Tiers Livre dépouille & création

Une cartographie des mondes parallèles : le site-ville de François Bon

Aurélie Adler
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Cet article interroge les liens entre le site Internet de François Bon, Tiers Livre, et la ville contemporaine. Conçue « comme une ville », le site explore les différentes facettes du paysage urbain pour en saisir les mutations. Du monde du flâneur au monde virtuel du nomade, Tiers Livre dresse la cartographie complexe d’une ville entre démolition des repères anciens et édification d’un nouvel ordre. Pour dire cette hybridité, Bon met les ressources numériques au service d’une multiplication démocratique des représentations de la ville. En collectant les images ordinaires de l’espace urbain, l’écriture-web crée des fictions du commun, qui mettent en regard les dystopies de la ville moderne et l’utopie d’une « urbanité numérique ».

This paper deals with the relationships between François Bon’s website, Tiers Livre, and the contemporary city. The website is designed “as a city” and visits the various aspects of the urban landscape, trying to grasp its mutations. Travelling from the world of the flâneur to the cyber world of the nomad, Tiers Livre draws a complex urban cartography, which goes from the demolition of former landmarks to the creation of a new order. To express such an hybrid nature, Bon uses digital resources to offer multiple and democratic representations of the city. By collecting everyday images of the urban space, the web-writing shapes fictions of the ordinary, comparing the dystopic representations of modern cities and the utopia of a “digital urbanity”.

 

Plan

Texte intégral

Parler de la ville chez François Bon peut à la fois paraître peu ambitieux et trop ambitieux. Peu ambitieux : la ville a déjà fait l’objet de nombreuses études critiques, parmi lesquelles on pourra citer celles de Dominique Viart, Gianfranco Rubino, Pierre Hyppolite ou Henri Garric [1]. Mais ces critiques ont étudié la ville dans les livres de François Bon. Est-ce à dire que l’écriture-web de la ville est encore un terrain vierge ? Non plus, comme en témoignent les pages que Gilles Bonnet consacre à la ville fantastique et dystopique Tiers Livre [2]. Mais la ville Tiers Livre déborde, elle relève d’une « carte des mondes parallèles [3] ». Ce titre que l’on trouve dans « Recherche d’un nouveau monde » évoque l’hypothèse de la physique quantique selon laquelle « à chaque instant une infinité de mondes vient à l’existence, et que ces mondes prolifèrent de manière absolument incalculable [4] ». Régie par une double tension parataxique et cinétique, la ville semble vouée à cette pluralité qui se dérobe à toute saisie synthétique.

Henri Garric partait de ce même constat lorsqu’il envisageait la ville dans les romans de François Bon : « la ville est partout mais il n’y a plus de villes [5] ». On assiste en revanche à une « généralisation de la cartographie » de sorte que « la grille est partout […] et ne peut plus distinguer une ville donnée de ce qui l’entoure, ni particulariser, à l’intérieur de la ville, des quartiers, des sous-ensembles [6] ». Témoins de « la crise de la représentation urbaine [7] », les romans de Bon manifestent l’inadéquation de leurs outils face à cette généralisation de la ville. Ils ne sauraient parvenir à la synthèse des fragments de cette banalité généralisée. Le site apporte une alternative à la question que posaient les livres de Bon : « que devient le roman, dès lors que disparaît l’adéquation entre une ville et un livre, qui a fait les beaux jours du réalisme [8] » Le Tiers Livre réintroduit l’idée de cartographie, mais c’est pour déborder toute cartographie officielle, pour y intégrer des mondes possibles [9], collecter indéfiniment des images braconnières prélevées à la représentation déjà constituée de la ville. Cette cartographie relève de ces parcours nomades des marcheurs qui créent, selon Michel de Certeau, « du fragmentaire et du discontinu dans le lieu total et organisé [10]».

Plus qu’un livre, le site, foncièrement ouvert à la réécriture constante, est un observatoire de la ville saisie à toutes ses échelles – de la petite ville de province à la ville des villes américaines, New York – et selon toute une palette de genres (autobiographie, journal, brèves, etc.). Le Tiers Livre, véritable « œuvre-archive profondément mosaïquée [11] » tend à cet assemblage synthétique auquel ne pouvait prétendre le livre. Après avoir commenté l’essai de Régine Robin intitulé Mégapolis, Bon met l’accent sur l’intérêt de la création numérique pour dire la « fracture » de la ville contemporaine :

oui, délibérément, le vieil outil du récit linéaire, c’est cette vieille tringle dont Michon parle pour Rimbaud, je la garde. Mais peut-être c’est ce qui m’amène à travailler à ce site avec villes (ou bien : ce site comme une ville), voyages et images, arborescences continues, quartiers et zones désertées, chantiers effacés, et préférer mon site désormais à tout rêve de livre [12] ?

Plus qu’un livre instaurant un mode de lecture contraignant, linéaire, le site permet de jouer plus librement de ce que Dominique Rabaté et Pierre Schoentjes ont appelé des « microfictions [13] », formes fragmentaires qui ne disent pas la nostalgie d’une totalité, mais qui font de la discontinuité et de l’inachèvement les garants mêmes d’une relance ou d’une continuation. Le site est conçu « avec villes » ou « comme une ville » : l’italique insiste sur la conversion de la matière urbaine plurielle en modèle structurel. Régie par la circulation, la métamorphose et la transformation [14], l’écriture-web se veut « mobile », en écho au titre de Butor, de manière à rendre compte des dynamiques multiples de la ville d’aujourd’hui.

