Visions du monde, pouvoirs d'évocation. Exotisme et pittoresque en anthropologie et en littérature

Langues étrangères et exotisme dans les récits de voyages aux Antilles au XVIIe siècle

Christina Kullberg
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Cet article propose de repenser le concept d’exotisme à partir d’une analyse de l’insertion des langues étrangères dans quelques relations de voyage aux Antilles du XVIIe siècle. Au lieu d’examiner une thématique relative à l’exotisme caribéen, nous porterons donc l’attention sur les stratégies d’écriture et analyserons la manière dont les relateurs négocient la place de l’étrangeté dans leurs textes. Cela nous permet de problématiser ce que nous identifions comme deux orientations dans la théorisation de l’exotisme : une approche textuelle de l’exotisme, s’appuyant sur la première acception du concept, et une approche culturelle, qui privilégie l’analyse des jeux de pouvoir implicites à son articulation dans un contexte colonial. L’objectif de l’article est donc double ; nous opterons à la fois pour une critique de la manière dont le concept a été limité par les lectures contemporaines et pour une reconfiguration du concept à partir des contextes historiques et esthétiques qui déterminent la relation de voyage aux Antilles de l’établissement français.

This article offers an attempt to rethink the concept of exoticism by analyzing the insertion of other languages in a few travelogues written by French missionaries to the Caribbean in the 17th century. Instead of examining themes related to Caribbean exoticism, we will thus focus on a strategy of writing and analyze the ways in which the travel writers negotiate the place of the stranger within their texts. This will enable us to question what we see as two orientations within the theorization of exoticism: a textual approach that draws from the first understanding of the concept, and a cultural approach, which favors the analysis of aspects of power inherent to the colonial context. The goal of the study is thus double. On the one hand, it seeks to critically examine the ways in which contemporary readings tend to limit the concept of exoticism and, on the other, it proposes to outline a reconfiguration of the concept in light of historical and aesthetical contexts that determine travel writing to the Caribbean during the French settlement.

Plan

Texte intégral

Cet article pose la question de savoir si le concept d’exotisme peut nous aider à comprendre la manière dont les relations de voyage de l’établissement français aux Antilles, publiées au milieu du XVIIe siècle, intègrent les langues étrangères au sein d’une narration en français [1]. Le but est double. Il s’agit à la fois d’examiner l’intrication d’une stratégie d’écriture et d’interroger, sur un plan théorique, un terme, celui d’exotisme, dont la définition est souvent floue et qui est de plus anachronique si on le réfère au XVIIe siècle. Bien que le mot « exotique » existe depuis Le Quart Livre de Rabelais, il n’est guère utilisé en français jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, période où il apparaît dans les dictionnaires, et son usage est rare jusqu’au XIXe siècle [2]. Notre compréhension contemporaine du mot, héritée du discours romantico-réaliste, l’associe à une littérature (coloniale) pittoresque plutôt banale, pour ne pas dire kitsch. Ou bien l’on insiste sur les circonstances de la création et de la réception, en démontrant que le terme découle infailliblement d’un regard dominant qui ne fait que chosifier l’autre. La définition qui convient le plus à l’époque qui nous intéresse ici est sans doute celle qui relève de son acception première, selon laquelle l’exotisme renvoie à ce qui vient de l’étranger (dérivé du mot grec exôtikos, signifiant ce qui vient du dehors). Mais, comme on le sait, il s’avère difficile de s’en tenir à une telle définition purement référentielle. Le concept requiert vite l’adjonction de connotations culturelles, chargées de sens et de perspectives diverses. Dès lors il semble condamné à toujours rater sa cible : parce qu’il empêche de voir l’autre et débouche sur une projection des fantasmes de l’écrivain et du lecteur, ou parce que les codes de représentation qui lui sont associés ne sont pas adaptés pour dire un ailleurs trop éloigné, il n’arriverait jamais à reproduire l’altérité.

Il y a une part de vérité dans cette condamnation pessimiste. Cependant, pour ce qui concerne les voyageurs aux Antilles du XVIIe siècle, la captation de l’étranger ne se réduit pas à un seul registre. Dans un même récit, certains passages donnent par exemple l’image du « bon sauvage » tandis que d’autres projettent le stéréotype du féroce cannibale et entre ces deux cas stéréotypés, les relateurs racontent des échanges quotidiens avec les Amérindiens. En effet, la relation de voyage couvre plusieurs modalités d’écriture et les choses autochtones sont rarement isolées dans les textes. Parler d’un exotisme à cette époque demeure donc problématique, non pas seulement parce que la notion même est anachronique, mais aussi parce que l’écriture est soumise à d’autres codes que ceux qui furent actifs durant la période où cette catégorie s’est développée et a été particulièrement mobilisée, soit entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle. En même temps, se borner à l’acception première et restreindre l’exotisme à ne seulement signifier que les éléments venant du dehors comporte le risque de simplifier la complexité de la représentation de l’étranger dans le contexte qui nous intéresse. C’est à la lumière de ces questionnements que nous nous demanderons comment penser l’exotisme au XVIIe siècle. Nous proposons qu’il correspond à une stratégie d’écriture et c’est pourquoi nous tenons à focaliser l’attention sur un aspect stylistique des relations de voyage – l’inclusion des langues étrangères – plutôt que de le traiter comme une thématique relative aux imaginaires associés à l’exotisme antillais [3].

