace suivant : « À la mémoire d’Eugène Labiche, son disciple en toute humilité » (ensuit réduit en : « À la mémoire d’Eugène Labiche ») [23]. En 1974, il consacre un texte au Sexe faible, le seul vaudeville de Flaubert, pour saluer son centenaire [24]. Et son avant-dernière pièce, La Maison du bon repos, sous-titrée « comédie » dans le recueil À vous de jouer !, est comme on l’a vu conçue comme un « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». La lettre au réalisateur qui l’accompagne la présente comme « une comédie qui est peut-être une farce » : en réalité, elle accompagnait la première ébauche de la pièce, conservée à l’IMEC, intitulée Risques et périls et carrément sous-titrée « farce radiophonique [25] ».

Il y a au fond chez Soupault, stimulé par sa relecture en prison du Théâtre complet de Labiche dont il devient un fervent « disciple », un goût évident du théâtre gai et divertissant, et toute sa difficulté semble avoir été de conserver une place dans sa propre création théâtrale à cette veine-là du théâtre pour rire, exemplairement incarnée dans le vaudeville ou la farce. Elle heurte en effet une autre de ses préoccupations, prédominante dans une pièce comme Rendez-vous (publiée en 1957, créée à la radio en 1960), qui est de donner à penser, de poser des questions, de faire réfléchir [26]. Mais les inédits de théâtre conservés à l’IMEC témoignent sans ambiguïté en faveur de ce Soupault vaudevilliste et plus généralement humoriste. On y trouve un vaudeville en trois tableaux, Charmant réveillon, écrit dans la pure tradition du genre ; une adaptation, sous le titre Encorneur, d’une comédie de mœurs anglaise en cinq actes de William Wycherley, The Country Wife (1675) [27], inspirée de diverses pièces de Molière ; cinq saynètes de deux ou trois pages tout à fait dans l’esprit loufoque, nonsense et absurde d’un Tardieu, d’un Ionesco ou d’un André Frédérique, à qui deux d’entre elles sont dédiées : Medium, On ne vous a pas tout dit, Comment allez-vous ?, Qu’est-ce qu’il faut entendre, Toujours tout de même et Les bons comptes font les mauvais amis [28].

Il reste que ce corpus est demeuré inédit et que tout ce que Soupault a laissé jouer ou publier obéit aussi et parfois d’abord à son autre pulsion, qui est de faire réfléchir le public, à la manière d’un Pirandello, d’un Synge ou d’un Raymond Roussel dont il reconnaît les influences [29], et d’être par là un auteur sérieux : « Toutes mes pièces », dit-il à Serge Fauchereau, « proposent des interrogations. Je voulais que les spectateurs soient obligés (après avoir écouté mes pièces) de se poser des questions. Le contraire, somme toute, du théâtre pour les digestions d’après-dîner [30]. » La Fille qui faisait des miracles et La Maison du Bon repos représentent, au début et à la fin de sa carrière théâtrale, deux manières de concilier ces deux aspirations classiques à plaire et instruire à la fois.

2.2. Du théâtre poétique au théâtre de questions

La Fille qui faisait des miracles est un drôle de vaudeville [31].

Une jeune fille, Pâquerette, attire à elle divers fantoches intéressés par sa réputation de faire des miracles : un garçon d’hôtel, la dame pipi de l’hôtel, un journaliste, un ecclésiastique, un soi-disant médium, sans parler de son père qui s’accroche à elle comme un parasite. La pièce trouve son dénouement quand Pâquerette, fatiguée d’être prise pour ce qu’elle n’est pas (un médium pour l’un, une guérisseuse pour un autre, une sainte, une vedette, une sœur de charité, une bête curieuse, une pin-up… ou, pour son père, une source de revenus), décide de n’être aucun de ces personnages et de partir avec Julien le chauffeur de taxi, qui seul voit en elle une femme.

On peut identifier dans cette pièce deux ou trois éléments de vaudeville : le recours au procédé du quiproquo, présent dans les jeux de méprise qui s’enchaînent sans répit ; le caractère burlesque des principaux vis-à-vis de Pâquerette ; l’aspiration au calme du personnage principal, qui est selon Pierre Voltz « la caractéristique majeure du “genre Labiche” », dont « [l]es personnages n’ont qu’un souci : rester immobiles, se défendre, faire face [32] ». Mais on ne retrouve pas dans la pièce, sauf dans un épisode mineur (scène des téléphones à la réception de l’hôtel : on ne sait plus où donner de la tête), l’extraordinaire vivacité de rythme elle aussi caractéristique du genre Labiche, avec ces moments d’emballement ou d’affolement [33]. Les dialogues ou sorties des personnages secondaires font sourire, mais presque jamais ceux qui impliquent Pâquerette. Soupault, qui n’aime pas faire de l’esprit, n’exploite pas non plus le comique possible des situations de quiproquo. Il semble même prendre bien soin de repousser au second plan le topos de la fille à marier, pris ici à rebours (le père ne veut pas se séparer de sa fille, qui est son gagne-pain), comme pour mieux le faire surgir à la fin, dans sa fragile fraîcheur, en écho peut-être aux figures insolites, énigmatiques, merveilleuses, de l’amour fou surréaliste (Nadja de Breton), mais aussi au théâtre de son ami Jean Giraudoux (le type de la jeune fille [34]).

Car la véritable ambition de Soupault avec cette pièce n’est pas encore de poser des questions (même si les dialogues avec Pâquerette, trop longs et sérieux, tirent dans ce sens et cassent le rythme), mais de « projeter sur la scène l’atmosphère de la poésie [35] », comme c’était l’ambition de plusieurs poètes surréalistes de ses amis dans les années vingt (Roger Vitrac, Georges Neveux…) ; cette atmosphère de légèreté, de rêve qu’il trouve dans une pièce de Tzara comme Mouchoir de nuages [36] et retrouve dans le théâtre de Giraudoux. Avec Pâquerette, Soupault met en effet au centre de son espèce de vaudeville un personnage auréolé de grâce, là où Labiche construit, avec ses types les plus réussis (Perrichon, Célimare, Chambourcy), des personnages « auréolés de comique [37] ». Ainsi, la marque du vaudeville n’est là que pour souligner et mieux faire émerger, par contraste, la merveille de grâce, de fraîcheur et d’insolite du personnage central.

Dans La Maison du bon repos en revanche, vingt-cinq ans plus tard, la préoccupation d’un théâtre poétique a complètement disparu. La pièce s’inscrit très nettement dans la suite des pièces « à questions » qui la précèdent : Rendez-vous (1960, un acte), d’atmosphère très beckettienne, mise en ondes par l’excellent Alain Trutat (un des plus grands), Alibis (1973) et Le Sixième coup de minuit (1973), deux pièces en un acte d’allure policière. Les trois pièces traitent de l’au-delà, du jugement dernier, des comptes à rendre sur la vie qu’on a menée. La première a encore quelque chose de drôle mais les deux autres plus du tout. Toutes les trois relèvent d’un « théâtre de l’étrange » (pour reprendre le titre de la série sur France Inter qui diffuse Alibis) plus que de ce théâtre de l’absurde « illustré et exalté par Beckett et Ionesco [38] ». Avec La Maison du bon repos, diffusé sur France Culture dans la série Comédie française, Soupault change de formule et tente un mélange de l’étrange et du farcesque pour traiter du problème du génie et de la folie, plus généralement de la personnalité : « Qui sommes-nous ? Que sont nos amis, nos voisins et même nos parents ? »

Deux étudiants fuyant l’orage frappent à la porte d’une maison isolée qui s’avère être, ils l’apprennent à la fin, une maison de fous. En l’absence du vrai médecin, tous les personnages se livrent à leur manie, se prennent pour le personnage de leur rêve, y compris deux des infirmiers qui, après avoir enfermé les deux autres, jouent au médecin. Les deux étudiants sont donc admis « à leurs risques et périls », répète avec une inquiétante insistance l’infirmier sinistre et autoritaire qui leur ouvre la porte, qui se présente à eux comme le médecin de la maison et qui très vite va décréter que l’un d’eux doit être opéré de l’appendicite et l’autre soigné pour alcoolisme. L’atmosphère est à la fois inquiétante et drôle : l’insistance maniaque des faux médecins à opérer les deux étudiants, la panoplie de fantoches (Soupault parle de « caricatures » dans la lettre-préface), les dialogues de sourds absurdes… Si le comique des portes qui claquent, des courses-poursuites et des placards où l’on se cache n’est pas exploité, Soupault fait une place nouvelle au comique de répétition, procédé qu’il jugeait facile dans son essai sur Labiche. Mais le ressort vaudevillesque par excellence reste en ce qui le concerne celui des quiproquos, comme dans La Fille qui faisait des miracles. La Maison du bon repos, le quiproquo des identités lui permet, en jouant sur les deux tableaux du rire et de l’angoisse (c’est un « tragi-vaudeville ») de mettre au centre de la pièce, non plus un personnage, mais une question, qui semble à la fin n’épargner personne, étudiants et vrai médecin compris. On sort de la pièce moins diverti qu’inquiété, songeur [39].

3. Le choix du medium radio : un choix par défaut ?

3.1. Un faible intérêt pour l’écriture sonore

Les deux vaudevilles évoqués sont-ils des pièces radiophoniques ? C’est la question qu’on peut se poser pour terminer.

La réponse est claire pour La Fille qui faisait des miracles : il s’agit en réalité d’une pièce écrite pour le théâtre et non pour la radio, et radiodiffusée faute de pouvoir être montée sur une scène. L’adaptation au medium est doublement négligée : d’une part la dactylographie établie pour la mise en ondes, qui évoque encore à quelques endroits un improbable « rideau de scène », conserve un grand nombre d’indications visuelles impossibles à faire passer au micro. D’autre part la réalisation de 1951, pourtant due à Jean-Wilfrid Garrett, l’inventeur de la stéréophonie, néglige complètement l’espace sonore (plans, bruitages de mouvements et autres bruitages), de sorte que l’auditeur entend une succession de dialogues entre des voix situées presque toujours sur le même plan, sans aucune suggestion d’entrée, de sortie, de mouvement des personnages, ce qui est un comble pour un vaudeville. Par ailleurs deux récitants, dont un appelé « l’auteur » dans la dactylographie, ont la charge de raconter ce que ni l’auteur ni le réalisateur n’ont pris la peine de transformer en didascalies internes ou en éléments sonores compréhensibles à l’oreille.

