De la poésie sonore à la fiction audio

Le présent colloque tombe à point nommé. La fiction radio manque cruellement aujourd’hui d’espaces pour réfléchir à sa pratique. Il y a peu nous avions encore la revue Syntone qui nous servait de chambre d’écho, c’était un peu nos Cahiers du Cinéma à nous. Nous n’avons plus la revue Syntone, et nous nous sentons bien seuls. Des moments réflexifs comme celui-ci sont d’autant plus précieux qu’ils contribuent à faire émerger une prise de conscience de notre propre pratique, à faire naître une culture.

Je vais essayer, dans cette intervention, de décrire brièvement mon parcours artistique, de montrer comment je suis passé de la poésie sonore à la fiction radio [1], pourquoi ce passage a été tout naturel pour moi, alors que – comme me le rappelait Pierre-Marie Héron en préambule – c’est un trajet finalement assez peu commun ; je souhaiterais ensuite mettre en lumière les concepts qui sous-tendent la notion même de poésie sonore, et qui continuent à éclairer ma pratique de la fiction audio ; enfin, en vous ouvrant ma modeste boîte à outils conceptuels, j’ai l’espoir que l’un ou l’autre de ces outils puisse vous servir également dans votre approche de la radio et nous aide à dessiner ensemble un horizon de la fiction audio.

J’aimerais commencer en annonçant mon présupposé de départ (sans doute très largement partagé dans ce colloque) : la fiction radio est un art ; c’est ma conviction ; la fiction radio est un art à part entière, au même titre que le cinéma ou la littérature par exemple, et en tant que tel n’a pas à rougir devant ces grands modèles. L’intitulé même de ce colloque, évoquant un « désir de belle radio », semble à la fois placer avec enthousiasme la radio au rang des Beaux-Arts, et suspendre dans le même temps son geste à la condition d’un désir encore à réaliser.

J’affirmais à l’instant que la fiction radio est un art à part entière. Pourtant, à la différence de ses grands aînés, on ne peut pas dire que se rencontre couramment dans la jeunesse de vocation à la fiction radio. Je ne pense pas que beaucoup d’adolescents se soient réveillés un matin en se disant : « Plus tard je ferai de la fiction radio », alors que c’est le cas pour l’écriture, la musique, le cinéma, etc. On peut donc se demander pourquoi ce n’est pas le cas, et si cet état de fait ne jette pas quelque ombre sur la prétention de la fiction radio à être un art à part entière.

Je ne déroge pas à la règle moi-même. Dans ma jeunesse, je ne me suis pas non plus rêvé réalisateur de fictions radio [2]. Ma vocation, c’était plutôt la poésie. J’étais biberonné à Lautréamont, Henri Michaux, Antonin Artaud (dont l’émission longtemps censurée Pour en finir avec le jugement de dieu faisait déjà partie de mon panthéon). Mais à l’époque tout ce qu’on me proposait comme poésie contemporaine dans les rangées des bibliothèques publiques, c’était une sorte de « poésie blanche », très abstraite, qui ne semblait pas pouvoir parler du monde dans lequel je vivais – le monde du parking de l’hypermarché, des lotissements résidentiels Bouygues ou du journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault. Mon désir poétique se fracassait contre ces réalités, et s’y fracassait d’autant plus que le langage – les vieux mots du dictionnaire français, fatigués par des siècles d’usage [3] – ne me semblait pas adapté pour décrire dans toute sa crudité cette réalité contemporaine, et la transcender.

À partir de ce moment-là j’ai pensé que je devais renoncer à la poésie, et que le salut viendrait de ce que je pensais être son antithèse : le cinéma. Paradoxalement c’est en commençant mes études de cinéma, aux Beaux-arts de Genève, que je découvre la poésie sonore [4]. C’est un choc : on m’avait caché cette forme de poésie jusqu’à ce jour ! J’assiste donc à des lectures-performances de poètes qui « sortent le poème de la page », le mettent « debout » sur scène, le font passer à travers leur corps, leur voix, comme Christian Prigent ou Christophe Tarkos. Je commence moi-même à pratiquer la poésie sonore, sur scène, avec ma propre voix, avec des textes qui sonnent, en m’accompagnant parfois de sons, déjà. En même temps dans mes études de cinéma je découvre comment fonctionnent les logiciels audio, je prends l’essentiel de mon plaisir à post-synchroniser mes petits films d’étudiant – c’est-à-dire à refaire tous les sons un à un, à la façon d’un Tati ou d’un Fellini. Mais je m’avère être un bien piètre cinéaste ; en séance de visionnage, mes rushes me semblent toujours fades, décevants, jamais à la hauteur de mes images mentales.

La rencontre avec la radio se produit quand j’arrive à Bruxelles, dans le cadre de mes études de cinéma – la radio est alors le seul endroit à Bruxelles à accueillir ma passion pour la poésie sonore. Mais pas n’importe quelle radio : l’atelier de création sonore radiophonique (acsr). C’est un endroit unique en son genre, qui me permet très tôt de proposer des dispositifs radiophoniques pour des formes poétiques [5]. Quand j’y arrive dans les années 2000, l’acsr bouillonne de réflexions sur la radio – « la radio est un art » est notre mantra. Mais autant, dans nos discussions, cette certitude est assez facile à défendre quand il s’agit du documentaire radiophonique, avec des grandes figures comme Yann Paranthoën ; ou quand il s’agit de la création radiophonique de type Hörspiel, avec des noms comme René Farabet, Luc Ferrari ou encore l’ACR de France Culture ; autant cette affirmation devient beaucoup plus difficile à tenir quand il s’agit de fiction radiophonique. En tout cas, dans notre expérience à ce moment-là, nous n’avons jamais vécu de choc esthétique en écoutant une fiction radio, il n’y a aucune grande figure que nous admirons et dont nous voulions nous inspirer. Il faut rappeler qu’à l’époque on parle encore de « dramatiques radio » sur les ondes publiques, que ce qu’on y entend sent souvent le renfermé, le studio. La fiction radio d’alors ne nous semble pas animée d’une volonté propre, elle semble se contenter de son rôle de faire-valoir servile d’un texte et d’un auteur. Ce n’était pas ce dont nous rêvions. Et cet état de fait nous embêtait beaucoup, parce que nous nous disions que théoriquement il n’y avait aucune raison pour que la fiction radio ne soit pas un art majeur.

Jusqu’à ce que l’on découvre – c’est le déclic qu’on attendait – cette fiction radio qui s’appelle Le Bocal, de Mariannick Bellot et Christophe Rault, sur Arte Radio. Ce n’est sans doute pas pour rien si le changement vient d’une webradio (c’est complètement nouveau à l’époque), si la révélation vient du numérique. On est en 2006 pour la première saison, puis en 2008 pour la deuxième (la plus aboutie selon moi). Et là soudain on se dit : c’est une fiction audio purement radiophonique, qui intègre le son comme une dimension intrinsèque de son écriture ; c’est absolument irréductible à la littérature, au théâtre ou au cinéma ; c’est purement radiophonique… C’est ce qu’on attendait. Ce modèle nous a libérés, nous a permis de nous dire : voilà, c’est possible.

À partir de ce moment-là, je commence moi-même à réaliser des fictions radio. Dans une « première période » si j’ose dire, que je qualifierais d’expérimentale [6], je réalise encore des fictions radio « en poète » ; c’est-à-dire qu’à chaque fois je trouve une idée sonore qui me semble valoir la peine d’être réalisée, mais à chaque fois je me dis aussi que c’est la dernière fois, que c’est un one shot. Je ne suis pas encore entièrement convaincu que la fiction radio est un langage à part entière. Dans Kirkjubæjarklaustur par exemple, l’idée était de faire une fiction radio « normale » en quelque sorte, mais où tous les sons – narration, dialogues, musique, bruitage, sound design, paysage sonore – sont faits « à la bouche ». La seule source sonore, c’est la bouche des trois interprètes que nous sommes. À partir de cette source unique, on recrée tout un monde. C’est une sorte de geste d’arte povera radiophonique, si l’on veut, d’affirmation de l’artificialité radicale de la radio et en même temps de sa simplicité et sa puissance universelle. À partir de rien, à partir de la flammèche vacillante d’une voix, on peut recréer le monde. Pas besoin d’autre chose. Au diable le réalisme ! Encore une fois, l’idée derrière cette démarche était de créer un objet strictement radiophonique, sans équivalent dans d’autres disciplines, cinéma ou littérature par exemple.

Et puis dans un deuxième temps, après cette période « expérimentale », j’entre dans une deuxième période plus « fictionnelle » [7], où je commence à assumer que je suis un réalisateur de fictions radio, que c’est devenu mon mode d’expression principal, mon métier, où je commence à apprécier le simple fait de raconter une histoire avec les moyens du son et de la radio, où je suis enfin convaincu qu’il y a une infinité de styles possibles en fiction radio, que c’est un langage à part entière [8].

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Après avoir rapidement brossé mon parcours, j’aimerais revenir maintenant à la notion de « poésie sonore » – un bien étrange objet quand on y pense –, et prendre le temps de m’arrêter sur certains des concepts qui la traversent, et qui contaminent encore ma propre façon de faire la radio. Dans le cadre de cette intervention, je ne parlerais pas de toute la poésie sonore (il faudrait un colloque entier pour cela), je me concentrerai donc uniquement sur Henri Chopin, un des fondateurs de la poésie sonore [9], à la fois parce qu’il est sans doute le plus emblématique des poètes sonores, mais surtout parce que son œuvre est celle qui m’a le plus marqué. Il n’y a quasiment pas de mots dans les audiopoèmes d’Henri Chopin (c’est ainsi qu’il les nomme), c’est essentiellement du souffle, du corps qui est enregistré. Il y aurait de multiples façons de décrire le travail d’Henri Chopin. L’un d’elles – très caricaturale – consisterait à dire par exemple que c’est quelqu’un qui a enregistré des gargouillis sur un magnétophone et qui appelé ça « poésie ». Comme dans un geste duchampien où l’on pose l’estampille « art » sur une pissotière. Au-delà de la provocation, ce geste a le mérite de faire table rase d’une certaine poésie – pompeuse, précieuse, académique, bourgeoise (rayer la mention inutile). Et cela fait le plus grand bien. Mais c’est aussi une affirmation du corps, de l’organique – là encore en opposition à une poésie « blanche », abstraite, éthérée. Et c’est aussi tout simplement très beau. Si on écoute du Henri Chopin aujourd’hui, c’est d’une beauté lunaire, ça ne ressemble à rien, c’est une expérience inouïe, comme si on venait d’atterrir pour une heure sur une planète aux paysages inconnus qu’on ne serait pas sûr d’être amené à revoir un jour.

Mais – et c’est là où je voulais en venir – c’est aussi un geste théorique. Le simple fait d’appeler « poésie » l’enregistrement de cette voix pure, de ce pur vouloir-dire dénué de mots, contient toute une pensée, complexe et élaborée, repliée sur elle-même. Que nous dit ce geste ? Que toute l’histoire de la littérature est une simple parenthèse, un accident de parcours technologique dans l’histoire d’un art qui serait beaucoup plus vaste, beaucoup plus ancien, et qui serait la Poésie sous la forme de la tradition orale, l’Art de la parole, un art originel qui aurait toujours été là. Depuis la nuit des temps la poésie aurait été orale, sauvage, sous la forme du cri ou du chant, primitif d’abord, accompagnant pendant des dizaines de millénaires Homo Sapiens dans ses chasses ou dans ses peintures rupestres à la lueur des torches, puis s’articulant, devenant exclamation, émerveillement, imprécation, mélopée, ritournelle, litanie, sortilège, prière, jeu, joute ; elle se serait certainement civilisée au Néolithique, à la fondation des Cités et des civilisations, raffinée, enrichie au contact des autres langues et des autres cultures, sous la forme de l’épopée notamment, occasionnellement accompagnée de cordes pincées ou de tambours de peaux ; elle serait devenue d’une sophistication extrême, ses meilleurs aèdes auraient été recherchés dans les cours les plus prestigieuses – nous sommes à l’époque des sources orales de l’Iliade et de l’Odyssée – mais toute cette lente construction d’un art s’est évanouie d’un coup dans notre mémoire, comme finissent toujours par s’évanouir les paroles. Ce n’est finalement que très tardivement dans l’histoire de la Poésie que s’opère la rencontre déterminante avec une nouvelle technologie, l’écriture, une technologie de comptables à l’origine, inventée pour répertorier le nombre de jarres d’orge ou de têtes de bétail que l’on devait. La rencontre avec cette technologie a été – on le sait – ô combien heureuse et féconde, et a engendré cette longue idylle qu’on appelle littérature. Mais pour passionnante qu’elle soit, ce moment particulier de la Poésie qu’est la littérature n’en constitue pas pour autant l’Alpha et l’Oméga, elle n’en est si l’on veut que le dernier méandre. Et tout nous incite à croire que la Poésie avant l’écriture était tout aussi heureuse et féconde. Le geste d’Henri Chopin consiste (entre autres) à nous reconnecter à cette fécondité heureuse des origines, à faire revivre son énergie essentielle et à la réinventer à l’aune de notre temps.