Les relations de voyage de l’établissement français aux Antilles constituent un corpus mineur dans la littérature viatique du XVIIe siècle [4]. Elles connaissent une période de publication assez intense après la fin de la Guerre de Trente ans, jusqu’au rétablissement de la politique coloniale par Colbert, soit entre 1650 et 1670, et sont presque exclusivement rédigées par des missionnaires. Nous examinerons les plus grandes publications de cette période : Histoire générale des Antilles habitées par les François (1654 et 1667-71) du dominicain Jean-Baptiste Du Tertre, qui séjourna aux îles entre 1640 et 1658 ; Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique (1658) du protestant Charles de Rochefort, dont les dates exactes du séjour aux Antilles sont difficiles à déterminer [5] ; Les Desseins de son Eminence de Richelieu pour l’Amérique (1659) d’un autre dominicain, André Chevillard, qui fut en Guadeloupe en 1648 ; et finalement Voyage de la France équinoxiale en l’isle de la Cayenne, entrepris par les François en MDCLII (1664) par le curé Antoine Biet [6]. Les Antilles ne sont plus nouvelles pour ces voyageurs : ils avaient déjà préparé leurs séjours en lisant les comptes rendus des voyageurs antérieurs, espagnols notamment, et en étudiant les cartes. Leurs récits participent au projet plus vaste de la colonisation, mais les missionnaires ne partagent pas toujours la politique des compagnies, des propriétaires, des colons ou de la couronne, ce qui fait que des intérêts concurrents se manifestent parfois dans l’écriture. Ces aspects, parmi d’autres, contribuent à rendre ces textes particulièrement intéressants pour interroger l’exotisme : ces livres ne racontent pas une rencontre avec l’étranger issue d’un premier échange, mais ils s’inscrivent dans les complications de l’histoire coloniale et de ses représentations. Ce contexte influence leur écriture. Comme il s’agit plutôt d’une réécriture ou de la poursuite de voyages antérieurs, l’inclusion des langues étrangères dans les écrits, par exemple, ne devrait plus continuer à être utilisée en remplacement de mots français lorsqu’ils manquent pour décrire la réalité lointaine – dès lors que, précisément, ces mots ne manquent plus. Le fait que les « relateurs » emploient, voire amplifient, cette stratégie d’écriture – puisqu’ils citent également des personnes, surtout des autochtones, parlant des langues étrangères – invite donc à une interrogation. Cette dernière ne concerne pas le fait que cette stratégie d’écriture renvoie à quelque altérité échappant à la plume du voyageur. C’est la manière dont les textes négocient la place de l’étrangeté à l’écrit qui retient ici l’attention. Comme le suggère Michel de Certeau, il « faut s’interroger sur la citation de l’autre dans le discours historiographique lui-même [7] ».

Nous commencerons notre étude par une discussion de ce que nous percevons comme un écart entre une tendance à voir l’exotisme comme une réduction discursive ou comme une expression de la présence de l’étranger. Afin de sortir de cette impasse, nous en tenterons une re-conceptualisation : la manière dont ces citations de l’autre sont inscrites dans les relations des Antilles suggère que l’exotisme fonctionne comme un site textuel où peuvent se déployer des transferts culturels complexes. Cela nous mènera à analyser, dans la dernière partie, quelques exemples de notre corpus pour illustrer à quel point les langues étrangères sont intégrées dans la narration tout en faisant émerger la différence.

1. L’exotisme : présence, violence ou espace de négociation ?

L’exotisme du début de la modernité est surtout conçu par rapport aux objets étrangers, soit les curiosités [8]. Pour vanter leurs propres voyages auprès des hommes puissants susceptibles de soutenir la mission et l’établissement des colonies, les missionnaires décrivent et collectionnent les pierres précieuses, les plantes, les coquilles et d’autres objets dignes de susciter un intérêt. Pour n’en citer qu’un exemple, Du Tertre raconte comment il attrape des colibris qu’il fait sécher pour les ramener en France. L’exotisme y est alors relié à une matérialité et non pas aux grands paysages sublimes ou pittoresques destinés à avoir un effet sur le lecteur. Toutefois, l’élément que l’on associe le plus avec l’exotisme antillais, à savoir l’autochtone, ne figure pas parmi les évocations textuelles des collections faites dans les îles. Les relations de l’établissement, c’est-à-dire de la période où il y avait toujours une population amérindienne dans les îles françaises, racontent seulement la collecte des objets relatifs à la colonisation, qui pourraient apporter de la richesse ou du savoir. Ce n’est qu’au moment où les habitants français ne côtoient plus que très peu les Amérindiens, à partir de la fin du XVIIe siècle, que l’on peut noter que le père Labat fait un voyage à la Dominique dans l’objectif explicite de visiter les autochtones et y achète des souvenirs qu’il ramène en France [9]. Or, si la collecte des choses amérindiennes est étrangement absente de notre corpus, elle est présente dans les récits sous forme d’un autre type de matérialité, celle du langage. Chacun des relateurs raconte avec plus ou moins de détails le travail du missionnaire dominicain Raymond Breton, qui résida parmi les Amérindiens à la Dominique pendant douze ans et rédigea un dictionnaire François-Caraïbe, publié à Paris en 1665 [10]. Certains d’entre eux avaient accès à ses notes, qui leur permettaient d’inclure dans leurs narrations des mots en taïno [11] sans avoir une connaissance profonde de cette langue. Guidés par le savoir linguistique de Breton, ils rajoutent par exemple à la toponymie européenne des îles, les noms locaux donnés par les Amérindiens et transcrits en français. De plus, une grande partie des noms des animaux et de la végétation est donnée en langue vernaculaire. À cela s’ajoutent les paroles mêmes des Amérindiens, rapportées en discours direct.

