Ce que j’ai entendu aujourd’hui me fait comprendre pourquoi, aussi hétérogènes étions-nous dans l’équipe de fondation des Nuits magnétiques, on s’est aimés, producteurs, réalisateurs et techniciens. Quand j’ai entendu Jean Daive, tout à l’heure, dire que ce qui l’intéressait, c’était la parole chorale ; quand il a parlé de recevoir en soi l’écho des autres ; quand il évoqué le latéral (dont j’ai parlé aussi dans le petit film fait par Phonurgia Nova pour le Festival de l’écoute 2018), et du fait que c’est gagné quand on ne sent plus que le micro est là, je me suis dit qu’à cette époque on s’aimait parce qu’on pensait beaucoup de choses de la même façon. Et pourtant, si je connaissais Jean Daive le poète parce que je lisais sa poésie, je peux dire que je n’écrivais pas du tout la poésie qu’il écrivait! Jean, c’était une amitié très différente de celle que j’avais avec Franck Venaille par exemple, qui était un ami très proche, un ami des matches de foot à Saint-Ouen, au Red Star, avec qui on allait aux stades, un ami que j’admirais – j’étais beaucoup plus jeune que lui, de onze ou douze ans. Franck Venaille, j’ai voulu le connaître parce qu’il écrivait ce qu’il écrivait, parce que j’admirais le poète. Je lui avait dit mon estime, et ensuite nous étions devenus, avec sa femme Micha et une autre personne à l’époque, très proches. C’était une autre sorte d’amitié, donc. Mais il y avait entre nous tous quelque chose de commun qui passait et qui nous liait.
Comment cela a-t-il commencé en ce qui me concerne ?
Par Alain Veinstein, dont j’aimais énormément un livre, Répétition sur les amas [1]. Je connaissais sa poésie mais pas la personne. Et un beau jour, par des biais que je ne connais pas – ou peut-être par un ethnologue-écrivain qui le connaissait, Jean-Marie Gibbal, qui a fait un très beau livre sur les rites de possession au Mali, Tambour d’eau [2]. J’ai reçu un coup de fil d’Alain Veinstein, qui m’a demandé de venir le voir, pour faire de la radio. C’était en 1977. J’y suis allé, et ça a été drôle. J’avais fondé à l’époque, en 1973, une revue qui disait notre lassitude de la situation, en littérature comme dans la société, Exit [3]. Alain Veinstein me dit qu’il a lu ma poésie, mais je comprends qu’il ne l’aimait pas beaucoup – cela a je crois, changé depuis ! – ; qu’en revanche il aime beaucoup une revue que j’avait créée, Exit : « C’est une réussite, en ce moment c’est ce qu’il faut faire. Venez pour faire ça. » Pas pour écrire, mais parce que cette revue, qui marchait bien dans la petite économie qui était la nôtre, était faite de tout ce qu’on a dit, le choral, le frottement entre les arts, les conceptions du fragment en littérature, les photos en noir et blanc, et aussi la périphérie. Pour revenir à Alain Veinstein, j’ai compris que c’est parce qu’il y avait Exit que je l’intéressais ; qu’il était en train de m’expliquer son envie de sortir des studios de la radio, d’aller dans la ville – Exit était une revue très urbaine. Et il me dit, le jour où je suis venu le voir : « Voilà, j’ai quelques idées. On va commencer par un terrain d’essai. Je ne suis pas sûr d’avoir cette émission à la rentrée, mais avant, si vous êtes d’accord vous ferez une ou deux émissions [4]. » Un peu plus tard commença la belle expérience Avignon ultra-sons.