La pièce a donc emporté l’adhésion [40] malgré ses défaillances évidentes de technique radiophonique. Nous n’avons pu écouter la nouvelle mise en ondes de la pièce par Jacques Reynier en 1977 [41], avec Ludmila Mikaël, appréciée de l’auteur, mais la comparaison des versions de 1951 et de 1977 (celle publiée dans À vous de jouer !) montre tout le travail d’amélioration effectué par Soupault en collaboration avec son réalisateur, notamment dans le sens d’une réduction des dialogues et des didascalies (texte du récitant), ainsi que d’une oralisation des dialogues. La réalisation de 1992 [42], par Anne Lemaître, est quant à elle une merveille de légèreté et d’espace sonore (bruitages judicieux, netteté des sons, mise en espace des voix, qui viennent de devant, de derrière, de droite, de gauche ; un seul récitant).

Il en va différemment dans La Maison du bon repos (1976), pièce d’emblée conçue pour la radio et dans le souci de l’écriture sonore, plus spécialement des bruitages et du jeu des voix. C’est la première fois que Soupault écrit, avec plaisir d’ailleurs, pour le micro et non pour la scène (il était temps !). Mais on est stupéfait de lire, dans la lettre-préface à son premier réalisateur Jacques Reynier, qu’il semble aussi avoir attendu de travailler avec lui (à partir de 1964, pour des émissions de la Comédie-Française) pour découvrir la réalité du travail de metteur en ondes :

Vous m’avez permis d’assister à des séances de mixage. Quel drôle de mot ! Et au cours de ces séances j’ai remarqué que si le texte d’une pièce avait son importance, il était nécessaire d’accorder, comme dans la vie quotidienne, aux bruits et aux sons une présence. J’ai donc en écrivant cette pièce, essayé de donner un rôle à ce que vous appelez le bruitage (reconstitution artificielle, comme l’affirment les dictionnaires, des bruits naturels qui doivent accompagner l’acteur) [43].

Ses efforts pour intégrer les particularités de l’écriture pour l’oreille semblent d’ailleurs avoir été un peu tâtonnants : la première ébauche déjà citée de la pièce, Risques et périls, affecte à chaque personnage un timbre de voix bien différencié, comme Soupault l’avait fait en 1942 dans Tous ensemble au bout du monde, à l’époque où la basse qualité des micros incitait certains dramaturges des ondes à travailler la typologie des voix. La version suivante (titre : La Maison du bon repos, surtitre : « 180 kms à l’heure ») [44] supprime ces indications mais propose encore un récitant, qui disparaît de la version finale. Bref, le métier n’est pas venu d’un coup, et la mise au point de la pièce a certainement bénéficié des conseils de son réalisateur Jacques Reynier, dont Soupault salue à la fois la science et l’érudition.

Reste dès lors la question de savoir pourquoi Soupault a tant tardé à écrire pour la radio, mais aussi pourquoi, s’il était si peu intéressé par les questions d’écriture propres au medium, il a fait jouer ses pièces de théâtre à la radio.

3.2. Posture de raté et désir de succès

Soupault avait l’habitude de dire que ses pièces n’avaient pas eu la chance de trouver leur metteur en scène ou leur théâtre, compte tenu du coût d’une telle entreprise et de la faible espérance de succès commercial qu’il pouvait en attendre. Un texte peut-être inédit de 1959, conservé à l’IMEC, revient longuement sur son goût très précoce du théâtre, ses premiers contacts avec le monde des coulisses, « l’esprit de compromis », voire « les bassesses indispensables » dont doit faire preuve un acteur ou un auteur qui a l’ambition de réussir dans ce domaine, les « échecs ou demi-échecs » d’un Roger Vitrac, d’un Georges Neveux dans les années vingt, abordant comme lui le théâtre en poètes : « Ces échecs ou demi-échecs (provisoires) m’apprenaient malheureusement pour moi ce que j’aurais dû deviner depuis longtemps que le théâtre en France est un commerce plus inquiétant encore que les autres et que pour y réussir il faut accepter toutes les servitudes commerciales [45]. » On pourrait voir dans ces propos une variation sur le thème du poète raté, posture qu’il n’a cessé de revendiquer au long de sa vie et encore dans l’entretien-préface du recueil Sans phrases publié en 1953, à l’époque donc de son retour au théâtre :

J’ai toujours été effrayé par le succès parce que j’en ai mesuré les conséquences. Le succès corrode comme l’acide – ou corrompt. Il y a une association pourriture-succès qu’on est bien obligé de dénoncer. Je crois aux ratés, aux vrais. Les deux poètes que j’admire le plus, Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, furent des ratés intégraux. »

Et il ajoutait : « Je sais que ce n’est pas facile d’être un raté, je sais que le succès est enivrant. […] Mais je hais le succès. […] je crois qu’il faut être délibérément un raté [46]. »

Tout cela est plausible, mais ne peut faire oublier les démarches tentées pour être joué sur scène : Soupault se tourne vers la radio parce que le théâtre ne veut pas de lui, non parce qu’il ne veut pas du théâtre. Il ne veut pas de ses « servitudes commerciales », mais cela ne l’empêche pas d’écrire avant la guerre une pièce pour Jouvet (Pacifique) ni de démarcher après la guerre quelques directeurs de théâtre, dont son ami Marcel Herrand, en s’appuyant sur quelques exemples de réussites inimaginables ou improbables à ses yeux, qui lui donnent espoir dans le contexte neuf de la Libération : celui de Giraudoux dans les années trente, celui d’Anouilh, qui lui paraît miraculeux, ceux plus tard de Beckett et de Ionesco, mérités mais partis sur des malentendus dit-il [47].

Peut-être a-t-on là aussi une raison pour laquelle Soupault a choisi de revenir au théâtre par des pièces comiques, et même d’adopter, pour sa première pièce d’auteur, le titre aguicheur de vaudeville. Tout en dévaluant l’intérêt du genre chez Labiche (comparé à la comédie de caractères où s’exprime son génie), n’aurait-il pas quant à lui misé quand même sur l’attraction de l’étiquette, la réputation de divertissement facile et « grand public » du genre ? Soupault n’a pas, semble-t-il, abandonné après la guerre le désir d’un succès populaire. Toutefois la concession ne vas pas jusqu’à faire de La Fille qui faisait des miracles un pur vaudeville. D’abord sans doute parce qu’il ne peut pas se résoudre à faire des « pièces commerciales », comme il dit ; mais aussi peut-être parce que ce n’est pas si facile, et que tout le monde ne peut pas être Labiche, Achard ou Feydeau. Il en convient dans ses réflexions de 1959 : imiter Marcel Achard, André Roussin, Marcel Aymé, Félicien Marceau, comme on le lui conseille quand il se plaint de son insuccès : « facile à dire [48] ». Ce sera finalement plus facile pour lui de connaître la réussite populaire comme producteur, avec Jean Chouquet, du Théâtre où l’on s’amuse (1953-1956) et surtout de Prenez garde à la poésie (1954-1956).

Conclusion

Interrogé pourquoi il a arrêté d’écrire des poèmes entre Sans phrases (1953) et les poèmes recueillis dans Crépuscules, datés 1960-1971, Soupault renvoie à son activité théâtrale : « Cette activité qu’on connaît mal, sauf heureusement à la radio, devrait, à mon avis, justifier le silence du poète [49]. » Si l’insolite est sa grande préoccupation de poète, alors en effet Soupault poète continue dans ses pièces de théâtre à vouloir sortir ses lecteurs et/ou son public de la routine, du banal, que ce soit avec le personnage insolite de Pâquerette dans sa première pièce, ou avec une question insolite dans l’avant-dernière : ne sommes-nous pas tous fous ?

Dans ce parcours théâtral, Labiche s’impose à lui comme un maître et aussi comme un nouveau double après tant d’autres [50] double, dans lequel il retrouve et projette son aspiration à la simplicité : l’homme est simple, son style est simple, son art, « délibérément simplifié » et de ce fait exemplaire (aisance, naturel, simplicité), « est le plus simple » (ni placards, ni quiproquos, ni naissances cachées, ni coups de théâtre…) ; ses personnages sont « des types très simples » (égoïstes, vaniteux « à l’état pur ») [51]. Soupault aime cette simplicité d’existence, de style, d’univers (un seul type, le bourgeois), la modestie de Labiche que le succès n’a pas corrompue, et son regard cruel sur les bourgeois – qui détestent tant les poètes. Il aime aussi qu’on ait méconnu ce Molière du XIXe siècle et que son rôle soit de le réhabiliter : au fond, c’est un raté comme il les aime, auquel la postérité va rendre justice, en partie par son intermédiaire…

Mais s’il met les comédies de Labiche plus haut que ses vaudevilles, Soupault garde visiblement un faible pour le vaudeville. Il en écrit deux dans la pure tradition de légèreté du genre, le premier pour la scène (Charmant réveillon), le second pour la télévision (Le plus grand amour). Il en donne deux autres à la radio, revus et adaptés cette fois à ses préoccupations de théâtre poétique (La Fille qui faisait des miracles) ou de théâtre métaphysique (La Maison du bon repos). Le vaudeville devient ainsi, de façon surprenante mais explicable, la référence générique de deux de ses pièces les plus longues et les plus réussies, au début et à la fin de sa carrière radiophonique d’après-guerre. Comme pour dire que, si le monde est plein de questions, il y a toujours place pour le rire.

Notes

[1] « J’ai été le premier surpris quand je me suis rendu compte que cet auteur était l’observateur le plus lucide de la classe dominante pendant le Second Empire, un observateur qui ne craignait pas d’être cruel, impitoyable même, comme l’avait été l’auteur du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire. » (Vingt mille et un jours, p. 124).

[2] Soupault, dit-il à Serge Fauchereau, retrouve dans les personnages de Labiche le milieu bourgeois de sa famille (Vingt mille et un jours, Paris, Belfond, 1980, p. 125).

[3] L’essai est commencé en prison à Tunis en 1942 et terminé à la libération de Soupault à l’automne de cette année (ibid.). Sur la « découverte » de Labiche, v. aussi « Philippe Soupault se déclare pour Labiche », Le Monde du 7 mars 1964 (interview par Thérèse de Saint-Phalle).

