« … et les livres bientôt disparus » : biblio-apocalypses dans la littérature française de l’extrême contemporain

Résumé


Cet article explore, à partir de quelques textes-clés, le discours biblio-apocalyptique dans la littérature française contemporaine. Tandis que François Bon salue l’ère « Après le livre » avec un optimisme prudent, Frédéric Beigbeder voit la galaxie Gutenberg s’écrouler dans une « apocalypse d’amnésie et de vulgarité ». Virginie Despentes propose une autre version de l’Apocalypse bébé, reflétant de même la transformation du paysage littéraire à l’âge du numérique. Les livres-jeux et projets multi-supports de Chloé Delaume, s’interrogeant, elle aussi, sur formes et fonctions de l’objet livre, stimulent l’activité co-créatrice des lecteurs. Michel Houellebecq, enfin, médite depuis des années sur le livre entre mythe et marché, sur les conditions matérielles et médiatiques de l’écriture/lecture. Livres sur la fin du livre : ce corpus paradoxal invite à maintes réflexions sur la dé/construction de l’autorité et du rapport auteur-lecteur, sur les métamorphoses sensorielles de l’expérience littéraire ainsi que sur un changement de paradigmes biblio-philosophiques : comment lire le monde à l’âge de l’homme post-typographique ?


Based on some key texts, this article explores the biblio-apocalyptic discourse in contemporary French literature. While François Bon welcomes the era “After the Book” with cautious optimism, for Frédéric Beigbeder, the Gutenberg galaxy collapses into an “apocalypse of amnesia and vulgarity”. Virginie Despentes offers another version of Apocalypse bébé, also reflecting the transformation of the literary landscape in the Digital Age. Chloé Delaume questions forms and functions of the object book, too; her game-books and multi-media projects stimulate readers’ co-creative activity. Finally, Michel Houellebecq has been meditating for years on the book between myth and market, on the material conditions and the media of reading/writing. Books about the end of books: this paradoxical corpus invites various reflections on the de/construction of authority and the author-reader relationship, on the changing sensoriality of literary experience as well as on a biblio-philosophical paradigm shift: how do we read the world in the age of post-typographic man?


1. Métamorphoses du livre : introduction

« Que livres, écrits, langage soient destinés à des métamorphoses auxquelles s’ouvrent déjà, à notre insu, nos habitudes, mais se refusent encore nos traditions […] il faudrait être bien peu familier avec soi pour ne pas s’en apercevoir. Lire, écrire, nous ne doutons pas que ces mots ne soient appelés à jouer dans notre esprit un rôle fort différent de celui qu’ils jouaient encore au début de ce siècle […] [1] »… d’un siècle passé désormais. Cette méditation de Maurice Blanchot est pourtant de toute actualité à une époque où le débat autour de la fin du livre est mené d’une façon passionnée, du côté digitalophobe comme digitalophile, et tout particulièrement en France – ceci sur fond des auto- et hétéro-images, solidement établies, de la France en tant que « nation littéraire [2] » (et aussi éminemment bibliophile).

Fin du livre ? Habitons-nous, ainsi que l’affirme François Bon, dans un essai de penser la « mutation numérique […] déjà comme histoire » [3], désormais un monde d’« Après le livre » ? Le discours biblio-apocalyptique, contrastant le « vrai livre » traditionnel (qui, en fait, n’a jamais eu de forme « traditionnelle » [4]) et le « faux livre » numérique, soulève la question de l’essence du livre (voire de l’existence d’une telle essence). L’évolution médiatique nous permet de jeter un regard frais sur des formats invisibilisés par leur présence pluricentenaire : “ […] digital media have given us an opportunity we have not had for the last several hundred years : the chance to see print with new eyes […] ”, observe Nancy Katherine Hayles [5]. Joseph Tabbi souligne de même que “[…] the new media can help us to see the older, printed book in fresh ways ” [6]. Dans ce sens, c’est aussi, après le long « sommeil typographique » [7] de l’époque moderne, « sur l’histoire même du livre que le numérique nous invite à faire retour » [8], nous rappelant que le livre (et surtout « l’idée du livre » [9]) date de bien avant l’entrée de l’invention de Gutenberg sur la scène de l’histoire des médias.

2. Sommes-nous déjà « Après le livre » ?

Le discours sur la (fin de la) galaxie Gutenberg [10] et sur la fin du livre trace des frontières dans un certain degré artificielles ; entre les époques de l’« homme alphabétique » et de l’« homme typographique » d’un côté, entre âge du livre et âge de l’internet, « ère de la littérature » et « ère des algorithmes » [11] de l’autre. Se manifeste un désir de diachroniser au plus vite la « tension synchrone » entre monde analogue et monde digital [12] (chez Frédéric Beigbeder, « Gutenberg » est encore érigé en monument allégorique de tout un âge – toujours d’or, après coup – que notre époque ingrate serait en train de « poignarde[r] […] dans le dos » [13]). Mais tout comme la « gutenbergisation » de la société et de la conscience occidentales a été moins « une rupture totale » qu’une évolution à long terme [14], la transition que nous sommes en train de vivre est caractérisée moins par une coupure nette entre « âge du livre » et « âge d’après le livre » que par la coexistence anachronique (et anisochronique) de divers médias [15]. D’où cet investissement polémique dans une question de changement de paradigmes médiatiques ? Les discours sur la fin du livre doivent leur intensité « apocalyptique » sans doute aussi au fait qu’au-delà des aspects pragmatiques, toute une « ontologie du livre » [16] semble en jeu. Il s’impose donc de les lire comme un symptôme ; comme l’une des formes que prend l’autoréflexion de la société moderne et postmoderne. Un techno-pessimisme affiché sert aussi à donner une cible concrète à un malaise diffus dans la culture capitaliste ; l’instrumentalisation du numérique comme bouc émissaire est évidente lorsque Beigbeder rend la liseuse électronique – métaphoriquement douée d’une subjectivité hostile – responsable de la transformation d’anciens lecteurs, sujets pensants, en des « automates dispersés » [17].

2.1 Ambivalences du discours biblio-apocalyptique : le cas Beigbeder

Entrons donc en la matière avec Frédéric Beigbeder, « écrivain people » [18] catégorisé – peut-être un peu vite – comme « un plaisantin sans envergure littéraire » [19], personnage controversé qui, ces dernières années, s’est imposé comme défenseur du livre contre le « danger numérique » et dont les textes – surtout son Premier bilan après l’apocalypse (2011), faisant écho au Dernier inventaire avant liquidation (2001) – permettent d’élucider quelques aspects cruciaux de l’argumentaire biblio-apocalyptique. Stratégiquement « provocateur et alarmiste », Beigbeder recourt à une rhétorique hyper-dramatisée, annonçant une nouvelle « guerre entre civilisation et barbarie » [20], accusant « Monsieur le bourreau numérique » de précipiter toute une époque « dans une apocalypse d’amnésie et de vulgarité » [21]. Enfant terrible vieillissant ironisant sur son propre rôle ambigu, Beigbeder prétend aussi – de temps en temps – au statut d’écrivain « engagé » (bien qu’avec quelques réticences envers la littérature engagée – trop souvent manichéenne, voire ridicule – en général [22]) ; ce n’est pas pour rien que Michel Houellebecq dresse un portrait parodique d’un Beigbeder fictionnalisé, élevé au rang d’« une sorte de Sartre des années 2010 » [23].

Engagé dans une relation complexe avec un système auquel il est parfaitement intégré en tant que rebelle en titre, Beigbeder semble transférer cette attitude aussi dans sa lutte contre le nouveau mainstream du numérique. Si, dans son Premier bilan post-apocalyptique, il pose en Rambo de bibliothèque, menaçant tout lecteur qui n’aurait pas su résister à la tentation numérique (illégale, en l’occurrence : « Si je vous surprends à lire ceci sur un écran, c’est ma main dans la gueule. Compris ?! » [24]), il est permis de rappeler que le reste de sa production littéraire est bel et bien disponible sous forme électronique. Mais sa croisade contre le livre numérique s’inscrit, de façon fort cohérente, dans un discours (ironiquement) conservateur, anti-digital, anti-internet (Facebook, en particulier, est condamné comme « le nouvel opium du peuple » [25]), que l’écrivain développe depuis plusieurs années déjà. S’auto-dénigrant complaisamment comme « réac », « vieux ronchon » [26], « vieux con » [27] (masque plutôt transparent de tout candidat au rôle de vieux sage), Beigbeder choisit de se placer du côté de la grande histoire littéraire, voire de l’éternité (il insiste sur les avantages du livre papier en termes de résistance temporelle [28]), combattant solitaire contre tous ceux qui lui servent leur « couplet progressiste et scientiste » [29] sur les avantages de la nouvelle culture digitale.

Biblio-écologiste autoproclamé, il prend la défense des livres traditionnels « en danger de mort » [30], ces « tigres de papier », ces « vieux fauves menacés d’extinction » [31] ; cette métaphore filée du livre-fauve qu’il s’agit de sauver au nom de la bio- (ou biblio-) diversité renvoie au topos du livre comme objet ou bien « animal » dangereux, voire mortifère, jamais domestiqué. Beigbeder n’est ni le seul ni le premier à associer livre/texte/écriture et tigritude (papetière) : Vilém Flusser, dans ses réflexions sur la violence d’une écriture « iconoclaste », compare le stylo à une « canine », le sujet de cette inscription à un « tigre féroce » [32] ; Jacques Derrida joue de même avec la métaphore du « tigre de papier » [33].

Soulignant à la fois l’aspect « papier/simulacre » et l’aspect « fauve » du livre, cette métaphore évoque aussi tout un imaginaire organique, profondément éclectique. Les discours – bibliophile comme biblioclaste – autour de la fin du livre semblent marqués par deux tendances contraires (et complices), développant chacune son répertoire métaphorique. D’un côté, une tradition discursive, affirmant la « fin » toujours imminente du livre, inscrit celui-ci, comme un produit technique parmi d’autres, dans une histoire linéaire de la civilisation. D’un autre côté, à ce pragmatisme progressiste s’oppose un discours naturalisant le livre comme objet mythique, éternel. Si, d’un point de vue techno-historique, « livre », en général, veut dire livre imprimé en tant qu’emblème de la modernité occidentale gutenbergienne, dans le discours à visée mythique, le livre est souvent situé dans une perspective plus large – ainsi chez Jorge Luis Borges, se référant à l’idée musulmane de « l’archétype platonique du Coran » comme « mère du livre » [34], « inlibration » (pour varier une expression de Harry Wolfson) du logos divin [35].

Dans ce sens, le recours aux débats du passé – surtout de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, temps de progrès techniques où la question de la fin du livre se pose, comme de nos jours, avec une virulence particulière   – illustre à merveille le caractère citationnel, éclectique – et, dans une certaine mesure, autophage – des discours contemporains sur le sujet. Ainsi, Octave Uzanne – dans un texte publié dans Contes pour les bibliophiles en 1895 – esquisse une vision futuriste « de la fin des Livres et de leur complète transformation » [36], témoignant d’un malaise dans la culture assez typique de l’époque : dans un univers hyper-saturé de produits culturels, le livre, n’offrant plus cette « cure d’aérothérapie idéaliste » [37] qui serait la fonction principale de l’art, se voit condamné par ses « excès » mêmes : « Il faut que les livres disparaissent ou qu’ils nous engloutissent […] Jamais l’Hamlet de notre grand Will n’aura mieux dit : Words ! Words ! Words ! Des mots !… des mots qui passent et qu’on ne lira plus » [38], s’écrie « l’humoriste John Pool » [39]. Paradoxalement et significativement, cette phrase finale résume la lassitude face aux « mots » – omniprésents et omnivores – encore par une référence intertextuelle. Le conte d’Uzanne véhicule aussi l’ambivalence fondamentale du discours centenaire sur la « fin des livres », oscillant entre fantasme d’angoisse et fantasme de désir – désir d’une chimérique innocence et immédiateté pré- (ou post-) livresques, version sécularisée des mythes d’un paradis d’avant les livres, d’avant même les mots.

Prophète improvisé de la « fin des livres », « bibliophile » se faisant l’avocat du diable, le narrateur d’Uzanne en appelle aussi à la dimension politique d’une (r)évolution médiatique dirigée contre l’Imprimerie (quasi-allégorisée) qui, « à dater de 1436, régna si despotiquement sur nos esprits » et qui, même « menacée de mort », « gouverne » toujours l’opinion [40]. Dans cette optique, la disparition du livre imprimé constitue une étape fatale dans l’histoire de la civilisation ; argumentation corroborée par plusieurs comparaisons tirées de la vie quotidienne [41]. Et le narrateur de conclure : « Après nous la fin des livres ! » [42]… Fin toujours pas après nous.

Quatre décennies plus tard, Stefan Zweig revient sur la question dans son essai « Le livre comme entrée au monde » [43]. Par contraste à Uzanne, il naturalise le « miracle » du livre [44], phénomène culturel, par une métaphore organique filée à travers tout le texte. Pour « nous, fils et petit-fils de siècles d’écriture », la lecture se serait transformée en une « fonction quasi corporelle », un « automatisme » atavique [45] ; Zweig se montre convaincu de l’absurdité de toute spéculation concernant la fin du livre : celui-ci, « sans âge et indestructible », n’a rien à craindre de la concurrence du gramophone, du cinématographe ou de la radio, étant si organiquement lié à l’humanité qu’il ne saurait tout simplement pas disparaître [46].

Si Sigmund Freud caractérise l’homme comme un « dieu prothétique » (Prothesengott [47]), si Marshall McLuhan définit les médias comme “extensions of man ” [48], Borges commence, lui aussi, par considérer le livre comme « une extension de la mémoire et de l’imagination » [49]. Mais la prothèse livresque – « un instrument […] qui m’est aussi intime que les mains ou les yeux » [50] – finit par s’intégrer au corps même de l’homme. Si d’autres ne peuvent concevoir un monde « sans oiseaux » ou « sans eau », Borges se déclare incapable d’imaginer « un mundo sin libros » [51], assimilant le livre à une nature plus ou moins éternelle : « On parle de la disparition du livre ; je crois que cela est impossible. » [52]

Mais revenons à nos tigres beigbederiens. Si le livre papier est associé, dans ce discours biblio-apocalyptique, à un imaginaire organique, le livre numérique, lui, est systématiquement réduit à son caractère d’anti-nature, de technique abstraite, déshumanisée.

2.2 Les cinq sens et le livre : à la recherche d’une sensualité perdue ?

L’image du livre-animal nous renvoie à une autre question cruciale du discours sur la fin du livre : sa (prétendue ?) « dématérialisation » [53] par la numérisation, équivalant, pour Beigbeder, à sa « destruction » [54]. Dans le cadre d’une dichotomie artificielle, le « vrai livre » papier est opposé au livre-fantôme numérique (« Un e-book, ça n’existe pas » [55]), comme si tout acte de lecture n’était pas aussi un acte physique, comme si l’écriture/lecture digitalisée ne possédait pas – inévitablement – sa sensualité à elle [56]. Autre leitmotiv dont on peut suivre les traces odorantes à travers le discours biblio-apocalyptique : les délices olfactives de la lecture à l’ancienne. Beigbeder, nostalgique, par anticipation, de la « chair du livre » [57], évoque « le parfum de l’encre, le parfum du papier », « magnifique » [58], dépréciant, par un argument idiosyncrasique, le livre électronique à l’odeur de « métal » [59]. En effet, pour l’instant, l’odeur se voit investie, plus encore que le toucher ou le bruit du papier (imité par divers gadgets électroniques), du prestige de la matérialité « authentique » du livre imprimé [60]. Or, François Bon, parodiant cette obsession « de l’odeur du papier et autres fariboles » [61], démonte, par une petite analyse chimique, cette douce fiction parfumée [62].

Au lieu de « dématérialisation », il faudrait parler plutôt de ré- ou trans-matérialisation, le switching entre lecture sur support papier et lecture numérique provoquant même une espèce de surconscience lectrice. La numérisation resensibilise notre regard sur des formes médiatiques anciennes qu’elle varie à son tour : la liseuse électronique, visant un effet de réel livresque, s’inspire de livres « traditionnels » – le comble du grotesque selon Beigbeder (« Un ingénieur chez Apple a pensé à faire en sorte que l’écran tactile émette un bruit de papier froissé quand on glisse son doigt sur sa surface. On vit une époque de malades ou pas ? » [63]), pour qui de telles imitations ne font que trahir « le complexe d’infériorité des partisans du numérique » [64]. Interprétation douteuse, puisque tout au long de l’histoire des médias, s’observe ce principe de la « mimicry » [65] ; le livre numérique, encore sous l’influence du « Paperdigm » [66], ne « cite » d’ailleurs pas seulement le livre papier, mais synthétise plutôt plusieurs modalités de lecture historiques [67].

À la « dématérialisation » du livre, s’associe le reproche de sa « désindividualisation » par la numérisation. Beigbeder rend un hommage appuyé au livre papier en tant qu’objet individuel par contraste à la liseuse « indifférente » [68]. Or, la transition au livre imprimé constituait déjà une « étape vers l’apparition d’une civilisation de masse et de standardisation » [69], tandis que la numérisation apporte aussi de nouvelles perspectives d’individualisation ; côté auteur, l’option d’une « écriture spécifiquement typographique » [70] ; côté lecteur, toute une panoplie de possibilités d’interventions dans la présentation du texte lu [71]. Pour Beigbeder, les nouvelles libertés lectorales menacent une œuvre conçue comme « objet unique » [72] par son auteur, non plus « maître » de son livre (formule récurrente dans le discours beigbederien [73]). Antoine Gallimard regrette à son tour l’affaiblissement du contrôle éditorial sur le livre-objet, affirmant que « [l]a numérisation risque ainsi de dévaloriser le contenu » [74]. Le lecteur est donc perçu comme une force profane, destructrice, la numérisation comme un danger contre lequel il s’agit de défendre non seulement le livre papier, mais aussi la dignité auctoriale et tout un système éditorial. À la mise en question de la forme livre du côté de la réception, correspond celle du côté de la production : Beigbeder l’apocalypticien a sans doute raison de constater que « [l]e remplacement du livre en papier […] va donner naissance à d’autres formes de récits » [75] et qu’« [u]n roman de papier ne s’écrivait pas comme un script sur Word » [76].

2.3 Fin du livre, fin du roman ? Galaxie Gutenberg et genres littéraires

Avec la biblio-culture traditionnelle, Beigbeder défend aussi le roman moderne comme manifestation paradigmatique du livre dans toute sa splendeur, produit de la galaxie Gutenberg et condamné à disparaître avec elle [77]. Au-delà de la polémique, il soulève la question pertinente de la correspondance entre l’évolution des genres littéraires et celle des supports techniques de la littérature [78]. Le roman moderne, dès ses débuts, se distingue par une forte tendance métalittéraire, méta-livresque et même méta-typographique (que l’on pense au Quichotte, reflétant « la tension entre les pôles typographie/presse d’imprimerie/livre et manuscrit/plume/papier », ou au Tristram Shandy de Sterne, exploration romanesque de l’« interpénétration de l’art du récit et de la typographie » [79]).

À la fin du livre s’associe donc celle du roman, la question de l’économie des genres littéraires à l’époque post-gutenbergienne. Transformation envisagée aussi, d’un point de vue moins pessimiste, par les autres auteurs de notre corpus : pour Chloé Delaume, le numérique pourrait favoriser « l’évolution des genres, le dépassement de certaines limites du roman, notamment » et, enfin, « la création d’un objet littéraire complètement repensé » [80]. Virginie Despentes s’attend de même à l’apparition de nouveaux « formats hybrides » : « […] ce ne sera plus du roman ou de l’essai. Il faudra trouver un autre nom […] » [81]. Bref : si chaque livre, selon Blanchot, poursuit finalement la « non-littérature » [82], nous assistons aujourd’hui à l’émergence de formes littéraires poursuivant le « non-livre », la littérature continuant d’aller « vers elle-même, vers son essence qui est la disparition » [83].

 2.4 Noblesse (papier) oblige : Biblio-Aristocratie vs. Cyberdémocratie ?

Beigbeder, dans sa défense ardente du roman, le caractérise comme « un lieu de liberté » [84] face à l’industrie médiatique. En même temps, il déplore les effets désastreux de la démocratisation de l’écrit par la « révolution » numérique, les ravages de l’« écran […] communiste », ravalant « la prose de Cervantès […] au même rang que Wikipédia » : « Toutes les révolutions ont pour but de détruire les aristocraties. » [85] Si l’invention de l’imprimerie constitue déjà « une véritable révolution démocratique » [86], l’internet, pour Beigbeder, établit définitivement « l’empire de la méchanceté, de la bêtise ; n’importe quel abruti a droit au chapitre » [87]. Odi profanum vulgus… : De telles attaques contre une « cyberdémocratie » [88] supposément abusive permettent de nuancer l’éloge beigbederien de la liberté littéraire – visiblement pas destinée à tous. François Bon – qui, par contraste, met en avant les vertus de l’« échange web » en tant que « nouvelle agora » [89], espace du « partage » [90], de l’« écriture collective » [91] – ironise sur la chimère élitiste d’« une sorte de paradis très ancien, entrée réservée aux membres du club de l’écriture » [92]. Dans un pamphlet de Stéphane Ternoise, « [M]onsieur Frédéric Beigbeder de chez Lagardère » [93] est attaqué en tant que représentant d’une (pseudo-)aristocratie littéraire à laquelle l’auteur oppose la vision d’une biblio-culture démocratisée (tout en idéalisant, de son côté, la numérisation comme une régulière libération face à la « dictature » éditoriale [94]). En fait, avec le livre « traditionnel », on défend souvent aussi un certain habitus bourgeois (sinon aristocratique) ; en 2009, Jean-Marc Roberts, alors directeur des éditions Stock, déclare le livre numérique « juste bon pour les SDF » [95]. Les partisans du numérique, par contre, valorisent la possibilité d’atteindre un public peu réceptif au livre classique ; ainsi François Bon avec son idéal d’une « littérature sociale » [96], d’un livre « nomade et accessible à tous » [97].

3. Défense du livre, défense de l’autorité ?

En un mot, l’avènement du numérique brouille les rôles établis « de l’auteur, de l’éditeur, du typographe, du diffuseur, du libraire et du lecteur » [98] ; le sens d’un texte, plus que jamais, est le produit de l’usage qu’en fait le lecteur [99]. Historiquement, il existe un lien étroit entre essor de l’imprimerie et émergence du concept moderne de l’autorité [100] ; la figure de l’« Auteur », jusqu’à nos jours, reste associée à l’idée du livre papier [101], tandis que l’hypertexte électronique ébranle ce monument auctorial [102] – inéluctablement, les enjeux du discours pro- ou anti-numérique impliquent la mise en question ou la défense de l’autorité. Ainsi, François Bon (de son point de vue d’écrivain consciemment un peu « mineur ») problématise la pose de ces « écrivains imperturbables », défenseurs du livre peut-être surtout attachés à « l’idée d’eux-mêmes en auteur de livre » [103].

3.1 La biblio-apocalypse selon Virginie Despentes

Pour illustrer les répercussions de ces débats dans la fiction littéraire de l’extrême contemporain, jetons un regard sur Apocalypse bébé (2010) de Virginie Despentes, roman « médiatique » reflétant les métamorphoses de la biblio-industrie à l’âge de Wikipédia et d’Amazon : Despentes y met en scène un écrivain conservateur, attaché au livre traditionnel et luttant pour les restes minables de son autorité, avant de périr sous les décombres du Palais-Royal, suite à un attentat commis par sa fille adolescente, représentante d’une génération de « digital natives » [104] – terrorisme parricide comme métaphore parodique d’un changement de paradigmes médiatiques ?

La pose beigbederienne – même ironisée – de l’aristocrate bibliophile est assurément étrangère à Virginie Despentes… ce qui n’empêche pas Beigbeder d’accorder, dans son Premier bilan [105], une place de choix à l’auteur de cet autre ouvrage « apocalyptique » [106]. Chez sa collègue, dont « [l]’énergie […] pulvérise tout sur son passage » [107], il apprécie surtout un énorme dynamisme linguistique [108] et « l’idée de faire un livre qui démode tous les films » [109] (obsession partagée par Beigbeder qui, tout en mythifiant la forme du livre, aspire à moderniser son contenu et son langage [110], voire à « désacraliser la littérature » [111]). Chez Despentes, avec sa vision critique de l’establishment (ainsi que de sa propre personne publique, cette « Despentes vachement construite » [112] recyclée par les médias), sa poétique de la marginalité, de la « lositude » [113], s’impose la question de (l’accès à) la littérature comme privilège socioculturel. À l’occasion de la publication d’Apocalypse bébé, Despentes réfléchit sur sa propre biographie non seulement d’écrivain, mais aussi de lectrice ; ironisant sur son « relatif ‘em-bour-geoisement’ », elle admet s’être mise enfin « à lire une littérature que je n’aurais pas osé aborder auparavant, plus classique » [114]. Quant à la « fin du livre papier », elle se montre plus pragmatique qu’apocalyptique, déclarant craindre plutôt la « fin de la librairie » comme lieu social, ainsi que certaines « facilités » du numérique en matière de censure [115] (sujet présent aussi dans Apocalypse bébé dont la narratrice médite sur l’économie de l’information et de la censure à l’âge digital [116]).

Apocalypse bébé soulève la question du livre et de la littérature aussi dans une perspective sociale – ainsi, du point de vue d’un jeune banlieusard maghrébin : Yacine rejette en bloc toute la « culture » qu’est censée lui apporter l’école ; la cible privilégiée de sa fureur anti-scolaire est son professeur de français, « la pute au tableau » [117]. Mais au centre des réflexions métalittéraires et « à l’origine du roman » [118] se trouve l’écrivain fictif François Galtan qui, tout comme le très réel Frédéric Beigbeder, dénonce l’internet, empire de la « médiocrité » anonyme ; pour le visiteur frustré de divers blogs et forums littéraires, la Toile se transforme en version postmodernisée de l’enfer dantesque  [119]. Mortifié, il rédige sa propre notice bio- ou plutôt hagiographique sur Wikipédia, hélas, par trop révélatrice [120]. L’analyse de sa navigation internaute, entreprise par les détectives après la disparition de sa fille, donne lieu à quelques observations critiques sur le rôle ambivalent d’Amazon sur le marché culturel contemporain [121]. Gutenbergien fidèle, Galtan est hanté par l’obsession du livre numérique ; sa mère, psycho-terroriste accomplie, ne cesse de lui annoncer des nouvelles apocalyptiques du front bibliographique : « C’est ainsi qu’elle lui fait entendre qu’il a tout raté dans sa vie. Une vie consacrée aux livres, et les livres bientôt disparus. » [122] Si Galtan, personnage tragicomique, auteur de « drames bourgeois. Droite chrétienne, mais à l’ancienne » [123] et, par anticipation, prétendant déçu au sacre de la Pléiade [124], a l’impression de perdre le contrôle sur sa vie professionnelle comme privée, cette désorientation apparaît liée à la disparition du livre, dispositif de sécurisation ontologique.

Mais Despentes illustre aussi l’aspect oppresseur de la figure traditionnelle de l’auteur. Aux yeux de son ex-épouse, faisant, elle, partie de la classe et du sexe dominés, les activités littéraires de Galtan constituent un pouvoir social, retourné contre elle au moment du divorce. Des années plus tard, elle est toujours furieuse à l’idée d’avoir été exploitée par cet écrivain bourgeois (et recyclée dans ses romans) ; la mémoire de cette violence symbolique, associée à « [l]a main qui écrit, celle qui trahit, épingle et crucifie. Celle qui livre » [125], est évoquée en termes physiques intenses. Valentine, elle aussi, découvre les vertus de l’écriture en tant qu’arme symbolique [126] ; sa transformation en kamikaze est encadrée par ses activités poétiques extravagantes [127]. Or, plus audacieuse et plus désespérée que son père, elle change de genre, se servant de son propre corps comme média explosif afin de communiquer son message paradoxal [128]. Despentes, consciente de sa mission « anarcho-féministe »[129], a souligné, à plusieurs reprises, la nécessité de « faire éclater les choses » [130], définissant le féminisme comme « [u]ne révolution, bien en marche. […] Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. » [131] Valentine se dédie littéralement à ce projet de « tout foutre en l’air » – dont son père romancier, au moment même où celui-ci se voit enfin promu « chevalier des Arts et des Lettres » [132].

Au-delà de la littérature, ce texte illustre la reconfiguration du sujet humain dans un monde digitalisé où l’internet dévalorise les formes traditionnelles de savoir acquis [133], un monde de « l’amour Skype »[134] où la Carte de Tendre est redessinée par divers gadgets médiatiques [135] ; l’internet remplit aussi une importante fonction structurelle comme « matrice » narrative [136]. Sous l’influence d’un milieu altermondialiste-marxiste, critique des nouveaux médias, Valentine décide de « solder son identité virtuelle » ; pour consacrer son nouveau moi dé-digitalisé, elle finit par lancer son portable dans la Seine. Or, elle est foudroyée par le choc du sevrage, ressenti comme une régulière « amputation » [137]. Le roman confirme, dans ce sens, la définition freudienne de l’être humain, triste « dieu prothétique » ; le téléphone portable est métaphorisé comme une « prothèse » indispensable de nos jours [138].

