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Texte intégral
« Un véritable artiste est toujours en rumeur » (Cocteau)
Le disque, la radio, la télévision, le web : les inventions du XXe siècle ont amplifié et augmenté la présence sonore du monde. Elles ont aussi incité certains écrivains, environnés comme leurs contemporains de machines parlantes, à devenir des surauditifs. François Bon est de ceux-là, ce qui fait de la navigation « à l’oreille » dans son site Tiers Livre une aventure pleine de promesses et de richesses [1]. Cette navigation, on peut ici la commencer de différentes manières. On peut partir par exemple d’une page du 30 octobre 2010 (article 2307) qui évoque des « travaux de mise à jour des accès audio sur l’ensemble du site », et ce « projet (provisoirement) en rade » de radio web coopérative parti en mai 2009 d’un échange avec Xavier Cazin, d’Immateriel.fr : « une radio qui fonctionnerait 24h/24, avec un bouton d’accès sur chaque site participant ». On peut aussi partir d’une page plus ancienne, du 25 février 2006, « la valise audio : Rimbaud, Dupin et d’autres / chemins dans l’expérience audio, vieilles archives », qui compile des lectures de Michaux, Rimbaud, Perec, Kafka, Duras, Artaud en 2002 et 2005, avec un lien vers les « Rabelais à haute voix » ; page repassée en une le 22 mai 2012 avec en chapeau la réflexion : « Ces expérimentations audio sont ce qui me manquent le plus, physiquement et artistiquement. On va s’essayer, cet été, à corriger le tir » (article 280). Ou de ce fragment 1059 d’une « suite en construction », mis en ligne en décembre 2006 : « Impatience des possibilités d’indexation audio : lire un texte écran, bifurquer sur la voix, doubler ou alterner, revenir au silence, à mesure qu’on se déplace dans le texte. Écrire directement à la voix sur le site en streaming (je n’en suis pas si loin déjà) » (« de 1035 à 1051 sur 10 000 », article 621). On peut aussi piocher dans l’année 2013, avec par exemple l’entrée « Chant » de marabout bout de ficelle, l’abécédaire commencé en août de l’année [2] : « Composer de la littérature a plus à voir avec le chant qu’avec le théâtre. […] Je ne sais pas où est mon chant. Je ne suis pas sûr de disposer de la voix de mes textes. Quand je chante, seul en marchant ou en conduisant, ce n’est jamais avec des mots. » Autant de pages, autant de points de départ différents. Celle qui ouvrira notre analyse s’intitule « fiction | quoi faire de son chien mort ? » (article 321). Quoi faire de son chien mort ? est une fiction radiophonique de l’auteur diffusée en 2001, mise en ligne sur son site en 2006. C’est la seule page de Tiers Livre où figure, dans une note du 4 juin 2008, l’expression (en italiques) écriture audio. Fançois Bon l’emploie pour parler du travail du son à la radio, auquel il a été associé au fil de quelques émissions. Mais il note aussi que, venue de la radio, ce « vecteur éminemment moderne, encore plus aujourd’hui avec la diffusion en ligne », « l’idée d’écriture audio se transfère peu à peu vers les blogs » : « […] c’est le web qui progressivement devient la mémoire audio de l’époque [3] ». Dans la logique de cette page, nous nous proposons d’aborder l’écriture audio dans Tiers Livre en repartant de l’expérience radiophonique de l’écrivain mais aussi de sa lecture de Rabelais, le parrain du site en quelque sorte. Il s’agira ensuite de déployer la variété des pages sonores que l’internaute peut rencontrer dans sa navigation… à condition de remonter à 2009 et avant, à l’époque où le « labo voix » du site était en pleine activité. Une dernière partie formulera quelques hypothèses sur les réticences de François Bon, grand adepte pourtant de l’improvisation, à faire passer ses billets et chroniques de blog en écriture audio.
