L’entretien d’écrivain à la radio (France, 1960-1985)

Jacques Chancel radioscopé : la démangeaison de la littérature

David Martens
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Diffusé en direct sur France Inter, Radioscopie s’est distingué en France, de 1968 à 1982 puis à nouveau à partir de 1988, comme une émission d’entretiens radiophoniques de référence. La série a permis à Jacques Chancel d’imposer une manière singulière, combinant une courtoisie bienveillante destinée à mettre à l’aise ses invités et une volonté de ne pas écarter les sujets épineux, et caractérisée par une propension aux interrogations fondées sur des alternatives, ainsi que par un goût pour les grandes questions anthropologiques, sociales et philosophiques (la vie, la mort…). Amoureux de littérature, Chancel s’est volontiers frotté aux écrivains dans le cadre de cette émission généraliste. Davantage, il a souvent fait de ses interlocuteurs des écrivains et s’est lui-même présenté comme tel. Cet article tente de rendre compte des formes et des enjeux de cette dimension littéraire de son art de la conversation radiophonique.

Aired directly on France Inter, from 1968 and 1982 and again from 1988, Radioscopie has become known in France as an important series of radio interviews. The series  has permitted Jacques Chancel to develop his own style, which consists of putting his interviewees at ease without avoiding difficult topics, of allowing for alternatives as well as of a taste for big anthropological, social and philosophical questions (on life, death, …). A lover of literature, Chancel has also gladly met writers within what is primarily a cultural, non literay, radio show. Most of all, he has often transformed his interviewees in writers and has even presented himself as a writer. This article tries to take stock of the forms and issues at stake in the literary dimension of his Chancel’s radio conversations.

Plan

Texte intégral

Pour Edmond Morrel & Jean Jauniaux

Rentrée 1968. Quelques mois à peine après les événements de mai, une émission de radio intitulée Radioscopie voit le jour. Diffusée sur France Inter, entre 17h et 18h, sauf le week-end, et en direct (à quelques rares exceptions près), jusqu’en 1982, puis à nouveau de 1988 à 1990, elle se compose d’un entretien d’un peu moins d’une heure, quotidiennement mené par Jacques Chancel. Avec un total oscillant entre 3000 et 5000 émissions selon les sources [1] (et 2300 invités à peu près), Radioscopie s’impose à l’évidence comme l’un des programmes de référence de la période [2]. Son animateur, qui devient rapidement une vedette du paysage médiatique hexagonal, adopte une manière de mener ses dialogues combinant une courtoisie bienveillante avec une volonté affichée de ne pas écarter les sujets épineux. Elle se caractérise en outre par une propension aux interrogations directes, souvent fondées sur des alternatives marquées, ainsi que par un attrait pour les grandes questions anthropologiques, sociales et philosophiques (la vie, la mort…).

Dans l’histoire de la radio, l’on ne peut guère faire de Radioscopie une émission « littéraire », c’est-à-dire systématiquement ou prioritairement consacrée aux écrivains et à la littérature. L’entretien quotidien de Chancel affiche une ambition généraliste, qui tient notamment à la chaîne sur laquelle il est diffusé. S’adressant à un public large, aux intérêts variés, l’émission offre un panel diversifié de figures publiques parmi celles qui font l’actualité. Cette variation sur la rubrique journalistique ancienne « L’homme du jour » conduit Chancel à inviter des personnalités allant des artistes (réalisateurs, metteurs en scène, chanteurs…) aux hommes de loi en passant par des savants, hommes politiques ou, de temps à autres, de simples quidams. Au sein de cet ensemble, les écrivains sont proportionnellement bien représentés. Très bien même, puisque près de 15% des invités de l’émission ont été des écrivains. Le chiffre peut paraître modeste, mais ceux-ci n’en constituent pas moins les figures publiques les plus représentées au programme [3].

Les débuts de Chancel dans l’univers journalistique se passent loin de la métropole, et n’annoncent guère cette prédilection pour la chose littéraire. Séjournant entre 1948 et 1957 en Indochine dans le cadre de son service militaire, il présente très vite sa candidature au poste de présentateur de Radio-France-Asie. Il y partage avec Marina Ceccaldi la présentation de l’émission Le Disque du soldat, destinée aux militaires et dont le titre indique assez le caractère essentiellement musical. Suit une émission de divertissement et d’information prise en charge par Chancel seul, Récréation, qui se présente comme un spectacle avec orchestre donné en direct le vendredi soir. Parallèlement, Chancel exerce des activités de « correspondant de guerre » pour Paris-Match, avant d’être journaliste à Télé-Magazine et Paris-Jour (dont il sera directeur du service parisien pendant dix ans). Du point de vue de ses débuts dans la profession, force est de constater que le profil du journaliste n’apparaît pas comme particulièrement littéraire [4].

Et pourtant, Radioscopie va afficher une dimension littéraire marquée, non seulement en invitant un nombre conséquent d’écrivains à s’exprimer, mais aussi dans le traitement des entretiens eux-mêmes. Plus précisément, à l’occasion de ses échanges avec ses invités, Chancel manifeste une inclination prononcée pour la littérature et les écrivains, au point de laisser transparaître ce qu’il est difficile de voir autrement que comme une aspiration rentrée. Cet aspect de l’émission se traduit dans plusieurs des facettes de l’art de questionner mis en œuvre par Chancel, à tout le moins durant les premières années d’existence de l’émission [5], lorsqu’il interroge des écrivains bien entendu, mais aussi, et à vrai dire surtout, lorsqu’il dialogue avec d’autres types de personnalités. Tout en veillant à incarner certaines des valeurs cardinales d’un journalisme conçu comme mode de médiation privilégié de la culture, le journaliste se façonne durant ses entretiens une posture de journaliste qui tend souvent à le rapprocher des écrivains qu’il apprécie tant et, plus globalement, du monde de la culture lettrée.