La brève biographie de Valentine reflète, enfin, la problématique de la narration dans un monde peut-être déjà « après le livre », de toute façon, après la fin des grands récits. Apocalypse bébé met en scène l’illisibilité d’un « livre-monde » éclaté où l’individu – ou plutôt « dividu(el) » (d’après Anders [139] ou encore Deleuze [140]) – ne dispose plus que de vérités relatives, temporaires, de récits fragmentaires : « La vérité, je ne la connaîtrai jamais. Reste l’histoire que je me raconte, d’une façon qui me convienne, dont je puisse me satisfaire. » [141]

3.2 Chloé Delaume : vers une littérature multi-supports, ou Le livre par-delà le livre

Chloé Delaume [142], dans son « autofiction expérimentale » [143] et « multi-supports » [144], s’essaie à la transgression ludique de la forme livresque – entreprise reflétée non seulement dans sa dimension esthétique, mais aussi éthique et politique. Si Despentes, d’une grande scrupulosité quant au respect D’autres vies que la mienne [145], déclare renoncer à la tentation autofictionnelle [146], Delaume s’applique à « démocratiser » le processus de création, accordant une co-autorité (limitée) aux personn/ag/es impliqués dans son projet autofictionnel : « À leur fictionnalisation je veux qu’ils participent. » [147]

Ses textes, situés dans la tradition de l’Oulipo [148], à la syntaxe complexe, « ensauvagée » [149], pleins de jeux de mots, de références intertextuelles, de néologismes extravagants, mais aussi d’archaïsmes choisis, découragent toute approche naïvement voyeuriste [150]. Intransigeante dans sa condamnation de la « République Bananière des lettres » [151], Delaume affirme sa conviction que la littérature peut et doit défier les lecteurs, qu’elle « se mérite » [152]. En tant que directrice de la série Extraction (éd. Joca Seria), elle poursuit de même une politique pro-expérimentale ; sa quasi-diabolisation d’une littérature facile de simple « divertissement » lui a valu quelques moqueries [153].

Or, cette exigence formaliste s’associe à la revendication d’une « mission » sociale et politique ; au storytelling professionnalisé, aux « grands livres des fictions collectives » [154], Delaume oppose sa « Politique de l’autofiction » [155]. Cette poétique de la résistance narrative, de l’engagement lucide, quelquefois auto-parodique (Delaume ironise elle-même sur cette volonté de « sauver le monde » par une autofiction critique [156], sur la tentation de la « rébellion […] mignonne », de la « subversion Haribo » [157]), est illustrée par son projet J’habite dans la télévision, conçu dans le sillage de l’affaire Le Lay en 2004 [158]. Dans ce « projet multi-supports, portant sur la confrontation des fictions individuelles face au formatage de la fiction collective imposée par la société spectaculaire » [159], l’auteure développe aussi un discours critique sur le livre en tant qu’objet de consommation, objet fétiche de l’auto-mise en scène d’une prétendue élite [160], soucieuse de sauvegarder sa « distinction » en affichant sa préférence pour la « narration sur support papier […] n’importe quelle narration, mais reliée » [161]. Tout comme le livre, le concept de l’œuvre est l’objet d’une méfiance profonde, l’écriture littéraire un projet existentiel : « Je ne cherche pas à faire œuvre, mais surtout à faire vie. » [162] Le « livre » s’oppose au « texte » comme entité créatrice, potentiellement subversive : « Vous ne lisez pas des textes mais vous achetez des livres » [163], reproche Delaume à ses hypocrites lecteurs bourgeois, ne se lassant pas de rappeler que « [l]e livre n’est qu’un objet » et que « ce qui m’importe c’est le texte ». Dans ce sens, le numérique constitue une « ouverture sur la littérature » par-delà le « fétichisme bibliophile », s’adressant « aux vrais lecteurs […] attachés au texte » [164].

L’œuvre de Delaume, « réseau interconnecté » [165], ne se limite donc pas au domaine de la littérature imprimée ou même numérique. L’auteure s’intéresse à toutes sortes de « pratiques transdisciplinaires » [166], à « l’autofiction en BD » [167] ou « en ligne » [168] ; dans ses livres papier, elle déploie tout un programme destiné à l’« activation » multi-médiale des lecteurs, en renvoyant, par exemple, à des enregistrements audio disponibles sur son site [169]. Dans son projet Corpus Simsi – « passion » postmoderne ironique –, Delaume explore les possibilités du jeu vidéo en tant que « générateur de fiction » [170], « exercice d’une nouvelle littérarité » [171]. Au commencement était le rejet de la forme livresque de la part de Chloé Delaume, « personnage de fiction […] [qui] a refusé de s’incarner dans un livre » et qui   –  le « moi » se transformant en construction collectivement dés/autorisée – « peut être utilisé par n’importe quel joueur l’ayant importé » [172].

Le monde simsien de Delaume, dédoublé dans une curieuse mise en abyme [173], finit pourtant par « aboutir à un livre » [174] – méta-livresque et ludique, illustrant à merveille le paradoxe fondamental qui hante tous ces livres sur la fin du livre [175], envisageant les perspectives de la production littéraire au-delà du livre imprimé : « La chair comme le papier ne sont pas nécessaires aux personnages de fiction [176]. » La description de la vie culturelle simsienne permet de reconsidérer, via défamiliarisation, certains éléments de la littérature « réalistienne » – le concept du livre tout comme celui de l’auteur : « Les Sims n’ont pas d’auteurs, cette notion même n’existe pas. » Le focus est encore déplacé du pôle de l’écriture vers celui de la lecture : « Les Sims lisent mais ils n’écrivent pas [177]. » Par le détour virtuel, Delaume met en question l’idée d’une chimérique originalité : si les Sims peuvent « développer » leur potentiel artistique, leur « Créativité » programmée ne saurait emprunter que des voies déjà tracées, permettant « [j]uste de reproduire, et jamais d’inventer » [178]. Dans ce sens, le monde simsien reflète aussi le statut de l’être humain conditionné par un réseau de discours, ainsi que « l’existence […] dans les sociétés occidentales contemporaines » [179]. Au-delà du livre, le jeu digital – univers parallèle, « enchevêtrement de fictions minuscules » [180] – fait figure de nouvelle métaphore-matrice du monde : « Nous sommes le jeu auquel tout le monde joue déjà. » [181]

Dans La Nuit je suis Buffy Summers (2007) – « livre-jeu […] livre-je » [182], roman interactif basé sur l’imaginaire de Buffy the Vampire Slayer [183] –, le lecteur est convié au jeu avec le « Je élastique » de l’autofiction [184] ; à force de multiplier les coups de dés (inter)textuels, il participe à la création de son livre. D’emblée, Delaume l’invite aussi à une approche physique, « irrespectueuse » de cet objet d’« un curieux fétichisme » [185]. Lector (ou lectrix) in libro – concluant un « pacte illégitime » [186] avec son lecteur ou sa lectrice (le « je » proposé est de genre féminin), Delaume le/la fait entrer dans l’aventure d’une « autofiction collective » [187].

Double discours critique sur un livre symbole de pouvoir [188], un livre-prison : l’(im)possible révolution contre la « fiction collective » [189] hors texte est associée à la rébellion des personnages – « écrits par un cerveau assez indisponible » [190] et en proie à l’obsession métaleptique de « quitter le livre » [191] – contre « la narration imposée » [192]. « Être enfermé dans un livre, […] c’est assez anxiogène […] » [193], déclare la narratrice ; la lectrice, elle aussi « coincée » dans l’histoire [194], se trouve impliquée dans la tentative d’évasion d’un « bouquin » jugé « insalubre » [195] et exposée à la fureur de l’« auteure », défendant ses privilèges menacés [196]. Ironisant sur un imaginaire apocalyptique [197], ce texte-jeu reprend le motif du livre mortifère : Delaume évoque des visions grotesques d’un livre-monstre, d’un livre-vampire s’animant au cours d’un rituel sanguinaire [198].

La poétique delaumienne invite donc tout particulièrement à quelques réflexions sur l’opposition – cruciale dans le discours biblio-apocalyptique contemporain – entre « livre » et « texte ». Dégradation, par le numérique, du livre en un simple texte, voire en « du texte » [199], ou bien libération ? Dans ses réflexions sur la « fin de la galaxie Gutenberg », Bolz ne manque pas de citer Derrida : « La question de l’écriture ne pouvait s’ouvrir qu’à livre fermé. » [200] Walter Benjamin caractérise déjà le livre imprimé comme un « asile » (temporaire et précaire) de l’écriture d’où celle-ci se voit ramenée dans la rue, soumise aux « hétéronomies brutales du chaos économique » [201]. C’est dans ce contexte que François Bon se réfère à Benjamin, fasciné par la « concision » avec laquelle celui-ci formule « l’autonomie réciproque du livre et de l’écriture » [202], tout comme par cette « autre intuition essentielle » benjaminienne, concernant le « retour du corps » [203].

3.3 Michel Houellebecq : l’(im)possibilité du livre ?

La sensibilité à l’aspect corporel et technique de l’écriture (comme de la lecture), revendiqué par un avocat du numérique comme François Bon, se retrouve chez Michel Houellebecq, dont les (para-)textes sont riches en réflexions sur l’industrie littéraire de nos jours, le « true business qu’est le roman » [204] et « le petit milieu de la poésie » [205], paradis perdu pour le romancier à succès ; bref : sur le livre entre mythe et marché. Or, c’est en tant que grand brand littéraire que Houellebecq articule sa critique, victime et complice de cette « labellisation » de la littérature attaquée par Salmon [206].

Abordant sans ambages l’aspect commercial de son activité littéraire – « chance d’échapper au monde du travail » [207] –, Houellebecq ne dédaigne pas non plus la méditation sur les outils de l’écrivain ; dans sa « brève histoire de l’information » [208], il retrace les étapes de l’écriture depuis le manuscrit jusqu’à l’ordinateur, en passant par la machine à écrire – qui a, elle aussi, nourri tout un discours polémique sur splendeurs et misères d’une écriture « technicisée » : merveille technique pour les uns (ainsi pour Jan Tschichold, auteur d’un ouvrage consacré à « La nouvelle typographie » [209]), symbole de l’irruption fatale « du mécanisme dans le domaine du mot » pour les autres (en l’occurrence, pour Martin Heidegger, ennemi juré de la « Schreib-maschine » – orthographiée de manière à en accentuer l’aspect « machine » [210]). De toute façon, la retraite du manuscrit marque une étape décisive dans l’histoire littéraire ; par effet de ré-projection nostalgique, c’est la typographie qui rapproche l’« écriture dite manuscrite » [211] du corps [212], faisant oublier l’aliénation inhérente même à la plume, cet « exil » qu’implique déjà le papier [213].

Si l’autorité moderne est sanctionnée par l’imprimerie, la genèse du livre, (au moins) jusqu’à la fin du XIXe siècle, se situe dans un espace du manuscrit. Houellebecq établit un rapport privilégié entre « la souplesse et l’agrément du manuscrit » et le micro-ordinateur, « libération inespérée » pour l’écrivain [214] : le « combiné ordinateur portable – imprimante Canon Libris » se trouve parmi ces trois objets fétiches dont un « Houellebecq » ivre et mélancolique pleure, dans La Carte et le territoire (2010), la disparition du marché [215]. Ce discours « technique » sur l’écriture relativise l’importance de l’auteur face à la dynamique propre du texte : « On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre […] », explique « Houellebecq » ; « un livre, […] c’était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre […] que le processus démarre de lui-même. » [216] De la fleur bleue au béton : métaphore révélatrice qui s’inscrit dans l’imaginaire technique, très présent dans le roman et dont participe aussi la création littéraire, considérée comme (méta-)métier.

Si l’ordinateur constitue une « libération » pour l’écrivain, Houellebecq préconise une dé-digitalisation au moins temporaire du côté du lecteur : le livre traditionnel fait figure de « pôle de résistance vivace » [217], favorisant la très houellebecquienne « mise à distance » du monde [218], la « position esthétique » [219] d’un sujet « étranger à lui-même » (formule kristevienne [220] qui se retrouve dans La Poursuite du bonheur [221]), capable de « regarder la vie comme on lit dans un livre » [222]. Or, le « vrai » lecteur est, selon Houellebecq, une espèce menacée de disparition. On se rappelle les remarques apocalyptiques de Beigbeder sur le lecteur contemporain, cet « automate » corrompu ; Houellebecq constate, lui aussi, la transformation du lectorat, mais il inscrit cette réflexion dans sa critique générale d’une société qui détruit les formes de subjectivité caractérisant un (bon) lecteur, numérisé ou pas [223].

Si Beigbeder s’obstine à défendre le roman contre le numérique, Houellebecq réfléchit sur l’incompatibilité plus profonde entre la forme du roman traditionnel et l’expérience de la vie contemporaine ; pas de pamphlet anti-digital chez lui, mais un acte de décès mélancolique pour un genre qui n’a pas attendu l’arrivée du numérique pour entrer en crise ; une autre fois, le discours sur la mort du roman [224] et celui sur la fin du livre évoluent en parallèle. Dès Extension du domaine de la lutte, Houellebecq thématise la désintégration des biographies individuelles, mise en relief par la comparaison avec le monde narrativement dense d’un roman comme Wuthering Heights [225]. Dans La Carte et le territoire, il oppose les manifestations artistiques du « monde comme narration » et du « monde comme juxtaposition » [226], faisant déclarer à son double fictionnalisé son scepticisme ou plutôt son désintérêt croissant face au premier. En un mot : la crise du roman, selon Houellebecq, dépasse celle du livre papier ; elle traduit une crise généralisée de la narratibilité de l’existence, du sujet humain, ébranlé par l’évolution des sciences rendant obsolète toute « psychologie » littéraire [227]. Mais par-delà et à travers le roman, Houellebecq médite aussi sur la forme livre dans toute son ambivalence – objet de consommation d’un côté, objet mythique de l’autre, modèle d’un monde éminemment (inter)textuel [228].

La Carte et le territoire contient, enfin, un portrait remarquable de « Michel Houellebecq, écrivain », représenté au milieu d’un « univers de papier », de « blocs de texte ramifiés, reliés, s’engendrant les uns les autres comme un gigantesque polype » [229]. Cette « cellule de papier » varie encore la métaphore – détrivialisée dans un nouveau contexte médiatique – d’un monde-livre éclaté en feuilles éparses, étrangement animé.

3.4 Vers une biblio-philosophie de l’homme post-typographique ?

La problématique esquissée invite à quelques méditations d’ordre biblio-philosophique. Si l’être humain est un « animale fabulatore per natura » [230], il est aussi un animal métaphorisant [231]. Or, parmi ces « Metaphors we live by » [232], le livre occupe une position de choix ; depuis des siècles, il a servi de matrice de la lecture du monde [233]. Si la théorie de Marshall McLuhan sur la psychologie spécifique du « typographic man » [234] – théorie des médias et « anthropologie historique spéculative » [235] – a été remise en question ou nuancée sous certains aspects, il n’en reste pas moins que le livre imprimé a (co-)formaté l’identité du sujet occidental moderne. Le discours sur la fin du livre implique, dans ce sens, aussi la réflexion sur un changement de nos paradigmes perceptifs et philosophiques [236]. Qu’en est-il donc aujourd’hui, à l’âge des « hommes post-typographiques » [237], du grand livre du monde, de cette « Œuvre » universelle dont rêve Alexander von Humboldt [238] ? « Ce n’est qu’une métaphore : mais le web est notre livre […] » [239], déclare François Bon, convaincu que, bien plus que le livre numérique, le vrai enjeu, « c’est le Web » [240].

L’idée borgésienne « d’un grand livre qui contiendrait tous les livres du monde et le monde » [241] apparaît plusieurs fois dans la correspondance de Houellebecq avec son co-Ennemi public BHL [242]. Houellebecq médite encore sur ce concept du livre total dans sa préface à Interventions 2 : « Tout devrait pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort […] » [243]. Écriture virtuellement infinie, fantasme d’un seul grand texte qui ne finirait qu’avec la « mort de l’auteur » : tout texte issu du support électronique, d’après ses réflexions, garde d’ailleurs, même dans sa forme finale, cette idée d’infinitude, la trace des innombrables fois qu’il a été retravaillé, l’écriture numérique se distinguant aussi par une « optionnalisation » sans précédent [244] : « There is no Final Word [245]

La métaphore du livre-monde, du monde-livre, subit une transformation significative dans une vision onirique attribuée à Jed Martin, alter ego artiste de l’auteur, héros très peu héroïque, personnage (post-)postmoderne paradigmatique dont la biographie éclatée ne se prête plus au récit cohérent. Dans de pareils moments d’illumination, le monde se textualise aussi sous les yeux d’autres protagonistes houellebecquiens. Michel Djerzinski dans Les Particules élémentaires vit déjà un tel rêve méta-textuel, annonçant celui de Martin dans La Carte et le territoire (la correspondance entre les passages en question souligne la parenté manifeste entre ces deux personnages [246]) :

 Il était au milieu d’un espace blanc, apparemment illimité. […] À la surface du sol se distinguaient […] des blocs de texte aux lettres noires […] ; chacun des blocs pouvait comporter une cinquantaine de mots. Jed comprit alors qu’il se trouvait dans un livre, et se demanda si ce livre racontait l’histoire de sa vie. Se penchant sur les blocs qu’il rencontrait sur sa route, il eut d’abord l’impression que oui […] mais […] la plupart des mots étaient effacés ou rageusement barrés, illisibles […]. Aucune direction temporelle ne pouvait, non plus, être définie […] [247].

4. Apocalypse (not) now : Conclusion (provisoire)

C’est sur cette vision d’un livre-monde palimpsestique, étrangement dé-livré, délinéarisé, en proie à des métamorphoses qui doivent sans doute quelque chose à la reconfiguration médiatique de nos écritures-lectures, que se termine ce voyage autour de la bibliothèque apocalyptique de la littérature française contemporaine. Le livre, probablement pour un certain temps encore, ne cessera pas de (ne pas) finir ; le discours sur la fin du livre, déjà largement centenaire, ne semble pas non plus près de prendre fin : la biblio-apocalypse, grande procrastinatrice, est toujours pour (après- ?) demain.

Notes

[1] Maurice Blanchot, Le Livre à venir [1959], Paris, Gallimard, 2003, p. 275.

[2] Voir Gérard Desportes/Alexis Lacroix, « “La France doit demeurer une nation littéraire”. Entretien avec Alain Finkielkraut », Libération, 28.01.2011. En ligne ici [02.03.2014]. Voir aussi Alain Finkielkraut, L’Identité malheureuse, Paris, Stock, 2013, p. 150, 167.

[3] François Bon, Après le livre. Qu’est-ce que l’écriture numérique change au destin du livre et aux enjeux de la littérature ?, version digitale [première mise en ligne le 15 mai 2011, dernière mise à jour le 29 juillet 2012], publie.net, « Essais », n° 411 [version imprimée : Paris, Seuil, 2011], pos. 502-503.

[4] Id., pos. 1217-1220.

[5] Nancy Katherine Hayles, Writing Machines, Cambridge, Mass./London, MIT Press, 2002, p. 33.

[6] Joseph Tabbi, « A Media Migration. Toward a Potential Literature », in Essentials of the Theory of Fiction, Michael J. Hoffman & Patrick D. Murphy (dir.), Durham/London, Duke UP, 2005, p. 471-490, ici p. 471.

[7] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis. Die neuen Kommunikationsverhältnisse [1993], München, Wilhelm Fink, 1995, p. 195. Sauf indication contraire, c’est moi [MS] qui traduis.

[8] Severine Durande, « La fin du livre ? » [Compte rendu de François Bon, Après le livre], 09.11.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[9] Lothar Müller, Weiße Magie. Die Epoche des Papiers, München, Hanser, 2012, p. 103.

[10] Voir Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy. The Making of Typographic Man [1962], Toronto [etc.], Toronto UP, 1995.

[11] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 180.

[12] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 349.

[13] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse. Essai, Paris, Grasset, 2011, p. 15.

[14] Roger Chartier, Le Livre en révolutions. Entretiens avec Jean Lebrun, Paris, Textuel, 1997, p. 9. Voir aussi Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 121 et suiv., et les réflexions de Niklas Luhmann à ce propos (Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 184).

[15] Umberto Eco, examinant « cette idée fixe que le livre va disparaître », souligne qu’avec l’internet, nous sommes « revenus à l’ère alphabétique. […] voilà que l’ordinateur nous réintroduit dans la galaxie de Gutenberg et tout le monde se trouve désormais obligé de lire » (Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres. Entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac [2009], Paris, Grasset, 2010, p. 16).

[16] Nam June Paik, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 203.

[17] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 19.

[18] Pierre Robin, « Frédéric Beigbeder : la dissidence caviar », Le Spectacle du monde [Portraits], 01.09.2009 [consulté le 02.03.2014].

[19] Voir Benoît Duteurtre, « Beigbeder et son contraire », dans Frédéric Beigbeder et ses doubles. Avec un entretien et une correspondance inédits de l’écrivain, Alain-Philippe Durand (dir.), Amsterdam/New York, Rodopi, 2008, p. 51-57, ici p. 53.

[20] Voir Émilie Zapater, « Le face à face de Frédéric Beigbeder et François Bon : après le livre, l’apocalypse ? », Monde du livre, 06.07.2013. En ligne ici  [05.05.2014].

[21] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 26.

[22] Alain-Philippe Durand, « Entretien avec Frédéric Beigbeder » [2006], dans : Durand (dir.), Frédéric Beigbeder et ses doubles, op. cit., p. 17-37, ici p. 20 ; voir aussi Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 263.

[23] Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010, p. 130.

[24] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 26.

[25] Caroline Parlanti, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d’internet et du numérique : je dis bravo ! », Le Nouvel Observateur, 24.08.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[26] Voir Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon : le livre numérique est-il une apocalypse? », L’Express, 15.11.2011. En ligne ici [05.05.2014].

[27] Voir Caroline Parlanti, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d’internet et du numérique », art. cit. ; Nicolas Gary, « Beigbeder paranoïaque : le livre numérique, c’est l’apocalypse », ActuaLitté. Les Univers du livre, 07.09.2011. En ligne ici  [02.03.2014].

[28] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 15.

[29] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages » [Interview par Nikos Aliagas], Europe 1, 22.09.2011. [consulté le 18.08.2014].

[30] Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation [2001], Paris, Gallimard, 2003, p. 14.

[31] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 11 et suiv.

[32] Vilém Flusser, Die Schrift, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 183.

[33] Voir Jacques Derrida, « Das Papier oder ich, wissen Sie… (Neue Spekulationen über einen Luxus der Armen) » [Entretien avec Marc Guillaume et Daniel Bougnoux, 1997], in : Maschinen Papier. Das Schreibmaschinenband und andere Antworten (éd. par Peter Engelmann), Wien, Passagen, 2006, p. 221-249, ici p. 224.

[34] Jorge Luis Borges, « Das Buch » [1978], dans : Die letzte Reise des Odysseus. Vorträge und Essays 1978-1982, Frankfurt a. M., Fischer, 2001, p. 13-22, ici p. 16.

[35] Voir Annemarie Schimmel, Das Buch der Welt. Wirklichkeit und Metapher im Islam, Würzburg, Ergon, 1996, p. 5.

[36] Octave Uzanne, « La Fin des livres (Suggestions d’avenir) », dans : Octave Uzanne/Albert Robida, Contes pour les bibliophiles, Paris, May et Motteroz, 1895, p. 125-145, ici p. 125 [consulté le 01.03.2014].

[37] Id., p. 130.

[38] Id., p. 145.

[39] Id., p. 128.

[40] Id., p. 132.

[41] Id., p. 135.

[42] Id., p. 145.

[43] Stefan Zweig, « Das Buch als Eingang zur Welt » [1931], Begegnungen mit Büchern. Aufsätze und Einleitungen aus den Jahren 1902-1939, Frankfurt a. M., Fischer, 1983, p. 7-17.

[44] Id., p. 8 et suiv.

[45] Id., p. 8. Des décennies après Zweig, Umberto Eco médite de même sur le caractère « presque biologique » de l’écriture, « [t]andis que nos inventions modernes, cinéma, radio, Internet, ne sont pas biologiques » (Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 19) ; il arrive, lui aussi, à la conclusion que « Le livre ne mourra pas » (id., p. 15 et suiv.).

[46] Stefan Zweig, « Das Buch als Eingang zur Welt », art. cit., p. 16 et suiv.

[47] Voir Sigmund Freud, « Das Unbehagen in der Kultur » [1929/1930], Studienausgabe, t. IX : Fragen der Gesellschaft. Ursprünge der Religion, Frankfurt a. M., Fischer, 2000, p. 191-270, ici p. 222.

[48] Voir Marshall McLuhan, Understanding Media. The Extensions of Man, London, Routledge & Kegan Paul, 1964.

[49] Jorge Luis Borges, « Das Buch », art. cit., p. 13.

[50] Jorge Luis Borges, « Del culto de los libros », cit. d’après Adelheid Hanke-Schaefer, Jorge Luis Borges zur Einführung, Hamburg, Junius, 1999, p. 11.

[51] « Borges de la A a la Z », cit. d’après Gloria Nistal Rosique, Espejos, laberintos, bibliotecas y otras cifras. La estética de Borges, Madrid, Sial, 2010, p. 56sq.

[52] Jorge Luis Borges, « Das Buch », art. cit., p. 21.

[53] Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 21. Voir aussi Roger Chartier, analysant « la révolution du texte électronique » comme « un pas supplémentaire dans ce processus de dématérialisation, de décorporalisation de l’œuvre » sans pathos apocalyptique (Le Livre en révolutions, op. cit., p. 67).

[54] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[55] Philippe Leclercq, « Et si le livre électronique signait la fin de notre civilisation ? », Le Nouvel Observateur, 16.04.2012 [consulté le 02.03.2014].

[56] Il est éclairant de reconsidérer ce discours sur la perte de la sensualité de la lecture dans son contexte biblio-historique. Le narrateur d’Uzanne insiste justement sur l’aspect sensoriel : de nouveaux dispositifs médiatiques procureront aux lecteurs, métamorphosés en « heureux auditeurs », « le plaisir ineffable de concilier l’hygiène et l’instruction » (« La Fin des livres », op. cit., p. 138).

[57] Voir le titre d’Évanghélia Stead, La Chair du livre. Matérialité, imaginaire et poétique du livre fin-de-siècle (Paris, PUPS, 2012).

[58] Voir « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[59] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 19.

[60] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 344.

[61] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1638.

[62] Id., pos. 1658-1663.

[63] Cité d’après Nicolas Gary, « Beigbeder paranoïaque : le livre numérique, c’est l’apocalypse », art. cit.

[64] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 18.

[65] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 352. Voir aussi Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 111.

[66] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 200.

[67] Voir Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 13 et suiv. ; Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 103.

[68] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 18.

[69] Lucien Febvre/Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958, p. 394.

[70] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 198.

[71] Voir, à ce propos, aussi Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 88.

[72] « L’écrivain Frédéric Beigbeder s’oppose vivement à la dématérialisation des ouvrages », interview cit.

[73] Voir, p. ex., Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon », art. cit. ; Emilie Zapater, « Le face à face de Frédéric Beigbeder et François Bon », art. cit.

[74] Interview sur Le Point.fr, 09.06.2010, cit. d’après Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, Jean-Luc Petit Éditions, « Essais » [format électronique], 14.10.2011, pos. 614-615.

[75] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 13.

[76] Id., p. 16 et suiv.

[77] Id., p. 12.

[78] Voir, p. ex., Lucien Febvre & Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, op. cit., p. 43 et suiv. ; Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 200.

[79] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 145 et p. 167.

[80] Camille Tenneson, « Chloé Delaume : “Le numérique est une ouverture sur la littérature” », Le Nouvel Observateur, 24.04.2009. En ligne ici [26.06.2014].

[81] Élisabeth Philippe, « Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique : si on veut censurer une page, on l’efface des liseuses” » [Entretien], Les Inrockuptibles, 23.03.2013. En ligne ici  [26.06.2014].

[82] Maurice Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 273.

[83] Id., p. 265.

[84] Alain-Philippe Durand, « Entretien avec Frédéric Beigbeder », art. cit., p. 19.

[85] Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 17.

[86] Jean-Claude Carrière/Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, op. cit., p. 111.

[87] V. Christophe Berliocchi, « Frédéric Beigbeder : “Internet, c’est l’empire de la méchanceté, de la bêtise” », Sud Ouest, 24.08.2012. En ligne ici [02.03.2014].

[88] Voir Pierre Lévy, Cyberdémocratie, Paris, Odile Jacob, 2002.

[89] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1639-1640.

[90] Ibid., pos. 1941-1942.

[91] Ibid., pos. 2681-2682.

[92] Ibid., pos. 1108-1109.

[93] Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, op. cit., pos. 853-854.

[94] Ternoise va jusqu’à saluer l’arrivée de l’Amazon Kindle en France comme « [u]n vrai débarquement pour libérer les écrivains français » (id., pos. 23-25).

[95] Le 18.08.2009 sur France Inter, dans le cadre de l’émission « Ça vous dérange » ; cit. d’après Stéphane Ternoise, Réponses à monsieur Frédéric Beigbeder au sujet du Livre Numérique, op. cit., pos. 792. Cf. aussi Nicolas Gary, « Jean-Marc Roberts (Stock) : l’ebook, c’est bon pour les SDF », ActuaLitté. Les Univers du livre, 18.08.2009 [consulté le 02.03.2014].

[96] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1276-1277.

