Présentation

Nuits magnétiques, programme emblématique de France Culture diffusé entre 1978 et 1999, est souvent décrit comme une émission en rupture avec la programmation de la chaîne culturelle. Le contenu des propos diffusés (une parole plus déliée, un ton proche de la confession, des interviewés et des thématiques qu’on n’entendait pas ailleurs) tranche alors avec le reste de la grille. Une recontextualisation de la création du programme nuance cependant cette première impression. Nuits magnétiques est davantage la cristallisation de multiples expériences passées que le surgissement d’une émission-ovni comme elle est parfois décrite.

Parmi les influences revendiquées, il y a au premier chef l’ACR, Atelier de création radiophonique, créé en 1969,  dont Jean Daive, producteur aux Nuits magnétiques, admet, dans ce numéro, avoir été « jaloux ». Mais il sera assez facile pour les Nuits de se démarquer de ce grand frère encombrant, figure totémique, et qui cherche avant tout à mener des recherches esthétiques sur le son (voir le numéro de Komodo 21 qui lui a été consacré en 2019). Nuits magnétiques sera davantage séducteur et vulgarisateur, et radio de récit. Souvent citées aussi par les écrivains, les émissions spéciales réalisées pendant le festival d’Avignon, comme par exemple, Avignon ultra-son (1977, 1978), émission hebdomadaire de plusieurs heures, et qui semble aussi avoir soudé le groupe de producteurs qui ne travaillaient pas ensemble en temps normal. On y entend déjà Olivier Kaeppelin, Jean Daive, et Franck Venaille qui depuis l’année précédente possède son propre espace, Magnetic (nom qui a inspiré celui de l’émission Nuits magnétiques), dans ce qui s’appelle alors Avignon 76. Le nom d’une autre émission revient aussi : Poésie ininterrompue, de Claude Royet-Journoud, qui a permis l’expression de poètes à la radio, ainsi que le croisement de plusieurs personnalités qui deviendront les écrivains des Nuits magnétiques (Jean Daive et Franck Venaille). L’émission Biographie est aussi citée par Alain Veinstein, notamment celle où Franck Venaille se raconte [1].

D’autres programmes apparaissent comme des « laboratoires » des Nuits magnétiques : La réalité le mystère, programme spécial conçu par Alain Veinstein et diffusé par France Culture du 24 décembre 1976 au 1er janvier suivant, où interviennent aussi Jean Daive et Franck Venaille. Ce dernier y produit notamment une série intitulée « La réalité en ces lieux » qui préfigure les Nuits magnétiques : il y est question d’espionnage, de vie dans les hôtels, et de football (certains numéros seront même rediffusés dans les Nuits). Programme continué l’année suivante aux mêmes dates (24 décembre 1977 – 1er janvier 1978) sous le titre Les derniers jours heureux, dont la forme annonce elle aussi les Nuits magnétiques. On y retrouve Franck Venaille, et Jean Daive qui sillonne la France pour donner la parole aux « gens de la terre ». Pour ce programme, Veinstein avait aussi demandé à Michel Chaillou d’improviser au micro un récit-feuilleton évoquant un mystérieux archipel perdu, Perdus dans la mer de Weddel. L’écrivain, tétanisé, raconte avoir perdu trois kilos durant cette expérience [2].

Parmi les émissions voisines, non mentionnées par l’équipe des Nuits magnétiques, on peut citer De la nuit (1975-77), qui la précède dans la grille de France Culture [3]. Son créateur, Gilbert-Maurice Duprez, produit lui aussi quelques Nuits magnétiques avant de se consacrer à d’autres aventures. L’intervention de témoins ordinaires, la recherche d’une forme d’intimité et l’effacement du producteur à l’antenne se retrouvent déjà dans De la nuit [4]. La réécoute de toutes ces émissions permet de mieux saisir le contexte radiophonique des Nuits magnétiques.

Il faut aussi rappeler le contexte, plus général, du paysage radiophonique d’alors. En 1978 existe encore le monopole de radiodiffusion. Cependant, les radios pirates commencent à émettre en grand nombre, et le service public se retrouve concurrencé par ces nouvelles façons de faire de la radio et le combat pour la liberté d’expression. En cela, Nuits magnétiques a sans doute été marqué par l’émergence de ces nouvelles radios, ce qui se traduit notamment par l’ouverture du micro à des interviewés venant d’univers sociaux assez divers, qui apparaissent comme des minorités (ce qu’on retrouve déjà dans l’émission De la nuit).

Si l’on se réfère aux propos d’Alain Veinstein, la création de Nuits magnétiques ne va pas de soi. Bien que solidement installé dans l’équipe de direction de France Culture (il est responsable des programmes depuis 1975), celui-ci confie avoir été confronté, sinon à une forme d’opposition, du moins à une forme de défiance ou de « résistance », en dépit du soutien d’Yves Jaigu, alors directeur de France Culture (« Nous étions attendus au tournant [5] »). Ces querelles internes demeurent aujourd’hui mystérieuses. Si opposition aux Nuits magnétiques il y a eu, elle n’est en tout cas pas parvenue à empêcher l’émission de s’imposer dans la grille de France Culture. Alain Veinstein souhaite alors contrer une orientation « spiritualiste » de la chaîne, en proposant (avec « très peu de moyens ») une émission de nuit obéissant à une « maquette permanente », avec la volonté de toucher des auditeurs plus jeunes que ceux de France Culture, ayant plutôt l’âge de ceux qui feraient l’émission, à savoir une trentaine d’années [6].

S’intéresser comme nous le faisons ici à un programme de radio quotidien, dont la durée de diffusion s’est étalée de 1978 à 1999, ne va pas de soi. Même si les producteurs qui en ont été responsables ont été peu nombreux (Alain Veinstein, son créateur, et Laure Adler pour la première décennie, Colette Fellous pour la seconde), le nombre d’émissions conçues, la diversité des personnalités qui y ont contribué, l’évolution du paysage radiophonique, l’influence des différentes époques traversées aussi, font de cet objet de recherche une matière particulièrement complexe à appréhender. Un dernier élément ajoute à la difficulté : Nuits magnétiques est une émission protéiforme. Bien que la plupart de ses numéros relèvent d’un genre « documentaire » (terme à manier avec précaution en raison de son rejet par le créateur de l’émission), certains autres (en particulier durant la première époque de l’émission, entre 1978 et 1989) relèvent plutôt du genre « magazine », et font se succéder des chroniqueurs présents en studio. Cette diversité des formes mises en jeu n’empêche pas d’analyser aussi l’émission en termes de dispositifs d’écriture spécifiques, liés à des partis pris esthétiques plus ou moins saillants, comme nous le faisons dans notre contribution à ce numéro.