1. L’intervieweur et la littérature en personne

S’il paraît souvent très naturel, ce positionnement ne va cependant pas toujours de soi. Il est source d’une tension potentielle. En effet, la posture qu’adoptent les intervieweurs implique la nécessité de tenir compte de certaines normes et attendus du discours journalistique – véracité dans certains types d’émission, caractère plaisant dans d’autres, etc. –, que l’intervieweur incarne peu ou prou, en même temps que la manifestation d’une forme de familiarité avec l’univers dont est issu l’interviewé, de façon à légitimer les questions qu’il adresse à ses interlocuteurs. Certes, certains journalistes ou émissions généralistes, par exemple dans le cadre du journal quotidien (radio et télévision), sont susceptibles d’interroger toutes sortes de gens. Il n’en va cependant pas de même de ceux qui sont associés à un domaine de compétence spécifique. Ainsi n’attend-on pas d’un journaliste sportif qu’il interviewe un homme politique… (sauf, le cas échéant, si celui-ci est présent lors d’un événement sportif important).

Devant des écrivains, qui représentent la littérature en personne, le discours des intervieweurs se constitue en fonction de ce que le littéraire représente au regard de la pratique de l’entretien et de son ancrage journalistique. En la matière, tout dépend de la nature de l’émission et du positionnement adopté par son ou ses animateurs [9]. S’agissant de Radioscopie et de Chancel, l’expression d’une inclination récurrente à l’endroit de la littérature ne laisse pas de frapper. Si l’on en croit le témoignage qu’il propose ultérieurement, dès ses débuts en 1948, en Indochine, dans le cadre de l’émission Le Disque et le soldat, la question du livre se serait située au cœur des aspirations d’homme de radio de Chancel :

À des milliers de kilomètres de Paris, nous avions assez de vanité pour croire que nous étions encore de bons serviteurs du livre. C’était bien avant Radioscopie, Apostrophes et Caractères. Sans doute étais-je en train de tisser mes futurs terrains de manœuvre [10].

2. Parler de littérature

Dans le cadre d’une émission telle que Radioscopie, sur une chaîne telle que France Inter, le but de Chancel est de mener à bien un dialogue destiné à un public relativement diversifié, qu’il doit intéresser aux propos tenus par des personnalités fort différentes les unes des autres, et que ses auditeurs peuvent au demeurant parfaitement ne pas connaître. Les émissions évoquent par conséquent une gamme de sujets particulièrement diversifiée. À cet égard, il paraît naturel que l’intervieweur en vienne à parler de littérature avec ceux qui, parmi ses invités, sont écrivains et sont conviés en tant que tels. La chose paraît tout de même un peu moins attendue lorsque Chancel s’adresse à d’autres figures, qu’il s’agisse, par exemple, d’acteurs (d’actrices, en l’occurrence) ou, plus encore, de médecins…

S’il affiche volontiers une forme de modestie dans ses déclarations au sujet de sa pratique – « Je suis parti à l’aventure en me disant on va faire une heure tous les jours mais je ne serai pas le plus intelligent, les gens que je reçois sont forcément plus intelligents que moi. Il suffira que je pose les bonnes questions et petit à petit je deviendrai un peu moins ignorant [11] » –, Chancel se présente volontiers comme une personne cultivée, qui a l’allusion littéraire facile, comme lorsqu’il lance, au cours d’un échange sur l’amour avec Brigitte Bardot : « Oscar Wilde disait : “La fidélité est une faillite des sentiments…” » (Radioscopie, 5 février 1970). De même, à la réponse de Jeanne Moreau qu’il vient d’interroger sur ses « admirations » et qui lui répond : « Les hommes, les philosophes, les artistes, les artisans. Je peux admirer un cordonnier autant qu’un peintre », il déclare, sans guère de lien direct avec l’énumération de son interlocutrice : « Vous lisez beaucoup… », avant de lui demander, dans la foulée : « Quelles sont vos lectures ? » Et de conclure, après qu’elle lui a fait part de ses engouements livresques du moment (Verne et Giono), en se laissant aller à un conseil de lecture dont on peut se demander s’il aurait eu l’audace (ou l’outrecuidance…) de l’adresser à un écrivain (et à un homme…) : « Et pourquoi ne vous replongeriez-vous pas demain, dans Dumas… ce n’est pas désagréable à relire ! » (Radioscopie, 10 septembre 1970).