Plutôt que de dresser l’inventaire des villes multiples Tiers Livre, il semble plus intéressant de définir les différents modes de circulation entre ces mondes parallèles, qui enrichissent notre savoir de la ville. Trois modes de circulation, susceptibles de se superposer au sein d’un même fragment, peuvent être envisagés : le premier a trait à la remontée archéologique des villes antérieures à l’écriture-web. La stratification des temps et le déplacement des archives participent d’une remise en circulation de l’ancien par les nouveaux supports. Le second mode serait celui du nomadisme urbain, renvoyant à une saisie de la ville contemporaine dans la brutalité de ses éclats. Enfin le dernier mode serait celui de la flânerie qui peut être rattaché à la recherche d’un urbanisme virtuel commun.

1. Remontée/ revenance des villes souterraines [15]

Comme René Audet et Simon Brousseau l’ont noté, Tiers Livre engage une lutte contre la fossilisation des textes passés, si bien qu’il faut comprendre sa « stratification » comme une « constante retraversée – des thèmes, des lieux [16] ». Cette remarque paraît d’autant plus pertinente lorsqu’on la rapporte aux textes attachés à la ville. En 2010, à la faveur d’un travail sur la ville américaine, Bon opère un « retour sur Bobigny, cité Karl-Marx [17] » : ce processus de relecture de soi ne vaut pas reprise statique à l’identique, mais exhumation par morcellement. La ville ne saurait être abordée sans ces processus d’extraction ou de resémantisation de textes ensevelis, sciemment oubliés [18]. La remise en circulation de fragments, facilitée par le support numérique, arrache les extraits à leur contexte d’origine, Décor ciment, pour les retraverser au prisme de l’autobiographie, les documenter, les enrichir. Bon intègre une photo scannée aux fragments de Décor ciment et parsème son texte introducteur d’hyperliens aux fonctions diverses. Le premier renvoie au contexte dans lequel s’inscrit ce « retour sur Bobigny » : le projet « Une traversée de Buffalo ». Ce lien-bifurcation [19] mène à un autre parcours pluriel, divergent, dans la ville. Le lien suivant s’apparente davantage à une incise : si l’on clique sur les mots « il y a longtemps » s’affichent des éléments déposés par François Bon sur son site en 1998.

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Doc. 1 ‒ Capture d’écran de Tiers Livre, page dédiée à la genèse de Décor ciment. 

Véritable plongée dans la genèse du texte, aperçu sur les carnets et sur les photos sépia de Bobigny, le lien propose également un article de l’écrivain publié par l’hebdomadaire Révolution en 1991.

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Doc. 2 ‒ Capture d’écran de Tiers Livre, page dédiée à la genèse de Décor ciment.

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Doc. 3 ‒ Capture d’écran de Tiers Livre, page dédiée à la genèse de Décor ciment.

Cette strate supplémentaire manifeste l’ambition de dé-figement des sources qui nourrissent en amont l’écriture de la ville. Le site fait remonter la « langue fantôme [20] » de villes ensevelies, se retourne sur ses propres fondations. Le réagencement des archives fait ressurgir la ville par éclats de textes et d’images hétérogènes. Il remet en circulation le sens d’un texte toujours à vif, à l’image de ces morts qui hantent les sous-sols de la ville, se déplacent dans ses franges ou sur les toits des buildings [21]. Récrire le paysage urbain est une manière de revisiter des textes ou des lieux matriciels, mais aussi de les réarticuler selon l’arborescence restreinte et dense du site. Telle est peut-être la fonction de l’apparente digression proposée par le lien qui nous ramène aux machines à écrire, et plus fondamentalement à cet autre projet d’autobiographie des objets. En faisant le lien de la ville aux objets, Bon remonte en amont vers ce « temps machine » qui déplie par le modeste biais de l’objet ordinaire toute une trajectoire d’écriture. Les derniers liens de cette page « Retour à Bobigny » sont à ce titre particulièrement remarquables. Le clic ne convie pas à la bifurcation vers une autre ville ni au retour vers un avant-web. Il incite l’internaute à mesurer les multiples prolongements et les répercussions concrètes de la fiction autour de Bobigny. Un lien renvoie ainsi à un texte prononcé dans le cadre d’un colloque « Urbanités » en octobre 2000 [22]. Outre les débats des intervenants, ce lien fait entendre les voix de l’atelier d’écriture. Cette polyphonie des hyperliens s’accroît à mesure que l’on clique sur les liens suivants. Les mots « Pantin », « Bobigny », « décès par balle à Bobigny », « retour à Karl-Marx » et « mots-clés » figurent le va-et-vient entre le présent de l’écriture et un passé qui hante encore l’auteur, qui ressurgit brutalement au détour d’un fait divers ou par le biais des énoncés frappants de l’atelier d’écriture. En cliquant sur « Pantin » et « mots-clés », le lecteur découvre des sommaires qui illustrent cette tension vers l’inachèvement de l’écriture de la ville de Bobigny. La collection des bribes de textes au statut variable est une manière de réintégrer dans le contexte du site ce qui risque de se disperser. Mais si « l’art de collectionner est une forme de ressouvenir pratique[23] » où chaque élément renseigne sur sa genèse et son histoire, Bon ne fige pas pour autant sa collection. L’acte de citation ou de dé-figement numérique ne dit pas le désir de s’approprier mais de donner accès à : c’est bien l’image d’un Passagenwerk numérique qui demeure la plus pertinente ici.