On a commencé comme ça, et c’est là que s’est formé le premier noyau de Nuits magnétiques, à Avignon. L’autre noyau, c’était celui des réalisateurs, Bruno Sourcis [5], Mehdi El Hadj [6], Josette Colin [7], Yvette Tuchband [8], Pamela Doussaud [9] – une grande réalisatrice des Nuits, avec qui j’ai eu la chance immense de travailler. Sans oublier Jacques Taroni et les techniciens, passionnés de son, Madeleine Sola, et bien sûr, le créateur Yann Paranthoën. Certains de ces réalisateurs avaient déjà travaillé sur beaucoup d’émissions, pour France Inter ou France Culture, ils savaient parfaitement ce qui était attendu dans chaque chaîne de radio. Nous, les producteurs, n’avions pas conscience de ces attentes. On s’en fichait un peu; pour certains d’entre nous, on ne savait pas tout à fait ce qu’était la politique de France Culture ! Et malgré le professionnalisme remarquable de ces réalisateurs, on se permettait d’avoir nos idées, de leur faire des objections. Par exemple en disant qu’il fallait épuiser la parole de quelqu’un pour qu’il dise enfin vraiment ce qu’il avait à dire, qu’il fallait savoir créer une sorte de trou dans le discours. Vous imaginez, il fallait des bandes et des bandes d’enregistrement – c’était des bandes magnétiques d’un quart d’heure chacune – , une, deux, trois, quatre… ça défilait ! Pamela Doussaud me disait que ce n’était pas possible d’enregistrer autant, que ce n’était pas comme ça qu’on faisait. Je lui répondais que « oui mais si ». Et on travaillait des nuits entières ! On s’endormait sur les Revox… La radio c’était une passion commune, ils étaient remarquables. Le long compagnonnage avec eux et surtout Medhi El Hadj, m’a beaucoup appris. Et les autres réalisateurs, ceux qui ont suivi ou complété le premier noyau, étaient pareils. J’ai rarement vu dans ma vie un tel professionnalisme. Cette équipe était enthousiasmante. J’ai appris mon métier avec eux. Et c’est Alain Veinstein qui portait tout cela, le défendait et le mettait en musique.
Je me souviens d’une émission de format court que j’ai tenue, au sein du magazine des Nuits magnétiques. Elle s’appelait « Faits divers [10] ». Elle date du moment où Alain nous a dit : on va inventer un magazine. L’un a pris le cinéma, Serge Toubiana [11] ; un autre le théâtre, etc. Quant à moi, j’ai dit à Alain que, comme il le savait, je n’avais pas très envie de tenir une rubrique culturelle, que la culture qui m’intéressait c’était celle de la société, des gens. Je lui ai proposé de faire ces formats courts intitulés « Faits divers ». Il m’a demandé de définir, j’ai donc ouvert le dictionnaire et j’ai lu : « Faits auxquels on accorde peu ou pas d’importance. » Dès le départ, et encore aujourd’hui, j’ai compris qu’on ne pouvait comprendre le cœur du réel, d’une société, d’un individu, qu’à travers la périphérie ou à partir de la périphérie. Il était temps d’aller voir du côté des périphéries, mentales et physiques. Elles ont des effets analyseurs. Et c’est ce que j’ai fait dès ma première grande série à Nuits magnétiques, en cinq fois 1h30. C’était en 1979, avec Pamela Doussaud, et c’était sur les banlieues [12].
Dans « Faits divers », j’avais créé un dispositif construit sur le manque, le vide, une sorte de trou noir. Je me disais : pour que la parole soit vivante, il y a d’abord l’épuisement bien sûr, mais aussi le fait d’interroger les gens sur des situations pour lesquelles ils n’ont pas encore leurs mots. Ils n’ont pas les mots pour les dire, et donc ils vont être obligés de les chercher [13]. Et sur la bande-son, ça va s’entendre, qu’ils n’ont pas les mots, qu’ils sont en train de les chercher. On va entendre cette quête, souvent à partir de cette activité essentielle pour le cerveau – comme l’ont montré les neuro-généticiens – qu’est la surprise. Et donc, « Fait divers », c’était ça. Dans un de ces faits divers par exemple, j’interrogeais un « cadre » dans je ne sais quel bureau, qui avait été poignardé, descendant le long de la gare Saint-Lazare, par quelqu’un qui l’avait reconnu. En fait il ne l’avait pas reconnu, il avait cru que c’était un espion du KGB, qui venait pour lui, et c’est pour ça qu’il l’avait poignardé. J’avais parlé avec cet homme, il se demandait pourquoi il avait été poignardé, il essayait de trouver [14]. C’est cela qui m’intéressait : essayer de trouver. Mais ça pouvait être plus drôlatique ! Je me souviens d’un homme qui avait laissé le gaz allumé chez lui, dans le 13e arrondissement. Et quand il avait ouvert la porte et mis l’électricité, ça avait explosé, et des morceaux de l’étage étaient descendus. J’avais demandé au voisin ce qui s’était passé. Les gens étaient autour, lui était absent. Et là, on était en face d’êtres humains qui ne savaient pas comment répondre. Il y a cependant le langage qui nous réunit, ces mots qu’il va falloir énoncer, plus précisément nous allons entendre cette « danse », le mouvement de l’énonciation.