Si on suit ce chemin de pensée jusqu’au bout, on pourrait affirmer que l’écriture au fond n’est rien d’autre qu’une technologie d’enregistrement de la voix. On se souvient que Saint Augustin s’étonnait de voir un de ses collègues lire un texte à voix-basse. C’était une anomalie à l’époque. Un texte était censé être restitué à voix-haute. Un lecteur devant un manuscrit, c’était un peu comme une tête de lecture devant une bande magnétique, un diamant sursautant dans un microsillon ; il s’agissait de déchiffrer un système de signes et de le transposer en phénomène acoustique, phonatoire. À ceci près que l’enregistrement audio restitue le grain de la voix, son timbre, son rythme, quand l’écriture ne parvient à capturer que la suite des mots, le flux d’énonciation – dans lequel il nous arrive parfois tout de même de pouvoir encore « entendre » la voix-fantôme de l’énonciateur : c’est l’autre nom du style. Pour comprendre l’étonnement de Saint Augustin, il nous faut procéder par transposition. Imaginons par exemple que l’invention de la notation musicale ait rendu complètement obsolètes les concerts et les disques, et que désormais la musique ne se consomme plus qu’en silence, dans la solitude de sa chambre, le nez sur sa partition… La poésie sonore fait en quelque sorte retour aux origines de la poésie orale, en restituant ce lien au phonatoire, au timbre de la voix vivant et vibrant, mais en conservant de l’histoire de la littérature l’écriture, ou archi-écriture au sens derridien, l’inscription de cette voix vivante et vibrante sur ce nouveau papier qu’est la bande magnétique [10]. Car la poésie sonore n’est pas qu’affaire de présence sur scène du corps du poète ; dès le départ, c’est le magnétophone  qui est cardinal dans la fondation de la poésie sonore[11], pensé comme un nouveau stylo.

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Si l’on fait pour sienne cette « théorie » que je viens d’énoncer, on ne s’étonnera pas que le glissement de la poésie sonore à la fiction audio se soit fait tout naturellement, un peu à la manière d’un écrivain qui, après avoir touché à la poésie, jetterait son dévolu sur le roman pour élargir sa palette [12].

Jusqu’à présent j’ai utilisé presque indifféremment les termes fiction radio et fiction audio. Il est temps de marquer ma préférence pour ce dernier. Est-ce à dire que je rattacherais d’une façon ou d’une autre la fiction audio à la grande Geste de la Poésie sonore dessinée par Henri Chopin, et que ce faisant je lui confèrerais un caractère plus essentiel que la fiction radio ? Je ne suis pas loin de le penser : le terme de fiction audio me semble plus vaste, en effet, je m’y reconnais plus, et j’affectionne particulièrement cette filiation, ce glissement sémantique de poésie / sonore à fiction / audio. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille jouer la fiction audio contre la fiction radio. Je ne pense pas que ça ait la moindre utilité. On sait combien il est tendu ces jours-ci de remettre en cause la radio face au rouleau compresseur du podcast – avec le danger d’un nivellement par le bas, d’un sous-financement, voire d’une disparition complète de la création radio. Je rappelle que le slogan du premier Paris Podcast Festival en 2018 était : « Ce n’est pas de la radio, c’est du podcast ! » [13]. Dans cette situation, on peut comprendre que soit très mal vécue par les acteurs et les actrices de la radio de création, œuvrant dans une ombre la majorité du temps, cette OPA agressive du podcast sur la narration sonore, tirant la couverture à soi, reléguant la radio au rang d’antiquité, criant haut et fort avoir inventé la roue.

Je pense que nous sommes à un moment particulier de notre histoire. Ce n’est sans doute pas pour rien si ce colloque s’est donné pour cadre d’études les dix ou vingt dernières années de notre médium. Cela coïncide avec l’arrivée du numérique dans les techniques d’enregistrement, de production et de diffusion [14]. Je suis convaincu que cette (r)évolution technologique a bouleversé plus qu’on ne le pense notre façon de faire de la fiction radio, son esthétique en général. Quand j’ai commencé à manipuler du son au tournant des années 2000, il n’était pas rare encore d’utiliser la bande magnétique, que ce soit pour l’enregistrement ou pour le montage. Je n’ai aucune nostalgie de cette époque-là, parce que pour moi c’était un support beaucoup plus lourd, beaucoup moins malléable que le son sur ordinateur. Une partie de l’amour que je voue au son est liée à la fluidité organique du numérique que j’ai tout de suite ressentie en le découvrant. J’évoquais plus haut Le Bocal sur Arte Radio. Pour moi c’est typiquement une œuvre d’une époque numérique. Je suis persuadé que c’était infaisable sur un vieux banc de montage magnétique, ou alors cela aurait été tellement fastidieux, cela aurait demandé tellement d’heures de travail pour atteindre une telle intrication du son et de la narration que personne n’aurait même songé à s’aventurer dans une telle esthétique.

Avec le numérique, le son acquiert une véritable plasticité, on peut modeler et remodeler à l’infini le flux d’ondes sonores qui coule de votre ordinateur. Pour illustrer cette impression, je vais donner un exemple : dans une de mes fictions, John Haute Fidélité, j’ai échantillonné un extrait d’une symphonie de Beethoven et j’ai modifié après coup les notes à l’intérieur même du sample, pour y introduire des dissonances presque dodécaphoniques. Comme si Beethoven avait écouté du Arvö Part sur son mp3. Ou comme si j’avais pu prélever l’ADN sonore de Beethoven, le modifier génétiquement et l’expédier par uchronie musicale dans un monde parallèle inconnu. Si les techniques du montage et du mixage étaient déjà présentes à l’ère du magnétophone et faisaient partie intégrante de son esthétique, le numérique a ajouté une nouvelle dimension sonore : l’art de la mutation.

Dans les années à venir, de nouvelles technologies audio vont faire leur apparition : l’Intelligence Artificielle ou les deepfakes vont nous permettre (ou nous permettent déjà [15]) de cloner des voix, par exemple la voix des morts, et de leur faire dire ce que l’on veut. Je me prends à imaginer une fiction où j’exhumerais une archive inconnue du général de Gaulle… ou une chanson inédite d’Édith Piaf… Ces technologies ne sont pas effrayantes à mes yeux dans leur usage artistique (dans un usage journalistique ou de manipulation de la vérité, c’est tout autre chose), elles sont réjouissantes au contraire, car elles mettent le créateur sonore dans la position de l’écrivain-démiurge, pouvant convoquer le monde à l’infini sur son ordinateur. Et cela va selon moi dans le sens d’un art audio comme art majeur.

Mais le tournant principal que le numérique a fait prendre à notre médium à mon avis se situe au niveau de la diffusion – la radio considérée non plus seulement comme art de flux, mais aussi comme art de stock. On peut ici reprendre à notre compte l’analogie avec le bouleversement que l’écriture a provoqué dans la poésie orale. Ce qui apparaît avec le numérique, c’est moins la possibilité de conserver des traces des œuvres passées – l’archivage sur bandes magnétiques ayant toujours existé dans les grandes radios publiques – que celle de les partager et de consulter facilement et largement [16]. Les écrivains ont leur bibliothèque, les cinéastes ont leur cinémathèque, et c’est dans la connaissance intime des œuvres du passé, dont on peut s’inspirer ou qu’on peut au contraire rejeter, que se crée une culture, par sédimentation. Or jusqu’à assez récemment en radio nous n’avions pas l’équivalent d’une radiothèque. La radio était un art quasi-amnésique, où chaque génération recommençait à bâtir sur du sable.

Cela a changé depuis une petite vingtaine d’années. Nous nous écoutons les uns les autres. Nous ne « ratons » plus la diffusion des œuvres de nos collègue, dans la mesure où celles-ci restent généralement consultables pendant des années [17]. Ces écoutes, ainsi que l’existence de festivals, de quelques – trop rares – articles critiques (dans feu Syntone, aujourd’hui dans Télérama ou Le Monde), ou d’un colloque comme celui-ci, contribue à créer l’émulation indispensable à la formation d’une véritable scène de la fiction sonore francophone.

En revendiquant plus haut mon attachement au terme fiction audio, j’ai peut-être donné l’impression de me placer moi-même dans cette catégorie d’artistes audio détachés de toute institution radiophonique, créant et diffusant indépendamment sur Internet. Or il n’en est rien. Mon mode de production reste extrêmement attaché à l’institution « radio » [18], qu’elle soit publique ou non, ne serait-ce que parce que c’est là qu’on peut trouver le financement indispensable à une production professionnelle comprenant comédiens, bruiteurs, sound designers, ingénieurs du son.

Cependant ces purs artistes de « fiction audio » détachés de l’institution radiophonique que je décris existent. Je citerai trois noms. Daniel Martin-Borret tout d’abord, qui – même s’il est régulièrement diffusé sur des radios – est vraiment pour moi l’exemple parfait de l’auteur audio, produisant ses pièces sur son propre blog, faisant tout lui-même, de l’écriture à la technique en passant par la musique et la diffusion, une sorte d’écrivain audio total (je ne sais pas s’il apprécierait ce terme). Je citerai également Èlg, un musicien électronique expérimental basé à Bruxelles qui a réalisé avec Amiral Prose une fiction audio hallucinée, à mille lieux du « storytelling » omniprésent dans le podcast. Je vous le recommande vivement, c’est très inspirant. Et enfin je citerai Vimala Pons, une circassienne et comédienne (notamment dans les films de Bertrand Mandico) et son très étrange et abouti Mémoires de l’Homme Fente, un livre audio ou « film sans images » (tel qu’elle le nomme) distribué directement en cassette. Il me semblerait malhonnête de qualifier son travail de «  radiophonique », puisqu’à aucun moment la radio ne semble entrer en ligne de compte, ni dans sa production, ni dans sa diffusion, ni même en tant que simple référence. Pourtant, loin d’être une simple « lecture audio » agrémentée de quelques effets sonores, son récit et sa construction font preuve d’une grande maturité sonore. Il n’y a pas de doute pour moi : nous pratiquons le même art : la «  fiction audio ». Et dans un autre registre, beaucoup plus pop et pulp, la saga mp3, apparue dans les années 2000, a sans doute fait de la « fiction radio » sans le savoir pendant des années, à l’instar de monsieur Jourdain. Pour emprunter une métaphore à la biologie, on pourrait dire qu’il y a eu « convergence évolutive » vers la forme de la fiction audio, en provenance de différents médias et de différents milieux, n’ayant pas forcément de rapport les uns des autres.

Deux mots pour finir.

Avant de nous projeter un tant soit peu vers l’avenir, prenons déjà notre élan vers le passé. On trouve déjà la trace de cette aspiration à la fiction audio dès le XVIIe siècle, chez Cyrano de Bergerac (l’auteur, pas le personnage de la pièce d’Edmond Rostand). Dans son livre L’Autre Monde : Les États et Empires de la Lune et du Soleil, il imagine des livres parlants, dont les auteurs nous s’adresseraient à nous directement au creux de l’oreille, avec une voix toute musicale [19].

Pour revenir enfin à ma question initiale : existe-t-il aujourd’hui une vocation à la fiction audio ? Il y a trois ou quatre ans, j’aurais encore été forcé de répondre par la négative. Mais c’est en train de changer sous nos yeux. J’en veux pour preuve l’ouverture récente d’un Master radio à l’INSAS (l’école de cinéma, radio et théâtre de Bruxelles) et l’existence d’une spécialisation « fiction radio ». Des jeunes gens aujourd’hui veulent faire de la fiction audio, c’est leur premier choix, c’est leur médium de prédilection. Voilà qui devrait lever nos derniers doutes : oui, la fiction audio est un art à part entière, un art qui a tout son (bel) avenir devant lui.

Notes

[1] Fiction radio ou fiction audio : je reviendrai sur la différence que je mets entre ces deux termes.

[2] Seules peut-être les fictions jeunesse des Histoire du Pince-Oreille sur France Culture me faisaient rêver, littéralement, puisque je les écoutais dans un demi-sommeil : elles avaient une liberté de ton et de réalisation que n’avaient pas à mes oreilles les fictions plus sérieuses pour adultes.

[3] Ou comme le disait le poète Francis Ponge  : « Supposons que chaque peintre, le plus délicat, Matisse par exemple… pour faire ses tableaux, n’ait eu qu’un grand pot de rouge, un grand pot de jaune, un grand pot de, etc., ce même pot où tous les peintres depuis l’Antiquité (français mettons, si vous voulez) et non seulement tous les peintres, mais toutes les concierges, tous les employés de chantiers, tous les paysans ont trempé leur pinceau et puis ont peint avec cela. Ils ont remué le pinceau, et voilà Matisse qui vient et prend ce bleu, prend ce rouge, salis depuis, mettons, sept siècles pour le français. Il lui faut donner l’impression de couleurs pures. Ce serait tout de même une chose assez difficile ! C’est un peu comme ça que nous avons à travailler » (« La pratique de la littérature », in Méthodes, Paris, Gallimard, « Folio », p. 226).

[4] Grâce au professeur, traducteur, historien de la médecine, organisateur de festival et poète sonore Vincent Barras.

[5] Voir par exemple le cycle Bru(i)xelles sur la webradio SilenceRadio : www.silenceradio.org/grid.php?folder=4

[6] Comprenant Personnologue (2009), Kirkjubæjarklaustur (2011) et Pamela (2015), voir www.dicenaire.com/radio

[7] Avec des pièces comme John Haute Fidélité (2017), Version 133 (2019), DreamStation (2019), Clinique de la Mémoire Morte (2020), voir www.dicenaire.com/radio

[8] Aujourd’hui, si je devais rapprocher la fiction radio d’une autre discipline, ça serait plutôt de l’art de guider les rêves éveillés – c’est une bonne définition je trouve du métier du créateur fiction radio.

[9] Avec Bernard Heidsieck, principalement.

[10] Bernard Stiegler, lui aurait parlé d’hypomnémata, c’est-à-dire d’extériorisation de notre mémoire dans un support matériel consultable a posteriori.

[11] Ainsi Henri Chopin, quand je lui demandais lors du festival Radiophon’ic 2003 à Bruxelles quel conseil il donnerait à un jeune poète sonore, préconisait avant tout l’usage… du (magnétophone à bande) Revox !

[12] Citons, parmi mille noms possibles, un Roberto Bolaño dont ça a été le parcours.

[13] Calqué sur le slogan de HBO, la chaîne câblée qui a produit toutes ces excellentes séries TV, « It’s not TV, it’s HBO ».

[14] Je renverrai ici à l’excellente série d’articles de Juliette Vocler sur les origines du podcast, Il était une fois le podcast : http://syntone.fr/il-etait-une-fois-le-podcast-1-faire-table-rase/

[15] https://www.theverge.com/tldr/2018/4/17/17247334/ai-fake-news-video-barack-obama-jordan-peele-buzzfeed

[16] Avant l’arrivée d’Internet, la seule source accessible d’archives radiophoniques était Les Nuits de France Culture, et depuis 1989, les splendides livres-CDs des éditions Phonurgia Nova (que leur nom soit béni pour l’Éternité dans les cieux radiophoniques).