Les fréquentes allusions, citations ou considérations littéraire qui émaillent les dialogues de Radioscopie avec des interlocuteurs qui ne sont pas des écrivains interpellent cependant moins par leur fréquence que par le caractère parfois quelque peu abrupt de leur intrusion dans le cours de la conversation. Ainsi, lorsqu’il questionne Jean Bernard sur la façon dont le célèbre médecin envisage la mort, Chancel lui demande, sans que rien dans leur dialogue ne vienne annoncer la double référence qu’il intègre à sa question : « Pour bien comprendre la vieillesse, faut-il avoir lu Charles Péguy et Simone de Beauvoir ? » (Radioscopie, 24 janvier 1973). « Je pense que cela aide à la comprendre, mais les problèmes posés en médecine sont un peu différents de ceux évoqués par les philosophes » (ibid.), lui répond son interlocuteur, qui semble ne pas s’accorder avec la prédominance que Chancel attribue à la littérature (et que le médecin rapporte pour sa part au domaine de la philosophie), ou du moins aux deux écrivains mentionnés, comme clé de compréhension de la vieillesse. Se montrant prudent devant cette invitation à s’exprimer sur la relation entre la mort et un domaine qu’il ne semble pas vraiment considérer comme le sien, Bernard tâche de ramener l’échange sur le terrain de sa seule compétence médicale.

Recourir à de semblables références littéraires, sans les expliciter dans le cas de Beauvoir et Péguy (à quels livres fait-il référence ? l’auditeur semble censé le savoir…), consiste pour Chancel à afficher une posture de lettré. De telles allusions donnent en effet à voir un journaliste suffisamment féru de littérature pour être en mesure d’évoquer voire de citer des écrivains au fil du propos, au moins en apparence. Certes, ces références en passent par des questions adressées à ses interlocuteurs. Il ne s’agit pas d’affirmations qu’il fait siennes. Elles s’inscrivent dans un discours qui vise à recueillir sinon un savoir en bonne et due forme, du moins une opinion relativement autorisée sur une série de sujets. Il n’en reste pas moins que, connaître ces noms et les associer à une thématique précise manifeste un indéniable degré de culture et de lectures.

3. Portraits postulés

Parler de littérature et, ce faisant, adopter une posture de journaliste cultivé ne constitue cependant que l’opération la plus superficielle par laquelle Chancel confère une dimension littéraire à son positionnement au sein de l’émission qu’il anime. De façon plus fondamentale, les portraits de ses invités qu’il propose sont régulièrement infléchis par son attrait pour la littérature et les écrivains. Ainsi, à la faveur du dévoilement qu’implique Radioscopie, Chancel amène fréquemment ses invités à considérer certaines de leurs vies parallèles, avortées, désirées, en évoquant des aspects de leur biographie souvent méconnus du public. L’intervieweur retouche en effet régulièrement les portraits de ses invités en leur découvrant, voire en leur attribuant une stature d’écrivains qui s’ignorent.

Ce statut est certes parfois justifié par la parution d’un livre, comme avec l’humoriste belge Raymond Devos. Ce dernier vient en effet de publier un ouvrage. Il ne s’en amuse pas moins de se voir associé par Chancel, à l’entame de l’émission, aux cinq hommes de lettres qui l’ont précédé dans le studio de France Inter :

Jacques Chancel – Après Roger Peyrefitte, Hervé Bazin, Paul Guth, Jean Cau, Romain Gary, voici encore, et heureusement, un homme de lettres. Son œuvre ne permet pas encore d’inventer une bibliothèque, mais son premier livre est un remarquable essai, retenez le titre : Ça n’a pas de sens. Éditeur : Denoël. Auteur : Raymond Devos. Vous vous considérez comme un homme de lettres ?

Raymond Devos – [Rires] Absolument pas. (Radioscopie, 19 décembre 1968)

L’art comique de Devos, reposant sur une virtuosité sans pareille dans les jeux de langage, invite indéniablement à cette littérarisation de son image publique. Dès cette époque, il s’agit d’ailleurs de l’un des aspects marquants de l’image d’auteur de l’humoriste. Reste que Chancel pourrait aussi bien n’en pas faire état ou plutôt question et, surtout, en faire la toute première question de leur dialogue. Preuve que la question lui tient à cœur, cinq ans plus tard, il récidive avec le même invité, en un autre moment déterminant de l’entretien, sa conclusion cette fois, sur le mode du postulat interrogatif, et non sans une flagornerie à laquelle Raymond Devos refuse avec pudeur, et sans doute un brin gêné, de se prêter : « Et si la postérité retenait votre œuvre comme elle a retenu celles de Molière, de Rabelais… celle de Charlot ? » (Radioscopie, 16 mars 1973) [12].

Chancel procède de même lorsqu’il reçoit Michel Audiard, à ceci près que la postérité se trouve remplacée par l’Académie française. Bien que le temps imparti soit particulièrement restreint, dans la mesure où le célèbre dialoguiste et scénariste n’arrive qu’à quinze minutes de la fin de l’émission (entretemps, Chancel, passablement énervé, se contente de passer de la musique…), il parvient à conduire l’échange sur le terrain de la chose littéraire :

Jacques Chancel – Vous sacrifiez aussi de temps en temps à la littérature. Vous avez écrit récemment Le Terminus des prétentieux.

Michel Audiard – Enfin, n’appelons pas ça de la littérature.

– Vous vous considérez comme un homme de lettres, Michel Audiard ?

– Non, non, pas du tout. Pas du tout. D’ailleurs, ça c’est un roman que j’ai écrit quand j’étais journaliste, il y a une vingtaine d’années, et qui a été réédité sous un autre titre. Alors, c’est pas… c’est pas une œuvre de… Par contre, j’ai écrit une dizaine de nouvelles qui, ça, sont, je crois… je crois, de meilleure tenue, et qui seront publiées un jour.