Je me souviens aussi d’un fait divers où un travesti avait été retrouvé mort dans un Algeco, le long du périphérique. Je connaissais ce quartier, où j’avais vécu, près de la porte de Pantin à Paris, et je m’étais dit : « Je n’ai jamais vu de travesti dans ce quartier, c’est curieux. » Et j’y suis allé, non parce qu’il était arrivé ça à un travesti, mais parce qu’un travesti dans ce quartier, plus ou moins ouvrier et artisan à l’époque, un travesti avec une robe rose, ça m’avait semblé très curieux. Il y a quelque chose qui avait dû se créer, un mouvement dans la tête des gens, et j’y suis allé pour ça. Et en effet les gens avec qui j’ai parlé étaient totalement stupéfaits ! Je me souviens d’un bout de phrase d’une personne : « Mais vous savez, cette… cette femme, cette femme, c’était un homme ! Je l’ai vu sur la bouche de métro, parce qu’il y avait du vent, et que sa robe s’est soulevée ! Mais je vous le dis Monsieur », etc. C’était pour lui une sidération. Et ce qui aussi était surprenant c’est que, quand on parlait de cela dans le quartier avec d’autres gens, ils se mettaient à parler d’autre chose. Dans ce cas-là, on était allé autour, dans une boulangerie notamment, et au bout d’une minute une personne s’était mise à me raconter comment son fils se droguait, qu’il fallait faire quelque chose pour lui, etc. Comme dans Pasolini, une chose en révélait une autre, et tout à coup on se trouvait devant… devant la vie humaine, tout simplement.
« Faits divers », c’était une partie de mon activité à Nuits magnétiques, plutôt du côté de la pauvreté, de la difficulté, de l’accident, etc. Il y avait une autre part, qui était du côté des chercheurs, des écrivains, parfois des savants. Ce qui m’intéressait là aussi, c’était quand ils n’avaient pas encore les mots pour leurs découvertes. Parce que j’ai un rapport très étroit à l’art, et que l’art vous apprend quelque chose. Par exemple, si vous regardez une œuvre d’art dans un musée et que vous continuez à tenir devant elle le discours que vous teniez avant d’entrer, avec votre connaissance en histoire de l’art, votre biographie, vos comparaisons, etc… vous comprenez qu’il n’y a pas d’art là-dedans, rien du tout [15]. L’art, c’est ce qui vous arrête, qui vient vers vous, qui crée dans ce fameux temps de suspens, où le trou se forme, où l’on se dit : « Mais qu’est-ce que je vois exactement ? » La langue « savante » va peut-être venir tourner autour, mais ça n’est pas le même langage. J’allais parler avec ces chercheurs ou ces écrivains pour simplement faire entendre leur parole en quête d’elle même.
En gros, toute mon activité à Nuits magnétiques, l’esprit de mon travail, se résument à ces deux aspects. D’un côté je parlais avec quelqu’un qui cherchait où dormir le soir, dans une gare, de l’autre je dialoguais avec Marianne Alphant [16], qui me parlait des cercles de Dante à propos de la banlieue, et les deux types de parole pour moi se mêlaient. La « philosophie » qui m’a guidé, c’est ça.
Ce qui m’intéressait aussi, c’était le son, la forme du son, qui est capitale pour moi. Pas le formalisme, qui est un « échec », mais la forme, cette prise en compte de la forme à la radio. Si on ne tient pas compte de tous les éléments qui construisent la forme, c’est raté. Faut-il parler de création ? À mon avis, non, mais peut-être ai-je tort ? Quand on écrit de la poésie, on s’appuie sur certains ressorts, que je connais ou pas du tout, je sais bien ce que ça mobilise en soi, en ce qui me concerne, mais la radio ce n’est pas tout à fait pareil. Peut-être faut-il parler de création « chorale », pour reprendre un mot employé tout à l’heure ? Ou encore d’une présence physique qu’il faut mettre en valeur. Avec Medhi El Hadj, nous avions cherché cela en faisant surgir le son d’une étrange terreur lors des parades du cirque Aligre.