[17] Ainsi on me parle encore encore régulièrement de Personnologue, ma première pièce en 2009…

[18] Et nous sommes nombreux dans ce cas, comme Alexandre Plank ou Benjamin Abitan…

[19] « C’est un livre où pour apprendre les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que des oreilles. […] il en sort comme de la bouche d’un homme ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage […] » (op. cit.).

Auteur

Sebastian Dicenaire est poète, performeur, auteur et réalisateur de fictions sonores. Impliqué dans la programmation de Silence Radio, émanation de l’ACSR, de son début en 2005 à son arrêt en 2012, il réalise ses premières fictions avec l’ACSR, en collab. avec Christophe Rault : Personnologue en 2009 (Prix Les Radiophonies 2010 du meilleur texte –  et de la meilleure interprète féminine pour Laurence Vielle) ; Kirkjubæjarklaustuen 2011, mention spéciale au prix Europa (2011) et prix SACD Belgique de la fiction radio 2012 ; Pamela en 2015, un feuilleton parodique des romans à l’eau de rose en huit épisodes, Prix Phonurgia Nova de la Fiction Francophone 2016. Son avant-dernière œuvre, une fiction d’anticipation, est un podcast natif pour France Culture, DreamStation, 2019 ; sa dernière, Clinique de la Mémoire Morte, en 4 épisodes, a été produite par RTS-Podcast & Le Labo et mise en ligne à l’automne 2020.

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1997 : l’Odyssée de l’espace

1997, c’est la date de la première page personnelle de François Bon, mais 1997, c’est aussi :

  • la parution du Jardin des Plantes de Claude Simon, œuvre qui est entre autres une réflexion sur l’espace du livre, de la page, en lien avec les manuscrits (voir moviment), la simultanéité des choses perçues et pensées…

Ce que j’ai voulu, c’est forger une structure qui convienne à cette vision des choses, qui me permette […] de retrouver une architecture purement sensorielle [1].

Rass &Bikialo_TiersLivre_1997_1_C_Simon

Doc. 1 ‒ Page 11 de : Claude Simon, Jardin des Plantes, Paris, Minuit, 1997.

Rass &Bikialo_TiersLivre_1997_2_C_Simon

Doc. 2 ‒ Pages 12-13 de : Claude Simon, Jardin des Plantes, Paris, Minuit, 1997.

  • la naissance des éditions Verticales par Bernard Wallet, avec deux livres cette année-là : Claro, Livre XIX ; Yves Pagès, Prière d’exhumer. Livre XIX est décrit par l’éditeur ainsi :
Ce mille-feuilles romanesque, aux lignes de fuite deleuziennes, convie le lecteur à une revisitation des grands génies délirants du XIXe siècle: Fourier, et ses classements d’une aberrante rigueur, Blanqui, maître ès barricades ou Lautréamont, dont le spectre hante chaque page de ce défi littéraire hors norme [2].
  • une série d’entretiens entre Bernard Noël et Dominique Sampiero, qui paraitront en 1998 chez POL sous le titre : L’Espace du poème, repris dans le tome 3 des Œuvres complètes de B. Noël. Avec notamment l’idée d’un espace dominé par le temps (exemple des distances)

En 1997, donc, l’espace du livre devient un peu étroit : l’écriture se cherche des espaces, a besoin de prendre l’air du livre.

Il aura fallu 100 ans pour que les auteurs cités trouvent l’espace, l’air que cherchait déjà, en mai 1897, un poète qui publiait dans la revue Cosmopolis un poème paginal qui élevait « enfin une page à la puissance du ciel étoilé [3] », où la double page état l’unité, où le blanc assumait l’importance, un « grand poème typographique et cosmogonique [4] ».

… Le poème s’imprime, en ce moment, tel que je l’ai conçu : quant à la pagination où est tout l’effet. Tel mot, en gros caractère, à lui seul, demande toute une page de blanc et je crois être sûr de l’effet… La constellation y affectera d’après des lois exactes, et autant qu’il est permis à un texte imprimé, fatalement un album de constellation. Le vaisseau y donne de la bande, du haut d’une page au bas de l’autre, etc. ; car, et c’est là tout le point de vue (qu’il me fallut omettre dans un « périodique »), le rythme d’une phrase au sujet d’un acte ou même d’un objet, n’a de sens que s’il les imite, et, figuré sur le papier, repris par la lettre à l’estampe originelle, n’en sait rendre, malgré tout, quelque chose [5].

François Bon lui-même a souvent fait le lien et rappelé l’héritage :

Les catégories mallarméennes de pages, formats, blancs, marges, lignes, et ces mini-logiciels complexes que sont les polices de caractères, aucun de nous n’avait eu à s’en préoccuper jusqu’ici, mais nous entrons dans une phase de secousse d’ensemble où nous ne pouvons déléguer la réflexion sur les fondamentaux mêmes de la lecture-écriture [6].

L’espace serré de la page a besoin d’un espace qui s’ouvre : l’espace du numérique, du site, un espace graphique différent : la notion d’« espace graphique » proposée dans les années 1980 (par Roger Laufer) qui déjà en soit forme une ouverture importante dans la manière d’appréhender l’espace du livre :

Par espace graphique, on entend ici d’abord une réalité matérielle, constituée d’un support et de formes visuelles, mais aussi le réseau des valeurs que cette réalité matérielle manifeste.

On appellera espace graphique d’un texte ou d’un type de texte l’ensemble de traits qui caractérisent sa matérialisation sur un support d’écriture, ainsi que les relations qui s’établissent entre ces traits et la signifiance.

Ces traits sont le formatage (dimension de l’espace exploitable), le type d’inscription, les lettres ou caractères employés, les signes de ponctuation et traits typographiques [7].

L’espace graphique du numérique opère des changements dans l’acte d’écriture comme dans celui de la lecture, avec une pluralité d’espaces qui ne va qu’en s’accroissant depuis 1997– notamment avec le développement des systèmes multi-tâches [8] – et avec un mouvement vers de plus en plus d’ouverture vers des « extérieurs », à travers des supports d’écriture et de lecture connectés en permanence (ordinateur portable, puis tablette et smartphone) :

Ce qui change avec le numérique, c’est le rapport de la page blanche au monde. Elle n’est plus miroir, elle est traversée.

Une histoire de la page à réviser selon les récentes découvertes archéologiques : la page, carte de divination, tablette blanche vierge et durcie insérée dans tel angle des fondations du temple, a précédé l’invention de l’écriture [9].

Notes

[1] Claude Simon, « Avec La Route des Flandres, Claude Simon affirme sa manière », entretien avec Claude Sarraute , Le Monde, 8 octobre 1960, repris dans C. Simon, La Route des Flandres, « 10/18 », 1963, p. 274.

[2] Christophe Claro, « Livre XIX (note d’éditeur) », en ligne ici . Consulté le 3 juin 2015.

[3] Paul Valéry, « Le coup de dés (1920) », in Variété II, Paris, Gallimard, 1930.

[4] Paul Claudel, « Réflexions sur le vers français (1925) », in Réflexions sur la poésie, Paris, Gallimard, 1963, « Folio ».

[5] Stéphane Mallarmé et Henri Meschonnic, Écrits sur le livre: choix de textes, Paris, Éditions de l’éclat, 1985, « Collection Philosophie imaginaire », n° 3.

[6] François Bon, « Internet & rémunération des auteurs », en ligne ici. Consulté le 3 juin 2015.

[7] Jacques Anis, Jean-Louis Chiss et Christian Puech, L’Écriture: théories et descriptions, Paris, Éditions universitaires, 1988, p. 171-173.

[8] Techniquement possible depuis OS2, mais vraiment fonctionnel et intégré avec Linux, Mac OSX et Windows 2000.

[9] François Bon, « L’écran et le livre », 2007, repris le 17 mai 2011, en ligne ici. Consulté le 7 juin 2015.




CMS (content management system) | forme vide

« Avant d’écrire un poème, un livre, j’ai toujours essayé de faire exister une forme vide. Une forme qui n’a pas de forme, qui a des bords, mais pas de limites. », écrit Bernard Noël [1]. C’est une forme vide pour accueillir l’espace du poème, c’est plus qu’une page blanche à écrire, c’est un état d’esprit qui rend possible le même geste comme si c’était la première fois. De fait, cette « forme vide » est là, a été créée, mais on ne doit pas s’en soucier, non pas de son existence, ni de son évanouissement. Si nous transposons cet esprit dans l’univers numérique dans lequel François Bon évolue, on pourrait l’associer au passage d’un web « statique » au web « dynamique », c’est-à-dire de l’écriture codée de chaque page (voir les débuts de la page perso) au CMS [2].

Dans une page statique, malgré la prétention du WYSIWYG [3], qui cache le langage de programmation, l’écriture d’une page s’occupe à la fois du contenu et du code HTML qui définit son affichage pour les visiteurs.

Rass &Bikialo_TiersLivre_CMS_1_fbon_entete

Doc. 1 ‒ En-tête de : page personnelle de François Bon – 02/12/1997.

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Doc. 2 ‒ Code source de l’en-tête ci-dessus.

Avec un CMS, SPIP [4] dans notre cas, les choses se présentent d’une manière différente. Le propre du CMS est de proposer des modèles, dont le code de programmation est déjà écrit, à priori vide de contenu. Elle est comme cette forme vide dont on ne s’occupe plus, elle est là et prête à l’emploi, à accueillir le poème. La page de rédaction se rapproche de celle d’un traitement de texte qui, quant à elle, ne donne même plus accès à ses coulisses, entièrement réservées aux codeurs du logiciel. Si on se rappelle de l’écriture d’une page web statique, on pourrait parler d’un pas en arrière : maîtriser le code pour créer et développer un site web devient superflu, la connaissance de ce code se perd. « Créer votre blog en trois clics », promettent les services de blogs préfabriqués. En cela, ce passage participe à une évolution généralisée des appareils de plus en plus complexes, mais qui demandent de moins en moins de connaissances pour s’en servir.

Si on considère l’aspect de l’écriture, un nouvel esprit s’installe, même s’il s’agit d’une illusion sur le plan matériel. Mais qui dit que la forme vide, « qui a des bords, mais pas de limites », n’est pas non plus davantage qu’une béquille qui démarre le processus d’écriture tout en lui donnant un cadre, même s’il est plus large que la page blanche et s’évanouit dans le poème, lorsqu’il est écrit (Noël) ?

Chaque matérialité impose ses contraintes, à commencer par une longue chaîne d’opérations analogiques pour arriver aux combinaisons des 0 et 1, propre au numérique. La page dans notre logiciel nous transforme en un traitement de texte en chair et en os, le web en une machine de traitement d’informations, comme le suggère Nicholas Carr [5]. La phase la plus créatrice bien qu’elle paraisse plus rustique à nos yeux de plus en plus formatés reste celle où code et texte littéraire (images et sons) sont imbriqués l’un dans l’autre [6].

Et bien que la situation matérielle se complexifie dans les coulisses – les lieux de stockage se multiplient comme les langages de programmation [7] – le CMS simplifie l’usage : là où il a fallu coder, il suffit maintenant de cliquer sur des raccourcis et des onglets, qui livrent aussitôt leur secret et mode d’emploi.

Tout cela ne restera pas sans conséquence sur l’écrit lui-même. D’un côté, on retrouve l’environnement du traitement de texte, la situation avant le passage au web, mais déjà prémonitoire, de l’autre une prise en charge de toute sorte de manipulations (indiquer la source d’une image, déterminer son placement sur la page par l’écriture de balises, ou leur correction) par la machine du site, le dialogue machinique entre la base de données, le langage PHP et la localisation des binaires.

Mais cette même délégation à la puissance des langages de programmation permet aussi une interactivité avec le visiteur du site avant qu’il devienne lecteur : des messages automatisés au lecteur, ou un dialogue par l’intermédiaire des commentaires [8]. Nous reviendrons sur ce dialogue permanent, qui a quitté le blog à quelques exceptions près (les sites de presse en ligne) et s’est déplacé dans les réseaux (Facebook, twitter), en ajoutant à la vitesse de circulation. Comme Mihad Doueihi l’écrit à juste titre : « La cité numérique n’est ni une utopie ni une terre promise : c’est un territoire que sont en train d’inventer et de façonner les citoyens du numérique [9]. »

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Doc. 3 ‒ Code source du même en-tête.

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Doc. 4 ‒ Page d’accueil de remue.net le 18/08/2000.

Dans l’ancien site perso et statique existaient deux statuts, publié ou non publié, tout à l’image du tableau noir suggéré par le graphisme de l’interface du site. Dans remue.net, qui devient un site collectif et passe à SPIP en 2004, tout en ménageant encore un petit espace à François Bon, jusqu‘à ce qu’il migre dans tierslivre.net, les formes se multiplient et il est possible de différencier en ouvert et caché, d’octroyer des droits aux visiteurs, entre open-access et abonnement, entre humains et robots, etc.

L’immeuble de George Perrec évoqué ailleurs (sans parler du tableau noir auquel ressemblait la page perso en 1997) se complexifie par les strates accessibles ou non, en attente, en remaniement, etc. le site devient un chantier ouvert, une « (…) forme vide qui commande l’apparition du poème [mais il est moins sûr qu’elle] disparaît dans le poème » (Bernard Noël, L’Espace du poème).

Notes

[1] Bernard Noël, L’Espace du poème : entretiens avec Dominique Sampiero, Paris, P.O.L, 1998, p. 69-72.

[2] Adopté aussi pour des raisons pragmatiques, à partir du moment où remue.net devient un collectif et demande une autre gestion des contenus.

[3] « Définition : WYSIWYG – What You See Is What You Get », en ligne ici. Consulté le3 juin 2015.

[4] Système de publication pour l’Internet, en ligne ici . Consulté le 2 juin 2015.