[97] Severine Durande, « La fin du livre ? », art. cit. Cette vision d’une démocratisation de la culture post-livresque s’inscrit, elle aussi, dans une tradition intertextuelle. Le narrateur d’Octave Uzanne explique déjà que, suite à « La Fin des livres », « l’auteur deviendra son propre éditeur » ; à part les biblio- ou plutôt « phonographophiles » aisés, le « peuple », lui aussi, « pourra se griser de littérature comme d’eau claire, à bon compte, car il aura ses distributeurs littéraires des rues comme il a ses fontaines » (op. cit., p. 135 et suiv.).

[98] Roger Chartier, Le Livre en révolutions, op. cit., p. 16 et suiv..

[99] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 199 et suiv., 222.

[100] Voir Lucien Febvre/Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, op. cit., p. 244 ; Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 123 et suiv.

[101] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 344.

[102] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 223.

[103] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 2280-2281.

[104] Voir Marc Prensky, « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon (MCB UP, Vol. 9, n° 5, oct. 2001), [consulté le 02.03.2014].

[105] « Numéro 36 : “Les Jolies Choses” de Virginie Despentes (1998) » (Frédéric Beigbeder, Premier bilan après l’apocalypse, op. cit., p. 260-264).

[106] Beigbeder y préfère pourtant Les Jolies Choses, exemptes de ce « militantisme lesbien confinant à l’hétérophobie » (id., p. 263) qu’il reproche à Apocalypse bébé.

[107] Id., p. 260.

[108] « […] Despentes rock’n’viole notre idiome national. […] Avec elle, le français reste une langue vivante » (id., p. 261).

[109] Ibid.

[110] « Un livre ne doit pas parler comme un livre » (ibid.).

[111] Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation, op. cit., p. 13.

[112] Voir Luc Le Vaillant, « Biaise-moi » [Portrait], Libération, 30.07.2004 [consulté le 02.03.2014].

[113] Dans les romans de Despentes, peuplés par des personnages marginaux, mais doués de la « lucidité spéciale des dominés » (Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998, p. 37), ce sont les losers (et « looseuses ») qui font figure de vrais héros – et surtout héroïnes ; l’écrivain revendique sa propre position du côté de chez les « Bad Lieutenantes » (King Kong Théorie [2006], Paris, Grasset, 2008, p. 9 et suiv.).

[114] Voir Josyane Savigneau, « Virginie Despentes : Je ne suis pas encore très disciplinée, mais j’essaie” », Le Monde des livres, 26.08.2010 [consulté le 02.03.2014].

[115] Voir Élisabeth Philippe, « Virginie Despentes : “Je crains les facilités qu’offre le numérique” », art. cit.

[116] Voir Virginie Despentes, Apocalypse bébé, Paris, Grasset, 2010, p. 99.

[117] Ibid., p. 135sq.

[118] Voir Josyane Savigneau, « Virginie Despentes : “Je ne suis pas encore très disciplinée” », art. cit.

[119] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 41.

[120] Id., p. 19.

[121] Id., p. 104.

[122] Id., p. 47.

[123] Id., p. 74.

[124] Id., p. 40.

[125] Id., p. 165.

[126] Voir id., p. 93 et suiv.

[127] Id., p. 276, 327.

[128] Id., p. 328.

[129] Voir Marianne Costa, « Despentes : anarcho-féministe » [Interview], le magazine.info, 08.06.2007 [consulté le 02.03.2014].

[130] Voir Béatrice Vallaeys & François Armanet, « Trois femmes s’emparent du sexe. Interview : Catherine Breillat (Une vraie jeune fille) dialogue avec Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (Baise-moi) », Libération, 13.06.2000 [consulté le 02.03.2014].

[131] Virginie Despentes, King Kong Théorie, op. cit., p. 145.

[132] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 302.

[133] Id., p. 250.

[134] Id., p. 323 et suiv.

[135] Id., p. 109.

[136] Voir Xavier de la Porte, « Apocalypse Bébé : Internet, matrice du récit », InternetActu.net, 14.02.2011  [consulté le 02.03.2014].

[137] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 290 et suiv.

[138] Id., p. 100.

[139] Günther Anders, Die Antiquiertheit des Menschen, t. I : Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution [1956], München, Beck, 1992, p. 135, 141.

[140] Voir Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle » [1990], Pourparlers 1972-1990, Paris, Minuit, 2009, p. 240-247, ici p. 244.

[141] Virginie Despentes, Apocalypse bébé, op. cit., p. 343.

[142] Comme pour « Virginie Despentes », il s’agit d’un pseudonyme littéraire – ou bien d’« un geste performatif » (Chloé Delaume, Une femme avec personne dedans. Roman, Paris, Seuil, 2012, p. 14), donnant naissance à ce « personnage de fiction » que se déclare C. D. (voir La Règle du Je. Autofiction. Un essai, Paris, PUF, 2010, p. 5, 21, 79, 82 ; La Dernière Fille avant la guerre, Paris, Naïve, 2007, p. 8, 63, 103 ; Une femme avec personne dedans, op. cit., p. 13, 17, 113, et passim). Voir aussi Barbara Havercroft, « Le soi est une fiction » [Entretien avec Chloé Delaume], Revue critique de fixxion française contemporaine, 4, « Fictions de soi », 2012 [consulté le 26.06.2014].

[143] Voir Arnaud Genon, « De l’autofiction expérimentale (Sur Chloé Delaume, La règle du je) », autofiction.org, 29.04.2010 [consulté le 02.03.2014].

[144] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 62.

[145] Voir le titre d’Emmanuel Carrère (Paris, P.O.L., 2009).

[146] Voir Éric Neuhoff, « La subversive et l’inclassable. Deux femmes écrivains loin des codes et des modes », Le Figaro Madame, 28.11.2010 [consulté le 02.03.2014].

[147] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 68.

[148] Voir Minh Tran Huy, « Entretien avec Chloé Delaume », Zone littéraire, 08.11.2001. en ligne ici [02.03.2014].

[149] Renaud Pasquier, « L’œuvre indistincte (Vasset, Volodine, Delaume, Bon) », in  La caméra des mots. Dans le spectacle du roman, Matteo Majorano (dir.), Bari, B.A. Graphis, 2007, p. 49-69, ici p. 61.

[150] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 66.

[151] Chloé Delaume, Certainement pas (Paris, Verticales, 2004), cité d’après Renaud Pasquier, « L’œuvre indistincte », art. cit., p. 60.

[152] Voir Minh Tran Huy, « Entretien avec Chloé Delaume », art. cit.

[153] Voir Alexandra Galakof, « “Se divertir avec la littérature, c’est grave… politiquement”(Chloé Delaume) », L’Express. Blog Café livres, 09.02.2009 [consulté le 02.03.2014].

[154] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, Paris, Verticales, 2006, p. 95.

[155] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 77 et suiv.

[156] Id., p. 57.

[157] Chloé Delaume, La Dernière Fille avant la guerre, op. cit., p. 60.

[158] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 89 [Annexe]. V. à ce propos aussi Christian Salmon, Verbicide. Du bon usage des cerveaux humains disponibles [2005], Arles, Actes Sud, 2007 [éd. actualisée], p. 16, 57 et suiv.

[159] En ligne ici  [consulté le 08.06.2012].

[160] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, op. cit., p. 12.

[161] Ibid., p. 16.

[162] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 7 ; cf. aussi p. 56.

[163] Chloé Delaume, J’habite dans la télévision, op. cit., p. 17.

[164] Camille Tenneson, « Chloé Delaume : “Le numérique est une ouverture sur la littérature” », art. cit.

[165] Dawn Cornelio, « Nimphaea in fabula : le bouquet d’histoires de Chloé Delaume. Par Marika Piva (2012) » [Compte rendu], French Studies, n° 68:1, 2014, p. 129-130, ici p. 129 [consulté le 26.06.2014].

[166] Voir « 24 h dans la vie de Chloé Delaume » [Entretien par Colette Fellous], France Culture, 09.08.2009. Transcription par Maryse Legrand disponible sur [consulté le 26.06.2014].

[167] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 62.

[168] Id., p. 87 [Annexe].

[169] Ainsi dans J’habite dans la télévision (op. cit., p. 110sq. ; voir aussi La Règle du Je, op. cit., p. 90 et suiv. [Annexe]). Dans La Dernière Fille avant la guerre, Delaume parallélise « pacte de lecture » littéraire et « pacte d’écoute » musical (op. cit., p. 99) ; elle esquisse même la perspective d’une autofiction « musicale » (voir La Règle du Je, op. cit., p. 93 [Annexe]).

[170] Chloé Delaume, Corpus Simsi. Incarnation virtuellement temporaire, Paris, Léo Scheer, 2003, p. 124.

[171] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 223.

[172] Chloé Delaume, Corpus Simsi, op. cit., p. 124 et suiv.

[173] Dans le monde simsien, s’insère une fiction de second degré, les « Sims Alpha » jouant aux « Sims Bêta », ces « sous-Sims » (id., p. 103).

[174] Voir, évidemment, la fameuse formule de Stéphane Mallarmé (Œuvres complètes, vol. II. éd. par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard,« Pléiade », 2003, p. 224).

[175] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 8, 203.

[176] Chloé Delaume, Corpus Simsi, op. cit., p. 5.

[177] Id., p. 50.

[178] Id., p. 63.

[179] Id., p. 124.

[180] Id., p. 107.

[181] Id., p. 116.

[182] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 91 [Annexe]. Pour Certainement pas, autre livre-jeu, Delaume emprunte la structure du Cluedo.

[183] Version française : Buffy contre les vampires.

[184] Chloé Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 92sq. [Annexe].

[185] Chloé Delaume, La Nuit je suis Buffy Summers, Paris, è®e, 2007, p. 13.

[186] Id., p. 106.

[187] Id., p. 10sq.

[188] Id., p. 77.

[189] Id., p. 45.

[190] Id., p. 73.

[191] Id., p. 59,  voir aussi p. 96 et suiv.

[192] Id., p. 99.

[193] Id., p. 87.

[194] Id., p. 107.

[195] Id., p. 47.

[196] Iid., p. 100.

[197] Id., p. 68, voir aussi p. 34 et suiv., 43.

[198] Iid., p. 112 et suiv.

[199] Voir, p. ex., Philippe Leclercq, « Et si le livre électronique signait la fin de notre civilisation ? », art. cit.

[200] Jacques Derrida, L’écriture et la différence [1967], Paris, Seuil, 2006, p. 429 ; cité. par Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 192.

[201] Walter Benjamin, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 196.

[202] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1234-1235.

[203] Id., pos. 1236-1237.

[204] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset, 2008, p. 263.

[205] Id., p. 269.

[206] V. Christian Salmon, Verbicide, op. cit., p. 60.

[207] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, op. cit., p. 270 et p. 234.

[208] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi » [1992], Interventions 2 : traces, Paris, Flammarion, 2009, p. 21-45, ici p. 31 et suiv.

[209] Die neue Typographie. Ein Handbuch für Zeitgemäss Schaffende (1928 ; v. Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 316).

[210] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 197 et suiv.

[211] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 392-393.

[212] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 133.

[213] Jacques Derrida, « Das Papier oder ich, wissen Sie… », art. cit., p. 245.

[214] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 32 et suiv. Voir aussi Martin de Haan, « Entretien avec Michel Houellebecq », in : Sabine van Wesemael (dir.), Michel Houellebecq, Amsterdam/New York, Rodopi, 2004, p. 9-27, ici p. 17.

[215] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 170 et suiv.

[216] Id., p. 254.

[217] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 34. Houellebecq adopte, significativement, des positions différentes selon son rôle respectif d’auteur ou de lecteur. Tandis que Houellebecq l’auteur « [s]’intéresse surtout à l’objet-livre » (« Entretien avec Gilles Martin-Chauffier et Jérôme Béglé » [2006], in : Interventions 2, op. cit., p. 255-265, ici p. 263), ce même objet le laisse indifférent en tant que lecteur (« J’ai lu toute ma vie », Interventions 2, op. cit., p. 267-273, ici p. 273).

[218] Voir Martin de Haan, « La mise à distance du monde : entretien avec Michel Houellebecq », Speakers Academy Magazine, mai 2011 ; en ligne: 15.05.2011  [consulté le 02.03.2014].

[219] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 45.

[220] Voir Julia Kristeva, Étrangers à nous-mêmes, Paris, Fayard, 1988.

[221] V. Michel Houellebecq, Poésie, Paris, J’ai lu, 2010, p. 236.

[222] Id., p. 40 [Le Sens du combat].

[223] Michel Houellebecq, « Approches du désarroi », op. cit., p. 40.

[224] Autre mort annoncée depuis des décennies : dès 1925, José Ortega y Gasset considère le roman « como una cantera de vientre enorme, pero finito » (« Ideas sobre la novela », in : Obras completas, Madrid, Alianza, 1987, t. 3, p. 387-419, ici p. 388).

[225] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte [1994], Paris, Flammarion, 1999, p. 42.

[226] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 258 et suiv.

[227] Michel Houellebecq, « Lettre à Lakis Proguidis » [1997], in : Interventions 2, op. cit., p. 149-156, ici p. 152.

[228] Voir Martin de Haan, « Entretien avec Michel Houellebecq », art. cit., p. 10 et p. 26.

[229] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 184 et suiv.

[230] Alasdair C. MacIntyre affirme à son tour que « man is […] essentially a story-telling animal » (After Virtue. A Study in Moral Theory [1981], London, Duckworth, 1999, p. 216).

[231] Voir Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 163.

[232] Voir George Lakoff/Mark Johnson, Metaphors we live by, Chicago, Ill. [etc.], Univ. of Chicago Press, 1980.

[233] Voir Hans Blumenberg, Die Lesbarkeit der Welt [1981], Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1993.

[234] Voir Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit.

[235] Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 86.

[236] Voir François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 1524-1528.

[237] Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 194.

[238] Voir id., p. 110.

[239] François Bon, Après le livre, op. cit., pos. 2072-2073.

[240] Laurent Martinet, « Frédéric Beigbeder face à François Bon », art. cit.

[241] L’œuvre de Borges, biblio-philosophe par excellence –  « Le livre est en principe le monde pour lui, et le monde est un livre » (Maurice Blanchot, Le Livre à venir, op. cit., p. 131) –, a été, ces dernières années, l’objet de relectures la mettant en rapport avec les nouveaux médias (voir Perla Sassón-Henry, Borges 2.0. From Text to Virtual Worlds, New York/Vienna [etc.], Lang, 2007 ; Dante Augusto Palma, Borges.com. La ficción de la filosofía, la política y los medios, Buenos Aires, Biblos, 2010).

[242] Michel Houellebecq & Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, op. cit., p. 284 [BHL], voir aussi p. 170.

[243] Michel Houellebecq, « Avant-propos » [2008], Interventions 2, op. cit., p. 7-8, ici p. 8. Voir aussi les réflexions similaires de François Bon : « Nous serions alors chacun l’écrivain d’un seul livre. Ce livre grandirait avec nous […]. Il serait fait de toutes nos traces […] » (Après le livre, op. cit., pos. 2048-2049).

[244] Voir Lothar Müller, Weiße Magie, op. cit., p. 342, 351.

[245] Ted Nelson, Literary Machines, cit. d’après Norbert Bolz, Am Ende der Gutenberg-Galaxis, op. cit., p. 218.

[246] Voir aussi l’errance de « Daniel 1 » à travers l’installation de Vincent Greilsamer, « l’artiste élohimite » (La Possibilité d’une île [2005], Paris, Fayard, 2007, p. 144), autre espace textualisé (id., p. 150sqq.).

[247] Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, op. cit., p. 153.

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Sources audiovisuelles

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« 24 h dans la vie de Chloé Delaume » [Entretien par Colette Fellous], France Culture, 09.08.2009. Transcription par Maryse Legrand disponible ici  [26.06.2014].

Auteur

Martina Stemberger est chercheuse et enseignante à l’Institut d’Études Romanes de l’Université de Vienne en Autriche. Ses principaux domaines de recherche sont la littérature française et francophone des XXe et XXIe siècles, la littérature de voyage, les relations culturelles et littéraires franco-russes, l’imagologie comparatiste, les Gender Studies. Pour une liste complète de ses publications et autres activités scientifiques, voir ici.

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Présentation

Depuis 2009 le site Tiers Livre est devenu le centre de l’activité d’auteur de François Bon : « les livres en sont un des éléments, mais le livre c’est définitivement le site web lui-même[1] » Tiers Livre comme atelier, bibliothèque, laboratoire d’écriture, conversation… œuvre-somme ouverte, arborescence infiniment remodelable, en perpétuel mouvement. Aujourd’hui lire François Bon, c’est donc explorer son site. C’est ce à quoi invite ce dossier, issu des journées d’étude « tierslivre.net : François Bon à l’œuvre… » organisées à Montpellier par Pierre-Marie Héron et moi-même les 29 et 30 novembre 2013. Cette manifestation inaugurait un cycle annuel de rencontres avec des auteurs français ou étrangers intéressés par le numérique et la transmédiatisation [2].

François Bon « à l’œuvre » ? L’angle d’attaque n’allait pas de soi, s’agissant d’un auteur qui n’a « pas besoin de la notion d’œuvre » et veut « tout faire pour brûler, tout faire pour résister, pour détruire dans l’œuf sa propre pulsion d’œuvre [3] », dans le refus de toute préfiguration de l’œuvre matériellement achevée. Non pas « l’œuvre de François Bon » donc, mais « François Bon à l’œuvre », au travail, dans le chantier du site. Manœuvre acharné, « les mains dans le cambouis » et qui toujours reprend, refaçonne, dans le présent d’une écriture en constant renouvellement. Non pas œuvre, mais work in progress ou, comme le suggère Sébastien Rongier, work in process, expérience de l’infini. François Bon « à la manœuvre », à la barre du navire Tiers Livre, à la « tour de contrôle » de son interface Netvibes. L’œuvre peut-être – mais illimitée ; l’ouverture, comme programme opératoire, en la repensant autrement que ne l’avait fait le structuralisme, dans le contexte d’aujourd’hui qui est celui des nouvelles technologies :

Ce site se remodèle en permanence, c’est peut-être le seul point où le mot œuvre aurait pertinence : comment d’un côté intégrer les travaux passés, créés en fonction de certaine ergonomie du livre et de sa diffusion, et interroger des formes narratives dont les conditions même de lecture se déplacent à mesure des nouveaux supports et des nouveaux usages [4] ?

Toujours s’inscrire dans l’instable et les transitions de l’écrit et du monde. François Bon nous contraint au « saut », à nous dépouiller des vieilles enveloppes, des « symboliques héritées de l’univers marchand du livre imprimé [5]».

Ouvrir le cycle de journées d’étude évoqué en allant à la rencontre de François Bon nous paraissait et nous paraît encore légitime, malgré les fortes réticences (argumentées) de l’auteur à la « mise en avant permanente et arbitraire de [s]on travail ». Sans parler de ses réticences à être vu de trop près : Tiers Livre comme « bâtiment public » ouvert aux visiteurs, et lieu d’intervention largement ouvert sur le monde, oui, mais également son « arbre » à lui, sa maison… « mon site c’est mon lieu de vie, refuge, jardin où on m’emmerde pas et du coup pas trop envie qu’on vienne y voir. » Mettre à l’étude un site internet, en principe sans cesse en évolution, n’était peut-être pas moins discutable : un site bouge sous vos yeux (à Montpellier, François Bon s’est amusé à modifier pages, titres ou accès au site pendant que nous en parlions) ; il bouge encore plus dans l’intervalle de temps qui sépare une communication de sa publication. Ainsi le chercheur est-il condamné à travailler sur une dépouille, tandis que le site bien vivant continue ses manœuvres… Mais à l’instar du web, la dépouille respire toujours (elle « respire comme une grosse bête bizarre »). Quelque chose meurt (« C’est fini nous n’en avions plus besoin ») et quelque chose de neuf advient (« on ouvrait les mains et on touchait le monde [6] »). C’est dans cette respiration que s’inscrit le geste créateur de l’auteur, qui remet en mouvement les œuvres du passé, questionne la place du contemporain par rapport aux textes  anciens, dans ce qu’elle a de mouvant (« On ne veut pas laisser arrière de nous Kafka et Montaigne, Baudelaire et Saint-Simon ni Michaux ni Céline : ils sont à eux tous ce qui nous permet de nous considérer nous-mêmes [7] »). « Tiers Livre dépouille et création », comme malicieusement proposé par l’auteur, est donc le titre de ce dossier quelque peu « en retard », mais qui tel quel aura aux yeux du lecteur, nous l’espérons, son utilité.

Une première partie du dossier est consacrée à l’étonnante architecture de Tiers Livre, structure en constellation étudiée par Sébastien Rongier et qui invite à de nouvelles formes de lecture. Les images convoquées par l’auteur ou la critique pour tenter de décrire Tiers Livre sont multiples : l’arbre, le réseau, la ville, le labyrinthe, « l’œuvre-archive » mosaïquée. Dans leur contribution, Stéphane Bikialo et Martin Rass ne font pas qu’en parler : ils nous invitent à expérimenter de multiples parcours grâce à un réseau de fichiers interconnectés par des liens, pour coller au plus près du sujet qui n’a pas de conclusion possible. Aurélie Adler approfondit, elle, les liens entre le site et la ville contemporaine, site-mémoire des villes d’avant la fracture ou site-observatoire des dystopies de la ville moderne, espace de flânerie enfin où s’invente un urbanisme virtuel. L’espace-temps du Tiers-Livre n’est ni lisse ni clos, son passé et son présent, son dedans et son dehors s’y mêlent en des strates et des gestes d’écriture distincts, dont demeurent des traces parfois bien visibles.

Quel statut symbolique de l’écrivain se défait, et quel autre, de François Bon comme écrivain, s’invente dans Tiers Livre ? La question oriente plusieurs contributions, dans le prolongement des travaux actuels sur les formes de l’auctorialité sur internet. J’interroge pour ma part les contours mouvants d’une figure auctoriale inédite, ambivalente parce que puissante et fragile à la fois, combinant de façon contrastée prises de position véhémentes (dans un contexte d’urgence) et tâtonnements inquiets de l’expérimentation poétique. Si le champ numérique opère un déplacement en profondeur du statut de l’écrivain, bousculé dans ses rites, ses rythmes et ses réseaux, l’identité numérique ne va pas sans une forme de marginalisation et de solitude nouvelle. Comment François Bon, tout en refusant l’étiquette de « militant du numérique » assume-t-il cette posture de l’auteur 2.0. ? Ces réflexions trouvent un écho dans l’article d’Oriane Deseilligny qui accorde une attention particulière aux dispositifs techniques de l’écriture en régime numérique pour montrer comment l’ethos d’auteur est mis en texte dans l’espace du site. Anaïs Guilet et Gilles Bonnet, quant à eux, s’intéressent au geste de la relecture, celle d’un monument de la littérature française (À la recherche du temps perdu) ou celle de Limite, anciennement publié aux Éditions de Minuit. La relecture transmédiatique de La Recherche dans Proust est une fiction et la reprise numérique de Limite contribuent au renforcement de l’autorité auctoriale : l’auteur transmédia accroît son champ d’action, passant aisément de son site à son compte Twitter ou sa page Facebook sans dédaigner la publication sur support papier, et son écriture s’apparente à une performance dans laquelle création et réception se superposent. En remettant en circulation Limite, « l’écranvain » (Gilles Bonnet) assume des compétences éditoriales et réinscrit le texte déjà publié dans une démarche autobiographique qui lui permet de se le réapproprier.
Après le congé donné il y a quinze ans au roman papier, genre devenu à ses yeux insuffisant pour « coïncider avec notre propre réflexion sur nous-mêmes et le monde [8] », François Bon semble avoir trouvé dans l’écriture web les moyens de faire des « mises en expérience qui donnent un point de vue sur le réel [9] ». Ce qui frappe, c’est la diversité des options d’écriture, d’une zone à l’autre de Tiers Livre, d’un projet à l’autre. Une écriture tantôt spécifiquement web, multimédia et hyperliée, tantôt conventionnelle. Et une écriture multimédia plus « photo » que « audio », intégrant les images du monde plus que ses musiques ou ses bruits. Si l’enjeu est une certaine adéquation du texte et du monde, cette diversité pose donc la question des choix opérés par François Bon pour la réaliser. Certains de ceux-ci sont examinés dans la dernière partie du dossier par Pierre-Marie Héron, pour l’écriture audio, et Michel Collomb, pour l’image photographique. À lire aussi sur son site personnel le texte qu’Emmanuel Delabranche, architecte et photographe, a écrit spécialement pour le colloque de novembre 2013, en l’accompagnant de plusieurs de ses clichés : c’est ici. Arnaud Maïsetti quant à lui voit Tiers Livre comme un grand plateau de théâtre « où viennent des corps sans qu’ils aient besoin de corps vraiment, et des voix, et des morceaux épars de ciel et de ville », un théâtre, non pas coupé du réel, mais « où le monde s’engouffre, se trouve nommé, visible », lieu où se concentrent les expériences du monde, interceptées par « celui qui dit je à la surface de l’écran » : « la vie, les essais libres de la pensée, les colères, les notes brèves arrachées au monde et à la volée les images que le réel pose sur lui qu’ensuite le site arrache pour les déplacer, nous les rendre de nouveau visibles ». Tiers Livre est le lieu où François Bon se saisit du monde, son lieu de création.

Notes

[1] Tiers Livre, article 1996.

[2] En 2014 nous avons reçu Chloé Delaume : « S’écrire par-delà le papier : hybridation des formes et des supports dans l’œuvre autofictionnelle de Chloé Delaume », 5 novembre 2014, journée d’étude organisée par Annie Pibarot et  Florence Thérond. En novembre 2015 une journée sera consacrée aux « formes brèves sur internet », en présence de Jean-Louis Bailly, Jean-Yves Fréchette, Thierry Crouzet, et Olivier Hervy, manifestation organisée par Marie-Ève Thérenty et Florence Thérond.

[3] François Bon, « pas besoin de la notion d’œuvre », entretien avec Thierry Hesse, L’Animal, nº16, hiver 2003-2004. En ligne ici.

[4] Tiers Livre, article 3659.

[5] Ibid.

[6] Tiers Livre, « tunnel des écritures étranges | fin du culte des livres », article 3109.

[7] Tiers Livre, « tunnel des écritures étranges | si la littérature peut mordre encore », article 519.

[8] François Bon, Impatience, Paris, Éditions de Minuit, 1998.

[9] François Bon, « pas besoin de la notion d’œuvre », entretien avec Thierry Hesse, L’Animal, nº16, hiver 2003-2004. En ligne ici.




Les espaces du site : fbon et le réseau

Résumé

 

François Bon écrit dans Tiers Livre qu’en dehors d’avoir été « écrivain (dernier quart du XXe siècle) puis artiste transmedia (premier quart du XXIe siècle), [avoir] inventé, codé, rédigé & publié le site Tiers Livre » [il a] « laissé peu de renseignements sur lui-même » (article 356). Notre investigation porte sur ce site comme « espace(s) » ; des espaces et circulations en réseau qui permettent d’interroger la notion d’identité numérique, la manière dont ce site et ses ancêtres ont transformé – à partir de 1997 – François Bon « écrivain » en « fbon », « artiste transmédia », « écrivain 2.0 ». Lorsqu’il a créé son premier site en 1997, l’espace du livre devient un peu serré : l’écriture cherche à en sortir et à se trouver des espaces autres. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Question ouverte comme la construction de notre contribution. Nous vous invitons à circuler à partir de notre ouverture en vous laissant guider par les hyperliens. Votre regard changera comme si vous tourniez autour d’un arbre, sa couronne, ses racines.


François Bon tells us that after being a writer (last quarter of the 20th century) and a transmedia artist (first quarter of the 21th century), after having invented, coded, written and published the website Tiers Livre, their will have been not much more other information left about him. Our research will consider this website as spaces and network circulations which enable us to question the concept of the digital identity, and wonder how this website and its ancestors had transformed, since 1997, François Bon from a “writer” into “fbon”, transmedia artist” and “writer 2.0”. When he was coding his first website in 1997, the space for literature was shrinking: writing had got to leave it for other spaces. What will be left today? It is an open question as is the construction of our contribution. Thus, we invite you to navigate from the departure by following our hyperlinks. Your perspective might change as if you turned around a tree, its crown, its roots.


On pourrait commencer par citer les bios rédigées par François Bon sur son site :

2 | très brève

François Bon, écrivain (dernier quart du XXe siècle) puis artiste transmedia (premier quart du XXIe siècle) a inventé, codé, rédigé & publié le site tierslivre.net.

3 | encore plus brève

A laissé peu de renseignements sur lui-même, sinon un site web [1].

Ceci afin de dire dès l’abord que notre objet sera le site comme « espace(s) » et que ces espaces, ces circulations en réseau permettent d’interroger la notion d’identité numérique, la manière dont le site a transformé – à partir de 1997 – François Bon, « écrivain » en « fbon », « artiste transmédia », « écrivain 2.0 ».

Lorsqu’il crée son site, en 1997, l’espace du livre devient un peu serré : l’écriture se cherche des espaces autres. Vingt ans après – pour parler comme Alexandre Dumas –, lorsqu’il rédige ces notices biographiques, ne resterait de l’œuvre et de l’auteur que le site et des traces disséminées dans le WWW.

Note

[1] François Bon, « La Feuille, on rappelle », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.