Les relateurs recourent ainsi à une multitude de stratégies pour inscrire ces objets linguistiques exotiques dans leurs textes. À cet égard, il est intéressant de noter que la recherche semble conclure que toutes ces formes d’intégration d’autres langues ont un objectif commun : faire en sorte que l’étranger fasse impression. Se plaçant dans la situation d’un lecteur au milieu du XVIIe siècle, Michèle Duchet indique que :

Ces sauvages qu’on peut voir et toucher, avec un dialogue si possible, donnent l’illusion d’un contact humain, d’une familiarité dont aucune lecture ne fournit l’équivalent. Dans les livres, n’aimera-t-on pas surtout ce qui crée l’illusion d’une présence : les harangues, les sentences, les traits de bravoure ou de cruauté, tout ce qui donne à l’homme sauvage une chance d’exister et d’entrer dans un monde de relations et d’échanges, situé à la fois en marge de son propre monde et en marge du monde des civilisés [12] ?

L’hypothèse serait que le lecteur s’attende à ce que l’exotisme lui apporte l’étranger par le biais d’une oralité authentique transposée à l’écrit et dont les formes, souvent empruntées à un imaginaire de l’épopée, sont données à l’avance. Et bien que les inclusions de la toponymie locale ou des noms de plantes et d’animaux n’émanent pas d’une voix narrative, l’effet recherché par cette stratégie de représentation est le même : il s’agit de faire sonner la langue étrangère pour le plaisir du lecteur. Toutes ces dénominations en langue vernaculaire créent par leur assemblage un espace dans le récit permettant au lecteur de se plonger momentanément dans l’ailleurs lointain [13].

La langue étrangère revêt une puissance évocatrice puisqu’elle brise le courant narratif. Dans son analyse des dictionnaires français-caraïbe du XVIIe siècle, Odile Gannier suggère que la parole de l’autre peut même porter tout un monde étranger vers le public européen, « de sorte que les civilisations indiennes apparaissent véritablement sous les yeux du lecteur […] [14] ». Une idée semblable revient chez Réal Ouellet, qui voit dans l’insertion des langues étrangères l’un des traits de la littérarité de la relation de voyage. Il s’agit à la fois d’un effet de réel et d’une dramatisation de cette relation, dans la mesure où cette insertion donne à l’anecdote viatique « la vibration du vécu et l’attrait de la curiosité exotique [15] ». Tout en constituant le voyageur comme un personnage compétent qui sait maîtriser la langue et l’espace étrangers, l’introduction dans le texte d’une parole et d’une langue autre ramènerait le monde exotique devant les yeux du lecteur. C’est aussi la conclusion de Jean-Michel Racault, qui précise que l’effet produit est notamment lié à l’usage du style direct : on cite l’autre et par l’émergence de sa voix, il est transféré au monde du lecteur [16]. La parole de l’Amérindien semble donc s’adresser directement à l’imagination du lecteur européen, pour que celui-ci puisse projeter une image de ce qu’est l’étranger à partir des graphèmes présents sur la page, graphèmes qu’il tentera peut-être même de prononcer à haute voix, suscitant une étrangeté audible. Selon ces analyses, les langues inscrites dans le récit de voyage produisent de l’exotisme, en rendant présent le monde amérindien comme un objet de cette sorte. Et cet objet se définit par sa différence par rapport non seulement au texte français, mais aussi au contexte de sa réception.

Interrogeant les prémisses de cette conclusion, d’autres chercheurs ont mis en question les procédés qui soutiendraient un tel transfert. D’après cette perspective, la citation impliquerait forcément une prise de possession d’un énoncé étranger, traduit de l’oralité en langue autochtone à l’écrit en français. Cela conduirait à une double aliénation et une double agression contre le sujet qui est ainsi cité. En effet, selon Dominique Bertrand, « Traduite, la langue de l’autre s’offrait dans une transparence pragmatique, le code des équivalences inscrit dans le dictionnaire annulant l’altérité [17] ». Poursuivant une argumentation analogue, Eni Orlandi arrive à la conclusion que les relations de voyage procèdent par une « dénaturation radicale des langues “sauvages” [18] ». Intégré dans le texte en français, le mot exotique n’a plus rien à voir avec son contexte d’origine. Le voyageur cite l’autre comme une illusion de son langage réel, ce qui mène Isabelle Moreau et Grégoire Holtz à parler d’une « dépossession de l’énonciation », le relateur construisant son discours sur « un vol de voix [19] ». Pour que l’étranger soit « comestible » pour le lecteur, le narrateur le modifie et le dénature, faisant de lui un personnage fictif, stéréotypé. De ce point de vue, le langage autre se présente comme une matérialité malléable, et non comme un marqueur de différences. L’exotisme serait la catégorie employée pour saisir une production discursive de l’étranger, déterminée par la posture a priori supérieure du voyageur européen par rapport au monde et au peuple qu’il décrit. On aboutit ainsi à y voir un discours ornemental qui ne produit que la projection de l’observateur et du lecteur, renvoyant à un vide référentiel [20]. Ce serait un discours colonial qui, contrairement à l’orientalisme selon la définition d’Edward Said, lequel renvoie aussi à un corps de doctrines et de pratiques de domination [21], opèrerait entièrement dans le fantasmé.

