Proust est une fiction transmédiatique

Résumé


François Bon est un auteur profondément transmédia. Les réseaux sociaux et le Web, tout comme le livre sont constitutifs de sa pratique d’écriture. François Bon corrige, complète, remédiatise sans cesse ses textes. L’étude des écrits de Bon contraint ainsi au travail paradoxal d’immobiliser un texte labile, un texte dont le caractère transmédiatique oblige à interroger les notions même de texte et d’œuvre. Dans cet article, nous concentrons sur Proust est une fiction que nous étudions à travers le prisme des théories de la transmédiatisation (Jenkins, Dena). Nous nous attachons à démontrer comment, dans l’œuvre de Bon, les médias convergent pour que se développe une expérience d’écriture originale mais aussi pour proposer une réactualisation de Proust. Du fait de ce caractère transmédia, Proust est une fiction instaure une sémiose spécifique qui impose à l’auteur, comme à son lecteur, des compétences dans plusieurs registres médiatiques.


François Bon is definitely a transmedia writer. Social networks, the World Wide Web, as well as books are an integral part of his writings. Bon constantly corrects, completes and remediates his texts. His writings compel the scholar to interrogate the very nature of textuality. In order to do so, one has to undertake the paradoxical task to fix a text whose particularity is to be labile. Proust est une fiction will be at the core of our study. First we will explain it thanks to Jenkins and Dena’s transmedia theories. Then, we will try to demonstrate how in Bon’s work media converge in order to create an original writing experience but also in order to show that Proust can be just as topical as ever. Because of its transmedia status Proust est une fiction induce a particular semiosis that demand skills in various media from the writer as well as from the reader.


Texte intégral

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Doc. 1 – Photographie du bureau de François Bon réalisée par l’auteur, « journal | liste de mon bureau », Tiers Livre, article 1578.

François Bon à l’œuvre, c’est une table de travail où s’éparpillent à côté des livres, les écrans d’ordinateur, de tablette et de téléphone. Au détour d’un billet du Tiers Livre, comme l’avaient déjà fait avant lui Georges Perec, Claude Simon ou Olivier Rolin, il fait la liste des objets disposés sur son bureau :

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Doc. 2 – Capture d’écran, extrait du billet de blog : « journal | liste de mon bureau », Tiers Livre, article 1578

François Bon est un ordinateur avec un auteur derrière, qui tweete et écrit des statuts Facebook, qui publie quotidiennement sur Tiers Livre tout en publiant des livres au Seuil. C’est un auteur profondément transmédia. Il n’utilise pas les réseaux sociaux ou le Web comme un simple outil de communication, au sens publicitaire, ainsi que le font beaucoup d’écrivains contemporains, mais parce que ceux-ci sont constitutifs de sa pratique d’écriture. Dans un entretien avec Marie Chaudey pour la revue La vie, il fait remarquer à quel point

[…] la page d’écriture numérique n’est plus un lieu où l’on tourne le dos au monde. Elle est là où l’on se documente, là où l’on ouvre Internet. Pour nous, le réel est déjà quasiment inclus dans la page. Les formes narratives qui naissent actuellement s’articulent sur un rapport au réel bien différent de celui qui précédait le Web. À quelque moment de l’Histoire qu’on se situe, qu’il s’agisse de l’époque de Pline l’Ancien, de Montaigne, de Saint-Simon ou de Balzac, les conditions liées à l’endroit d’où l’écrivain tire son information, à ce qu’il regarde, à la manière dont son objet littéraire va circuler, tout cela n’a jamais été indépendant des rythmes du monde et du concept d’expérience. La fonction de la littérature n’est pas liée à l’objet, mais à la façon dont s’articule l’expérience au monde réel et à la représentation de ce qui est hors de l’espace sensible de l’écrivain [1].

Là où l’écrivain François Bon se documente, là où est son réel, ce sont ses appareils photo numériques, ses tablettes, liseuses et ordinateurs, sur lesquels il accède aux réseaux sociaux et alimente Tiers Livre. Son réel, comme le nôtre d’ailleurs, est on ne peut plus transmédiatique, à l’image de son écriture.

Bon est écrivain et peut être surtout ré-écrivain dans le sens où il reprend sans cesse ses propres textes : il les corrige, les complète, les remédiatise dans un travail de reconfiguration permanent. L’idée d’un texte peut naître au détour d’un tweet, se développer une première fois à travers des billets de blog sur Tiers Livre, puis être publié dans un livre. Bon est un écrivain transmédiatique, disions-nous. Le livre fixera une forme du texte, quand sur le Web le texte pourra encore être modifié. Cette réécriture, cette labilité médiatique, relève du défi pour l’exégète dont le travail d’analyse ne peut se porter que sur un état du texte, l’instantané d’une configuration médiatique. L’étude des écrits de Bon contraint ainsi au travail paradoxal d’immobiliser un texte dont la particularité est de se reconfigurer perpétuellement, un texte dont le caractère transmédiatique oblige à interroger les notions même de texte et d’œuvre. Si l’on se réfère au texte canonique de Roland Barthes « De l’œuvre au texte », l’écriture de Bon est celle d’un texte perpétuel, sans œuvre. En effet, dans la pratique d’écriture transmédiatique de Bon, « l’œuvre », en ce que le terme renvoie à l’objet fixe, « un fragment en substance », « une portion de l’espace des livres [2] », semble s’effacer afin de laisser place à un work in progress ou plutôt un texte in progress infini :

[…] le Texte ne s’éprouve que dans un travail, une production. Il s’ensuit que le Texte ne peut s’arrêter (par exemple, à un rayon de bibliothèque) ; son mouvement constitutif est la traversée (il peut notamment traverser l’œuvre, plusieurs œuvres) [3].

C’est donc au travail de « traversée » des textes de François Bon et à leur lecture, dans ce qu’ils impliquent de va-et-vient médiatique entre le site Web, le livre et les réseaux sociaux que nous nous intéresserons. Nous nous concentrerons précisément sur Proust est une fiction dont nous avons pu suivre l’élaboration au quotidien à travers les différents postes sur Tiers Livre, sur Facebook et sur Twitter, de novembre 2012 à février 2013, puis que nous avons pu relire, redécouvrir dans le livre édité en 2013 chez Seuil. Dans un premier temps, nous verrons en quoi la pratique d’écriture de Bon peut être considérée comme transmédiatique. De manière peu anodine, Proust est une fiction est le résultat d’une relecture transmédiatique de La Recherche du temps perdu par François Bon. En effet, c’est sur support numérique que notre auteur aura choisi de reprendre la fameuse cathédrale. Après cette exercice significatif de lecture-relecture-écriture, nous nous attacherons à décrire notre propre lecture transmédiatique de Proust est une fiction. Nous étudierons donc les procédés de navigation dans les textes du site, mais aussi au sein de leurs autres médiatisations. Celles-ci instaurent une sémiose spécifique, plus précisément transmédiatique, imposant à l’auteur, comme au lecteur, des compétences dans plusieurs registres médiatiques.

1. Approche théorique du transmédia : François Bon et la convergence des médias

Le mot transmedia a été utilisé pour la première fois par le théoricien des médias Henry Jenkins en 2003, dans un article pour la Technology Review. Il le popularisera en 2006 dans son essai Convergence Culture, Where Old and New Media Collide. Selon Jenkins,

Une histoire transmédiatique se déploie à travers plusieurs plateformes médiatiques, où chaque nouveau texte contribue de manière distincte et importante à l’ensemble. Dans la forme idéale du récit transmédiatique, chaque média réalise ce qu’il fait de mieux –de façon qu’une histoire puisse être introduite dans un film, étendue à la télévision, aux romans, et aux bandes-dessinées ; son monde pouvant être exploré à travers le jeu ou expérimenté dans des parcs d’attractions [4].

La transmédiatisation consiste à porter un univers fictionnel sur différents supports qui apportent, à travers leurs spécificités d’usage et leurs capacités technologiques, un regard nouveau et complémentaire sur l’univers et l’histoire originels. Différents médias convergent, tout en préservant leur spécificité. Pour Jenkins, il ne s’agit pas de reproduire un même récit sur différents supports, mais plutôt que chaque support participe, avec un contenu original, à l’élaboration d’une histoire qui le dépasse et qui peut prendre sens sans que le lecteur ait nécessairement connaissance de tous les médias en jeu.

La convergence [5], paradigme mis en place par Jenkins, permet de penser le champ médiatique contemporain dans les bouleversements qu’il impose. Il illustre parfaitement, selon nous, la pratique transmédiatique de Bon. Pour Jenkins, l’idée de convergence s’oppose à l’idée de révolution médiatique et à sa logique corollaire de substitution des médias anciens par les médias plus récents. Les dispositifs transmédiatiques sont alors autant de preuves des facultés de cohabitation des médias mais aussi de leurs capacités à être complémentaires tout en gardant, voire même manifestant, leur spécificité. Si, dans Convergence Culture, Where Old and New Media Collide, Jenkins illustre le concept de convergence à travers la franchise The Matrix, la transmédiatisation n’est pas une technique exclusivement commerciale, elle peut aussi être affaire d’auteur et, par là même, procéder d’une recherche esthétique originale. Selon le paradigme de convergence, il n’y a pas de hiérarchie des médias : la narration et la littérature peuvent se développer sur tous les médias. En accord avec la vision large de la définition de la littérature donnée par Bon lui-même, le livre n’est plus le seul support du littéraire :

On nous bassine avec le livre papier comme si c’était une valeur sainte. Pour moi, aucun fétichisme n’y est attaché. J’aime la définition de Maurice Blanchot : “La littérature, c’est le langage mis en réflexion, peu importe ensuite les formes [6].”