[5] Nicholas G. Carr, The shallows: what the Internet is doing to our brains, Norton pbk. [ed.], New York, 2011 : “Just as Microsoft Word had turned me into a flesh and blood word processor, the Internet, I sensed, was turning me into something like a high-speed data processing machine, a human HAL” p. 14.

[6] Philippe De Jonckheere, Désordre. Consulté le3 juin 2015.

[7] Le site statique (écrit et codé page par page) est hébergé sur un serveur avec accès ftp, le site dynamique fonctionnant avec un CMS, tout en gardant le serveur ftp pour stocker le CMS et les fichiers binaires (images, son, vidéo) ne garde plus le contenu écrit, géré par une base de donnée fonctionnant avec MysQL et php, qui produisent à la fois l’affichage du site public et gèrent la vérification du statut de l’usager (administrateur, rédacteur, simple visiteur).

[8] Par exemple : « Merci à x visiteurs pour avoir consacré au moins une minute à cette page » (le x étant le nombre de visites de la page).

[9] Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Paris, Éditions du Seuil, 2008.




Fbon | collectifs | réseaux

En évoquant le rétrécissement de l’espace ressenti en 1997, nous avons distingué les réponses individuelles des réponses collectives, et avons constaté que François Bon se trouve dans cette deuxième configuration, lorsqu’il crée son premier site, qu’il conçoit déjà implicitement comme un laboratoire à plusieurs. Cette initiative se trouve réalisée dans le site remue.net, deuxième étape du web pour l’auteur.

Dès que la gestion collective prend de l’ampleur – sa véritable naissance date du conflit autour de la vente du fonds André Breton en 2003 – François, Bon se retire pour créer son propre site, le tierslivre.net – le nom est une double référence à Rabelais, mais aussi à une forme tierce du livre, une sorte de rencontre du quatrième type.

S’entourer, se retirer relève du même mouvement. En 2007, François Bon avait encore besoin de dire que le blog avec son organisation descendante n’était pas le moyen approprié pour écrire le web. S’il préfère le site au blog, il ne pense pas dans un premier que celui-ci est également préformaté – comme les formes fixes que Bernard Noël oppose à l’espace du poème –, surtout si sa base est un CMS.

Ce qu’on appelle blog, c’est une maquette préformatée, mais limitée, de ces outils. Aussi bien remue.net, site collectif, que mon site personnel, tierslivre.net, ont évolué vers cette idée de lieux d’écritures en constant renouvellement, carnet de liens et informations [1].

On peut suivre en direct et se laisser prendre par la main en cliquant sur les liens internes et externes. Dire que c’est aisé, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Ce « renouvellement constant » demande un effort supplémentaire aux lecteurs [2] (qu’ils ne sont peut-être pas prêts à fournir. Cependant, il s’avère que la lecture d’un blog est dans sa linéarité descendante, même en permettant des sauts, bien plus épuisante que la saisie d’une page d’un livre. C’est pourquoi cette forme, préformatée ou non, ne peut pas être retenue par François Bon. On peut par ailleurs constater qu’en dehors des sites d’informations, les blogs comme outils d’écriture et surtout de dialogue sont délaissés pour d’autres outils, le microblogging, la page Facebook, bien que cette dernière reprenne la structure, mais en faisant profiter les auteurs d’une audience qu’ils n’atteignent que rarement ailleurs [3]. On peut dire que le blog, si son fonctionnement est entré dans tous les standards d’échange sur le web, sa forme pure semble désuète, le mot même ringard [4].

L’important, c’est la présence de notre littérature, des études qui la concernent, de sa vie créatrice, dans l’espace neuf de circulation de sens et de langage qu’est le réseau [5].

Si le blog proprement dit ne peut pas suffire à cette demande, est-ce que le site le peut ? Il faut de toute manière qu’il soit intégré dans un dispositif plus large permettant « la possibilité d’un dialogue au fil des jours [6] ».

Le moviment de Francis Ponge dessine une telle perspective : mettre en mouvement ce qui a tendance à se scléroser. Son point de départ, le monument nous renvoie aussi à une activité récente et importante de François Bon : « Lovecraft monument ». S’il est lié étymologiquement au tombeau, il ne s’agit pas d’enterrer Lovecraft, rituel réservé aux livres papier [7] et théorisé comme un changement d’époque [8], mais plutôt de lui ériger un Denkmal (terme allemand de monument : un endroit de mémoire et de pensée, ou de réflexion). Par sa synchronisation avec l’année en cours (2015), le journal de Lovecraft (1925), à la base des traductions et commentaires de François Bon, devient une plate-forme mouvante et réfléchissante, le passé dans le présent, le présent dans le passé. Le site constitue un point de départ, son contenu doit circuler, avec des réserves qui concerne toute production sur le web, à la fois soliloque et ouvert à qui veut s’en emparer :

J’envoie des bouts de phrases en sachant que je suis le plus souvent leur seul destinataire. C’est comme tenir un carnet, sauf que c’est ouvert. Et là encore, ça ne me dérange pas : ceux qui vont s’intéresser à tel message auront choisi de participer à telle communauté restreinte [9].

140 signes pour un tweet, relié à une publication automatisée sur Facebook, tous les deux renvoyant à une entrée sur le site tierslivre.net ou à celle d’un site ami, retour aux réseaux sociaux pour les commentaires (et/ou les likes, en partie attribués d’office) puis les partages des liens sur les comptes des visiteurs, passants, lecteurs, qui se confondent dans un ordre aléatoire du buzz créé par l’audience à un moment donné. Les plus réactifs sont très souvent d’autres auteurs, un site de statistique indique ainsi que la grande majorité des échanges mutuels sur le compte twitter fbon se font entre lui et Regis Jauffret, également très présent sur le web bien que publié d’une manière classique au Seuil [10]. Avec environ 14000 followers inscrits à fbon, la « communauté restreinte » vient du fait que les incursions des autres sont rares, il s’agit en grande partie d’une audience passive et aléatoire, ce qui ne veut pas dire que l’effet retour sur l’auteur est quasi nul. Chaque bouteille dans l’océan des réseaux est un appel à l’autre ou à soi-même et intégré dans le processus de création. Nous développons ailleurs ce que le passage de François Bon à Fr.Bon (1997), puis f.bon et fbon aujourd’hui signifie pour l’identité de l’écrivain même [11].

Ce qu’exprime François Bon d’une manière assez nonchalante : « J’envoie des bouts de phrases », ne l’est pas du tout. Je m’imagine en écrivant cet article (ou ma partie, puis qu’on est deux) que j’envoie des parties ou l’ensemble dans un espace ouvert et disponible à discussion. Dans un premier temps, il l’est déjà sur un dropbox partagé à deux, mais s’il devient « public » même dans le sens restreint qu’entend François Bon, il s’expose à une destinée hors des voies habituelles, d’autant plus que François Bon et sa pratique d’écriture sont l’objet de notre recherche et il pourrait lui-même intervenir dans le cours de son écriture. D’habitude, on expose oralement sa communication, puis dans un deuxième temps, on l’écrit ou la réécrit pas forcément d’une manière secrète, mais plus ou moins dans l’isolement de son bureau, l’envoie à l’organisateur chargé de la publication des actes du colloque. Lorsque cette publication est achevée ou publiquement disponible, elle est de nouveau exposée à la discussion, mais ne changera plus dans son contenu. En passant à une autre pratique, fragmentation et mise à disposition progressive de l’enquête en train de se faire, suppose un changement considérable de méthode. Nous aurions quitté la prose universitaire et ses étapes de fabrication et de validation pour une pratique qui s’apparente à la tenue d’un blog avec ses entrées mouvantes et mises à jour permanentes (si on éprouve le besoin), mais aussi avec ses chantiers ouverts, repris ou délaissés.

À la fin, il s’agit de réinvestir cette écriture-lecture fragmentée et dispersée dans plusieurs canaux, mais toujours interconnectée dans la création même. Si on peut suivre cette force créative, on peut se demander pourtant si cette façon de procéder, loin d’être une invention du web, fait depuis plusieurs siècles partie de l’ordre matériel du savoir et continue à exister avec le web, dans les usages manuels et ses hybridations [12].

Nous sommes quelques-uns à penser, et à explorer que la lecture écran est à travailler et apprendre de façon à ce que l’élément vraiment neuf, l’interrelation entre les textes et la façon dont ils s’associent devienne paramètre aussi actif que la lecture linéaire. Ou ce que j’explore ici avec contextes graphiques qui se spécifient et changent selon la navigation.

C’est ce à quoi nous essayons de nous obstiner : quels récits, quelles figures de parole, qui ne soient pas le ressassement de soi, peuvent naître dans cette liaison même, où l’espace de l’inscription est aussi celui de l’accueil mouvant du monde, dans ses forces abruptes comme de communication privée [13].

Notes

[1] François Bon, « [reprise] bruit de fond et création : blogs d’écrivains », en ligne ici. Consulté le 5 juin 2015.

[2] Ou faut-il dire visiteurs, car ils ne s’attardent jamais longtemps ?

[3] Ce n’est certainement pas un block-buster, mais avec 4000 contacts et 2000 abonnés, une moyenne de 30 partages par billets, sans parler des conversations engagées, c’est une véritable promotion pour un traducteur et auteur très discret par ailleurs. Au point qu’il refuse désormais des propositions de publications classiques. André Markovicz, « Page facebook d’André Markowicz : l’atelier ouvert », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[4] Benoît Méli, « Vers la fin… du terme “Blog” ? : Les blogs ont-ils encore un avenir ? », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[5] François Bon, op. cit.

[6] Ibid.

[7] François Bon, « Du protocole d’enterrer des livres dans les ronds-points », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[8] Id., Après le livre, Paris, Seuil, 2011, 274 p.

[9] Grégoire Leménager, « Google, iPhone, tablette… la panoplie de l’écrivain sans papier », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[10] Pour suivre l’évolution du compte twitter fbon en temps réel : stats.brandtweet, « Stats du compte twitter fbon », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[11] Sans parler de l’identité numérique, fbon étant trop court pour pouvoir servir de login dans un site sous SPIP (ou un autre CMS).

[12] Françoise Waquet, L’ordre matériel du savoir : comment les savants travaillent : XVIe-XXIe siècles, Paris, CNRS, 2015.

[13] François Bon, « L’Internet comme fosse à bitume », en ligne ici. Consulté le 5 juin 2015.




Espaces du site | Espace du poème

L’espace du site (comme l’espace urbain des ronds-points, devenu support et vecteur de création) peut être mis en parallèle avec l’« espace du poème » tel que le caractérise Bernard Noël :

J’ai fabriqué cette expression : l’espace du poème, parce que j’avais le sentiment que préexiste quelque chose… Avant d’écrire un poème, un livre, j’ai toujours essayé de faire exister une forme vide. Une forme qui n’a pas de forme, qui a des bords mais pas de limites. […] Voilà ce qui me préoccupe dans l’espace du poème, cet espace dont j’ai le sentiment qu’il doit absolument être construit avant. Et qui n’est pas contraignant comme la forme sonnet tout en exerçant comme elle une attraction, une tension. […] Alors que la forme traditionnelle, la forme fixe, se trouvait accomplie, par exemple dans un sonnet, la forme vide qui commande l’apparition du poème disparaît dans le poème [1].

L’espace du site est bien cette forme non traditionnelle, « contraignante » – comme le sonnet ou toutes les formes dites « fixes » que l’Histoire nous a léguées – « forme vide » qui existe avant, qu’on peut lier à cette adaptabilité de l’espace aux supports [2], espace qui n’est pas « contraignant », mais qui exerce « une attraction », une « tension » ; le site apparaît bien comme une forme, une structure nécessaire à l’écriture, productrice de sens, de textes, de dispositifs et en même temps non contraignante comme les formes fixes. La seule (ou grande) différence est que cette forme qu’est l’espace du site, à la différence de cet « espace du poème » ne disparaît pas avec l’apparition du texte, mais au contraire perdure, se remplit. Le site, la forme s’abolit de moins en moins au fur et à mesure que le site comme texte, comme œuvre, s’accomplit. Mais l’espace, au fur et à mesure que s’accomplit ce que B. Noël nomme la « forme littéraire », se temporalise, se narrativise, car l’espace du site devient – selon François Bon, cette dimension narrative étant assez peu sensible à la lecture du site – « histoire » :

Pourtant, ce que j’attends d’un site c’est ce que j’attends d’un « livre » : un univers, une histoire [3].

La mise en relation des espaces par les hyperliens, à la fois dans l’écriture/réécriture et dans la lecture, génère une narrativité qui se reconfigure différemment à chaque fois. Tout se passe comme si ce qui était en creux en 2004 devient visible voire le projet d’une « forme littéraire » (par le site, la mise en « histoire » des espaces) :

Sur le thème de la voiture enfance, une commande de roman pour une collection du Seuil Jeunesse a donné ce petit récit, Autoroute, comme je l’ai approché une autre fois dans un fragment de Temps Machine sur mon grand-père, et comme enfin j’ai pu l’affronter par ce masque mortuaire de mon père dans Mécanique. […] Que mon rapport à l’œuvre s’établirait par ce livre palpé en creux, détail par détail, à mesure des récits qui se chevauchent [4].

Le site comme œuvre, donc, mais « œuvre » non trop figée, non trop monumentale, l’œuvre du côté de ce que Barthes appelle « texte », l’œuvre comme « tension », en prenant appui sur Blanchot :

L’œuvre n’est pas l’unité amortie d’un repos. Elle est l’intimité et la violence de mouvements contraires qui ne se concilient jamais et qui ne s’apaisent pas [5].