[4] Philippe Soupault, Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, Paris, Mercure de France, 1964, p. 162. Les caractères à ses yeux les plus marquants, véritablement « auréolés de comique », sont Perrichon, Célimare, Chambourcy. Soupault module cependant le thème « Labiche créateur de types » en notant qu’un Perrichon descend directement de Prudhomme et plus loin de M. Jourdain (p. 171).

[5] Id., p. 125. Et encore : « La lecture de toutes ses pièces autorise […] à écrire que l’étude des caractères n’est jamais sacrifiée à la volonté de faire rire. Beaucoup d’occasions se présentent dans les aventures des individus qui permettraient de les rendre grotesques, plus ridicules encore ; Labiche ne cède pas à la tentation que les vaudevillistes acceptent toujours » (p. 144).

[6] Id., p. 180.

[7] Pierre Voltz, « Le genre Labiche », Europe, n°786, octobre 1994, p. 69. Le point important pour Soupault est que Labiche, tout en excellant dans le rythme de ses pièces, accorde plus d’importance aux situations, et plus encore qu’aux situations, à la peinture de caractères (Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 142).

[8] Manuscrit conservé au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[9] Exception ou prolongation : la diffusion d’une pièce d’Anouilh après l’été 1956, le 29 septembre, qui met un point final à la série.

[10] Préface à la diffusion du Mariage de Gogol le 3 décembre 1953 ; préface à la diffusion de Moi de Labiche le 4 décembre 1954.

[11] Notons aussi l’effort pour faire passer des auteurs très contemporains : une émission « Farces et attrapes » (1er avril 1954), propose aux auditeurs de la première saison d’écouter une salade de sketches, mêlant Ionesco, Prévert et Queneau ou le duo Poiret/Serrault encore à ses débuts, à des amuseurs et revuistes célèbres comme Raymond Souplex, Rip, Max Régnier.

[12] V. la préface de Soupault à l’émission.

[13] Vaudevilles (en un acte), diffusés le 3 décembre 1956 : Un jeune homme pressé (1848), L’affaire de la rue de Lourcines (1857) et La Main leste (1867). Comédies, diffusées les 7 janvier, 6 mai et 4 décembre 1954 : Les 37 sous de M. Montaudouin (1862, un acte), Célimare le bien-aimé (1863), « comédie-vaudeville » en trois actes et Moi (1864, trois actes). Moi est la première « comédie » destinée par Labiche à la Comédie-Française, où elle ne connut qu’un succès d’estime. Soupault avait un faible pour elle.

[14] Soupault continue avec Labiche un type de série critique inauguré avec Musset en 1956-1957, pour le centenaire de sa mort. Cependant le rythme et la durée des émissions ne sont pas les mêmes : la série sur Musset est mensuelle et totalise neuf émissions d’une heure incluant la diffusion d’extraits de pièce, du 26 décembre 1956 au 16 octobre 1957 ; celle sur Labiche est hebdomadaire et totalise douze émissions de dix à quinze minutes, sans diffusion d’extraits de pièce.

[15] Son prétexte semble avoir été la reprise à la Comédie-Française de deux pièces de Labiche. De même en 1964, les rediffusions précèdent et suivent la diffusion de la comédie Moi sur France Inter (12 mars 1964), jouée par les Comédiens-Français dans une mise en ondes de Jacques Reynier.

[16] France Culture, du 17 juillet au 25 septembre 1964.

[17] Ce « moment Labiche » a donc aussi une fonction promotionnelle du livre de Soupault, même assez indirecte et finalement décevante (l’ouvrage s’est mal vendu).

[18] Dans la version renommée « Théâtre de Labiche », émission du 12 mai 1963.

[19] Neuf pièces y figurent (dont deux à deux reprises), ce qui est somme toute très peu rapporté à l’édition du Théâtre complet en dix volumes (Calmann Lévy, 1878-1879) qu’il avait en mains : Un chapeau de paille d‘Italie, comédie en cinq actes, le premier grand succès (1851) ; Les 37 sous de M. Montaudouin, comédie en un acte de 1862, « une des plus aimées du public » selon Soupault ; Le Voyage de Monsieur Perrichon (1860), comédie en quatre actes ; La Poudre aux yeux (1861), comédie en deux actes et La grammaire, comédie-vaudeville en un acte de 1867, les deux pièces préférées des patronages ; La Cagnotte (1863), comédie-vaudeville en cinq actes ; Célimare le bien-aimé (1863), comédie-vaudeville en trois actes ; Le Misanthrope et l’Auvergnat (1852), comédie en un acte mêlée de couplets ; et pour finir L’Affaire de la rue de Lourcines (1857), comédie en un acte. Soupault fait aussi lire dans la deuxième émission des extraits de La Clé des champs le seul roman de Labiche (1839).

[20] Soupault évite Les Trente millions de Gladiator, « mis en scène comme une farce » à la Comédie-Française au début des années 1960, mais s’abstient aussi de donner des extraits de Moi, qui est sa comédie préférée.

[21] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 4.1. Manuscrit de 73 ff.

[22] La pièce est présentée comme une « comédie en trois actes », mais Soupault en parle fréquemment ensuite comme d’un vaudeville. Dans les entretiens avec Serge Fauchereau (Vingt mille et un jours, op. cit., p. 114) et dans À vous de jouer ! (Lyon, Laffont, 1980, p. [13], il rappelle qu’à l’origine le roman de Dostoïevski est lui-même un « vaudeville transformé en roman à cause de la censure tsariste ».

[23] Documents conservés au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 6.14.

[24] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.35.

[25] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 8.4. La dernière pièce diffusée, Étranger dans la nuit, est quant à elle une « tragi-comédie » en un acte (À vous de jouer !, op. cit., p. 155).

[26] Le recueil de 1980 place ainsi en tête la pièce Rendez-vous, écrite et diffusée après La Fille qui faisait des miracles, pour donner le ton.

[27] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.6. Pièce traduite en France sous les titres La Provinciale, ou L’Épouse campagnarde.

[28] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.5. Toujours tout de même est dédié « À la mémoire de Queneau, d’André Frédérique et d’Alphonse Allais », Comment allez-vous ? « à Ken Ritter, à Jean Tardieu, à Eugène Ionesco ». Les saynètes sont rangées dans la même chemise qu’une version de S’il vous plaît, le sketch écrit avec Breton au début des années Vingt.

[29] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 123.

[30] Ibid.

[31] Soupault fait des vaudevilles en trois actes ou plus, au lieu de vaudevilles en un acte comme souvent chez Labiche : c’est le format des grandes comédies. Il y ajoute aussi un prologue, ce qui les rend plus sérieux encore.

[32] Pierre Voltz, art. cit., p. 78.

[33] On ne retrouve pas non dans cette pièce l’observation lucide d’un milieu présente dans les comédies de caractère de Labiche.

[34] Isabelle dans Intermezzo, Ondine dans la pièce du même nom, Geneviève dans Siegfried, Électre dans la tragédie du même nom…  Jacqueline Chénieux-Gendron voit aussi dans Pâquerette un « personnage giralducien qui, telle l’Électre de Giraudoux, laquelle choisit d’épouser le jardinier, choisit, elle, le chauffeur de taxi, Julien, plutôt que de faire fortune grâce à ses dons » (« La voix de Soupault et l’espace du théâtre », in Patiences et silences de Philippe Soupault, textes réunis par Jacqueline Chénieux-Gendron, en collab. avec Myriam Bloedé, Paris, L’Harmattan, 2000 p. 115.

[35] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[36] Id., p. 113.

[37] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 162.

[38] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[39] On peut cependant regretter le caractère assez lourdement didactique que prennent les dialogues après le retour du vrai médecin, quand chaque pensionnaire est interrogé sur sa véritable identité et la décline docilement pour l’édification des étudiants et du public.

[40] V. une lettre d’auditeur conservée à l’IMEC dans le dossier de la pièce (cote SPT 4.1), et le souvenir de Soupault dans ses entretiens avec S. Fauchereau.

[41] La fille qui fait des miracles, Jacques Reynier (réal.), France Culture, décembre 1977. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R19919.

[42] France Culture, mars 1992. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R27843.

[43] À vous de jouer !, op. cit., p. 164. On peut dès lors se demander à qui l’on doit les indications de dramaturgie sonore présentes dans les trois premiers sketches de 1941-1942.

[44] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[45] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… » [1959], Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.37.

[46] Poèmes et poésies, Grasset, 1973, p. 377-378. V. Vingt mille et un jours, op. cit., p. 226 : le raté est celui « qui refuse les concessions. L’ambition de la pureté ». Soupault aime en Labiche l’auteur à succès malgré lui en quelque sorte, du moins qui est resté simple, modeste, humble en dépit du succès.

[47] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… », art. cit.

[48] Ibid.

[49] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 227.

[50] V. Myriam Boucharenc, L’échec et son double : Philippe Soupault romancier, Paris, Champion, 1997.

[51] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 145-146.

Auteur

Pierre-Marie Héron est Professeur de Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) et Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.

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François Billetdoux ou le Boulevard détourné


L’article revient sur la qualification de Billetdoux comme « auteur de boulevard », écrivant des intrigues de vaudeville. Il relit pour cela Tchin-Tchin (1959), pièce sans doute la plus responsable du malentendu, tout en s’autorisant des incursions dans Le Comportement des époux Bredburry (1960) qui interroge aussi la vie de couple, et dans l’« épopée bourgeoise » que constitue Il faut passer par les nuages (1964). Il s’agit de montrer comment les principes du boulevard sont « ironisés » et comment la mécanique attendue s’intériorise au profit d’un rituel de dépouillement quasi initiatique.

The article addresses the question raised by the expression “bedroom farce author” about Billetdoux and some plots of his theatre as falling within the “vaudeville”. In that perspective, Tchin-Tchin (1959), which is probably the most responsible for the misunderstanding, is chosen as main object, with incursions into Le Comportement des époux Bredburry (1960) that also questions the couple’s life, and into Il faut passer par les nuages (1964), which is an epic about the middle-class. The aim is to show how the principles of the boulevard are twisted and made fun of, and how the expected principles of bedroom-farce theatre get more internalized to virtually become a stark initiatory ritual that is very remote from the conventions of bedroom farce theatre.