Bon ne fait pas de distinction de valeur entre ce qu’il publie sur papier ou sur le Web. Le site centralise ses textes et les livres édités en deviennent des ramifications. Il le dit lui-même : « Personnellement, je n’ai plus qu’un livre, c’est mon site [7]. »

Selon le vocabulaire élaboré par Christy Dena dans sa thèse de doctorat, Transmedia Practice : Theorising the Practice of Expressing a Fictional World Across Distinct Media and Environments, le travail d’écriture de Bon appartiendrait à la catégorie des pratiques transmédiatiques intracompositionnelles. En effet la chercheuse australienne identifie deux types de phénomène transmédiatique :

Les types sont décrits par les notions de phénomène intracompositionel et intercompositionel. C’est à dire que certaines œuvres sont transmédiatiques en elles-mêmes, quand d’autres peuvent être transmédiatiques par les relations qu’elles entretiennent avec d’autres œuvres [8].

La définition des pratiques transmédiatiques proposée par Dena est beaucoup plus souple que celle élaborée par Jenkins, qui réduit le transmédia à une relation d’expansion. Cette relation d’expansion, qu’elle qualifie d’intercompositionnelle, implique qu’un projet fasse l’objet de multiples compositions : un film, un jeu vidéo et un livre par exemple. Ceci correspond à des pratiques le plus souvent commerciales, telles qu’Harry Potter ou The Matrix peuvent les exemplifier. Dena préfère donc étendre le concept en ajoutant à cette pratique d’expansion la possibilité de considérer comme transmédiatique une création unique qui réunit en son sein plusieurs médias : par exemple un jeu vidéo que l’on peut pratiquer grâce à des téléphones portables, dans le cadre d’un événement en direct et sur Internet [9]. Ce second type, elle le qualifie d’intracompositionnel, et la pratique de François Bon appartiendrait à cette dernière catégorie puisque tous les médias convergent pour ensemble contribuer à l’élaboration de son univers fictionnel. Il le dit lui-même : « ce que j’attends d’un site c’est ce que j’attends d’un “livre” : un univers, une histoire[10]. » Son écriture se déploie sur une multiplicité de supports, dont témoigne la photographie de son bureau proposée plus haut (Doc. 1). Il existe chez Bon une sorte de virtuosité face au média, face à la technique, que très peu d’écrivains contemporains possèdent. Il est un des rares auteurs à mettre lui-même les mains « dans le cambouis du numérique [11] », selon sa propre expression, un travail qui est souvent délégué par les autres écrivains. Cette particularité lui permet de maîtriser tous les processus de remédiatisation de ses écrits et ainsi de faire entière autorité sur toutes les formes médiatiques de ses textes.

2. François Bon, lecteur et relecteur de Proust : de la Pléiade au fichier numérique

François Bon, en plus d’être un écrivain et un ré-écrivain, est un lecteur doublé d’un relecteur. Pour prouver cela, il suffit de nous concentrer sur la genèse de Proust est une fiction et de ses cent billets publiés sur Tiers Livre, réalisés à l’occasion du centenaire de la parution d’Un amour de Swann. Ceci constituait pour Bon, moins une célébration anniversaire qu’un véritable exercice à contrainte.

Lors d’un entretien radiophonique avec Alain Veinstein pour l’émission « Du jour au lendemain [12]» sur France Culture, il explique à quel point il a mis du temps avant de parvenir à lire Proust, que le livre lui était toujours tombé des mains jusqu’au moment où il est parvenu à se laisser embarquer. C’était en février 1980 et l’aventure proustienne débute dans l’avion qui l’emmène vers Bombay où il s’apprête à passer cinq semaines. Il apporte dans son sac les trois tomes « la Pleïade » de Proust et tout « bascule [13] » : il parvient, pour reprendre ses propres termes, à s’« abandonner [14] » à Proust. Presque trente-trois ans plus tard, il reprend la Recherche du temps perdu pour écrire ces cent billets, mais cette fois en version numérique, afin de pouvoir effectuer des recherches plein texte et engager une lecture autre, complètement inédite, de la fameuse cathédrale de Proust. À travers les recherches de mots dans le texte, il identifie des motifs. Il peut par exemple retrouver les occurrences de la photographie et les analyser [15]. Il peut aussi étudier les absences ou les mots significativement peu utilisés comme « géographie » et « Atlas [16] ». Il s’intéresse tout particulièrement à la manière dont Proust se confronte aux bouleversements technologiques de son époque : le film, la photographie, le téléphone, l’automobile, l’avion.

Tout comme nous aujourd’hui, Marcel Proust a vécu une période de grande mutation technologique. La voiture automobile permet de parcourir le territoire à sa guise et transforme le rapport espace-temps ; l’avion aussi ; la photographie inonde l’imaginaire ; le téléphone relie miraculeusement les êtres séparés. L’électricité modifie les pratiques quotidiennes. La Recherche du temps perdu se fait écho de ces innovations, et Proust est un contemporain attentif [17].

Bon y trouve un parallèle avec la période contemporaine, charnière à l’égard des changements de paradigmes médiatiques qu’elle connaît.

Proust surgit à l’exact moment ou la médiation technologique devient incontournable dans le rapport au quotidien. Il s’en saisit, en fait un générateur textuel, et la retourne sur le fond ancestral de la littérature, la quête de soi-même, la relation passionnée entre les êtres, pour le pousser un peu plus loin (…) Se saisir de cette strate narrative, objets, techniques, mutations, prend évidemment une urgence considérable pour nous, puisque cette médiation à aussi rejoint l’univers qui chez Proust incarne la permanence, et chez lui n’est pas encore atteint par cette médiation : le livre. Elle ne vaut pas en elle-même, mais seulement en ce qu’elle aide à revenir de façon plus aiguë aux enjeux plus essentiels de l’écriture narrative. Mais c’est bien pour cela qu’il faut s’en saisir en tant que telle : le film, la photographie, le téléphone, l’automobile, l’avion ou le phonographe sont pour nous devenus des noms communs, et leur présence narrative un fait banal. Chez Proust, ils s’inventent comme nom de roman[18].

D’où l’incroyable actualité de Proust selon Bon, cet écrivain si passionné par la littérature et ses formes de médiatisations.

À ses réflexions sur l’œuvre, Bon intercale des bribes de récits fictionnels où il imagine des conversations entre Baudelaire et Proust. Dans l’entretien avec Veinstein, il explique que l’idée de ces sortes d’interludes fictionnels lui est venue de manière impromptue quand il a réalisé qu’il allait avoir soixante ans, un âge que ni Baudelaire ni Proust n’ont eu la chance de connaître. Il évoque le dialogue des ces deux grands auteurs, sachant toute l’admiration que Proust pouvait avoir pour le poète.

Les morceaux Baudelaire me servaient de ponctuation. Ne jamais en user comme d’une facilité. Ne pas se laisser aller à la variation. Faire que mine de rien chacun touche à un mystère précis de mon propre questionnement sur moi-même ou sur Proust [19].

À travers la fiction, Bon s’invente lui-même personnage devisant avec ces grands écrivains, il se projette en eux. Pour lui, il s’agit de « Prendre les habits étriqués du mort, de ses prédécesseurs pour écrire et ensuite pouvoir s’exprimer [20] ». C’est ce que Proust a fait avec l’auteur des Fleurs du Mal et sans doute ce que Bon a fait de ses lectures des plus grands : non seulement de Proust et de Baudelaire, mais aussi de Rabelais et de tout ceux dont il fait la liste dans « Histoire de mes livres [21] », une série entamée sur Tiers Livre au printemps 2014.

Proust est une fiction s’est donc construit à partir d’une lecture déjà transmédiatique. En effet, François Bon a effectué une première lecture de Proust sur papier, puis une relecture sur fichier numérique qui lui a permis, comme nous l’avons explicité plus haut, de redécouvrir le texte proustien, de le parcourir sous des angles inédits. Dans le chapitre 39 de l’édition papier de Proust est une fiction, au détour d’une des rencontres fictives avec ses héros littéraires, le personnage Bon essaie de faire découvrir la version numérique de La Recherche à son auteur. Cependant, le fictionnel Proust décline l’invitation et se détourne rapidement pour mieux chercher l’œuvre de Baudelaire dans la bibliothèque : le seul qui, ainsi qu’il le déclare anachroniquement, « a compris mes livres[22] ». Ici, Proust refuse peut-être moins le numérique que la relecture de sa propre œuvre, dont la compréhension semble, selon lui, ne pouvoir s’exercer qu’à travers l’intertextualité avec ses idoles littéraires. Symbolisée par ces conversations fictives, l’écriture de Bon semble toujours naître d’un dialogue, entre les grands textes littéraires, entre les hommes, à travers la communauté qu’il construit chaque jour sur les réseaux sociaux, mais aussi entre les médias comme nous tâchons de le démontrer ici. Ceci ne peut alors que contaminer à leur tour les pratiques de ses lecteurs.

3. Une lecture transmédiatique de Proust est une fiction

3.1. Tiers Livre

Le projet Proust est une fiction débute par un premier billet posté le 17 novembre 2012 dans la section centrale du Tiers Livre. Le centième billet, quant à lui, paraîtra le 10 février 2013. Les dix premiers billets sont publiés dès les premiers jours de l’expérience, après quoi ils seront postés quasiment quotidiennement, dans un exercice journalier d’écriture à contrainte. En novembre 2013 [23], la série appartient à la section du site intitulée « françois bon, fictions & web-livres ». Il est à noter que, lors du colloque François Bon à l’œuvre qui a eu lieu les 29 et 30 novembre 2013 à Montpellier, la section était appelée « françois bon, fictions & expérimentations ».

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Doc. 3 et Doc. 3 bis – Captures d’écrans du Tiers livre effectuées à deux dates différentes : ci-dessus le 30 novembre 2013, ci-dessous le 25  août 2014.