Donc l’œuvre, pensée non comme reposante ou reposée, non gisante, couchée, mais comme « instable » [6] incluant les dimensions d’esquisse, d’hétérogène, d’inachevé [7]… ; comme « l’album » tel qu’il est défini par Barthes, et opposé au « Livre » dans La Préparation du roman : « Deux formes fantasmées : le livre/l’album », inspirées de Mallarmé : 1) Le Livre : « architectural et prémédité » ; 2) L’album : « recueil des inspirations de hasard » selon l’expression de Mallarmé. L’album est à la fois un « relevé de circonstances », de l’ordre du circonstanciel, du discontinu… [8] « L’album » est un trait d’écriture, mais aussi de lecture comme l’explique F. Bon en différenciant la lecture des livres papier et la lecture des livres numériques :

Je me souviens des livres. Je me souviens d’un livre que j’ai lu. Je me souviens de la taille, du poids, de l’épaisseur, du toucher. Dans la mémoire visuelle que j’ai du livre, l’organisation des pages et sa typographie. Pour un passage ou une phrase particulière du livre, le savoir obscur de son repérage dans l’épaisseur du livre (je vais chercher plutôt au début, plutôt vers la fin) et de la spatialité discontinue de la page (ce passage était plutôt en bas à gauche, en haut à droite). En numérique, ce repérage est perdu : je le remplace par un artefact : recherche d’occurrence, sur un mot significatif ou qui me permette un thème précisément relié à cette recherche. Ce faisant, je fais émerger une nouvelle organisation mentale du livre, composée de strates thématiques, sans logique linéaire. La table des matières, qui permettait le repérage arborescent dans le livre-volume (y compris dans l’expression courante : une bibliothèque de tant de milliers de volumes) avec des six faces et huit angles, fait place à une autre structuration, par tranches thématiques émergentes. Lorsque je compose un nouveau travail, ce nouveau mode de recherche devient peu à peu le nouveau mode d’organisation en amont de la composition produite [9].

Il y apparaît une opposition entre linéaire et non linéaire qui caractérisait en quelque sorte le passage de l’organisation de la page papier à la fenêtre de l’écran, pourtant les deux modes coexistent sur les deux supports, ce que nous allons voir dans une de ces initiatives, générées par la vie des réseaux, ses conversations, ses trouvailles et ses coups de cœur. Car la visite guidée | l’actu du site en vidéo, 01, doit son existence au rôle de propulseur que François Bon assume sur son site, en occurrence un journal de bord et une revue de blogs hebdomadaire où il se filme lui-même devant son ordinateur [10].

Cette vidéo participe aux conversations du réseau, les met en scène d’une manière différente : l’auteur rend compte de son travail, à travers ses lectures (qui ont donné lieu à des articles) et des visites de blogs, sites, pages de plateformes, ici Facebook (ce qui donne lieu à des commentaires oraux). L’auteur anticipe des critiques qu’on pourrait faire (trop long, trop statique, pas assez de lumière par ci, trop par là, etc.), annonce des améliorations, lesquelles, on ne le saura pas ni les raisons pour lesquelles le projet est mis en veille (ou abandonné). Il y a certainement autre chose à critiquer, mais ce n’est pas le propos pour le moment. Il s’agit plutôt de s’interroger sur le statut d’une telle page : preuve visible d’une expérimentation, improvisation archivée, projet classé ? D’un autre côté, organisation spatio-temporelle du propos, linéarité ou discontinuité, pour interroger la distinction entre livre et web, qui réunit ici trois médias à la fois.

Le site-œuvre se veut atelier en temps réel, ne sert pas uniquement de lieu d’expérimentation, mais aussi d’archive de ces mêmes expérimentations : il accueille tout – depuis les pages historiques aux pistes à développer, les culs-de-sac, les tours en spirales, les vestiges. Il avance autant qu’il garde et stocke les traces antérieures.

Après le livre cite dans un autre contexte des « formes [qui] périclitent, s’évanouissent. », un phénomène qui touche également toute structure ouverte à l’expérimentation. Cependant, le site est en même temps une sorte de garde-fou pour défier le côté éphémère de l’expérimentation, en gardant sa trace, en la gardant (comme tout le reste d’ailleurs) en plusieurs versions et strates, sur le serveur, accessible ou non au public, en sauvegarde locale et/ou dans le nuage, puis dans les archives du web, le cimetière des tombeaux du web, jusqu’à ce que l’auteur ou un incident, une obsolescence en décide autrement.

Quel est le statut de cette visite guidée à l’intérieur du site ? Est-ce un pense-bête (du genre « à ne pas recommencer »), une preuve (« on l’a fait, essayé »), des vestiges oubliés dans les méandres du site (« on va de l’avant, et on ne revient pas ») ? Ou est-ce que ce sont des questions inutiles, secondaires (v. maintenance d’un site en général, décision de garder, de supprimer, etc.) ? Après le livre consacre tout un chapitre sur tout ce qui se perd dans l’entropie du net.

Doc. 1 ‒ « visite guidée | l’actu du site en vidéo, 01 », 25 /08/2013 – vidéo retirée du site Tiers Livre, web et littérature.

L’extrait que j’ai gardé concerne un projet collectif de Daniel Bourrion [11] et représente une petite surprise dans la revue des blogs amis, si le visiteur ne s’est pas laissé décourager par l’illisibilité du document et est allé au-delà la minute affichée dans chaque pied de page : l’ombre de la main qui essaie de saisir le mouvement de l’écran, de canaliser les paroles du commentateur, et qui par magie change de page après avoir sélectionné sauvagement des passages – c’est évidemment le clic sur le trackpad, le curseur qui s’est transformé en petite main pour doubler la main gesticulant devant l’écran. Je n’aurais pas vu de rapport avec une phrase de Bernard Noël, si je n’avais pas relu son Espace du poème, qui venait juste d’être réédité :

La main, en révolte contre la bouche, développe directement l’élan verbal : elle retrousse la ligne, la redresse et met debout le corps du poème [12].

Dans cette situation d’inachevé, le site à travers cette page se soumet à la temporalité du mouvement, pas seulement parce que la visite guidée contient des images et une parole qui défilent, mais aussi dans son abandon ultérieur.

La visite guidée noue aussi des liens à la conversation permanente sur twitter, qui si elle a beau être écrite, défile comme une conversation orale avec ses continuités et ses ruptures. Le caractère d’archive permet autant le retour que l’oubli, ou le hasard de la (re)trouvaille, ce qu’on appelle par ailleurs la sérendipité, où l’on trouve ce qu’on n’a pas cherché. Est ouvert par là un espace énorme dans lequel nous avons tendance à nous perdre sans être conscients des fils qui nous conduisent d’un lien à l’autre, des moteurs qui nous pistent pour nous soumettre d’autres liens dans l’espoir de nous guider vers les espaces ciblés par les programmateurs.

Notes

[1] Bernard. Noël, L’Espace du poème, POL, 1998, p. 69-72. Et aussi : « L’espace que je cherche à rendre sensible est le contraire [des formes fixes] : il appelle la construction au lieu de n’avoir d’existence qu’à partir d’elle – il l’appelle puis s’y abolit. […]. Les formes fixes – et tel est leur aspect le plus notable – s’imposaient à l’œuvre de l’extérieur, tout comme la religion imposait de l’extérieur ses règles à l’intériorité ; bien au contraire, les formes spatiales dont j’évoque l’effet sont internes : elles structurent par orientation, par aimantation et non par contrainte » (p. 160-161).

[2] A. Maïsetti, « Sites et espaces littéraires », repris dans Sites et écritures, publie.net, 2011 : « […] le site n’est plus localisé dans l’espace de tel ou tel carnet, ni livré à l’auteur seul – il est à la fois dé-matérialisé dans l’espace du web, et re-configuré sur chaque écran : c’est parce que cet espace n’est de nulle part, qu’il peut se porter partout. Aujourd’hui, avec la multiplication des supports (smartphones, tablettes, ordinateurs de toutes tailles), beaucoup de ces sites intègrent des moyens pour moduler cet espace en fonction des supports : embarquer telle ou telle police selon les appareils, changer les dispositions, etc. L’espace n’existe plus nativement, ou d’origine. Il n’est pas l’origine en amont du texte, mais sa configuration progressive selon ses supports. »

[3] François Bon, « Digression | ce que serait le site d’une seule histoire », en ligne ici. Consulté le 5 juin 2015.

[4] François Bon, entretien Th. Hesse, 2003, p. 4.

[5] Maurice Blanchot, L’ espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955/2009, p. 300.

[6] François Bon, Après le livre, Paris, Seuil, 2011, p. 10. Ou encore, comme l’écrivent R. Audet et S. Brousseau : « œuvre -archive profondément mosaïquée » (2011, p. 12).

[7] Anne Herschberg-Pierrot, Le style en mouvement: littérature et art, Paris, Belin, 2005.

[8] Roland Barthes, La préparation du roman. I et II, Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, Paris, Seuil / IMEC, 2003, p. 246-253.

[9] François Bon, « Coupures, transitions, ouvertures (notes pour Shenzhen, màj 06) », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[10] Il arrive que ces tentatives restent assez longtemps disponibles, puis disparaissent du jour au lendemain parce que pour une raison ou une autre l’auteur s’est rappelé de son existence. L’article 3635 ne répond plus. Consulté le 7 juin 2015. Mais dans une intuition que cet article a été condamné à disparaître, j’ai récupéré la vidéo en question.

[11] Daniel Bourrion, Jean-Christophe Diedrich et Olivier Toussaint, « La croisée des routes », en ligne ici. Consulté le 7 juin 2015.

[12] Bernard Noël, L’espace du poème : entretiens avec Dominique Sampiero, Paris, P.O.L, 1998, repris dans La Place de l’autre, Œuvres III, P.O.L 2013, p. 726.




fbon |

fbon | écrivain 2.0

fbon est d’abord une identité numérique, un login du réseau, trop court pour un login même dans un site sous SPIP, qui demande 5 caractères ou plus, afin de garantir un minimum de sécurité, mais aussi un raccourci et le signe qu’on tourne le dos à l’identité administrative, qui est aussi celle de la signature de l’écrivain. La nouvelle identité d’écrivain – ou d’ « artiste transmédia »  – est aussi FBon [1].

Écrivain 2.0, c’est le sobriquet dont on affuble les auteurs qui écrivent sur le web. Si cela se veut un concept, cela pourrait bien faire partie de ce qu’Éric Chauvier appelle une fiction théorique, « soit un modèle conceptuel surplombant plaqué sur le vécu de chacun au point de rendre celui-ci inexprimable [2] », une sorte de container vide incapable de préciser de quoi il pourrait être question, mais chargé suffisamment d’autorité pour faire taire les non-initiés. S’il peut faire autorité intimidante, il prive également le discours d’aller plus loin, c’est-à-dire de rassembler déjà tous les indices qui permettent de donner cette étiquette et sortir de la « panoplie de l’écrivain sans papier [3] ». Ce dernier « sans papier » très proche des « sans-papiers » soulève tout de suite d’autres interrogations sous sa forme d’innocent abécédaire. Si l’écrivain depuis son invention se légitime par son œuvre remplissant les rayons des bibliothèques publiques et personnelles, autrement dit possède une présence matérielle se mesurant en kilogrammes. Quelle est la légitimité de celui qui se prive de papier bien que cet aspect soit à nuancer en ce qui concerne l’écrivain François Bon [4] ?

Où est donc passée l’œuvre ? Et où est passé son espace ?

« Mon site, pour moi, c’est plus qu’un blog : c’est la possibilité de tout mettre ensemble », dit François Bon dans un entretien récent [5]. Le blog n’est donc pas suffisant, pas seulement par ce que François Bon vient d’évoquer des « blogueurs » dans le paragraphe précédent : le blogueur n’est-il pas écrivain, ou auteur d’un autre type ? Dans la liste, nous trouvons Joachim Séné, Pierre Ménard, Arnaud Maïsetti, Christine Jeanney, tous publiés par publie.net, la maison d’édition numérique que François Bon a fondée en 2008, mais ici convoqués en tant que blogueurs, interlocuteurs de François Bon. Nous sommes en plein dans le flou créé par le sigle écrivain 2.0.

En effet, avant de tenter de savoir ce qui pourrait définir un écrivain 2.0, ou tout bonnement circonscrire de nouvelles pratiques d’écritures et d’échanges, on trouve sous ce mot clé environ 1800 entrées dans notre moteur de recherche omniprésent, entre autres l’auteur auto-édité sur le web [6], la communauté d’auteurs-blogueurs qui se lisent mutuellement [7], la reprise de l’écriture automatique, façon web [8], une sorte de pendant pour la situation générale d’un(e) jeune auteur(e) [9] qui veut se faire éditer, la question du piratage et de la gratuité [10], ou encore de forums qui sous forme de jeux [11] vous le permettent de le devenir, et beaucoup de publicités et aussi de doublons et de fausses pistes – l’algorithme ne sait pas tout faire. Et cette abondance de propositions, qui n’en est pas vraiment une, finit par ensevelir l’enquête sur ce que François Bon voudrait promouvoir. Pour l’approcher, on est obligé de s’installer dans une « impression de familiarité rompue [12] », d’abandonner ce qu’on a considéré comme donné et évident, pour commenter les concepts d’écrivain et d’œuvre et d’accepter aussi que l’écrivain 2.0 n’est qu’une béquille insatisfaisante, qui n’arrivera pas à créer un pont entre ce qui déterminait encore récemment la position d’écrivain et ce qui commence à changer, ni à saisir les véritables enjeux d’une écriture ouverte et en réseau. Il faudra aussi composer avec les contradictions des acteurs eux-mêmes, et avec François Bon en premier lieu : autrement dit, déjouer les pièges qui sont tendus par les outils, l’imaginaire et les rêves numériques.

Si l’acteur François Bon avance en tâtonnant, l’enquête doit faire de même, mais sans mimétisme. Peut-être devrait-elle même s’exposer à un work in progress, à l’image du site tierslivre.net, qu’elle est censée explorer ?

Dans ce cadre fluctuant, la validité du concept « écrivain » n’est plus assurée, les instances habituelles (édition, critique, public) sont redistribuées dans l’espace public, dans lequel l’écrivain travaille à découvert. Nous faisons pour l’instant abstraction du fait que François Bon y occupe une place privilégiée et revenons à cette distinction que Bon semble faire entre blog et site, même s’ils sont investis par la même personne. Le blog peut faire partie d’un site, mais le blog, du moins sous sa forme introduite par ses pionniers, ne saura pas contenir un site, ou la diversité d’un site tel que le tierslivre.