 


Texte intégral

 

« … tenter d’accommoder luxueusement et abruptement
quelques formes traditionnelles du spectacle
aux nouvelles manières de saisir le temps qui passe. »
(Lettre à Jean-Louis Barrault, 16 mars 1963)

François Billetdoux est présenté comme un « auteur de boulevard » dans l’encyclopédie que Bordas consacre au théâtre en 1980, tandis que le Petit Robert parle de « vaudeville traditionnel » pour caractériser l’intrigue de ses pièces. L’aurions-nous mal lu ? Pour le vérifier, nous avons choisi de revenir à sa pièce Tchin-Tchin, la plus populaire et boulevardière en apparence, créée en 1959 au Théâtre de Poche-Montparnasse à Paris, traduite dans dix-neuf langues, représentée dans vingt-huit pays. Il y est question de l’épouse d’un chirurgien au nom assez ridicule, Mrs Paméla Puffy-Picq, qui fait la rencontre d’un homme, entrepreneur en bâtiment, autour de verres consommés sans modération. On pense alors à du théâtre bourgeois, convenu et sans surprise. On semble loin de l’épopée métaphysique de Comment va le monde, Môssieu ? Il tourne, Môssieu ! donnée à voir quelques années plus tard (1964). La programmation de la pièce en novembre 1962 dans une tournée Karsenty, avec Daniel Gélin et Madeleine Robinson dans les rôles principaux, peut accréditer encore cette impression. Mais alors, comment comprendre la reprise de la pièce par Peter Brook, assisté de Maurice Bénichou, au Théâtre Montparnasse vingt-cinq ans plus tard, en 1984 (avec dans la distribution un certain Marcello Mastroianni…) ? Cela invite à aller au-delà des apparences. Autour de Tchin-Tchin, deux autres pièces nous permettront d’élargir nos analyses et de questionner davantage l’appellation d’auteur de boulevard : Le Comportement des époux Bredburry, qui date de 1960, et Il faut passer par les nuages (1964).

1. Premiers écarts génériques

Dans le vaudeville, et plus largement dans le théâtre de boulevard, le personnage n’a pas d’identité propre, tant il est « dépourvu de substance » pour jouer le rôle « d’un instrument destiné à mettre en œuvre l’intrigue [1] ». Comme l’écrit Michel Corvin, les personnages du boulevard « sont les rouages – somme toute secondaires – d’un dispositif agencé pour les besoins d’une démonstration [2] ». Beaucoup d’entre eux sont interchangeables et s’apparentent à des types récurrents d’une œuvre à l’autre, voire à l’intérieur d’une même pièce. Que l’on songe ainsi aux deux prétendants d’Henriette dans Le Voyage de monsieur Perrichon (1860) d’Eugène Labiche (1815-1888), aux scènes 3 et 4 de l’acte I. Comme le fait remarquer Corvin à propos d’une pièce de Guitry : « l’amant ne saurait être qu’amant, la femme qu’infidèle à son mari et maîtresse de l’amant, le mari que cocu [3]… »

Leur classe sociale est secondaire par rapport à leur métier ou à leur statut familial. Certes, ils appartiennent pour la plupart d’entre eux à l’univers de la bourgeoisie, sans remettre en question son fonctionnement. Mais on ne saurait y voir pour autant une peinture fidèle de cette classe. Le prétendre, comme le fait Philippe Soupault à propos de Labiche [4], c’est faire selon Henri Gidel « un contresens total [5] ». Car le bourgeois, dans ce théâtre, n’est « nullement défini par son appartenance à un groupe social déterminé [6]», mais par opposition à « l’artiste », peu soucieux du conformisme et des biens matériels. Le bourgeois sur scène doit répondre à une esthétique théâtrale, être un anti-héros, une source de comique. Il n’a que très peu de « réalité sociologique [7] ». Et il en est de même chez Feydeau : « On aurait tort […] de chercher dans cette œuvre […] une peinture, même caricaturale, de la société de la “Belle Époque” [8]. »

Quant à l’espace, il « est très généralement figuratif [9] », soucieux d’illusion réaliste pour installer le spectateur dans un cadre bourgeois, un salon très souvent : « C’est que l’espace dans les pièces de Boulevard est un lieu de passage et de rencontres [10] […] » Comme les personnages, le lieu est au service de l’action, tout particulièrement dans le vaudeville où les portes peuvent se multiplier sur scène jusqu’à l’invraisemblance. Michel Corvin proposait d’ailleurs de donner à cette forme théâtrale « le titre générique de “Les portes claquent” [11] ».

L’intrigue cependant s’installe rarement dans une époque donnée, elle n’a pas le souci d’un ancrage historique tant elle fait appel aux clichés, aux conventions qui traversent le temps. Comme le fait remarquer l’encyclopédie Larousse en ligne (article sur le théâtre de boulevard) : « C’est l’inactualité même des pièces de Guitry (nul n’a moins que lui reflété son époque) qui fut le gage de leur succès. »

Sacha Guitry illustre bien par ailleurs une autre caractéristique du théâtre de boulevard et la principale fonction scénique des personnages : l’échange de bons mots. C’est en effet « un théâtre de la parole [12] ». Michel Corvin parle à son propos de « conversation sous un lustre [13] ». Le comique de mots y occupe une large place : « […] le spectateur assiste souvent à une véritable fête du langage [14] ». Et les mots d’auteur s’y multiplient. Il s’agit de faire rire à tout prix.

La pièce Tchin-Tchin et les deux autres œuvres convoquées, répondent-elle à ces critères génériques? C’est ce que nous nous proposons de mesurer.

Notons déjà un premier écart avec le Boulevard : le cadre temporel de la pièce semble en décalage avec les attentes sur cette forme théâtrale. L’action est située « à Paris en 1958 », « à l’époque de la conception de l’ouvrage [15]». Et cela se traduit par une couleur locale précise dans le texte lui-même :

Alors, les tagliatelles [16] faisaient figure de nouveauté, les pizzerias étant peu nombreuses, le whisky ne se vendait pas dans les épiceries arabes et la nuit, les Halles [17], pour les gens de toute espèce et les rats et au petit matin les oiseaux, étaient encore le lieu le plus enchanteur au cœur de la capitale, qui cette année-là perdait la tête [18].

Le contexte historique est plus affirmé encore dans Il faut passer par les nuages. Non seulement l’action est de nouveau située à l’époque de l’écriture de la pièce, « en l’année 1963, au long des quatre saisons [19] », mais certaines réflexions semblent annoncer mai 1968 et des formes de vie en vogue dans ces années-là. Cela est sensible dans les propos de Jeannot :

Si maman avait une ferme, je m’y retirerais, j’exploiterais, j’expérimenterais les nouveaux procédés en matière d’élevage, je ferais le pain moi-même, je vivrais du produit de mon travail, un bol de lait de chèvre au réveil, un œuf à la coque et une pomme à midi, puis la vie en plein vent […] (p. 197)

Marielle, la jeune bonne de seize ans (p. 240), fait allusion pour sa part à une célèbre chanson de 1962 en faisant la vaisselle : « Zut ! L’assiette est cassée. Où est-ce qu’est la poubelle, belle, belle ? » (p. 198). À la fin du premier « mouvement » passent des jeunes gens « qui chantent et dansent un twist » (p. 209).

Le désir d’émancipation sociale est lui aussi perceptible dans cette œuvre de 1964, quand Claire incite Manceau à « favoriser l’action des divers groupements ouvriers qui militent au sein de notre établissement afin qu’ils en arrivent à revendiquer très vite la co-gestion, puis l’auto-gestion » (p. 223). De même, les craintes sur l’importance donnée à l’« automation » (p. 234), à la modernisation, nous replongent bien, elles aussi, dans les années 1960. La grande Histoire fait même une discrète apparition avec la guerre d’Algérie, où Lucas « abandonnait sa faction pour s’égarer dans le désert vivre au milieu des Arabes […] » (p. 274).

Par leurs références historiques, les pièces de Billetdoux ne relèveraient donc pas du boulevard.

Qu’en est-il du trio traditionnel constitué par le mari, la femme et l’amant, et de la structure en trois actes récurrente dans cette forme de comédie ?

La structure des pièces de Billetdoux retenues dans notre champ d’étude est soit en quatre, soit en cinq temps, donc bien distincte du rythme habituel du vaudeville (les vaudevilles de Labiche en cinq actes, peu nombreux, sont perçus comme des écarts par rapport à cette norme).

Quant à l’intrigue, aucune de ces pièces ne repose sur l’infidélité conjugale : celle-ci est extérieure à l’action dans Tchin-Tchin, esquissée sans être vécue dans Le Comportement des époux Bredburry, et l’amant potentiel dans Il faut passer par les nuages appartient au royaume des ombres… Certes, l’institution du mariage est questionnée, tournée plusieurs fois en dérision, comme dans Le Comportement des époux Bredburry :

Rébecca. […] Sait-on jamais qui on épouse ! On regrette toujours [20].

L’inspecteur. […] Les événements se précipitent sur nous et nous en sommes tout étonnés.

John. Je pense que vous donnez là une juste définition du mariage. (p. 29)

John. Je suppose qu’ils sont malheureux tous les deux, puisqu’ils sont mariés ensemble. (p. 37)

Mais cette approche du mariage n’en reste pas moins elle-même d’une tonalité plus grinçante, plus cynique, que celle que l’on rencontre d’ordinaire dans un vaudeville.