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Ceci correspond à une période où Bon interrogeait la notion même de web-livres. Le changement de dénomination des parties du site montre à quel point le site est en perpétuelle évolution. Notre lecture de Proust est une fiction est liée aux traces qu’il reste de ses textes sur Tiers Livre en date du 25  août 2014 – puisqu’il faut bien fixer une temporalité, à l’étude que nous avons effectuée en novembre 2013 pour le colloque de Montpellier, et aux souvenirs de nos lectures des billets de blog entre le 17 novembre 2012 et le 10 février 2013.

Si, à l’intérieur de la section « françois bon, fictions & web-livres », nous cliquons sur la catégorie « |2013| Proust est une fiction| », nous sont proposés quelques billets selon une sélection qui semble avoir été effectuée par Bon et qui ne reproduit pas l’ordre de la numérotation des fragments. Soit nous commençons par un de ces billets, soit nous avons recours au sommaire qui nous est soumis en seconde position (Doc. 3 bis). Si nous choisissons de commencer par le sommaire, quelques informations sur les modes de navigation par mots-clés nous sont présentées. L’usage de ces mots-clés rapproche ainsi notre lecture de Proust est une fiction de celle opérée par Bon lui-même à travers le fichier numérique de La Recherche : une lecture qui se fait transversale, thématique. À ce sujet, Bon déclare, dans le billet « [hors série] pourquoi comment je sais pas », explicatif de sa démarche, que la recherche d’occurrences permet de s’approprier le livre comme ensemble [24]. Et nul ne doute que cette appropriation fonctionne aussi pour l’internaute qui se sert des mots-clés.

Dans le sommaire, en plus des liens vers les cent fragments, nous pouvons trouver des « hors-série, images & compléments » qui offrent des billets informant sur le contexte d’écriture de Proust est une fiction ou sur les expériences subséquentes, comme la visite de la maison d’Illiers-Combray. À l’intérieur des billets, la navigation impose soit de retourner en arrière vers le sommaire grâce au navigateur, soit d’utiliser les boutons précédent ou suivant [25].

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Doc. 4 – Capture d’écran du menu de droite présent dans les billets de la section « |2013| Proust est une fiction| » de Tiers Livre, le 30 novembre 2013.

Ces changements révèlent comment Bon modifie perpétuellement son site, de manière à rendre la navigation la plus aisée possible au sein des textes d’un même web-livre mais aussi de tous les textes publiés sur Tiers Livre. Constatons en effet que les autres expériences littéraires de la section « françois bon, fictions & web-livres » ainsi que le sommaire général du site, sont aussi proposés dans la marge de gauche, offrant ainsi l’opportunité de diriger le lecteur vers d’autres sujets, de prendre des chemins de traverse. La circulation prime donc toujours. Ainsi que le fait remarquer Bon,

[…] le site, en lui-même, est une histoire qui se raconte, différente en chaque instant, et remodelant à l’infini de son présent, en chacun de ses points d’accès, le visage même de l’histoire qui sera navigation de celui qu’on accueille, auquel on abandonne son site comme on abandonnait à la circulation son livre [26].

Pour faciliter davantage la navigation, nous retrouvons aussi les outils de recherche Internet via le moteur Google, les informations de contacts mais aussi les liens vers l’espace WIP, qui propose, à travers un abonnement, l’accès à l’intégralité des textes, ateliers, podcast, ebooks des différents sites de Bon [27]. À droite, sont visibles les billets d’actualité mis à la une mais aussi tous les petits logos qui permettent de se connecter aux réseaux sociaux de Bon : Del.icio.us, Twitter, Facebook, Google+, LinkedIn, Netvibes, Tumblr, Seenthis. Bon est présent sur tous les fronts et l’importance de la dimension communautaire au sein de l’expérience Proust est une fiction se révèle.

3.2. Les réseaux sociaux : Twitter et Facebook

Ainsi, chaque fragment peut aussi être considéré comme ayant été élaboré avec l’apport collectif, non seulement à travers les commentaires postés en fin de billet mais surtout grâce à Facebook et Twitter (pour nommer les principaux). La possibilité de commenter est un élément fondateur de la définition du blog dans sa fonction sociale [28]. Toutefois les commentaires sont peu nombreux dans la section de Tiers Livre consacrée à Proust est une fiction, puisqu’ils s’avèrent plutôt déportés sur les réseaux sociaux. Ce qui n’empêche pas Bon de déclarer dans un des billets hors-série : « […] merci à vous toutes et tous qui m’avez accompagné au quotidien dans cette traversée, c’est cela, et le dialogue induit, qui a donné la force et la confiance [29]. »

Au-delà de l’aspect communautaire [30], Twitter et ses fameux 140 caractères est aussi un support à contraintes pour l’écriture. Dans son article « Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et creation », Alexandre Gefen analyse le phénomène :

[…] l’écriture par Twitter relève d’un détournement d’une technologie au profit d’un désir d’écriture : celle de produire une théorie d’états d’âme, une météorologie de l’humeur et du lieu, un flux atomistique d’autant plus transitoire qu’elle accepte de dissoudre sa propre voix dans bruit immense de la présence textuelle numérique d’autrui. Cette discontinuité, qui interdit de constituer le texte en une nappe unifiée dont la lecture serait prévisible et maîtrisable, produit des fragments qui s’exposent et se détachent poétiquement de la temporalité énonciative globale de la timeline sociale pour acquérir une portée expressive. C’est aussi que les gazouillages des tweets et autres statuts sont indissociables des rétroactions, gloses, expansions poétiques, croisements qu’ils engendrent : du « tumulte » du corps social qu’ils recherchent pour employer une expression de François Bon, leur poéticité est celle de nœuds, d’interstices, de brouillage par interférence, où la littérature se crée par une autre forme d’universalisation du privé que celle, supposément maîtrisée, à laquelle nous sommes habitués [31].

Cette poétique du nœud, de l’interstice, pour reprendre le vocabulaire de Gefen, caractérise bien l’expérience proposée dans Proust est une fiction, puisque celle-ci se développe dans le dialogue avec et entre les lecteurs, entre les textes au sein du site, mais aussi entre les médias (le site, le livre, les réseaux sociaux). Pendant toute la durée de l’expérience [32], le fil Twitter était présent en bordure de chaque billet sur Tiers Livre en même temps que sur le compte Twitter @fbon, les messages de Bon faisaient (et font toujours) sans cesse des liens vers le site, dans un dialogue transmédiatique incessant.

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Doc. 5 – Capture d’écran des publications des 19 et 20 janvier 2013 sur le compte Twitter @fbon, réalisée le 30 novembre 2013.

Bon possède une vaste communauté de lecteurs. Il compte plus de 11 000 followers sur Twitter et presque 4 000 sur Facebook, mais surtout il est entouré d’un groupe plus restreint de lecteurs et amis extrêmement assidus et réactifs, une sorte de garde rapprochée qui le suit au quotidien quasiment heure par heure. L’expérience Proust est une fiction, pour les lecteurs qui auront découvert quotidiennement chaque nouveau billet et chaque tweet parus, peut être comparée à celle du feuilleton et plus précisément du roman-feuilleton tel qu’il était particulièrement en vogue tout au long du XIXe siècle. Le roman-feuilleton est caractérisé par une écriture de l’épisode, il est publié à intervalles réguliers dans les journaux ou périodiques à grand tirage. Comme le fait remarqué Danielle Aubry dans son ouvrage de référence, le roman-feuilleton se fonde sur une rhétorique de la sérialité, soit un « ensemble de stratégies narratives conditionnées par la diffusion fragmentées des textes en tranches hebdomadaires ou quotidiennes [33] […] ». Une sérialité que l’on retrouve incontestablement dans Proust est une fiction et qui retrouve un regain d’intérêt à l’heure actuelle à travers le succès des blogs, mais aussi sûrement des séries télévisées.

De par sa présence sur le Web, la facilité et la rapidité de la publication propres au genre du blog comme aux réseaux sociaux, la pratique d’écriture de Bon s’apparente sous bien des aspects à la performance. Proust est une fiction est une œuvre performative au sens où, pour un blogueur comme Bon, écrire c’est presque instantanément être lu, ce dont il s’avère très conscient :

À nouveau je me retrouve ici dans une situation que j’ai si souvent demandée à mon site d’assumer : une expression qui se constitue parce que directement mise en ligne, réflexion à voix haute (le web comme oral ou voix) mais qui est réellement pour moi la possibilité même de la réflexion [34].

Comme dans les performances artistiques ou dans la parole à voix haute, la contemporanéité de la création est celle de sa réception. Les lectures-performances de François Bon autour de Proust est une fiction doivent alors être mentionnées tant elles participent aussi de la pratique transmédiatique de Bon. Ainsi, le 20 mars 2013, à l’Institut français de Marrakech, en public pendant 1h20, ou encore en juin 2013 à Paris, à la Maison de la Poésie (théâtre Molière), Bon improvise autour de l’expérience. Comme il l’explique quelques semaines avant les événements il s’agira de « refaire oralement la même démarche, sans aucun savoir aujourd’hui de comment s’organisera cette prise de langue [35] ».