Ce processus de retraversée de strates anciennes par l’intermédiaire du numérique touche également à la géographie intime. Il en va ainsi de ce texte dédié à Saint-Michel en l’Herm, la ville natale retraversée à partir du logiciel Google Street view [24]. Partant d’images surplombantes de la terre vue du ciel, qui rappellent les images désormais classiques de Yann Arthus Bertrand, l’auteur opère des zooms de plus en plus serrés pour « nettoyer » l’image de ses « verrues » de lotissements neufs, pour retrouver le propre du souvenir. Mais cet effacement fait d’abord exister ce nouveau paysage urbain. L’accès au passé, virtuellement promis par les captures d’écran de Google Earth, s’obscurcit paradoxalement dans le gros plan : « et pour se retrouver soi, l’obligation d’agrandir au flou ». Or c’est cet obstacle technique qui libère la matière poétique, la pellicule infime du biographème. Jouant de la variation des échelles, Bon complexifie le rapport à la ville natale, dont la reconnaissance doit passer par la défamiliarisation de la perspective. Les images de la cartographie officielle, agrandies ou redécoupées par l’auteur, font apparaître l’étrangeté dans le cadre familier. La cartographie dépayse de manière à faire surgir, selon le processus de l’image dialectique, l’Autrefois dans le Maintenant [25]. Le texte prend la mesure de la beauté d’une « vision d’ensemble » mais dresse le constat d’une « réduction des restes », formule associée au déplacement des morts. Changeant d’échelles et de point d’énonciation, Bon s’installe dans les images prises par la voiture Google pour explorer un territoire supposément connu qui est sans cesse objet de redécouvertes. Ce que valorise le texte, ce sont les à-côtés, les points de fuite : ce qui déborde de l’image, les pistes qui ne sont pas suivies par le logiciel, qui sont celles de la maison, ou au contraire les pistes suggérées, telle cette « venelle » qui ouvre sur « les rêves ».

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Doc. 4 ‒  Capture d’écran de Tiers Livre, « Saint-Michel en l’Herm ». En ligne ici.

Par ces effractions dans une cartographie imaginaire, le texte du retour à « l’île » de l’enfance se fait l’écho des rêveries de Simon, sillonnant, dans La Presqu’île de Gracq, les routes d’un pays « qui se redessine sous les yeux à chaque virage comme s’il se réinventait [26] ». En suivant le logiciel qui sert à contrôler le réel, Bon fait resurgir les zones troubles, irréductibles d’une mémoire invisible, remontant involontairement, comme sous le coup d’un choc. La succession des images entraîne le remontée d’îles invisibles, de « labyrinthes intérieurs », sous la surface quadrillée des cartes du « village global ». Le récit auto-géographique déstabilise le cadrage standardisé du réel. L’Odyssée intime, cybernétique, interroge les reconfigurations de l’espace urbain contemporain, rejoignant à sa manière les expériences de dérives urbaines menées par un Philippe Vasset ou par ces architectes italiens réunis sous le nom de Stalker. Dans la filiation croisée du situationnisme et de Perec, il s’agit de repenser l’inconscient de nos villes dans leurs failles et leurs friches.

Le texte-réseau « imaginé comme une ville aux galeries souterraines [27] » renvoie le lecteur « d’une face du site à l’autre [28] » par les hyperliens, ces liens-incises opérant toute sorte de forages dans une forme d’inconscient du texte. Cette manière de retisser la « marqueterie [29] » mal jointe ou disjointe de la Toile est une façon de recomposer incessamment la ville-mosaïque des archives. Comme l’affirme Emmanüel Souchier, « l’Internet prolonge ce mouvement de “l’archive” (Foucault, 1969) qui reconfigure en permanence le déjà écrit. Mais c’est aussi un lieu où les usages se déposent et s’exposent : un acteur peut ainsi y donner à voir ce qu’il a fait sous forme d’un programme destiné à l’activité des autres [30]. » Redisposant la masse d’un déjà écrit ou d’un déjà vu (clichés photographiques) sur la ville, la pratique de l’archive sans fin Tiers Livre n’incite pas le lecteur à se reconnaître, à retrouver son chemin dans des voies balisées. Elle le convie bien plutôt à errer et se perdre avec l’auteur du site.

2. Nomadisme (sub)urbain

Loin de quadriller le paysage urbain, François Bon le déstabilise. Il façonne des trajectoires qui relève d’une forme de nomadisme urbain. Pour bien comprendre ce mode de circulation dans la ville, nous pouvons nous appuyer sur les travaux récents de Bruce Bégout. Dans une somme d’articles réunis sous le titre de Suburbia, le philosophe évoque les conséquences de l’émergence mondiale de cet « espace décentré, non hiérarchisé et égalitaire [31] » qu’est la suburbia. L’autonomisation de cette « sous-ville » a pour conséquence la disparition du flâneur au profit du nomade. Alors que le flâneur « cherche à suspendre sa relation quotidienne avec la ville en se défaisant de son attachement par la thérapie du choc de la confrontation avec l’inconnu [32] », le nomade de la suburbia, est un « automobiliste » qui cherche, dans sa distance avec la ville, « une familiarité vivant dans l’étrange [33] ». Pour l’errant motorisé, la perte est au fondement de l’expérience de la ville. « Le Dasein actuel, écrit Bégout, erre sur les échangeurs autoroutiers et passe son temps dans les cafétérias le long de routes colonisées par les panneaux de signalisation, les enseignes géantes et les hangars décorés [34]. » Si la suburbia décrite par Bégout concentre la négativité d’une époque, elle contient toutefois en germe « les ferments des folies à venir, la révolte de la créativité humaine face à un environnement lénifiant et insignifiant [35] ». Ce détour par la réflexion de Bégout permet d’envisager le nomadisme de certains textes et montages photographiques réalisés par François Bon à partir de la ville observée « en voiture [36] ». Ce nomadisme, comme l’a noté Gilles Bonnet, rompt avec toute téléologie du récit [37]. Porteur d’un regard neuf sur les objets de l’infra-ordinaire, il privilégie la parataxe de fragments composites, l’asyndète et la série.