1. Radio & Rabelais
1.1 La radio, écoute et création
François Bon a vécu, dans les années soixante de son enfance (décrites dans Autobiographie des objets) « l’écoute ritualisée [4] » des informations à la radio, en famille, sur un gros poste Telefunken surmonté d’un pick-up pour passer les trois seuls disques de la maison. Puis, à partir de 1964 surtout, la « présence quotidienne [5] » de la télévision (en noir et blanc d’abord), mêlée à celle de la radio allumée dans la cuisine à l’heure du déjeuner. Il a connu aussi, au moment de ses années collège (1964-1967), le bonheur des premiers disques à soi, du premier électrophone à soi (un Teppaz avec changeur pour les 45 tours), et « l’agenda des grandes sorties de disques [qui] devient [son] principal calendrier personnel : un Beatles, un Stones, un Who. Un Beatles, un Stones, un Cream. Un Beatles, un Stones, un Doors et ainsi de suite [6] ». Mais la révolution c’est surtout, à la fin de 1964 aussi ‒ année charnière ‒, l’apparition du transistor à piles, qui permet d’écouter « la nuit en cachette [7] » sous l’oreiller, comme beaucoup d’adolescents de sa génération, le Pop club, l’émission vite célèbre de José Artur lancée le 4 octobre 1965, et de « découvrir enfin combien le monde est vaste et qu’avec ces musiques il peut être nôtre [8] », celle des Rolling Stones ou des Beatles, peu après celle de Led Zeppelin, le groupe phare des années soixante-dix.
On comprend pourquoi, accompagnant ou précédant ses biographies de grandes figures du rock publiées en 2002, 2007 et 2008 [9], c’est ce monde-là, c’est ce moment-là de « l’arrivée du bruit », « le grand bruit, le bruit du monde. Un bouton de volume tout d’un coup poussé à fond sur la planète [10] » (pour lui 1964-1974, entre ses 11 et ses 21 ans), que François Bon s’est passionné à évoquer à la radio, sur France Culture, quand l’occasion lui en a été donnée :
– en septembre 2002, Les Rolling Stones racontés comme votre vie même, vingt épisodes de vingt minutes [11] ;
– en novembre 2004, Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin, quinze épisodes de 20 mn [12] ;
– en février 2007, Comment pousser les bords du monde : Bob Dylan quinze épisodes de 20 mn aussi [13].
Avec à chaque fois le défi d’une formule feuilleton qui, tout en étant longue pour la radio, paraît en même temps si courte en comparaison des pavés biographiques publiés.
Mais François Bon est passé de l’autre côté du poste quinze ans plus tôt, en 1985, en réalisant un documentaire d’1h pour Les Nuits magnétiques d’Alain Veinstein sur France Culture : De l’autre côté de la Défense, « enquête sur l’univers de la banlieue : description de Bezons », avec Bruno Sourcis. Ce qui va suivre, c’est, toujours pour Les Nuits magnétiques, du 6 au 9 décembre 1988, « La passion Rabelais », une série de quatre émissions d’1h20 chacune (une par livre du cycle romanesque) [14], quelques années donc avant l’entreprise de réédition chez POL (1992-1993). Puis, dix ans plus tard, en 2001, une petite pièce radio dans une collection produite par Lucien Attoun : Quoi faire de son chien mort ? [15] et la diffusion de deux pièces d’origine scénique cette fois : Scène en 2000, pièce à jouer « dans les entrées d’immeubles des cités populaires, les parvis de supermarchés [16] » et Quatre avec le mort en avril 2002, créé en version radio avant la création en octobre suivant à la Comédie-Française, dans une distribution différente (seul un des trois acteurs est commun, Jean-Baptiste Malartre) [17]. Puis les trois grands feuilletons, à partir de septembre 2002, chroniqués avec photos de studio dans le « Journal images » de ces années. Et avec tout cela, pas mal d’émissions parlées autour de ses livres ou d’autres sujets, la première le 28 septembre 1988 avec Alain Veinstein pour Décor ciment [18]. À noter, sur France Culture en 1995 (durée : 2h30) [19], la belle émission de la série Le bon plaisir de… où Bon a eu carte blanche pour inviter qui il voulait et faire entendre ce qu’il voulait : Valère Novarina, Pierre Bergounioux, Jacques Séréna et quelques autres.