3.3. Un billet

Il faut se pencher maintenant plus précisément sur les billets qui composent le web-livre. Si la grande majorité ne possèdent qu’une seule illustration – le portrait de Proust en sépia –, un certain nombre de billets sont accompagné non seulement de photographies réalisées par Bon lui-même [36] ou d’autres, mais aussi de vidéos. C’est le cas, par exemple, du billet « Proust #28 | pour me distraire les soirs où on me trouvait trop malheureux », qui porte sur la scène de la lanterne magique. Ici, la présence sur le Web permet d’inclure une dimension multimédia. Des illustrations thématiques par rapport à l’objet du billet sont insérées dans le texte, augmentant ainsi le propos d’une visée didactique. Ceci est particulièrement flagrant à travers la courte vidéo qui présente l’histoire de la lanterne magique mais qui traite aussi de l’effet produit sur les utilisateurs qui se laissaient prendre à ses faux-semblants. Bon note treize occurrences de la lanterne magique dans La Recherche et précise leur usage chez Proust : selon lui, elles « lui servent chaque fois de métaphore pour l’image qui se fait prendre pour la réalité, tant elle s’en est saisie de l’effet [37]. » Pour le lecteur contemporain, l’archaïsme visuel apparent de la lanterne magique, notamment au prisme des effets spéciaux actuels, doit être mis en contexte : c’est le but de cette vidéo, postée par les experts de Clairval, nom d’un blog réalisé par des élèves de 11 à 13 ans relatant la vie de la classe et de l’atelier de travaux manuels dont ils font partie à l’ITEP Clairval. Nous pouvons imaginer Bon faisant une recherche sur le Web afin de trouver de la documentation sur les lanternes magiques et tomber sur cette vidéo, ensuite intégrée à son billet. L’écriture des billets est donc documentée et s’accompagne de recherches, donc d’une démarche intertextuelle qui s’élabore sur une pluralité de médias, à l’image de la pratique de lecture et d’écriture de l’auteur. Proust impose de mobiliser toute la culture bibliographique mais aussi le Web, pour faire apparaître l’enfant de Combray dans le contemporain des lecteurs.

À ce titre le billet « [53] comme avant d’avoir parfait leur voûte s’écroulent les vagues [38] », sur Gustave le Gray, le premier à avoir photographié les vagues, est exemplaire. Nous y trouvons un portrait de Legray lui-même en tête de billet et des reproductions de ses photographies de vagues, en même que le texte propose des liens externes variés.

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Doc. 6 – Capture d’écran de la fin du billet « [53] comme avant d’avoir parfait leur voûte s’écroulent les vagues », Tiers Livre, article 3299, première mise en ligne 30 décembre 2012 et dernière modification le 6 mai 2013, consulté le 25  août 2014.

La fonction de ces liens semble principalement encyclopédique puisqu’ils conduisent par exemple à Wikipédia ou au site de la BNF. Bon puise aussi dans des sources plus directes avec un lien vers le traité de photographie de Le Gray, numérisé sur Gallica. Nous trouvons encore un lien interne à Tiers Livre, vers un autre billet intitulé « hommage Gustave Le Gray, photographier la mer [39] » qui n’appartient pas à la série Proust est une fiction. L’hyperlien est au cœur de l’écriture hypertextuelle et lui donne tout son sens.

La publication blog simultanée donne un regard aigu sur le fragment, le positionne dans un espace mémoriel concret. D’autre part le fragment est de suite un espace d’écriture riche, avec des liens (même si là je n’en ai pas utilisé beaucoup, la documentation se fait par l’ordinateur, les textes consultés, à commencer par Proust, le sont de façon numérique [40].

Le lien induit des mouvements de lecture, une navigation qui, si elle est préprogrammée par l’auteur, ne s’actualise que selon le bon vouloir et la curiosité du lecteur. Il possède un potentiel circulatoire dont profite Bon et qui participe de sa poétique. Ainsi en effet, le billet de blog est toujours fragment en ce qu’il n’est que l’élément d’un tout qui lui donne sens, ce tout possédant chez Bon plusieurs échelles : le web-livre, le site, les réseaux sociaux, le Web…

3.4. Le livre

Aucune des sources citées dans le billet sur Le Gray n’est évoquée dans la version papier de Proust est une fiction publiée chez Seuil, pas plus que les dates de parution des billets et les commentaires. Si cela s’explique probablement par la volonté de préserver la ligne éditoriale et l’esthétique de la maison d’édition, notons qu’il existe des blogs édités qui reproduisent ces éléments (dates, menus, commentaires) ; nous pensons ici particulièrement à la collection Hamac Carnet aux éditions du Septentrion, une maison d’édition québécoise. Les blogs édités sont autant de preuves que si la littérature, à défaut d’avoir complètement basculé, trempe dans le numérique, le livre possède encore une grande force d’inertie à l’égard du texte. Proust est une fiction résultait d’une démarche expérimentale numérique avant même d’être une démarche éditoriale, puisqu’au tout début du projet, le livre ne semblait pas spécialement en ligne de mire. L’écriture du blog ou sur les réseaux sociaux appartient au flux du Web qui s’oppose catégoriquement à la stabilité imposée par la forme du livre. Dans l’édition de Proust est une fiction, les dates d’écriture de chaque billet ont disparu, les commentaires et les hyperliens ont été supprimés, il n’y a aucune illustration. Si l’on veut circuler entre les chapitres du livre, le sommaire permet une lecture tabulaire, mais toute intertextualité avec les autres écrits de Bon, avec sa communauté et avec les autres pages du Web est rendue impossible. Dans le livre, les billets, quand bien même ils ne sont pas datés, ont été édités dans l’ordre chronologique de leur écriture, rétablissant une temporalité proche de celle du roman. La version imprimée permet cependant de toucher un public différent de celui du blog. Bon écrit à ce sujet :

Donner tout au Seuil, grâce à quoi il y aura une autre étape d’élaboration collective, et la prise en compte publique d’un travail qui, tant qu’il sera sur le blog, ne sera qu’un partage de famille (même si c’est ma famille) [41] ?

La famille, c’est cette garde rapprochée à laquelle nous faisions allusion plus haut.

Mais ce que l’édition d’un blog permet aussi, c’est une relecture du blog. Si le suivi au quotidien d’un blog est aisé, sa lecture intégrale, après que les billets ont été publiés, s’avère fastidieuse. Le livre apparaît comme une archive de blog bien plus efficace que celle proposée sous forme d’hyperliens en marge du site et dont l’exploration est le plus souvent ardue. La lecture d’archives de blog tient plutôt de l’archéologie, à cause de l’ordre anté-chronologique des billets. François Bon appelle cela « la fosse à bitume [42] ». Ce constat, très empirique, ne peut être nié par quiconque aura un jour tenté de parcourir les centaines de billets d’un blog au lieu de le suivre au jour le jour. Chacun des médias en jeu dans cette hybridation implique une régie lecturale différente : le blog pour la lecture quotidienne, à flux-tendu, « extensive [43] » pour reprendre le vocabulaire de Bertrand Gervais et le livre pour sa relecture, plus patiente, plus analytique, « intensive ».

Conclusion

Entre Tiers Livre, Twitter et facebook, l’édition au Seuil, les performances, Proust est une fiction se révèle bien comme fiction transmédiatique. Bon nous propose les différentes étapes d’un text in progress qui reflète absolument sa démarche d’écriture. À l’image de toutes les œuvres transmédiatiques, celle-ci interroge ainsi les notions de textualité et d’intertextualité mais aussi de paratextualité (puisque dans ces œuvres distribuées sur plusieurs médias, il n’y a plus d’épitexte). Rappelons que selon Genette,

Est épitexte tout élément paratextuel qui ne se trouve pas matériellement annexé au texte dans le même volume, mais qui circule en quelque sorte à l’air libre, dans un espace physique et social virtuellement illimité. Le lieu de l’épitexte est donc anywhere out of the book, n’importe où hors du livre [44].

Genette ne croyait sans doute pas si bien dire, en parlant de virtualité de l’épitexte. Avec les œuvres transmédiatiques, il n’y a plus de hors-texte, métaphoriquement même plus de hors-livre. Tous les médias convergent vers la construction d’une œuvre complexe. En effet, le site n’est pas une simple écriture hors-texte, mais peut bel et bien appartenir au projet d’écriture d’un auteur. Les médias en jeu dans ces œuvres se font sans cesse écho. Ils se nourrissent les uns des autres afin de produire des œuvres quasiment organiques, au sens où elles constituent un ensemble dont les parties (modules/fragments/organes) fonctionnent en interrelation et forment un tout. Les œuvres transmédiatiques sont ainsi révélatrices de l’écologie médiatique qui est au cœur de l’expérience d’écrivain de François bon mais aussi de l’expérience quotidienne de tout lecteur contemporain. Dans une même journée, nous passons du téléphone portable, à l’écran d’ordinateur et/ou de télévision, lisons des livres et des journaux : la grande majorité d’entre nous avons l’habitude de passer d’un média à l’autre, notre expérience quotidienne de lecture est transmédiatique.

Notes

[1] François Bon, « François Bon : Après le livre, pas d’apocalypse », entretien réalisé par Marie Chaudey le 30 septembre 2011, modifié le 1er octobre 2011, La vie, En ligne ici.

[2] Roland Barthes, « De l’œuvre au texte », Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 70.

[3] Ibid.

[4] Nous traduisons. « A transmedia story unfolds across multiple media platforms with each new text making a distinctive and valuable contribution to the whole. In the ideal form of transmedia storytelling, each medium does what it does best—so that a story might be introduced in a film, expanded through television, novels, and comics; its world might be explored through game play or experienced as an amusement park attraction » (Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York et Londres, New York University Press, 2006, p. 95-96).

[5] Ibid.

[6] François Bon, « François Bon : Après le livre, pas d’apocalypse », art. cit.

[7] Ibid.

[8] Nous traduisons. « The types are described through the notion of intracompositional and intercompositional phenomena. That is, some works are transmedia works themselves, while others can be transmedia because of the relations between works » (Christy Dena, Transmedia Practice : Theorising the Practice of Expressing a Fictional World Across Distinct Media and Environments. Thèse. Université de Sydney, 2009, p. 97).

[9] Id., p. 97.

[10] François Bon, « Digression | ce que serait le site d’une seule histoire », Tiers Livre,  article 3749, première mise en ligne le 29 octobre 2013 et dernière modification le 10 février 2014, consulté le 29 novembre 2013.

[11] François Bon, « Internet et rémunération des auteurs », Tiers Livre, article 1865première mise en ligne le 28 août 2009 et dernière modification le 20 octobre 2009, consulté le 25 août 2014.

[12] François Bon, entretien radiophonique avec Alain Veinstein, Du jour au lendemain, France culture, 20 septembre 2013. En ligne ici.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] François Bon, Proust est une fiction, Paris, Seuil, 2013, p. 17.