L’objet des textes publiés ici n’est pas de couvrir les multiples approches possibles d’un programme aussi riche et divers qu’étendu dans le temps, toujours bien présent dans la mémoire des auditeurs les plus âgés : comme nous l’avons fait il y a deux ans à propos de l’ACR, il s’agit d’interroger la part des écrivains dans la conception du programme. L’angle est pertinent, puisque dès les débuts la volonté de Veinstein est précisément d’associer les écrivains à la production des Nuits magnétiques. Si l’idée n’est pas complètement nouvelle (de nombreux écrivains ont participé au Club d’Essai de Jean Tardieu dans les années 1940 et 1950, de nombreux écrivains aussi ont créé des fictions pour la radio, ou animé des émissions de poésie), la forme que prend leur collaboration à Nuits magnétiques est plus inédite : cette fois en effet, c’est comme si les écrivains recrutés l’avaient été à « contre-emploi », puisqu’il ne leur était pas demandé d’écrire au sens le plus habituel du mot, mais au contraire de quitter leur atelier d’écriture, d’abandonner leur outil de prédilection (la machine à écrire ou le stylo), pour s’emparer du terrain et recueillir la parole de gens venus de tous les univers sociaux. Rétrospectivement, cette idée apparaît comme neuve puisqu’elle invite ces écrivains à se « déplacer », tant du point de vue des pratiques professionnelles que du point de vue géographique (mener des entretiens à l’extérieur des studios) [7]. Plusieurs écrivains « élus » vont répondre favorablement à cette mission qui n’a rien d’une sinécure, tant elle exige l’apprentissage de nouvelles pratiques professionnelles (l’interview, le montage, la construction d’une dramaturgie propre à la radio), et l’intégration à un collectif (le personnel de la radio, au premier chef les chargés de réalisation [8]) auquel un écrivain n’est pas a priori habitué. Précisons d’emblée, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que d’une part ces écrivains n’ont jamais constitué un pool permanent, et que d’autre part tous les numéros de Nuits magnétiques n’ont pas été produits par des écrivains. L’émission a toujours été une structure ouverte. Par conséquent de nombreux producteurs, aux statuts divers, se sont succédé et ont joué leur part dans l’histoire du programme [9].

Si l’intention des coordinateurs de ce numéro est bien de s’emparer de l’histoire de Nuits magnétiques dans sa globalité temporelle (la contribution de Colette Fellous l’atteste, ainsi que l’article que lui consacre Clara Lacombe), une plus grande attention est portée aux toutes premières années de l’émission, période où la présence des écrivains-producteurs est la plus forte, ainsi qu’aux écrivains les plus réguliers. Au fil du temps, même si la notion d’écriture demeure primordiale dans la conception des programmes et que les écrivains continuent de figurer en bonne place parmi les interviewés, la présence d’écrivains-producteurs devient moins visible.

Les écrivains qui ont participé à la première décennie de cette expérience marquante dans l’histoire de la radio n’appartiennent pas à un même courant littéraire, et, amitiés mises à part, n’ont pas d’autre point commun que d’avoir été embarqués dans l’aventure par le grand artisan de ces Nuits. Il était de ce fait important de faire valoir leur diversité, en leur donnant la parole, à commencer par Alain Veinstein lui-même, qui nous avait fait le plaisir de répondre à l’invitation de Karine Le Bail et à ses questions lors du colloque organisé à Paris en décembre 2018, d’où est issu ce numéro. Étaient aussi présents au colloque Jean Daive, Olivier Kaeppelin et Jean-Pierre Milovanoff, qui figurent parmi les pionniers de l’émission, et y ont tous participé une dizaine d’années au moins. Leurs interventions nous font comprendre leur découverte de la radio et de la collaboration avec les gens de radio, leurs centres d’intérêt et territoires d’action, la manière dont ils concevaient leur rôle dans ce programme, à plus ou moins grande distance des livres mais toujours tout contre le langage. On sent, à les lire, la grande marge de manœuvre qui leur était laissée pour concevoir leurs émissions. C’est sans doute cette liberté, et cette confiance, qui ont permis au programme de se déployer et d’offrir à l’auditeur des moments marquants.

Parmi les contributeurs de ce numéro figure aussi Irène Omélianenko. Même si elle n’a pas eu d’activité d’écrivain à côté de son travail à la radio, elle nous est apparue comme un témoin privilégié des débuts de Nuits magnétiques. D’une part, elle y fut responsable de 1985 à 1987, avec Jean Couturier, de la rubrique Arts sons, à l’affût des innovations artistiques et des nouvelles écritures. D’autre part, elle a connu une riche carrière radiophonique à France Culture, comme productrice de nombreuses Nuits magnétiques et comme collaboratrice d’autres émissions comme Le vif du sujet ou Radio Libre. Toujours avec Jean Couturier, elle a aussi créé le magazine Clair de nuit. Elle a enfin été responsable de l’émission Sur les docks, et conseillère de programme à France Culture.

Il était aussi important de rappeler l’apport de producteurs qui ne sont plus parmi nous. Céline Pardo s’intéresse ainsi aux jeux d’influence mutuels entre écriture pour la radio et écriture pour le support livre qui caractérisent le travail de Franck Venaille, décédé en 2018 quelques mois avant le colloque. Annie Pibarot, quant à elle, fait revivre Nicole-Lise Bernheim qui apparaît comme une précurseuse dans l’exploration des relations hommes/femmes, et dans l’écriture d’un journal intime en résonance avec l’Histoire en marche.

Notes

1 Biographie du 21 avril 1976. Notice Ina : PHD99247893.
2 Souvenir de Michel Chaillou dans Du jour au lendemain, France Culture, mardi 10 juillet 2007. Cependant, d’après la notice Ina, le récit a été réalisé en studio par Jean Couturier début avril 1977 et non en direct. Résumé de l’histoire : « Neuf hommes en perdition sur une banquise de l’Antarctique tentent, par le truchement d’un poste émetteur, de gagner la terre ferme. Le navire L’Aventure est encerclé par la banquise, le capitaine Prieur cherche à se faire entendre des secours… Le capitaine et l’équipage décident d’abandonner le navire et de rejoindre l’Ile de l’Eléphant… ne reste plus que neuf survivants » (notice Ina).
3 Dans son entretien pour le documentaire « Nuits magnétiques, bonsoir… » (France Culture, 3 septembre 2013), Alain Veinstein dit avoir voulu quant à lui se démarquer de De la nuit et de son aspect « littéraire » et « poétisant ».  V. notre article
4 V. notre article « De la nuit. De l’écrivain anonyme », Komodo 21, 8 | 2018.
5 Entretien avec Alain Veinstein pour le documentaire « Nuits magnétiques, bonsoir… », ém. citée.
6  Ibid.
7  Juste après la fin de Nuits magnétiques, alors coordonné par Colette Fellous, Alain Veinstein décide de créer une nouvelle émission, Surpris par la nuit, en souhaitant s’appuyer à nouveau sur des écrivains. Mais il ne parviendra pas à refidéliser une équipe d’écrivains. On peut citer Tanguy Viel parmi les écrivains producteurs les plus réguliers.
8  Citons, pour la première période : Pamela Doussaud, Yvette Tuchband, Josette Colin, Mehdi El Hadj, Bruno Sourcis.
9  Citons, pour les débuts de l’émission, la présence récurrente du journaliste Pascal Dupont, entre 1978 et 1980.

 

Auteur

Christophe Deleu est professeur à l’université de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d’enseignement du Journalisme). Il a publié plusieurs ouvrages, dont Le documentaire radiophonique (Ina-L’Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF. Il a co-réalisé la série de podcasts Fins du monde avec Marine Angé.  Il est président de la commission radio de la Société des Gens de Lettres.

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Nuits magnétiques, c’était mon bébé. Entretien avec Karine Le Bail

Karine Le Bail ‒ Lorsqu’on s’est retrouvés, Alain, pour préparer cet entretien [1], vous m’avez dit sans détour : « Nuits magnétiques, c’était mon bébé. » Avec toute l’affection d’un père, vous m’avez parlé de vos nuits à dormir dans votre bureau, du temps « fou » passé au début à construire cette radio pirate dans la radio, et puis de votre désir de « produire de la beauté » – ce sont vos mots. Il faut dire que chez ce bébé, pour filer la métaphore, il y a eu d’emblée beaucoup du père, poète, mais un poète « les pieds sur terre ». D’ailleurs votre « métier pour vivre », à cette époque-là, c’était d’administrer, à l’ORTF tout d’abord, puis à France Culture.