– Dans le fond, ça vous amuserait beaucoup d’être un jour à l’Académie française ?

– Euh… Non ! Sincèrement non. Parce que je me brouillerais avec trop de copains. (Radioscopie, 9 décembre 1968).

Cette propension à faire de son interlocuteur rien de moins qu’un écrivain en puissance n’est pas réservé à Devos ou Audiard. Chancel est coutumier du fait, et souvent de façon plus étonnante encore, comme lorsqu’il s’adresse à des personnalités à première vue plus éloignées de l’écriture qu’un humoriste et un scénariste, auteurs de livres qui plus est. Ainsi demande-t-il à Albert Naud, avocat réputé qui a défendu Céline lors de ses démêlés avec la justice : « Maître Albert Naud, vous êtes un grand avocat, mais est-ce que vous ne voudriez pas aujourd’hui être seulement un homme de lettres ? » (Radioscopie, 12 novembre 1969). Manière de réduire ce pour quoi son interlocuteur est alors connu du grand public, et ce qui motive l’entretien qu’il est en train de réaliser, au profit d’une part moins connue de son activité (Albert Naud a en effet tâté de la plume en publiant un roman en 1951 [13]). En ce sens, il en apprend aux auditeurs de l’émission et remplit sa mission de journaliste, en recourant à un terme – « homme de lettres » – un peu désuet et qui trahit le regard de quelqu’un qui demeure tout de même étranger au champ littéraire.

De façon analogue, alors que Jean Bernard lui affirme que « [l]orsqu’on est médecin, on s’exprime complètement dans son acte de médecin », Chancel n’hésite pas à lui rétorquer, manifestement bien décidé à l’amener sur le terrain qui l’intéresse, lui : « Oui, mais lorsque vous êtes médecin, vous oubliez un peu ce que vous avez été, c’est-à-dire poète… » (Radioscopie, 24 janvier 1973). Bien sûr, cet ancien Résistant, appelé à entrer à l’Académie française en 1975 (il héritera alors du fauteuil de Marcel Pagnol), est l’auteur d’un recueil de poèmes, Survivance, publié en 1944. Comme au sujet d’Albert Naud, Chancel se borne en ce sens à réaliser son travail de journaliste, à savoir délivrer un portrait qui n’omette aucune facette du modèle qu’il se propose de faire connaître à ses auditeurs. Cependant, alors même que son vis-à-vis entend manifestement ne s’exprimer qu’en sa qualité de médecin, dans la question qu’il lui adresse, Chancel tend à tracer en filigrane la silhouette d’un écrivain.

Cette propension à ériger certains de ses invités en écrivains, à leur corps défendant le cas échant et avec une insistance qu’il est parfois difficile de ne pas trouver troublante. Au terme d’un échange au sujet d’une série de penseurs, au cours duquel son invité, l’homme politique Jean Lecanuet, s’emploie à distinguer la philosophie de la littérature (« Pour moi, ce qu’on appelait un homme de science était un savant, vous m’entendez bien, pas un littéraire, pas un poète d’abord, d’abord un homme de science »), Chancel affirme (davantage qu’il n’interroge), et au risque du contresens au regard des propos de son vis-à-vis :

Jacques Chancel – D’ailleurs, j’ai bien compris. Vous voulez débarrasser l’homme de lettres de toute philosophie, parce que vous avez dit, tout le monde peut écrire.

Jean Lecanuet – Haha… Oui, c’était peut-être un peu méchant en disant cela. Je trouve qu’on imprime trop, si vous voulez. Maintenant, à peu près n’importe qui porte un manuscrit, à moins que ce ne soit totalement inconsistant, on trouve un imprimeur. […]

– Mais vous, vous écrirez un roman, un jour ? Et vous y pensez, sans aucun doute ?

– Ah, je… je ne pense pas que j’aie ce don-là. J’aimerais… J’aimerais garder assez de jeunesse d’esprit et de temps pour écrire… je ne sais pas quoi. Un petit livre de réflexions. (Radioscopie, 30 janvier 1973)

D’une part, Chancel semble avoir mal compris le propos de son interlocuteur, puisqu’en avançant qu’il entend « débarrasser l’homme de lettres de toute philosophie », il lui fait dire autre chose que ce qu’a dit Lecanuet un instant auparavant, à savoir que le philosophe, jadis, était un « homme de science » et non un « littéraire » ou un « poète ». D’autre part, la teneur de l’échange montre un intervieweur qui, sans aucun fondement manifeste dans la conversation qu’ils ont eue jusqu’alors, pousse l’homme politique qu’il a en face de lui à confesser qu’il envisagerait d’écrire un roman. Tout aussi prudent que les autres invités de Chancel, ce dernier s’y refuse.

Moins radicalement peut-être, mais plus inopinément, et donc d’une façon qui par son caractère spéculatif ne surprend pas moins, Chancel invite, trois ans auparavant, le célèbre biologiste Jacques Monod (prix Nobel 1965) à envisager de quitter son champ de compétence pour embrasser celui de la littérature de fiction :

Jacques Chancel – Jacques Monod, est-ce que vous pourriez sortir de votre propre domaine ? Là, vous venez de publier Le Hasard et la nécessité, et c’est quand même votre domaine. Vous pourriez écrire un roman ?

Jacques Monod – Un roman ? Sûrement pas, non !

– Vous avez quand même le goût de l’écriture…

– Ah, beaucoup !