[16] Id., p. 196-197.

[17] Id., quatrième de couverture.

[18] Id., p. 15-16.

[19] François Bon, « [hors série] pourquoi comment je sais pas », Tiers Livre, article 3340mis en ligne le 20 janvier 2013, consulté le 25 août 2014.

[20] François Bon, entretien radiophonique avec Alain Veinstein, Du jour au lendemain, loc. cit.

[21] François Bon, « Histoire de mes livres », Tiers Livre, article 3688première mise en ligne le 3 novembre 2013 et dernière modification le 18 avril 2014, consulté le 25 août 2014.

[22] François Bon, Proust est une fiction, op.cit., p. 110.

[23] Cet article étudie le site tel qu’il était en ligne à la date du colloque de Montpellier d’où est issu ce dossier.

[24] « Des années que je me sers des recherches d’occurrences dans les livres (FranText et autres labo de recherche – qui se souvient d’Etienne Brunet – ça préexistait de longtemps à nos accès webs), mais je ne m’en étais jamais servi avec une telle systématique, sur un corpus de 50 000 mots. Encore ce matin, sur cortège, miroir, livre. Beaucoup trop vaste pour être mémorisée simplement, la recherche d’occurrences permet de s’approprier le livre comme ensemble », François Bon, « [hors série] pourquoi comment je sais pas », art. cit.

[25] Ces derniers boutons n’existaient pas dans la version du site de novembre 2013. Nous avions cependant alors l’opportunité de nous servir d’un menu à droite, placé sous un portrait sépia de Proust.

[26] François Bon, « digression | ce que serait le site d’une seule histoire », art. cit.

[27] C’est-à-dire Tiers Livre, nerval.fr, the lovecraft monument.

[28] Nous pouvons ici faire référence au travail de définition du blog effectué dans notre thèse de doctorat. Nous identifions sept points caractéristiques : 1. le blog est un site Web dont la gestion a été simplifiée par des logiciels spéciaux qui le rendent accessible 2. le blog possède une esthétique propre qui permet de le différencier des autres sites Web 3. le blog est constitué de ce qu’on appellera des entrées ou des billets, soit des unités de contenu qui peuvent être textuelles ou constituées d’images, de vidéos, de sons 4. le blog est complété de manière régulière. 5. les entrées apparaissent sur le site en ordre anté-chronologique 6. les anciennes entrées sont archivées 7. le blog possède un aspect interactif et communautaire (Anaïs Guilet, Pour une littérature cyborg : l’hybridation médiatique du texte littéraire, Thèse, université de Poitiers et université du Québec à Montréal, 2013, p. 178). Pour plus d’informations : www.cyborglitteraire.com, ici.

[29] François Bon, « [Proust, hors série] simplement merci », Tiers Livre, première mise en ligne le 10 février 2013. En ligne ici, consulté le 25 août 2014.

[30] V. l’article de Florence Thérond dans ce dossier.

[31] Alexandre Gefen, « Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création », Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Christèle Couleau & Pascale Hellégouarc’h (dir.), Paris, L’Harmattan, 2010, p.157-158. En ligne ici.

[32] À noter que le fil Twitter a disparu de la marge de gauche en date du 25 août 2014.

[33] Danielle Aubry, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Bern / Berlin / Bruxelles / Frankfurt am Main / New York / Oxford / Wien, Peter Lang, 2006, p. 2.

[34] François Bon, « digression | ce que serait le site d’une seule histoire », art. cit.

[35] François Bon, « [Proust, hors série] simplement merci » art. cit.

[36] Parfois ce sont des photographies de Bon lui-même comme pour le billet 46, « Photo haut de page : hommage au voyageur arrivant en train à Combray, la Beauce et la voie ferrée juste avant Châteaudun.

[37] François Bon, « Proust #28 | pour me distraire les soirs où on me trouvait trop malheureux », Tiers Livre, article 3242, première mise en ligne le 2 décembre 2012 et dernière modification le 25 juin 2013, consulté le 25 août 2014.

[38] François Bon, « [53] comme avant d’avoir parfait leur voûte s’écroulent les vagues », Tiers Livre, article 3299, première mise en ligne 30 décembre 2012 et dernière modification le 6 mai 2013, consulté le 25 août 2014.

[39] François Bon, « hommage Gustave Le Gray, photographier la mer », Tiers Livre, article 87première mise en ligne le 18 avril 2005 et dernière modification le 11 mars 2014, consulté le 25 août 2014.

[40] François Bon, « [hors série] pourquoi comment je sais pas », art.cit.

[41] Ibid.

[42] François Bon, « Chevillard | L’autofictif Site, L’autofictif Livre », Tiers Livre, article 1623première mise en ligne le 21 janvier 2009, consulté le 25 août 2014.

[43] « La lecture intensive a comme modalité de base d’être un acte de compréhension du texte, et la lecture extensive d’être un acte de progression à travers celui-ci. […] Lire de façon extensive, c’est comprendre de façon superficielle ; et lire de façon intensive, c’est rester éternellement sur un même texte » (Bertrand Gervais, À l’écoute de la lecture, Montréal, VLB, 1993, p. 37).

[44] Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 346.

Bibliographie

AUBRY, Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2006.

BARTHES, Roland, « De l’œuvre au texte », dans Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984.

BON, François, Proust est une fiction, Paris, Seuil, 2013.

—, Tiers Livre, web&littérature_séries_ateliers_journal, http://tierslivre.net/

DENA, Christy, Transmedia Practice : Theorising the Practice of Expressing a Fictional World Across Distinct Media and Environments, Thèse, Université de Sydney, 2009. En ligne ici. Consulté le 8 septembre 2012.

GEFEN, Alexandre, « Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création », dans Les blogs. Écritures d’un nouveau genre?, Christèle Couleau et Pascale Hellégouarc’h (dir.), Paris, L’Harmattan, 2010. En ligne ici. Consulté le 25  août 2014.

GERVAIS, Bertrand, À l’écoute de la lecture, Montréal, VLB, 1993.

GUILET, Anaïs, Pour une littérature cyborg : l’hybridation médiatique du texte littéraire, Thèse de doctorat, Université de Poitiers et Université du Québec à Montréal, 2013.

JENKINS, Henry, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York & Londres, New York University Press, 2006.

Auteur

Anaïs Guilet est maître de conférences à l’université Savoie Mont Blanc (Chambéry). Elle est rattachée au laboratoire de recherche LLSETI. Spécialisée dans les humanités numériques, elle est membre associé du laboratoire FIGURA, de l’UQAM (Québec). Ses recherches portent sur les esthétiques numériques et transmédiatiques, ainsi que sur la place du livre dans la culture contemporaine. Son site Web : www.cyborglitteraire.com.

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Le flâneur, le collectionneur, le blogueur et l’art de la trouvaille


L’écriture littéraire du blog, en ses notes quotidiennes, micro-fictions ou poèmes, souvent suscités par des rencontres, et qui se donnent à lire à partir du plus récent, réinvente aujourd’hui une figure du flâneur (et, dans une moindre mesure, du collectionneur) et un art de la trouvaille dont les racines sont anciennes. Elle réactive une peinture de la vie moderne qui a conquis sa légitimité artistique au XIXe siècle, mais elle s’inscrit également dans une requalification des arts de faire et des pratiques quotidiennes dont Michel de Certeau a montré depuis les années 1970 l’importance dans la culture européenne, au côté de, et souvent en rivalité avec, les savoirs savants institutionnalisés depuis le XVIIe siècle. Nous voudrions ici analyser comment cette écriture du blog, en valorisant l’anodin, le fugace ou l’infime, approfondit un art de la déviance, politique, fictionnelle ou imaginaire, et réinterroge notre inscription dans un présent en devenir.

Literary writing on blogs in the form of daily notes, micro-fictions or poems, is often inspired by encounters, allowing the reinvention of the figure of the flâneur (and to a lesser extent, of the collector) and the ancient art of discovery. It revives the practice of the artistic depiction of modern life which gained legitimacy in the 19th century; but it may also be considered as one of the ‘arts of doing’ that Michel de Certeau regarded as so important in European culture. In the 1970s, Certeau showed how the ‘practice of everyday life’ was in competition with institutionalised scholarly knowledge from the 17th century onwards. Our aim here is to analyse how this blog writing, in placing value on the banal, allows us to question our own place in the ever-evolving present time.


Texte intégral

L’écriture littéraire du blog, en ses notes quotidiennes, micro-fictions ou poèmes, souvent suscités par des rencontres, et qui se donnent à lire à partir du plus récent, réinvente aujourd’hui une figure du flâneur (et, dans une moindre mesure, du collectionneur) et un art de la trouvaille dont les racines sont anciennes. Elle réactive une peinture de la vie moderne qui a conquis sa légitimité artistique au XIXe siècle, mais elle s’inscrit également dans une requalification des arts de faire et des pratiques quotidiennes dont Michel de Certeau a montré depuis les années 1970 l’importance dans la culture européenne, au côté de, et souvent en rivalité avec, les savoirs savants institutionnalisés depuis le XVIIe siècle. Nous voudrions ici analyser comment cette écriture du blog, en valorisant l’anodin, le fugace ou l’infime, approfondit un art de la déviance, politique, fictionnelle ou imaginaire, et réinterroge notre inscription dans un présent en devenir.

1. L’écrivain blogueur, peintre de la vie moderne

La présentation de la série « Balades photo » de Dominique Hasselmann par François Bon sur le site remue.net rappelle les grands modèles d’une écriture de la déambulation urbaine en dialogue avec l’image photographique :

Paris au gré de la flânerie, Paris des écrivains à portée d’œil, dans la magie baudelairienne des instants de la ville – entre instants d’épiphanie saisis sur le vif, et les livres et la littérature relus dans la rue, c’est sur remue.net manifester notre attachement à Nadja, au Paysan, à la grande tradition surréaliste d’entre la ville et les signes [1].