2. L’accueil critique de Tchin-Tchin

Ce qui est certain, c’est qu’à la création de Tchin-Tchin en 1959, la critique théâtrale ne perçoit ni théâtre de boulevard, ni vaudeville. Marcelle Capron salue dans Combat la découverte d’un auteur « dès les premières répliques, dès les premiers silences, dès ce long presque-monologue de Césario Grimaldi […] » Elle se dit saisie « par la nouveauté du ton, par sa qualité aussi ». Elle dit son enthousiasme pour cette « voix encore in-entendue » qui parle d’un amour « qui vous porte plus loin que dans un lit », d’un village « où les femmes sont en deuil d’on ne sait quoi parmi les rochers ». Ce sont pour elle « des mots tout neufs, des images toutes neuves » d’un « jeune dramaturge-poète [21] ». Georges Lerminier, dans Le Parisien libéré, perçoit l’auteur comme « énormément spirituel, vaguement inquiétant » et juge sa pièce « amèrement humaine ». Il précise le ton en ajoutant « qu’il y entre pas mal de préciosité, une préciosité ironique, très consciente », cela à côté d’un humour qui reste dominant. Jean-Jacques Gautier, dans Le Figaro, croit « déceler dans son ouvrage une nécessité intérieure », « cette immanence si rare au théâtre ! » et invite ses lecteurs à aller voir la pièce, malgré son écœurement à voir des personnages « qui se pochardent». Prolongeant cette dernière remarque, Jean Vigneron dans La Croix, qui s’attendait justement à voir « un vaudeville » ou une autre forme théâtrale répertoriée dans l’histoire littéraire, n’y voit que l’emploi de l’alcool comme « nouveau ressort dramatique » (et confie s’être profondément ennuyé face à une œuvre « où se mêlent humour noir et considérations pessimistes »). Gabriel Marcel salue pour sa part dans Les Nouvelles Littéraires« un talent indiscutable », « une des bonnes surprises de cette saison », même s’il trouve la pièce « gênante », « d’un bout à l’autre ». Il ne peut que remarquer un dialogue « d’une qualité exceptionnelle. Serré, incisif », et la nouveauté d’une œuvre qui « sort absolument de l’ordinaire ». Morvan Lebesque ira même jusqu’à parler, dans Carrefour, de « chef-d’œuvre, [d’]un miracle de tendresse et d’ironie », nous maintenant en permanence entre rire et larmes. Il s’émerveille de la performance consistant à avoir bâti « une pièce avec deux personnages qui ne se quittent jamais et ce, sans aucune « astuce », sans le moindre décrochement scénique ». Il ne fait aucun doute, pour lui, qu’un « nouveau poète de théâtre » est apparu avec ce « spectacle qui tranche sur tout ce qui nous a été offert depuis le début de la saison ».

Si l’on synthétise cette rapide revue de presse, on notera l’insistance sur la nouveauté de l’œuvre aux yeux de ces critiques, sur le talent de son auteur. Ils y perçoivent tous une forme de rupture plutôt qu’une manière de s’inscrire dans une tradition, quelle qu’elle soit. Cette modernité est associée à un ton qu’il semble difficile de caractériser, où l’humour se teinte d’amertume de façon troublante, mais aussi à une langue originale et très soignée, voire précieuse, et à des dialogues d’une extrême précision. La dimension humaine et poétique de l’œuvre est soulignée, même si elle passe par l’ironie. Les premiers critiques nous conduisent donc bien loin des conventions du boulevard et de la mécanique du vaudeville.

3. Le couple autrement menacé

Ce qui retient l’attention dès qu’on entre dans Tchin-Tchin, c’est le décalage installé par Billetdoux dans la situation initiale elle-même. Nous sommes mis en présence d’un couple improbable, lui entrepreneur en bâtiment d’origine italienne, Césaréo Grimaldi, elle femme de chirurgien d’origine anglaise, Mrs Paméla Puffy-Picq, dans un salon de thé de « genre anglais » que l’entrepreneur en bâtiment ne doit pas habituellement fréquenter. Ils se reconnaissent à la photo que chacun a apportée, celle de leurs conjoints respectifs. Nous comprenons assez vite que ces conjoints forment eux-mêmes un couple illégitime et que la pièce nous met en présence des exclus, des délaissés de cette histoire d’amour. En cela, nous n’avons nullement le couple traditionnel du boulevard et les amants resteront absents de la pièce. Le troisième personnage ici sera Bobby, le fils que Paméla a eu avec son mari chirurgien.

Le décalage se manifeste aussi dès la première réplique en français de Césaréo, par la fantaisie de ses enchaînements, ou plutôt, de la discontinuité de ses propos : « Je ne connais que quelques mots anglais. Mother, father, kitchen, good bye, pencil. Et ceux que je vous ai dits, bien sûr. Et Shakespeare. » La référence à cet auteur introduit immédiatement une rupture avec la vraisemblance. Certes, il n’est pas impossible qu’un entrepreneur en bâtiment connaisse Shakespeare, au moins de nom, mais le surgissement de ce nom a un effet inattendu, déroutant, que la réplique suivante du personnage, citant un poème de Christina Georgina Rossetti (1830-1894) mis en musique par Charles Wood en 1916, confirme : « J’entends la musique ! “What is white? A swan is white, sailing in the light [22]”. Le nord ! Le vent marin ! Parlez-vous italien ? »

Une forme de décousu semble s’installer où le son, la musicalité des mots l’emportent, au profit des images qu’ils font surgir et qui semblent éloigner l’interlocutrice, comme si Césaréo s’adressait moins à elle qu’à lui-même. Ce début de texte montre que le dialogue est en lui-même problématique, pas seulement parce qu’il faut décider en quelle langue se fera la conversation, mais parce que chaque réplique semble inventer un langage, une musique, qui isolent celui qui la profère et rendent la communication difficile, incertaine. Certes, ce n’est pas la forme d’incommunicabilité qui caractérise le théâtre de l’absurde, car le personnage garde ici une présence, d’autant plus forte qu’elle est sonore, très intime. Mais le dialogue semble en quelque sorte miné par une tendance au monologue, plus exactement au soliloque (pour reprendre la distinction que Jean-Marie Lhôte propose de ces deux termes [23]), renforçant du même coup la solitude des personnages.

Cette parole qui semble avoir du mal à parvenir jusqu’à l’autre, peut prendre un air exalté, se perdre dans une démesure un peu inquiétante, ainsi de cet échange, après avoir bu du vin français qui « éveille des délicatesses » :

Césaréo. […] Tenez ! Vous me paraissez jolie dans ma brume. Dites-moi que je suis beau et fruité.

Paméla. No ! No !

Césaréo. Je suis vilain, vilain, vilain ! Soyez joyeuse, madame, s’il vous plaît ! Entraînez-moi ! Jouez de la cornemuse ! Mais ne restez pas plantée là, pleine de jugements, d’idées, de lois, de drapeaux ! Allons boire, que diable ! (p. 18)

La parole, autant sinon plus que l’alcool, conduit à des vertiges [24] qui malmènent les certitudes, les identités. Au fil de la pièce, Mrs Puffy-Picq est de moins en moins l’épouse d’Adrien, le chirurgien ; elle se réduit de plus en plus à Paméla, engagée dans une étrange relation avec le mari de la maîtresse du sien.

Pour autant, le nouveau couple en construction n’échappera pas à la solitude, et on les verra même « soliloquer » chacun de son côté à l’acte III (p. 40-41), prendre conscience de leur commune solitude un peu plus tard (« Paméla. Comme nous sommes seuls ! », p. 50), tenter de dialoguer avec une chaise, avec les choses (p. 47) [25] (car « il faut bien parler à quelqu’un ! »), s’adresser à l’autre sans être entendu de lui :

Paméla. […] Il y a quelques années à peine, j’étais adolescente et je savais qu’il y avait quelque chose de miraculeux à atteindre.

Césaréo. Vous me parliez ?

Paméla. Oui.

Césaréo. Je n’ai pas entendu. (p. 51)

Il est vrai que Paméla vient d’évoquer un passé proche mais révolu, qu’elle prend conscience de la distance parcourue depuis. Or ce passé est devenu inaudible, il ne parvient pas à l’oreille de Césaréo.

Dans Il faut passer par les nuages, c’est même un revenant des années 1920 qui exprime, pour Claire seule, leur bonheur d’autrefois : « […] nous nous en irons promener notre vieil air de jeunesse à pas lents, partout où nous aurons rêvé un baiser au bord de la bouche […] » (p. 186). On ne peut s’étonner de retrouver dans les répliques du personnage le décousu constaté dans celles de Césaréo :

Oh n’ayez plus de pudeurs sottes ! Il y a la guerre, il y a la guerre, comprenez-vous ? Partout ! Le monde est ouvert ! Aboli le temps qui dure ! Mon père est mort hier du côté des Ardennes. Et le vôtre, où est-il ? Vous ne me l’avez jamais dit ! Je veux faire l’amour avec vous. (p. 203-204)

Des vivants, Claire a elle aussi du mal à être entendue : « […] je ne connais autour de moi que des personnes sans oreilles » (p. 207). Et son acharnement à tout vendre ne peut déguiser ce qu’elle ressent : « Savez-vous que je suis bien seule ? » (p. 251).

Dans Le Comportement des époux Bredburry, Rébecca tente de son côté de préciser sa difficulté à communiquer avec son mari : « On ne s’entend pas. Au début, on cherche en tâtonnant. On ne dit trop rien. Puis on essaie des phrases, l’un et l’autre. Puis on s’aperçoit qu’on dit les mêmes mots et qu’ils ne signifient pas la même chose » (p. 24). Elle en est convaincue : « […] personne ne dit rien à personne. » (p. 65). Et Jonathan confirme plus tard son impression :

Notre solitude nous devient un peu plus sensible. Nous vieillissons face à face au lieu de vieillir côte à côte. Chacun voit dans les yeux de l’autre non pas la sottise de l’espérance, mais une attente qui n’a pas de nom et qui est peut-être la seule expression de l’amour. (p. 34-35).

Aussi, quand Elsbeth lui déclare qu’ils étaient faits pour s’aimer elle et lui, il s’insurge : « Non ! Non, vous vous trompez, chère amie. Personne n’est fait pour quelqu’un » (p. 59).

Dans les trois pièces retenues, la relation à l’autre est difficile, douloureuse, tant elle fait mesurer la solitude de chacun.