Ce nomadisme fixe un présent incertain, précaire, tout comme il déroute le monde ancien, dont font partie les productions antérieures. Les livres de l’avant-web demandent ainsi à être re-nommés pour ne pas être trop rapidement étiquetés et donc oubliés. La mise en ligne d’Autoroute sur publie.net témoigne de ce passage d’un récit de l’errance sur autoroute à l’errance du récit sur l’autoroute Tiers Livre [38]. Contrecarrant l’efficace supposée d’une « autoroute de l’information » figée dans sa métaphore, Bon dédouble la genèse et la réception d’Autoroute en invitant son lecteur à emprunter les « sentiers qui bifurquent » sur son site. La page intitulée « de comment “autoroute” et pourquoi ? » propose sur ses seuils des parcours parallèles. Avant même d’entrer dans « l’histoire fictive d’un roman », un lien renvoie au « cahier de préparation » d’Autoroute. Jouant des frontières entre intime et public, entre fiction et document, l’hyperlien exhibe également la coupure entre une écriture sur papier et une écriture sur ordinateur. Exposé partiellement dans les marges de la genèse, l’avant-texte, trésor des généticiens, est présenté comme  objet d’une transaction possible [39]. À l’autre extrémité du texte « de commet “autoroute” et pourquoi », le lecteur découvre à l’intérieur d’une note de bas de page un lien renvoyant à un forum. L’espace de discussion au design minimaliste et grisâtre a gardé la trace des lectures des étudiants américains et des discussions engagées avec l’écrivain en 2005 [40]. Vestige du web, composé dans un français à la syntaxe parfois approximative, le forum fait entendre les voix d’une critique spontanée [41], officieuse et éphémère sous la surface « officielle » et trompeuse du dossier de presse [42]. Dédoublement de la genèse, stratification de la réception : le déplacement du roman dans le contexte web convertit le support en échangeur, transpose le modèle de l’autoroute à la structure du réseau, inaugurant de nouveaux parcours de lectures possibles.

Errer en nomade dans le site-ville, c’est se situer résolument dans l’après de la « bascule ». Nulle n’est plus à même de porter cet arrachement d’un monde stable à l’autre nomade que l’écriture-web au statut variable, mouvant, soumise à l’amendement, l’ajout, le commentaire ou l’effacement au jour le jour. À l’image de l’autoroute réelle se superpose ainsi celle de l’autoroute virtuelle, instaurant un pacte de lecture instable, imprévisible. En un clic, l’internaute peut susciter une nouvelle série d’images de la ville ou une catastrophe [43]. Dans le texte qu’il consacre au bouleversement introduit par la voiture dans l’écriture, Bon met en évidence ce glissement : « Nous avons remplacé la voiture, comme vecteur matériel d’un lien d’élargissement de notre communauté, par l’informatique, nos ordinateurs neufs prennent plus de place dans nos conversations que nos problèmes de diesel common rail [44] ». L’écriture cinétique de la ville doit se comprendre depuis les outils du numérique aujourd’hui. Il n’est pas indifférent que le constat d’une virtualisation croissante de la ville prenne place dans une note du « petit journal » narrant une trajectoire sur autoroute aux alentours de Toronto: « la ville autrefois était message, selon qu’on y marchait », tandis qu’ « aujourd’hui […], les petites annonces se font en déambulant chez soi là où la ville physique coïncide avec cette ville qui la reproduit dans le monde virtuel [45] ». Évoquant la modification de cet objet ordinaire que sont les petites annonces, le micro-récit figure lui-même une « petite annonce » plaçant dans des liens-incises les images triviales et instables de ce temps à venir dont il faut de toute urgence se saisir.

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Doc. 5 ‒  Capture d’écran du compte twitter de Boston Pizza @BP Brockville, novembre 2013.

Le Tiers Livre nous fait migrer sur son site d’un « monde parallèle » à l’autre, posant la vitesse et le dédoublement comme ressort de l’écriture et de la lecture. Les flux du web démultiplient les écrans de la ville, les fictions possibles, esquissées, à la manière de Borges, à partir d’hypothèses fragmentaires, d’incises, ou encore, à la manière de Breton, à partir d’images tenant lieu de description. La matière négative de la suburbia, ses images pauvres, ses rebuts et sa pollution sonore, se trouve récupérée par éclats, à l’image de cette église démolie au profit d’une autoroute à Québec [46].

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Doc. 6 ‒ Capture d’écran de Tiers Livre, « Québec, adieux | 5, une démolition », en ligne ici.

La page s’ouvre sur une photo exposant le monument en ruines, se poursuit sur une chronique du séjour à Québec centrée sur le croisement entre l’ancien et le nouveau, l’église éventrée et l’autoroute toute-puissante. Dernier témoin du monument perdu, le texte multiplie les images d’une destruction, en intégrant une vidéo YouTube reproduisant en accéléré la mise en pièces du lieu sacré [47]. Par la multiplication des supports, des prises de vue et des prises de position sur la destruction du monument, la page dramatise moins l’événement lui-même que sa représentation, renouant avec la distanciation brechtienne à l’ère de l’intermédialité. La scénographie du chœur de la cité-chœur de l’église filmée et photographiée, chœur des voix dissonantes de Québec- colore d’étrangeté le paysage urbain familier des villes modernes. Outre le décalage France/Canada porté par le récit, la page offre des plans resserrés sur l’église ou l’écrase au contraire dans des plans éloignés, qui font ressortir la tour en arrière-plan et l’autoroute au premier-plan. La page se clôt sur une série d’images de l’église recadrée selon différents angles, formats, éclairages et distances.