Ces chroniques urbaines intègrent d’ailleurs souvent une dimension réflexive, comme l’indique clairement la page « Flânerie interdite » de la série « La ville écrite » d’Arnaud Maïsetti, où tente de s’approfondir la relation avec les modèles invoqués, en même temps que le compagnonnage se tresse de renvois hypertextuels (ici soulignés) aux auteurs ou aux notions cités, qui essaie de conjurer l’angoisse d’un univers beaucoup plus contraint :

Baudelaire, Blanqui, Benjamin (Bataille, pour la destruction du but) (et Blanchot pour le désœuvrement) – dans nos errances, on voudrait rejoindre leurs ombres, on voudrait glisser la nôtre sous elles : et nos ombres sont errantes dans l’espace judiciarisé qu’est devenue la ville [2].

Quelques textes de la série de François Bon « Étrangetés concernant les villes » mettent particulièrement en abyme la figure du flâneur observateur, et questionnent la dimension problématique de la captation visuelle dans l’univers urbain. Dans « L’œil dans la ville », le flâneur (« moi, qui n’avait rien à faire ici et qui m’était arrêté une seconde photographier l’appareil ») tombe sur un œil autrement plus performant que le sien, un œil machine sur son trépied, qui capte, au-delà du visible, « notre réseau de relations, l’infini et grouillant nuage de notre totalité relationnelle », qui intègre et supplante la ville elle-même comme contexte de toutes les rencontres possibles. La série de photos qui accompagne ce texte progresse vers un gros plan de cet œil machine qui, occupant toute l’image, semble effectivement avoir englouti la ville et s’avancer avec voracité vers l’internaute [3].

Figure 1 oeil_2 (1)

Figure 2 oeil_3

Doc. 1 et 2 – « L’œil dans la ville », images en fin de texte (François Bon, Tiers Livre, série « Étrangeté concernant les villes », ici).

Dans la même série « Étrangetés concernant les villes », à la page « Branche 4 bis du tombeau de Joseph Beuys », composée d’une série de propositions cinématographiques (sous l’enseigne d’un miroir de surveillance, dont le passage de la souris provoque le grossissement), la Section 26 intitulée « développer l’inventaire des captations arbitraires » propose une réécriture de « l’homme des foules » de Poe puis Baudelaire, avec pour modèle non plus le peintre Constantin Guys, mais le cinéaste russe d’avant-garde Ziga Vertov :

images à hauteur de buste, et se déplacer soi dans une foule, devenir homme-caméra selon moyens mobiles d’aujourd’hui, transposer la suite des figures de Ziga Vertov dans une métropole contemporaine
passer aussi dans les tombes
explorer les lieux de travail
revenir à celui qui est dans son appartement et n’ose pas en sortir [4].

Ici s’articulent l’extérieur urbain dans la multiplicité de ses décors et l’intérieur-coquille du reclus, en une complémentarité qu’avait déjà décrite Walter Benjamin, quand les trouvailles chinées dehors se font ornementations d’un dedans à l’image de l’habitant [5].

Certains des textes de la série « Étrangetés concernant les villes », courts récits à tonalité fantastique [6], proches du poème en prose (qui peu à peu composent un Spleen des métropoles ?), n’oublient pas en effet de faire surgir les chambres, écrins des corps, en leurs métamorphoses contemporaines : cases superposées pour une humanité qui vit donc désormais en rampant [7] ; séries d’écrans qui matérialisent la chambre mentale, l’ancienne projection psychologique de l’individu sur son décor [8], en soutirant et affichant toutes ses données personnelles [9] ; série de chambres d’hôtels toutes semblables où l’identité du sujet ne peut plus s’affirmer que dans la scrutation de sa propre absence [10].

Les « instants d’épiphanie saisis sur le vif » peuvent donc susciter une dérive imaginaire où s’exprime l’angoisse inverse d’un vertige de la sériation, de la totalisation, qui piège le sujet singulier, entrave sa liberté et sa capacité à réagir. Ce sont les principes de ce surgissement fondateur, essentiel à la fertilité de la flânerie, et dont la perte est thématisée avec angoisse, que nous voudrions à présent analyser.

2. Un art du kairos

Il faut approfondir ce que la figure du flâneur et sa capacité de captation à l’aide des « moyens mobiles d’aujourd’hui » doit à une très ancienne intelligence tactique de l’occasion, du moment opportun (kairos), qui prédispose à la rencontre d’une trouvaille. Michel de Certeau en voit la trace dans la mètis des Grecs, analysée par Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dans Les Ruses de l’intelligence (1974), et il choisit d’en détailler le mécanisme pour pouvoir mieux comprendre, au chapitre suivant de son essai L’Invention du quotidien, les « Marches dans la ville », la façon dont les « marcheurs », à l’opposé des totalisations d’une vision surplombante ou panoramique, redécouvrent l’étrangeté du quotidien, en préférant le fragment et en amplifiant le détail, d’une part, en défaisant la continuité et en déréalisant la vraisemblance, d’autre part (il y a ainsi pour de Certeau une « rhétorique cheminatoire » qui repose sur la synecdoque et l’asyndète [11]). Cette façon d’isoler et de singulariser le détail de la déambulation urbaine est de fait à l’œuvre dans la série « Fictions dans un paysage » de François Bon. Cette série, sous-titrée « De l’imaginaire du monde par nos photographies qui l’arrêtent » (je souligne), appartient, comme la série «  Étrangetés concernant les villes », à la rubrique plus vaste « Tunnel des écritures étranges », et peut nous aider à comprendre le dispositif d’écriture du blogueur-flâneur : F. Bon évoque en effet pour « seule contrainte un lien le plus organique possible entre le texte – censé ne rien connaître d’autre, à ce moment précis, que ce qu’elles isolent provisoirement – et la série d’images sur un même point très précis de réel qu’on arrête. » (je souligne). Il ajoute : « C’est une série au long cours, uniquement basée sur l’irruption – tellement rare bien sûr – de ce dépaysement [12]. »

Or l’« irruption du dépaysement », l’apparition soudaine de l’étrange dans le quotidien qu’arpente le flâneur, et le retournement déréalisant de la perception ordinaire, reposent sur une gestion spécifique du temps et de la mémoire, sur cette saisie de l’occasion, du moment opportun, qu’analyse précisément Michel de Certeau. Ce retournement, qui fait que l’ordinaire le plus pauvre devient la source d’un potentiel insoupçonné, implique la mise en œuvre d’une mémoire pratique, d’une mémoire des expériences passées, concentré de savoir qui s’actualise paradoxalement dans l’instant (« l’occasion loge tout ce savoir sous le volume le plus mince. Elle concentre le plus de savoir dans le moins de temps [13] »). Qu’on songe par exemple à la quête du chineur qui saura repérer, au plus obscur d’une boutique délabrée, une pièce de grand prix, parce qu’il aura reconnu la courbe ou l’éclat d’un type d’objets qu’il collectionne depuis longtemps. Autre paradoxe associé à la saisie du moment opportun, celui qui s’opère dans la « juxtaposition de dimensions hétéronomes [14] », dans la requalification de l’objet perçu, pour suivre l’exemple du chineur, où le plus ordinaire (le débris apparent) devient le plus précieux (un violon de faïence, un éventail peint par Watteau [15]…). Un ordre spatial stabilisé (ici la boutique ensevelie dans sa poussière séculaire) est modifié par l’irruption du temps tranchant de l’occasion, et un « invisible savoir » bouleverse le « pouvoir visible [16] » (le beau est découvert en un endroit étiqueté dans l’espace social comme lieu de rebut).

N’est-ce pas ce fonctionnement que l’on trouve à l’œuvre dans « La disparition de la jeune fille en rouge », extrait de la série « Étrangetés concernant les villes » de François Bon, où un escalier (de parking ?) est requalifié comme un « avaleur » ? Si l’escalier anodin, aux montants de béton maculés d’inscriptions taguées, est soudain perçu comme un prédateur, gueule ouverte vers une passante qui le frôle (comme le montre la photographie qui ouvre le texte), c’est parce qu’une mémoire de savoirs et d’expériences disjointes (« On dit que les villes sont vivantes. » ; « On leur a tant demandé, à nos villes. On les use […], on les creuse […] » ; « On dit que la fonction sacrificielle est si vieille dans nos sociétés […] »), s’actualise soudain dans un choc ici complexe, celui d’une rencontre sitôt doublée d’une disparition (« Elle était là et puis soudain plus [17] »), qui transforme la perception du contexte immédiat, soudain rendu responsable de la disparition, « de façon quantitativement disproportionnée » à l’équilibre alentour qui semble perdurer. La stabilité environnante, thématisée en amont par « la boutique étroite, l’air comme endormie » avec ses « alternateurs alignés sur des étagères » (de sorte que le narrateur est presque un collectionneur fasciné par la série, « répétition d’un objet de plus chargé pour moi de mémoire », « curieux assemblage » qui prépare la découverte de l’autre curiosité qu’est « l’avaleur »), l’est en aval par le vide dans lequel résonne l’événement (vide de la boutique, vide des alentours). Mais la saisie du moment a fait jaillir un savoir nouveau, la conscience que la « structure de fer et de béton, immobile », est en fait un « avaleur » dont il faut désormais s’éloigner prudemment. Face à la banalité anesthésiante de l’ordre urbain se dresse la dénonciation de sa violence cachée, qui programme la disparition perlée des individus auxquels on cesse d’être attentifs, plus radicalement encore que ces objets vieillissants des boutiques étroites auxquels s’attache encore la nostalgie du promeneur [18]. L’instant de la saisie est d’autant plus dramatisé qu’il résonne comme celui d’autres pertes à venir. Le kairos de la rencontre du flâneur est un moment d’autant plus précieux qu’il est plus fragile, et le flâneur connaît le maelström menaçant dans lequel il se produit (« La rue assourdissante autour de moi hurlait », dit Baudelaire) : pour l’écrivain blogueur, ce n’est plus seulement le tourbillon de la ville, c’est aussi celui de l’espace virtuel du web qui lui confère la conscience aiguë de cette fragilité.