Auteurs

Stéphane Bikialo est Maître de Conférences en Langue et Littérature françaises à l’université de Poitiers et directeur de la revue La Licorne. Il s’intéresse aux rapports entre langue et style dans la prose contemporaine, en particulier chez Claude Simon et Bernard Noël. Il travaille actuellement sur le rapport mots / choses, ainsi que sur les enjeux du rythme graphique (Lydie Salvayre, Leslie Kaplan, Jean-Charles Massera, etc.). Il vient de codiriger deux volumes sur l’imaginaire de la ponctuation du XIXe au XXIe siècle, dans les revues LINX et Littératures. Il prépare un ouvrage collectif sur l’œuvre de Lydie Salvayre chez Garnier. Un de ses derniers articles parus : « Genres de discours et réalité dans la fiction narrative contemporaine », dans Fictions narratives du XXIe siècle : approches stylistiques, rhétoriques, sémiotiques, C. Narjoux et C. Stolz (dir.), La Licorne, n° 114, décembre 2014.

Martin Rass est Maître de Conférences en civilisation allemande et nouvelles technologies à l’université de Poitiers. Il a travaillé sur l’imbrication des médias et du politique lors de l’avènement des mass media en Allemagne au début des années trente. Il travaille actuellement sur l’évolution de l’écoute, l’oreille, « cette sorte d’orifice le seul dans le champ de l’inconscient qui ne peut pas se fermer » (Lacan), à travers la réception d’œuvres artistiques dans un monde sensuellement pollué. Il a notamment publié sur ce sujet : « Existe-t-il une politique des corps sonores ? », Langue, musique, identité, Jeremy Price, Licia Bagini, Marlène Belly (dir.), Paris, Publibook, 2011, p. 119-134 et « Le bruit du passage du train – entendre Sebald », Europe, 91e année, n° 1009, mai 2013, p. 157-167. Cette recherche a trouvé un complément dans les nouveaux dispositifs de lecture (écrans mobiles), leur rapport au corps, « l’innervation des doigts » (Benjamin) et l’implication de la kinesthésie.

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Tiers Livre, une structure en constellation

Résumé


Tiers Livre de François Bon est un site qui s’inscrit dans une histoire du numérique mais également une histoire de l’écriture et de la pensée. En proposant une lecture du site, on peut dégager un véritable « écosystème de l’écriture », entendu comme espace d’expérimentation et dynamique infinie de l’écriture.


Tiers Livre of François Bon is a site that is part of a digital story, but also a history of writing and thought. By offering a reading of the site, one can identify a true “ecosystem of writing”, understood as infinite space for experimentation and dynamics of writing.


 

Texte intégral

On peut lire François Bon sur le web depuis 1997. C’est écrit sur la page d’accueil du site, comme un clin d’œil, comme l’affirmation d’une véritable expérience d’écriture.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 1

Doc. 1 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, un des bandeaux de 2013.

La question n’est pas celle de la lecture sur numérique mais de la lecture dans le numérique. Et donc de la lecture du numérique. Le problème ne doit donc pas être posé en termes de support mais bien en termes de lecture. Accepter le site comme milieu d’écriture, comme expérience de lecture, comme mode d’accès à une écriture. La lecture numérique est une expérience de la mobilité. Cette mobilité littéraire est plus ré-inventée qu’inventée. Pour moi, l’idée de ré-invention est importante car elle permet de tenir un double discours sur le numérique : à la fois tracer une généalogie et définir des spécificités. Pour l’écriture comme mobilité, on peut lire Rabelais, Montaigne, Proust ou Claude Simon… c’est-à-dire tracer des filiations et des généalogies, manière de casser des étanchéités idéologiques toujours à l’œuvre et à la manœuvre. Des liens et de la généalogie, certes, mais aussi des spécificités. C’est ce à quoi invite Tiers Livre [1].

Il s’agira donc de tenter des incursions à l’intérieur de Tiers Livre pour cerner les contours d’une lecture. Et d’ores et déjà de souligner la singularité, la valeur indéterminée du déterminant : une lecture. Donc pour tenter cette approche, il faudra se forger quelques outils et projeter quelques hypothèses.Je partirai d’un constat simple : le site Tiers Livre s’élargit. Au fur et à mesure de son évolution, Tiers Livre s’épaissit. Il faut tenter de répondre à cette question impossible : comment décrire ce mouvement ? Comment cerner une épaisseur numérique ?Une approche intuitive serait de proposer l’analyse d’une navigation et d’en déduire quelques aspects. Mais si l’on veut envisager Tiers Livre comme un système en déplacement occupant un espace-temps, il faut tenter un autre geste : esquisser une morphologie du site pour des modes de lecture.

La vie du numérique est d’abord conçue par la verticalité. La lecture et la navigation sont d’abord verticales : verticalité de la page et premier déplacement du haut vers le bas de la page. La navigation est verticale avant d’être spatialisée par le passage d’une page à l’autre selon une logique numérale, puis par le lien hypertexte qui densifie l’espace numérique, lui donne une épaisseur et ouvre la structure logique à la possibilité de la perte. Cependant la perte numérique est relative, la logique de la navigation comme perte reste subordonnée aux coordonnées de la navigation enregistrée par la machine et les serveurs à partir desquels on navigue [2].

La question devient celle de la stratégie d’architecture du site et du dispositif de lecture qu’il propose. De nombreux sites sont des blogs et des blogs sont des sites. La distinction me semble toujours opérante pour affiner les lectures. Là où le blog a une logique d’empilement vertical avec l’infini mouvement de l’ascenseur numérique, le site, lui, développe une logique d’arborescence (laquelle n’empêche pas d’accueillir en son sein un blog). L’histoire de Tiers Livre me semble relever de cette double articulation et de son déplacement.

1. Tiers Livre, quelle logique de lecture ?

Il y a dans le développement de Tiers Livre, une leçon de l’expérience de remue.net. Même seul (Tiers Livre est le site d’un auteur), le numérique n’est pas solitaire. Tiers Livre s’articule dans son histoire à l’aventure de remue, au moment de sa grande ouverte au collectif. C’est ce qui a permis à François Bon d’affirmer cette nouvelle aventure personnelle et ce à trois niveaux :

‒ une base solide pour une aventure collective qui perdure ;

‒ le développement d’un espace personnel pour de nouvelles activités et expérimentations (elles étaient parallèle à remue bien avant l’affirmation de Tiers Livre) ;

‒ la mise en place de Tiers Livre prend acte de la fin de la structure d’empilement : c’est aussi parce que remue est devenu collectif que la fonction accumulative et verticale ne faisait plus sens tant d’un point de vue technique (passage sous spip) que d’un point de vue éditorial. Nécessité d’une nouvelle arborescence et d’une nouvelle logique de lecture. Tiers Livre prend ce chemin pour inventer ses propres formes d’écriture.

C’est pourquoi Tiers Livre subvertit la logique de verticalité par celle de l’horizontalité. On peut y voir une sorte d’effet Baudelaire. Baudelaire a des effets numériques. Qu’on se souvienne de la logique des « correspondances » : pour Baudelaire, la recherche d’une unité perdue de la Nature dans la poésie repose sur un principe analogique. D’où chez lui un réseau poétique s’élaborant sur une perspective verticale (du visible à l’invisible) et une perspective horizontale (écho des sens formant dans le texte une sorte d’unité dans le confus) [3]. Cette poétique des correspondances est évidemment un motif. Je l’extrais de l’esthétique baudelairienne pour n’en garder qu’une trame, un prétexte méthodologique pour lire Tiers Livre avec tout de même cette double arrière-pensée baudelairienne : la figure du poète est présente dans tout Tiers Livre (bien avant les pas de danse de Proust est une fiction) et surtout Les Fleurs du mal fait partie des premiers gestes de mise en ligne par correspondances : recopier et mettre en ligne le poète a été un de ses premiers gestes d’écrivain numérique. C’est un cœur (vif et nu) numérique, un geste généalogique dont on devrait mesurer les traces dans la structure même du site.

D’où cette tension entre verticalité et horizontalité… Historiquement, le site bouge sa page d’accueil, casse ses marge, s’étire par les côtés. La fonction horizontale contrarie la logique verticale. C’est le premier renversement de lecture. Pour voir ce renversement de la verticalité par l’horizontalité et le foisonnement intérieur, il suffit de parcourir l’histoire des pages d’accueil depuis 2005. Ci-dessous 13 images des pages d’accueil entre avril 2005 et octobre 2013

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 2_avril 2005

Doc. 2 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, avril 2005.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 3_2006

Doc. 3 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, 2006.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 4_avril 2008

Doc. 4 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, avril 2008.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 5_septembre 2008

Doc. 5 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, septembre 2008.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 6_février 2009

Doc. 6 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, février 2009.

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Doc. 7 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, novembre 2009.

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Doc. 8 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, juin 2010.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 9_décembre 2010

Doc. 9 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, décembre 2010.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 10_juin 2011

Doc. 10 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, juin 2011.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 11_décembre 2011

Doc. 11 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, décembre 2011.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 12_juillet 2012

Doc. 12 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, juillet 2012.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 13_décembre 2012

Doc. 13 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, décembre 2012.

Sébastien Rongier_TiersLivre_Illustration 14_octobre 2013

Doc. 15 ‒ Page d’accueil de Tiers Livre, octobre 2013.

Second renversement, ce que j’appelle la logique asymptotique : il y a un principe de profusion, de multiplication d’expériences et de modes d’écriture qui tiennent toutes ensemble (journal image, notation, texte en écriture, en reprise d’écriture, etc.). L’asymptote est ici métaphore de l’infini, comme le site, lui, ne cesse de se multiplier, de se re-configurer. Comment, dans cette circonstance du mouvant, tenter une morphologie ? En faisant appel à une branche des mathématiques qui a eu son heure de gloire à la fin des années 1960 et 1970, la morphogenèse. Il ne s’agit certes pas d’entrer dans des considérations mathématiques dont je ne suis pas capable, mais de saisir par la métaphore des éléments de la démarche, pour décrire des topologies instables et penser la dynamique instable.

Le sens général de la morphogenèse est celui d’un processus créateur (et destructeur) de formes. La question générale posée par René Thom est de comprendre la dynamique de stabilité dans une discontinuité, donc de mettre en jeu une stabilité structurelle et un processus d’évolution induisant une instabilité (l’action d’une singularité). Bref, il s’agit de penser un modèle dynamique, et pour nous de dire l’état d’une forme discontinue que serait Tiers Livre car, comme le rappelle René Thom, « ce qu’on appelle usuellement une forme, c’est toujours en dernière analyse, une discontinuité qualitative sur un certain fond continu [4] ». Cette prise en considération de la dynamique et de l’instabilité ouvre la pensée à une dimension aporétique contre les modélisations systémiques reposant sur la stricte stabilité et sur la reproductibilité.

Comment trouver son chemin dans l’immensité de Tiers Livre, comment essayer d’embrasser ces expériences multiples, en mouvement constant, sinon en acceptant d’abord l’idée de ce mouvement, c’est-à-dire son caractère infini et sa dimension aporétique : c’est l’idée d’une tension comme expérience critique qui déjoue les formes de dominations (idéalistes ou systématisantes).

2. Un espace d’intensification : constellation et process

Il y a les textes, leurs repentirs, leurs apparitions et leurs disparitions (le Proust en trace un exemple après la publication papier, en attendant une nouvelle autre vie dans quelques temps). L’espace d’écriture retrouve avec le numérique sa mobilité. Elle n’a jamais été perdue mais elle a souvent été oubliée parce qu’on a le livre comme modèle unique (et fermé). Or la lecture de Tiers Livre demande de quitter le modèle du livre et la logique baudelairienne des « correspondances », reposant sur la relation d’horizontalité/verticalité, pour une autre logique, qui est celle de la constellation. La constellation est un ensemble hétérogène maintenu dans son hétérogénéité. C’est un système ouvert qui repose sur une absence de pôle d’attraction. C’est une forme qui s’expose sans fin (à la différence de la configuration qui est une totalité fermée). La totalisation est impossible. Il faut se résoudre, en lisant Tiers Livre, à l’irrésolution. Impossible pour le lecteur – comme pour l’auteur – d’embrasser la totalité du site. Ce sera donc une vue et une expérience fragmentaire qui se proposent à lui.

Tiers Livre est aussi une expérience de relecture. Je ne parle ici pas du fait de lire et relire un auteur, un site, etc. mais du fait que le site de François Bon se nourrit de la reprise de textes publiés en volume, par exemple le travail en cours Tous les mots sont adultes [5]. Le site ressaisit la forme initiale papier du texte [6], et procède à une nouvelle éditorialisation, par l’inscription du travail dans le site, l’ajout de photographies, de présentations, de quelques liens, ou la possibilité du commentaire.  Exemple, pris dans le premier cercle du livre : « fenêtre le classique de Raymond Bozier ». Au moment où s’écrit ce article, pas d’entrée d’activée mais trois exemples proposés : un premier lien renvoie vers un texte d’atelier à Argenteuil publié en 2004 (avec page d’époque) ; un deuxième à un atelier à l’IUFM de Paris publié en 2005 ; un troisième à un atelier en Indre-et-Loire publié en 2007 sur le site. Ces renvois ne viennent pas du livre mais appartiennent au site. Ils sont désormais partie intégrante de la récriture numérique de Tous les mots sont adultes.

Comme cet exemple le montre, la démarche numérique opère donc un changement de paradigme : le passage de l’écriture comme work in progress à celui d’une écriture comme work in process. Là où le work in progress peut afficher une finalité (une téléologie, quasiment) qui désigne une étape vers un objet fini, achevé, une totalité peut-être… le work in process rend compte d’une activité spatio-temporelle qui n’en finit pas, qui avance et s’exécute en redéfinissant constamment ses procédures et étapes de fonctionnement. In process signifie que le système organise son activité en transformant les ressources à sa disposition. Le double travail d’invention et de reconfiguration induit que le produit n’est plus fini mais infini. L’écriture numérique de Tiers Livre est l’expérience de cet infini.

Il faut pointer une pratique d’écriture spécifique de François Bon, à savoir la màj ‒ la mise à jour de ses textes. Il n’est pas rare de voir un texte remonter à la Une du site, et être complété. François Bon ajoute une note qui donne un nouvel éclairage, redonne une actualité à un texte plus ancien, répondant à une double fonction :

‒ une fonction archéologique : le site revisite sa propre histoire des pratiques numériques, regarde la distance parcourue (ou non), évalue les évolutions. Je pense par exemple au récent « facebook mode d’emploi », 1ère mise en ligne 15 septembre 2007 et dernière modification le 19 novembre 2013. François Bon n’efface rien mais ajoute des chapeaux introductifs pour mettre en perspective ou amender.

‒ une fonction transformatrice : dans son environnement numérique, le texte acquiert un autre statut. Il prend une dimension processuelle. La logique de « mise à jour » inscrit le texte dans un écosystème numérique. Sa logique est celle du logiciel, rompant avec une stricte logique chronologique pour un principe d’évolution interne, inscrivant sa temporalité (temps de l’écriture et des retours) dans la vie même du texte. Chaque texte est potentiellement voué à sa propre infinité.

C’est le paradigme temporel du texte et de l’écriture qui est ici déplacé. La présence du texte renverse la logique du présentisme (qui accompagne souvent la critique du numérique) pour une forme de présent par débordement. Le présent s’oppose au présentisme décrit par François Hartog « comme [un] renfermement sur le seul présent et [un] point de vue du présent sur lui-même [7] ». Entendu comme temps de l’aplatissement médiatique et de la consommation événementielle, le présentisme est, chez Hartog, la description d’un « régime d’historicité » c’est-à-dire, selon Jean-François Hammel, un modèle d’intellection du temps d’une société, un « mode d’être au temps propre à une société [qui] rend compte des relations du passé et du futur dans chaque présent de l’histoire [8] ».

L’écriture expérimentée avec Tiers Livre renverse la logique du présentisme pour une présence en reconfiguration, un présent de la reconfiguration. Pour donner un nouvel exemple de l’articulation entre constellation et process : que serait une lecture de la page d’accueil ? Quelle serait sa morphologie ? La page d’accueil de Tiers Livre est le bord de ce qui n’en a pas. Elle s’abolit dans sa dynamique même. La bordure numérique qu’invente le numérique n’est pas une frontière ou une séparation : c’est la ligne instable du passage. La bordure devient le signe morphologique de ce décentrement : la page d’accueil est une invitation au décentrement, une ligne mobile toujours outrepassée par elle-même. L’hypothèse topographique devient celle d’un espace sans dehors ni dedans. La frontière est indécidable. Et la lecture numérique de Tiers Livre, jointe à l’expérience mobile de l’écriture qui se reconfigure sans cesse, construisent un espace dont le bord n’existe qu’à condition de son débordement.

3. Un espace-carrefour : écosystème, plasticité et connectivité

Walter Benjamin, dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, envisage deux temps historiques de l’art :

‒ un premier temps qui est celui de la tradition, d’un art artisanal et/ou monumental reposant sur l’authenticité d’un original produisant sa valeur auratique (ce qu’il appelle « l’autorité de la chose [9] »).

‒ un second temps de l’art, défini comme « moderne », qui permet de cerner les enjeux du contemporain dans un sens que j’ai déjà abordé : c’est l’idée d’un art comme processus [10].

Benjamin s’appuie sur la notion de reproductibilité pour expliquer ce changement de paradigme, qui induit l’articulation de l’esthétique au technologique. À l’ère du numérique, la question s’est élargie autant qu’elle s’est intensifiée, mais la démarche de Benjamin reste opérante pour nous. Il faut d’abord rappeler que Benjamin n’a jamais une lecture binaire mais dialectique : ce qu’il pointe, c’est la perte de l’aura, pas la disparition de l’œuvre. C’est un changement de paradigme qui me semble éclairer la situation de l’écriture contemporaine avec le numérique, et celle de François Bon en particulier. Le livre est un moment de l’écosystème de l’écriture : ainsi la question n’est plus de penser son écriture comme une rencontre avec un objet, fût-il numérique, mais de l’envisager comme un processus qui aboutit ‒ selon l’expression de Benjamin ‒ « à un puissant ébranlement de la tradition [11] ».

La question du processus éclaire l’idée que l’écriture et le texte sont déplacés par les pratiques numériques. Il n’est qu’à voir les formes mobiles que prennent les aventures textuelles de Tiers Livre entre écriture, édition, diffusion, reprise et transformation. Exemple avec Rolling Stones, une biographie. Avant d’être un livre (Fayard, septembre 2002), Rolling Stones, une biographie a été un feuilleton radiophonique sur France Culture (régulièrement rediffusé). Première révision au moment de l’édition de poche en 2004 (Livre de Poche, avec une postface). Prolongements et compléments sur Tiers Livre avec un dossier complet (textes, ressources, compléments dont le Conservations avec Keith Richards [12])… Il n’y a pas un livre, mais un processus qui ne se termine pas avec cette description. Le texte devient une navigation dont les contours sont instables et souvent renouvelés.

Le numérique n’invente pas ce jeu de reprise. Il suffit de lire à ce sujet ce qu’écrit François Bon dans Après le livre, au sujet de Baudelaire qui « n’a jamais écrit Les Fleurs du mal [13] ». Le numérique n’invente donc pas ce jeu de reprise, mais il l’intensifie et lui donne une nouvelle légitimité. Il l’explore en approfondissant la logique processuelle. En s’appropriant cette possibilité d’écosystème, la morphologie est celle de la plasticité. Il faut alors envisager l’écriture numérique en termes de plasticité, vue comme une « structure différentielle de la forme [14] ». Le terme de plasticité est d’abord esthétique, puis didactique : Plassein, c’est façonner, modeler, et, au sens figuré, former, éduquer. Le terme devient philosophique avec Hegel qui l’évoque dans La Phénoménologie de l’Esprit pour définir la subjectivité : la plasticité traduit le sujet, c’est-à-dire pour Hegel recevoir et former son propre contenu, c’est-à-dire s’auto-différencier. La plasticité est ici le trait général de la malléabilité, un espace de tension qui fait tenir ensemble l’hétérogène.

Conclusion

Réfléchissant sur l’aura, Walter Benjamin définit l’œuvre d’art comme « une singulière trame d’espace et de temps [15] ». C’est ce que nous donne à lire Tiers Livre :

‒ une singularité : son auteur est diffracté, l’écriture est en constellation et le processus est plastique ;

‒ un espace-temps : c’est la tentative de penser les dimensions du numérique (horizontalité/verticalité/profondeur-épaisseur) comme espace infini ;

‒ une trame : l’image peut renvoyer à l’idée du texte-tissu. Elle me semble également induire une idée de carrefour, un espace de croisée des chemins et des expériences qui font également de Tiers Livre un espace-temps ouvert. L’attention aux autres sites et aux autres expériences numériques (sur le mode de l’admiration aussi bien que de la polémique), l’attention aux supports et à leurs pratiques quotidiennes, les invitations à lire et à aller voir qui font du site un espace pour aller ailleurs [16]. Tiers Livre est aussi l’occasion d’autres sites, d’autres expériences… un prétexte pour s’en échapper afin de mieux le retrouver (publie.net, Nerval, mais avant et toujours d’autres formes cachées). François Bon ne cesse n’inventer ce mouvement et ce dialogue dialectique avec son site. Il transforme son site en ses sites afin de prolonger l’infini du bord absent. Et bien sûr les réseaux sociaux offrent d’autres prolongements et espaces d’expérimentation.

 Notes

[1] Ici.

[2] Même si on voit se développer des contre-démarches d’évanescence : v. Snapchat ou de certains sites comme Désordre.

[3] Pour une analyse pointue, voir notamment Patrick Labarthe, « Une poétique ambiguë : les « correspondances », in Les Fleurs du mal. Colloque de la Sorbonne, André Guyaux & Bertrand Marchal (dir.), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003, p. 121-142.

[4] René Thom, Prédire n’est pas expliquer, Paris, Champ-Flammarion, 1993, p. 35. Voir également René Thom, Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Christian Bourgois, 1981.

[5] Ici.

[6] 2000 puis 2005… cette forme papier étant déjà la trace d’une constellation de pratiques antérieures.

[7] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003, p. 210-211.

[8] Jean-François Hammel, Revenances de l’histoire, Paris, Les éditions de minuit, 2006, p. 27.

[9] Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, trad. Maurice de Gandillac, revue par Rainer Rochlitz, Paris, Folio, 2001, p. xxx.

[10] V. à ce sujet la traduction et les analyses de Rainer Rochlitz, éd. cit.

[11] Id., p. 276.

[12] Qui devient également un livre numérique avec une première existence sur Twitter, ainsi qu’une publication d’une nouvelle édition de Rolling Stones, une biographie en 2013 (revue en mai 2013) pour publie.net avec ajout, modifications et compléments.

[13] Après le livre, Seuil, 2011, p. 67 et suivantes.

[14] Catherine Malabou, La Plasticité au soir de l’écriture. Dialectique, destruction, déconstruction, Paris, Éditions Léo Scheer, 2005, p. 16.

[15] Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, op. cit., p. 278.

[16] Tiers Livre est aussi un site conçu pour qu’on s’en échappe.

Auteur

Sébastien Rongier est écrivain et essayiste. Membre du comité de rédaction de remue.net, il anime également son propre site sebastienrongier.net. Dernières parutions : Cinématière. Arts et cinéma, Klincksieck, 2015 et Théorie des fantômes. Pour une archéologie des images, Les Belles Lettres, octobre 2015, ainsi qu’un roman: 78, Fayard, septembre 2015.

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L’ouverture sans fin : usages de la photographie dans Tiers Livre

Résumé


Tiers Livre est un organe de création interactive en constante évolution grâce à la conjonction des principaux vecteurs d’expression numérique : le texte et l’image photographique. Une réflexion liminaire tente de préciser les différences entre le mode de visionnement d’un texte (déroulement vertical et progressif) et celui d’une photographie (ouverture immédiate, exploration). Je repère ensuite les emplacements où des photographies entrent en jeu : « petit journal image » (aujourd’hui « #journal (depuis 2007) »), « fictions dans un paysage » et « arts & photo ». Elles sont souvent l’œuvre de François Bon et documentent son activité, mais son site accueille aussi de nombreux photographes. Ce que j’appelle « syntaxe » décrit deux principes d’association entre photos et textes : la photo-document et la photo-déclic pour l’imagination. Je range sous le terme de « pragmatique », tout ce que François Bon aime transmettre sur l’histoire et les progrès les plus récents de l’appareillage photographique. Toute création sur la toile passe par cette négociation exploratoire entre le projet artistique et le matériel technique disponible. Une entreprise aussi durable que Tiers livre, la richesse des échanges qu’il rend possible montrent qu’il a un sens pour notre époque. Les photographies choisies contribuent à cette « sémantique » discrète : elles associent paradoxalement la symbolique du réseau, du quadrillage, de l’enchevêtrement, de la dislocation avec la représentation de paysages infinis, de ciels grands ouverts, d’espaces humiliés, mais en attente d’un sens.

How extensively does François Bon welcome photography on his experimental website Tiers Livre ? After paying attention to the particular way of reading photographs on a computer screen, I explore in this paper the three main locations where photographs appear, « petit journal image » (now « #journal (depuis 2007) »), « fictions dans un paysage » and « arts & photo ». Under the heading « Syntaxe », I look at the uses those photographs are put to, either as illustrations for a text, or as starting points for verbal inventions. Under the term « Pragmatique », I consider all the manifestations of François Bon’s concern about cameras and other kinds of photographical equipment. What is the artistic purpose of assembling creative writing and new trends of photography ? I assume that François Bon aims at accelerating, thanks to the interactive spread of his website, the overstepping of traditional barriers in the field of human communication and at making to-day’s reality as genuinely open as to-day’s technologies will allow.

 


Texte intégral

Dans Tiers Livre, les photographies participent à une entreprise d’expression globale et interactive de l’expérience vécue. Elles viennent de sources diverses : souvent prises par François Bon lui-même au cours de ses déplacements ou extraites au hasard de ses archives ; ou apportées par les internautes et accompagnant leurs commentaires. La plupart sont des photos modestes, telles que quiconque pourrait en faire pour peu qu’il soit curieux de la réalité et capable d’observation. François Bon ne cache pas sa tendresse pour les photos vite faites, prises à l’arrachée avec des appareils de rien du tout. Il est vrai que dans Tiers Livre, ces clichés ne sont pas là pour eux-mêmes, mais doivent composer avec les textes et même, parfois, avec des vidéos. Si nombreuses qu’elles soient sur le site, les photographies ne sont que la composante spatiale d’un chantier qui, selon l’écrivain, vise d’abord à saisir la vie par tous les bouts, à montrer le cadre contemporain dans tout ce qu’il offre de perceptible [1].

Je ne prétends pas avoir parcouru la totalité des 3520 pages de Tiers Livre ; les remarques qui suivent s’appuient sur des images et des textes rencontrés au hasard d’une navigation libre, mais discontinue et trop brève. En tentant de classer mes observations, je me suis aperçu qu’elles pourraient se ranger sous quelques catégories linguistiques, un héritage structuraliste un peu démodé, mais pratique. Je parlerai donc de syntaxe, de pragmatique et de sémantique.

1. Syntaxe 

Dans Tiers Livre, comme dans tout blog, chaque écran se présente comme un assemblage plus ou moins complexe de textes, disposés sur deux dimensions comme la page d’un livre (certaines consignes de François Bon au visiteur invitent à cette comparaison avec la lecture d’un livre : « suivez les mots-clés ! »). Il n’a plus à tourner la page, mais l’ordinateur – ou la tablette – lui permet de faire glisser les textes vers le bas ou vers le haut (« retour haut de page »), d’en grossir ou d’en diminuer le format, toutes ces opérations restant en deux  dimensions.

Les photos, qui suivent le texte ou viennent s’incruster en lui, imposent un autre régime de lecture : elles arrêtent le regard en un point précis, un ici repérable dans le défilement des pages et sont en même temps un seuil qui donne accès à un autre mode de lecture : en cliquant dessus, le visiteur les déplie, les étale sur l’écran dans leur immédiate totalité sémiologique, puis, les ayant contemplées, les replie, les éteint comme s’il s’agissait d’un document annexe, mis à la disposition facultative du regardeur. Ouvrir une photographie revient à ouvrir une troisième dimension dans le blog, à la faire surgir de l’arrière-plan du texte vers une exhibition phénoménale complète et immédiate. Ce régime de l’apparition est propre à la photographie. Il contraste avec le régime de lecture des textes, toujours contraint de suivre la succession et la bi-dimensionnalité du discours. Espaces en creux dans le plan des textes, les photos sont comparables à des fenêtres qui non seulement s’ouvrent et se ferment, mais aussi, comme elles, posent un horizon, ouvrent un point de vue et, dès lors, sous-entendent un sujet : « Vu de la fenêtre. C’est chez nous, on y dort. Chacun défini par la fraction du monde qui lui est donnée à voir, par sa fenêtre de cuisine ou de chambre. »

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Doc. 1 ‒ Tiers Livre, « photo | Hoboken plan fixe : Jérôme Schlomoff », 14 (article 326).

Dans Tiers Livre, les photographies répondent à deux usages principaux : tantôt elles inspirent un texte, le motivent et servent d’amorce visuelle à son expansion ; tantôt elles l’illustrent, le complètent ou en commentent les étapes successives. Il est exceptionnel qu’elles soient montrées pour elles-mêmes, pour leur seule force ou beauté. Même lorsqu’elles sont très belles, rien ne permet de dire que leur insertion est due à leur qualité esthétique. On voit ici combien l’intersémiotique effective rendue possible par l’ordinateur constitue une avancée par rapport à l’utilisation très timide que les écrivains ont fait de la photographie, quand bien même cette utilisation obéissait à un principe d’homologie poétique, comme dans Nadja d’André Breton, ou visait à offrir un précieux contrepoint narratif, comme, chez M-G Sebald, les photos-souvenirs qui redoublent le récit familial de son roman Les Émigrants [2]. En ce sens, Tiers Livre, avec sa documentation déjà si variée, est un laboratoire prêt à l’emploi pour qui voudrait élaborer et tester une intersémiotique texte-image du monde contemporain.