Mais le poète, donc. Il n’a guère tardé que vous imprimiez votre marque sur la radio en réussissant à introduire en 1975 dans la grille de France Culture l’émission Poésie ininterrompue, déjà avec l’ami Claude Royet-Journoud [2]. L’idée était de « quadriller » la chaîne par des éclairs de poésie… Avec l’idée de saisir de la poésie là où elle se niche sans forcément y prendre garde, dans les interstices. C’était déjà là le choix de ne pas restreindre la poésie à un genre mais de retrouver dans « tout ce qui a une densité de langue » (Claude Royet-Journoud) et donc pas seulement chez un poète mais aussi bien un philosophe, un essayiste, un romancier ; chez Nathalie Sarraute ou Georges Perec par exemple, invités dans Poésie ininterrompue. Crime de lèse-majesté pour les Grands poètes ?

Alain Veinstein ‒ C’est ça, je confie à Claude Royet-Journoud cette émission, qui voulait quadriller la grille de la chaîne, c’est-à-dire qu’on ne pouvait pas y échapper. Il y avait chaque jour quatre séquences de quatre à cinq minutes et en fin de semaine, un entretien avec le poète de la semaine, le poète invité. La grande différence avec beaucoup d’émissions de poésie qui se sont faites et qui se font à la radio, était que le poète lui-même lisait ses textes, et aussi les textes qu’il choisissait, représentatifs un peu de ses références d’écrivain dans le domaine français ou étranger. Et d’autre part, le poète tel que nous l’entendions était un écrivain soucieux de la densité de la parole et de son intensité, c’est ce souci que nous appelions poésie. Mais il pouvait très bien se trouver chez un prosateur. Par exemple, il y a eu une semaine avec Nathalie Sarraute en effet [3], et à ma connaissance Nathalie Sarraute n’a jamais écrit de poème au sens strict du terme, mais pour nous son écriture était une écriture poétique.

Karine Le Bail ‒ Était-ce la conception que vous aviez vous aussi de la poésie, en tant que poète ?

Alain Veinstein ‒ Complètement. Je pense que la poésie ne démissionne jamais, c’est-à-dire qu’elle prend le dessus quoi qu’il arrive. Quoi qu’il arrive. Même si on veut la cacher, l’étouffer, elle prend le dessus, elle finit par prendre le dessus. Si on la chasse, elle revient au galop. Pour moi, c’est clair que la poésie est au commencement. Je ne l’ai pas oubliée dans tous les métiers que j’ai faits et quand je suis arrivé à la radio, que je le veuille ou non c’est en poète que j’ai conçu les choses, à la recherche de cette densité et de cette intensité dont je vous parlais.

Karine Le Bail ‒ L’expérience de Poésie ininterrompue s’est mal terminée…

Alain Veinstein ‒ L’émission s’est mal terminée c’est vrai, au bout de trois ans je crois, parce que la poésie… dérange toujours. Elle perturbe toujours. Et nous avions, parmi nos plus grands ennemis, surtout des poètes ! Des poètes qui n’étaient pas invités, mais qui avaient eux aussi les pieds sur terre, et se répandaient dans les cabinets ministériels, à l’Assemblée nationale, etc., de telle sorte que, au bout d’un moment, la présidente de Radio France de l’époque, Jacqueline Baudrier, en a eu assez et nous a demandé d’arrêter l’expérience. Il faut dire que certains poèmes un peu… osés, avaient été lus à des heures de grande écoute et notamment le mercredi qui est le jour des enfants, ce qui fait que nous n’avions plus d’arguments à opposer à cette décision. Elle m’a paru quand même extrêmement fâcheuse, parce que c’était tout l’esprit de France Culture qui pour moi devait se révéler à travers cette présence quotidienne de la poésie.

Karine Le Bail ‒ Vous êtes revenu par une autre porte avec Nuits magnétiques,  véritable programme d’émissions dans lequel vous avez d’emblée mis en place, en collaboration avec des journalistes et des écrivains, d’une part des séries de reportages en prise avec le réel, avec le monde, de l’autre tout un ensemble de magazines où la poésie et la parole sur la poésie, au sens où vous l’entendiez, avaient leur place…

Alain Veinstein ‒ C’est vrai que, ne fréquentant que des écrivains depuis longtemps, malgré mes premiers pas administratifs à l’ORTF, j’ai aussitôt voulu travailler avec eux, parce que, tout simplement, nous parlions la même langue, et que… on se comprenait à mi-mot. Donc j’ai fait appel, même dans les quelques programmes réalisés avant Nuits magnétiques, à des gens plus connus comme écrivains que comme producteurs de radio et qui pour la plupart d’entre eux n’en n’avaient jamais fait. Je pense ici à Franck Venaille, qui était dans le programme que je réalisais chaque année à Avignon pendant le Festival ‒ nous faisions des samedis qui commençaient à 14h et qui se terminaient à minuit. Dans ce programme Franck Venaille faisait une séquence d’une demi-heure appelée Magnetic [4], et c’est vrai qu’en 1978, quand on a créé Nuits magnétiques, je m’en suis souvenu. Il y a eu au moins une quinzaine de titres qu’on a tournés dans tous les sens, avec Bruno Sourcis, le tout premier chargé de réalisation du programme, dans la cellule de montage 213 qui nous était affectée. On s’était arrêtés d’abord sur Les nuits magnétiques, pour ensuite raccourcir légèrement et arriver à Nuits magnétiques. Le titre s’est en quelque sorte imposé à nous, parce qu’il permettait de renvoyer non seulement à la bande magnétique et au travail qui se faisait à l’époque sur la bande magnétique, mais aussi à cette espèce de surprise, de fascination, d’attrait, que nous cherchions à donner à l’auditeur. Nous ne cherchions peut-être pas à le « scotcher » (le pauvre !), mais au moins à l’étonner, en lui donnant à écouter quelque chose qu’il n’avait pas l’impression d’avoir déjà entendu… des milliers de fois.

Et donc la famille des écrivains s’est agrandie parce que dans Magnetic de Franck Venaille, j’ai écouté un jour une voix et je me suis dit : « C’est exactement ça qu’il nous faut ». C’était la voix d’Olivier Kaeppelin, lui aussi poète, écrivain, collaborateur d’une revue de l’époque qui s’appelait Exit, une revue de littérature et de peinture. Dès que je l’ai pu j’ai appelé Olivier Kaeppelin pour lui proposer de nous rejoindre, ce qu’il a fait. Il y a eu aussi, Jean Daive, plutôt poète on va dire, et surtout quelqu’un qui a un regard comme peu de gens en ont, qui sait voir immédiatement la chose que vous n’avez pas vue. Ce pourquoi je lui ai proposé de faire dans Nuits magnétiques une émission consacrée à l’actualité de la peinture, des arts visuels en général, qui s’est appelée Peinture fraîche… Dans sa relation avec la parole, cette histoire du regard jouait aussi beaucoup. Il y a eu aussi Jean-Pierre Milovanoff. Cela a commencé par un entretien que j’ai fait avec lui dans une émission de Nuits magnétiques consacrée aux livres qui s’appelait Bruits de pages, « le magazine des livres qui ne font pas de bruit » [5]. J’ai un jour lu son deuxième roman, Rempart mobile, paru aux Éditions de Minuit. Je l’ai invité et là encore j’ai pensé que je ne pouvais pas ne pas lui demander de réfléchir à des projets de radio, ce qu’il a fait.