Figure 3 disparition jfemme en rouge

Doc. 3 – « La disparition de la jeune fille en rouge », image liminaire (François Bon, Tiers Livre, série « Étrangeté concernant les villes », ici).

À la flânerie urbaine répond ainsi l’autre flânerie, dans le cyberespace, quand la rencontre dans l’espace réel transcrite par le texte et l’image devient chez le lecteur naviguant dans l’espace virtuel l’occasion d’une autre trouvaille, suscitant à son tour la mise en jeu d’une mémoire des expériences passées qui s’actualise en un instant. Ce jeu de réactions en chaîne a également été pensé par Michel de Certeau, qui met en valeur l’altérité qui stimule la mémoire que mobilise l’occasion :

La mémoire pratique est régulée par le jeu multiple de l’altération, non seulement parce qu’elle ne se constitue que d’être marquée des rencontres externes et de collectionner ces blasons successifs et tatouages de l’autre, mais aussi parce que ces écritures successives ne sont « rappelées » au jour que par de nouvelles circonstances. […] la mémoire est jouée par les circonstances, comme le piano « rend » des sons aux touches des mains. Elle est sens de l’autre. Aussi se développe-t-elle avec la relation […]. Plus que enregistrante, elle est répondante [19].

On comprend que cette mémoire répondante « du tac au tac [20] » est aujourd’hui particulièrement stimulée par la circulation de l’information en réseaux, et on peut voir l’exemple de ces trouvailles en chaîne lorsque les commentaires accueillis sur la page du blogueur ne sont pas simple acquiescement, mais rebondissement et surgissement d’une autre image. Ainsi, sur le site Gammalphabet où Jean-Yves Fick publie chaque jour un court poème proche du haiku, et parfois une photographie, peut-on trouver le texte suivant, dont nous donnons ensuite le commentaire qu’il a suscité un jour après :

infime — 112                         13 juillet 2016

aux lisières du jour
des rires d’étoiles
peu à peu qui s’effacent

sans jamais d’ironie
le fleuve découvre
leurs reflets sur ses rives

même aux sables noirs.

1 commentaire

loess de miroirs, grain à grain l’écho se mire [21]

Dans le poème de J.-Y. Fick se déploie un petit diptyque qui oppose un ciel d’aube à l’obscurité du fleuve, étrangement unifié par un picotement pâlissant d’étoiles. Or le commentaire est surtout sensible à cet émiettement, qu’il accentue, et transpose sur le plan sonore (dans l’image et l’allitération généralisée en r). Ce rebondissement est peut-être inconsciemment stimulé par la photographie postée le même jour par Jean-Yves Fick (sans lien direct avec le poème) et intitulée « Machiner la pluie – totem urbain 1 », où des architectures urbaines floutées par la double médiation, qui écrase la perspective, d’une vitre et de la pluie, donnent l’illusion d’un visage stylisé. Si le lien entre le commentaire (qui se rapporte au poème) et l’image (laissée sans commentaire), n’est pas délibéré, en dépit des jeux de miroirs et de délitements qu’ils partagent, l’architecture de la page dessine l’habituel carrefour qui appelle le surgissement d’autres rencontres, et peut-être, de nouvelles fulgurances, avec les autres interventions sollicitées, concernant le même poème (« Laisser votre commentaire »), ou répondant au premier commentaire (« Répondre »), ou renvoyant aux poèmes précédant (« Machiner la pluie – totem urbain 1 ») ou suivant (« infime – 113 »).

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Doc. 4 – « Machiner la pluie – totem urbain 1 » (Jean-Yves Fick, Gammalphabet, 13 juillet 2016, ici).

Figure 5 commentaire Infime 112

Doc. 5  – Commentaire signé « annajouy, 14 juillet 2016, 17h25 »,  au poème « infime – 112 » (Jean-Yves Fick, Gammalphabet, 13 juillet 2016, ici).

On voit comment cette écriture du blog maximise son ouverture à toutes les rencontres, et démultiplie la force subversive du kairos, en mobilisant une pluralité de mémoires, potentiellement riches de « détails ciselés, singularités intenses [22] », et susceptibles de produire des retournements inattendus. Michel de Certeau prolonge l’analyse de ce fonctionnement de la mémoire, dont il restitue l’étonnante plasticité dans ses actualisations instantanées et souvent disruptives, jusqu’à une sorte de préscience des usages contemporains du web :

Le plus étrange est sans doute la mobilité de cette mémoire où les détails ne sont jamais ce qu’ils sont : ni objets, car ils échappent comme tels, ni fragments, car ils donnent aussi l’ensemble qu’ils oublient ; ni totalités, car ils ne se suffisent pas ; ni stables, puisque chaque rappel les altère. Cet « espace » d’un non-lieu mouvant a la subtilité d’un monde cybernétique. Il constitue probablement […] le modèle de l’art de faire, ou de cette mètis qui, en saisissant des occasions, ne cesse de restaurer dans des lieux où les pouvoirs se distribuent l’insolite pertinence du temps [23].

Il en ressort que flânerie urbaine et flânerie sur le net relèvent toutes deux d’un art de faire, d’un savoir pratique où la saisie du moment joue un rôle crucial, à chaque instant, et le monde, mouvant, se réinvente, dans chacune de ces occasions captées et retournées.

En décrivant un « art de la mémoire » fondé sur la gestion empirique du moment, De Certeau s’oppose à une conception plus traditionnelle des techniques de mémoire depuis l’Antiquité, où la remémoration des choses repose sur leur insertion dans un quadrillage spatial, assemblage des éléments d’une architecture, voire vitrines successives d’une collection : de la sorte, « la spatialisation du discours savant » rationalise et contrôle l’imprévisible de l’occasion [24].

Or ces deux modèles coexistent en réalité : il y a de fait une tension persistante entre, d’une part, le quadrillage rationalisant de la taxinomie, qui garantit une visibilité du contexte, et, partant, une lisibilité de la trouvaille, progressivement enveloppée dans les couches successives de ses significations, de ses appartenances à des classifications, et, d’autre part, l’aléa des empilements d’expériences qui ont créé l’occasion et permis l’émergence soudaine de ladite trouvaille.

Cette tension est diversement gérée sur les blogs littéraires. Certains parient plutôt sur le surgissement : le poème du jour apparaît dès l’accès à la page d’accueil de Gammalphabet, il faut dérouler longuement celle-ci pour découvrir enfin le blogroll, menu latéral où sont listées d’abord les billets les plus récents, ensuite les différentes séries poétiques dans lesquels ils sont réordonnés. Sur la page d’accueil du site « Désordre » de Philippe de Jonckheere, des photos sont jetées en vrac (tas épars remélangé à chaque navigation), sur lesquelles il faut cliquer pour accéder à une série qu’on peut alors dérouler chronologiquement, mais sans jamais pouvoir visualiser une architecture d’ensemble du site [25].

Figure 6 De Jonckheere

Doc. 6  – Page d’accueil du site « Désordre » de Philippe de Jonckheere (https://www.desordre.net/), le 6 août 2016.

À l’opposé, d’autres sites s’ouvrent d’abord par un sommaire. Celui du Tiers Livre de François Bon, quoique détaillé, semble répondre à une rhétorique assez pragmatique, qui mime les interrogations du lecteur (sa première subdivision s’intitule « qui quoi comment ? », et chaque page contient dans son en-tête la formule « mais quelle est cette rubrique (se repérer) »). La page d’accueil des Carnets d’Arnaud Maïsetti propose quant à elle un sommaire extrêmement soigné, en diverses catégories qui contiennent chacune trois subdivisions, lesquelles listent les trois textes les plus récents. Mais chaque page du carnet présente ensuite, au-delà d’un menu latéral gauche avec un sommaire simplifié qui reprend le dispositif classificatoire initial, un choix de liens qui invite à une circulation plus libre sur le site, et qui répond à une rhétorique plus désinvolte : « par le milieu », « une autre page des carnets arrachée par hasard ». À contrepied des dispositifs taxinomiques qui balisent trop strictement la lecture et limitent la surprise des rencontres, il s’agit d’encourager celles-ci en multipliant comme on l’a vu les carrefours, mais on peut se demander si la quête du « moment », constamment stimulée puisqu’il suffit de cliquer sur un lien, n’est pas à tout moment menacée par la nomenclature, et la trouvaille sur le point de s’enliser dans l’exhibition ou le classement de la collection. Est-ce que les mises en listes piègent l’instant du surgissement ? À moins qu’elles ne le protègent et le pérennisent dans l’espace mouvant du web…

3. L’art de l’infime et de la fugue

On voudrait finalement s’attacher à la façon dont certains blogs littéraires s’efforcent de thématiser l’instant, quand il est moins temps du retournement que temps qui passe et temps qu’il fait, temps mouvant mais suspendu dans le moment de sa captation (sensorielle et/ou photographique) et de sa transcription (écrite), temps rendu sensible dans l’attention à l’infime, non plus temps électrisé du surgissement mais temps autrement arrêté dans sa continuité, par une préhension ponctuelle. Le flâneur, comme on sait, a la tête en l’air et le nez au vent, à moins qu’il ne scrute à terre un détail insignifiant.