François Bon est donc un auteur qui a fait de la radio, par intermittence, dans différents genres et formats, et qui en parle aujourd’hui avec gratitude pour ses interlocuteurs du métier, Alain Veinstein, Laure Adler, Claude Guerre, Blandine Masson et d’autres, avec le regret que « les temps de cette porosité radio et écrivains semblent révolus [20] ». Au point qu’aujourd’hui, radio lui est devenu synonyme de création audio, quel que soit l’outil : « Je n’ai plus d’appareil pour écouter la radio. Mais chacun de mes appareils mobiles, le petit ordinateur à écrire, la tablette à lire, l’ordinateur à main qui sert aussi éventuellement de téléphone, sont capables de transmettre de la voix, et j’appelle radio, simplement – comme la littérature c’est le langage mis en réflexion – la voix quand elle est construite, faite récit et livrée à la nuit, où la cueille qui écoute [21]. »
Pour comprendre cette attraction de l’auteur pour la voix, il est utile de revenir quelques siècles avant l’arrivée de la radio, à l’écrivain qui donne son titre au site [22], mais aussi à une rubrique sonore importante du site, « Rabelais à haute voix », écho aux propos de François Bon dans ses préfaces à l’édition POL sur la « grande voix de théâtre » ou les « grandes marionnettes sorcièrement maniées à voix [23] » de ses livres.
1.2 Rabelais à haute voix
Par son titre, dès son titre, l’aventure de l’écriture web s’origine dans Rabelais, c’est-à-dire dans la langue des origines de François Bon, celle de son enfance vendéenne à Saint-Michel-en-l’Herm, celle aussi du « marais mouillé », de ce « pays pour moi maternel de Damvix » (pays des grands-parents maternels), qui fait que « lorsque j’ai ouvert Rabelais la première fois, c’est cette langue-là que je découvrais au travail, et je la savais d’avance, je la lisais sans peine [24] ». Or François Rabelais le tutélaire, le « bon françois » exemplaire d’un maniement littéraire prodigieux de sa propre langue familiale [25], est aussi l’auteur d’un Quart Livre, la dernière partie du cycle de Pantagruel, et c’est dans ce récit de navigation vers les confins du monde connu et « au cœur de la langue tout à la fois, au lieu précis où elle se forge, où elle vibre, où elle respire, s’invente [26]… » que François Bon trouve le fameux épisode des « paroles dégelées », sommet de toute l’œuvre et de « la littérature universelle [27] », qu’il verrait bien conclure tout le cycle, si grande est sa portée. Panurge et Pantagruel en quête de l’oracle de la dive Bacbuc ont passé de nombreuses îles plus fantastiques les unes que les autres, les voici en mer arctique « banquetant, grognotant, devisant et faisant de beaux discours » quand ils se mettent à entendre des voix et sons divers sans voir personne. C’est le tumulte d’une bataille survenue l’an passé, saisi dans la glace et libéré par le dégel (écouter ici l’épisode dit par Bon).
Cet épisode, découvert un jour à vingt ans, en 1973, « au terme de sept cents pages de lecture [28] », François Bon l’a plusieurs fois commenté et en quelque sorte adopté comme utopie de son propre projet d’écriture. Ici, retenons seulement ce que l’épisode nous dit, en abyme, de l’importance de la vibration sonore de la langue non seulement dans les livres de Rabelais mais dans l’œuvre de François Bon, avec des étapes, jusqu’au Tiers Livre actuel. L’importance de la matière sonore, du souffle, des rythmes et rumeurs du langage, du monde, du langage devenant un monde. Et ainsi, contre « le préjugé du gueuloir » consistant à tester un texte à voix haute après sa rédaction (pourquoi pas d’ailleurs), François Bon veut d’abord tendre l’oreille à cette rumeur sans mots, ce parler en langue élémentaire, « la scansion et le rauque qui précèdent la voix », dans des improvisations sans mots dont une page de 2007 donne une réalisation saisissante [29].
1.3. « Un bruit dessous de machine »
Cette filiation majeure à Rabelais est aussi racontée plus obliquement au début de Tumulte, le premier livre directement écrit en ligne, dans la première séquence autobiographique intitulée « Offshore, 01 » et dans la séquence qui suit, « Un bruit dessous de machine » (série « De l’écriture »). On est offshore, en mer du Nord, comme Pantagruel à peu près quelques siècles plus tôt. On est sur une plateforme pétrolière, « navire immobile », « dans ce temps arrêté et perpétuellement mouvant de la mer [30] ». François Bon y fait des missions courtes pour changer du matériel électronique dans les salles de contrôle. Or c’est aussi la période, écrit-il, de ses vrais débuts dans l’écriture, et Tumulte choisit de nouer ensemble l’entrée en écriture avec certaines sensations de ses séjours offshore, et surtout le bruit qu’on y entendait la nuit :
Des moteurs et le roulement des pompes, grave, mais avec cliquètement régulier. Puis cette sorte de bruit électrique, transformateurs, appareils, une fréquence paraît-il dominante de sol mineur qui diffuse dans la structure métallique, mais sans vous déranger pourtant, plutôt son absence qui fait bizarre quand on reprend terre [31].