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Doc. 7 ‒ Capture d’écran de Tiers Livre, « Québec, adieux | 5, une démolition », en ligne ici.

Par cette multiplication des focales, Bon fait apparaître la partition politique et les intérêts économiques qui gouvernent le paysage urbain. La dernière image accentue symptomatiquement la séparation entre deux mondes, celui de l’autoroute escamotant l’église. Cette poursuite mélancolique d’un lointain dans le proche témoigne d’une persistance auratique dans le montage des reproductions iconiques.

Le nomade tend à se réapproprier l’urbain en convertissant ses images en traces familières. Mais le montage de couloirs d’images étendus en longueur sur des pages au format imprévisible contribue également à métamorphoser la matière urbaine en support onirique, à partir duquel se perdre. Bon explique à plusieurs reprises ne pas avoir su trier ses photos, les redisposant sans ordre, se fiant à la seule géométrie des images [48]. À ce désordre sémiotique correspond une politique de l’écriture-web. L’intermédialité libère un point de vue critique sur les bouleversements pathogènes qui affectent le paysage urbain. Le « petit journal » et les « carrés urbains » disent de manière privilégiée l’appauvrissement d’un monde, sa négativité, comme en témoignent les titres « maison qu’on tue », « fin d’un garage ». Aux maisons anciennes des livres de Balzac se substitue cet « étalement urbain banalisé de blocs cubiques trois étages [49] ». Les « fictions dans un paysage » imaginent également une ville dystopique, fondée sur le « on » interchangeable, le retour du même. La microfiction « photocopier les mondes » expose ce risque de l’uniformisation sous l’apparente revendication des différences [50]. La ville sillonnée en nomade menace le sujet d’une aliénation, d’une dépossession d’identité [51].

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Doc. 8 – Capture d’écran de : François Bon, « carrés urbains | parking, Poitiers ». En ligne ici.

Sur la première photographie apparaît la silhouette standard de l’individu du code de la route, esquissant un mouvement vers la droite, comme pour indiquer la direction de la sortie. La seconde photo représente une place de parking, soit une première impasse, puisque l’horizon est muré. La photo suivante fait réapparaître la silhouette courant cette fois-ci vers une sortie surlignée par la couleur verte. Mais les images 4 et 5 interdisent tout franchissement. La dernière photo, identique à la première, manifeste cependant un changement de taille : une flèche indiquant la gauche contredit le mouvement de la silhouette allant à droite. Il est devenu impossible de sortir du parking, labyrinthe dans lequel nous sommes conduits à errer à la manière des personnages de Beckett qui, dans Quad, éprouvent la forme du carré jusqu’à l’épuisement, selon l’expression de Deleuze [52]. Caractéristique de ce nomadisme urbain, cette usure du récit et des images est particulièrement frappante dans la vidéo intitulée « Halifax marchandises et souterrains [53] » qui montre l’écrasement du sujet s’enfonçant par degrés dans les cercles infernaux d’un monde réifié. Le mouvement circulaire de la caméra capte des images et des sons précaires à hauteur des objets. Les individus croisés sont fuyants, privés de leur visage, coupé par l’angle de vue d’une caméra tenue au poing. La courte séquence hypermobile se referme par un plan sur des jeux vidéos installés au sous-sol, invitant incessamment le joueur à tirer sur toute silhouette humaine. Ces espaces sans issue et sans sujet appellent une forme d’exorcisation par saturation : la sérialisation des images pauvres et la répétition des sons industriels déroulent la pellicule sans fin de la marchandise comme pour conjurer l’épuisement qui la sous-tend.

Ce qui sauve le nomade de l’enfermement, c’est la médiation, l’accès – qui est lui-même devenu objet d’une fiction – qui rend toujours possible l’échange et le partage.

3. Flânerie et communauté numérique

À l’appauvrissement de la ville moderne, le site de Bon oppose une interaction humaine enrichie par les ressources du web. Il contribue ainsi à façonner un urbanisme numérique qui accroît les liens et les galeries souterraines de création et de subversion de la surface de la ville. Si Le Tiers Livre peut être comparé à une zone urbaine, c’est aussi parce que le site est une plate-forme intégrant les écritures collectives menées en atelier, une plate-forme sous la licence des Creative Commons qui travaille à enrichir le patrimoine commun en mettant en partage une somme de textes menacés par l’oubli éditorial [54], un site dialoguant en permanence avec d’autres blogs voisins. Citation métonymique, cut-up via mots-clés dans un corpus numérisé, collage et greffe sont les modes de circulation rhizomatiques de l’arborescence numérique.