– Et ça se sent.

– J’aime écrire, oui. Mais un roman, certainement pas, non… un conte philosophique, peut-être… Une pièce de théâtre, peut-être. Un roman, c’est trop difficile…

– Le succès de ce livre, c’est un encouragement pour vous, à continuer à écrire ? (Radioscopie, 18 novembre 1970)

Pareille question ressemble à s’y méprendre à une véritable incitation. Chancel semble chercher à pousser ses interlocuteurs dans une direction dont, significativement, la plupart se gardent avec modestie. Il est vrai que l’intervieweur pointe souvent, en ces circonstances, un aspect souvent isolé dans l’existence de personnes qui ont en commun avec lui d’exercer une activité non littéraire en tant que telle et d’avoir commis un livre, il y a longtemps parfois, sans pour autant être reconnus en tant qu’écrivains. En ces moments précis, l’intervieweur rompt souvent quelque peu avec le fil de l’échange, au point d’apparaître comme une sorte de retour du refoulé. Ces questions paraissent en effet, souvent, sorties de nulle part, voire quelque peu forcées, autant que la focalisation sur le genre romanesque, dont on peut se demander en quoi il irait davantage de soi que la poésie, le théâtre ou l’essai pour un biologiste ou un avocat désireux de faire œuvre littéraire.

4. Le marié de la littérature

Cette interrogation est si fréquente – et à sens unique, car, à ma connaissance, Chancel ne demande pas aux écrivains s’ils voudraient être acteurs ou faire de la politique, par exemple – que l’on peut se demander s’il n’en va pas d’une obsession de l’intervieweur lui-même, auteur de deux romans publiés à Saïgon, alors qu’il y était correspondant de guerre (L’Eurasienne et Mes Rebelles, aux Éditions Catinat, respectivement en 1950 et 1953) [14]. Tout se passerait ainsi comme si Chancel exposait à travers ces questions ce qui serait en définitive sa propre inclination, comme si en s’efforçant de recueillir les aveux d’un désir caché d’écriture, ce n’était au fond que le sien qu’il exprimait. Lorsqu’Edmond Morrel lui adresse directement la question, Chancel ne se dérobe nullement :

Edmond Morrel – Lorsque vous étiez en face de personnes qui n’étaient pas des écrivains, vous leur demandiez souvent s’ils n’étaient pas tentés par la littérature. Pourquoi ?

Jacques Chancel – Parce que la littérature a envahi ma vie. Moi, j’ai fait un recueil de poèmes quand j’avais 17 ans, qui a été publié aux éditions Catinat à Saïgon. Ensuite j’ai fait deux romans avant 20 ans, Les Rebelles et L’Eurasienne. J’étais passionné de littérature. D’ailleurs, je préfère ne pas les revoir, ne pas les relire, ces romans. Après, j’ai été correspondant de guerre, donc j’ai été pris par les événements. Je suis rentré à Radio France tout de suite, tout jeune, tout gamin, donc la radio a pris beaucoup de ma vie [15].

Comme en témoigne cet aveu, le discours public de Chancel confirme, de façon relativement explicite, ce qui transparaît dans ses émissions. L’espace du livre semble comme une invitation à assumer plus franchement ses aspirations. Ainsi, lors de la parution de certains de ses radioscopies en volumes, Chancel atténue leur dimension journalistique pour mieux leur conférer un statut littéraire. Dans l’avant-propos du premier tome de ces Radioscopies écrites, il présente ainsi ses dialogues comme des rencontres « [e]ntre gens de bonne compagnie », « au coin du feu », et déclare avoir « la faiblesse de croire que [s]es interlocuteurs ont vite oublié le micro au cours de ces soixante minutes [16] ». À travers ce prétendu oubli du micro, topos du genre destiné à en garantir la spontanéité, qui est l’une des valeurs cardinales du genre, Chancel neutralise l’emblème de la radio et use d’une terminologie qui, en français, écarte « l’interview » au profit d’un désignateur plus favorable sur le plan de la valeur littéraire [17].

« J’appartiens au groupe [de ceux] qui considèrent que la conversation est un art », écrit-il à ce propos en 1978 [18]. Cet attrait pour l’art de la conversation, Chancel le revendique à maintes reprises. Ainsi déclare-t-il, dans un entretien accordé au Point : « Je n’aime pas ce mot d’interview. Outre qu’il est anglais, il est brutal. Je préfère dire rencontre ou conversation [19]. » Manière de se situer dans la frange la plus littéraire d’un répertoire de pratiques de dialogues publics au sein duquel entretien et interview participent d’un continuum. Chancel situe ce faisant sa pratique au sein d’un espace de la parole consacré par des siècles de culture classique, qui en ont fait un art à part entière [20], en dépit du caractère tout de même quelque peu usurpé de cette appellation compte tenu de l’asymétrie assez nette des tours de parole, typique de l’interview journalistique, dans Radioscopie.