Karine Le Bail ‒ On va écouter ce moment de radio avec Milovanoff [extrait] [6]. Vous aviez le souvenir, Alain, que c’était une longue interview. Elle est en fait très courte, mais Milovanoff vous a « tapé » dans l’oreille : un mois après je crois ‒ cette interview date de mars ‒ Milovanoff va produire une Nuit magnétique.

Alain Veinstein ‒ Oui. Je me souviens l’avoir reçu dans mon bureau, au 6e étage, pour qu’il me parle de ses idées de radio, du projet qu’il avait, et… il a commencé à me raconter le projet comme si c’était une histoire. Il était complètement pris dedans. Il ne me regardait plus. Le téléphone sonnait, quelquefois j’étais obligé de répondre, la porte s’ouvrait, des gens montraient la tête et certains racontaient aussi ce qu’ils avaient à raconter, et Milovanoff continuait à me raconter son projet. Et ça c’est Milovanoff, quelqu’un qui est complètement possédé par ce qu’il raconte. Et évidemment pour la radio j’ai trouvé que c’était pas mal venu. Il faudrait citer aussi Mathieu Bénézet bien sûr, Jean-Pierre Ceton, qui a fait des entretiens magnifiques avec Marguerite Duras [7], d’autres encore.

Tous ces écrivains qui ont travaillé avec nous n’étaient pas ceux qui occupent la tête des listes de best-sellers, des meilleures ventes dans les journaux. C’était tous des gens pour qui la littérature était moins un faire-valoir qu’un « métier d’ignorance », pour reprendre une expression de Claude Royet-Journoud. C’était des poètes, et les poètes à chaque page écrivent la première page, forcément. Ils faisaient une série de temps en temps, ils ne pouvaient pas en faire très souvent. La radio demande un engagement à corps perdu, un engagement total, de mon point de vue en tout cas, et ils avaient besoin de payer leur loyer à la fin du mois aussi, de vivre tout simplement, et la radio ne le leur permettait pas. Ce qui fait que progressivement certains ont pris d’autres boulots, qui les ont éloignés de la radio, et est venu un moment où le manque d’écrivains s’est fait cruellement sentir. Il y a eu quelques exceptions tout de même. Dont une dans Surpris par la nuit, la seule émission vraiment comparable à celles de Nuits magnétiques, puisque au fond Surpris par la nuit a été, même plus ou moins chaotique, la poursuite de Nuits magnétiques.: je veux parler de Tanguy Viel, un écrivain qui a fait plusieurs séries, très intéressantes de mon point de vue.

Karine Le Bail ‒ Il faut parler aussi de Du jour au lendemain [8]…

Alain Veinstein ‒ Ah ! Du jour au lendemain n’en parlons pas, parce que si Nuits magnétiques c’était mon bébé, Du jour au lendemain c’était mon amoureuse [9] ! J’ai beaucoup aimé Du jour au lendemain pour sa légèreté: vous êtes seul avec un auteur et dans la cabine technique il y a un technicien et un réalisateur, c’est tout. Il n’y avait pas tout cet appareil de la radio derrière moi, si lourd quand vous faites une émission comme les Nuits magnétiques, avec ses contraintes administratives, techniques, etc. C’est très lourd et on passe beaucoup de temps à régler des problèmes qui n’ont absolument rien à voir avec le programme que vous voudriez faire. Avec Du jour au lendemain c’était une autre histoire.

Karine Le Bail ‒ On va peut-être terminer notre entretien sur ce propos nostalgique…

Alain Veinstein ‒ Vous savez ce que me disaient mes invités de Du jour au lendemain, en sortant du studio ? La plupart du temps ils me disaient : « J’ai l’impression de n’avoir rien dit ! » (silence) Quelquefois c’est quand on finit que tout commence…

Notes

1 Cet entretien a eu lieu à la SCAM (Paris) le 4 octobre 2018, en ouverture d’un colloque consacré à l’Atelier de création radiophonique et à Nuits magnétiques.
2 Sur cette émission diffusée du 7 avril 1975 au 1er avril 1979, on lira avec profit l’article d’Abigail Lang, « “Bien ou mal lire, telle n’est pas la question” : Poésie ininterrompue, archives sonores de la poésie », dans Poésie sur les ondes. La voix des poètes-producteurs à la radio, Pierre-Marie Héron, Marie Joqueviel-Bourjea, Céline Pardo (dir.), Rennes, PUR, « Interférences », 2018, p. 51-62.
3 Du 2 au 8 février 1976.
4 10 émissions en 1976 (du 17 juillet au 7 août), autant en 1977 (du 16 juillet au 6 août), le samedi, réalisation Bruno Sourcis.
5 V. Galia Yanoshevsky, « L’entretien littéraire dans Bruits de pages. Veinstein avant Veinstein », Komodo 21, 8 | 2018 : « L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985) ».
6 Bruits de pages du 1er mars 1978.
7 5 émissions quotidiennes, du lundi 27 au vendredi 31 octobre 1980, 22h35-23h. Entretiens publiés en 2012 (Paris, François Bourin éditeur), dans une version revue.
8 Émission associée au programme de Nuits magnétiques à partir de 1985, qu’elle prolonge jusqu’à une heure du matin; arrêtée en 2014 malgré son auteur, lequel, empêché de faire ses adieux au micro, les a publiés dans Du jour sans lendemain (Paris, Seuil, 2014).
9 Alain Veinstein raconte son périple radiophonique dans Radio sauvage (2010). L’intervieweur (2002) propose une version « roman » de l’activité mûrie dans Du jour au lendemain.

Auteur

Poète, dans les parages amicaux d’Yves Bonnefoy, André du Bouchet et Jacques Dupin d’abord, puis de « nouveaux venus” en poésie comme lui : Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud, Pascal Quignard, Jean Daive, Emmanuel Hocquard (animateur de la maison d’édition Orange Export Ltd.), Alain Veinstein est bien connu aujourd’hui comme créateur, à la radio, des Nuits magnétiques (1978-1998) et de l’émission d’entretiens Du jour au lendemain (1985-2014), deux grands mondes sonores de France Culture longuement évoqués par lui dans Radio sauvage (Seuil, 2010). C’est en 1975 qu’il passe du côté du micro, après un début de carrière dans l’administration de l’ORTF (bureau de lecture, direction du personnel, cabinet du président), qui de 1972 à 1974 le fait surtout s’occuper de télévision. A la dissolution de l’ORTF en 1974, Alain Veinstein demande à rejoindre Radio France puis France Culture et contribue avec Alain Trutat, dans l’équipe d’Yves Jaigu, à mettre en place la réforme des programmes de janvier 1975, dont l’indicatif, en quelque sorte, est… une émission de poésie diffusée quatre fois par jour, Poésie ininterrompue. En janvier 1978, désireux de « jouer la carte du programme et non pas de l’émission”, comme de renouveler « toute une conception figée du programme et de la parole radiophoniques, de ce qui est audible et de ce qui ne l’est pas” (Radio sauvage), il crée Nuits magnétiques, dont le style, la sensibilité à l’époque et la couleur sonore doivent beaucoup à l’équipe de réalisateurs, techniciens et producteurs de la première décennie, parmi lesquels Bruno Sourcis, Pamela Doussaud, Josette Colin, Mehdi El Hadj, et les quatre écrivains intervenant dans ce numéro : Franck Venaille, Olivier Kaeppelin, Jean Daive et Jean-Pierre Milovanoff. La coordination du programme est assurée par le poète de 1978 à avril 1984 et d’octobre 1987 à août 1990 ; par Laure Adler d’avril 1984 à octobre 1987 ; par Colette Fellous de septembre 1990 à juillet 1999. Dans Radio sauvage, Nuits magnétiques est présenté comme l’épicentre de toutes les émissions produites par Veinstein à côté ou après, qui en sont des déclinaisons directes ou indirectes : la matinale Le Goût du jour en 1984, Du jour au lendemain, La Nuit sur un plateau (1985-1987), Accès direct (1994-1996),Toit ouvrant (1996-1997) et surtout Surpris par la nuit (1999-2009), conçu comme la “nouvelle version de Nuits magnétiques” (Radio sauvage).