Force est de constater que là où certains considèrent que la parole de l’autre est dénaturée à travers son inscription dans le texte, d’autres voient dans la même modalité une expression de sa présence dans le récit. Cela explique peut-être le sentiment de perte qui semble traverser la plupart des analyses de l’exotisme. « L’opération scriptuaire, qui produit, préserve, cultive des “vérités” non périssables, » écrit de Certeau, « s’articule sur une rumeur de paroles évanouies aussitôt qu’énoncées, donc perdues à jamais. Une “perte” irréparable est la trace de ces paroles dans les textes dont elles sont l’objet. C’est ainsi que semble s’écrire une relation à l’autre [22] ». Volé, dénaturé ou bien écho fidèle de la parole de l’autre, le cité est supposé renvoyer à une réalité existante (le mot dénote la chose) ou bien l’oblitérer (le mot dénature la chose, qui est perdue à jamais). Ainsi, apparaît en filigrane un lien entre ceux qui entendent critiquer l’exotisme (ne voyant en lui qu’une illusion, une projection du même) et ceux qui perçoivent dans son expression des traces d’une « vraie » altérité. Ces approches se basent finalement toutes deux sur une certaine nostalgie, qui est peut-être elle-même empreinte d’une forme d’exotisme. L’étranger ne peut s’inscrire dans le texte que sous forme de fragment ; il doit devenir disjecta membra, tout en s’intégrant dans une structure textuelle globale qui le soumet à une domestication [23]. Si le mot étranger pouvait ramener au lecteur une simplicité qui en quelque sorte fonctionnerait comme le miroir tendu aux contrées lointaines qu’il évoque, ce transfert linguistique se réaliserait dans l’espace d’un écart. Puisque le lecteur ne peut pas voir ou toucher l’étranger, les mots en langue locale servent de supplément : les sons exotiques ont plutôt un pouvoir de connotation et non pas un pouvoir de dénotation. Ils s’éloignent de tout (con)texte pour flotter dans l’espace déjà bien rempli de l’imagination.

Sans contester ces lectures – l’exotisme est effectivement un discours dont il faut se méfier – on peut noter que, dans les deux cas, l’argument prend comme point de départ la réception et non pas l’écriture. Le voyageur est surtout intéressant comme écrivain cherchant à plaire ou à informer, tandis que ce qui se produit à la rencontre des pays et des peuples étrangers est secondaire, toujours caché sous les couches de la représentation qu’il en donne. Que se passe-il si l’on change la perspective et si l’on voit dans l’exotisme une opération de négociation entre une expérience vécue ailleurs et la mise en récit ? En d’autres termes, nous proposons d’envisager la matérialité linguistique non pas comme disjecta membra, mais comme une différence qui s’écrit tout en créant des liens.

2. Scénographies de la parole de l’étranger

L’inclusion des langues étrangères recouvre plusieurs médiations jusqu’au point où il devient impossible de toujours localiser sa source. Quoi qu’il en soit, il s’agit sans exception d’une transcription de l’oral à l’écrit qui s’effectue sur un fond incertain : les circonstances entourant la traduction sont rarement explicitées dans le texte. Le sujet même des énonciations citées est souvent impossible à identifier ; la plupart du temps ce sont des mots sans voix. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons néanmoins pu déceler au sein du corpus indiqué en introduction quelques variantes de l’insertion du discours de l’autre, en commençant par celle des mots en langue vernaculaire dans le texte écrit en français. Ces derniers ne sont pas nombreux et ils appartiennent presque tous à deux catégories : les termes toponymiques et ceux relevant de l’histoire naturelle et morale, dénotant des plantes et des animaux ou bien des pratiques culturelles qui n’existent pas en Europe. Cette façon de ponctuer le texte avec des mots étrangers est un phénomène temporaire, même dans la littérature viatique [24]. Encore faut-il noter qu’il est rare que le relateur en introduise un nouveau. Et quand cela arrive, il n’est question que d’un lexique restreint. Les mêmes mots exotiques circulent alors d’une relation l’autre et ceux comme roucou, hamac, boucan, ananas sont déjà assez connus à l’époque. De plus, les termes indigènes sont comme ensevelis dans des périphrases explicatives redondantes : « Les Sauvages disent… », « Ils appellent en leur langue… » À la fin du XVIIe siècle, les voyageurs à destination des îles ne citent pratiquement plus aucun mot en langue autochtone. Dans Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique du dominicain Jean-Baptiste Labat, la formule « Les Espagnols l’appellent… » est plus courante que l’équivalent autochtone. Ce silence reflète l’histoire : les Amérindiens ne disent plus rien pour la simple raison qu’ils sont chassés de leurs îles et ne constituent plus des partenaires d’échange ou de conflit.

On voit donc que les formules génériques qui entourent la parole de l’autre ne servent pas à mettre en valeur quelque présence exotique. Les mots vernaculaires tranchent certainement avec le français, mais ils sont souvent déjà connus et ils sont toujours encadrés, de telle sorte que le choc potentiel de leur lecture est estompé. Ce n’est pas par hasard que de Certeau déploie tout un champ lexical relatif à la scénographie lorsqu’il soulève la problématique de la citation de l’autre, à partir de sa lecture du voyage au Brésil de Jean de Léry (1534-1613). Cette scénographie concerne tantôt le tableau de l’oralité, tantôt la scène du dire, comme si l’inclusion du discours de l’autre requérait un dispositif pour être effectuée ou comme si la manière dont est présenté l’élément étranger vocal se faisait l’écho d’une certaine conception contemporaine de l’exotisme, liée au pittoresque. Le dictionnaire de l’Académie de 1762 note que pittoresque se dit « de la disposition des objets ; attitude des figures que le peintre croit favorable à l’expression [25] ». On ne frappe pas par l’étrangeté seule, tout dépend de la manière dont elle est exposée et de la scène où elle l’est. Ce qui nous intéresse surtout, c’est que cette observation permet de repenser le statut de l’inclusion des langues étrangères. Dans la mesure où elle est toujours introduite au sein d’un dispositif, la parole étrangère ne se constitue pas comme une voix, renvoyant à un sujet parlant ou à une conscience. Au lieu d’envisager ces textes sous l’angle de la polyphonie ou du dialogisme, il convient ici d’évoquer ce que Rainier Grutman appelle « hétérolinguisme », c’est-à-dire une textualisation des langues [26]. Cela recouvre un procédé profondément littéraire qui produit une multiplicité de langues tout en jouissant d’une certaine liberté vis-à-vis de celles qui sont réellement parlées. Les stratégies d’écriture employées par les relateurs, qui intercalent les mots vernaculaires et recourent aux anecdotes pour dramatiser les échanges, constituent autant de « scénographies d’énonciation » qui rendent possible le surgissement de la parole de l’autre [27].