Ce qui est certain, c’est que j’ai commencé par faire une erreur. Au début, je me suis dit que j’allais écrire ce que j’écris dans ma revue. J’écrivais des textes issus de l’héritage de William Burroughs, de Bob Kaufmann, de Jack Spicer et de quelqu’un qui a joué un grand rôle dans ma compréhension de la radio, qui est Charles Reznikoff. Et à un moment, dans les entretiens avec les gens, je me suis retrouvé dans une situation ridicule. J’écrivais tout ce que j’avais à dire, tout était scénarisé, et je me rendais compte que les gens en face de moi ne disaient pas ce que je voulais qu’ils disent pour être dans l’émission que je voulais faire ! C’est pour ça aussi que parfois les enregistrements duraient très longtemps ! Et là je me suis dit : tu te trompes absolument, ce qui compte, c’est la parole, c’est ça qui est important, alors que tu es en train d’empêcher son rythme propre. Tu ne tiens pas compte de la surprise. Tu es en train d’empêcher cette chose formidable qu’est la surprise, l’événement qui n’est pas le tien, qui est peut-être induit par ce que tu cherches, par la question mais qui est l’événement de celui qui te parle, et qui fait que tout cela est porteur de vie.
J’ai souvent parlé de la « parole énergumène ». Je n’ai jamais été un homme très optimiste, et je m’étais dit : je vais aller vers le réel, et je vais montrer toutes ses contradictions, toute la noirceur du réel, toute la souffrance que nous avons à vivre. Et c’est tout à fait autre chose qui m’est arrivé, c’est-à-dire que les gens qui me parlaient avait une parole « énergumène », qui bougeait, qui « hululait », qui était souple, etc. Et ils m’ont renvoyé, au contraire de ce que j’imaginais, à un théâtre vitaliste, un théâtre où chaque vie avait sa dynamique propre, son étonnante dynamique. Quand j’ai compris que je ne serai pas dans la position de quelqu’un qui écrit littérairement, mais cependant de quelqu’un d’extrêmement soucieux de la forme, je me suis dit qu’il fallait inventer cette forme, qu’elle se voie assez peu, qu’elle soit là mais qu’on ne l’entende pas, qu’on ne la voie pas. Je n’aime pas sentir la « fabrique ». Avec Mehdi El Hadj mais aussi avec Josette Colin, qui hélas est morte très jeune, et Yvette Tuchband, nous travaillions sur des émissions qui se calculaient au demi-centimètre près, il fallait s’arrêter là… Là il fallait ajouter un silence, etc., etc., c’est autre chose. On ne disait pas du tout : la parole doit être entourée par une belle atmosphère. Pour ce qui est de « Faits divers », c’était un exercice très difficile à faire, il fallait que ça tienne en six minutes, et que la « fabrique » n’apparaisse pas, qu’on ne la sente pas. Alors j’ai commencé à réfléchir, et je me suis dit : il faut travailler une forme très présente mais qui ne se voit pas, une forme qui au contraire va se tenir dessous, une forme qu’on ne sentira pas – mais qui sera là quand même ! Et là Reznikoff a beaucoup joué, ce poète objectiviste. Je cite la quatrième de couverture de son livre Témoignage. Les États-Unis paru en traduction chez P.O.L. :
Dans un entretien publié dans Contemporary Literature Charles Reznikoff, pour décrire sa démarche, citait un poète chinois du XIe siècle qui disait : « La poésie présente l’objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l’objet et réticente sur l’émotion. »
Ce livre, Témoignage, est celui qui m’a le plus servi de référence en radio. Là l’objet, tout d’un coup, c’était devenu la parole. Et c’était là où j’allais, dans des terrains vagues où ça n’avait pas été construit, dans les banlieues, où on ne savait plus exactement où on était et où tout d’un coup on voyait un café qui s’appelait « À la tendresse », et ainsi de suite… Dans une série appelée « Quatre hôtels », je proposais une vision de notre société en quatre émissions [17]. On allait des hôtels de la gare de l’Est au Ritz – on terminait au Ritz avec un gars qui nous disait : « Venez venez, Von Choltitz [18] est revenu et il a demandé à voir la chambre où il vivait pendant la guerre. » C’était le début des grandes vagues migrantes, et c’était une émission où il y avait beaucoup de solitude, d’errance. J’essayais à chaque fois que se disent des destins, des vies, des existences, on oubliait vite la solitude de Von Choltitz pour celle, dramatique, d’hôtels à la dérive avec des familles de migrants qui tentaient de survivre. Tout cette vie que je décrivais continue de m’effarer… Mais j’en reviens à Reznikoff : Témoignage [19], c’est un portrait des États-Unis sans aucune idéologie. C’est cela qui rend la société effarante : le fait de la décrire, tout simplement, sans idéologie.