Tout cela forme comme une rumeur sourde, « un bruit dessous de machine doux, continu », qui à distance lui paraît avoir favorisé ces plongées dans l’écriture au retour de ces missions, « dans les trains et avions qui [le] ramenaient à Paris [32] »
Sautant par-dessus les années, la séquence suivante fait en tout cas de ce « bruit dessous de machine » tel que décrit et localisé dans « Offshore, 01 », le bruit même qu’il veut donner à sa prose dans Tumulte. Une prose faite pour être dite, comme un long monologue, par un personnage parlant pour tous ceux qui ne parlent pas et qui sont « les silhouettes de la ville » : « un texte en prose, très long, ininterrompu et qui charrierait des bouts de monde, produirait simplement autour d’eux des couleurs, comme ces lumières clignotantes ou électriques, au milieu de la ville sur un espace vide […] pris dans les reflets gris bleu de hauts immeubles autour. Cela pris, le bruit, dans un battement [33]. » Ce passage riche de références possibles (à Novarina par exemple) nous renvoie aussi bien à l’épisode cité du Quart Livre où les paroles gelées sont dites « de diverses couleurs », selon ce qu’elles disent et comment elles le disent ; à cet épisode du Quart Livre où le connu et l’inconnu se touchent, comme dans la ville les immeubles bordant, au centre, un « espace vide ».
François Bon cultive l’idée d’une littérature à voix haute, d’une littérature portée par une rumeur que le langage doit capter et la voix haute restituer. Comme si tous ses livres papier, ses livres numériques, son site d’écriture lui-même, peut-être, n’étaient que des pis-aller, les médias imparfaits (car largement silencieux) d’une matière sonore du langage qu’il est vital d’entendre en écrivant et de faire entendre. On n’est donc pas étonné de trouver à la fin de Tumulte, dans la liste des articles à écrire qui inachève la liste des 226 articles formant le livre, cette « idée très sérieuse pour les lectures publiques » : « présence de bornes interactives, on peut me demander de lire à voix haute tel ou tel article, n’importe lequel, mais surtout on peut choisir un item dans cette liste des “articles à faire” et me demander sur le champ d’improviser ce qu’en serait le texte [34] ».
Ce qui change la donne depuis Rabelais, c’est l’invention de l’enregistrement à la fin du XIXe siècle : le mythe des paroles gelées / dégelées est devenu une réalité. C’est aussi que tous les médias de diffusion et d’écoute du son, avec ou sans image, ont considérablement amplifié et augmenté le volume sonore du monde lui-même, comme le note François Bon pour son compte dans le beau texte liminaire de l’album Vague de jazz (2012) intitulé « Longeville, de silence à silence ». Sans parler de tous les bruits domestiques, urbains, industriels, produits par la mécanisation du monde depuis le XIXe siècle, qui frappent de leur empreinte sonore tous ses livres depuis Sortie d’usine, mais aussi, on l’a vu, l’épisode qui dans Tumulte raconte sa naissance à l’écriture. Et il faudrait ici mettre ensemble, comme deux résonances d’une même ur-sonate, le « bruit dessous de machine » rythmant les nuits offshore de ses brèves missions sur des plateformes pétrolières et le bruit du « gros compresseur au halètement lent » présent dans le garage paternel et qui a « plus rythmé [son] enfance que n’importe quel autre bruit [35] ». Ces bruits, cette rumeur ambiante du monde, l’écriture audio peut les enregistrer et les intégrer, comme on l’entend dans la « poésie non traduite » improvisée par François Bon seul dans un wagon en bout de train entre Metz et Strasbourg, un matin d’octobre 2007. Un élément capital de cette création sonore, c’est le bruit du moteur, la rumeur de machine : « Il y avait le ronflement des moteurs, et du brouillard au dehors. C’est cela qui portait la scansion», écrit-il.