Dès qu’on jette un coup d’œil sur la page d’accueil, qui se présente comme un sommaire ou un portail, mais un portail statique [13] et architectural proche d’un immeuble [14], on perçoit l’exigence de « tout contenir » et de « tout rassembler ». Le site pourrait donc représenter ce qui fait œuvre, dans le sens large du terme.

Cependant, une question importante, celle de la légitimation littéraire, n’y trouve pas sa réponse. Si François Bon n’a plus rien à prouver, ayant été édité par des éditeurs de renom et d’un classicisme au-delà du soupçon, c’est une tout autre histoire pour ceux qui arrivent et veulent se saisir de cet espace ouvert. Ces derniers n’ont pas la bénédiction de Minuit, Verdier, d’Albin Michel ou du Seuil ne sont pas passés par cette case qui les définit et légitime en tant qu’écrivains. Nous retournons par ce biais dans « l’impression de familiarité rompue ». C’est l’éditeur et pas n’importe lequel qui « fait » l’écrivain, qui est après lui-même son premier lecteur, et qui lui ouvre la voie vers son public. Cette légitimité se trouve interrompue, et nous nous approchons dangereusement de l’idée que se font certains de l’écrivain 2.0, aux premières loges les plates-formes de vente qui, en se revendiquant éditeurs, voudront éliminer tout intermédiaire entre eux et les auteurs souhaitant se faire publier. Si l’on ne peut pas espérer qu’Amazon fasse un travail d’édition digne de se nom, où pourraient se situer les instances éditrices, qui ne sont plus prises en charge par un éditeur classique comme dans le cas de François Bon, ou seulement dans une sorte de validation à posteriori, quand le livre déjà publié sort sous format classique chez les éditeurs mentionnés ci-dessus ?

Dans le cas de Bon, ce ne serait même pas à posteriori, on peut supposer

  1. qu’il a la confiance de ses éditeurs attitrés, il est introduit comme signature d’écrivain
  2. que les activités sur son site ne sont pas considérées comme une concurrence de la chaîne traditionnelle, dont se servent Minuit, Verdier, Albin Michel ou Le Seuil.

Loin d’être une solution du problème soulevé, le cas de François Bon ne fait que le renforcer. Dire que l’écrivain est une « constitution symbolique à travers l’économie marchande du livre [15] » dont on pourrait faire abstraction, car ni détermination du genre (roman, poésie), ni détermination du statut (écrivain) interviennent dans l’approche des textes, est ou bien une conclusion hâtive ou bien déplace le problème du statut de l’écrivain vers le statut du texte : comment dire qu’il est littéraire ou non, à moins que cela aussi n’ait aucune importance ?

Posons la question aux réseaux ?

Notes

[1] Dans le nom du fichier epub, remplace le « bon » tout court, qui marquait les fichiers epub chez publie.net, depuis que François Bon se fait éditer par Tierslivre éditeur, c’est-à-dire par soi-même.

[2] Éric Chauvier, Les mots sans les choses, Paris, Allia, 2014, p. 25.

[3] Grégoire Leménager, « Google, iPhone, tablette… la panoplie de l’écrivain sans papier », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015. Dans le sommaire, l’article est annoncé de la manière suivante : « Les outils de l’écrivain 2.0 : Twitter, Facebook, son site internet… », certainement pour compléter google, iPhone et tablette…

[4] Parmi ceux qu’il met en avant lui-même il est probablement le seul à être présent dans les deux mondes, à la fois écrivain traditionnel composant une œuvre – de mauvaises langues proclament qu’il nous raconte la fin du livre et du papier dans le livre et sur le papier – et « écrivain 2.0 », cherchant une nouvelle existence, plus diffuse, plus ouverte et plus incertaine.

[5] Grégoire Leménager, op. cit. Et de tout changer à tout moment, est-on tenté d’ajouter. Comme si cet ensemble devrait porter une peau de caméléon et se réadapter à tout moment.

[6] Yousra Khalis, « Phénomène. Écrivains 2.0 », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[7] Clémentine Beauvais, « Littérature pour enfants, littérature pour adultes : Écrivain 2.0 : Comment se comparer sans déprimer », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[8] « Romanesque 2.0. Un automate écrivain ? », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[9] Léonel Houssam, « La vie de merde d’un écrivain moderne 2.0 : être publié dans une revue littéraire », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[10] « Écrivain 2.0 : interview de Paulo Coelho sur le téléchargement et le futur du livre », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[11] « [Jeu] Le meilleur écrivain 2.0 sur le forum Assassin’s Creed III », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.

[12] Éric Chauvier, Anthropologie, Paris, Éd. Allia, 2006, p. 132-135.

[13] À tort ou à raison, il ne cède pas à la barre des menus déroulants qui s’est généralisée dans les portails ou sites d’une taille comparable, ni reproduit ce sommaire à l’intérieur des pages.

Il existe par ailleurs une revendication du site « vintage ». François Bon, « Digression | ce que serait le site d’une seule histoire », en ligne ici. Consulté le 5 juin 2015.

[14] C’est depuis quelques années la présentation privilégiée par François Bon dans une lente mutation depuis le « tableau noir » des débuts.

[15] François Bon, « Coupures, transitions, ouvertures (notes pour Shenzhen, màj 06) », en ligne ici. Consulté le 4 juin 2015.




Espaces | HTML

Cet espace graphique à investir ne se donne pas librement en 1997, bien qu’il semble s’être quant à la page élargi avec la prise en compte du « blanc » comme signe ou marque ponctuante [1] ; il paraît étroit et assiégé : pour reprendre Bernard Noël, sa « sensure [2] », se dirige contre ce flot verbal du discours médiatique omniprésent et saturant l’espace au point de priver de sens les paroles qui s’énoncent ailleurs, condamnées à l’inaudibilité et une survie en marge [3]. Cependant, ce sentiment d’être à l’étroit, d’en être conscient de la marge, libère aussi des énergies pour lutter, résister ou tout simplement inventer de nouvelles formes de détournement s’il n’est pas possible d’attaquer frontalement. Les exemples donnés précédemment en témoignent.

Il y a ceux qui cherchent les réponses dans les livres ou d’autres comme Bernard Heidsieck qui trouvaient déjà dans les années 50, que le poème devait quitter la page, se réaliser sur scène et en public, bien qu’à part quelques jusqu’au-boutistes qui voulaient aussi se libérer de la parole comme Henri Chopin, tous se sont aussi servis du papier pour pérenniser leur art et sortir de la « fausse itérabilité » que Paul Zumthor confère aux appareils d’enregistrement audio-visuels. Cette idée du hors-du-livre a été reprise et nommée « littérature exposée », en élargissant les « lieux d’exposition » (de la scène du théâtre à la rue, les quartiers sensibles, lieux délaissés, friches industrielles) et les formes (lectures, affichages, signalétique, etc.) en impliquant d’autres expressions artistiques [4].

François Bon n’a pas investi trop la page, mais la pluralité des espaces est thématisée, notamment dans Parking, roman paru en 1996. Si nous regardons rétrospectivement cette époque, et son choix pour aller vers le web, nous pouvons relever aujourd’hui qu’il ne néglige aucun espace disponible ou à sa portée. Il continue à publier des livres papier, les siens, mais aussi encore récemment ses nouvelles traductions de H.P. Lovecraft, on peut le rencontrer sur scène dans des performances qui peuvent prendre des formes multiples, seul ou en dialogue avec des compagnons [5] de longue date, on peut suivre sur son site ses enterrements de classiques et proférations à proximité des ronds-points et expérimenter avec lui des ateliers d’écritures.

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Doc. 1 ‒ Extrait de Jacques Roubaud, Mathématique sur le site de François Bon du 02/12/1997, source ici.

Mais revenons à 1997, lorsque François Bon tente la page web (avant d’écrire le web). C’est l’époque où les fournisseurs d’accès au web sont encore généreux et offrent à tout abonné la possibilité de sa page personnelle, y compris le logiciel pour la développer. C’est à cette époque aussi qu’accèdent des gens curieux à l’internet, sans être des nerds, comme on a coutume d’appeler les passionnés de la programmation, du hacking et désormais du net profond. Les fournisseurs pensent s’adresser au grand public, on mesure par là la distance qui nous sépare de cette époque, lorsqu’aujourd’hui les « natifs d’internet » (né avec lui) sont devenus des « naïfs d’internet » (incapables de faire beaucoup plus que d’obéir à l’injonction d’une mise à jour du logiciel en appuyant sur le bouton OK). François Bon ouvre chez wanadoo sa page personnelle : c’est le 800e site référencé chez le fournisseur historique. Dans la note technique, nous apprenons pour le 8 décembre 1998, première page sauvegardée dans l’archive du web, que le site pèse environ 2,5 MO, 120 fichiers de 1-25 pages. Cette dernière indication nous apprend aussi que le passage de la page au rouleau n’est pas encore effectué. Si un fichier de traitement de texte se découpe par pages, c’est uniquement par commodité d’impression sur le support papier, et cette commodité n’a pas été introduite avant l’invention du traitement de texte, qui se devait être compatible avec le support papier (la promesse WYSIWYG [6]). Mes premières expériences d’ordinateur datent de l’époque MSDOS [7], des lignes de code à écrire et à exécuter pour ne pas rester bloqué devant un écran noir. L’impression papier du résultat souvent décevant, car imprévisible pour tout néophyte, se faisait sur une imprimante à aiguilles. Le fichier écrit pour représenter une page sur le web ne se soucie pas du nombre de pages, plus précisément ce n’est qu’une page plus ou moins longue qu’on fait défiler.

D’autres indices sur ce premier site indiquent également que François Bon, tout en franchissant un seuil qui ne restera pas sans conséquence, est encore dans un entre-deux :

Ce site est personnel, il permet la mise à disposition de textes ou documents relatifs à mon travail, librement téléchargeables pour mise en forme et consultation, mais protégés par les sociétés d’auteur (Sacd, Sgdl) et ne pouvant donc être utilisés sans autorisation.

Nous sentons l’hésitation sur la question des droits d’auteurs : comment « utiliser » les textes à la fois « librement » et ne pas les « utiliser sans autorisation [8] » ?Mais les contraintes imposées par le nouveau média feront aussi bouger les limites, si ce n’est pas déjà implicite – François Bon s’entoure dans son site d’amis vivants et morts – le passage au site demande des réponses collectives.

C’est ce qui distingue le parti pris de François Bon des autres écrivains résistants, que nous avons cités abondamment au début. Quant à eux, Bernard Noël, Claude Simon et d’autres choisissent une voie individuelle pour trouver des espaces de respiration. On pourrait presque dire que c’est générationnel. « […] la réflexion sur les fondamentaux mêmes de la lecture-écriture » (François Bon, op.cit.) engage une idée de collectif, qui ne se fera pas attendre.

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Doc. 2 ‒ Extrait de Maurice Blanchot, Écriture du désastre sur le site de François Bon du 02/12/1997, source ici.

Ce rapport  à un espace hors du livre, mais aussi hors de l’individu, va s’accompagner chez François Bon d’un geste énonciatif fort qui va toucher à l’identité, de l’auteur. On passe à l’identité numérique, de l’individu signataire du livre, on passe à l’écriture collective ou collaborative du web (« remue.net », « vases communicants [9] ») ou à une identité comme fragmentée ou diffractée dans la multiplication des rôles qu’endosse François Bon depuis 1997 : écrivain, blogueur, éditeur, traducteur, propulseur, promoteur, lecteur-critique, archiveur aussi de sa propre mémoire, légataire intellectuel (de Lovecraft). Est-ce que les statistiques arrivent à saisir ce mouvement ?

Notes

[1] Voir sur ce point la synthèse historique proposée par Stéphane Bikialo et Julien Rault, « Ponctuation et rythme (graphique) », in La Ponctuation : signes et fonctions, S. Pétillon et F. Rinck (dir.), Limoges, Éditions Lambert-Lucas, à paraître.

[2] « Le pouvoir bourgeois fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage […] – d’où une inflation verbale, qui ruine la communication à l’intérieur d’une collectivité, et par-là même la censure. Peut-être, pour exprimer ce second effet, faudrait-il créer le mot SENSURE, qui par rapport à l’autre indiquerait la privation de sens et non la privation de parole » (B. Noël, « L’Outrage aux mots », dans Le Château de Cène, Gallimard, « L’imaginaire », 1990, p. 157-158).

[3] Ce n’est pas un phénomène nouveau, il revient régulièrement en s’accentuent comme le tour d’une spirale : v. Karl Kraus, grand critique de la presse écrite dans les années 20, qui avait décidé se taire quand Hitler a pris le pouvoir. Pour des raisons diamétralement opposées, Martin Heidegger, dans Sein und Zeit (1927), avait appelé Gerede (bavardage) le flux incessant du discours médiatique, remplissant l’espace public.

[4] Cf. par exemple les travaux d’Olivia Rosenthal, Signes de vie avec Pilippe Bretelle, en ligne ici, et ceux de Jean-Charles Massera, en ligne . Consultés le 3 juin 2015.

[5] Dominique Pifarély, Philippe de Jonckheere, Vincent Segal, Sylvain Kassap, pour n’en nommer que quelques-uns.

[6] What you see is what you get.

[7] Windows 3, le premier BIOS Microsoft, qui arrivait à la cheville de ce qui se faisait chez Apple (Mac OS 7), était réservé à quelques privilégiés dans l’université de province où l’on m’a obligé de prendre des cours de langage Pascal sous DOS.

[8] La licence publique générale (GNU) n’est pas encore née, qui ferme le vide entre le droit d’auteur classique et la tentative d’enlever des entraves trop rigides tout en insistant sur le côté non commercial et le respect de la source par la citation obligatoire du l’auteur.

[9] Brigitte Célérier, « Vasescommunicants – liste depuis 2009 », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.