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Un nageur ?

Ce que j’ai entendu aujourd’hui me fait comprendre pourquoi, aussi hétérogènes étions-nous dans l’équipe de fondation des Nuits magnétiques, on s’est aimés, producteurs, réalisateurs et techniciens. Quand j’ai entendu Jean Daive, tout à l’heure, dire que ce qui l’intéressait, c’était la parole chorale ; quand il a parlé de recevoir en soi l’écho des autres ; quand il évoqué le latéral (dont j’ai parlé aussi dans le petit film fait par Phonurgia Nova pour le Festival de l’écoute 2018), et du fait que c’est gagné quand on ne sent plus que le micro est là, je me suis dit qu’à cette époque on s’aimait parce qu’on pensait beaucoup de choses de la même façon. Et pourtant, si je connaissais Jean Daive le poète parce que je lisais sa poésie, je peux dire que je n’écrivais pas du tout la poésie qu’il écrivait! Jean, c’était une amitié très différente de celle que j’avais avec Franck Venaille par exemple, qui était un ami très proche, un ami des matches de foot à Saint-Ouen, au Red Star, avec qui on allait aux stades, un ami que j’admirais – j’étais beaucoup plus jeune que lui, de onze ou douze ans. Franck Venaille, j’ai voulu le connaître parce qu’il écrivait ce qu’il écrivait, parce que j’admirais le poète. Je lui avait dit mon estime, et ensuite nous étions devenus, avec sa femme Micha et une autre personne à l’époque, très proches. C’était une autre sorte d’amitié, donc. Mais il y avait entre nous tous quelque chose de commun qui passait et qui nous liait.

Comment cela a-t-il commencé en ce qui me concerne ?

Par Alain Veinstein, dont j’aimais énormément un livre, Répétition sur les amas [1]. Je connaissais sa poésie mais pas la personne. Et un beau jour, par des biais que je ne connais pas – ou peut-être par un ethnologue-écrivain qui le connaissait, Jean-Marie Gibbal, qui a fait un très beau livre sur les rites de possession au Mali, Tambour d’eau [2]. J’ai reçu un coup de fil d’Alain Veinstein, qui m’a demandé de venir le voir, pour faire de la radio. C’était en 1977. J’y suis allé, et ça a été drôle. J’avais fondé à l’époque, en 1973, une revue qui disait notre lassitude de la situation, en littérature comme dans la société, Exit [3]. Alain Veinstein me dit qu’il a lu ma poésie, mais je comprends qu’il ne l’aimait pas beaucoup – cela a je crois, changé depuis ! – ; qu’en revanche il aime beaucoup une revue que j’avait créée, Exit : « C’est une réussite, en ce moment c’est ce qu’il faut faire. Venez pour faire ça. » Pas pour écrire, mais parce que cette revue, qui marchait bien dans la petite économie qui était la nôtre, était faite de tout ce qu’on a dit, le choral, le frottement entre les arts, les conceptions du fragment en littérature, les photos en noir et blanc, et aussi la périphérie. Pour revenir à Alain Veinstein, j’ai compris que c’est parce qu’il y avait Exit que je l’intéressais ; qu’il était en train de m’expliquer son envie de sortir des studios de la radio, d’aller dans la ville – Exit était une revue très urbaine. Et il me dit, le jour où je suis venu le voir : « Voilà, j’ai quelques idées. On va commencer par un terrain d’essai. Je ne suis pas sûr d’avoir cette émission à la rentrée, mais avant, si vous êtes d’accord vous ferez une ou deux émissions [4]. » Un peu plus tard commença la belle expérience Avignon ultra-sons.

On a commencé comme ça, et c’est là que s’est formé le premier noyau de Nuits magnétiques, à Avignon. L’autre noyau, c’était celui des réalisateurs, Bruno Sourcis [5], Mehdi El Hadj [6], Josette Colin [7], Yvette Tuchband [8], Pamela Doussaud [9] – une grande réalisatrice des Nuits, avec qui j’ai eu la chance immense de travailler. Sans oublier Jacques Taroni et les techniciens, passionnés de son, Madeleine Sola, et bien sûr, le créateur Yann Paranthoën. Certains de ces réalisateurs avaient déjà travaillé sur beaucoup d’émissions, pour France Inter ou France Culture, ils savaient parfaitement ce qui était attendu dans chaque chaîne de radio. Nous, les producteurs, n’avions pas conscience de ces attentes. On s’en fichait un peu; pour certains d’entre nous, on ne savait pas tout à fait ce qu’était la politique de France Culture ! Et malgré le professionnalisme remarquable de ces réalisateurs, on se permettait d’avoir nos idées, de leur faire des objections. Par exemple en disant qu’il fallait épuiser la parole de quelqu’un pour qu’il dise enfin vraiment ce qu’il avait à dire, qu’il fallait savoir créer une sorte de trou dans le discours. Vous imaginez, il fallait des bandes et des bandes d’enregistrement – c’était des bandes magnétiques d’un quart d’heure chacune – , une, deux, trois, quatre… ça défilait ! Pamela Doussaud me disait que ce n’était pas possible d’enregistrer autant, que ce n’était pas comme ça qu’on faisait. Je lui répondais que « oui mais si ». Et on travaillait des nuits entières ! On s’endormait sur les Revox… La radio c’était une passion commune, ils étaient remarquables. Le long compagnonnage avec eux et surtout Medhi El Hadj, m’a beaucoup appris. Et les autres réalisateurs, ceux qui ont suivi ou complété le premier noyau, étaient pareils. J’ai rarement vu dans ma vie un tel professionnalisme. Cette équipe était enthousiasmante. J’ai appris mon métier avec eux. Et c’est Alain Veinstein qui portait tout cela, le défendait et le mettait en musique.

Je me souviens d’une émission de format court que j’ai tenue, au sein du magazine des Nuits magnétiques. Elle s’appelait « Faits divers [10] ». Elle date du moment où Alain nous a dit : on va inventer un magazine. L’un a pris le cinéma, Serge Toubiana [11] ; un autre le théâtre, etc. Quant à moi, j’ai dit à Alain que, comme il le savait, je n’avais pas très envie de tenir une rubrique culturelle, que la culture qui m’intéressait c’était celle de la société, des gens. Je lui ai proposé de faire ces formats courts intitulés « Faits divers ». Il m’a demandé de définir, j’ai donc ouvert le dictionnaire et j’ai lu : « Faits auxquels on accorde peu ou pas d’importance. » Dès le départ, et encore aujourd’hui, j’ai compris qu’on ne pouvait comprendre le cœur du réel, d’une société, d’un individu, qu’à travers la périphérie ou à partir de la périphérie. Il était temps d’aller voir du côté des périphéries, mentales et physiques. Elles ont des effets analyseurs. Et c’est ce que j’ai fait dès ma première grande série à Nuits magnétiques, en cinq fois 1h30. C’était en 1979, avec Pamela Doussaud, et c’était sur les banlieues [12].