Ce ne sont donc guère ces mots seuls en tant que disjecta membra qui produisent un effet d’étrangeté. Bien au contraire, c’est précisément le procédé de textualisation du multilinguisme qui médiatise cette étrangeté, opérant ainsi comme un processus d’intégration, sans l’effacer, de la différence. En effet, on remarque parfois que ce ne sont pas seulement les mots en langue locale qui figurent cet exotisme linguistique, mais aussi ceux qui échappent aux relateurs. En certains endroits, face à une plante ou un phénomène compliqué à capter, le voyageur n’arrive pas à trouver le mot vernaculaire correspondant et se voit obligé de gloser. Par exemple, le père Du Tertre doit recourir à des paraphrases assez longues puisqu’il n’a jamais compris comment les Amérindiens nomment une plante : « D’une plante dont les femmes Sauvages se servent pour estre fecondes ». Il lui arrive aussi d’utiliser un nom transcrit du taïno, « herbes à flèches », pour désigner une plante qu’il a du mal à identifier. Bien qu’évoquée brièvement, l’absence du nom introduit une parenthèse dans la narration, laissant entrevoir l’abîme de la communication tout en présentant un échange qui a réellement eu lieu. L’exotique échappe à toute saisie, mais le texte capte tout de même l’expérience d’une rencontre avec l’étranger.

L’importance de la scénographie se manifeste justement par la quantité de scènes d’échange incluses dans les relations de voyage. Ces scènes, qui sont plus ou moins fictionnalisées, sont beaucoup plus nombreuses que les mentions du vocabulaire local, ce qui confirme que la présence langagière survient moins par les mots exotiques que par une certaine forme théâtrale de textualisation des langues. La première de ces variantes correspond à ce que l’on peut appeler la parole en translation, qui correspond à une parole fictionnelle et dont la traduction reste implicite. Dans ces cas, la scène est peuplée des personnages, presque exclusivement des vieillards ou des enfants, souvent pris dans une situation qui évoque la pitié. Ainsi, au début de l’Histoire naturelle et morale des Antilles de l’Amérique, le protestant Rochefort veut mettre en valeur la douceur du climat et la richesse des terres aux îles et les compare avec la Nouvelle France en peignant une scène censée faire effet :

[Les îles] sont bien differentes de ces païs de la nouvelle France, ou les pauvres sauvages ont tant de peine à trouver leur nourriture, que leurs enfans en sortant le matin de la Cabanne, & eus au milieu de la campagne où ils font leur chaffe, ont accoutumé de crier à haute voix, Venez Tatous, venez Castors, venez Orignacs, appellant ainsi au secours de leurs necessité, ces animaus, qui ne se presentent pas à eus si souvent qu’ils en auroient besoin [28].

Tout au long de son ouvrage, Rochefort développe cette thématique des rapports entre les autochtones insulaires et ceux de la terre ferme de l’Amérique du Sud aussi bien que du Nord. La scène que nous venons de citer n’est donc pas anodine. Elle appartient en effet à la démarche comparatiste sur laquelle se développe l’ouvrage, qui consiste en l’établissement d’analogies entre étrangers. Le discours des enfants ci-dessus est entièrement fictionnalisé et inséré dans une disposition qui renforce l’expression. Des éléments exotiques sont présents, notamment les animaux typiques de la région, mais c’est la scène qui crée l’effet : les vastes étendues où le gibier est rare, puis le cri de ces jeunes affamés et, surtout, l’échec attendu. Ce genre de discours est toujours tenu par un personnage pittoresque avant la lettre, puisqu’il est inscrit dans une situation précise, et joue sur l’identification avec le lecteur. L’émotion centrale qu’il s’agit de susciter dans cette scène est la pitié et non la menace.

Il existe aussi une variante proche de cette translation fictionnalisée, que l’on peut nommer la voix en traduction tronquée. Dans ce cas, les Amérindiens parlent un langage dénaturé, simplifié du français et teinté d’espagnol, comme une sorte de créole primitif que les relateurs appellent « leur baragouin ». Là encore les formules se répètent : France mouche fasche ou bien France matté Karib, Moy bonne Caraïbe. Elles sont courtes et simples et infantilisent le sujet énonciateur, de nouveau dans le but d’éveiller la pitié chez le lecteur tout en renvoyant à une certaine idée stéréotypée du primitif. Cette traduction tronquée est utilisée dans le compte rendu d’échanges économiques ou verbaux avec les Français, aussi bien que dans celui des discours associés aux rites de bienvenue ou d’adieu. Elle est aussi perceptible dans des situations un peu plus tendues, comme les échanges d’otage ou les épisodes de cannibalisme. Il en va de même dans les passages où l’énoncé est traduit en un français élémentaire mais correct. Ici encore la parole de l’autre est presque toujours courte et, surtout, simple, comme lorsque Rochefort parle du dégoût que l’Amérindien a du sel : « Et quand ils voyent nos gens en user, ils leur disent, par une compassion digne de compassion, Compere, tu te fais mourir [29]. » Cette variante de textualisation est aussi commune dans les passages qui décrivent comment les Amérindiens communiquent entre eux dans des situations précises – bien que toutes les relations affirment qu’ils tiennent de longs discours et n’interrompent jamais celui qui parle. Au lieu de citer ces discours dans leur intégralité, les auteurs recourent à la scénographie pour mieux intégrer dans le récit la façon de parler des natifs.