Pour conclure, Nuits magnétiques, cela a été une aventure tout à fait extraordinaire, pour tous ceux qui l’ont vécu je crois, producteurs, réalisateurs, techniciens… J’ai eu d’autres aventures comparables; comme par exemple celle avec l’équipe fondatrice de L’Autre journal en 1984, avec Michel Butel (je crois que pour lui Nuits magnétiques avait beaucoup compté). Ce sont des expériences humaines passionnantes. J’ai commencé avec les idées qui étaient les miennes, pas très optimistes, sur la société. Mais l’humanité, les hommes, les femmes m’ont renvoyé une autre image, ils m’ont donné une leçon qui compte encore. C’est-à-dire que, quelle que soit la situation de détresse ou de solitude, quelle que soit l’incertitude de la situation, ils avaient une sorte d’énergie, de vitalité, qui faisait que, malgré l’angoisse, leur réponse était autre. Ce que j’en faisais dans « Faits divers » et ailleurs, était-ce de la création, je n’en sais rien ; mais en tout cas des lieux « publics » où se sont produites de la pensée et des formes, et c’est la forme qui ramasse la pensée. J’ai le plus grand respect pour les journalistes, car il y en a eu de grands. Un des écrivains qui compte le plus pour moi fut un journaliste, c’est James Agee, qui a écrit Louons maintenant les grands hommes ; c’est une référence essentielle. Mais ils ne sont pas tous comme lui, et si le modèle journalistique actuel prend le pas, on ne pourra plus faire des « choses » comme Nuits magnétiques. S’il n’y a pas d’expérience réelle, alors il n’y a que de l’information, disait à peu près Einstein : voilà ! Il faut au moins qu’il y ait une expérience réelle, c’est cette expérience des langages, la parole de mes contemporains que je suis allé chercher. La langue c’est un code, une grammaire, les langages c’est autre chose, et ce qui compte c’est l’interprétation. Et l’écriture en radio, c’est la forme de l’interprétation. Je pense certes que tout est interprétation. Mais ce qui est passionnant c’est le réel. Ce qui est paradoxal c’est de la trouver dans des paroles qui échappent aux symboliques. C’est ce mouvement d’aller-retour, physique et mental, permanent avec une histoire qui tout d’un coup est là. C’est ce que j’ai essayé de trouver.
Notes
Notes ajoutées par les éditeurs.
1 Paris, Mercure de France, 1974.
2 Paris, Le Sycomore, 1982.
3 Exit, revue trimestrielle, fondée par Olivier Kaeppelin, dirigée par Jean-Marie Gibbal. 13 numéros de décembre 1973 à l’automne 1977.