On trouve des photographies associées à des textes dans des secteurs bien différenciés du blog : on repère aisément le « petit journal image » (aujourd’hui « #journal (depuis 2007) »), exercice d’improvisation à partir ou à propos d’un cliché photographique, et la série des « fictions dans un paysage ». Le « petit journal image » est un ramassis au jour le jour, mené au hasard des activités de l’écrivain et selon son bon plaisir, une collecte de traces imagées. Une note visuelle, un texte : c’est juste assez pour sauver quelque chose dans le flux du vivant. On est dans le quotidien, le tout-venant, le prosaïque, mais François Bon a l’œil du sociologue. Il sait repérer ce qui est sur le point de s’effacer, les formes nouvelles d’habitus, tout ce qui, selon Baudelaire, constituait le répertoire de la modernité. Sans que l’intention soit explicite, il s’agit bien de documenter l’époque : la série sur la brocante de Vouvray en est un bon exemple.

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Doc. 2 ‒  Tiers Livre, « petit journal image | la brocante de Vouvray en 80 images » [aujourd’hui dans la série « écrans mémoire  »], en ligne ici. Images 59, 60, 75, 76.

Si le « petit journal » s’apparente à une chronique, la série des « fictions dans un paysage » a manifestement une visée plus littéraire : dans chacune, la photographie installe un espace dont le texte tente d’exploiter toute la réserve d’imaginaire.

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Doc. 3 ‒  Tiers Livre,  « fiction dans un paysage | souvenirs du temps que j’étais mort », en ligne ici.

Le troisième lieu où apparaissent des photographies est la rubrique « photo » de la série intitulée « arts & photo ». Elle regroupe des textes que François Bon a consacrés à des photographies et à des photographes : on y trouve, par exemple, un article sur Zola photographe, le commentaire d’une photo de Robert Frank, une présentation des photographies de Marc Deneyer, une réflexion sur les paysages urbains de Marc Gibert, un hommage aux portraits de Marc Pataut et quelques autres coups de chapeau à des amis photographes. Dans ce secteur de blog, les photos délaissent le vécu ou le travail de création, qui constitue le principe de Tiers Livre pour revêtir pleinement le statut d’œuvre d’art et être reconnues comme telles par l’écrivain.

2. Pragmatique 

Je range dans la pragmatique tous les aspects techniques, processus et appareillages au moyen desquels s’opère la production du sens. François Bon n’oublie jamais que la photographie est un art « moyen » c’est-à-dire, comme la décrivait Pierre Bourdieu [3], une pratique commune, servie par une technique que ses progrès ont toujours visé à la rendre accessible au plus grand nombre. Cela l’amène à s’intéresser autant à l’appareillage du photographe qu’aux clichés qu’il en tire. Chaque appareil induit un certain langage photographique ; selon l’objectif choisi, ce sera tel ou tel aspect du réel qui sera mis en valeur. Adepte addictif du shooting, François Bon garde la mémoire de ses appareils successifs, depuis son premier Brownie-Kodak jusqu’au tout récent Canon numérique qu’il s’est offert à la FNAC Digitale. Malgré leur qualité modeste, les résultats qu’il a obtenus avec de simples « jetables » suscitent chez lui la même émotion dévote que chez d’autres aventuriers de la photographie comme Bernard Plossu, qui aurait certainement sa place dans la série des « fictions dans un paysage [4] ». Ce qui le frappe dans la révélation récente de l’œuvre photographique de Zola, c’est la passion du romancier pour les progrès rapides des appareils de l’époque (voir « Zola photographe » : « Dans la “vente des biens mobiliers” de Zola… »).

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Doc. 4 ‒  Tiers Livre,  « photo | Zola photographe », photo légendée : « et si Zola n’était pas mort aussi bêtement, aurait-il écrit enfin sur la photographie et son nouveau Kodak ? ». En ligne ici.

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Doc. 5 ‒  Tiers Livre,  « photo | Zola photographe », matériel de Zola. En ligne ici.

François Bon admire que le grand romancier n’ait pas dédaigné de se photographier en train de photographier, prouvant ainsi qu’il n’avait rien négligé de tout ce dont l’époque disposait pour interroger le réel. Il s’impose lui-même de tirer profit des  derniers équipements mis en vente, comme en témoigne le « cimetière » déjà très encombré de ses ordinateurs. Il s’estime suffisamment expert dans ce domaine pour rédiger une chronique « acheter quoi, choisir comment » concernant les liseuses et les tablettes disponibles sur le marché. Quand il s’agit de mieux sonder le réel – ce qui, pour F. B., reste la finalité de tout art –, chaque innovation technique mérite d’être poussée à ses limites et, si possible, encore améliorée. François Bon est persuadé que les outils techniques modifient notre rapport au monde. Il en voit la démonstration dans l’essor phénoménal de la fonction photo sur Facebook, conséquence naturelle de la numérisation, qui n’a pas tardé à modifier profondément le type de communication que ce réseau tente de promouvoir.

Un autre aspect qui relève, à mon sens, de la pragmatique, est cet ensemble de règles non écrites que François Bon impose à sa pratique photographique. Le photographe semble s’être interdit d’apparaître sur ses photos : on ne trouvera quasiment pas d’autoportraits ou de portraits de François Bon dans Tiers Livre, sinon indirectement comme sur telle photo d’un de ses amis où, à la faveur d’un miroir, on le voit en train de la faire. Curieusement, les photos d’hommes ou de femmes sont y rares : peut-être une précaution pour éviter d’éventuelles réclamations au nom du droit à l’image… D’une façon générale, la prise de vue est faite de face, l’appareil bien carré sur son pied, dans une confrontation directe avec l’objet, qui ne tolère aucun biais, aucune recherche esthétisante. La plupart des photographies de Tiers Livre obéissent à cet impératif de l’ouverture franche et sans arrière-pensée. Le tremblé, le sfumato et le clair-obscur seraient ici hors de propos.

3. Sémantique

Toute photo évoque des réalités dans l’esprit de celui qui regarde. Cette reconnaissance de l’objet photographié peut s’accompagner, chez le visiteur du site, d’un jugement esthétique qui rencontre ou contredit celui que l’auteur exprime ou laisse deviner dans son propre commentaire. La question se pose donc de savoir si, de l’interaction entre les textes et les photographies au sein de Tiers Livre, peuvent naître des significations spontanées, imprévues ou, au contraire, subrepticement construites et maîtrisées.

Notons d’abord que les photos proposées dans Tiers Livre ne sont pas là pour défendre quelque thèse que ce soit. Même si elles exposent de façon parlante certains travers de notre vie sociale ou de notre urbanisme, elles ne sont pas au service d’un propos sociologique ou urbanistique. Ce qui motive leur choix est d’abord l’accès qu’elles donnent à la réalité et ce qu’elles font percevoir de cette réalité. Chez les autres photographes, les clichés qui retiennent l’attention de François Bon sont ceux qui révèlent un sens visuel singulier chez leur auteur, une connexion particulière entre leur subjectivité et l’objet photographié :

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Doc. 6 ‒  Tiers Livre,  « photo | Depardon en camping-car : la France face réel ». © Raymond Depardon, la France, suivi d’un extrait de « François Bon | Too pneus (sur une image de Raymond Depardon) »  pré-version d’un texte paru dans Télérama.. En ligne ici.

L’usage que François Bon fait des photographies est avant tout d’ordre phénoménologique : il faut qu’elles rendent visible quelque chose, que cette visibilité devienne évidente, incontournable pour celui qui les voit. L’anonymat de certaines photos, en les coupant de toute référence commune, les rend capables de nous mettre directement face au réel et de nous donner au plus haut  point le sentiment d’urgence qu’engendre la véritable présence au monde.

À l’occasion de ce face à face avec l’extérieur, « les choses cachées » apparaissent. Des vérités que le studium [5] du reporter le plus appliqué ne saurait révéler, des choses qui échappent aux statistiques. Les quatre-vingt photographies prises à la brocante de Vouvray échappent à la logique du reportage journalistique, logique cantonnée au local, au circonstancié, à l’anecdotique : François Bon précise qu’il les a prises en poussant le curseur d’exposition et de contraste de manière à ce que les visages ne fussent plus reconnaissables : l’activité sociale de la brocante y apparaît, sous son angle anthropologique, comme une forme primaire de la relation de l’homme aux objets, et en particulier à ceux dont l’usage s’est perdu, ceux qu’une désuétude a remisés. Ce n’est pas du sentimentalisme, mais plutôt, comme chez Baudelaire, une fascination pour le flux qui transforme constamment la modernité en antiquité, juxtapose des objets issus de strates différentes de nos vies, dans une incessante recomposition de nos usages et de notre environnement.

Dans le texte intitulé « du bon usage de ce site » (aujourd’hui « sur ce site »), François Bon précise le statut des images qu’il y dépose : il les voit comme des traces, comme un cahier de notes visuelles, l’aidant à retrouver la « mémoire secrète » de son expérience. Dans cet amoncellement d’expériences que constitue son site, quelques notations récurrentes laissent entendre qu’il existe des « moments photographiques », que surviennent parfois des moments où la réalité non seulement invite à la prise de vues, mais se donne à voir en dramatisant avec emphase son apparition. Ce peut être le spectacle d’une gare inconnue où l’écrivain arrive en train :

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Doc. 7 ‒  Tiers Livre,  « paysages monde | Maroc, l’arrivée du train en gare de Ksar-El-Kebir », en ligne ici.

Ce sont aussi les espaces immenses défilant devant la vitre d’un TGV, ou les couloirs délaissés d’une université où un colloque l’attend.

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Doc. 8 ‒  Tiers Livre,  « paysages monde | Montreal gare centrale », en ligne ici.

Ces photographies figurent moins la perception d’un espace que la sensation d’une temporalité indécise et souvent douloureuse, probablement parce que le sujet y est privé de ses repères, menacé par un vide vertigineux.

Tiers Livre est sans doute un recueil de traces, contient un journal à l’orientation autobiographique avouée, mais ce qui semble le motiver en profondeur c’est un désir de totalisation de l’expérience vécue. Cette quête de la totalité en vient à coïncider avec ce qui la rend possible et en est le médium, à savoir le Réseau, la Toile, le Net, comme « filet tendu sur la terre » :

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Doc. 9 ‒ Tiers Livre, « fiction dans un paysage | filet tendu sur la terre », en ligne ici.

Le  filet protège, mais il enserre et étouffe. Il crée une impatience de l’ailleurs, de ce qui ne se laisse pas prendre dans le réseau des câbles, des antennes et des relais. D’où ces images d’un horizon ouvert, d’un paysage fendu, découvrant dans le lointain un monde encore inconnu. D’où ces ciels immenses, qui sont ceux de la Charente Maritime, mais aussi ceux qui forment « ce reste d’horizon intouché » vers lequel s’empresse notre imagination.

Notes

[1] Voir les photos et le texte sur le séminaire de Taryn Simon dans « photo  | convention Steppenwolf : Taryn Simon », en ligne ici.

[2] Sur l’utilisation de la photographie par les écrivains depuis le 19e siècle jusqu’au début de ce siècle, je me permets de renvoyer à mon essai « Le Défi de l’incomparable. Pour une étude des interactions entre littérature et photographie », Bibliothèque comparatiste, revue en ligne de la S.F.L.G.C., septembre 2009. En ligne ici.

[3] Pierre Bourdieu, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Minuit, 1965.

[4] De Bernard Plossu, artiste de la même génération que François Bon, voir l’album Les Paysages intermédiaires, édité par Contrejour / Centre Georges Pompidou en 1988, avec un texte de Denis Roche.

[5] Le studium désigne, selon Roland Barthes, le contenu informatif qui peut attirer son attention sur une photographie. Il l’oppose au punctum, l’élément poignant qu’il repère dans certaines photographies et qu’il ramène à un détail, dans l’attitude ou le costume, en rupture avec les codes habituels. Voir La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma / Gallimard / Seuil, 1980. Cette terminologie latine risque de paraître décalée  dans le contexte de Tiers Livre…

Auteur

Michel Collomb est professeur émérite à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Spécialiste de la littérature et des arts au XXe siècle, en France et en Allemagne, il est aussi l’éditeur de Paul Morand dans La Pléiade. Sur la photographie, voir son essai en ligne : « Le défi de l’incomparable. Pour une étude des interactions entre littérature et photographie », Bibliothèque comparatiste, revue en ligne de la S.F.L.G.C., hébergée par  Vox poetica, 2009.

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Tiers Livre à l’oreille

Texte intégral

« Un véritable artiste est toujours en rumeur » (Cocteau)

Le disque, la radio, la télévision, le web : les inventions du XXe siècle ont amplifié et augmenté la présence sonore du monde. Elles ont aussi incité certains écrivains, environnés comme leurs contemporains de machines parlantes, à devenir des surauditifs. François Bon est de ceux-là, ce qui fait de la navigation « à l’oreille » dans son site Tiers Livre une aventure pleine de promesses et de richesses [1]. Cette navigation, on peut ici la commencer de différentes manières. On peut partir par exemple d’une page du 30 octobre 2010 (article 2307) qui évoque des « travaux de mise à jour des accès audio sur l’ensemble du site », et ce « projet (provisoirement) en rade » de radio web coopérative parti en mai 2009 d’un échange avec Xavier Cazin, d’Immateriel.fr : « une radio qui fonctionnerait 24h/24, avec un bouton d’accès sur chaque site participant ». On peut aussi partir d’une page plus ancienne, du 25 février 2006, « la valise audio : Rimbaud, Dupin et d’autres / chemins dans l’expérience audio, vieilles archives », qui compile des lectures de Michaux, Rimbaud, Perec, Kafka, Duras, Artaud en 2002 et 2005, avec un lien vers les « Rabelais à haute voix » ; page repassée en une le 22 mai 2012 avec en chapeau la réflexion : « Ces expérimentations audio sont ce qui me manquent le plus, physiquement et artistiquement. On va s’essayer, cet été, à corriger le tir » (article 280). Ou de ce fragment 1059 d’une « suite en construction », mis en ligne en décembre 2006 : « Impatience des possibilités d’indexation audio : lire un texte écran, bifurquer sur la voix, doubler ou alterner, revenir au silence, à mesure qu’on se déplace dans le texte. Écrire directement à la voix sur le site en streaming (je n’en suis pas si loin déjà) » (« de 1035 à 1051 sur 10 000 », article 621). On peut aussi piocher dans l’année 2013, avec par exemple l’entrée « Chant » de marabout bout de ficelle, l’abécédaire commencé en août de l’année [2] : « Composer de la littérature a plus à voir avec le chant qu’avec le théâtre. […] Je ne sais pas où est mon chant. Je ne suis pas sûr de disposer de la voix de mes textes. Quand je chante, seul en marchant ou en conduisant, ce n’est jamais avec des mots. » Autant de pages, autant de points de départ différents. Celle qui ouvrira notre analyse s’intitule « fiction | quoi faire de son chien mort ? » (article 321). Quoi faire de son chien mort ? est une fiction radiophonique de l’auteur diffusée en 2001, mise en ligne sur son site en 2006. C’est la seule page de Tiers Livre où figure, dans une note du 4 juin 2008, l’expression (en italiques) écriture audio. Fançois Bon l’emploie pour parler du travail du son à la radio,  auquel il a été associé au fil de quelques émissions. Mais il note aussi que, venue de la radio, ce « vecteur éminemment moderne, encore plus aujourd’hui avec la diffusion en ligne », « l’idée d’écriture audio se transfère peu à peu vers les blogs » : « […] c’est le web qui progressivement devient la mémoire audio de l’époque [3] ». Dans la logique de cette page, nous nous proposons d’aborder l’écriture audio dans Tiers Livre en repartant de l’expérience radiophonique de l’écrivain mais aussi de sa lecture de Rabelais, le parrain du site en quelque sorte. Il s’agira ensuite de déployer la variété des pages sonores que l’internaute peut rencontrer dans sa navigation… à condition de remonter à 2009 et avant, à l’époque où le « labo voix » du site était en pleine activité. Une dernière partie formulera quelques hypothèses sur les réticences de François Bon, grand adepte pourtant de l’improvisation, à faire passer ses billets et chroniques de blog en écriture audio.

1. Radio & Rabelais

1.1 La radio, écoute et création

François Bon a vécu, dans les années soixante de son enfance (décrites dans Autobiographie des objets) « l’écoute ritualisée [4] » des informations à la radio, en famille, sur un gros poste Telefunken surmonté d’un pick-up pour passer les trois seuls disques de la maison. Puis, à partir de 1964 surtout, la « présence quotidienne [5] » de la télévision (en noir et blanc d’abord), mêlée à celle de la radio allumée dans la cuisine à l’heure du déjeuner. Il a connu aussi, au moment de ses années collège (1964-1967), le bonheur des premiers disques à soi, du premier électrophone à soi (un Teppaz avec changeur pour les 45 tours), et « l’agenda des grandes sorties de disques [qui] devient [son] principal calendrier personnel : un Beatles, un Stones, un Who. Un Beatles, un Stones, un Cream. Un Beatles, un Stones, un Doors et ainsi de suite [6] ». Mais la révolution c’est surtout, à la fin de 1964 aussi ‒ année charnière ‒, l’apparition du transistor à piles, qui permet d’écouter « la nuit en cachette [7] » sous l’oreiller, comme beaucoup d’adolescents de sa génération, le Pop club, l’émission vite célèbre de José Artur lancée le 4 octobre 1965, et de « découvrir enfin combien le monde est vaste et qu’avec ces musiques il peut être nôtre [8] », celle des Rolling Stones ou des Beatles, peu après celle de Led Zeppelin, le groupe phare des années soixante-dix.

On comprend pourquoi, accompagnant ou précédant ses biographies de grandes figures du rock publiées en 2002, 2007 et 2008 [9], c’est ce monde-là, c’est ce moment-là de « l’arrivée du bruit », « le grand bruit, le bruit du monde. Un bouton de volume tout d’un coup poussé à fond sur la planète [10] » (pour lui 1964-1974, entre ses 11 et ses 21 ans), que François Bon s’est passionné à évoquer à la radio, sur France Culture, quand l’occasion lui en a été donnée :

– en septembre 2002, Les Rolling Stones racontés comme votre vie même, vingt épisodes de vingt minutes [11] ;

– en novembre 2004, Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin, quinze épisodes de 20 mn [12] ;

– en février 2007, Comment pousser les bords du monde : Bob Dylan quinze épisodes de 20 mn aussi [13].

Avec à chaque fois le défi d’une formule feuilleton qui, tout en étant longue pour la radio, paraît en même temps si courte en comparaison des pavés biographiques publiés.

Mais François Bon est passé de l’autre côté du poste quinze ans plus tôt, en 1985, en réalisant un documentaire d’1h pour Les Nuits magnétiques d’Alain Veinstein sur France Culture : De l’autre côté de la Défense, « enquête sur l’univers de la banlieue : description de Bezons », avec Bruno Sourcis. Ce qui va suivre, c’est, toujours pour Les Nuits magnétiques, du 6 au 9 décembre 1988, « La passion Rabelais », une série de quatre émissions d’1h20 chacune (une par livre du cycle romanesque) [14], quelques années donc avant l’entreprise de réédition chez POL (1992-1993). Puis, dix ans plus tard, en 2001, une petite pièce radio dans une collection produite par Lucien Attoun : Quoi faire de son chien mort ? [15] et la diffusion de deux pièces d’origine scénique cette fois : Scène en 2000, pièce à jouer « dans les entrées d’immeubles des cités populaires, les parvis de supermarchés [16] » et Quatre avec le mort en avril 2002, créé en version radio avant la création en octobre suivant à la Comédie-Française, dans une distribution différente (seul un des trois acteurs est commun, Jean-Baptiste Malartre) [17]. Puis les trois grands feuilletons, à partir de septembre 2002, chroniqués avec photos de studio dans le « Journal images » de ces années. Et avec tout cela, pas mal d’émissions parlées autour de ses livres ou d’autres sujets, la première le 28 septembre 1988 avec Alain Veinstein pour Décor ciment [18]. À noter, sur France Culture en 1995 (durée : 2h30) [19], la belle émission de la série Le bon plaisir de… où Bon a eu carte blanche pour inviter qui il voulait et faire entendre ce qu’il voulait : Valère Novarina, Pierre Bergounioux, Jacques Séréna et quelques autres.

François Bon est donc un auteur qui a fait de la radio, par intermittence, dans différents genres et formats, et qui en parle aujourd’hui avec gratitude pour ses interlocuteurs du métier, Alain Veinstein, Laure Adler, Claude Guerre, Blandine Masson et d’autres, avec le regret que « les temps de cette porosité radio et écrivains semblent révolus [20] ». Au point qu’aujourd’hui, radio lui est devenu synonyme de création audio, quel que soit l’outil : « Je n’ai plus d’appareil pour écouter la radio. Mais chacun de mes appareils mobiles, le petit ordinateur à écrire, la tablette à lire, l’ordinateur à main qui sert aussi éventuellement de téléphone, sont capables de transmettre de la voix, et j’appelle radio, simplement – comme la littérature c’est le langage mis en réflexion – la voix quand elle est construite, faite récit et livrée à la nuit, où la cueille qui écoute [21]. »

Pour comprendre cette attraction de l’auteur pour la voix, il est utile de revenir quelques siècles avant l’arrivée de la radio, à l’écrivain qui donne son titre au site [22], mais aussi à une rubrique sonore importante du site, « Rabelais à haute voix », écho aux propos de François Bon dans ses préfaces à l’édition POL sur la « grande voix de théâtre » ou les « grandes marionnettes sorcièrement maniées à voix [23] » de ses livres.

1.2 Rabelais à haute voix

Par son titre, dès son titre, l’aventure de l’écriture web s’origine dans Rabelais, c’est-à-dire dans la langue des origines de François Bon, celle de son enfance vendéenne à Saint-Michel-en-l’Herm, celle aussi du « marais mouillé », de ce « pays pour moi maternel de Damvix » (pays des grands-parents maternels), qui fait que « lorsque j’ai ouvert Rabelais la première fois, c’est cette langue-là que je découvrais au travail, et je la savais d’avance, je la lisais sans peine [24] ». Or François Rabelais le tutélaire, le « bon françois » exemplaire d’un maniement littéraire prodigieux de sa propre langue familiale [25], est aussi l’auteur d’un Quart Livre, la dernière partie du cycle de Pantagruel, et c’est dans ce récit de navigation vers les confins du monde connu et « au cœur de la langue tout à la fois, au lieu précis où elle se forge, où elle vibre, où elle respire, s’invente [26]… » que François Bon trouve le fameux épisode des « paroles dégelées », sommet de toute l’œuvre et de « la littérature universelle [27] », qu’il verrait bien conclure tout le cycle, si grande est sa portée. Panurge et Pantagruel en quête de l’oracle de la dive Bacbuc ont passé de nombreuses îles plus fantastiques les unes que les autres, les voici en mer arctique « banquetant, grognotant, devisant et faisant de beaux discours » quand ils se mettent à entendre des voix et sons divers sans voir personne. C’est le tumulte d’une bataille survenue l’an passé, saisi dans la glace et libéré par le dégel (écouter ici l’épisode dit par Bon).

Cet épisode, découvert un jour à vingt ans, en 1973, « au terme de sept cents pages de lecture [28] », François Bon l’a plusieurs fois commenté et en quelque sorte adopté comme utopie de son propre projet d’écriture. Ici, retenons seulement ce que l’épisode nous dit, en abyme, de l’importance de la vibration sonore de la langue non seulement dans les livres de Rabelais mais dans l’œuvre de François Bon, avec des étapes, jusqu’au Tiers Livre actuel. L’importance de la matière sonore, du souffle, des rythmes et rumeurs du langage, du monde, du langage devenant un monde. Et ainsi, contre « le préjugé du gueuloir » consistant à tester un texte à voix haute après sa rédaction (pourquoi pas d’ailleurs), François Bon veut d’abord tendre l’oreille à cette rumeur sans mots, ce parler en langue élémentaire, « la scansion et le rauque qui précèdent la voix », dans des improvisations sans mots dont une page de 2007 donne une réalisation saisissante [29].

1.3. « Un bruit dessous de machine »

Cette filiation majeure à Rabelais est aussi racontée plus obliquement au début de Tumulte, le premier livre directement écrit en ligne, dans la première séquence autobiographique intitulée « Offshore, 01 » et dans la séquence qui suit, « Un bruit dessous de machine » (série « De l’écriture »). On est offshore, en mer du Nord, comme Pantagruel à peu près quelques siècles plus tôt. On est sur une plateforme pétrolière, « navire immobile », « dans ce temps arrêté et perpétuellement mouvant de la mer [30] ». François Bon y fait des missions courtes pour changer du matériel électronique dans les salles de contrôle. Or c’est aussi la période, écrit-il, de ses vrais débuts dans l’écriture, et Tumulte choisit de nouer ensemble l’entrée en écriture avec certaines sensations de ses séjours offshore, et surtout le bruit qu’on y entendait la nuit :

Des moteurs et le roulement des pompes, grave, mais avec cliquètement régulier. Puis cette sorte de bruit électrique, transformateurs, appareils, une fréquence paraît-il dominante de sol mineur qui diffuse dans la structure métallique, mais sans vous déranger pourtant, plutôt son absence qui fait bizarre quand on reprend terre [31].

Tout cela forme comme une rumeur sourde, « un bruit dessous de machine doux, continu », qui à distance lui paraît avoir favorisé ces plongées dans l’écriture au retour de ces missions, « dans les trains et avions qui [le] ramenaient à Paris [32] »

Sautant par-dessus les années, la séquence suivante fait en tout cas de ce « bruit dessous de machine » tel que décrit et localisé dans « Offshore, 01 », le bruit même qu’il veut donner à sa prose dans Tumulte. Une prose faite pour être dite, comme un long monologue, par un personnage parlant pour tous ceux qui ne parlent pas et qui sont « les silhouettes de la ville » : « un texte en prose, très long, ininterrompu et qui charrierait des bouts de monde, produirait simplement autour d’eux des couleurs, comme ces lumières clignotantes ou électriques, au milieu de la ville sur un espace vide […] pris dans les reflets gris bleu de hauts immeubles autour. Cela pris, le bruit, dans un battement [33]. » Ce passage riche de références possibles (à Novarina par exemple) nous renvoie aussi bien à l’épisode cité du Quart Livre où les paroles gelées sont dites « de diverses couleurs », selon ce qu’elles disent et comment elles le disent ; à cet épisode du Quart Livre où le connu et l’inconnu se touchent, comme dans la ville les immeubles bordant, au centre, un « espace vide ».

François Bon cultive l’idée d’une littérature à voix haute, d’une littérature portée par une rumeur que le langage doit capter et la voix haute restituer. Comme si tous ses livres papier, ses livres numériques, son site d’écriture lui-même, peut-être, n’étaient que des pis-aller, les médias imparfaits (car largement silencieux) d’une matière sonore du langage qu’il est vital d’entendre en écrivant et de faire entendre. On n’est donc pas étonné de trouver à la fin de Tumulte, dans la liste des articles à écrire qui inachève la liste des 226 articles formant le livre, cette « idée très sérieuse pour les lectures publiques » : « présence de bornes interactives, on peut me demander de lire à voix haute tel ou tel article, n’importe lequel, mais surtout on peut choisir un item dans cette liste des “articles à faire” et me demander sur le champ d’improviser ce qu’en serait le texte [34] ».

Ce qui change la donne depuis Rabelais, c’est l’invention de l’enregistrement à la fin du XIXe siècle : le mythe des paroles gelées / dégelées est devenu une réalité. C’est aussi que tous les médias de diffusion et d’écoute du son, avec ou sans image, ont considérablement amplifié et augmenté le volume sonore du monde lui-même, comme le note François Bon pour son compte dans le beau texte liminaire de l’album Vague de jazz (2012) intitulé « Longeville, de silence à silence ». Sans parler de tous les bruits domestiques, urbains, industriels, produits par la mécanisation du monde depuis le XIXe siècle, qui frappent de leur empreinte sonore tous ses livres depuis Sortie d’usine, mais aussi, on l’a vu, l’épisode qui dans Tumulte raconte sa naissance à l’écriture. Et il faudrait ici mettre ensemble, comme deux résonances d’une même ur-sonate, le « bruit dessous de machine » rythmant les nuits offshore de ses brèves missions sur des plateformes pétrolières et le bruit du « gros compresseur au halètement lent » présent dans le garage paternel et qui a « plus rythmé [son] enfance que n’importe quel autre bruit [35] ». Ces bruits, cette rumeur ambiante du monde, l’écriture audio peut les enregistrer et les intégrer, comme on l’entend dans la « poésie non traduite » improvisée par François Bon seul dans un wagon en bout de train entre Metz et Strasbourg, un matin d’octobre 2007. Un élément capital de cette création sonore, c’est le bruit du moteur, la rumeur de machine : « Il y avait le ronflement des moteurs, et du brouillard au dehors. C’est cela qui portait la scansion», écrit-il.

La question maintenant est de savoir ce que cela change d’embarquer ces moyens-là et ces attentes-là dans un site internet : où est la voix haute, où sont les paroles dégelées, où est le monde sonore dans Tiers Livre ?