4. Boire pour redessiner la carte du Tendre

Bien sûr, l’effet de l’alcool explique partiellement l’exaltation fréquente de la parole dans Tchin-Tchin, si l’on veut conserver à la pièce une part de réalisme. Il peut permettre à Paméla d’être « sans retenue », si elle est « ivre morte » (p. 30-31). Il n’a pas le pouvoir de rendre heureux, selon Césaréo, seulement celui de mettre en mouvement l’intériorité d’un être : « Ce qui compte, c’est ce quelque chose que ça permet d’éveiller quelquefois par là-dedans » (p. 32). Mais la boisson semble avoir un rôle bien plus important encore. Ici, comme le dit Césaréo, on ne boit pas « pour oublier » (p. 54), mais « pour donner des couleurs », pour libérer l’imaginaire, pour voir la réalité autrement, la revisiter culturellement :

Et ce soir, par exemple, Mrs Puffy-Picq, je voudrais que vous soyez une négresse, mafflue et toute nue, dans un désert aux broussailles rares, et nous chanterions sous la lune pour conjurer les esprits. » Cela ne l’empêche pas de mesurer les résistances de sa partenaire, « impérialiste sans empire […] refusant les mirages et les oasis. (p. 18)

Mais c’est bien d’une quête intérieure qu’il s’agit à travers les verres consommés et qui fait écho à la phrase du mage Krishnamurti mise en exergue de la nouvelle édition de 1986 : « Tant que l’esprit est à la recherche de sa satisfaction, il n’y a pas une grande différence entre la boisson et Dieu. »

Cette dimension spirituelle prend la forme d’un dépouillement, d’un rituel, où il s’agit de se délester d’une vie passée, apparemment très heureuse pour Césaréo et Paméla, mais qui semble compromise pour l’un et l’autre depuis que leurs conjoints sont en couple.

Certes, le renoncement n’est pas facile, et ce n’est pas pour lui que Césaréo et Paméla se retrouvent, initialement, mais pour mettre sur pied une stratégie, une contre-attaque. Comme le déclare Paméla : « Nous avons décidé de séparer votre Marguerite et mon Adrien » (p. 19). Ils veulent encore y croire, Paméla du moins. Césaréo pour sa part paraît assez vite prêt à capituler (« Quelle importance ! Si elle ne me préfère pas à n’importe quel inconnu ! »), avant de rêver de reconquête : « Nous les retirerons de la circulation, nous les isolerons comme des fleurs précieuses. Marguerite, je l’emmènerai chez moi, dans mon village, où les femmes sont toutes en deuil d’on ne sait quoi, parmi les rochers. Et je l’enfermerai ! » (p. 20). Il oscille entre son envie de la reprendre, de « bramer » sa peine, son amour pour Marguerite, et son désir de se sacrifier pour le bonheur de sa femme :

[…] dire à toute une rue que j’aime Marguerite ! Que je pleure Marguerite, que l’on m’a prise parce qu’une Anglaise prévoyante n’a pas su retenir son mari dans son lit ! Pour dire que je suis tragique et que ça ne me va pas du tout, à moi, pauvre homme ! qui aime Marguerite comme le pain, parce que c’est bon et nécessaire, et que je comprends trop bien que quelqu’un d’autre aime le pain ! (p. 20-21)

Et : « Alors, je me dis qu’il est bien triste qu’une femme aussi belle que Marguerite et un homme aussi glorieux que votre époux ne vivent pas ensemble un amour admirable. » (p. 24).

Dès l’observation des photos apportées par l’un et l’autre au début de la pièce, il s’était exclamé : « Franchement ! […] Et regardez-les, l’un à côté de l’autre ! Comme ils sont beaux ! C’est à pleurer ! » (p. 16). Paméla, comme le lecteur ou le spectateur, s’en étonne : « Êtes-vous en train de dire que nous devons accepter […] Et les bénir ? » (p. 24) Césaréo confirme son désir à présent de « les laisser libres, oui », pour qu’ils « soient capables d’un amour énorme »… Une telle générosité, un tel don de soi et de ce que l’on chérit serait déplacé dans un vaudeville qui fonctionne avec des réactions attendues, les passions humaines ordinaires. Billetdoux choisit de toute évidence une autre façon de faire sourire son destinataire.

5. Aimer bien au-delà du lit

À contrepied du boulevard, l’homme et la femme réunis dans Tchin-Tchin ne forment pas un couple d’amants, au sens où on l’entend d’ordinaire.

D’une part, l’un et l’autre aiment profondément celle et celui qui les ont délaissés. La jalousie, si elle peut apparaître, reste très ponctuelle, éphémère, et n’est pas suffisante pour que l’entreprise de séparer les amants aboutisse. Ce sont eux qui l’éprouveront, une fois installés dans leur vie de couple (acte IV, scène 2, p. 58). Le plan est vite abandonné au profit d’une nouvelle relation à nouer entre Paméla et Césaréo.

D’autre part, ils ne cherchent pas à profiter de la situation, en se vengeant de leurs conjoints par une autre liaison adultérine. Quand ils se retrouvent dans une chambre d’hôtel de catégorie B (acte III, scène 2), c’est d’abord pour faire des économies en consommations, loin du Harry’s Bar (p. 29) qui avait remplacé le salon de thé de leur rencontre : « Césaréo. […] Savez-vous combien nous avons dépensé dans les cafés le mois dernier ? J’ai fait le calcul ! » (ibid.). En cela, il l’affirme, ils reprennent une pratique connue ailleurs qu’en France : « Dans tous les pays civilisés, il existe des clubs spécialisés où l’on peut louer des chambres uniquement pour y boire » (p. 30). Rien de très original à cela, selon lui. Ce décalage d’emploi de la chambre d’hôtel ne doit pas être interprété : « Ne faites pas une aventure d’un événement tout à fait banal. Buvons et bavardons » (p. 31). Le fils de Pamela, Bobby, est donc dans l’erreur quand il déclare à Césaréo : « […] je ne sais pas ce que vous fricotiez avec elle […] » (p. 33). Contresens bien naturel, bien facile. Il se croit dans le théâtre de boulevard et Césaréo doit lui ouvrir les yeux en disant à Bobby comment il voit sa mère : comme une autre Jeanne d’Arc : « C’est exactement le même genre de personne. Absolue, excessive, militaire ! Alors reconnaissez qu’on a lieu par moments de se montrer réticent. La grandeur, à la longue, ça fatigue ! » (p. 34). Elle ne peut donc pas être aimée « comme on doit aimer une femme » (p. 35) :

[…] c’est une personne qui regarde haut, elle, et pour qui l’amour n’est pas une occupation ni une situation, mais une raison de vivre ! Et ce n’est pas de la morale, ça ! Car cet amour-là ne vous étrique pas, ne vous limite pas, mais il vous porte et pas seulement dans un lit, mais plus loin, beaucoup plus loin. (ibid.)

Il y a une forme de ressemblance entre Césaréo et Paméla, plus « frère et sœur » (p. 52) qu’amants, car on devine que Césaréo parle davantage ici de son amour pour Marguerite, qu’on est de nouveau proche du soliloque. De ce fait, quand Césaréo fait sa déclaration à Paméla, on ne peut la croire vraiment sincère et authentique, non seulement parce qu’il est ivre mort et s’écroule sur un lit dès qu’il l’a terminée, mais aussi car son lyrisme a la particularité de mettre en scène une forme d’abolition du Moi, une dissolution, où l’objet aimé ne compte pas en lui-même mais pour la fusion avec le monde qu’il permet :

Je vous aime ! Vous êtes monstrueusement belle et vulgaire ! Comme une foule dans l’allégresse des victoires ! Je vous aime ! Vous êtes immense, immensément immense et chaude et bleue comme la Méditerranée. Emportez-moi ! Noyez-moi ! Respirons, respirons de toute la puissance de cette épaisseur bleue, toute remuée de poissons énormes et d’algues effrayantes ! Roulons-nous ! […] Je vous aime et je vous salue ! Et je vous dis que je vous aime, mais ce n’est pas moi qui parle ! C’est le vent ! Et vous êtes l’herbe ! Je vous caresse et ce n’est pas vous seulement que je caresse, c’est la terre ! Et ce n’est pas nous qui sommes là, c’est un tourbillon ! (p. 32)

Cette conception poétique de l’amour n’a rien à voir, on en conviendra, avec l’usage qui est fait de ce sentiment dans des œuvres commerciales et faciles.

6. Un réalisme mis à mal, une fantaisie de langage parfois plus convenue

En fait, la pièce s’écarte trop du réalisme pour s’apparenter au boulevard ou au vaudeville.

Par le personnage de Césaréo déjà, qui peut déclarer à Paméla : « Je ne suis pas fait pour ce monde-là ! Je ne suis pas réaliste, moi. Je suis bête, bête. » Il lui évoque ses enthousiasmes d’enfant à l’annonce d’une nouvelle naissance (« Et moi, je me roulais par terre ! »), son besoin de « vivre passionnément » (p. 28). De Marguerite, il peut dire : « Je la voulais heureuse et débordante comme je veux le monde brûlant autour de moi ! » (ibid.). Sa vie, il préfère la rêver quand elle ne répond pas à ses attentes, ce que lui reproche Paméla : « Vous rêvez, vous rêvez, vous rêvez ! Vous passez votre temps à rêver au lieu d’agir » (p. 23). Il est à des lieues de l’homme qu’elle espérait trouver en lui : « […] vous devez vous battre pour défendre ce que vous aimez […] Votre affaire est de vous montrer à la hauteur de ce que vous êtes, pour réduire votre adversaire sur un terrain qu’il n’a pas choisi » (p. 22). Ses accusations à son égard s’écartent elles aussi des propos attendus dans un tel cas : « Vous, vous êtes faible, vous êtes complaisant, vous êtes chanteur, vous êtes chèvre et chou, gris ! » (p. 46).

La langue, une nouvelle fois, détone avec fantaisie, soucieuse de sa sonorité (« chèvre et chou »), de sa liberté poétique, sans souci de sa vraisemblance. Cette liberté se manifeste pleinement quand Césaréo décline les diverses façons de dire « boire un verre » (p. 49-50), rappelant au passage le goût de Billetdoux pour le parler populaire, régional, paysan (« chopinons »). Sa longue réplique prend l’allure d’un petit cours sur la langue française, ses niveaux de langue, son histoire, sa conjugaison. On le voit recourir au dictionnaire pour constater son insuffisance : « Il n’y a rien dans le dictionnaire. Des mots ! Des mots ! Des mots ! Il faut dire : “À boire !” Il faut dire “Je brûle”, il faut dire “Hop”, n’importe quoi ! » (p. 50). Il avait précédemment cherché en vain le juste mot pour définir Paméla avant de capituler : « Il y a trop de mots dans ce dictionnaire » (p. 46).

Cette interrogation explicite sur la langue, on la retrouve plus discrètement dans Il faut passer par les nuages quand Verduret se reprend, après son emploi troublant d’un verbe : « Lorsque tu m’as engagé, je veux dire : quand nous nous sommes épousés… En anglais, c’est en anglais, il me semble, que l’on utilise le verbe « engager » pour l’autre […] » (p. 205).