Dans « Faits divers », j’avais créé un dispositif construit sur le manque, le vide, une sorte de trou noir. Je me disais : pour que la parole soit vivante, il y a d’abord l’épuisement bien sûr, mais aussi le fait d’interroger les gens sur des situations pour lesquelles ils n’ont pas encore leurs mots. Ils n’ont pas les mots pour les dire, et donc ils vont être obligés de les chercher [13]. Et sur la bande-son, ça va s’entendre, qu’ils n’ont pas les mots, qu’ils sont en train de les chercher. On va entendre cette quête, souvent à partir de cette activité essentielle pour le cerveau – comme l’ont montré les neuro-généticiens – qu’est la surprise. Et donc, « Fait divers », c’était ça. Dans un de ces faits divers par exemple, j’interrogeais un « cadre » dans je ne sais quel bureau, qui avait été poignardé, descendant le long de la gare Saint-Lazare, par quelqu’un qui l’avait reconnu. En fait il ne l’avait pas reconnu, il avait cru que c’était un espion du KGB, qui venait pour lui, et c’est pour ça qu’il l’avait poignardé. J’avais parlé avec cet homme, il se demandait pourquoi il avait été poignardé, il essayait de trouver [14]. C’est cela qui m’intéressait : essayer de trouver. Mais ça pouvait être plus drôlatique ! Je me souviens d’un homme qui avait laissé le gaz allumé chez lui, dans le 13e arrondissement. Et quand il avait ouvert la porte et mis l’électricité, ça avait explosé, et des morceaux de l’étage étaient descendus. J’avais demandé au voisin ce qui s’était passé. Les gens étaient autour, lui était absent. Et là, on était en face d’êtres humains qui ne savaient pas comment répondre. Il y a cependant le langage qui nous réunit, ces mots qu’il va falloir énoncer, plus précisément nous allons entendre cette « danse », le mouvement de l’énonciation.

Je me souviens aussi d’un fait divers où un travesti avait été retrouvé mort dans un Algeco, le long du périphérique. Je connaissais ce quartier, où j’avais vécu, près de la porte de Pantin à Paris, et je m’étais dit : « Je n’ai jamais vu de travesti dans ce quartier, c’est curieux. » Et j’y suis allé, non parce qu’il était arrivé ça à un travesti, mais parce qu’un travesti dans ce quartier, plus ou moins ouvrier et artisan à l’époque, un travesti avec une robe rose, ça m’avait semblé très curieux. Il y a quelque chose qui avait dû se créer, un mouvement dans la tête des gens, et j’y suis allé pour ça. Et en effet les gens avec qui j’ai parlé étaient totalement stupéfaits ! Je me souviens d’un bout de phrase d’une personne : « Mais vous savez, cette… cette femme, cette femme, c’était un homme ! Je l’ai vu sur la bouche de métro, parce qu’il y avait du vent, et que sa robe s’est soulevée ! Mais je vous le dis Monsieur », etc. C’était pour lui une sidération. Et ce qui aussi était surprenant c’est que, quand on parlait de cela dans le quartier avec d’autres gens, ils se mettaient à parler d’autre chose. Dans ce cas-là, on était allé autour, dans une boulangerie notamment, et au bout d’une minute une personne s’était mise à me raconter comment son fils se droguait, qu’il fallait faire quelque chose pour lui, etc. Comme dans Pasolini, une chose en révélait une autre, et tout à coup on se trouvait devant… devant la vie humaine, tout simplement.

« Faits divers », c’était une partie de mon activité à Nuits magnétiques, plutôt du côté de la pauvreté, de la difficulté, de l’accident, etc. Il y avait une autre part, qui était du côté des chercheurs, des écrivains, parfois des savants. Ce qui m’intéressait là aussi, c’était quand ils n’avaient pas encore les mots pour leurs découvertes. Parce que j’ai un rapport très étroit à l’art, et que l’art vous apprend quelque chose. Par exemple, si vous regardez une œuvre d’art dans un musée et que vous continuez à tenir devant elle le discours que vous teniez avant d’entrer, avec votre connaissance en histoire de l’art, votre biographie, vos comparaisons, etc… vous comprenez qu’il n’y a pas d’art là-dedans, rien du tout [15]. L’art, c’est ce qui vous arrête, qui vient vers vous, qui crée dans ce fameux temps de suspens, où le trou se forme, où l’on se dit : « Mais qu’est-ce que je vois exactement ? » La langue « savante » va peut-être venir tourner autour, mais ça n’est pas le même langage. J’allais parler avec ces chercheurs ou ces écrivains pour simplement faire entendre leur parole en quête d’elle même.

En gros, toute mon activité à Nuits magnétiques, l’esprit de mon travail, se résument à ces deux aspects. D’un côté je parlais avec quelqu’un qui cherchait où dormir le soir, dans une gare, de l’autre je dialoguais avec Marianne Alphant [16], qui me parlait des cercles de Dante à propos de la banlieue, et les deux types de parole pour moi se mêlaient. La « philosophie » qui m’a guidé, c’est ça.

Ce qui m’intéressait aussi, c’était le son, la forme du son, qui est capitale pour moi. Pas le formalisme, qui est un « échec », mais la forme, cette prise en compte de la forme à la radio. Si on ne tient pas compte de tous les éléments qui construisent la forme, c’est raté. Faut-il parler de création ? À mon avis, non, mais peut-être ai-je tort ? Quand on écrit de la poésie, on s’appuie sur certains ressorts, que je connais ou pas du tout, je sais bien ce que ça mobilise en soi, en ce qui me concerne, mais la radio ce n’est pas tout à fait pareil. Peut-être faut-il parler de création « chorale », pour reprendre un mot employé tout à l’heure ? Ou encore d’une présence physique qu’il faut mettre en valeur. Avec Medhi El Hadj, nous avions cherché cela en faisant surgir le son d’une étrange terreur lors des parades du cirque Aligre.

Ce qui est certain, c’est que j’ai commencé par faire une erreur. Au début, je me suis dit que j’allais écrire ce que j’écris dans ma revue. J’écrivais des textes issus de l’héritage de William Burroughs, de Bob Kaufmann, de Jack Spicer et de quelqu’un qui a joué un grand rôle dans ma compréhension de la radio, qui est Charles Reznikoff. Et à un moment, dans les entretiens avec les gens, je me suis retrouvé dans une situation ridicule. J’écrivais tout ce que j’avais à dire, tout était scénarisé, et je me rendais compte que les gens en face de moi ne disaient pas ce que je voulais qu’ils disent pour être dans l’émission que je voulais faire ! C’est pour ça aussi que parfois les enregistrements duraient très longtemps ! Et là je me suis dit : tu te trompes absolument, ce qui compte, c’est la parole, c’est ça qui est important, alors que tu es en train d’empêcher son rythme propre. Tu ne tiens pas compte de la surprise. Tu es en train d’empêcher cette chose formidable qu’est la surprise, l’événement qui n’est pas le tien, qui est peut-être induit par ce que tu cherches, par la question mais qui est l’événement de celui qui te parle, et qui fait que tout cela est porteur de vie.