4 Olivier Kaeppelin a produit le « Journal d’Avignon, I » d’Avignon ultra-son, samedi 16 juillet 1977.
5 Grand pilier des Nuits magnétiques, actif jusqu’en 1993.
6 Un des piliers lui aussi, présent dès le départ et jusqu’en 1997.
7 Première réalisation pour Nuits magnétiques en octobre 1980. Elle y collabore jusqu’en 1997.
8 Elle collabore à Nuits magnétiques en 1978-1979.
9 Réalisatrice pour Nuits magnétiques dès le départ et jusqu’en 1993, comme Bruno Sourcis.
10 Rubrique mensuelle inaugurée lundi 5 octobre 1981, au sein de Risques de turbulence,magazine de l’actualité culturelle générale, diffusé du lundi au vendredi la première semaine du mois. Risques de turbulence et Devine qui vient dîner ce soir, magazine de poésie, s’ajoutent en octobre 1980 aux deux magazines de Nuits magnétiques lancés en octobre 1979 : Peinture fraîche et Sortie de secours. Olivier Kaeppelin présente le lieu choisi pour inaugurer sa rubrique comme symbolique : un parking, avec son gardien et son maître-chien. (Pierre Drachline reprendra le même titre, « Faits divers », pour une chronique tenue en 1985-1986 dans La nuit et le moment de Laure Adler, magazine d’actualité culturelle lancé en septembre 1985 dans Nuits magnétiques).
11 Il était alors rédacteur en chef des Cahiers du cinéma.
12 « Les banlieues », France Culture, Nuits magnétiques, du lundi 22 au vendredi 26 janvier 1979. Réal. Pamela Doussaud. « À l’époque, il s’agissait de rappeler l’importance de ces ensembles urbains qui marquent l’architecture et la vie du XXe siècle. De dire combien ils sont l’inconscient des grandes villes occidentales, et tout particulièrement de Paris, que nous avions choisi comme théâtre de nos rencontres et de nos marches. Car il y avait le désir de rencontrer, de parler, de donner la parole à cette réalité, c’est-à-dire à ceux qui la traversent, la peuplent ou la hantent » (Olivier Kaeppelin). « Grands boulevards », série en cinq émissions réalisée avec Josette Colin en 1981 (28 mars-2 octobre), s’inscrit dans la même démarche.
13 C’est ce qu’Olivier Kaeppelin explique à la suite du reportage diffusé le 7 janvier 1982, dans un court entretien avec Alain Veinstein. Les faits divers l’intéressent moins en eux-mêmes que par les « trous » qu’ils provoquent dans le langage des témoins ou des victimes : « tout d’un coup le sol se dérobe », le langage « ne trouve plus ses mots », il est « à la recherche de lui-même », il « cherche ses modèles » mais « n’arrive pas à trouver ses marques », et « ces blancs, c’est sans doute toute la force de la vie ». Si la rubrique « Faits divers » s’arrête en 1982, Olivier Kaeppelin produira quelques émissions de plus grand format sur les ricochets de parole créés par des faits divers, par exemple dans « L’identité troublée », émission diffusée lundi 16 janvier 1984, sur un adolescent de Pouru-Saint-Remy, près de Metz qui s’est passer pour un autre, dont il a vécu la vie pendant deux ans dans un petit village près de Charleroi : « S’il fut pendant près de trois ans le seul maître de son secret, de sa biographie, ce n’est cependant pas cela qui nous a intéressé mais, au contraire, l’effet que le récit de cette aventure, de cette dissimulation, de ce jeu sur l’identité, a produit sur ceux qui l’entouraient, ses proches, sa mère, ou ceux qui parcourent les mêmes lieux […] Cet effet produit du langage qui, quelque forme qu’il prenne, exprime la question, le doute, l’impuissance à comprendre. Il n’explique rien, il maintient une forme d’énigme. »
14 Risques de turbulence, émission du 7 janvier 1982.
15 C’est l’esprit de la série mensuelle Les premiers pas, premier numéro le 25 octobre 1985 (« Rivoli ou l’invention d’un musée »), dernier le 3 juillet 1987 (« Dans la ville peinte [Lyon] ou l’histoire d’un tableau »), qui s’efforce d’approcher un peu « l’expérience secrète, essentielle, énigmatique, qu’est l’expérience artistique » en prenant le temps du portrait, portrait d’un lieu, d’une œuvre, d’un « artiste » (boxeur, acteur, photographe, peintre…).
16 Dans la dernière émission de la série sur « Les banlieues », intitulée « L’énigme » (26 janvier 1979). Marianne Alphant avait publié l’année précédente un roman sur la banlieue, Le Ciel à Bezons (Gallimard, « Le Chemin »).
17 « Quatre hôtels », Nuits magnétiques, du mardi 27 au vendredi 30 novembre 1984, réal. Bruno Sourcis.