La démarche de Bobby vers Césaréo, dans Tchin-Tchin, est elle aussi éloignée de tout réalisme, quand il vient le trouver parce que depuis un mois Paméla « reste enfermée toute la journée et a […] abandonné toutes ses activités […] ne s’occupe même plus de la maison, des repas ni de rien et […] a mis la bonne à la porte », tout cela, sans doute, pour se saouler (p. 33). Le voilà donc qui, pour sauver sa mère et parce qu’il n’aime pas les ennuis, vient l’offrir à Césaréo : « À mon avis, vous l’épouseriez, vous ne feriez pas une mauvaise affaire et moi, ça ne me dérangerait pas. En ce moment, elle est un peu remuée, mais c’est une femme pas mal » (p. 35). Billetdoux installe ses pièces dans un univers de fantaisie où l’improbable peut sans cesse se produire. Cette fantaisie se traduit aussi par un humour très fréquent, qui concerne les situations comme celle que nous venons d’évoquer, mais aussi le langage lui-même, des réparties surprenantes ou des propos paradoxaux. Césaréo apprenant de Bobby que son père va se remarier, lui réplique : « Eh oui ! un homme marié n’est pas fait pour vivre seul » (p. 34).

Quand Paméla et lui décident de s’enfermer ensemble, Césaréo se présente comme « un homme faible qui sait ce qu’il veut… » (p. 37).

On trouvera encore de ces notations plaisantes dans Il faut passer par les nuages, dans la bouche de Verduret : « Si vous avez un tempérament d’intellectuel, n’épousez jamais une veuve ! » (p. 180), ou dans celle de Paupiette parlant de lui : « Si ton beau-père avait du caractère au lieu d’avoir des idées… » (p. 181-182). Mais c’est Claire qui l’emporte dans ce domaine aussi, lorsqu’elle évoque son mari : « […] mon pauvre Verduret le soir feuillette quelque ouvrage ingrat, oubliant qu’il peut encore effeuiller la marguerite […] » (p. 203).

Un comique des évidences se manifeste dans Le Comportement des époux Bredburry, dans la bouche de l’inspecteur Coockle : « Si vous n’avez rien à me cacher, ne cherchez pas à me cacher quelque chose, car je m’en apercevrais » (p. 17) ; « Parce qu’il y a des situations inadmissibles ; je ne les admettrai pas » (p. 18). On y découvre aussi des enchaînements déroutants dans les propos de Rébecca : « C’est ce jour-là qu’il a démoli la porte du garage à coups de hache. Nous avons vécu de bons moments tous les deux. » (p. 23).

Il y a dans ces usages humoristiques du langage une forme de préciosité qui n’est pas sans faire penser à Jean Giraudoux. Toutefois, l’usage qui est fait du langage, quand il devient moins poétique, moins lyrique, plus soucieux de la phrase qui fait mouche, qui rappelle le « clou » cher aux auteurs de vaudeville, peut permettre de mieux comprendre pourquoi Billetdoux a pu être considéré comme un auteur de boulevard. Il y a bien, ponctuellement, dans ses œuvres, cet échange de bons mots caractéristique du genre. Il n’autorise pas pour autant une appellation qui demeure abusive, et ce point commun est sans doute lui aussi illusoire. Ne faut-il pas y voir plutôt, de la part de Billetdoux, un simple clin d’œil à un théâtre qui n’est pas le sien, et accorder plus de crédit à sa propre déclaration : « […] tenter d’accommoder luxueusement et abruptement quelques formes traditionnelles du spectacle aux nouvelles manières de saisir le temps qui passe » (Lettre à Jean-Louis Barrault, 16 mars 1963) ?

6. Repartir à zéro

L’enfermement ensemble que choisissent Césaréo et Paméla à la fin de l’acte II de Tchin-Tchin n’est qu’une étape dans le dépouillement qu’ils ont entrepris et qui s’accomplira pleinement à l’acte III. Jean-Marie Lhôte le dit « fondé sur les règles franciscaines, où règne la volonté de dépouillement, ce principe de pauvreté, le premier des Béatitudes [26] ». Césaréo se met ensuite à écrire quotidiennement à Marguerite pour l’accabler de reproches et l’injurier, avant de s’en lasser avec brutalité : « On ne parle pas à un volatile, on le consomme ! » (p. 43). Il rompt les ponts par le même moyen avec ses frères et sœurs et décide de ne plus leur donner un sou. Il remet la direction de son entreprise « au comité ouvrier qui assurera le partage des bénéfices » (ibid.). Quant à la « totalité de (ses) parts d’actionnaire », il la place entre les mains de son ancienne femme de ménage. Le personnel de son entreprise est licencié, le bilan déposé, et le capital est reversé à un organisme philanthropique. Le voilà ruiné, « quinze années d’efforts éliminés en quelques mots » (p. 44). On est loin déjà de celui qui voulait s’efforcer « de gagner beaucoup d’argent pour être protégé de tout », qui se rêvait « hygiénique et capitonné» (p. 28) ! Paméla et lui ont fait le vide autour d’eux, la rupture avec la société est généralisée :

Oui, qui nous reste ? Nous avons injurié les voisins, le concierge, votre époux, mon épouse, mes beaux-parents, mes frères et sœurs, le pasteur anglican, mon curé, mon adjoint, mon ancien capitaine, le commissaire du quartier – anonymement, mais quoi ! –, quelques amis familiers et nos relations les plus huppées. Bon. Qui nous reste ? (p. 45)

Ce progressif dépouillement de tout se retrouve dans Il faut passer par les nuages. Le titre de la pièce est en lui-même significatif. Emprunté à Joubert, il suggère une forme d’épreuve nécessaire, salutaire : « Pour arriver aux régions de lumière, il faut passer par les nuages. Les uns s’arrêtent là ; mais d’autres savent passer outre » (p. 169). Dès la séquence 15 du premier « mouvement », Maître Couillard l’annonce sans le savoir, en s’adressant à Claire « dans le privé de (sa) tête » :

[…] vous aimez gagner, vous savez perdre, vos victoires vous ennuient, vos défaites vous profitent […] les affaires de ma petite Madame se portent beaucoup trop bien […] nous sommes trop riches […] nous ne pouvons plus que perdre beaucoup d’argent […] Il faut reconvertir, oui, chère Madame. Nous devons tout reconsidérer à zéro, sacrifier la routine […] Peau neuve ! Peau neuve ! Il n’y a pas d’autre solution. (p. 200-201)

Et c’est à lui, tout naturellement, que Claire confie dès le début du deuxième mouvement la « reconversion » de ses biens au profit de son mari et de ses fils, à savoir ses « quatre volontés […] testamentaires » : « Je vous prie simplement d’étudier la façon la plus avantageuse de leur céder la plupart des actions, titres de propriétés ou autres qui dépendaient jusqu’alors de ma disposition exclusive » (p. 214). Renoncer à sa fortune se veut ici un acte pleinement généreux et libérateur à l’égard de sa famille. Claire veut aider ses proches à se « décoconner » (p. 246) de son influence, en faisant en particulier que Jeannot devienne Jean (p. 268-269) : « Je voudrais que chacun d’eux soit assuré des moyens d’accomplir son rêve profond » (p. 215) ; « Je veux faire cadeau à mon fils de quelques raisons de se battre » (p. 245). Couillard, en « comptable de ses biens » (p. 235), ne pourra que désapprouver en vain ce « confusionnisme sentimental » conduisant à « jeter l’éponge, se lancer dans l’improvisation et saborder son navire » (p. 228) : il est hors-jeu, « il confond l’argent et l’amour » comme le dit Claire (p. 241). Quand il fait le bilan des ventes effectuées, Claire l’encourage à poursuivre « la chanson de ce qui reste à vendre» (p. 244) : « Oui, oui, oui, liquidons. » (p. 243).

Mais ce dépouillement, là encore, est une façon de retrouver une identité, de s’appauvrir pour se connaître, s’élever :

Je transforme des murs en argent, de la terre en papier-monnaie, je n’enlève rien à personne, à qui suis-je en train de sucer le sang ? Ce que j’ai fait, je le défais, où est le mal ? Au nom de quoi m’accusez-vous ? C’est moi qui me dépossède. Laissez-moi donc au bout du compte prendre des ailes comme il me plaît. Une personne de mon âge a bien le droit de s’envoler. (p. 250)

L’abbé Mamiran ne s’y trompe pas quand il confie à Dieu qu’il croit que « cette femme est tentée par la sainteté » (p. 253-254). Ni Lucas quand il la voit essayer « de transformer le bordel en reposoir » (p. 254). Elle ne se veut rien d’autre « qu’une pauvresse » (p. 258) et deviendra à la fin de l’œuvre une nouvelle « madone à l’enfant » (p. 295).

Pour Paméla et Césaréo, une fois la page de leurs vies passées tournée, la relation avec Bobby compte encore. Mais celui-ci veut partir, et son départ serait pour Paméla le signe d’un complet échec :

J’ai sacrifié mon époux, ma vie de femme, les années, ma fureur ; les promesses de ma jeunesse, je ne les ai pas tenues, à cause de lui. Je lui ai donné raison contre tout et contre moi-même, il est encore accroché là, et aujourd’hui il me juge et il s’en va ! Je ne veux pas qu’il s’en aille ! (p. 38)

Ce sentiment d’échec se retrouvera chez Claire dans Il faut passer par les nuages : « Monsieur l’abbé, je n’ai rien su faire de ma vie. J’ai couru, sans savoir au juste après quoi, bâtissant des murs et des murs, étendant toujours mes domaines » (p. 207). « […] je n’ai pas fait ce que je dois pour moi-même ni pour quiconque […] » (p. 208). Et sa lucidité annonce celle, plus tardive, de Paméla : « […] mon père, je n’ai jamais aimé. Il me faut tout recommencer ou bien peut-être disparaître. Ce soir j’ai désir de crier. […] Je voudrais devenir absente […] » (p. 209).