J’ai souvent parlé de la « parole énergumène ». Je n’ai jamais été un homme très optimiste, et je m’étais dit : je vais aller vers le réel, et je vais montrer toutes ses contradictions, toute la noirceur du réel, toute la souffrance que nous avons à vivre. Et c’est tout à fait autre chose qui m’est arrivé, c’est-à-dire que les gens qui me parlaient avait une parole « énergumène », qui bougeait, qui « hululait », qui était souple, etc. Et ils m’ont renvoyé, au contraire de ce que j’imaginais, à un théâtre vitaliste, un théâtre où chaque vie avait sa dynamique propre, son étonnante dynamique. Quand j’ai compris que je ne serai pas dans la position de quelqu’un qui écrit littérairement, mais cependant de quelqu’un d’extrêmement soucieux de la forme, je me suis dit qu’il fallait inventer cette forme, qu’elle se voie assez peu, qu’elle soit là mais qu’on ne l’entende pas, qu’on ne la voie pas. Je n’aime pas sentir la « fabrique ». Avec Mehdi El Hadj mais aussi avec Josette Colin, qui hélas est morte très jeune, et Yvette Tuchband, nous travaillions sur des émissions qui se calculaient au demi-centimètre près, il fallait s’arrêter là… Là il fallait ajouter un silence, etc., etc., c’est autre chose. On ne disait pas du tout : la parole doit être entourée par une belle atmosphère. Pour ce qui est de « Faits divers », c’était un exercice très difficile à faire, il fallait que ça tienne en six minutes, et que la « fabrique » n’apparaisse pas, qu’on ne la sente pas. Alors j’ai commencé à réfléchir, et je me suis dit : il faut travailler une forme très présente mais qui ne se voit pas, une forme qui au contraire va se tenir dessous, une forme qu’on ne sentira pas – mais qui sera là quand même ! Et là Reznikoff a beaucoup joué, ce poète objectiviste. Je cite la quatrième de couverture de son livre Témoignage. Les États-Unis paru en traduction chez P.O.L. :

Dans un entretien publié dans Contemporary Literature Charles Reznikoff, pour décrire sa démarche, citait un poète chinois du XIe siècle qui disait : « La poésie présente l’objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l’objet et réticente sur l’émotion. »

Ce livre, Témoignage, est celui qui m’a le plus servi de référence en radio. Là l’objet, tout d’un coup, c’était devenu la parole. Et c’était là où j’allais, dans des terrains vagues où ça n’avait pas été construit, dans les banlieues, où on ne savait plus exactement où on était et où tout d’un coup on voyait un café qui s’appelait « À la tendresse », et ainsi de suite… Dans une série appelée « Quatre hôtels », je proposais une vision de notre société en quatre émissions [17]. On allait des hôtels de la gare de l’Est au Ritz – on terminait au Ritz avec un gars qui nous disait : « Venez venez, Von Choltitz [18] est revenu et il a demandé à voir la chambre où il vivait pendant la guerre. » C’était le début des grandes vagues migrantes, et c’était une émission où il y avait beaucoup de solitude, d’errance. J’essayais à chaque fois que se disent des destins, des vies, des existences, on oubliait vite la solitude de Von Choltitz pour celle, dramatique, d’hôtels à la dérive avec des familles de migrants qui tentaient de survivre. Tout cette vie que je décrivais continue de m’effarer… Mais j’en reviens à Reznikoff : Témoignage [19], c’est un portrait des États-Unis sans aucune idéologie. C’est cela qui rend la société effarante : le fait de la décrire, tout simplement, sans idéologie.

Pour conclure, Nuits magnétiques, cela a été une aventure tout à fait extraordinaire, pour tous ceux qui l’ont vécu je crois, producteurs, réalisateurs, techniciens… J’ai eu d’autres aventures comparables; comme par exemple celle avec l’équipe fondatrice de L’Autre journal en 1984, avec Michel Butel (je crois que pour lui Nuits magnétiques avait beaucoup compté). Ce sont des expériences humaines passionnantes. J’ai commencé avec les idées qui étaient les miennes, pas très optimistes, sur la société. Mais l’humanité, les hommes, les femmes m’ont renvoyé une autre image, ils m’ont donné une leçon qui compte encore. C’est-à-dire que, quelle que soit la situation de détresse ou de solitude, quelle que soit l’incertitude de la situation, ils avaient une sorte d’énergie, de vitalité, qui faisait que, malgré l’angoisse, leur réponse était autre. Ce que j’en faisais dans « Faits divers » et ailleurs, était-ce de la création, je n’en sais rien ; mais en tout cas des lieux « publics » où se sont produites de la pensée et des formes, et c’est la forme qui ramasse la pensée. J’ai le plus grand respect pour les journalistes, car il y en a eu de grands. Un des écrivains qui compte le plus pour moi fut un journaliste, c’est James Agee, qui a écrit Louons maintenant les grands hommes ; c’est une référence essentielle. Mais ils ne sont pas tous comme lui, et si le modèle journalistique actuel prend le pas, on ne pourra plus faire des « choses » comme Nuits magnétiques. S’il n’y a pas d’expérience réelle, alors il n’y a que de l’information, disait à peu près Einstein : voilà ! Il faut au moins qu’il y ait une expérience réelle, c’est cette expérience des langages, la parole de mes contemporains que je suis allé chercher. La langue c’est un code, une grammaire, les langages c’est autre chose, et ce qui compte c’est l’interprétation. Et l’écriture en radio, c’est la forme de l’interprétation. Je pense certes que tout est interprétation. Mais ce qui est passionnant c’est le réel. Ce qui est paradoxal c’est de la trouver dans des paroles qui échappent aux symboliques. C’est ce mouvement d’aller-retour, physique et mental, permanent avec une histoire qui tout d’un coup est là. C’est ce que j’ai essayé de trouver.

Notes

Notes ajoutées par les éditeurs.

1 Paris, Mercure de France, 1974.

2 Paris, Le Sycomore, 1982.

3 Exit, revue trimestrielle, fondée par Olivier Kaeppelin, dirigée par Jean-Marie Gibbal. 13 numéros de décembre 1973 à l’automne 1977.

4 Olivier Kaeppelin a produit le « Journal d’Avignon, I » d’Avignon ultra-son, samedi 16 juillet 1977.

5 Grand pilier des Nuits magnétiques, actif jusqu’en 1993.

6 Un des piliers lui aussi, présent dès le départ et jusqu’en 1997.

7 Première réalisation pour Nuits magnétiques en octobre 1980. Elle y collabore jusqu’en 1997.

8 Elle collabore à Nuits magnétiques en 1978-1979.

9 Réalisatrice pour Nuits magnétiques dès le départ et jusqu’en 1993, comme Bruno Sourcis.

10 Rubrique mensuelle inaugurée lundi 5 octobre 1981, au sein de Risques de turbulence,magazine de l’actualité culturelle générale, diffusé du lundi au vendredi la première semaine du mois. Risques de turbulence et Devine qui vient dîner ce soir, magazine de poésie, s’ajoutent en octobre 1980 aux deux magazines de Nuits magnétiques lancés en octobre 1979 : Peinture fraîche et Sortie de secours. Olivier Kaeppelin présente le lieu choisi pour inaugurer sa rubrique comme symbolique : un parking, avec son gardien et son maître-chien. (Pierre Drachline reprendra le même titre, « Faits divers », pour une chronique tenue en 1985-1986 dans La nuit et le moment de Laure Adler, magazine d’actualité culturelle lancé en septembre 1985 dans Nuits magnétiques).