Si la flânerie ne fait plus partie de notre expérience de la ville, cette expérience se reporte en revanche dans l’écriture numérique. Bon flâne dans les galeries du web, telles qu’elles sont élaborées par d’autres, dans les blogs et les comptes twitter, partageant un extrait, le commentant, l’exposant comme tel. L’expérience des Vases communicants constitue un bel emblème de cette circulation horizontale partant d’une contrainte [55] qui révèle la richesse d’un texte dans ce geste de décontextualisation permis par le numérique. C’est cette discontinuité polyphonique qu’il faut prendre en considération lorsqu’il s’agit de penser la ville avec François Bon. La ville ne se construit que sur le franchissement des seuils séparant des mondes. L’auteur fait écho aux voix des anonymes qui ont mené l’expérience d’un atelier d’écriture dans le RER C, par exemple. Par le biais de métalepses numériques, il nous fait franchir des seuils entre les mondes enchâssants et les mondes enchâssés. Il introduit ainsi la voix de ceux qui écrivent régulièrement sur supports numériques, Arnaud Maïsetti, Sébastien Rongier, Mahigan Lepage, Philippe Diaz alias Pierre Ménard : il serait difficile de dresser l’inventaire de toutes ces voix et de tous ces extraits de livres que François Bon donne à connaître, mettant en parallèle l’ancien et le nouveau, le moi et l’autre, selon la méthode adoptée en atelier d’écriture. La section des « Invités & vases communicants » met en évidence cette relation constructive pour le site qui trouve à s’alimenter dans le branchement ou le partage avec d’autres blogs. Avant de mettre un extrait en ligne, Bon prend soin de commenter ou de recontextualiser, de mettre en regard la pratique de son hôte. Présentant la poésie d’Éric Dubois, Bon valorise « cette sorte d’âpreté qui la ramène sans cesse au réel, où cette frange de la grande ville et ses vies humbles sont la matière essentielle [56] ». On identifie ici les passerelles d’un auteur à l’autre, entre le travail mené par François Bon auprès des SDF de Nancy et celui d’Éric Dubois. La décontextualisation est aussi revalorisation. Là encore, il s’agit de dresser une cartographie de mondes parallèles, partant des villes intérieures des lectures personnelles pour aller vers l’inconnu, se saisir d’une onde de choc esthétique, jaillissant de ces blogs depuis les quatre coins du globe.

Cette pratique d’écriture plurielle, initiée dans le cadre des ateliers d’écriture, passe par l’écoute et le respect de la parole de l’autre, selon une éthique qu’a commenté Dominique Viart [57]. La bascule numérique donne une nouvelle inflexion à cet échange en le plaçant plus encore sous le signe de l’anthologie et de l’amitié, deux notions développées par Milad Doueihi dans son essai Pour un humanisme numérique, cité par Bon dans le « Livre & l’Internet [58] ». La forme ancienne de l’anthologie, pratique de lettrés, érode les frontières entre l’auteur et le lecture et rend compte de la sociabilité numérique. Pour Doueihi, « la nouvelle interactivité […] se nourrit d’échanges constitués essentiellement par la transmission et la circulation de fragments d’informations de tout genre, insérés dans des contextes nouveaux et inattendus. L’anthologie, dans ce sens élargi du terme, est à la fois la forme et le format par excellence du savoir numérique [59] ». Désacralisant l’auteur, l’écriture-web devient communauté des réseaux, comparable à la ville, écrit encore Doueihi, étant donné que la « culture numérique est de plus en plus une culture ambulante, une culture du déplacement dans un espace hybride [60] ». Appuyant sa réflexion sur Aristote, Cicéron et Bacon, Doueihi développe une conception égalitariste de l’amitié fondée sur le refus de la quantification et l’expression des opinions et des affects. La plateforme hospitalière Tiers Livre manifeste cette nouvelle sociabilité numérique.

La collecte anthologique des images de la ville chez soi et chez les autres participe d’une forme d’urbanité numérique, visant à renseigner sur les nouveaux usages de cette ville-web, usages encore à définir et qui se définissent dans une recherche commune. C’est ainsi que l’on peut comprendre les recommandations de François Bon lorsqu’il expose les bilans de ses expérimentations numériques. La ville n’échappe pas à ces points d’informations récapitulatifs : parmi les représentations saisissantes de ces circulations plurielles, citons la section Tiers Livre dédiée à la « zone urbaine » dans « le petit journal », ou encore la série récente des « ronds-points urbains ». Citons encore l’atelier d’écriture en ligne consacré à la ville [61], ces listes des « blogs qui bloguent » « tout autour du monde [62] », ou encore ce « tour de blogs avec images ville [63] » datant de 2009. Des verbes à l’infinitif introduisent un nombre croissant d’hyperliens : Bon transmet un mode d’emploi pour soi et les autres, destiné à renouveler nos modes de lecture. La démarche suivie fait apparaître une lecture composite, faite de va-et-vient par le biais d’hyperliens entre les pratiques des autres et les siennes. C’est une lecture-écriture réactive -outre qu’elle active des liens, elle réagit à des questions posées. Elle relaye ainsi l’interrogation de Mahigan Lepage sur « cette recherche sur la ville » qui pourrait déboucher sur un « texte global, rassemblant d’un seul auteur pluriel tous ces auteurs chacun à leur tâche [64] ». La page assume pleinement son rôle de passage. Elle indique au lecteur de Tiers Livre les outils par lesquels peuvent se « casser les cloisons » entre les supports et les pratiques : pearltrees, flux rss, feedly.

Par ses pratiques et ses usages du web, François Bon, comme ses amis blogueurs, participe de cet « urbanisme virtuel » que Milad Doueihi considère comme « le site de la culture anthologique naissante, de cette culture à la fois lettrée et populaire, savante et amatrice [65] ». Cet urbanisme de l’écriture numérique nous paraît d’autant plus précieux qu’il fait contrepoids aux figures négatives de la ville contemporaine. Bon sonde la négativité de l’espace urbain, interroge ces espaces de l’infra-ordinaire qui échappent à la cartographie standard. Le site accroît considérablement les perspectives ouvertes par les livres. En démultipliant les images de la ville, Bon complexifie sa représentation. Fiction de la ville, le site réarticule le sensible en introduisant un mécompte dans l’ordre des corps, des places et des fonctions [66]. En révélant l’inaperçu demeuré hors-champ, l’auteur propose d’autres configurations du commun tout comme il désordonne les partitions admises du littéraire (monde de l’édition papier/ édition numérique ; images d’amateur, images de photographes consacrés, etc.). Par la série et le partage, le site accroît les espaces d’une fiction du politique, où la chronique dystopique d’un ordre policier de la ville s’effeuille dans le débordement des images d’un infra-monde qui demande à être nommé. 