Au regard de cette posture, rien de bien surprenant à voir Chancel écrire, dans l’avant-propos du deuxième tome de ses Radioscopies livresques, alors que le volume rassemble des interviewés dont un seul (Roger Peyrefitte) est écrivain : « Onze personnalités se retrouvent sous cette couverture » ; elles « furent des interlocuteurs valables » et « deviennent ici mes associés en littérature » [21]. Au sein de ces pages, l’intervieweur ne peut plus jouer des mêmes ressorts que sur les ondes, de sorte qu’il en vient, selon un principe que l’on pourrait qualifier d’« entropie de la posture » – elle prolonge sa dynamique initiale –, à en utiliser d’autres. Chancel vise dans ces volumes le même objectif que sur les ondes (une proximité avec les écrivains), à ceci près qu’il peut désormais plus directement, en tant qu’auteur du livre, afficher le statut littéraire de son « art de la conversation ». En d’autres termes, il poursuit selon d’autres moyens ce qu’il réalisait déjà à l’antenne, dans une émission au sujet de laquelle, quelques années plus tard, il livre une confession sans ambages :

À dire vrai, […] je n’ai voulu Radioscopie que pour combler un vide, apaiser une gourmandise, reconnaître des visages, ceux de l’écrivain, et les accorder aux mots, aux musiques qui rythmaient mon enfance lavedanaise, loin des chapelles où trônaient déjà les princes de l’écriture. Je ne pouvais pas prévoir ce qui m’arriverait mais inconsciemment […], il ne fait pas de doute que je me préparais aux épousailles – ce tête-à-tête quotidien. Comment aurais-je pu imaginer qu’un jour je partagerais des heures avec Montherlant, Caillois, Barthes, Sartre, Céline, Jouhandeau, Delteil le saint, Malraux, Cocteau (en dehors de toute radio), Cohen, Yourcenar, Borgès et les autres ! L’incroyable peut arriver […]. Tout vient à celui qui n’attend pas [22].

Cette réduction fantasmée de Radioscopie à une émission littéraire traduit la persistance d’une inclination prononcée. Elle se double d’une sacralisation de l’espace littéraire et des écrivains. Après avoir évoqué les « chapelles où trônaient les princes de l’écriture » à titre de repoussoir, en désignant une valeur littéraire tenue pour factice (le topos du parisianisme), Chancel évoque son travail comme une relation à la faveur de laquelle se conjuguent l’intime et le sacré (« épousailles »). Comment s’étonner de la caractérisation dont il use pour désigner l’un des auteurs de sa liste, le « saint » – par allusion à un essai d’André de Richaud, Vie de saint Delteil [23] –, et que la seule mention individualisant un autre écrivain (Cocteau) précise qu’il a partagé avec lui des moments « en dehors de toute radio » (Cocteau mourant en 1963, ces moments ont été partagés entre 1957 – date du retour d’Asie de Chancel – et l’année de la mort du poète, bien avant le lancement de « Radioscopie »), selon une formule qui fait écho à l’absence de tout micro…

Le positionnement de Chancel devant la littérature se fonde ainsi sur une sanctification qui en passe par une revendication de simplicité et de familiarité, vertus fréquemment invoquées dans la constitution de la posture des intervieweurs d’écrivains. Ne revendiquant certes pas explicitement une appartenance au saint des saints, Chancel construit cependant sa posture, dans ses livres et ses déclarations publiques, de façon à marquer une affinité entre sa pratique d’intervieweur et le monde littéraire. Dans cette optique, il affiche fièrement une position d’outsider fondée sur son origine provinciale. Celle-ci apparaît comme un gage d’authenticité au regard de ce qui passe pour le cœur de la vie littéraire parisienne. Selon un lieu commun du discours mystique, la rencontre avec l’espace sacralisé advient d’autant mieux (et de façon d’autant plus méritée) qu’elle n’a pas été volontairement recherchée – à ceci près que, s’agissant de Jacques Chancel, précisément la chose littéraire constitue l’un des leitmotiv des questions qui le préoccupent et au sujet desquelles il interroge volontiers ses invités.

Dans un monde plurimédiatique, les hommes de télévision et de radio ne se bornent pas nécessairement à leurs activités au sein de ces médias. Ils peuvent parallèlement être des hommes du livre. Comme d’autres intervieweurs d’écrivains, Chancel a, outre ses deux romans de jeunesse, publié plusieurs volumes. La plupart sont peu ou prou liés à son expérience à la radio et à la télévision, de la publication de certaines de ses Radioscopies à celle de son journal ou de ses mémoires. Si elles font évidemment la part belle à ses activités d’intervieweurs et d’animateur, ces publications tendent cependant à infléchir sensiblement son statut comme personnalité publique, en estompant quelque peu son image de journaliste pour favoriser l’émergence de celle d’« hommes de lettres ». Il y assume en effet plus explicitement et plus directement ses aspirations dans la mesure où il se situe au sein d’un médium qui reste encore largement perçu comme le noyau symbolique de l’activité littéraire. En somme, dans le livre, Chancel prolonge, selon d’autres moyens, la proximité avec la littérature et les écrivains dont il fait l’un des traits de sa posture dès Radioscopie.

 5. Le micro et la plume

De façon plus marquée que d’autres, certains environnements et certaines activités sociales favorisent chez les individus l’émergence d’une pluralité d’appartenances ou, à tout le moins d’accointances, avec lesquelles il s’agit pour eux de composer, au gré des circonstances et des opportunités. Développant sa théorie de l’acteur pluriel, Bernard Lahire avance l’idée que les acteurs sociaux subissent au cours de leur vie des types de socialisations multiples, successives ou concomitantes, et que chacune modèle des schèmes de comportements, dont des conditions particulières favorisent ou permettent l’activation [24]. Dans l’entretien, les journalistes côtoient des acteurs issus d’autres domaines. Ils doivent se mettre au service de leur parole, tout en maintenant les normes du discours journalistiques, notamment en sachant se montrer critiques à leur égard s’il y a lieu. Dans le cas d’une émission généraliste, les intervieweurs sont donc conduits à façonner leur posture au sein du champ journalistique en fonction de leurs interactions avec des intervenants issus de différents domaines, et qui construisent simultanément leur propre posture en cette occasion.