Dans Tchin-Tchin, Bobby se retrouve un temps enfermé dans un placard (on veut l’empêcher de quitter le foyer) : c’est un fils, non un amant, qui s’y cache à présent. Mais cette détention ne peut empêcher son départ, dès que Césaréo le libère (p. 48-49). Il reviendra néanmoins pour emprisonner sa mère à son tour, l’empêcher de revoir Césaréo, avec aussi peu de succès : ils se retrouvent tous les deux pour vivre dans la rue. Et quand Bobby sera chassé de chez son père pour avoir couché avec Marguerite, quand il sera trouvé ivre mort sur les quais par sa mère et Césaréo, c’est sa mère qui lui fera les poches et lui dérobera son portefeuille : il n’est plus alors son enfant, mais un gamin qui a réussi.

Ce détachement total du lien maternel était annoncé par Paméla à l’acte précédent : « Je n’aime pas Bobby. Je ne t’aime pas, Bobby ! Je ne suis pas capable d’être entièrement occupée de Bobby comme je l’ai été. » (p. 46). Moins lucide sur elle-même et ses sentiments, le personnage avait encore des exigences quand il menaçait de la quitter : « Il doit obéissance à sa mère ! Gratitude ! Amour ! Il doit la vie à sa mère ! On ne renie pas sa propre source ! » (p. 38). Elle ne mesurait pas alors qu’elle ne parlait que d’elle-même, de la « mère douloureuse » (p. 39) dont elle se voulait l’image à tout prix, au détriment de son propre enfant.

Si Bobby a voulu se libérer de sa mère, c’est elle en fait qui consomme la rupture en en faisant un étranger à sa vie, en mettant à nu son égoïsme. Tout comme le fera Claire Verduret-Balade dans Il faut passer par les nuages, quand elle parviendra à « se dégager de ses petits » et qu’ils iront « s’affronter au monde librement » (p. 173).

Un certain pessimisme sur la vie et les relations humaines finit parfois par dominer, bien illustré par cet échange entre Jonathan et Elsbeth dans Le Comportement des époux Bredburry : « Elsbeth. Comment vit-on alors ? En se séparant de ceux qu’on aime ? Jonathan. Oui, madame. En se séparant de ceux qu’on aime » (p. 59).

Au dernier acte de Tchin-Tchin, réduits à l’état de clochards, passés du vouvoiement au tutoiement, Césaréo et Paméla reviennent dans le quartier des Halles qu’ils avaient fréquenté quand ils avaient noué connaissance, ou errent sur les quais en bord de Seine. Leur vie pourrait s’arrêter là, mais ils font au contraire des projets de départ, sans savoir leur destination précise : « Césaréo. Demain, on prend la route, Paméla. Par la porte d’Italie » (p. 61). Et l’on ne peut être surpris qu’à la question « Où on va ? » de Paméla, Césaréo réponde tout à la fin de la pièce : « Où on veut » (ibid.). Ils réalisent ainsi le projet formulé l’été précédent par Paméla : « Vendons tout ce qui peut se vendre ici et partons. Nous rencontrerons peut-être des gens agréables » (p. 52). Une perspective s’ouvre alors pour eux, comme pour Jonathan et Rébecca à la fin du Comportement des époux Bredburry. On les quitte alors qu’ils se sont retrouvés et sont partis « voir tomber le soleil » (p. 81). Quant à Claire, elle semble bien avoir traversé les nuages en conservant Pitou près d’elle, en le sauvant de la pension où les autres voulaient le placer…


Que reste-t-il du boulevard, du vaudeville, après notre exploration ?

Bien sûr, les pièces étudiées en ont vaguement l’apparence : les signes d’un univers bourgeois, dans le statut initial des personnages, dans leur cadre de vie – même s’il ne se réduit pas à un salon aux portes qui claquent –, une relation de couple souvent compliquée, un adultère parfois au lointain, des réparties vives et brillantes propices à séduire l’oreille…

Mais les personnages, comme on a pu le voir, n’ont rien de fantoches interchangeables, sans épaisseur psychologique, au simple service du mouvement comique. Rien de ces figures colorées et sommaires, propices à déclencher le rire par leur naïveté ou leur stupidité. L’intrigue ne comporte pas non plus ces rebondissements convenus, avec découverte de celui qui se cachait, confusion sur son identité, courses-poursuites, qui ont fait la saveur du théâtre de boulevard.

De toute évidence, l’essentiel ici est ailleurs : dans un rituel qui se met en place à l’écart de tout réalisme véritable, une mécanique non des chassés-croisés et des quiproquos, mais celle, bien plus originale, d’une relation en plusieurs saisons, où chacun cherche, grâce à l’autre, à devenir lui-même, et cela en dépit d’une communication complexe, menacée en permanence de renforcer les solitudes [27].

Tchin-Tchin plus de cinquante ans après sa création, continue à nous surprendre, à nous dérouter, à nous déranger. C’est bien le signe de sa vitalité. Certes, la pièce ne s’inscrit pas dans la radicalité du théâtre de l’absurde, mais elle questionne également les rapports humains, les zones d’ombre de l’individu (« en moi-même il fait noir et triste » dit Césaréo, p. 18). Elle le fait par le biais d’une comédie insolite teintée d’amertume, de noirceur, qui montre à la fois les limites et les pesanteurs des conventions sociales, tout en laissant deviner qu’on peut s’en libérer, en sacrifiant les futilités matérielles et en prenant la route de l’aventure…

Notes

[1] Brigitte Brunet, Le théâtre de Boulevard, Paris, Nathan Université, « Lettres sup. », 2004, p. 102.

[2] Michel Corvin, Le Théâtre de boulevard, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989, p. 63.

[3] Id., p. 42.

[4] Philippe Soupault, Eugène Labiche, Paris, Mercure de France, 1964.

[5] Henri Gidel, Le Vaudeville, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1986, p. 64.

[6] Henri Gidel, Le Vaudeville, op. cit., p. 64.

[7] Ibid.

[8] Id., p. 87.

[9] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 113.

[10] Id., p. 116.

[11] Michel Corvin, Le Théâtre de boulevard, op. cit., p. 43. On a pu aussi parler d’ « hennequinade », en référence au vaudevilliste Alfred Hennequin (1842-1887) pour désigner « toute pièce où les portes jouent un rôle important » (Henri Gidel, Le Vaudeville, op. cit., p. 118).

[12] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 120.

[13] M. Corvin, Le Théâtre de boulevard, op. cit.,, p. 46.

[14] B. Brunet, Le théâtre de Boulevard, op. cit., p. 123.

[15] François Billetdoux, Tchin-Tchin, Arles, Actes Sud-Papiers, (1986), 1998, p. 7. C’est le cas de toutes les pièces de Billetdoux qui « essaye toujours d’écrire au plus près de “l’esprit du temps”, afin de tenter de le comprendre en profondeur en cherchant à lui trouver, sinon à lui donner, un sens » (Jean-Marie Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, Arles, Actes Sud-Papiers, 1988, p. 80).

[16] Évoquées en I, 1, p. 17.

[17] Évoquées p. 17 et p. 59.

[18] F. Billetdoux, Tchin-Tchin, op. cit., p. 7. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto.

[19] F. Billetdoux, Il faut passer par les nuages, in Théâtre, Paris, La Table Ronde, 1964, vol. 2, p. 172. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto. La pièce a été rééditée chez Actes Sud-Papiers en 1987, et réimprimée cette année (2015).

[20] F. Billetdoux, Le Comportement des époux Bredburry, Arles, Actes Sud-Papiers, 1991, p. 24. Désormais toutes les références à cette édition se feront in texto.

[21] L’Avant-Scène, n° 193, 15 mars 1959, p. 24, pour cet article de presse et les suivants.

[22] “Color”, in The Golden Book of Poetry, New York, Simon and Schuster, 1947.

[23] « […] le monologue peut raconter bien des choses, tandis que le soliloque est un entretien avec soi-même » (op. cit., p. 64). On sait la place que les monologues occupent par ailleurs dans son œuvre radiophonique ou théâtrale…

[24] « Paméla. […] quand votre verre est aux trois quarts plein […] et que vous n’avez pas soif, comment en venez-vous à le prendre et à le vider ? / Césaréo. Par vertige » (Tchin-Tchin, op. cit., p. 25).

[25] Voir aussi Il faut passer par les nuages, op. cit., p. 254 et p. 256.

[26] Jean-Marie Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, op. cit., p. 90.

[27] Sans qu’il soit question d’y renoncer, le but restant d’aller au-delà de la solitude… Voir J.-M. Lhôte, Mise en jeu François Billetdoux, op. cit., p. 166.

Bibliographie

Corpus d’étude

BILLETDOUX François, Tchin-Tchin, Arles, Actes Sud-Papiers, 1998. Paru initialement dans Théâtre 1, Paris, La Table Ronde, 1959.

‒ Le Comportement des époux Bredburry (1961), Paris, Actes Sud-Papiers, 1991.

Il faut passer par les nuages, in Théâtre 2, Paris, La Table Ronde, 1964. Réédition : Actes Sud-Papiers, (1987), 2015.

Ouvrages 

L’Avant-Scène n° 193, 15 mars 1959.

Europe, n° 786 : « Le Vaudeville », octobre 1994.

AUTRUSSEAU, Jacqueline, Labiche et son Théâtre, Paris, L’Arche, 1971.

BARROT, Olivier, & CHIRAT, Raymond, « Ciel, mon mari ! » ‒ Le Théâtre de Boulevard, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998.

BRUNET, Brigitte, Le théâtre de Boulevard, Paris, Nathan Université, « Lettres sup. », 2004.

CORVIN, Michel, Le Théâtre de boulevard, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989.

GIDEL, Henri, Le théâtre de Georges Feydeau, Paris, Klincksieck, 1979

‒ Le Vaudeville, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1986.

LHÔTE Jean-Marie, Mise en jeu François Billetdoux, L’arbre et l’oiseau, Paris, Actes Sud-Papiers, 1988.

SOUPAULT, Philippe, Eugène Labiche, Paris, Mercure de France, 1964.

Auteur

Jean Bardet, professeur agrégé de Lettres modernes, longtemps chargé de cours à l’Université de Paris Est/Marne-la-Vallée, est l’auteur des huit notices consacrées aux œuvres dramatiques de François Billetdoux dans le Dictionnaire des pièces de théâtre françaises du XXe siècle (Jeanyves Guérin (dir.), Champion, 2005), et de sept éditions critiques parues aux éditions Gallimard, dont celles du Paradoxe sur le comédien de Diderot (folioplus classiques n°180) et de la comédie Poil de Carotte de Jules Renard (folioplus classiques n°261).

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