L’usage d’un dispositif pour inscrire l’étrangeté est encore plus patent dans les sections dialoguées. La variante qui nous intéresse ici, et qui servira de dernier exemple, est une sorte de combinaison des précédentes : la citation parallèle. Il s’agit là des transcriptions de l’oralité autochtone, traduite ensuite en un français basique. L’exemple le plus intéressant provient des écrits d’André Chevillard, qui construit toute sa relation sur une telle disposition. Il cite les Amérindiens dans des scènes qui concernent autant l’activité missionnaire (notamment l’instruction et la conversion) que les pratiques culturelles des autochtones. Le lecteur entend parler de petits Amérindiens qui :

témoignent de se réjouïr du futur festin de l’esclave ennemy, repetans à toutes rencontres ces mots : Icaoüa libelé lixabals; c’est à dire Celuy là est nôtre Boucan! » ou bien des Amérindiens qui prient dans leur langue les missionnaires de les baptiser : « Si ancaié bohatinan Baba binalé bouca etinan boné loachout baptizé, voulant dire Vous vous mocquez de moy mon Pere il y a long temps que ie vous presse de me baptiser ; helas! ayez pitié de moy, pauvre Caraïbe, car i’ay l’ame sur les lévres [30].

On retrouve ici à la fois un ingrédient clef de l’exotisme américain, à savoir le cannibalisme, et l’assimilation à la culture européenne par le biais de la religion. La phrase en langue vernaculaire est ainsi enveloppée dans un imaginaire bien établi. Chez d’autres relateurs, la citation en parallèle intervient comme une forme d’instruction au voyage. Cela apparaît par exemple dans une séquence de la relation d’Antoine Biet, qui illustre une scène rituelle d’accueil tout en incluant un dialogue où les deux langues sont utilisées en parallèle :

Quand ils [les Amérindiens] ont reconnu que ce Navire est de leurs amis, ils viennent dans leurs Canots d’un costé & d’autre aborder ce Vaisseau. Le Capitaine les prie de monter, ils le font, sans se faire beaucoup importuner. On les fait entrer dans la chambre de poupe, où estant assis le Capitaine leur presente à boire de l’eau de vie, de laquelle ils sont fort amateurs. Ils ne quittent point la partie qu’ils ne soient saouls. Pendant cela le Capitaine leur parle en leur langue, s’il la sçait, ou par un Truchement.

Les Indiens demandent Etébogué erebo naboüi ? cela veut dire, Qu’est-tu venu faire icy ?

L’Estranger répond, Aou amoré cené nobouï, cela veut dire, ie te suis venu voir.

L’Indien, Otonomé, pourquoy ?

L’Estranger, Galibi banaré Francici, les Galibis sont amis des François, Galibi iroupa, les Galibis sont bons.

Le Capitaine du Navire luy dit : Veux-tu boire de l’eau de vie ? amoré brandevin sineri icé ?

L’Indien répond : terré auo icé, oüy ie veux boire.

Le Capitaine dit : Ie veux achepter des licts de cotton, auo cibegat acado amoré.

L’Indien, Ie viendray demain avec mon pere, ie t’en apporteray beacoup, auo coropo noboüi aconomé baba, aou menchoüi amoré tapoüimé.

Apporte-moy des poules, du cerf, des Ananas, aou ménéboüi, corotogo, couchari, ananaï.

Celuy-là t’en apportera, mocé ménéboüi amoré, ou bien mocé cayé.

Comment s’appelle cela ? estété mocé ou ini.

Cela s’appelle du cerf, une poule, etété couchari, cotogo 31].

Au fur et à mesure que le lecteur est introduit dans cet échange littéralement mis en scène, les marqueurs d’énonciation disparaissent et le dialogue continue encore quelques lignes. Les paroles sont distribuées selon un certain dispositif : l’accueil sur le vaisseau, les premières phrases, l’invitation à boire, la négociation puis un échange linguistique (« comment s’appelle cela ? »). Quelques pages plus loin, le lecteur trouve d’ailleurs à sa disposition un vocabulaire caribe. Si, dans les cas précédents, la scénographie fait en sorte que le récit factuel du voyage tende vers la littérature, cet exemple montre au contraire comment cette dernière sert aussi à la figuration d’un certain savoir sur l’autre. De nouveau, il n’est pas question de reproduire une image de l’altérité, mais de textualiser les paroles. Les langues en jeux dans la relation de voyage donnent ainsi à voir une tension entre l’expérience réelle de la rencontre avec l’ailleurs et l’écriture.

La recension des différentes modalités d’inclusion des langues étrangères présentée ici est loin d’être complète. Elle suffit pourtant à démontrer qu’un exotisme du XVIIe siècle ne procède pas seulement en ciblant des objets. Plus que le mot en soi, c’est la scénographie rendant possible l’énoncé qui produit l’effet d’étrangeté. Plutôt que de la percevoir comme une « présence exotique », l’importance du dispositif montre que la différence que représente le discours de l’autre est sujette à négociation selon le placement de ce discours dans l’ensemble du récit. L’insertion de ces mots autres comporte plusieurs dimensions. Elle se construit effectivement sur un « vol de voix », mais ce pillage linguistique fait aussi entendre l’écho de l’étranger. À cet égard, la textualisation du langage de l’autre médiatise une relation entre l’ici et l’ailleurs. Surtout, elle s’inscrit dans un ensemble discursif plus large qui dépasse la seule fonction dénotative et même connotative.