La question maintenant est de savoir ce que cela change d’embarquer ces moyens-là et ces attentes-là dans un site internet : où est la voix haute, où sont les paroles dégelées, où est le monde sonore dans Tiers Livre ?
2. L’écriture audio : un « projet (provisoirement) abandonné »
2.1. En retrait
Commençons par dire que l’écriture audio reste aujourd’hui (novembre 2013) en retrait [36] de la place que François Bon lui a donnée dans les années antérieures du site et de l’intérêt qu’il continue à y trouver. C’est un « projet (provisoirement) abandonné », comme il le disait de la web radio imaginée en 2009. Quand on arrive sur la page d’accueil de Tiers Livre [37], quand on parcourt les séries en cours, les billets des dernières semaines, quand on entre dans les rubriques affichées en page d’accueil et qu’on regarde les pages qui s’affichent d’abord, on voit des textes, des photos, on trouve quelques vidéos, mais rarement des fichiers audio, ce qui étonne là où il serait facile d’insérer des lectures à voix haute (par exemple dans la série Histoire de mes livres, dans la reprise numérique de Tous les mots sont adultes, sur les ateliers d’écriture), ou de proposer des exemples d’écriture sonore sans lecture de textes (par exemple dans « Cergy, le studio écriture », série sur ses cours d’écriture et de publication numérique à Cergy).
Certes, la passion est toujours là pour le monde lui-même écouté attentivement, de très près, saisi dans son volume sonore : ses bruits, ses voix, ses musiques – même si le bruit du monde semble par moments le fatiguer immensément (voir Tumulte) et qu’il semble alors aspirer au silence qui suit le dégel des paroles dans Le Quart Livre. On la constate, cette passion, en lisant son hommage aux micros pour les cinquante ans de France Culture, déjà cité : « Je ne sais pas le futur de la radio : je sais par contre sa source, et qu’elle est dans la voix, et dans le bruit du monde, un micro qu’on laisse en l’air dans le fond remuant de la ville, ou bien celui qu’on dirige vers la table vibrante d’un violoncelle [38]. » Ou en voyant son plaisir à découvrir le site Frémissements, « régal trop rare, un blog voué aux recherches sonores », avec des « paysages sonores » bruts à écouter de préférence au casque, comme aux tout débuts de la radio [39]. Ou en lisant une page comme « la ville à l’écoute (souffle de la Défense) », page qui évoque une longue balade en mai 2011 avec un preneur de son, pas loin de Bezons où il a enregistré son tout premier travail radio, en 1986 : « Bruits des talons quand 180 000 personnes en moins de 2 heures se répartissent entre le RER, les bus et les tours, ou bruit de la 4 voies express qui ceinture, ou ce sentiment de flottement dans la galerie commerciale où chaque boutique diffuse son propre contexte sonore. »
Mais ce qui a pris la première place dans toutes les parties du site, et pas seulement dans les six rubriques du journal [40], c’est le couple texte / photo, secondé par la combinaison texte/photo/vidéo [41]… Parallèlement, certains projets de fictions spécifiquement audio restent en suspens ou sont abandonnés en cours de route, comme une « Vieille tentative pour performance orale » [42] sur le bruit du monde à travers sa presse quotidienne en ligne, reliquat d’un projet d’écriture intitulé Chiffres. Le dossier du projet est mis en ligne le 31 décembre 2007 dans le « Tunnel des écritures étranges » de l’ex « face B : le labo perso »… sans performance sonore.
Ce retrait actuel ne manque pas de nous interroger : malgré l’attraction presque irrésistible des écrans d’ordinateur, de tablette, de téléphone même, à se remplir avec du visuel [43], malgré l’admiration de François Bon pour l’écriture photographique de certains sites [44], malgré d’autres bonnes raisons encore, l’écriture audio, même à un petit niveau, n’a-t-elle rien à nous dire en propre des univers sonores qui nourrissent aussi notre expérience du monde et de la littérature ? Notons dans cet esprit qu’une des formes d’écriture les plus vivantes aujourd’hui à la radio, c’est le documentaire sonore (docu-fiction inclus) [45] : à quand des « Paysages mondes » sonores ?