Immeuble | monument | Œuvre

Pour mon premier site, j’avais pour métaphore la vitrine de mon ami luthier. Il y met un moule, un fragment de bois brut, un vieil instrument racheté avant restauration. On sait qu’on a affaire au luthier, rien ne trouble la discrétion de ce qui se passe dans l’atelier.

Mais vite on a franchi la vitrine, maintenant on entre directement dans l’atelier.

Le travail au jour le jour, les esquisses, les chantiers, les outils.

Par exemple, on peut visiter ma bibliothèque, on peut assister à mes lectures, suivre mes ateliers d’écriture [1].

Le site est à la fois archive (« vieil instrument racheté avant restauration ») et atelier ouvert, où s’opère et peut s’observer le travail « au jour le jour », les chantiers et les matérialités. Quel degré de fixité, de figement des expérimentations, que reste-t-il de la « pulsion d’œuvre », quelle place pour le moviment ? Cela passera dans cette entrée par des métaphores : la « vitrine de l’ami Luthier », la « discrète fenêtre sur rue » sont les premières, rappelant le toit soulevé dans Le Diable boiteux, image qu’emploie Perec dans Espèces d’espaces dans la section « l’immeuble » :

J’imagine un immeuble parisien dont la façade a été enlevée — une sorte d’équivalent du toit soulevé dans « Le Diable boiteux » ou de la scène de jeu de go représentée dans le Gengimonogatoriemaki — de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les pièces qui se trouvent en façade soient instantanément et simultanément visibles [2].

Car, pour François Bon, le site est (entre autres métaphores : l’arbre, la ville [3], etc.) un « immeuble [4] ». Comme dans cet immeuble au toit soulevé, ou cette façade ouverte, le lecteur découvre le site par le haut (le bandeau) et redescend. Mais le mouvement de lecture s’ouvre grâce à cette visibilité instantanée et simultanée : cette recherche de la visibilité est essentielle pour François Bon. Et le site a d’abord été cet espace permettant de rendre visible des pratiques d’écriture, la sienne et celles des autres, tant l’écriture est toujours liée à la lecture chez lui.

En novembre 2013, lors du colloque consacré au tiers livre, la photographie de la page d’accueil du site est un « immeuble » : mais un immeuble à la Perec [5], un immeuble à la façade enlevée, où on peut passer à travers les murs, ou qui a de multiples entrées et sorties, des portes de secours, dérobées, des fenêtres plus ou moins isolées…

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Doc. 1 ‒ Montage de : Saül Steinberg, No Vacancy, in The Art of Living, Londres, Hamish Hamilton, 1952 et de la page d’accueil de Tiers Livre le 13/11/2013, source ici.

La structure d’empilement vertical de lignes horizontales est à la fois la structure du blog et d’un immeuble et de ses étages, d’où l’analogie visuelle entre le site et l’immeuble. Tiers Livre toutefois n’est pas qu’un blog, qu’une « fosse à bitume » : par les hyperliens, voire par un certain nombre d’astérisques qui forment une cartographie, des points d’accès, comme l’auteur le précise au début de sa page « bio » qui file la métaphore spatiale :

les liens marqués* vous conduiront un peu partout dans l’histoire de ce site, cette page en est donc une des cartes d’accès [6].

Ces liens rapprochent davantage le(s) parcours dans le site de la polygraphie proposée par Perec pour La Vie mode d’emploi, et dont rend compte le dessin de Saül Sternberg cité dans Espèces d’espaces comme une des sources initiales de La vie mode d’emploi, que reprend François Bon sur « tierslivre » dans « Georges Perec | Kafka remix [7] » :

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Doc. 2 ‒ Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Plan de l’immeuble, 30 x 21 cm, BNF, Arsenal, dépôt G. Perec, 110, 1, d.

On voit bien ce qui plaît dans cet immeuble : les liens, les mouvements possibles (la polygraphie du cavalier qu’évoque G. Perec lorsqu’il commente les déplacements de ses personnages). Un site est un espace ou plutôt la réunion de différents espaces par des hyperliens et selon une arborescence. Comme un immeuble. Gardons ainsi de l’immeuble cette pluralité d’espaces reliés, ou encore un réseau – on y revient plus bas.

Cette représentation de l’immeuble en page d’accueil, qui semble aujourd’hui stabilisée – il n’y a plus que les hiérarchies dans l’immeuble (qui a droit au penthouse ?) et la bannière avec le descriptif du site qui changent – a mis pourtant du temps à venir.

Après son déménagement vers le tierslivre.net, François Bon avait d’abord repris le toilettage que Philippe de Jonckheere avait imposé à remue.net avant que Julien Kirch réécrive tout le site pour SPIP, une phase intermédiaire, qui essayait de se libérer du tableau noir de François Bon, sans sortir du site statique. La question du volume insuffisant jouait certainement aussi un rôle. On peut y reconnaitre une sorte d’étagère, la verticalité du site n’a jamais été une interrogation graphique [8]. Il est sorti des cases pour faire des strates — comme sur remue à ce même moment [9]. Puis l’expérience SPIP s’est généralisée dans son entourage, et reste jusqu’à aujourd’hui le CMS préféré des remueurs [10].

Il y a une arborescence centrale, très mince, et sur chaque nœud de l’arborescence on revient, on complète. Et pour organiser son propre retour à ce centre arborescent, où sont les grandes forces, on dresse des ateliers, on expérimente en laboratoire [11].

Avec cette « arborescence » apparaît une nouvelle métaphore pour le site, qui n’est pas sans rappeler de nouveau Claude Simon [12] : l’arbre

Nous serions alors l’écrivain d’un seul livre.

Ce livre grandirait avec nous, il serait comme un arbre. Il serait fait de toutes nos traces, porterait à jamais toutes les cicatrices et les coupures. De cet arbre, nous saurions définir ce qui est tronc, par lequel nous grandissons, et ce qui est branche, nos chantiers, nos recherches, nos mises en attente, et jusqu’à ce qui est feuillage, où nous frôlons et nous mêlons aux arbres voisins, ce qui serait, par commentaires et réseaux, la limite bruissante de l’arbre personnel. […]

Ce n’est qu’une métaphore : mais le Web est notre livre – une construction [13].

Rass &Bikialo_TiersLivre_Immeuble_3

Doc. 3 ‒ L’arbre de l’enfance : François Bon.

Ces liens finissent par former un tout, un « monument », une « œuvre » : Le site comme œuvre (au même titre que les autres textes, livres) ou le site comme « Œuvre » : un travail de récupération au sein du site comme il le décrit dans Après le livre [14], ou dans ses « bios » déjà citées en ouverture : en novembre 2013, il projetait pour 2013-2018 :

/achève quelques projets de livres amorcés de longtemps (St Kilda*, Balzac*) et préparation d’un verre sphérique incluant la totalité de ce site***.

En février 2014, la métaphore demeure, mais repoussée – à 2018-2023 – et précisée :

Évolution progressive et définitive du site Tiers Livre en arborescence d’œuvre transmedia et préparation d’un verre sphérique inaltérable et indestructible incluant la totalité de cette œuvre unique * * *.

« Œuvre unique », « verre sphérique inaltérable et indestructible » : s’il n’y a pas d’ironie ou de référence cachée, c’est la postérité qui se prépare là, d’où l’insistance sur la reprise des textes antérieurs dans l’espace du site :

reprendre progressivement en version web, sans passage par le « livre numérique », mon travail passé –[…]dans cet objet en constitution progressive, dont l’arborescence rejoindra mon travail global [15]  ?

« Travail global » relaie ici « l’œuvre unique » : le site est espace d’expérimentations, mais cet ensemble finit par former « œuvre » : une « Œuvre » qui se construit après coup, par récupération du déjà écrit, de manière rétrospective comme F. Bon l’évoque dans l’entretien avec Th. Hesse où il indique aussi : « Tout faire pour brûler, tout faire pour résister, pour détruire dans l’œuf sa propre pulsion d’œuvre [16] ». Mais la pulsion (ou l’œuvre) résiste, fait retour, volontairement ou malgré lui :

Je me souviens en décembre 2004 d’un passage hôpital, et que cette idée du nom Tiers Livre me venait avec force pour dire, tout simplement : ceci, ce site Web, est un livre, une œuvre en développement par elle-même, et non pas la médiation du travail de Bon François, auteur [17].

Que l’œuvre se fasse malgré l’auteur, en dehors de sa volonté et même « médiation » n’implique pas un « désœuvrement » comme le suggère Arnaud Maïsetti, dans « Sites et espaces littéraires [18] », article qui propose, en référence à Blanchot, de parler du site comme « espace littéraire », où apparaîtrait un « centre fuyant sans cesse à mesure qu’il se construit, se conçoit [19] ». Il est bien question de « l’attraction d’un centre introuvable » et ceci serait le livre, mais « désœuvré » : si l’œuvre est cette aimantation, cette condensation – voir le parallèle proposé avec « l’espace du poème » de Bernard Noël –, réalisée par l’auteur, le sujet de l’écriture ou par le lecteur, l’œuvre se construit dans cette réunion, ne serait-ce qu’en listant parmi ses œuvres sur publie.net le site lui-même, mais aussi en les republiant toutes, avec commentaires, préfaces comme récemment pour Tumulte [20] :

Et bien sûr tout cela en mouvement, ce site se remodèle en permanence, c’est peut-être le seul point où le mot œuvre aurait pertinence : comment d’un côté intégrer les travaux passés, créés en fonction de certaine ergonomie du livre et de sa diffusion, et interroger des formes narratives dont les conditions mêmes de lecture se déplacent à mesure des nouveaux supports et des nouveaux usages [21]  ?

Construire une œuvre, un immeuble, un monument, mais lui garder une dimension dynamique, de flux, de tension, de questionnement, cela implique de ne pas se contenter du site comme blog et « fosse à bitume ». Cela implique aussi d’envisager cette œuvre globale comme récit, mais aussi d’envisager le site comme « espace transactionnel [22] », donc le site comme ouvert en permanence au réseau. La reprise des textes passés comme l’ancrage de l’écriture dans le contemporain implique une attention permanente aux autres œuvres écrites ou qui s’écrivent « depuis maintenant » (Leslie Kaplan).

Le site comme réseau implique ainsi de rappeler qu’un site n’est pas un immeuble : car l’immeuble a un nombre d’entrées limitées, alors que pour le site, chaque page représente un lieu d’accès possible, un espace en soi, a une adresse propre, à la fois indépendant (on peut accéder à telle page directement) et dépendant du reste du site. Mais aussi parce qu’un site évolue plus vite qu’un immeuble, pas les mêmes durées :

Un site est un immeuble, me coupe l’ami juriste, un immeuble est souvent voué à évoluer. Mais le site internet n’a pas de fixation réelle et tangible sur une durée comparable. Il peut être modifié à n’importe quel instant [23].

Or le site est bien un immeuble, car il associe permanence et évolution : il est un espace d’expérimentation, créant de nouveaux espaces au fur et à mesure que se créent, s’expérimentent de nouveaux projets, des nouveaux dispositifs ; et en même temps une grande permanence justifie notamment la date sur la page d’accueil du site [24] : 1997, donc la date non pas de « Tiers Livre », mais du premier site de François Bon. On le constate dans la permanence des rubriques. Le site est un immeuble, un monument, certes, mais n’est-il pas aussi la réalisation de ce nouveau genre littéraire que Francis Ponge appelait de ses vœux et souhaitait pratiquer : le moviment ?

Notes

[1] François Bon, « L’écran et le livre : Internet : péril ou chance pour les auteurs ? » Revue des ressources, 2007, repris le 17 mai 2011. En ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[2] Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Éd. Galilée, 1974/2000, p. 81.

[3] Id., « Dévastée l’enfance », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015. Également : Id., Après le livre, Paris, Seuil, 2011, « arbre », p. 199-201, « ville », p. 217.

[4] Id., op. cit., p. 214. Ou : Id., « Et si mon site est un immeuble », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[5] Immeuble dessiné par G. Perec pour La Vie mode d’emploi (à gauche) et page d’accueil de Tiers Livre en novembre 2013.

[6] François Bon, « François Bon | CV bio [màj permanente] », dernière modification le 28 février 2014, en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[7] Id., « Georges Perec | Kafka remix », article 3415. Consulté le 6 juin 2015.

[8] Id., « Tierslivre.net – page d’accueil du 12 novembre 2004 », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[9] « Remue.net – page d’accueil du 8 décembre 2004 », en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[10] Nom que le collectif d’auteurs de remue.net a donné à ses membres.

[11] Entretien avec Thierry Hesse, L’Animal, n° 16, 2003, p. 4. En ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[12] On se souvient de la fin de L’Acacia (Minuit, 1989) qui réécrit le début d’Histoire (Minuit, 1967) et la mise en écriture en lien avec l’arbre. Voir aussi les éléments généalogiques évoqués notamment dans le chapitre « Les arbres de Claude Simon », de l’ouvrage de Mireille Calle-Gruber, Claude Simon. Une vie à écrire, Seuil, 2011.

[13] François Bon, Après le livre, Seuil, 2011, p. 199-201.

[14] Ouvrage cité, p. 62-66.

[15] François Bon, « Digression : … » op. cit. L’œuvre est lié au travail, en allemand (Werk) et anglais (work) encore plus visible.

[16] François Bon, « Pas besoin de la notion d’œuvre », entretien avec Thierry Hesse, L’Animal, art. cit., p. 3.

[17] Id., « 12 ans de web à chaque seconde », article 2050. Consulté le 6 juin 2015.

[18] Repris dans Sites et écritures, publie.net, 2011.

[19] Et « le site est à la fois un espace donné, une construction de langue, un processus toujours déjà là du à venir, d’un livre ou d’un espace en train de se construire ».

[20] V. L’article de Gilles Bonnet dans ce dossier.

[21] François Bon, « Tiers Livre dépouille & création – le site web comme objet d’étude universitaire ? », 15 novembre 2013, revu le 27 novembre 2013, en ligne ici. Consulté le 6 juin 2015.