Curieusement, l’exotisme du début de la modernité semble donner lieu à une pratique d’écriture relationnelle qui rappelle la ré-interrogation du concept proposée par la littérature francophone d’aujourd’hui. Charles Forsdick démontre à juste titre comment certains auteurs des anciennes colonies françaises, s’appuyant sur Victor Segalen, y voient un concept relatif, posant un rapport entre le sujet et le monde, entre le même et l’autre. C’est un embrayeur (shifter[32] qui ne se limite pas à une opération de domestication de l’étrangeté, car il mobilise dans l’écriture une problématisation du rapport au monde et recouvre différentes stratégies pour dire l’étranger [33]. Le philosophe martiniquais René Ménil suggère qu’il « résulte d’un certain type de relation humaine », et on pourrait ajouter qu’il découle d’un certain type de rapport au monde [34]. Des auteurs comme Ménil et, plus tard, Édouard Glissant, refusent de limiter l’exotisme à son paradigme colonial. Procédant à un détournement de regards, l’exotisme leur permet d’examiner celui qu’ils portent sur eux-mêmes, trop souvent déterminé par l’œil de l’autre, ainsi que de le retourner vers le colon. Cette stratégie de détournement a conduit à ce que le concept d’exotisme soit (re)devenu hétérogène (« unimagined spaces of heterogeneity » selon Forsdick), pointant simultanément dans plusieurs directions, médiatisant des relations interculturelles ou transculturelles ainsi qu’un rapport entre l’homme et le monde [35].

Les langages autres se présentent justement à l’analyse comme une manière de saisir, dans les relations de voyage, ces « lieux d’hétérogénéité inconcevables », qui peuvent être lus à la fois comme des signes d’une présence exotique et comme une domestication de l’étranger. Quelle que soit son imbrication dans un projet d’établissement colonial, comme dans le cas de ces récits missionnaires des Antilles, l’exotisme peut en effet servir comme terme utilisé pour concevoir les mises en scène de différences toujours négociables et sujettes à transformations. Sans nier la part de pouvoir impliquée dans la représentation exotisante, cette approche permet d’envisager le concept au-delà de la singularisation (nostalgique) de l’altérité et de la lecture purement discursive, qui n’y voit qu’une projection du même. L’exotisme sous-tend le rapport de pouvoir imbriqué dans l’écriture de voyage en même temps qu’il résume en quelque sorte la manière dont on négocie la différence culturelle, ce qui explique pourquoi il reste central pour toute tentative de penser les relations transculturelles.

Notes

[1] Cet article a été réalisé avec le soutien de la Fondation suédoise pour la recherche en humanités [www.rj.se].

[2] Vincenette Maigne, « Exotisme : évolution en diachronie du mot et de son champ sémantique », dans Exotisme et création. Actes du Colloque International (Lyon 1983), Roland Antonioli (dir.), Lyon, Hermès, 1985, p. 9-16.

[3] Voir à ce sujet Gilbert Chinard, L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1913 ; Gilbert Chinard, L’Exotisme américain dans la littérature française au XVIe siècle, Paris, 1911.

[4] Marie-Christine Gomez-Géraud, Écrire le voyage au XVIe siècle en France, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 9. Pour satisfaire un public toujours plus séduit par l’Orient, on imprime en France « deux fois plus de livres sur les Turcs et l’Empire turc, que sur l’Amérique », p. 10. Henri-Jean Martin confirme que l’Orient demeure la source d’inspiration principale de l’imaginaire du lointain au XVIIe siècle. V. Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, p. 207.

[5] Benoît Roux, « Le Pasteur Charles de Rochefort et l’Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique », dans Les Indiens des Petites Antilles. Des Premiers peuplements aux débuts de la colonisation européenne, Bernard Grunberg (dir.), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 175-216.

[6] Antoine Biet, Voyage de la France équinoxiale en l’isle de la Cayenne, entrepris par les François en MDCLII, Paris, Clouzier, 1664 ; André Chevillard, Les Desseins de son Eminence de Richelieu pour l’Amérique [1659], Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1973 ; Jean-Baptiste Du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les François, divisée en deux tomes, et enrichie de cartes et de figures, Paris, Thomas Jolly, 1667 ; Charles de Rochefort, Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique, Rotterdam, Arnould Leers, 1658.

[7] Michel de Certeau,  L’Écriture de l’histoire, Paris, Bibliothèque des histoires, 1978.

[8] Voir Frank Lestringant, « L’exotisme en France à la Renaissance : de Rabelais à Léry », dans Littérature et exotisme XVIe-XVIIIe siècle, Dominique de Courcelles (dir.), Paris, École des chartes, 1997, p. 5-16.

[9] Prenons l’exemple du père Labat, qui résida à la Martinique entre 1695 et 1709 et alla à la Dominique dans l’objectif d’observer les Amérindiens. Il précise ses achats avant son départ : « J’avois fait une bonne provision d’arcs de flèches, de boutons, de panniers, & autres ustenciles de ménage ; & j’avois acheté un hamac de mariage qui estoit très beau » – Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique, Paris, 1722, tome iv, p. 374.

[10] Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe-français [1665], Paris, Karthala, 1999.

[11] Le taïno est une langue aujourd’hui éteinte de la famille des langues arawaks, parlée par des populations qui habitaient principalement dans les Bahamas et les Grandes Antilles.

[12] Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Maspero, 1971, p. 42.

[13] Voir la belle analyse de Sophie Linon Jenny, « L’exotique dans les techniques d’écritures de deux récits de voyages authentiques dans les Indes orientales : Relation d’un voyage des Indes orientales, Delon (1685) et Les Voyages aux isles Dauphine et Mascareine, Dubois (1674) », dans L’Exotisme, Alain Buisine & Norbert Dodille (dir.), Paris, Didier-Érudition, 1988, p. 94.