La proximité physique que le studio de Radioscopie imposait aux invités, et sur laquelle Chancel est revenu à plusieurs reprises, de même que la durée relativement conséquente de la formule, favorisent le registre de la conversation souhaité par l’intervieweur. Toutefois, les interventions de celui qui se targuait d’accorder davantage d’importance aux réponses qu’à ses propres questions sont souvent fort concises. Chancel tend en effet le plus souvent à la concision. Il se place ainsi en situation d’écoute. Dès lors, cette prétention conversationnelle de la posture de Chancel paraît pour le moins discutable, ainsi que l’a déjà relevé Guy Robert [25]. Une conversation en bonne et due forme est, en effet, censée situer les différents intervenants sur le même plan, ce qui n’est pas tout à fait le cas chez un intervieweur qui ne laisse jamais les rôles s’inverser. « “C’est moi qui pose les questions !” rétorque-t-il un jour à l’un de ses invités qui s’était égaré jusqu’à lui en retourner une (propos révélateur, inimaginable dans une conversation de bon ton dans un autre cadre) [26]. »

Dans le même temps, Chancel affecte souvent ce versant journalistique de sa posture d’une coloration littéraire. Rien de surprenant de ce point de vue à ce que les trois seules émissions reprises isolément en volume – par Le Rocher, en 1999 – concernent des écrivains (Marguerite Yourcenar, Jorge Luis Borges et Albert Cohen). L’image publique tient aussi à l’identité de ceux que l’on côtoie. En l’occurrence, le simple fait d’accepter un dialogue peut, pour des hommes de langage et de culture, être la marque de reconnaissance de l’appartenance à un espace commun. L’entretien peut en ce sens se présenter comme une forme d’adoubement, et revêtir la valeur d’une onction pour celui qui recueille la parole d’une figure notoire. Sur cette base, que Chancel infléchisse fréquemment l’identité de ses invités, en en faisant des écrivains, contre leur gré si nécessaire, qu’il apparaisse comme quelqu’un qui s’emploie parfois à révéler à eux-mêmes des écrivains rentrés, à dévoiler des aspirations abandonnées, lui permet de se présente comme un familier de la littérature et de ses porte-drapeaux.

Cette propension à faire de ses interlocuteurs des écrivains qui s’ignorent trahit, tant au sein même de la pratique d’intervieweur de Chancel que de ses publications ultérieures, un désir d’être écrivain – et peut-être plus précisément romancier – qui ne serait autre que le sien. En 2014, au moment de son décès, comme de coutume en pareilles circonstances, de nombreuses émissions, à la radio et à la télévision, ainsi que des articles de presse, dressent sa nécrologie sous la forme d’un portrait à forte teneur biographique. Au sein de ce concert mémoriel, le texte que Jean-Baptiste de Montvallon a signé dans Le Monde porte un titre qui, sans nul doute, aurait éveillé l’attention de celui qui fut l’intervieweur phare des années 1970 : « Mort de l’écrivain et journaliste Jacques Chancel [27] ». L’ordre dans lequel ces deux activités sont placées aurait certainement ravi celui dont la manière d’intervieweur, en même temps que la posture, tout au long de sa vie médiatique, manifeste en filigrane une prédilection qui semble avoir fini par s’imposer.

Notes

[1] Dans N’oublie pas de vivre, Chancel parle de 3600 émissions (Paris, Flammarion, 2011), tandis que Robert Prot, dans son Dictionnaire de la radio, évoque le chiffre de 4800 (Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1999). La notice de l’INA relative à la dernière émission, consacrée à Jean Bernard, la présente comme la « 5000e et dernière Radioscopie ».

[3] Selon la recension de Guy Robert menée sur les cinquante premières émissions diffusées tous les cinq ans, début 1969, huit « littérateurs » sont invités (pour huit acteurs, autre catégorie la plus représentée, ainsi qu’un « animateur de radio », quatre « chanteurs », cinq « cinéastes », un « couturier », trois « danseurs », un « dessinateur »…). Cette proportion devient plus forte encore par la suite : début 1974, onze écrivains (pour quatre acteurs, deux « administrateurs de société », un « chanteur » et un « ecclésiastique »….) ; onze également début 1979 (pour six « acteurs », trois « chanteurs », un « chef d’entreprise » et un « cinéaste »…). Début 1989, en revanche, cette prédominance n’est plus de mise : seuls quatre écrivains sont invités durant cette période, pour onze journalistes, catégorie la plus représentée cette année-là. Sans un décompte plus systématique, difficile de savoir s’il faut y voir le fruit de circonstances particulières ou une véritable inflexion dans la politique des invitations de l’émission (« Gens du siècle à micro ouvert. Radioscopie de Jacques Chancel », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n° 62, octobre-décembre 1999, p. 122, 124, 132 et 134).