[22] C’est un des points sur lesquels insistent R. Audet et S. Brousseau, art. cit., 2011.

[23] François Bon, « Et si mon site est un immeuble », 2010, article 2361. Consulté le 25 mai 2015.

[24] Dans le bandeau du haut jusqu’en 2013, donc très visible, dans les précisions techniques du bas de la page d’accueil depuis fin 2013 : « site composé, rédigé et publié depuis 1997 par François Bon ». En ligne ici. Consulté le 2 juin 2015.




Moviment

Le site non pas (seulement) comme monument [1], mais moviment, donc : revenons à ce qu’en dit Francis Ponge pour affiner l’hypothèse :

Inutile à ce propos, il me semble de revenir en come-back sur les pages précédentes, non du tout faites, c’est assez sensible, pour se dresser dans votre mémoire en posture de monument achevé, mais plutôt, et très ostensiblement, pour oser n’oser montrer autre chose que le maintien, au fur et à mesure de son édification, de leur propre échafaudage, dans toute sa complexité ; et ainsi, de niveau en niveau […]. Moins donc un monument, que, s’il me faut inventer ce mot : un moviment [2].

Lorsqu’il publia les brouillons l’ayant mené au Pré (1970), ainsi que diverses notes, il indiqua en effet à son éditeur que « ces esquisses, ébauches ou brouillons » marquaient la naissance « d’un nouveau genre littéraire [3] ». Tiers Livre de François Bon accomplit ce nouveau genre littéraire :

Le flux de l’écriture est au cœur du projet – flux comme continuité à travers le temps, flux comme mouvement et processus originel de l’écriture littéraire. C’est la tension vive entre l’élaboration d’une œuvre à travers le temps et les rouages de l’écriture dans son perpétuel exercice [4].

Avec cette différence que les strates disparaissent, sont remplacées, « mises à jour » (MàJ) dans l’espace pour ne plus exister que dans le temps, dans la mémoire de lecteurs, alors que l’idée du moviment est bien de publier les strates dans un même espace comme l’a fait Ponge. La mise en page du début du Jardin des Plantes de Claude Simon (Minuit, 1997) a pour but d’exemplifier ce souvenir de la genèse qui laisse des traces dans l’œuvre publiée :

Jean-Claude Lebrun : […] vous semblez avoir voulu donner à ces deux termes [fragments et combinaisons] une forme tangible et palpable, qui se manifeste dans la typographie éclatée, notamment au début du livre. Qu’est-ce qui vous a conduit à effectuer ce choix formel, d’autant plus remarquable que vous êtes le seul, aujourd’hui, à vous y risquer ?

Claude Simon : Ça a été en regardant des feuillets sur lesquels j’avais pris des notes pêle-mêle. J’ai trouvé cette disposition, due parfois au hasard, assez plaisante, « parlante ». Si vous voyez ce que je veux dire […] Cette disposition palliait dans une certaine mesure l’impossibilité où l’on est de dire en même temps des choses qui sont pourtant saisies ensemble, puisque l’écriture n’a qu’une dimension : la linéarité [5]

Rass &Bikialo_TiersLivre_Moviment_1_Manuscrit_C_Simon

Doc. 1 ‒ Page de manuscrit de : Claude Simon, Jardin des Plantes, Paris, Minuit, 1997.

Claude Simon pose là un rapport intéressant à l’avant-texte, aux « notes », la mise en page étant un moyen de restituer ce travail préliminaire, de rester proche des brouillons. Il affirme surtout « palli[er] dans une certaine mesure » – soulignant ainsi la relativité de ce rejet du linéaire – le défaut de la linéarité, ce que le texte indique dans un commentaire à valeur métadiscursive :

‒ L’ensemble ? Vous voulez dire se faire une idée de tout ce qui se passait au même moment ? Attendez, attendez… Oui : comment imaginer ? Par exemple, cette réunion de ce cabinet, et en même temps la brigade de cavalerie battant en retraite dans la nuit, loin encore en Belgique, et en même temps cette ruée de… Attendez, attendez ! Comme on a essayé de le faire au cinéma, il faudrait plusieurs écrans sur lesquels on projetterait simultanément des images différentes. C’est impossible en parlant ou en écrivant. (Le Jardin des Plantes, p. 212)

Les écrans, les espaces simultanés prennent le relais de la parole ou de l’écriture sur papier et de leur dimension linéaire. Dans le site, mais déjà peut-être dans ses ouvrages publiés lors de cette période, chez Minuit et Verdier, François Bon est assez proche de cette écriture du moviment : ainsi des commentaires sur le site de la genèse des œuvres : Parking, ou Tumulte, et plus tard les compléments, enrichissements à Mécanique ou à Paysage fer. Pour François Bon, l’expérimentation de nouvelles formes d’écriture [6] passe forcément par la recherche de nouveaux espaces :

Comme si le départ d’une nouvelle écriture appelait désormais pour moi d’y associer un espace virtuel neuf [7].

Et l’auteur propose une comparaison entre l’hébergement web et les carnets de notes qui renforce cette idée d’un lien étroit entre espace et écriture et en particulier espace numérique et dimension génétique (notes, brouillons, « style en mouvement [8] ») :

finalement, utiliser le grand nuage des hébergements Web comme ces carnets qu’on stocke dans un tiroir, parfois juste deux ou trois pages noircies, mais dans l’idée qu’on pourra les reprendre et continuer [9].

Le site est bien cet espace d’une écriture en mouvement, d’une mise en jeu de ce genre du moviment défendu par Francis Ponge ; il n’y a qu’à s’attacher à une période donnée à la variété des projets en cours et surtout la variété des expérimentations de nouvelles formes, de nouveaux dispositifs, qu’il s’agisse de critique d’arts et de comptes-rendus d’expos, de photos ou de vidéos, de traductions, de journal « 1 image, 1 jour : le petit journal » avec le petit journal des lecteurs/commentateurs. Avec une diversification des domaines d’exploration, des supports (musique, vidéos, photos…). Un exemple parmi tant d’autres de proposition d’une nouvelle forme :

Série | science-remix [10]

Principe : pour tout article lu sur le web provoquant un petit déclic d’imaginaire, comprimer la source en quelques lignes, et la récrire en décalant les propositions.

Donc le monde, et le monde à l’envers.

Une mémoire de cette curiosité qu’éveille en permanence le web, et qui se disperserait sinon.

La source est systématiquement indiquée.

Le site comme espace d’expérimentation, comme atelier de création, comme espace d’« exploration » : le mot intervient fréquemment sous la plume sous la touche de François Bon : ainsi, en juin 2015, au sujet de la série « Ronds-points » : « sommaire des ronds-points explorés », « hors série | une exploration des Îles noires » ; les web-livres font partie de ces espaces. La série des ronds-points, lancée en 2014, est bien un projet où le moviment domine en lien avec l’espace urbain qui devient espace de création : lecture sur les lieux (« que chaque séjour sur chaque rond-point soit l’occasion d’une performance littéraire »), livre enterré [11], photographies (« Les considérer d’abord comme chambre d’enregistrement photographique »), écriture (« Les considérer comme lieux d’accumulation textuelle : sur place, noter, inventorier, décrire ») : dans l’esprit de la « littérature exposée » pratiquée et définie par Olivia Rosenthal [12] qui investit l’espace urbain comme espace graphique :

Lieux ouverts, ils reconditionnent l’orientation (la signalétique des bords d’agglomération ne passe plus par des toponymes, mais par leur représentation iconique, idem les voix de GPS) et la dynamique même de progression et reconfiguration de l’espace urbain. Lieux vides, ils sont à la fois des espaces de reconquête pour la flore sauvage (dans le 9-3 notamment), voire d’implantation d’objets artistiques et/ou paysagers, au vieillissement dessinant à nouveau une histoire (de la « cage » de Saint-Pierre des Corps aux Buren de la Tranchée, en passant par la suite de sculptures sur la N10 dans Tours-Sud) [13].

Par contre, cet investissement de l’espace public, l’exposition du littéraire se distingue de ceux qui comme Bernard Heidsieck projetaient un espace du poème hors du livre, mais partagé en direct sur scène. Le projet de François Bon n’implique aucun public en direct, au contraire : imaginons-le enterrer des livres devant une foule de spectateurs autour d’un rond-point ou sur une friche industrielle. Non seulement le caractère de livre enterré et introuvable sera perdu, mais le côté rituel de l’action se trouvera renforcé, tandis que dans la démarche semi-clandestine, le rituel est mis à distance et transféré dans ce qui fait différance (Derrida) entre l’acte et sa diffusion sur le site.

Notes

[1] Même si le projet Lovecraft est devenu « The Lovercraft Monument » (page d’accueil du tierslivre, le 2 juin 2015). Même si le modèle analogique de l’immeuble et la « pulsion d’œuvre » envisagés dans « Immeuble | monument | œuvre » créent une part de monument.

[2] Francis Ponge, L’écrit Beaubourg, Paris, Centre Georges Pompidou, 1977, repris dans Œuvres complètes II, Gallimard, « Pléiade », 1992, p. 898 et 908. Voir Stéphane Bikialo et Sabine Pétillon (dir.), Dans l’atelier du style, La Licorne, n° 98, PUR, 2012.

[3] Francis Ponge (1984), Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann, repris dans Œuvres complètes II, op. cit. : « Ces esquisses, ébauches ou brouillons sont d’époques diverses, plus ou moins lointaines et traitent de problèmes, quant à moi, depuis toujours et à jamais quasi obsessionnels. Plusieurs expériences du même genre (il s’agit désormais, en effet, d’un nouveau genre littéraire) m’assurent que leur publication intéressera, parmi leurs lecteurs, pour le moins ceux déjà familiers de mon œuvre ». Dans « Francis Ponge : une poétique de la genèse : de l’exhibition des brouillons à l’invention d’un genre », Genesis, n° 12, 1992, B. Weck a restitué ce parcours d’une « poétique de la genèse » chez Ponge.

[4] René Audet et Simon Brousseau, « Pour une poétique de la diffraction de l’oeuvre littéraire numérique: L’archive, le texte et l’oeuvre à l’estompe », Protée, vol. 39 / 1, 2011, p. 10.

[5] Claude Simon, « Parvenir peu à peu à écrire difficilement », L’Humanité, 13 mars 1998. Il convient de nuancer l’enthousiasme de Jean-Claude Lebrun : Claude Simon est loin d’être le seul à pratiquer une telle mise en page, même s’il est vrai que c’est rare dans la forme « roman ».

[6] Jean Clément, « Une littérature en mouvement », dans Communication et langages, n° 155, 2008 : « Par bien des aspects, la littérature numérique s’inscrit dans une généalogie des formes littéraires. De ce point de vue, elle apparaît comme l’aboutissement de certains courants littéraires expérimentaux ou, plus précisément, comme la possibilité de mise en œuvre de potentialités inscrites dans le projet littéraire, mais que le support papier condamnait à rester lettre morte à l’instar des livres imaginaires de Borges » (p. 39).

[7] François Bon, Après le livre, Paris, Seuil, 2011, p. 65.

[8] Anne Herschberg-Pierrot, Le style en mouvement: littérature et art, Paris, Belin, 2005. L’auteure propose de redéfinir le style en prenant en compte la dimension génétique, comme processus continu.

[9] François Bon, op. cit., p. 66

[10] Id., « Série | « science remix » », en ligne ici. Consulté le 7 juin 2015.

[11] Id., « Du protocole d’enterrer des livres dans les ronds-points », article 4021. Consulté le 6 juin 2015.

[12] Lionel Ruffel et Olivia Rosenthal, « Littérature, n°160 », en ligne ici. Consulté le 16 mai 2015.

[13] François Bon, « Le tour de Tours en 80 ronds-points », article 4023. Consulté le 7 juin 2015.




Lancement de la plate-forme

Lancement de Komodo 21, la plate-forme d’édition électronique du RIRRA21.

Trois premiers dossiers en ligne :
1 | 2015 Tiers Livre dépouille & création
2 | 2015 Les radios de Philippe Soupault
3 | 2015 La fin du livre : une histoire sans fin

Notre modernité a vu la littérature sortir du livre, pour investir d’autres supports et s’adapter à différents écosystèmes culturels. Au XIXe siècle, lorsque la France entre dans sa première ère médiatique de masse, les artistes colonisent et reconfigurent tous les territoires de la presse. Plus tard, les écrivains s’emparent de la radio comme mode d’expression alternatif, pleinement mais autrement littéraire : après la presse écrite et avant la télévision et internet, la radio bouscule le rapport des écrivains à l’actualité, à l’imprimé et à la parole, aux formes, genres et supports de la création, à l’édition, aux publics, à la gestion de leur « personnage ». Quant à l’actuel tournant numérique, il révolutionne aussi bien les formes littéraires que les processus de lecture et de réception.
Komodo 21, par sa forme et son contenu, se donne pour vocation d’accompagner les avancées de la recherche dans ces différents domaines, en lien avec ce qui fait la carte d’identité scientifique et la notoriété du laboratoire de recherche RIRRA21 auquel elle est adossée.
Situé à Montpellier (France), le laboratoire RIRRA21 (« Représenter, inventer la réalité du Romanisme à l’aube du XXIe siècle »), équipe d’accueil 4209, compte 40 enseignants-chercheurs en activité et 70 doctorants dans les disciplines suivantes : littérature française et comparée des XIXe et XXe siècles, études cinématographiques, arts du spectacle, musicologie, arts plastiques.
Komodo 21 questionne le comment de la littérature en ses différents supports, au travers de dossiers ciblés, de dimensions réduites (une douzaine de contributions au plus), explorant les déclinaisons, variations ou mutations communicationnelles du fait littéraire, de l’entrée dans la « civilisation du journal » au XIXe siècle aux recompositions induites par le développement des médias numériques depuis la fin du XXe siècle. Le support numérique, en accord avec les objets de recherche abordés, allie la réactivité et la diversité des documents mobilisables : Komodo 21, à l’instar de la « littérature augmentée », se veut multiple, évolutif et découvreur.

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