[14] Odile Gannier, « Le tupi et le galibi sans peine : glossaires, manuels et catéchismes à l’usage des voyageurs et missionnaires (XVIe-XVIIe siècles) », dans Échos des textes, échos des voix. Étude sur le dialogue, en hommage à Béatrice Périgot, Odile Gannier & Véronique Montagne (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 439-466.

[15] Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles), Québec, Presses de l’université Laval, 2010, p. 98.

[16] Jean-Michel Racault, « Paroles sauvages : problèmes du dialogue et représentation de l’altérité américaine chez La Hontant », dans La France Amérique (XVe-XVIIIe siècles), Frank Lestringant (dir.), Paris, Champion, 1998, p. 434.

[17] Bertrand Dominique, « Verbal et non-verbal dans les relations entre Européens et Caraïbes », dans La France Amérique (XVe-XVIIIe siècles), Frank Lestringant (dir.), Paris, Champion, 1998.

[18] Eni Orlandi, « Réédition du singulier. Un regard français sur le Brésil », dans L’Inscription des langues dans les relations de voyage (XVIe-XVIIe siècles), Michèle Duchet (dir.), ENS Fontenay/Saint-Cloud, 1992, p. 102.

[19] Isabelle Moureau & Grégoire Holtz, « “Parler librement”: La liberté de parole au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, Lyon, ENS Éditions, 2005, http://books.openedition.org/enseditions/153, consulté le 22 janvier 2015, p. 21 et p. 3.

[20] Voir Peter Mason, Infelicities: Representations of the Exotic, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998. Voir aussi son article : « On Producing the (American) Exotic », Anthropos, vol. 91, 1996, p. 139-151.

[21] Edward Said, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978.

[22] Michel De Certeau, L’Écriture de l’histoire, op.cit., p. 218.

[23] Réal Ouellet, « Le statut du réel dans la relation de voyage », Littératures classiques, no 11, 1989. Cela fait écho à ce que Sylvie Requemora-Gros identifie comme étant caractéristique de la relation de voyage à l’âge classique, qui prend souvent la forme d’un puzzle, d’un patchwork. Voir son livre Voguer vers la modernité : le voyage à travers les genres au XVIIe siècle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2012, p. 382.

[24] Marie-Christine Pioffet, La Tentation de l’épopée dans les relations des Jésuites, Sillery, Septentrion, 1997, p. 497.

[25] Dictionnaire de l’Académie française, quatrième édition ,1762, Dictionnaires d’autrefois http://dictionnaires.atilf.fr/dictionnaires/, consulté le 23/10/2017.

[26] Rainier Grutman, « Langues étrangères et savoir romantique : considérations préliminaires », TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol 9, no 1, 1996, p. 71-90.

[27] Nous empruntons le terme de scénographie d’énonciation à Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, A. Colin, 2004, p. 34.

[28] Rochefort, op.cit., p. 5.

[29] Ibid., p. 410.

[30] Chevillard, op. cit., p. 118.

[31] Biet, op.cit., p. 393.

[32] Charles Forsdick, « Travelling Concepts : Postcolonial Approaches to Exoticism » Paragraph, vol. 24, n° 3, 2001, p. 14. « Whereas in contemporary critical currency, the term [exoticism] has almost universally pejorative overtones and is restricted by its coupling to colonial discourse, close analysis reveals a need for a more nuanced understanding that encompasses the potential reflexivity or reciprocity within exoticism ». C’est aussi ce que propose Anaïs Fléchet dans un contexte français. V. « L’exotisme comme objet d’histoire », Hypothèses, n° 11, 2008, p. 15-26.

[33] Ibid., p. 24. « The epithet “exotic” can operate as a shifter and […] even exoticism itself as a form of radical otherness can accordingly function in phenomena such as cultural opacity transculturation and contrapunctual approaches to interculturality as a mode of resistance. »

[34] René Ménil, « De l’exotisme colonial », Antilles déjà jadis, précédé de Tracées, Paris, Jean-Michel Place, 1999, p. 20 : « Il existe un exotisme fondé en nature et qui résulte d’un certain type de relation humaine. Me voici en pays étranger : dépaysé, je perçois les mœurs, les usages et les coutumes de l’indigène comme pittoresques et marqués du signe de l’étrangeté. Et comme la relation est réciproque, l’indigène de ce pays aura de moi une vision inverse et pareille. Je suis pour lui étranger comme il est pour moi étranger : il a de moi une vision exotique et j’ai de lui une vision exotique. Il n’en peut être autrement. […] La vision exotique est une vue de l’homme prise “de l’autre côté”, du dehors et par-dessus les frontières géographiques. »

[35] Charles Forsdick, « Travelling Concepts », art. cit., p. 21.

Auteur

Christina Kullberg est maître de conférences au Département de langues modernes à l’université d’Uppsala, Suède. Parmi ses publications on trouve de nombreux articles sur la littérature antillaise contemporaine (Glissant, Condé, Chamoiseau, Ina Césaire, Fanon, etc.) et sur les relations des missionnaires aux Antilles du début de la colonisation des îles, ainsi qu’une monographie, The Poetics of Ethnography in Martinican Narratives: Exploring the Self and the Environment (University of Virginia Press, 2013). Elle travaille actuellement sur le projet “Tropical Engagements : Voices in Early Modern Travel Writing to the Caribbean”, soutenu par Fondation suédoise pour la recherche en humanités. Depuis 2016, elle fait partie du comité d’organisation du programme de recherche, “Cosmopolitan and Vernacular Dynamics in World Literatures” (www.worldlit.se).

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