2. L’écriture audio : un « projet (provisoirement) abandonné »

2.1. En retrait

Commençons par dire que l’écriture audio reste aujourd’hui (novembre 2013) en retrait [36] de la place que François Bon lui a donnée dans les années antérieures du site et de l’intérêt qu’il continue à y trouver. C’est un « projet (provisoirement) abandonné », comme il le disait de la web radio imaginée en 2009. Quand on arrive sur la page d’accueil de Tiers Livre [37], quand on parcourt les séries en cours, les billets des dernières semaines, quand on entre dans les rubriques affichées en page d’accueil et qu’on regarde les pages qui s’affichent d’abord, on voit des textes, des photos, on trouve quelques vidéos, mais rarement des fichiers audio, ce qui étonne là où il serait facile d’insérer des lectures à voix haute (par exemple dans la série Histoire de mes livres, dans la reprise numérique de Tous les mots sont adultes, sur les ateliers d’écriture), ou de proposer des exemples d’écriture sonore sans lecture de textes (par exemple dans « Cergy, le studio écriture », série sur ses cours d’écriture et de publication numérique à Cergy).

Certes, la passion est toujours là pour le monde lui-même écouté attentivement, de très près, saisi dans son volume sonore : ses bruits, ses voix, ses musiques – même si le bruit du monde semble par moments le fatiguer immensément (voir Tumulte) et qu’il semble alors aspirer au silence qui suit le dégel des paroles dans Le Quart Livre. On la constate, cette passion, en lisant son hommage aux micros pour les cinquante ans de France Culture, déjà cité : « Je ne sais pas le futur de la radio : je sais par contre sa source, et qu’elle est dans la voix, et dans le bruit du monde, un micro qu’on laisse en l’air dans le fond remuant de la ville, ou bien celui qu’on dirige vers la table vibrante d’un violoncelle [38]. » Ou en voyant son plaisir à découvrir le site Frémissements, « régal trop rare, un blog voué aux recherches sonores », avec des « paysages sonores » bruts à écouter de préférence au casque, comme aux tout débuts de la radio [39]. Ou en lisant une page comme « la ville à l’écoute (souffle de la Défense) », page qui évoque une longue balade en mai 2011 avec un preneur de son, pas loin de Bezons où il a enregistré son tout premier travail radio, en 1986 : « Bruits des talons quand 180 000 personnes en moins de 2 heures se répartissent entre le RER, les bus et les tours, ou bruit de la 4 voies express qui ceinture, ou ce sentiment de flottement dans la galerie commerciale où chaque boutique diffuse son propre contexte sonore. »

Mais ce qui a pris la première place dans toutes les parties du site, et pas seulement dans les six rubriques du journal [40], c’est le couple texte / photo, secondé par la combinaison texte/photo/vidéo [41]… Parallèlement, certains projets de fictions spécifiquement audio restent en suspens ou sont abandonnés en cours de route, comme une « Vieille tentative pour performance orale » [42] sur le bruit du monde à travers sa presse quotidienne en ligne, reliquat d’un projet d’écriture intitulé Chiffres. Le dossier du projet est mis en ligne le 31 décembre 2007 dans le « Tunnel des écritures étranges » de l’ex « face B : le labo perso »… sans performance sonore.

Ce retrait actuel ne manque pas de nous interroger : malgré l’attraction presque irrésistible des écrans d’ordinateur, de tablette, de téléphone même, à se remplir avec du visuel [43], malgré l’admiration de François Bon pour l’écriture photographique de certains sites [44], malgré d’autres bonnes raisons encore, l’écriture audio, même à un petit niveau, n’a-t-elle rien à nous dire en propre des univers sonores qui nourrissent aussi notre expérience du monde et de la littérature ? Notons dans cet esprit qu’une des formes d’écriture les plus vivantes aujourd’hui à la radio, c’est le documentaire sonore (docu-fiction inclus) [45] : à quand des « Paysages mondes » sonores ?

2.2. « Le son que je cherche »

Pour trouver des pages sonores, l’internaute est aidé par les titres de certaines rubriques, à commencer par « Rabelais à voix haute », dans laquelle François Bon regroupe pas mal d’enregistrements de ses lectures de l’œuvre. Dans « rock & musiques », on trouve, à côté de nombreuses vidéos (ou liens vers des vidéos), plusieurs émissions du feuilleton radio sur les Rolling Stones [46], et, pour la série sur Led Zeppelin, un lien vers le site d’un fan du groupe qui en propose une rediffusion sauvage, d’après un enregistrement sur cassettes audio [47] et deux versions audio d’un texte de la biographie (lecture et impro, mais archives non accessibles) [48]. On est là face à la question des droits producteurs des émissions, qui explique aussi des renvois au site de France Culture pour des entretiens récents (avec Alain Veinstein par exemple), mais qui pourtant ne semble pas jouer pour la fiction radio Quoi faire de son chien mort ? disponible en écoute intégrale. Même question de droits en tout cas pour le « Registre des écoutes singulières » dans la même rubrique « rock & musiques », inaugurée le 4 novembre 2009 qui renvoie à un « accès dans abonnement Spotify et Echopolite », avec précision « c’est pour moi, juste m’aider à m’y retrouver » (18 titres pour 2009, 73 pour 2010, 44 pour 2011, 31 pour 2012, 30 en novembre 2013).

Plus loin et plus profond (ancien), quand on arrive dans le territoire de l’ancienne face B, à ce qui s’est appelé « Carnets du dedans / inventions », on voit que l’invention porte aussi sur la voix : voix parlée, voix chantée, en mode lecture ou en improvisation sans texte, en audio ou en vidéo, avec ou sans musique. Ceci dans les rubriques « Observation de soi et du monde » ou « Guerres, louanges et deuils ». Elles s’originent dans Habakuk, formes d’une guerre, série de textes commencée sans horizon de livre sur un blog spécifique pour « travailler sur la profération, la voix haute, le lyrisme. S’embarquer dans la colère, l’intensité, l’excès », et continuée sur Tiers Livre en face B, « avec l’idée d’y explorer en même temps l’image et la voix [49] ». En voici quelques exemples :

‒ dans « Observation de soi et du monde » : « Tu n’écriras pas (tu crieras) », 6’59 : lecture + musique + vidéo qui montre la main droite improvisant à la guitare basse électrique [50]. Souvenir du « Poème à crier » d’Aragon ?

‒ Dans « Guerres, louanges et deuils » : « Image de l’île debout », lecture d’un texte sur un tableau montré en vidéo ; « aube des viaducs » / marche rapide sous les échangeurs, et chant qui en émerge : souffle + vocalisation (chant en langue), en mouvement et en vidéo ;  « Bernard Noël / boule pleine », chant sur une phrase de Bernard Noël, 3’30

Vocalisations aussi dans « Carnets du dedans / inventions » : « arrêt et chant sur intersection urbaine avec recommencement perpétuel » (2 novembre 2009), 2’52 [51].

Avec l’étonnement que certains textes de « Guerres, louanges et deuils » comme « du prix de parler [52] » et même que tous les textes de cette rubrique, ne soient pas repris en écriture audio.

Maintenant si, dans les mots-clés proposés par le site, on suit « audio & vidéo » (mot19), et qu’on consulte les 75 pages qui surgissent, ou les mots-clés « lectures, stages, performances » et leurs 28 articles, on voit que c’est au fond le phénomène de la lecture à voix haute qui sert de passeport à l’écriture audio pour pénétrer dans de nombreux billets de blog et articles critiques : si « Rabelais à voix haute » sert de balise ou de phare, avec son projet d’intégrale audio, c’est bien aussi comme poteau indicateur d’une certaine pratique sonore de l’écriture-lecture, notion approfondie par François Bon à propos de la navigation web mais qui vaut aussi pour la lecture en général.

Ici et là donc, au fil de sa navigation, l’internaute, moderne Pantagruel, peut entendre des « paroles dégelées » de François Bon lui-même, datées pour les premières de 2006 semble-t-il, et d’une trentaine d’écrivains qui comptent dans sa bibliothèque imaginaire, comme Rabelais, Balzac [53], Baudelaire, Duras, Perec, Rimbaud, Chamoiseau, Danielle Collobert. Bibliothèque vécue, enracinée dans des lieux de rencontre avec des publics d’une grande diversité, dans une carte sentimentale de l’hexagone et de quelques autres points du monde. Certaines ont été dites par François Bon pour le site, d’autres sont rapatriées sur Tiers Livre mais viennent d’autres horizons, notamment les très nombreuses séances de lecture publique. Certaines sont faites à plusieurs voix, avec parfois échange de rôles (Rabelais). D’autres accueillent des tiers lecteurs comme Novarina ou Jacques Darras proférant à Saint-Malo en 2008, au Festival « Étonnants voyageurs », le début de Howl de Ginsberg en anglais et en retraduction inédite : « Dans les quelques-uns qui ont enseigné à ceux de ma génération l’art de la voix, ou d’écrire pour la voix (où il y a notamment Valère Novarina, Christophe Tarkos, ou Jacques Bonnaffé), Jacques Darras a compté : il ne lit pas, il danse. Mais il écrit pour cette danse. Et le fait avec son pays, ses traces » (article 1275 [54]).

Les pages qui les accueillent évoquent en général succinctement ou plus longuement le pourquoi et le comment, les lieux et temps, les partenaires de la lecture, la préparation physique et mentale. Elles évoquent parfois des idées de « la voix qu’il faut » pour lire tel texte ou tel écrivain, et pourquoi la lecture est partie d’une autre façon ; et pourquoi la lecture à voix haute « ajoute une strate à [l]a compréhension du texte » (Duras en 2007 [55]). Elles notent aussi des impressions avant, pendant, ou après. Par exemple l’impression de ne pas reconnaître sa voix (Danielle Collobert), ou de croire entendre celle de son père (quand il s’écoute dire « Tu n’écriras pas (tu crieras) [56] ». Ou encore de constater que « la voix qui surgit n’est pas vôtre. Bien plus avant que la vôtre », dans un texte écrit pour d’autres voix que la sienne, dans le souvenir d’un homme, à un carrefour de Montréal hurla[nt] face à la ville, sous la hauteur démesurée des tours, dans le vent coupant de novembre [57]. Ceci à propos des exercices de profération à la manière des « vieux hurleurs bibliques, Habakuk, Amos, Osée, et bien sûr Jérémie » menés dans Habakuk, formes d’une guerre en 2009. Car ce que Bon cherche dans Habakuk, c’est « un son fait de blocs, d’aspérités, de mouvances », un son « âpre », qui « va par nappes, gronde en vous-même selon des lignes fortes que la basse même ne saurait engendrer, des mondes lourds en suspens qui résonnent outre grave, appellent des percussions amples, invisibles » ; un son « fait de ces grains qui s’assemblent et se désassemblent et sont l’architecture noire de nos espaces du dedans [58]. » De même que Tous les mots sont adultes propose des « instructions » aux animateurs d’ateliers, on pourrait dégager des notations réunies autour de ces moments audio de lecture et lecture-performance des « instructions » aux diseurs et improvisateurs de textes, dans le sillage (mais sous une forme très différente) des Instructions aux acteurs de Novarina.

Il y a une pulsation commune à la plupart des lectures de François Bon [59], quel que soit le texte et la ou les dictions qu’il appelle (chuchotée, voix forte) : un rythme heurté, parfois haletant, avec des cassures, accélérations, précipitations même ; une voix qui démarre en basse, puis s’échauffe, monte, s’ouvre, explose dans l’ouvert ou l’aigu (sonorités ouvertes) puis reprend d’en bas ; mimique, gestuelle et mouvements divers du corps, qui se courbe, se contorsionne… Même en lisant Balzac ou Rabelais en « voix de conteur », Bon cherche l’intensité, une prise sur l’auditeur, et elle passe chez lui par des variations de puissance rythmique et intonative parfois inconfortables, avec des explosions, dans un mouvement de bas en haut, du « bruit de dessous » de la basse (batterie, violoncelle, guitare basse) qui gronde vers l’aigu qui crie [60]. Il s’agit toujours de mettre l’auditeur sous un charme, de le subjuguer, pour l’entraîner dans le sillage sonore du texte lu. Mais il y a plusieurs façons d’y parvenir : par la violence, par la douceur, par le rire… La lecture spectaculaire, sur le mode « tambour » si l’on peut dire (tambour du rock, de Rimbaud…), avec voix forte et projetée, profération, montée à la limite du cri (diction à la Artaud), cherche ce résultat par la force et l’intensité vocale et musicale. Au contraire, la lecture calme, la lecture de nuit en particulier, à l’intensité rentrée, contenue, intériorisée, proche de la lecture silencieuse, cherche à l’obtenir par le consentement, en quelque sorte sans lutte.

2.3. En public…

Ce qui est frappant, c’est la diversité des « exercices » de lecture enregistrés. Pour ses lectures comme pour tout ce qu’il fait dans Tiers Livre, François Bon a quelque chose de Jean Tardieu ou de Raymond Queneau : c’est un expérimentateur de formes, qui aime tester des directions, des idées, faire des expériences. Et notamment quand elles sont liées à des contraintes, par exemple de temps, comme à la radio ou lors du pechakucha de 2010 à Québec.

Beaucoup de ces enregistrements viennent, on l’a dit, de séances en public : lectures en médiathèque, dans des cafés, des maisons d’écrivain (cave de La Devinière), en marge d’ateliers de lecture, dans le cadre de festivals. En scène, François Bon est seul lecteur ou non. Tantôt il lit à voix nue, tantôt avec un ou plusieurs musiciens (Kaplitz [61], Pifarély, etc.). Il ne s’impose rien, sinon d’accepter tout, sauf le choix de la posture et de l’outil : en lecture publique, toujours debout, et si possible toujours le même micro à câble Sennheiser MD-441 (micro-cravate pour la lecture de Balzac dans la maison de l’écrivain rue Raynouard, en février 2013… [62]). Certaines de ces lectures ou lectures-performances sont enregistrées en vidéo, d’autres en audio, comme si dans ce cas la composante image n’avait pas d’importance, ou moins ; ou simplement peut-être parce qu’il n’avait pas le bon outil sous la main.

On aime bien, par exemple, les premières lectures avec Pifarély à la mandoline électrique, à Lorient et Nantes, et François Corneloup au saxophone et baryton, chroniquées dans « Pifarély invente la mandoline » en mars 2008 : en ligne, une archive d’essais de musique, chant et voix et des lectures de Ponge, Paul Valet, Danielle Collobert (deux extraits de Meurtre), et de son propre travail Peur (nouvelle version), prises dans un ensemble où il y avait aussi Kafka, Rimbaud, Michaux, Artaud, Gracq, Perec, Beckett…

Il y a aussi des séances publiques avec musique et projection d’images (Philippe de Jonckheere) et dans ce cas on sort du cadre de l’écriture audio pour écrire une « partition numérique avec images, sons et corps ». Exemple, la soirée pechakucha [63] à Québec en mai 2010 , où François Bon dit pour la première fois des extraits de son travail en cours sur Buffalo. La règle du jeu est de projeter 20 images à la cadence d’une toutes les 20 secondes, total 6’40, en les accompagnant d’un texte. Bon propose en grand écran derrière lui, une image liée à son texte « et 2 autres images de la série en aléatoire sur les 2 autres écrans muraux [64]. »

Je parle de contrainte : la plus importante à ses yeux, dans ces lectures voix-musique ou voix-musique-image, est celle de l’improvisation [65]. François Bon n’aime pas les spectacles réglés d’avance, avec leur partition : il veut des événements au sens fort, où l’on avance sans savoir bien où, à l’instinct. De là la mise en ligne, ici et là, de plusieurs performances d’un même texte (par exemple deux lectures impros de Peur en duo avec Dominique Pifarély, en 2006 et 2009 [66]), mais aussi d’essais de voix, de « brouillons de rythme », d’impros avant l’impro en public, où quelque chose de fort peut déjà advenir. Ce qui est improvisé, c’est l’avancée à deux, la musique, mais aussi parfois, porté par les improvisations musicales, le texte lui-même, comme ce texte sur la peur « complètement réimprovisé une fois de plus une fois au micro » lors d’une performance à Cavaillon en 2007.

2.4. Sans public…

Tiers Livre fait aussi entendre des lectures sans public, des lectures pour soi si l’on veut [67], enregistrées au domicile de l’auteur, à l’hôtel, en résidence, dans un lieu public, vitré ou aveugle, en étage (bibliothèque, médiathèque) ou en souterrain (studio de l’Institut canadien de Québec, pour Miron), dans un train, à différents moments du jour et de la nuit, etc., avec ou sans présence audible de la rumeur alentour de la pièce ou du monde ; avec ou sans musique acoustique (guitare Gibson) ou électronique, avec ou sans collaboration de la machine, comme aurait dit Cocteau [68] (mixage, bouclage, sampling, stéréophonie, écho, etc.). Exemple ici, pris dans « Rabelais à voix haute » :  un enregistrement sur ordinateur via Ableton Livre de Gargantua, « De l’adolescence de Gargantua, chap X. ». Voix ronde, et forte de bonimenteur de foire, accentuée à la vendéenne, voix « de plateau » (projetée) : « Je sais lire Rabelais parce que je le lis avec les voix paysannes de l’enfance (c’est légitime, je suis d’un pays qui avait su garder cette langue jusqu’à l’arrivée de la télévision) [69]. »

Dans le cas de ces lectures pour soi, quel que soit le style de diction, la capacité d’immersion de l’internaute-auditeur me semble plus grande que dans les retransmissions de lectures publiques. On n’est pas à l’écoute d’un moment de lecture ou lecture-performance conçu pour d’autres et en quelque sorte archivé, mais d’une voix qui, même si elle est datée, échappe en partie à sa date parce qu’elle ne s’adresse à personne au fond, donc à tous, en avant de soi et de tous les publics concrets possibles. L’espace-temps de la lecture publique, toujours socialisé et ritualisé, nous arrive comme un passé-passé plus que comme un passé réactualisable à volonté, à la différence de ce qui opère dans le cas de la lecture faite pour soi.

Dans ces lectures sans public pour le micro, Bon est aussi amené à concentrer sa présence dans sa voix à un degré autre que lorsqu’il est en scène, puisqu’il ne peut pas jouer de la même manière qu’en scène sur le langage mimique et visuel et que, si l’auditeur peut sentir l’impact des mouvements du corps dans les lignes de la voix, tout doit passer par l’oreille. Ce qui compte au micro, disait Pierre Jean Jouve en réponse à une enquête sur la diction de la poésie à la radio, c’est « l’augmentation de “présence humaine” par une modification de substance dans la voix [70] ». En scène, le langage mimique et visuel s’ajoute au langage phonique spécifique de l’écriture audio, même quand le lecteur, comme François Bon, s’efforce à une certaine immobilité plus ou moins aidée par le choix d’un micro sur pied plutôt que cravate (par exemple). On retrouve là toute la ligne de partage existant, à la radio, entre les retransmissions de pièces de théâtre depuis un théâtre réel, donc mutilées de toute leur composante scénique et visuelle, et les diffusions d’œuvres conçues pour l’oreille.

2.5. La rumeur du monde

Ce qu’il y a aussi de prenant dans ces lectures pour soi disséminées dans Tiers Livre, c’est qu’elles captent une certaine présence audible d’un bout de monde, une certaine qualité du lieu et du moment où la lecture se fait, selon la forme que François Bon veut lui donner sans pouvoir cependant tout contrôler de ce qui s’enregistre (part d’aventure de l’enregistrement brut). On est avec lui dans une chambre d’hôtel à Metz le soir (Perec), sur une plage de Bretagne ou dans le cloître d’une abbaye, en marge d’un atelier d’écriture, au carrefour d’une grande ville du Québec le soir, ou en voiture sur une autoroute ; cela est dit dans le texte-cadre, cela se voit parfois, et cela s’entend. Et cette incarnation sensible à l’oreille, qui est aussi une particularisation, une appropriation, fait face à un texte qui, quel qu’il soit, a capté et charrie toujours lui aussi un bout de monde. Il y a par exemple dans le flux et reflux des vagues, comme ailleurs dans le roulement du train, un appel immédiat à l’imaginaire du voyage, de l’aventure, de l’ailleurs, une manière de toucher en nous sans mots les strates inconscientes de l’imagination, qui change tout de suite la donne de l’audition.

C’est un des raisons pour lesquelles, dans Tiers Livre, l’écriture audio a souvent plus de saveur que les lectures en studio fréquemment pratiquées à la radio aujourd’hui (même si la radio a été capable d’inventer sur ce plan-là) ou pour l’enregistrement des audio-livres. À côté du texte et de sa diction, de leur poids propre de matière et d’intensité, il y a une rumeur de vie qui leur donne un relief irremplaçable. Cela d’autant plus que le son sans image nous arrive avec plus de relief (et la nuit ajoute encore du relief à ce relief). Je pense ici à une remarque de Cocteau sur la platitude de la radio, dans un texte de 1947 saluant le travail du Club d’Essai de la radiodiffusion française à l’époque de Jean Tardieu. « D’où vient la platitude qui nous choque à la radio ? », se demande-t-il. Et il répond : du « vide » dans lequel se déroule l’émission de radio réalisée en studio. « L’appareil enregistre ce vide sans qu’on s’en doute, et les voix ne baignent plus dans le fluide vital où les gestes, l’étoffe, l’insecte et une rumeur confuse, qui est produite par mille qualités de silence, jouent un rôle de premier ordre [71] ». Et cette rumeur du monde que l’oreille perçoit dans l’écriture audio des lectures de Tiers Livre, c’est aussi en quelque sorte ce fameux « bruit de dessous » de machine à l’origine du déclic d’écriture de François Bon.

2.6. Audio, vidéo…

Une rumeur qui paradoxalement, pour être bien entendue, a parfois aussi besoin d’être vue, et c’est là que l’écriture audio peut parfois prendre le masque (le détour, l’apparence) de l’écriture audiovisuelle. Car plusieurs de ces lectures pour soi sont enregistrées en vidéo plutôt qu’en audio, de sorte que l’auditeur s’appuie sur l’image pour mieux entrer dans le cadre de la lecture. Mais il faut faire ici la différence entre deux types de vidéolectures : celles où l’image sert de bande-image à ce qu’on entend, et celles où, à l’inverse, c’est le son qui sert de bande-son à ce qu’on voit. Dans un cas, l’image est première, par exemple dans cette vidéo où François Bon lit un texte sur un tableau montré en plan fixe, puis dans certains de ses détails en gros plan, etc. Dans l’autre, elle est seconde, et l’écriture vidéo devient comme une extension ou annexe de l’écriture audio ; de l’écriture audio enrichie si l’on peut dire. Dans ce deuxième cas, la vidéo propose en général un plan fixe jusqu’à la fin de la lecture (parfois un plan fixe dans un véhicule en mouvement), puis ouvre le champ quelques secondes avant de s’arrêter. De sorte qu’on peut le plus souvent, une fois l’image captée en première audition, réécouter la lecture en fermant les yeux sans perdre grand-chose.

Exemple 1 : « le temps clignote /images et voix de la ville, suite », videolecture (« videoroute ») depuis la place passager d’une voiture roulant sur une autoroute [72] . Application des réflexions de l’auteur sur l’écriture cinétique depuis Balzac et ce qu’elle change à notre appréhension du monde, voir son essai En voiture.

Exemple 2 : « Une mer intérieure », texte de Danielle Collobert, tiré de Meurtre (1964) [73], août 2010, 4’44  [74] Une des plus belles lectures proposées sur le site. Devant la mer, à l’approche du couchant, vidéo en plan fixe. Il y a la rumeur de la mer, qui gronde là, tout près (comme ailleurs celle du train, de la voiture, de voix hors écran dans un cloître…). Il y a un sentiment géographique fait d’ouverture au lointain et de familiarité du proche. Il y a quelque chose comme une paix des morts.

2.7. Écouter les yeux fermés ?

Dans ces lectures pour soi, avec ou sans image, François Bon retrouve et renouvelle au fond toute une tradition très ancienne d’écoute en aveugle, ravivée en Europe au XXe siècle par la radio, théorisée en France par Paul Deharme, patron et collaborateur de Robert Desnos aux Studios Foniric dans les années Trente, mais aussi par Bachelard, grand philosophe de l’imagination, parlant de la radio comme d’une « maison onirique », d’un « vecteur de la rêverie intime » dans une causerie radiophonique de 1947, « Rêverie et radio », devenue fameuse. On pense aussi à ce que Gracq, plus musical que visuel comme il le confie à François Bon venu lui rendre visite un jour, attendait d’une radio « bouche d’ombre » (tout ayant de sérieuses réserves sur la lecture à haute voix, « presque toujours fausse ») : « Une voix ainsi jaillie de l’ombre, une espèce d’interruption très pure du néant vocal, la façon particulière qu’elle aurait de sortir du silence et de s’y replonger […] La radio, si elle voulait, pourrait redevenir quelquefois la bouche qu’il nous tarde trop souvent d’entendre dans le déluge moderne des bruits – la bouche d’ombre [75]. »

Au fond, quand il s’agit de lecture à voix haute, l’écriture audio semble par moments atteindre son but quand elle nous fait oublier le site, dans une écoute les yeux fermés, comme à la radio en somme. Comme fait Claude Guerre, le réalisateur de Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin, au cours de l’enregistrement du feuilleton [76]. Même si, dans cette « valise audio », il faut faire place à quelques vidéolectures. Dans les lectures de nuit ou de clair-obscur notamment, mais aussi dans les lectures faites dans des lieux clos, il y a une force d’incitation à la rêverie extraordinaire, non seulement parce qu’elles incitent l’auditeur à fermer les yeux, voire à tourner le dos à l’écran, à ouvrir ses propres vannes intérieures et se rendre volontairement vulnérable, mais parce que la nuit, ou la clôture du lieu, incitent François Bon lecteur à descendre plus profondément en lui jusqu’à un point de calme d’où il va tirer son intensité (cette intensité de calme qu’il reconnaît nécessaire même pour dire le grondement ou la colère, dans un texte donné à La Quinzaine littéraire il y a quelques années [77].)

Certes, on peut se demander si l’écriture audio pure peut vraiment se suffire à elle-même dans Tiers Livre. Une objection toute simple est celle de l’accès aux fichiers audio, en général incrustés dans une page texte/image et qui implique donc de passer par du visuel. Ce qui est sans doute bien naturel, puisque l’écriture web est multimédia et qu’il n’y a pas a priori de raison pour se priver de ses atouts, encore moins dans Tiers Livre où le couple texte / image est si structurant… Sauf que n’importe quel écrivain ou artiste peut avoir ses raisons d’utiliser ses outils d’une manière inattendue, à contre-emploi de l’usage commun par exemple, en fonction du projet qu’il s’assigne. Marguerite Duras par exemple a bien réalisé en 1981 un film sans images ou presque, L’Homme atlantique, en mettant les spectateurs de cinéma devant un écran noir.

Une autre objection vient du constat que François Bon lui-même choisit souvent une autre option : au lieu du fichier audio brut, un fichier accompagné d’une version écrite du texte qu’on entend (ou proche, car parfois le texte lu diffère, notamment quand il s’agit de Rabelais). Sans doute pour permettre à l’auditeur d’écouter aussi avec les yeux. Ou peut-être pour le laisser libre, soit d’écouter la « version François Bon » du texte, soit de lire ou vocaliser sans intermédiaire, soit d’aller et venir de l’audio au visuel, comme bon lui semble. C’est le cas pour des textes de Rabelais (avec de légers écarts entre texte lu et texte dit…), et de beaucoup d’autres en réalité. Par exemple Antoine Emaz : le dernier soir de son séjour au Québec, le 24 juin 2010, François Bon lit à voix haute « Finir le jour », tiré de Poèmes communs, « pour ne pas perdre pied [78] ». « J’ajoute le texte lu sur la piste voix »  (mais l’archive audio ne marche pas). Et l’on touche là à un des points sensibles de l’audition de textes.

C’est en prenant en compte ces deux paramètres évoqués, à savoir la complète liberté du créateur dans l’emploi des outils à sa disposition, d’autre part la tendance (propension) de François Bon à combiner dans son site la lecture par l’oreille et la lecture par l’œil, qu’on pense au passionnant projet de webradio coopérative qu’il a porté à un moment au sein de son site, en lien avec quelques autres. Il en parle dans quelques billets, mais on en trouve aussi des traces formelles, des bouts de réalisation. La « valise audio » la plus visible est le « Rabelais à voix haute », qui capitalise, avec des commentaires exprès réduits, des lectures des années 2006-2007, performées et enregistrées dans des conditions variées. Mais il y a aussi des petites compilations de lectures à voix haute, des valisettes regroupant plusieurs pistes audio précédemment incrustées dans d’autres pages. Ces listes proposent en général un lien vers la page d’origine, et liberté pour le lecteur d’activer ou non le lien, de risquer le tête à tête audio avec François Bon lecteur seul ou d’aller d’abord, ou après, chercher quelques mots d’explication… De sorte que l’internaute est contraint pour écouter de revenir à la petite « valise audio », c’est-à-dire aussi à une page plus pauvre en texte-cadre.