La démarche n’est pas nouvelle. Comme le rappelle Marie-Ève Thérenty, « il ne faudrait pas imputer au Web l’invention de phénomènes qui lui sont bien antérieurs et qu’il amplifie et renouvelle comme l’écriture du quotidien, le travail sur le fragment [26] […] ». Le flâneur des poèmes en prose du Spleen de Paris est fasciné par « l’architecture mobile des nuages », « les merveilleuses constructions de l’impalpable [27] ». L’écriture diariste des Goncourt enregistre le jour qui « se lève pour la première fois dans la brume d’automne » (6 octobre 1870), « un ciel de sang, une lueur de cerise, teignant le ciel jusqu’au bleu ombre de sa nuit … » (24 octobre 1870), « un léger lavis de nuages violets sur une feuille de papier d’or » (27 octobre 1870) [28]. Le haïku a rendu compte aussi des instants du jour, et ajoute à l’éphémère de la notation, la brièveté de la forme et l’effet de surprise de la chute. Ces différents héritages (et le dernier cité, particulièrement) inspirent l’écriture littéraire des blogs, comme l’attestent ces deux exemples, emprunté l’un au site « Paumée » de Brigitte Célérier, l’autre au site « Fut-il » de Christophe Sanchez : « ciel de pierre bleue / sous coup de fouet modéré / du seigneur mistral » (mardi 2 aout 2016, « Dans les rues, matin ») [29] ; « L’attente de l’aube / Monte en ventre bleu / Et rouge, couperose / Sur le visage de l’im- / Patient » (vendredi 8 janvier 2016) [30].

On voudrait surtout s’attarder sur les poèmes du site Gammalphabet de Jean-Yves Fick, parfois rangés dans des séries au titre explicite (« Infimes », « Formes de peu »), qui comptent chacune plus d’une centaine d’items. Ces poèmes sont aussi tressés aux fils d’autres catégories : « Icaria », « Notes brèves », « Riens »… Dans ces séries ouvertes, qui classent tout en mélangeant, et étiquettent en blanc, car elles n’indiquent que le vide ou le presque néant, l’écrivain laisse en outre visibles des ratures et des tâtonnements, dans un site lui-même placé sous le signe de l’essai (avec son sous-titre « Des essais de voix par temps contemporain ») :

infimes – 118, 25 juillet 2016

des feuillages
d’encore l’été
et dessous des voix

que viennent mêler d’ombres
les formes diverses du jour
avant que les yeux ne se ferment

tout un monde bascule chute vers sa nuit [31].

L’instant fragile du soir d’été où des voix conversent se dit dans un feuilletage de formes, de sons, d’ombres, et la frêle épaisseur s’abolit. Confusions infimes d’échos ténus qui sont pourtant preuves de l’être :

infimes – 123, 3 août 2016

rumeurs
comme de voix
mais ce sont

tout bas
d’autres hôtes
qui bruissent

l’exister — [32]

formes de peu — 213,

cela que hisse delà
le corps soudain aboli  évanoui évanescent épuisé
regarde l’étrange
extrême de vivre [33].

Objets non finis, glissés dans des séries ouvertes, à l’intersection de fils à tresser encore, voilà ce que semblent être les instants captés, en mots transposés, de Jean-Yves Fick. Loin de la taxinomie qui fige l’instant, il suscite, comme Des Esseintes avec son orgue à parfums dont des touches manquent, de curieuses contre-collections [34], qui jouent de la perception et de son évanescence, de l’essence et de son abolition, de l’émergence et de la néantisation : le plus fragile, et le plus essentiel, de chaque instant, paradoxalement travaillé et esthétisé dans sa fragilité même.

Notes

[1] En ligne ici. Voir aussi la récente synthèse de Marie-Ève Thérenty, « La rue au quotidien. Lisibilités urbaines, des tableaux de Paris aux déambulations surréalistes », Romantisme, n° 171, 2016, p. 5-14.

[2] http ://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1726, consulté le 6 août 2016. Voir aussi la page « Enjoy », de la même série « La ville écrite ». La violence coercitive de la ville suscite un positionnement à rebours du flâneur, comme l’avait déjà montré Walter Benjamin (Chapitre III, « Le flâneur » dans Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot, 2002).

[3] « L’œil dans la ville », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3231, consulté le 6 août 2016.

[4] « Branche 4 bis du tombeau de Joseph Beuys », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3231, consulté le 6 août 2016.

[5] Paris, capitale du XIXe siècle, Exposé de 1939, « Louis-Philippe ou l’intérieur », Cerf, 1989, p. 40 sq.

[6] Sur l’utilisation de ce registre chez F. Bon, en lien avec la déambulation urbaine, voir notamment Gilles Bonnet, François Bon. D’un monde en bascule, La Baconnière, 2011 (chap. 5, « Mondes possibles », section « Dans la ville fantastique », p. 185 sq.)

[7] « Vivre en rampant ».

[8] Voir mon essai Poétique de la collection au XIXe siècle, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2010, accessible en ligne : http ://books.openedition.org/pupo/618?lang=fr

[9] « Remembrance of things past », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3536, consulté le 6 août 2016.

[10] « J’ai dormi dans mon absence (nuits Cergy) », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4066, consulté le 6 août 2016.

[11] L’Invention du quotidien (1980), Gallimard, « Folio Essais », 1990, t. I, p. 151 sq.

[12] « Fictions dans un paysage. Sommaire général », http ://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4004, consulté le 6 août 2016. C’est F. Bon qui souligne le mot dépaysement.

[13] L’Invention du quotidien, op. cit, p. 126.

[14] Ibid., p. 127.

[15] Ce sont les trouvailles respectives des héros de Balzac et de Champfleury (Le Cousin Pons, 1847 ; Le Violon de faïence, 1862).

[16] Ibid., p. 128.

[17] « Un éclair… puis la nuit ! » (Baudelaire, « À une passante »).

[18] L’obsolescence est une thématique privilégiée de l’écriture littéraire du blog : voir par exemple Dominique Hasselmann, « Machine-aérolithe d’un temps disparu », http ://remue.net/spip.php?article1686, et, sous forme de séries de textes et d’images, les devantures condamnées du blog « Au petit commerce », http ://aupetitcommerce.tumblr.com. C’est « l’archéologie du présent » qui s’écrit alors sur le net, pour reprendre le titre évocateur d’un portfolio du photographe Georgios Makkas, « The Archeology of Now », http ://www.gmakkas.com/portfolio/C00005CBWq5gxTjk/G00005nk8B9pj9n4 (sites consultés le 6 août 2016).

[19] L’Invention du quotidien, op. cit., p. 132.

[20] « L’occasion, saisie au vol, ce serait la transformation même de la touche en réponse, un « retournement » de la surprise attendue sans être prévue : ce qu’inscrit l’événement, si fugitif et rapide qu’il soit, est retourné, lui est retourné en parole ou en geste. Du tac au tac. » (ibid., p. 133).

[21] https ://gammalphabets.org/2016/07/13/infime-112/, consulté le 6 août 2016.

[22] L’Invention du quotidien, op. cit., p. 133.

[23] Ibid., p. 133 (je souligne).

[24] Ibid., p. 134. M. de Certeau se refère à l’important ouvrage de Frances Yates, The Art of Memory (1966, première traduction française en 1975).

[25] https ://www.desordre.net/, consulté le 6 août 2016.

[26] Marie-Ève Thérenty, « L’effet-blog en littérature. Sur L’Autofictif d’Éric Chevillard et Tumulte de François Bon », Itinéraires [en ligne], 2010-2 | 2010, http ://itineraires.revues.org/1964, p. 61, consulté le 6 août 2016.

[27] Baudelaire, « Le port », « La soupe et les nuages ».

[28] E. de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1956, t. II, p. 304, 320, 322.

[29] http ://brigetoun.blogspot.fr/, consulté le 6 août 2016.

[30]  La série « Morning à la fenêtre » de Christophe Sanchez a été pensée à l’avance dans sa périodicité et dans sa mise en forme textuelle, mais aussi dans sa publication, comme l’atteste le commentaire de la dernière livraison, publié le 13 janvier 2016 : « C’est la dixième semaine du « morning » par la fenêtre. Deux strophes de quatre vers avec la contrainte de terminer par un vers court, un ou deux mots. Chaque « poème » est publié sur les réseaux sociaux. Un par jour. » (http ://www.fut-il.net/2016/01/morning-la-fenetre-s10.html, consulté le 6 août 2016). Il s’agit de « co-joindre le temps de l’écriture et de la publication », également « datés et préservés par la date », et par-là moins périmés que placés « sous la sauvegarde de l’événement », pour reprendre les termes d’Arnaud Maïsetti (« Lire et écrire numérique : journal d’un désœuvrement », 5 juin 2013, http ://arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1077, consulté le 6 août 2016).

[31] https ://gammalphabets.org/2016/07/25/infimes-118/, consulté le 6 août 2016.

[32] https ://gammalphabets.org/2016/08/03/infimes-123/, consulté le 6 août 2016.

[33] https ://gammalphabets.org/2016/07/31/formes-de-peu-213-2/, consulté le 6 août 2016.

[34] Voir mon article « Huysmans et la collection : le bazar, le répertoire, le bouquet, le recueil », Bulletin de la Société J.-K. Huysmans, n° 101 (centenaire de la mort de Huysmans), dir. André Guyaux, 2008, p. 17-44.

Auteur

Dominique Pety est professeure de littérature française à l’Université Savoie Mont Blanc depuis 2008. Ses travaux de recherche concernent particulièrement les représentations de la collection au XIXe  siècle (Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Droz, 2003 ; Poétique de la collection au XIXe  siècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2010), ainsi que l’organisation des savoirs et les pratiques de classement : elle a notamment codirigé la Bibliographie du XIXe  siècle Lettres-Arts-Sciences-Histoire, initiée par Claude Duchet, de 1999 à 2009 (SEDES puis Presses de la Sorbonne Nouvelle). Elle travaille actuellement sur les représentations de l’amateur, des anciennes pratiques savantes aux technologies du numérique (voir notamment Dominique Pety (dir.), Patrimoine littéraire en ligne : la renaissance du lecteur ?, Chambéry, Publication de l’Université Savoie Mont Blanc, « Corpus », 2015).

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