Notes

[1] Dominique Viart, François Bon. Étude de l’œuvre, Paris, Bordas, « Écrivains au présent », 2008 ; Gianfranco Rubino, « Espace(s) » et Pierre Hippolyte, « François Bon – Edward Hopper : peinture, architecture et fiction », dans François Bon, éclats de réalité, Dominique Viart, Jean-Bernard Vray (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2010, p. 109 et suiv. ; et p. 235-248 ; Henri Garric, Portraits de villes : marches et cartes : la représentation urbaine dans les discours contemporains, Paris, Honoré Champion, « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2007.

[2] Gilles Bonnet, François Bon. D’un monde en bascule, Chêne-Bourg, La Braconnière, 2011, p. 185 et sq.

[3] « carte des mondes parallèles », première mise en ligne 1er novembre 2006 et dernière modification le 1er décembre 2008, Tiers Livre, en ligne ici. 

[4] Marie-Laure Ryan, « Des mondes possibles aux univers parallèles », 4 mai 2006, en ligne sur Fabula ici.

[5] Henri Garric, op. cit., p. 497.

[6] Id., p. 505.

[7] Id., p. 497.

[8] Id., p. 498.

[9] Marie-Laure Ryan, art. cit.

[10] Nous reprenons les éléments exposés par Henri Garric, op. cit., p. 23 et suiv.

[11] René Audet, Simon Brousseau, « Pour une poétique de la diffraction de l’oeuvre littéraire numérique : l’archive, le texte et l’oeuvre à l’estompe », dans Protée, vol. 39, nº 1, 2011 : « Esthétiques numériques », p. 10. En ligne ici.

[12] Tiers Livre, article 1746.

[13] Dominique Rabaté, Pierre Schoentjes, « Micro-scopies », Revue de critique de fixxion française contemporaine, n° 1, 2010 : « Micro / Macro ». En ligne ici.

[14] Emmanüel Souchier, Yves Jeanneret, Joëlle Le Marec (dir.), Lire, écrire, récrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, BPI, 2003, p. 20.

[15] Nous empruntons ce titre à l’une des entrées de la série science remix : « 13.08.30| des villes souterraines » (article 3715).

[16] R. Audet, S. Brousseau, art. cit., p. 14.

[17] Tiers Livre, article 2151.

[18] Sur cette nécessité de l’oubli dans le rapport à la mémoire numérique, voir Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Le Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2011, p. 150-151.

[19] Sur ce terme, nous renvoyons à Alexandra Saemmer, Matières textuelles sur support numérique, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2007, p. 97.

[20] L’expression est de Michon citée par Laurent Demanze qui évoque pour sa part la langue littéraire contemporaine comme une « langue morte » qui pense le passé suivant le modèle de la survivance ou de l’anachronisme (« Les mots de la fin. La mort et la langue littéraire », in  Fins de la littérature, Esthétiques et discours de la fin, Dominique Viart et Laurent Demanze (dir.), Armand Colin, t.1, 2011, p. 61).

[21] Voir « fiction dans un paysage | la ville, les morts, la mer » (article 3523),  ou encore « de pourquoi ces morts sur les toits » (article 3746).

[22] En ligne ici.

[23] Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages [1982], éditions du Cerf, 3e édition, 2002, p. 222.

[24] Tiers Livre, article 2999.

[25] Pour W. Benjamin, le « Maintenant » et l’ « Autrefois » entrent en tension dans l’image dialectique qui suspend le cours de l’histoire : « Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou que le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation » (Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, op. cit., p. 478).

[26] Nous empruntons la formule à Arnaud Maïsetti qui commente la nouvelle de Gracq sur son site dans « Julien Gracq | la Presqu’île » (article 86).

[27] Alexandra Saemmer, « Tumulte en ligne. L’écriture numérique de François Bon : figures d’interface, figures de dispositif  », Eclats de réalité, op. cit., p. 259.

[28] Id., p. 256.

[29] Tiers Livre, « Saint-Michel en l’Herm »,  article 2999.

[30] Emmanüel Souchier, in L’écriture des médias informatisés, espaces de pratiques, Cécile Tardy et Yves Jeanneret (dir.), Paris, Hermès, Lavoisier, 2007, p. 476.

[31] Bruce Bégout, Suburbia, Paris, Inculte, 2013, p. 13.

[32]  Id., p. 18.

[33]  Id., p. 20.

[34]  Id., p. 20-21.

[35]  Id., p. 22.

[36]  Tel est le titre du texte inédit paru dans le volume des actes du colloque consacré à François Bon, Éclats de réalité, op. cit.

[37]  Gilles Bonnet, op. cit., p. 250.

[38]  « de comment “autoroute” et pourquoi », article 1454première mise en ligne 22 octobre 2008 et dernière modification le 11 avril 2014. 

[39]  « Au fait, si collectionneur ou fac intéressé, je vendrais volontiers ce cahier et un ou deux carnets qui vont avec, prendre contact, ça me soulagerait bien par les temps qui courent. Je fais même bundle avec le stylo » (« Autoroute, le cahier de rêve et de préparation », article 3929, première mise en ligne 12 avril 2014 et dernière modification le 25 mai 2014)

[40] En ligne ici.