3. Un défi : le ton de conversation

Ce qui précède tourne principalement autour de la diction, de la profération, de la performance de textes dont l’existence comme point de départ et d’appui n’est jamais perdue de vue, même quand il s’agit des siens. Cet appui sur le texte semble d’ailleurs toujours visuel : François Bon dit un texte qu’il tient en main, non un texte dit de mémoire, ce qui laisserait peut-être encore plus d’espace à sa ré-improvisation dans la performance. Les improvisations pures ne relèvent jamais semble-t-il de la parole, mais de sa matière mise en rumeur, par la vocalisation ou le chant. C’est sur cette question de l’improvisation que je voudrais terminer, en l’étendant à l’ensemble des parties de Tiers Livre relevant globalement, non plus de la diction, mais de la conversation. Car Tiers Livre, c’est aussi bien sûr, comme les Essais de Montaigne cette fois, un vaste exercice de conversation avec soi-même et avec autrui. Une conversation moins monologuée que les Essais, puisque la plupart des billets postés s’enrichissent d’une zone « forum » ouverte aux internautes, mais tout aussi ouverte à l’amitié.

La question est simple : pourquoi ne pas improviser à voix haute, éventuellement avec un vrai travail audio dessus [79], les articles écrits au jour le jour, les billets et chroniques des blogs, du « journal image », les articles ou interviews de presse, les pages critiques, les réflexions au fil de la plume, bref tout ce qui relève peu ou prou de la conversation au jour le jour avec les lecteurs ? Pourquoi, à défaut, ne pas accompagner le texte de sa lecture, comme François Bon le fait assez souvent des textes déjà donnés en audio ?

3.1. Écrire comme on parle ?

L’improvisation, qui peut avoir des quantités d’allures et se nourrit d’hésitations, coq-à-l’âne, bifurcations, arrêts, reprises, éclats, silences, bruits divers du corps, de trouvailles et de ratés, c’est le moteur et le mouvement naturel de la parole en conversation et c’est cette respiration organique de la parole que recherchent en général les journalistes de radio, sinon dans leur interviews rapides, trop pressées, du moins dans les entretiens plus longs, et là je pense bien sûr à Jean Amrouche, l’inventeur de l’entretien-feuilleton à la fin des années quarante, ou à Alain Veinstein, le taiseux, le nocturne, avec ses émissions Surpris par la nuit et Du jour au lendemain (depuis 1985, 23h-minuit), jouant de la nuit (même s’il enregistre de jour) et de ses propres silences, comme Pierre Dumayet avant lui à Lectures pour tous, pour laisser l’inconscient de l’interlocuteur travailler [80]. C’est aussi le mouvement de l’écriture dans beaucoup de formes dérivées de la conversation et qui sont comme de la conversation écrite : la lettre (Mme de Sévigné), les mémoires (Saint-Simon), l’autobiographie (Rousseau), le journal (Kafka), l’article de presse (Tiers Livre comme média de presse…), et même l’essai critique (Diderot, Péguy, Proust). L’improvisation, ce n’est pas seulement le mouvement de la vie, ce sont aussi les zigzags et bifurcations sensibles de la pensée, à l’écoute de ce que Diderot appelle son « ordre sourd ». L’improvisation, c’est le grand facteur d’intensité et d’aventure dans l’écriture pour François Bon, disciple en cela de Rabelais, de son Gargantua de 1534 dont il aime « l’épais flot brouillon du livre écrit trop vite », performance d’écriture prise « à la nuit, la fatigue, aux automatismes qui vous arrachent vos rêves, aux sons de derrière la tête, aux histoires de partout [81] » ; ou de son Tiers Livre de 1542, livre écrit « dans la grande foulée retrouvée d’un bonheur rapide, toutes bondes ouvertes, un appel à la vitesse pour outrepasser les bornes qu’on se met soi-même dans la tête [82]. »

Et l’on revient donc à la question : pourquoi François Bon n’improvise-t-il pas à voix haute les blogs du Tiers Livre ? Il peut y avoir à cela plusieurs raisons ; voici celles que j’imagine, en me faisant à moi-même de petites objections.

3.2. « Je suis mal à l’aise dans la conversation »

D’abord tout simplement, François Bon n’a pas à l’oral la même facilité de parole qu’à l’écrit : « Je suis mal à l’aise dans la conversation : je ne suis à l’aise qu’après, au retour, seul dans le train ou la voiture, c’est là que je trouve ce que j’aurais dû dire [83] ». On le voit sur l’essai de petit journal vidéo mis en ligne en août 2013 pour, « au lieu d’une newsletter, raconter en direct, et en montrant sur l’écran, ce qui s’est passé dans la semaine sur le site » ; impro assez tâtonnante et laborieuse, pour laquelle lui-même demande notre « indulgence [84] ». Il n’aime pas les interviews au téléphone (d’ailleurs l’emploi du téléphone en général l’insupporte, voir « Profération contre le téléphone »), qu’il refuse tout simplement : ce n’est jamais le bon moment, il ne sait pas comment dire, etc. Il est moins strict avec les interviews radio, qu’il n’aime pas non plus en général, mais dont certaines ont droit à un lien sur son site, par exemple la dernière avec Veinstein à l’occasion de la publication de Proust est une fiction. Elles restent rares cependant en comparaison des interviews écrites rapatriées dans les dossiers de ses livres.

C’est que l’auteur préfère de loin les interviews par mail, média qui laisse le choix du moment pour improviser ses réponses, et surtout pour se mettre à l’écoute intérieure d’une pensée en rumeur. Par exemple un « dialogue avec Olivier Malnuit de Technik’Art » en janvier 2007, à propos de Tumulte, daté « Sur Mac PowerBook, TGV Paris-Tours, le 16 janvier 2007, 18h10 – 19h20 » (article 704). Il va même jusqu’à faire l’éloge de l’échange mail instantané avec un intervieweur, la réponse de l’un entraînant une nouvelle question de l’autre, dans une dérive à deux. La zone Twitter de Tiers Livre permet bien sûr, avec sa contrainte propre des 140 signes, de compliquer au su et vu de tous ses followers cette dérive à distance de la conversation, en entrecroisant avec certains d’entre eux des fils de conversations simultanées. Sachant que twitter, c’est aussi pour « déconner », échanger des blagues, se détendre : l’écrivain ne cherche pas toujours l’intensité et la profondeur !

3.3. Pudeur…

Deuxième explication : François Bon est un pudique, qui a besoin de la distance de l’ordinateur pour s’ouvrir, se confier, entrer dans une proximité, voire une intimité, même avec des voisins de quartier à qui il parle régulièrement dans la rue ou de jardin à jardin, et même avec des amis proches. Une distance qui le protège aussi, un peu, du bavardage : « C’est l’usage faible de la conversation qui m’insupporte, ou m’éloigne. Mais il y a tant de livres qui sont cela aussi, ou tant de journaux et magazines [85] » – sans parler de « la radio tchatche [86] ». Cette pudeur est d’ailleurs, dans Tumulte déjà, une limite au travail de l’improvisation par laquelle il cherche à descendre dans la masse de noir en lui : lire à ce propos les pages du livre en question sur des dérives impubliables qu’il met en ligne la nuit, un peu clandestinement, pour les retirer quelques heures plus tard et les verser dans une zone privée du site. François Bon est à l’opposé des recherches de sincérité à tout prix d’un Michel Leiris dans l’espèce de journal qui suit L’Âge d’homme et va de Biffures à Fibrilles. C’est pourquoi il s’interdit de tout publier ; il garde au fond un droit de censure sur ses improvisations. C’est peut-être cette pudeur qui, en plus du premier motif, l’empêcherait d’improviser à voix haute une page de blog : la voix en effet apporte un degré de plus à la présence, elle la matérialise plus que l’écrit. Elle déplace donc l’équilibre d’absence et de présence qui lui convient pour parler de lui-même à des proches. « La conversation est belle lorsqu’elle est écrite : elle y conserve les taiseux et les bavards », et « cette reconstruction écrite de la langue échangée est probablement son usage le plus élevé ou le plus tendu, en ce qu’il est le travail même de la relation à l’autre par l’interférence de langue [87]. » Pourtant François Bon ne recule pas les conversations vidéos en skype… et l’improvisation écrite des blogs, des séries critiques et autobiographiques est déjà suffisamment sociable, amicale, pudique pour que le fait de les parler puisse vraiment le gêner.

3.4. Écrire : verbe intransitif

Troisième explication : l’écrivain attend de l’écriture audio plus que ce que le ton de conversation peut lui donner, du moins dans sa version ordinaire qui est la mise en ligne de plusieurs billets quotidiens, destinés à diverses zones du site. Dans ce contact permanent de l’auteur de blog avec ses lecteurs, il semble difficile de se hisser au même niveau épuisant de concentration intérieure que dans des textes écrits pour soi, même s’ils sont écrits avec la même régularité [88]. Car l’improvisation des billets de journal ou de critique littéraire, si elle fait œuvre en faisant masse (comme les lettres de Mme de Sévigné), ne ressemble pas au fond aux expériences d’improvisation des textes de création, elle ne conduit pas dans les mêmes endroits : c’est une écriture transitive, directe, adressée à un autre, alors que la création artistique est intransitive (Barthes, Blanchot, cités dans Tumulte), indirecte, non-adressée. « À qui je m’adresse quand j’écris sur le site ? Est-ce qu’il y a une adresse préalable quand on écrit tout court, quand on était à la machine à écrire ou qu’on ouvre devant soi, de toujours, un cahier ? [89] » Le ton de conversation peut parfaitement être mis au service d’une écriture intransitive, comme c’est le cas dans Tumulte, ou dans les Essais de Montaigne, ou dans À la recherche du temps perdu de Proust, ou dans le Journal de Kafka, mais alors « l’écart réflexif » n’est plus le même, parce que « la possibilité même d’écart et de loisir dans la turbulence des choses » qui fonde la littérature change [90]. « La littérature, c’est l’instinct religieusement écouté dans le silence [91] » : c’est ce qu’a bien compris François Bon en ouvrant des sites non accessibles au public pour écrire Tumulte, ou, dans un autre registre, les proférations d’Habakuk et quantité d’autres textes, avant de les rapatrier partiellement dans Tiers Livre. Et en pratiquant dans le site même des espaces réservés. L’expérience d’improvisation que valorise François Bon dans Tiers Livre, ce n’est pas celle de la conversation des blogs, mais celle qui permet des dérives dans le noir, des navigations dans l’inconnu. Et c’est peut-être elle et elle seulement qu’il a en tête quand il propose à la fin de Tumulte, dans l’article 225, d’improviser à voix haute, à la demande, sur un des 135 thèmes non traités dans les 224 articles précédents.

Mais on peut aussi penser que l’écrivain ne juge pas nécessaire de parler à voix haute ses billets de blog pour en baisser le « bruit de conversation » (la sienne) précisément, et les rapprocher ainsi d’une expérience de lecture dense de textes denses, à l’écoute de ce « bruit de dessous de machine » qu’on entend plus nettement dans les textes d’invention. Car il y a aussi dans pas mal de textes des blogs une pression délibérément exercée sur le lecteur dans ce sens, un jeu de quitte ou double sur la durée de lecture d’une page [92]. Un compteur permet de remercier en bas de page ceux qui ont passé plus d’une minute à la lire : or beaucoup de pages prennent plus d’une minute à lire et chaque lecteur pressé a pu faire l’expérience de cette boule qui se forme au niveau du sternum, cette pression physique qui monte à mesure que, avançant dans la lecture, on doit résister à la pulsion de la quitter et consentir à aller au bout.

Inversement, on peut aussi considérer que la combinaison du texte écrit et de sa version audio favoriserait la lecture d’une page de blog, la voix de l’auteur ajoutant alors à son texte une force de présence supplémentaire.

3.5. Du proche et du lointain

C’est donc ce ton de la conversation, de la voix simplement parlée, que François Bon n’a pas encore utilisé dans l’écriture audio. La question est celle du proche et du lointain, de l’étrangeté et de la familiarité. On entend dans Tiers Livre des lectures, des proférations, des performances, installées dans une distance, une absence de familiarité avec l’auditeur, un certain lointain, qui a quelque chose de ce lointain d’où arrivent les voix de la radio dont parle Robert Walser dans un texte repris dans Tiers Livre (« la première fois que Robert Walser a écouté la radio », 19 mai 2007, article 862  [93]). Cette voix qui vient du téléphone, de la radio, aujourd’hui d’internet, mais en tout cas d’un ailleurs (différence avec le disque), Cocteau lui trouvait tantôt l’air d’un perroquet perché à tous les étages des maisons, tantôt en effet un « style d’oracle », porteur d’énigme et de révélation, style qu’il a lui-même cherché à épouser dans ses lectures radio de poèmes de Clair-Obscur en 1954.

Mais si actuellement François Bon parlait ses billets, articles, chroniques, alors c’est une voix plus proche que l’on entendrait, du moins si elle voulait coller à ce ton de conversation dont on entend déjà la rumeur, le « bruit de dessous » dans les blogs. À moins que, un peu comme Marguerite Duras et d’autres, qui se sont fabriqué à un moment un style oral modelé sur celui de leurs œuvres écrites, il ne décide de régler sa voix parlée sur celle de certains de ses textes ou lectures audio.

Conclusion

Comparativement à de très nombreux sites d’auteur, Tiers Livre donne à l’écriture audio une place globalement importante. Elle reste cependant très en retrait de celle donnée à tout ce qui est visuel d’une part, de certains projets « voix » de l’auteur abandonnés (provisoirement ?) d’autre part. Pourtant il n’en faudrait peut-être pas beaucoup pour que Tiers Livre bascule vers plus d’écriture audio, en revenant naviguer dans les parages du « Rabelais à haute voix » : pensons aux enregistrements de lecture audio ou « audio enrichi » disséminés ici et là, à la pratique de la musique et du chant aussi par François Bon, au projet de webradio, aux traces encore perceptibles dans certains liens d’un « labo voix » inclus dans le « labo perso » du site, et tout simplement à la conception très forte qu’il a des liens entre la littérature et la voix haute. Dans marabout bout de ficelle [Fragments du dedans], l’abécédaire commencé en août 2013, à l’entrée « Chant », François Bon se souvient « d’un manuscrit envoyé en 1979 à Paul Otchakovsky-Laurens, uniquement des notes sur la voix, puis un mois plus tard je lui envoie un mot disant que ce n’était pas mûr, de ne pas lire ce texte, et qu’il me le renvoie (s’il l’a survolé ou pas, quelle importance) en m’écrivant qu’il est impératif d’obéir à ces intuitions-là – aucune archive de ce tapuscrit, une centaine de pages, le suivant sera mon premier livre. » Le moment de suivre à nouveau cette intuition des débuts est peut-être venu : on peut rêver d’une bascule de Tiers Livre à la conquête de l’écriture audio…

Notes

[1] Cet article est fondé sur des navigations dans Tiers Livre menées durant l’été et l’automne 2013. Il n’a pas été fondamentalement modifié pour cette publication, alors que Tiers Livre a de son côté beaucoup évolué. De là un décalage dans le détail de certaines analyses (pages modifiées, etc.) et l’accès à certaines d’entre elles, passées en « Ressources réservées » (espace WIP mis en place en janvier 2014) ou devenues inaccessibles. Nous prions les lecteurs de nous en excuser.

[2] Édité depuis sous le titre Fragments du dedans, Paris, Grasset, 2014.

[3] Écrire audio, c’est se livrer à un travail d’écriture exclusivement sonore, dans la suite d’une histoire artistique bientôt séculaire de la radio et de ses outils d’écriture et de diffusion du son. Sera donc considéré ici comme écriture audio dans Tiers Livre tout ce qui s’inscrit ou circule dans le site sur un fichier son, en excluant les textes conçus par l’auteur pour être lus à haute voix mais qu’on ne peut pas concrètement entendre en activant un player. La bande-son d’une vidéo n’est pas non plus assimilable à de l’écriture audio, même si, nous le verrons, il y a des cas où le mariage du sonore et de l’image tourne très nettement à l’avantage du sonore.

[4] Autobiographie des objets, Seuil (2012), « Points », 2013, p. 15.

[5] Ibid.

[6] « 1964-1974, l’arrivée du bruit », Epok, n°50, numéro spécial « 1954-2004, 50 ans de culture et de technologie », 2004, en ligne ici.

[7] Autobiographie des objets, op. cit., p. 16.

[8] Ibid.

[9] Rolling Stones, une biographie, Fayard, [août] 2002 ; Bob Dylan, une biographie, Fayard, 2007 ; Rock’n roll, un portrait de Led Zeppelin, Albin Michel, [octobre] 2008.

[10] « 1964-1974, l’arrivée du bruit », op. cit. Fin de l’article : « Il y eut un monde de silence, et ce qui le brisa soudain, de couleurs, d’images et de voyages, et puis la grande normalisation : le bruit était partout, mais partout le même. Un jour, bientôt, je recommencerais à lire. »

[11] « Les Rolling Stones racontés comme votre vie même », France Culture, du 2 au 27 septembre 2002, Jacques Taroni (réal.). Rediffusion en juillet 2003. Trois matinées de travail. Voir « Journal images du 20 août 2002 » : « mixage du feuilleton Rolling Stones à France-Culture ».

[12] « Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin », France Culture, du 1er au 19 novembre 2004, à 11h du matin. Claude Guerre et Jean-François Néollier (réal.). Chronique de l’enregistrement en octobre 2004 sous le titre « Radiodays, fabrique d’un feuilleton radiophonique » : « Quand on enregistre, on éteint toutes les lumières, et Claude Guerre est à quelques dizaines de centimètres, des fois danse dans la musique, ou me guide comme un chef d’orchestre. Il veut que ça aille plus vite, que je dise fort : tout le contraire de France Culture, quoi. »

[13]  « Comment pousser les bords du monde : Bob Dylan », France Culture, du 5 au 23 février 2007, Claude Guerre (réal.). Rediffusion en décembre 2011.

[14]  Quatre émissions d’1h20, avec le concours notamment de Valère Novarina. Montage d’entretiens et d’extraits des romans de Rabelais adaptés, lus et joués en direct par des comédiens.

[15]  Fiction 30. Radiodrames, France Culture, mercredi 10 octobre 2001, 20h30-21h. Durée : 30 mn. « Une collection proposée par Lucien Attoun » entre 8 février 2000 et 16 juin 2002 (62 émissions).

[16]  « Nouveau répertoire dramatique : Scène de François Bon », France Culture, 26 novembre 2000, 14h35. Durée : 25 mn. Christine Bernard Sugy (réal.). Avec Patrick Catafilo (Nicolas), Garance Clavel (la femme), Daniel Delabesse (L’ami).

[17]  « Perspectives contemporaines : Comédie-Française : Quatre avec le mort », France Culture, 23 avril 2002, 20h35. Durée : 1h23. Avec Catherine Ferran, Claude Mathieu, Jean-Baptiste Malartre. Pièce éditée en février 2002 aux éditions Verdier. Voir dans le « Journal images » du 8 mars 2002, « Enregistrement à la Maison de la radio de Quatre avec le mort ».

[18] Du jour au lendemain, France Culture, Alain Veinstein (prod.), 28 septembre 1988, 5h du matin, durée 45′.

[19] « Le Bon plaisir de… François Bon », France Culture, 8 avril 1995, 15h30-18h.

[20] « 50 ans  de la Maison de la Radio : hommage aux micros », ici.

[21] « source et futur de la radio, le micro », ici  et (mis en ligne le 12 novembre 2013).

[22] Même si ce titre, aujourd’hui, François Bon ne le juge plus aussi pertinent qu’avant, à cause de sa référence à l’objet livre.

[23] « Bâtisseur d’énigme », préface au Tiers Livre [1552], POL, 1993, page VII.

[24] « Longeville, de silence à silence », dans Caroline Pottier, François Bon, Vague de jazz, Grâne, Créaphis Éditions, 2012, p. 9.

[25] Capable en effet de faire naviguer un monde de paroles dans la nuit des mondes connus et inconnus de l’homme à son époque.

[26]  Comment Pantagruel monta sur mer, 4e de couverture.

[27]  Id.

[28] V. « Sans retour », Quart livre [1552], POL, 1993, p. XVIII : « Combien avons-nous été, à découvrir un jour, au terme de sept cents pages de lecture ce que nous n’aurions jamais supposé de réalisé dans la langue Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs et savoir de ce moment que plus rien ne serait pour nous exactement comme avant (je me souviens, embauché en 1973 aux usines de roulements à billes S.K.F. de Fontenay-le-Comte, avoir pris la voiture et marché deux heures à l’aube dans le village désert de Maillevais et ses ruines). »

[29] « Poésie non traduite », impro voix dans un train, article 1068. Son repris dans l’article 2307.

[30] Tumulte, Paris, Fayard, 2006, p. 13.

[31] Id., p.14.

[32] Id., p. 15.

[33] Ce projet d’écriture, directement applicable à Tumulte, reformule avec quelques différences de texte un autre projet de fiction, « Fresque » dont l’article 1125 nous donne le début en annexe 3 (« Le monde vrai »), et qui aboutit à un texte « construit pour une performance orale » d’une heure à partir du même matériau, intitulée Chiffres dans son édition publie.net de 2007. 28 pages pour la performance orale d’1 heure, + 20 pages d’annexes. Le texte complet n’est plus disponible sur Publie.net. « De fin 1999 à fin 2005, je commence chaque journée en relevant dans la presse quotidienne en ligne des faits, événements ou curiosités qui me semblent constituer une fresque de l’état du monde, un bruit du monde. »

[34] Tumulte, op. cit., p. 519.

[35] Autobiographie des objets, op. cit., p. 225.

[36] Elle est inexistante dans les dérivations Youtube et Facebook du site, qui multiplient les captations vidéo de lectures et spectacles mais ne proposent rien pour l’oreille seule.

[37] Tiers Livre, certes, a l’ambition d’être sans porte d’entrée ni parcours uniques, dans laquelle on pourrait entrer par n’importe où parce que chaque page se suffirait à elle-même.

[38] « source et futur de la radio, le micro », article 3579.

[39] Ibid. Le site s’appelle Frémissements, « notes sur quelques sons et leurs échos », fremissements.wordpress.com

[40] « Paysages mondes », « Le petit journal », « Carrés urbains », « Écrans mémoire », « Routes, métiers », « Bibliothèques & librairies ». Le couple photo/texte est plus spécialement travaillé, réfléchi, interrogé dans certaines.

[41] Dont les images webcam de la série « mes webcams du dimanche » (voir ici).

[42] Article 1125 : « De fin 1999 à fin 2005, je commence chaque journée en relevant dans la presse quotidienne en ligne des faits, événements ou curiosités qui me semblent constituer une fresque de l’état du monde, un bruit du monde.

[43] V. Gilles Bonnet, François Bon, d’un monde en bascule, Chêne-Bourg, La Baconnière, 2012, p. 249 sur la forme spatiale, visuelle de l’écran.

[44] Désordre de son ami Philippe de Jonckeere ou, découvert durant l’été 2013, la rubrique photo du site américain Beautiful Decay TheOneShotMi, / « Photographie & Chantiers », site de la plasticienne Candice Nguyen…

[45] V. l’ouvrage de Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan, 2013.

[46] L’article « les Rolling Stones en 20 fois 20 minutes » permet d’entendre des extraits de 12 émissions du feuilleton diffusé sur France Culture. Voix anglaise de Judith Allison.

[47] Voir ici et « pour accompagner le feuilleton France Culture, le texte de l’épisode 3, consacré à l’enfance de John Bonham, batteur de Led Zeppelin » en ligne .

[48] Voir des vidéos ici avec lecture par l’auteur de deux versions d’un de ses textes.

[49] Présentation de l’auteur. Textes écrits sur habakuk.fr, en partie rapatriés sur la plateforme alors principale de Tiers Livre. François Bon en a tiré ensuite un livre édité chez publie.net sous le pseudonyme d’Habakuk et sous le titre Profération contre l’état du monde et de soi-même, aujourd’hui retiré. « L’atelier principal de Formes d’une guerre a été ce blog commencé de façon anonyme, habakuk.fr, vers avril-mai 2009, dans le trouble de savoir le départ imminent pour un an d’Amérique. À l’arrivée à Québec, quelques mois plus tard, dès la première semaine, j’en reprenais les textes ici dans le site principal. »

[50] Rubrique : « Plus d’étonnement à la voix, impression de l’avoir lu avec la voix de mon père. »

[51] Ici.

[52] Ici.

[53] Lecture de La Grande Bretèche en février 2013, avec micro cravate) : « C’est une version speed, dans mon enregistrement elle fait 54’, et la lecture je l’ai faite en 45’ » (article 2890).

[54] « Howl : Ginsberg traduit et dit par Darras ». V. aussi « Duras sans religion » (article 933)  : Cathie Barreau, Sophie Merceron, François Bon. Cependant la dérivation Youtube du site semble préférée pour déposer ces lectures par des tiers. On a aussi dans Tiers Livre une rubrique [tiers livre sur You tube], 10 articles, avec des « captures maison » vidéo de lectures : Pierre Ménard lisant un de ses textes sur iPad, dans une salle banale de BDP d’Indre-et-Loire mai 2013, Pierre Martot lisant l’Odyssée d’Homère, festival Terre de Paroles en Normandie (24 mai -2 juin 2013), sur lutrin d’église.

[55] « À l’écoute : François Bon lit La Mort du jeune aviateur anglais, un extrait d’Écrire, © éditions Gallimard, 63’ » V. ses commentaires sur sa lecture dans « La Baule, écrivains en bord de mer, samedi 21 juillet : hommage à Marguerite Duras » (dans l’article « Duras sans religion » ?) : « Je crois que j’avais une idée préalable de la voix (blanche, avec silences et coupes nettes), qu’il fallait à Duras. C’est très certainement cette musique-là que Sophie Merceron a utilisé pour “le coupeur d’eau”. Probablement que, si sa lecture n’avait pas précédé directement la mienne, je me serais embarqué de tout autre façon. »« C’est parce que ce soir je lis le texte à voix haute que j’ajoute une strate à ma compréhension du texte. »

[56] « Carnets du dedans / Observation de soi et du monde »,  ici.

[57] « formes d’une guerre | 40 fois crier », article 3105.

[58] « François Bon | le son que je cherche », ici. Texte écrit en 2010 à Montréal, à l’occasion des premières lectures-performances de Kabakuk, Note de l’auteur en rubrique 101 : « Formes d’une guerre est un ensemble de textes rédigés initialement dans le bus retour Montréal-Québec, de nuit, lors de trajets hebdomadaires, au printemps 2010. Ces textes ont servi de support à un travail commun avec Dominique Pifarély (violon, violon électrique, traitements électroniques), Philippe De Jonckheere (images, vidéo-projections) et Michele Rabbia (percussions) créé à Montbéliard en décembre 2010 puis repris en 2011/2012 à Poitiers, Lyon, Louvain. »

[59]  V. Dominique Viart, François Bon, Paris, Bordas, «Écrivains au présent », 2008, p. 138 : lecture en arpèges, montée en tension, accélérations et heurts, explosion.

[60] Cependant François Bon écarte l’idée d’une « écriture rock » par exemple : ce n’est pas un modèle. Bruit, silence…

[61] Lectures de Baudelaire sur musique de Kasper Toeplitz. Disque HC avec lui : Horizon noir.

[62] V. « lire en public, astuces & matériels / recommandations pour lire à haute voix», page de juin 2008 modifiée en janvier 2010 qui précise : « On m’a parfois proposé de lire avec micro cravate : le son est très bon, mais pas possible de moduler – d’autre part, très perturbé par l’absence de repère spatial immédiat » (article 1211).

[63] En japonais, « le bruit de la conversation ».

[64] « Au début sur un fond de batterie de John Bonham, puis relais par texte off perso avec delays et traitement, puis un son de basse aussi enregistré préalablement (Amérique 17 – première fois que j’utilisais en public mes propres pérégrinations à la guitare basse, ai dit à personne qu’avais fait la bande-son !) » (ici). V. aussi « Québec, 318 jours | l’usine à papier / mon premier Pecha Kucha : 6’40 texte & son, sur 20 images à 40″ chaque (et que ça se prépare) », où il fait l’éloge de la contrainte de temps, comme à la radio (article 2131).

[65] V. « littérature et violon au Rex à Cavaillon » (13 avril 2007) : « à la fin ce texte sur la peur complètement réimprovisé une fois de plus une fois au micro. »

[66]  Précédées de l’interprétation par Emmanuel Tugny, Olivier Mellano avec Dominique A. pour le CD Ralbum aux éditions Leo Scheer. Album présenté ainsi sur MySpace : « À l’occasion de l’anniversaire de mai 68 des écrivains rencontrent des musiciens pour exprimer leur ras le bol face à l’époque, sociale et politique. Un pamphlet musical, un manifeste. »

[67] Exemple « tu marchais dans la maison des morts (avec Philippe Rahmy) », une vidéo de juin 2007, « diaporama de photographies numériques extraites via le mot-clé tombes de mes archives images, d’un texte réalisé séparément, puis lu directement pour le petit micro inséré dans l’écran de l’ordinateur portable, en même temps que défilent les images » (article 121).

[68] On arrive ici en droite ligne des excitations d’idées des années vingt sur le « phonographe créateur », de Cocteau enregistrant des disques pour Columbia avec le désir de collaborer avec la machine, comme il le dit dans Opium (1930) : « Ne plus adorer les machines ou les employer comme main d’œuvre. Collaborer avec. »

[69] marabout bout de ficelle, article3621#chant.

[70] Réponse à l’enquête sur la diction de la poésie à la radio (1953-1954), dans Les écrivains hommes de radio (1940-1970), Pierre-Marie Héron (dir.), Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2001, p. 171.