18 Nommé Gouverneur militaire du Grand Paris au matin du 7 août 1944, il refuse l’ordre de Hitler le 23 août suivant de détruire Paris plutôt que de se rendre et capitule deux jours après devant le général Leclerc.
19 Charles Reznikoff (1894-1976), Témoignage. Les États-Unis (1885-1915), Paris, P.O.L., 2012. Œuvre en plusieurs volumes dont la publication s’est étendue de 1934 à 1978. Hachette édite en 1981 la première période (années 1885-1890) dans une traduction de Jacques Roubaud.
Auteur
Poète, essayiste, critique d’art, animateur et collaborateur de revues, Olivier Kaeppelin a travaillé dans l’enseignement supérieur entre 1974 et 1986 (EPHE, Paris 8, Paris 1, Ecole des Beaux-Arts de Nantes), avant de rejoindre, au ministère de la Culture, la Délégation aux arts plastiques dont il prend la direction de 1993 à 1999 et à nouveau de 2004 à 2010. Entre 1999 et 2004, il occupe différents postes à Radio France, dont celui de directeur-adjoint de France Culture. Commissaire de nombreuses expositions d’art contemporain en France et dans le monde, il dirige la Fondation Maeght de 2011 à 2017. Ses premiers pas à la radio ont lieu en 1976, quand Alain Veinstein, lecteur de sa revue Exit (1973-1977), l’invite à collaborer aux programmes spéciaux qu’il obtient de produire à France Culture jusqu’en 1978 (La réalité le mystère, Avignon ultra-son, Les derniers jours heureux). En 1978, Olivier Kaeppelin suit son ami à Nuits magnétiques. Il y devient un auteur régulier de séries documentaires et d’émissions diverses, abordant les sujets les plus variés, de l’urbanisme à la diplomatie, du journalisme aux questions de société, sans oublier les arts et la littérature. Certaines constituent des rubriques de magazines du programme : Risques de turbulence pour « Faits divers » (1981-1982), La nuit et le moment pour « Les premiers pas » (1985-1987), voire un de ces magazines : Document (1983-1984). Après le départ de Veinstein en 1990, la participation d’Olivier Kaeppelin à Nuits magnétiques se fait plus épisodique, jusqu’en 1994. De 1980 à 1984, il collabore aussi à l’émission de poésie Albatros sur France Culture. Ses grands intercesseurs en poésie sont italiens : Ungaretti, Pasolini, Adriano Spatola et d’autres du Gruppo 63, et américains : Charles Reznikoff, James Agee… Citons, parmi ses œuvres : En bas (Baudouin Lebon éditeur, 1984, avec des gravures de Wolfgang Gäfgen), L’Embarcation des anges (Ed. Voix Richard Meier, 1986), Une ligne enterrée (Alma, 1987, avec six eaux-fortes et aquatintes de Vladimir Škoda), récemment réédité, Si je brûle la maison (Baudouin Lebon éditeur, 1987, avec des dessins de Wolfgang Gäfgen), Correspondances (La Différence, 1990, avec Jean-Claude Ruggirello), Un confident (Sixtus Éditions, 1998, sur des photographies de Christine Crozat), Passeurs de rêves [ELLE/IL] (éditions de la Fondation Daniel & Florence Guerlain, 2002), Encombrements. Correspondances avec Piotr Klemensiewicz (Actes Sud, 2005). Si ses premiers textes, au moment d’Exit, sont très liés aux thèmes de la ville et de l’errance (on pense à William S. Burroughs), sans quitter le souci du réel (cet espace mouvant entre la réalité et nous), Olivier Kaeppelin s’ouvre à partir de Si je brûle la maison à des préoccupations plus métaphysiques. Il a aussi écrit des « nouvelles », pour la revue L’Ennemi de Gérard-Georges Lemaire (Christian Bourgois, 1980-1996). Ses poèmes ont été traduits notamment pour les anthologies Poesia della Metamorfosi (Stilb, 1984, trad. italienne Fabio Doplicher) et French Poets of Today (Guernica Editions, 1999, trad. anglaise Jean-Yves Reuzeau). Dernière publication : dans la revue Dream Big, janvier 2021.
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