[41]  Nous empruntons la formule à Albert Thibaudet qui définit la « critique spontanée » comme la critique qui exprime le goût du jour, qui entretient l’enthousiasme autour d’un livre dans les conversations mais aussi « dans les succédanés de la parole, que sont les lettres, les journaux intimes, les notes personnelles », à quoi il faudrait ajouter ici les forums et les blogs (Albert Thibaudet, Physiologie de la critique, Les Belles Lettres, Paris, 2013, p. 52).

[42]  François Bon insiste sur le malentendu autour d’Autoroute considéré comme le fruit d’une enquête réelle sur le terrain alors que l’ensemble du livre est une fiction.

[43]  Prenant appui sur les analyses d’Alexandra Saemmer, Gilles Bonnet note que le lien hypertexte est doté d’une fonction déictique, créative et « catastrophique » dans la mesure où son activation peut conduire l’internaute aussi bien à une nouvelle page qu’à la destruction (François Bon. D’un monde en bascule, op. cit., p. 246 et suiv.).

[44] Éclats de réalité, op. cit., p. 28.

[45]  « petites annonces », article 895, première mise en ligne et dernière modification 7 mars 2010.

[46]  « Québec, adieux |5, une démolition », article 959, première mise en ligne et dernière modification le 20 juin 2010.

[47]  « Démolition de l’église Saint-Vincent de Paul », vidéo mise en ligne sur YouTube le 22 février 2010.

[48]  « quotidienne », article 916, première mise en ligne et dernière modification le 16 avril 2010 : « ces images, je les fixe pour leur qualité abstraite, une géométrie, un caractère monochrome, une récurrence. Une fois archivée, je ne sais même plus la retrouver dans la métropole balayée par le zoom et le pavé tactile de l’ordinateur. Ce sont des images perdues, comme perdu le lieu qu’elles désignent. Je pourrais aisément les repérer : il suffirait de recopier ou de faire une copie écran des coordonnées de géolocalisation – mais je ne m’y décide pas. […] L’idée de perdre le lieu sitôt que je le fixe est pour moi une condition de la fable : ville qui s’invente, mais ne s’invente pas dans la ville réelle (les quatre villes) qui me servent de source et repère – s’invente ici, dans la phrase et l’image, par leur séparation même. »

[49]  « maison qu’on tue », article 1090, première mise en ligne et dernière modification le 9 février 2011.

[50]  « fiction dans un paysage | photocopier des mondes », article 3448, première mise en ligne et dernière modification le 27 mars 2013.

[51]  Voir la page « visa d’entrée », article 1818, première mise en ligne et dernière modification le 23 juin 2009.

[52] On pense également à erre : « jeu vidéo benjaminien » (Gilles Bonnet, François Bon. D’un monde en bascule, op. cit., p. 251).

[53]  Voir la vidéo postée par François Bon sur YouTube le 14 mars 2009, en ligne ici.

[54]  Voir l’avertissement de Bon présentant un extrait des Villes invisibles, texte d’Italo Calvino « sous séquestre Gallimard » (« Italo Calvino | Le voyageur dans la carte », article 3620, 1ère mise en ligne 24 juillet 2013 et dernière modification le 9 mars 2014). Après la republication du livre par Gallimard, Bon note le « cynisme » d’une maison qui ne réédite pas pour autant les Leçons américaines, moins lucratives (« Gallimard contre Calvino : ou la littérature au pays des ploucs », article 3973, première mise en ligne et dernière modification le 18 mai 2014). 

[55]  La contrainte consiste à écrire le premier vendredi du mois, écrire chez un autre, voir «“Vases communicants”, c’est important », article 2258, première mise en ligne et dernière modification le 15 septembre 2010.

[56]  « #vaseco | Éric Dubois, écrivain dans la cité », article 3568, première mise en ligne et dernière modification le 7 juin 2013.

[57]  Dominique Viart, François Bon, étude de l’oeuvre, op. cit., p. 108.

[58]  « Une pensée du web : Milad Doueihi », article 2804, première mise en ligne 4 mars 2012 et dernière modification le 22 juillet 2013.

[59]  Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, op. cit., p. 110.

[60]  Id, p. 87.

[61]  François Bon évoque le projet de l’atelier d’écriture « Écrire la ville » mené à la BnF (« écrire la ville | la parole aux auteurs », article 1460, première mise en ligne et dernière modification le 28 octobre 2008. 

[62]  « blogs qui bloguent », article 1987, première mise en ligne et dernière modification le 31 décembre 2009. 

[63]  « blogs des villes », article 1784, 1ère mise en ligne et dernière modification le 20 mai 2009. 

[64]  Ibid.

[65]  Milad Doueihi, op. cit., p. 17.

[66]  On peut dire à propos de Bon ce que Jacques Rancière déclare à propos des artistes : « [les] artistes […] se proposent de changer les repères de ce qui est visible et énonçable, de faire voir ce qui n’était pas vu, de faire voir autrement ce qui était trop aisément vu, de mettre en rapport ce qui ne l’était pas, dans le but de produire des ruptures dans le tissu sensible des perceptions et dans la dynamique des affects. C’est là le travail de la fiction. La fiction n’est pas la création d’un monde imaginaire opposé au monde réel. Elle est le travail qui opère des dissensus, qui change les modes de présentation sensible et les formes d’énonciation en changeant les cadres, les échelles ou les rythmes, en construisant des rapports nouveaux entre l’apparence et la réalité, le singulier et le commun, le visible et sa signification » (Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique éditions, 2008, p. 72).

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Auteur

Aurélie Adler est Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules-Verne. Elle a publié Éclats des vies muettes (Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2012), un essai tiré de sa thèse consacrée aux récits de vie dans la littérature française des années 1980 à nos jours.

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