[71]  « Le Club d’Essai », La Chambre d’écho, n°1, [avril] 1947, repris dans Pierre-Marie Héron, Jean Cocteau et la radio, Paris, Éditions Non Lieu, Cahiers Jean Cocteau 8, 2010, p. 15. Sans parler des voix doucereuses, quasi hypnotiquement imposées par l’existence du micro (le fameux « ton confidentiel » recommandé en 1942 par Jacques Copeau) et les conditions « hors du temps » du studio. Là contre, Artaud, à la radio : Pour en finir avec le jugement de dieu. C’est ce vide sans rumeur de l’enregistrement initial, très difficile à compenser après coup par des bruitages ou mixages de sons d’ambiance avec la lecture, qui frappe aussi à l’écoute de Quoi faire de son chien mort ? et de beaucoup de fictions radio enregistrées aujourd’hui à France Culture.

[72] « videoroute | le temps clignote /images et voix de la ville, suite »

[73] « D’Henri Michaux (1899-1984), à Danielle Collobert (1940-1978), certains ont suivi pourtant cette ligne de crête, l’exploration intérieure à sa limite. »

[74] « Ma première lecture de Rabelais avait eu lieu sur cette cale, au couchant, face à la baie de Lampaul. J’y suis revenu la deuxième semaine, à la même heure, comme un rendez-vous personnel – juste pour expérimenter à haute voix ce récit, dans ce contexte, cette heure, cette présence. Bizarre de constater après coup comme la voix qui surgit n’était pas mienne. »

[75] Les écrivains hommes de radio (1940-1970), op. cit., p. 153.

[76] « On est ordi contre ordi, et quand on boucle un brouillon de rythmes radio, il écoute les yeux fermés. »

[77]  « Le calme dans la colère, pour la colère. Question d’improviser dans la colère. Expérience de Cocteau en cure de désintoxication que ses meilleurs dessins ne sont pas ceux faits dans la douleur. Rapport à Artaud : longue mise au point de Pour en finir avec le jugement de dieu ».

[78] « Dernier soir au Québec. Replier le matériel, ce qu’on a gardé sur la table. L’ordinateur, la carte-son, le micro. Vérifier si ça marche comme il faut, comme ça, juste. Enregistrer une voix. Il reste peu de papiers. Il y a cette page d’Antoine Emaz, tirée des Poèmes communs. Je m’en suis servi pour un atelier d’écriture, à la fac. C’est très court (c’est même ça, l’exercice, sentir les forces, les tensions, le blanc, l’aigu, entrer dans l’énorme violence du bref). J’ajoute le texte lu sur la piste voix. Dans les prochaines semaines, nous serons à nouveau voisin, avec Emaz. »

[79] Yann Paranthoën, preneur de son de l’émission Du jour au lendemain et célèbre auteur radio de Lulu, d’Enquête à Lesconil, regrettait qu’il soit inexistant dans la série de Veinstein (v. Alain Veinstein, Radio sauvage, Seuil, « Fiction & Cie », 2010, p. 212-215).

[80]  Radio sauvage, op. cit, p. 213.

[81]  « Et les abysmes eriger au dessus des nues », préface à Gargantua [1534], POL, 1992, page VI.

[82]  « Bâtisseur d’énigme », préface au Tiers Livre [1552], POL, 1993, page I.

[83]  marabout bout de ficelle, op. cit.

[84]  « visite guidée | l’actu du site en vidéo, 01 ».

[85] marabout bout de ficelle, op. cit.

[86] « 50 ans de la Maison de la Radio : hommage aux micros », art. cit.

[87] marabout bout de ficelle, op. cit.

[88] V. Tumulte.

[89]  « de 1035 à 1051 sur 10 000 / segments séparés d’une suite en construction », article 621, fragment 1068.

[90] V. François Bon, Après le livre, Paris, Seuil, 2011, p. 7.

[91] Proust, Le Temps retrouvé (1927).

[92]  Cocteau, La Difficulté d’être (1947) : casser la phrase pour obliger à lire.

[93]  « Quelque chose de lointain vient à vous, et ceux qui produisent ce que l’on entend parlent à tout le monde à la fois, c’est-à-dire qu’ils sont dans une totale ignorance du nombre et des qualités de leurs auditeurs. »

Auteur

Pierre-Marie Héron est professeur en Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) ; Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013); Les radios de Philippe Soupault (Komodo 21, 2015). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.

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Tiers Livre : « le théâtre c’est dedans »


Scène de voix diffusées, de commencements toujours repris, de corps dont l’absence même témoigne d’une présence plus urgente, monologues successifs qui cherchent les intersections entre soi et le dehors, là où le dedans vibre de tout ce qui s’y affronte, site en tant qu’espace parcouru par le temps de le dire : tout cela fait de Tiers Livre un théâtre, non pas réel ou métaphorique, mais en puissance. C’est l’hypothèse, ou, pour mieux dire, le rêve de ce propos.



Texte intégral

Donc Tiers Livre est un théâtre,

le contraire d’un théâtre, évidemment, et c’est en cela peut-être que, plus sûrement, il l’est, radicalement : qu’il rejoint intérieurement le rêve et le désir et la possibilité d’un théâtre total, d’un théâtre qui se passerait d’en être un, enfin, qui pourtant incessamment lèverait cela, la présence réelle du théâtre, son rêve, son désir, sa possibilité :

théâtre de nos villes : toujours situés en bordure de nos villes, ces théâtres aujourd’hui, et pour y aller, ce n’est pas rien : ce n’est jamais rien, non, et c’est d’avoir traversé le dehors qu’on le rejoint, le froid souvent, et l’attente, le temps vide entre la vie et ; et on ne sait pas — vite, ensuite, ça commence ;

déjà on sait que c’est manqué, le théâtre dans nos villes : l’interruption de la vie qui fait semblant de ne rien interrompre ; les corps bien sûr sont là qui disent les mots, prennent la parole mais on ne sait pas à qui, à quoi, et nous dans le silence et le noir (pourquoi ?), on garde le silence et le noir, mais on ne nous a rien donné, on le garde quand même,

et sur ce quand même on pourrait en faire une vie, parce qu’il faudra bien le rendre, on n’en veut pas cependant, tout ce silence et ce noir, les théâtres vraiment dans nos villes, c’est incompréhensible et c’est ; en sortant toujours, cette impression que non, rien n’a eu lieu (à peine le lieu), et on pourrait bien cracher par terre en disant plus jamais,

plus jamais et pourtant, le vendredi soir prochain, on sera assis dans un autre théâtre, en se disant : ça commence encore, la présence réelle des corps levés devant nous pour dire les mots, et l’impossibilité de les toucher, juste là et pourtant si loin, insituable, le surgissement du proche inapprochable, comme un miracle.

le théâtre ou la levée des corps, et des voix qui n’appartiennent à personne, sur laquelle la ville soudain branchée, liée à elle comme des feuilles sur le point de tomber, le théâtre comme ce qui circonscrit un espace ouvert, un espace qui tiendrait d’un dedans — cavité, crâne, tombeau, berceau  —, et d’un dehors manifeste — puissance qui engouffre, et rien au-delà —, le théâtre comme cela, et comme ce qui ne saurait jamais l’être, le contraire de la vie (et le détester tant pour cela), et le seul lieu où l’on pourrait dire qu’ici se dit le contraire de la vie [1] (et l’aimer tant pour cela, oui, et y revenir, le vendredi soir prochain) : mais comment faire ? Et où approcher l’insituable de nos corps, du monde, et de l’autre ? Dans quel site pourrait se désigner l’insituable de nos expériences ?

sur l’écran est un cadre, le plateau, une fenêtre ; mille plutôt, mille qui s’entrecroisent, se chevauchent et se répondent, des voix mille et davantage, et l’écran, comme on s’y perd, des récits plus de mille et un, le carré dans lequel s’engouffre tout, le bruit du monde et soi-même, l’endroit de la bibliothèque et là où nous parvient la brutalité du réel, celui qui est l’actualité brute du temps, et sa part la plus secrète, le mystère qu’on confie à ces endroits publics,

oui, l’écran comme une table d’écriture, de lecture, du mouvement qui organise les flux de l’écriture à la lecture pour les confondre, l’écran est là où ça surgit, mais quoi, on ne sait pas c’est pour quoi on laisse surgir, et on appelle ça surgir,

l’écran, un grand plateau de théâtre où viennent des corps sans qu’ils aient besoin de corps vraiment, et des voix, et des morceaux épars de ciel et de ville, et comme on raconterait à un sourd le bruit, mais comment il l’entendrait, le sourd, tout ce bruit, en lui : voilà, c’est un théâtre, là vient se déposer ce geste ; à la fois : un enfouissement et un arbre, c’est l’écran, et

partout autour de l’écran, et auprès de nous, que l’on veille, c’est le silence, et le noir plus grand encore, que l’on porte : qui est l’accueil, mais intempestif ; le privilège de l’écran est là, quand le livre a encore besoin de lumière artificielle pour exister, non l’écran produit sa propre lumière parce que la fenêtre est sa propre lumière, et on ne se rend même pas compte que la lumière que l’écran diffuse n’est pas un éclat, seulement sa manière à lui de surgir pour être visible : un corps plongé dans un corps accroît son propre volume, on ne sait plus de quel corps on parle ; un corps est visible dès lors qu’il intercepte de la lumière : le site est à la fois de la lumière visible et ce qui le rend visible ; en arrière de la lumière, des signes, comme des mains négatives sur la paroi des roches noires, lointaines et sacrés, en fait des morceaux de réalités qui font écran à la lumière, on se penche ce sont des lettres, et mentalement soudain des mots, des voix qui sortent sans besoin de corps, qui passent,

le rideau déchiré était le plateau lui-même, on est enveloppé du silence et du noir parce que soudain, et on ne le savait pas, c’était la condition de ce théâtre, du site insituable enfin qu’est l’écran, un théâtre, vraiment, de pied en cape ;

d’un côté, la vie, de l’autre, nous-même, et pour que cela ait lieu (la présence), il faut bien qu’il y ait un tiers, quelque chose qui serait en dehors de soi où, non pas se voir, ou se lire, mais qui du dehors peuplerait tout un dedans, une sauvagerie de mots, et la tendresse de les déposer là ; un mur transparent, second, troisième, quatrième, de l’autre côté duquel on se tiendrait, et on dirait : c’est là : le tiers, ce ne sera pas un livre, évidemment, cet objet clos qui est déjà tout constitué de mots avant qu’on l’ouvre, comme fait pour du passé, l’avoir lieu du temps, non, c’est fini, le temps passé est une idée ancienne, le tiers, c’est aussi le tiers du livre, c’est le tiers d’un temps entre le passé et ce qui est sur le point de, quelque chose comme de la présence confondu avec son imminence et un désir : en chaque instant c’est là qu’on est, qu’on pourrait être, l’écran tendu pour qu’on le traverse, mais on ne franchira pas, et devant quoi l’on se tient : ceci à cause de quoi un jour de grand désœuvrement, on a commis le théâtre, la présence, soudain là sur l’écran, qui passe —

que la parole n’est pas l’attribut de l’homme, mais la preuve, on le sait : sur l’écran, donc, ce qui passe ne prouve rien que cela : le passage du temps, et sur la même surface de temps que soi, les textes qui s’écrivent écrivent aussi le temps, ce n’est pas un journal du temps, mais bien le levée des voix : oui, leur présence réelle ;

sur l’écran, c’est écrit (dans les archives, sans que je comprenne vraiment ce qu’est une archive dans Tiers Livre, puisque je le découvre en ma présence, hier soir, hôtel des Arts de Montpellier, dix-neuf heure neuf, je lis ce texte écrit je ne sais pas quand, dans le passé sans doute, un passé contemporain de ma lecture d’hier soir, les phrases anciennes mais qui disent maintenant pour nommer) maintenant, ce miracle :

Axiome, un : que le théâtre lui-même soit toujours présent dans ce qu’on avance. Que chaque phrase dite ait sens dans le miroir du théâtre se disant lui-même [2].

car miracle de cette phrase qui accomplit son propre miracle, le programme de sa présence, qu’elle exécute dans l’instant, son arrêt de mort, force vitale quand elle ajoute, via Fellini :

« Il suffirait de se poster à un coin de rue et regarder ». Lui rêve de ça, d’une pièce qui le mettrait en position d’assister au spectacle du monde et de le refaire [3].

théâtre, donc : coin de rue à l’angle duquel tourner (et quand même oser, même s’il pleut), si le site est ce théâtre, alors selon l’axiome deux :

le dehors est contenu dans la phrase, mais suggéré par l’écart de la phrase avec le dehors qu’elle nomme, quand le roman le contient pour s’y appuyer. Ici le dehors est l’ouverture noire du plateau sur rien, mais un rien qui réfère tout, le rien évidemment peuplé [4].

théâtre, oui : « séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain [5]» Un site comme ce théâtre même, non pas le théâtre de nos villes, mais son rêve, c’est-à-dire théâtre conçu comme un labyrinthe,

un espèce d’espaces où chaque texte est une nouvelle anti-chambre qui trompe le chercheur et repousse le lieu où se situe l’insituable du tombeau (il n’y a pas de salle de tombeau dans un site, pas même de tas de cendre qui dirait : « c’est fini », « c’est là qu’est le terme ») — un site multipliant les portes, un théâtre avec des scènes juxtaposées dans chaque acte, et le vieil art de Racine qui nous a appris que chaque scène rejoue en totalité l’ensemble de la pièce en monade : ici chaque texte est l’ensemble du site lui-même, et en chacun de ses points : toile ; toile qu’en agitant une des extrémités, je fais vibrer dans son ensemble, et parcours [6] : parcours en ligne d’erre.

théâtre du Tiers Livre, sa radicalité, l’épars d’un corps désorganisé à mesure qu’il se donne naissance, texte à texte, c’est-à-dire un jour après l’autre : la réplique de l’un qu’on endosse, et la réplique d’un autre que soi, le lendemain :

Axiome, quatre : […] que chaque réplique vaut comme totalité, et non pas comme lien rhétorique à ce à quoi elle répond, ou ce vers quoi elle ouvre. Et combien ici chutent [7].

théâtre : non pas lieu coupé où se raconter des histoires pour de faux, tromper l’attente, l’ennui, le froid, mais au contraire, théâtre là où seul peut-être l’invention de la présence prouve la présence, là où le monde s’engouffre et se trouve nommé, visible : dignité du geste, de la parole —

tant de routes, tant d’enjeux / Tant d’impasses, je me trouve au bord de l’abîme / Parfois je me demande ce qu’il faudra / Pour trouver la dignité [8]

dignité comme quête, comme chemin, dignité de la langue, cette anfractuosité de langue où vient surgir Tiers Livre comme arme de reconquête, tel qu’il se lève, tel qu’il avance au-devant de lui-même dans le noir et le silence des villes quand elle reflux le soir : reconquérir des territoires de fiction, reprendre possession des lieux (intérieurs, politiques, symboliques) que le pouvoir, ou la vie dans son organisation policière, nous a pris ;

Tiers Livre est l’autre nom du théâtre à cause de cela : qu’il est cette reconquête de nos territoires de fiction ;

vieux rêves du théâtre, « qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli [9] » : le lieu, c’est le site et le dehors tout entier là ; le jour, c’est aussi une part de la nuit, toujours le temps où je viens ouvrir l’écran pour m’y rendre, c’est le nuit qu’on vient lire, n’importe quel jour, tant qu’il demeure au présent [10] ; le fait accompli est la propre expérience du réel, sa traversée qui met sur le même plan les lectures et les rêves qui naissent d’elles, et les images de la ville, les terreurs, les libres pensées lâchées sur le monde pour mieux l’inventer, s’y affronter — et jusqu’à la fin, on ne sait pas, on rêve de temps à temps à cette fin qu’on a mis en arrière de soi, que le temps ne viendra jamais arrêter, maintenant qu’on est vivant, présent à cette vie de nouveau donnée : alors le théâtre rempli, on comprend que c’est nous-même, plein de ces rêves,

un rêve de théâtre, si le théâtre est le rêve qu’on en fait, qu’il est l’espace du déploiement, le lieu d’un long dépli : corps via l’absence de corps, et voix, possible par cette absence même, silencieuse, écrite :

lente cérémonie du temps propre à celui qu’on s’accorde pour lire (et auquel on s’accorde), des lumières sur l’écran, des présences désirées qui s’échappent ;

lieux fantastiques, là où celui qui parle, dedans Tiers Livre, déplie en lui les colères — « je parle dans la colère [11] », axiome zéro, non-écrit, implicite préalable à la prise de parole, tandis qu’on nomme lyrisme cet espace où vient naître la parole du « Tiers Livre » : colère comme force vitale, joyeuse, terrible, inquiète, croisement politique et éthique :

oui, le lyrisme comme espace où naît la colère, espace intérieur qui devient site — lieux fantastiques et intimes qu’ouvre « Tiers Livre » à chacune de ses pages et qu’on vient intercepter : théâtre du regard :

car au théâtre, j’aime (mais j’ai compris peu à peu que je ne peux pas faire autrement, que c’est un compromis que j’ai négocié avec le théâtre lui-même) me placer sur le côté, au bord, dernier fauteuil auprès de l’allée, pour intercepter la technique de l’acteur, ne pas la voir frontalement (d’où vient cette peur d’être dévisagé ?) ; ici, sur l’écran, c’est un même dispositif immédiatement qu’on endosse : celui qui dit je à la surface de l’écran vient intercepter les expériences du monde, et à même échelle, la vie, les essais libres de la pensée, les colères, les notes brèves arrachées au monde et à la volée les images que le réel pose sur lui qu’ensuite le site arrache pour les déplacer, nous les rendre de nouveau visibles, interception première qu’on intercepte à notre tour, de biais toujours :

le théâtre, un lointain insituable que seul le site peut désigner, comme présence et comme ailleurs

(phrase de Michaux sur le théâtre, ou sur le web :

Au théâtre s’accuse leur goût pour le lointain. La salle est longue, la scène profonde. / Les images, les formes des personnages y apparaissent, grâce à un jeu de glaces (les acteurs jouent dans une autre salle), y apparaissent plus réels que s’ils étaient présents, plus concentrés, épurés, définitifs, défaits de ce halo que donne toujours la présence réelle face à face. / Des paroles, venues du plafond, sont prononcées en leur nom. / L’impression de fatalité, sans l’ombre de pathos, est extraordinaire [12].

alors les violences du réel ainsi prises, découpées, nous sont rendues en propre et jamais dès lors le site est sa propre clôture : joie de ce théâtre qu’il appelle — joie en cela que sans cesse il cherche à sortir du théâtre : puissance du Tiers Livre quand on se retrouve dehors à sortir l’appareil photo pour saisir un type avec une violoncelle dans le dos, et parfois on ne l’enverra même pas, cette photo, à celui à qui pourtant on la destine, on la gardera pour soi parce qu’elle est trop floue, elle est toujours floue, cette image qu’on destine à celui qui l’a produite secrètement en nous, ou sur twitter on la déposera comme un salut, discret, à la cantonade, le monde qu’on aura ainsi partagé, parce que soudain il est de nouveau le nôtre, qu’il a été nommé, qu’il a pu faire de nouveau l’objet d’une conquête : site comme dépôt de ces récits qui forment le théâtre levé : un type flou avec son violoncelle dans le dos [13], ou les carrés de cimetières [14] qu’on longe en train [15], les caddies de supermarché abandonnés la nuit [16], ces rectangles d’immeubles [17], les grandes dalles dans les abords des villes [18], les mots obscènes qu’on nous inflige en immense sur les panneaux publicitaires [19], les novlangues du pouvoir [20], les regards des morts [21], les retards des trains à cause des sangliers follement libres [22], les chambres d’hôtels dans les villes de passage [23], les objets qui sont notre mémoire [24], et la mémoire comme appartenance au monde que l’on choisit, et les mots des autres, aussi, surtout, en partage [25], parce que le présent se donne, que c’est en cela qu’il est profondément présent, don absolu d’une langue rompue en deux pour que l’autre y vienne mordre, le site dans l’accueil de tout cela, cette pâture de villes et de ciel, comme au jusant des marées, laissés, ces corps de villes éventrées que l’écriture vient recueillir, en détourner l’usage, quelque chose comme matière vivante du monde, là, levé, en présence —

Marcher dans un décor, salle vide : les fantômes de voix s’accumulent, linéaments dans l’air, comme des reliefs matériels de parole. Quand je me déplace dans l’ossature ouverte du décor, je les sens me frôler au visage, je les sens réellement, je n’ai qu’à mettre la voix sur eux. Alors écrire devenant possible, par le relief et puis ce vide, mais un vide acoustique. Je suis redevable au théâtre de cette magie minimum, plateau devant salle vide, et c’est par ce lien et cette dette que j’accepte la responsabilité de parole [26].

le site comme ossature et vide premier, que chaque page accroit et remplace, le frôlement de visage, je pense à cette jeune Noire qui tout en haut du World Trade Center, tous les onze septembre de chaque année, tombe [27], avec en arrière, le visage de Michel Piccoli, pourquoi ces superpositions de sens deviennent le sceau du temps : théâtre cela aussi :

Ce qu’au-dedans on hurle, et ce qui est tellement trop lourd ou fort pour qu’on le hurle. Et qu’ici on aurait choisi. Comme plutôt ramper, se cacher, venir par les côtés, et que ce qu’on recevrait de paroles on n’aurait de cesse d’à nouveau s’en départir.

Étrangeté du théâtre : ne pas pouvoir s’immobiliser, avoir envie de marcher, chercher sur le plateau les points d’appui, où résister au vide, et par quoi la parole peut prendre énergie de sourdre. Beckett a introduit qu’on reste fixe : se soumettre assez l’énergie pour la canaliser depuis ce point fixe. Il me suffit de penser cela pour être effrayé [28].

car le théâtre arpenté est son propre désir : la seule géométrie possible du site est une circulation : le site comme les cartes de Gracq [29], devant quoi on rêve longtemps parce que c’est du temps et de l’espace à la fois [30], c’est le lieu et la formule d’un roman qui aurait trouvé en lui son épuisement et son recommencement ailleurs, car le théâtre, c’est aller,

et dans le site, cet en-allée horizontale d’un jour à l’autre pour déjouer la fosse à bitume du web : la souveraine en-allée qui disperse, l’archive quand elle remonte et qui devient l’actualité même du présent.

Le théâtre, c’est dedans, tu avais dit. Un jardin sauvage, tu avais continué… C’est la ville qui en toi crée géométrie intérieure, et la condition pour que dans cette géométrie tu disposes non pas les mots, mais probablement toi-même et toi au dedans, mais probablement la pensée même, et ton désir de ces musiques obsessives, récurrentes, qui sont musiques des seules brillances dans la nuit. Il suffit, très loin dans la ville, la géométrie grise d’une vitre encore éclairée, il suffit du mystère gris de ce qui t’en sépare, il suffit – à un rouge frotté – de l’impression évidemment fausse que la ville te regarde et t’attend [31].

donc, Tiers Livre est ce théâtre, théâtre du dedans qui en retour rend le dehors désirable et possible, un dehors qui n’attendra pas longtemps pour qu’on vienne s’y affronter : le site est une planche d’appel —

alors, et enfin, le site comme théâtre de rues, qu’on vient approcher à main nues et « Quand une ville résulte d’une idée architecturale globale, chaque rue est dessinée pour un usage, mais l’usage réinvente ses coutumes, ses traverses [32]. » — là où il a lieu, Tiers Livre, c’est au point d’usage qui vient où la ville est abandonnée à elle-même, c’est-à-dire à celui qui vient le recueillir pour l’écrire, et le donne à celui qui le lit, passage des rues abandonnés du Pays de France jusqu’au Saint-Laurent, la rue large du fleuve si large qu’on ne voit pas l’autre rive, circule  et fait circuler les énergies qui voudrait s’en réapproprier les forces : « On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie, rêvait tendrement Artaud. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelques temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie [33]. » Il ajoutait, ailleurs : « La vie est de brûler des questions [34] » — dans tout ce feu, reste encore la brûlure ;

au moment où le théâtre cesse commence le dehors, au moment où l’interruption du théâtre s’interrompt s’ouvre ce qu’au dehors le monde nous refusait et qui devient possible : c’est ce moment qu’élabore infiniment Tiers Livre : de la présence, radicale, celle qui désigne les territoires qu’en partage on reconnaît nôtres, et qu’ainsi nommé, on va rejoindre,

Notes

[1] De Bernard-Marie Koltès, la dette inestimable en partage.

[2] François Bon, « Théâtre » ; texte d’abord paru dans le nº 61 de la revue Alternatives théâtrales, Bruxelles. Repris dans Tiers Livre ici.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Samuel Beckett, Le Dépeupleur, Paris, Minuit, 1970, p.   7 (premiers mots du texte).

[6] Voir ce que dit Gilles Deleuze dans les dernières lignes de son ouvrage sur Marcel Proust, Proust et les signes, Paris, PUF,  « Quadrige », 1970.

[7] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[8] Bob Dylan, Dignity, chanson enregistrée pour la réalisation de l’album Oh Mercy, en 1989 — non retenu dans la version finale de l’album, elle ne parut que dans la compilation Bob Dylan’s Greatest Hits Volume 3 en 1994. « So many roads, so much at stake / So many dead ends, I’m at the edge of the lake / Sometimes I wonder what it’s gonna take / To find dignity » (Traduction personnelle).

[9] Nicolas Boileau, Art poétique, 1674 (Chant III,  vers 45-46).

[10] « Né le plus souvent avec la tragédie même (qui est une journée), le Soleil devient meurtrier en même temps qu’elle : incendie, éblouissement, blessure oculaire, c’est l’éclat (des Rois, des Empereurs). Sans doute si le soleil parvient à s’égaliser, à se tempérer, à se retenir, en quelque sorte, il peut retrouver une tenue paradoxale, la splendeur. Mais la splendeur n’est pas une qualité propre à la lumière, c’est un état de la matière : il y a une splendeur de la nuit. » (Roland Barthes, Sur Racine, “L’Homme racinien”, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1979, p. 25.

[11] « Elle dit : Et c’est se dresser face à l’ordre du monde, se tendre la main, un instant s’ériger contre l’ordre et le remplacer par un autre, éphémère et provisoire, né de l’excès même où collectivement on s’est mis et qui ne lui survivra pas. Elle répète : Impatience. Je parle dans la colère. » (François Bon, Impatience, Minuit, 2004, repris dans Tiers Livre ici.

[12] Henri Michaux, Ailleurs, « Voyage en Grande Garabagne », Paris, Gallimard, « Poésie/NRF », p.  19.

[13] « violoncelle rouge à jambes », en ligne ici (sauf indication contraire, les pages citées ici sont issus du site de François Bon, Tiers Livre ; on se borne à indiquer le titre dans lequel on peut les lire, ce 29 septembre 2014).

[14] « [31] un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés », en ligne ici.

[15] « tombes », en ligne ici, ou « Paysage Fer | passer du livre au film »,  (et échos au Désordre : « commandes, livraisons, alignement… », ).

[16] « La ville, quand elle ne se regarde pas elle-même », en ligne ici (et la série des publicités sur caddies de supermarché : « caca dans l’eau », ou « mangez du chat »).

[17] « zone urbaine | Microsoft est (aussi) un immeuble », en ligne ici.

[18] « roman-photo | les ascenseurs aussi sont une fiction », en ligne ici.

[19] « l’homme en pub », en ligne ici.

[20]  « lots pour nos Enfants », en ligne ici.

[21] « Rimbaud regard bouche », en ligne ici.

[22] « zone urbaine | vidéo du train qui pleure », en ligne ici,  ou « à celle dont je ne saurai rien »,  .

[23] « nature morte hôtel Cergy », en ligne ici, ou « Roubaix, chambre d’hôtel offerte », .

[24] « Autobiographie des objets | compléments, extensions (41) », en ligne ici.

[25] Le sommaire des « Vases communicants » en ligne ici.

[26] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[27] « cette jeune Noire tout en haut du World Trade Center », en ligne ici.

[28] François Bon, « Théâtre », op. cit.

[29] « de Gracq considéré comme un site web », en ligne ici et dans ce dossier.

[30]  « voyage de Savenay à Brevenay », en ligne ici.

[31] « théâtre dedans » (texte paru d’abord sur le site Ana2B à l’occasion des vases communicants, en septembre 2011).

[32] « Cergy, la ville | rue abandonnée du pays de France », en ligne ici (texte issu du projet numérique CergyLand, autre espace sur le net de François Bon depuis septembre 2013, autour de son travail à l’école d’Art de Cergy).

[33] Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, in Œuvres, IV, Paris, Gallimard, p. 14.

[34] Antonin Artaud, « Correspondance avec Jacques Rivière », dans LOmbilic des Limbes et autres textes, Paris, Gallimard, « Poésie », 2003 [1968], p. 51.

Auteur

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille. Maître de Conférences à l’université Aix-Marseille, il enseigne la théorie et la pratique du théâtre. Il est l’auteur de récit (« Où que je sois encore…, Seuil, 2008 ; La Mancha, La Nuit Mytride, 2009) et de fictions numériques (Anticipations, 2011 ; Affrontements, 2012) aux éditions publie.net. Dramaturge de la compagnie La Controverse, il écrit également pour le théâtre (Les Tombeaux sont appelés des solitudes, 2013 ; Les Filles perdues, 2014). Il prépare actuellement une biographie de Bernard-Marie Koltès. Depuis 2006, il tient ses Carnets d’écriture en ligne : www.arnaudmaisetti.net.

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