[4] La concurrence lors la création de Radioscopie l’est sans doute moins encore, puisque RTL diffuse au même moment Non-Stop de Philippe Bouvard, émission qui se targue d’être rien de moins que le « plus grand music-hall de France »… (voir à ce sujet Jacques Chancel, La Nuit attendra, Paris, Flammarion, 2013).

[5] Focalisé sur les cinq premières années d’existence de l’émission, cet article constitue un développement et un approfondissement des analyses proposées au sujet de Jacques Chancel dans une précédente étude (voir David Martens et Christophe Meurée, « L’intervieweur face au discours littéraire : stratégies de positionnement chez Madeleine Chapsal, Jacques Chancel et Bernard Pivot », Argumentation et Analyse du Discours, « L’interview littéraire », s. dir. Galia Yanoshevsky, n° 12, 2014. [En ligne], URL : http://aad.revues.org/1639).

[6] Voir notamment Galia Yanoshevsky, « L’entretien d’écrivain et la co-construction d’une image de soi : le cas de Nathalie Sarraute », Revue des sciences humaines, 273, p. 131-148.

[7] Voir Catherine Kerbrat-Orecchioni, Le Discours en interaction, Paris, Armand Colin, 2005.

[8] Anneleen Masschelein, Christophe Meurée, David Martens & Stephanie Vanasten, « The Literary Interview : Toward a Poetics of a Hybrid Genre », Poetics Today, n° 35, p. 1-49. Sur la notion de posture mobilisée dans l’étude de la littérature, voir en particulier Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, « Érudition », 2007, La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève, Slatkine, « Érudition », 2011, ainsi que « La fabrique d’une notion. Entretien avec Jérôme Meizoz au sujet du concept de posture », propos recueillis par David Martens, Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 6, mai 2011, p. 199-212.

[9] Il existe bien évidemment des émissions qui n’accordent aucun traitement de faveur aux écrivains, jamais invités ni interrogés pour leur œuvre mais seulement pour parler des mœurs de la vie littéraire ou de tout autre chose, et en somme sollicités prioritairement, à l’instar des autres interviewés, pour leur capacité à faire passer un bon moment à l’auditeur, éventuellement avec un alibi culturel en prime.

[10] Jacques Chancel, Journal d’un voyeur, Paris, Grasset, 1994, p. 46.

[11] « “L’instinct de curiosité”. Jacques Chancel interviewé par Edmond Morrel », dans David Martens & Christophe Meurée, Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens littéraires, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2014, p. 91.

[12] De façon notable, dans la version écrite de cet entretien, Chancel supprime le nom de la figure cinématographique pour ne conserver que celle des deux écrivains du canon littéraire français (Jacques Chancel, Radioscopie, Paris, Robert Laffont, t. 3, 1973, p. 267).

[13] Albert Naud, Peau d’orange ou l’école du soir, Paris, Grasset, 1951.

[14] Guy Robert, art. cit., p. 108.

[15] « “L’instinct de curiosité”. Jacques Chancel interviewé par Edmond Morrel », art. cit., p. 92.

[16] Jacques Chancel, Radioscopie, Paris, Robert Laffont, t. 1, 1970, p. 12.

[17] David Martens et Christophe Meurée, « Ceci n’est pas une interview. Littérarité conditionnelle de l’entretien d’écrivain », Poétique, n° 177, 2015, p. 113-130.

[18] Jacques Chancel, Le Temps d’un regard, Paris, Hachette, 1978, p. 225-226.

[19] Cité dans Guy Robert, art. cit., p. 133.

[20] Voir Emmanuel Godo, Histoire de la conversation, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2003.

[21] Jacques Chancel, Radioscopie, Paris, Robert Laffont, t. 2, 1971, p. 8. Je souligne.

[22] Jacques Chancel, Le Livre franc, avec Hubert Nyssen et les invités de « Parenthèses », Arles, Actes Sud/France Inter, 1983, p. 16-17.

[23] André de Richaud, Vie de saint Delteil, Cognac, Calligrammes & Le Temps qu’il fait, 1984.

[24] « Dès lors qu’un acteur a été placé, simultanément ou successivement, au sein d’une pluralité de mondes sociaux non homogènes, et parfois même contradictoires, ou au sein d’univers sociaux relativement cohérents mais présentant, sur certains aspects, des contradictions, alors on a affaire à un acteur au stock de schèmes d’actions ou d’habitudes non homogène, non unifié et aux pratiques conséquemment hétérogènes (et même contradictoires), variant selon le contexte social dans lequel il sera amené à évoluer » (Bernard Lahire, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action (2001), Paris, Fayard, « Pluriel », 2011, p. 50).

[25] Guy Robert, art. cit., p. 141.

[26] Ibid., p. 172.

[27] [En ligne] : http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/12/23/l-ecrivain-et-journaliste-jacques-chancel-est-mort_4545253_3382.html

Auteur

David Martens, professeur de littérature française moderne et contemporaine à l’Université de Louvain (KU Leuven), où il assure la direction du programme « La Fabrique du patrimoine littéraire. Les collections d’essais biographiques illustrés en France (1944-2014) ». Ses travaux portent sur la figure de l’écrivain telle qu’elle se constitue, se communique, se médiatise dans le champ littéraire et plus largement culturel de son temps : L’Écrivain vu par la photographie (2017), Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens littéraires (2014), Écrivains : modes d’emploi (2012). L’écrivain, un objet culturel (2012). Il a conduit un colloque sur L’interview littéraire dont les actes vont paraître aux PUR.

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