11 Il était alors rédacteur en chef des Cahiers du cinéma.

12 « Les banlieues », France Culture, Nuits magnétiques, du lundi 22 au vendredi 26 janvier 1979. Réal. Pamela Doussaud. « À l’époque, il s’agissait de rappeler l’importance de ces ensembles urbains qui marquent l’architecture et la vie du XXe siècle. De dire combien ils sont l’inconscient des grandes villes occidentales, et tout particulièrement de Paris, que nous avions choisi comme théâtre de nos rencontres et de nos marches. Car il y avait le désir de rencontrer, de parler, de donner la parole à cette réalité, c’est-à-dire à ceux qui la traversent, la peuplent ou la hantent » (Olivier Kaeppelin). « Grands boulevards », série en cinq émissions réalisée avec Josette Colin en 1981 (28 mars-2 octobre), s’inscrit dans la même démarche.

13 C’est ce qu’Olivier Kaeppelin explique à la suite du reportage diffusé le 7 janvier 1982, dans un court entretien avec Alain Veinstein. Les faits divers l’intéressent moins en eux-mêmes que par les « trous » qu’ils provoquent dans le langage des témoins ou des victimes : « tout d’un coup le sol se dérobe », le langage « ne trouve plus ses mots », il est « à la recherche de lui-même », il « cherche ses modèles » mais « n’arrive pas à trouver ses marques », et « ces blancs, c’est sans doute toute la force de la vie ». Si la rubrique « Faits divers » s’arrête en 1982, Olivier Kaeppelin produira quelques émissions de plus grand format sur les ricochets de parole créés par des faits divers, par exemple dans « L’identité troublée », émission diffusée lundi 16 janvier 1984, sur un adolescent de Pouru-Saint-Remy, près de Metz qui s’est passer pour un autre, dont il a vécu la vie pendant deux ans dans un petit village près de Charleroi : « S’il fut pendant près de trois ans le seul maître de son secret, de sa biographie, ce n’est cependant pas cela qui nous a intéressé mais, au contraire, l’effet que le récit de cette aventure, de cette dissimulation, de ce jeu sur l’identité, a produit sur ceux qui l’entouraient, ses proches, sa mère, ou ceux qui parcourent les mêmes lieux […] Cet effet produit du langage qui, quelque forme qu’il prenne, exprime la question, le doute, l’impuissance à comprendre. Il n’explique rien, il maintient une forme d’énigme. »

14 Risques de turbulence, émission du 7 janvier 1982.

15 C’est l’esprit de la série mensuelle Les premiers pas, premier numéro le 25 octobre 1985 (« Rivoli ou l’invention d’un musée »), dernier le 3 juillet 1987 (« Dans la ville peinte [Lyon] ou l’histoire d’un tableau »), qui s’efforce d’approcher un peu « l’expérience secrète, essentielle, énigmatique, qu’est l’expérience artistique » en prenant le temps du portrait, portrait d’un lieu, d’une œuvre, d’un « artiste » (boxeur, acteur, photographe, peintre…).

16 Dans la dernière émission de la série sur « Les banlieues », intitulée « L’énigme » (26 janvier 1979). Marianne Alphant avait publié l’année précédente un roman sur la banlieue, Le Ciel à Bezons (Gallimard, « Le Chemin »).

17 « Quatre hôtels », Nuits magnétiques, du mardi 27 au vendredi 30 novembre 1984, réal. Bruno Sourcis.

18 Nommé Gouverneur militaire du Grand Paris au matin du 7 août 1944, il refuse l’ordre de Hitler le 23 août suivant de détruire Paris plutôt que de se rendre et capitule deux jours après devant le général Leclerc.

19 Charles Reznikoff (1894-1976), Témoignage. Les États-Unis (1885-1915), Paris, P.O.L., 2012. Œuvre en plusieurs volumes dont la publication s’est étendue de 1934 à 1978. Hachette édite en 1981 la première période (années 1885-1890) dans une traduction de Jacques Roubaud.

Auteur

Poète, essayiste, critique d’art, animateur et collaborateur de revues, Olivier Kaeppelin a travaillé dans l’enseignement supérieur entre 1974 et 1986 (EPHE, Paris 8, Paris 1, Ecole des Beaux-Arts de Nantes), avant de rejoindre, au ministère de la Culture, la Délégation aux arts plastiques dont il prend la direction de 1993 à 1999 et à nouveau de 2004 à  2010. Entre 1999 et 2004, il occupe différents postes à Radio France, dont celui de directeur-adjoint de France Culture. Commissaire de nombreuses expositions d’art contemporain en France et dans le monde,  il dirige la Fondation Maeght de 2011 à  2017. Ses premiers pas à la radio ont lieu en 1976, quand Alain Veinstein, lecteur de sa revue Exit (1973-1977), l’invite à collaborer aux programmes spéciaux qu’il obtient de produire à France Culture jusqu’en 1978 (La réalité le mystèreAvignon ultra-sonLes derniers jours heureux). En 1978, Olivier Kaeppelin suit son ami à Nuits magnétiques. Il y devient un auteur régulier de séries documentaires et d’émissions diverses, abordant les sujets les plus variés, de l’urbanisme à la diplomatie, du journalisme aux questions de société, sans oublier les arts et la littérature. Certaines constituent des rubriques de magazines du programme : Risques de turbulence pour « Faits divers » (1981-1982), La nuit et le moment pour « Les premiers pas » (1985-1987), voire un de ces magazines : Document (1983-1984). Après le départ de Veinstein en 1990, la participation d’Olivier Kaeppelin à Nuits magnétiques se fait plus épisodique, jusqu’en 1994. De 1980 à 1984, il collabore aussi à l’émission de poésie Albatros sur France Culture. Ses grands intercesseurs en poésie sont italiens : Ungaretti, Pasolini, Adriano Spatola et d’autres du Gruppo 63, et américains : Charles Reznikoff, James Agee… Citons, parmi ses œuvres :  En bas (Baudouin Lebon éditeur, 1984, avec des gravures de Wolfgang Gäfgen), L’Embarcation des anges (Ed. Voix Richard Meier, 1986), Une ligne enterrée (Alma, 1987, avec six eaux-fortes et aquatintes de Vladimir Škoda), récemment réédité, Si je brûle la maison (Baudouin Lebon éditeur, 1987, avec des dessins de Wolfgang Gäfgen), Correspondances (La Différence, 1990, avec Jean-Claude Ruggirello), Un confident (Sixtus Éditions, 1998, sur des photographies de Christine Crozat), Passeurs de rêves [ELLE/IL] (éditions de la Fondation Daniel & Florence Guerlain, 2002), Encombrements. Correspondances avec Piotr Klemensiewicz (Actes Sud, 2005). Si ses premiers textes, au moment d’Exit, sont très liés aux thèmes de la ville et de l’errance (on pense à William S. Burroughs), sans quitter le souci du réel (cet espace mouvant entre la réalité et nous), Olivier Kaeppelin s’ouvre à partir de Si je brûle la maison à des préoccupations plus métaphysiques. Il a aussi écrit des « nouvelles », pour la revue L’Ennemi de Gérard-Georges Lemaire (Christian Bourgois, 1980-1996). Ses poèmes ont été traduits notamment pour les anthologies Poesia della Metamorfosi (Stilb, 1984, trad. italienne Fabio Doplicher) et French Poets of Today (Guernica Editions, 1999, trad. anglaise Jean-Yves Reuzeau). Dernière publication : dans la revue Dream Big, janvier 2021.

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