2.2. « Le son que je cherche »
Pour trouver des pages sonores, l’internaute est aidé par les titres de certaines rubriques, à commencer par « Rabelais à voix haute », dans laquelle François Bon regroupe pas mal d’enregistrements de ses lectures de l’œuvre. Dans « rock & musiques », on trouve, à côté de nombreuses vidéos (ou liens vers des vidéos), plusieurs émissions du feuilleton radio sur les Rolling Stones [46], et, pour la série sur Led Zeppelin, un lien vers le site d’un fan du groupe qui en propose une rediffusion sauvage, d’après un enregistrement sur cassettes audio [47] et deux versions audio d’un texte de la biographie (lecture et impro, mais archives non accessibles) [48]. On est là face à la question des droits producteurs des émissions, qui explique aussi des renvois au site de France Culture pour des entretiens récents (avec Alain Veinstein par exemple), mais qui pourtant ne semble pas jouer pour la fiction radio Quoi faire de son chien mort ? disponible en écoute intégrale. Même question de droits en tout cas pour le « Registre des écoutes singulières » dans la même rubrique « rock & musiques », inaugurée le 4 novembre 2009 qui renvoie à un « accès dans abonnement Spotify et Echopolite », avec précision « c’est pour moi, juste m’aider à m’y retrouver » (18 titres pour 2009, 73 pour 2010, 44 pour 2011, 31 pour 2012, 30 en novembre 2013).
Plus loin et plus profond (ancien), quand on arrive dans le territoire de l’ancienne face B, à ce qui s’est appelé « Carnets du dedans / inventions », on voit que l’invention porte aussi sur la voix : voix parlée, voix chantée, en mode lecture ou en improvisation sans texte, en audio ou en vidéo, avec ou sans musique. Ceci dans les rubriques « Observation de soi et du monde » ou « Guerres, louanges et deuils ». Elles s’originent dans Habakuk, formes d’une guerre, série de textes commencée sans horizon de livre sur un blog spécifique pour « travailler sur la profération, la voix haute, le lyrisme. S’embarquer dans la colère, l’intensité, l’excès », et continuée sur Tiers Livre en face B, « avec l’idée d’y explorer en même temps l’image et la voix [49] ». En voici quelques exemples :
‒ dans « Observation de soi et du monde » : « Tu n’écriras pas (tu crieras) », 6’59 : lecture + musique + vidéo qui montre la main droite improvisant à la guitare basse électrique [50]. Souvenir du « Poème à crier » d’Aragon ?
‒ Dans « Guerres, louanges et deuils » : « Image de l’île debout », lecture d’un texte sur un tableau montré en vidéo ; « aube des viaducs » / marche rapide sous les échangeurs, et chant qui en émerge : souffle + vocalisation (chant en langue), en mouvement et en vidéo ; « Bernard Noël / boule pleine », chant sur une phrase de Bernard Noël, 3’30
Vocalisations aussi dans « Carnets du dedans / inventions » : « arrêt et chant sur intersection urbaine avec recommencement perpétuel » (2 novembre 2009), 2’52 [51].
Avec l’étonnement que certains textes de « Guerres, louanges et deuils » comme « du prix de parler [52] » et même que tous les textes de cette rubrique, ne soient pas repris en écriture audio.
Maintenant si, dans les mots-clés proposés par le site, on suit « audio & vidéo » (mot19), et qu’on consulte les 75 pages qui surgissent, ou les mots-clés « lectures, stages, performances » et leurs 28 articles, on voit que c’est au fond le phénomène de la lecture à voix haute qui sert de passeport à l’écriture audio pour pénétrer dans de nombreux billets de blog et articles critiques : si « Rabelais à voix haute » sert de balise ou de phare, avec son projet d’intégrale audio, c’est bien aussi comme poteau indicateur d’une certaine pratique sonore de l’écriture-lecture, notion approfondie par François Bon à propos de la navigation web mais qui vaut aussi pour la lecture en général.
Ici et là donc, au fil de sa navigation, l’internaute, moderne Pantagruel, peut entendre des « paroles dégelées » de François Bon lui-même, datées pour les premières de 2006 semble-t-il, et d’une trentaine d’écrivains qui comptent dans sa bibliothèque imaginaire, comme Rabelais, Balzac [53], Baudelaire, Duras, Perec, Rimbaud, Chamoiseau, Danielle Collobert. Bibliothèque vécue, enracinée dans des lieux de rencontre avec des publics d’une grande diversité, dans une carte sentimentale de l’hexagone et de quelques autres points du monde. Certaines ont été dites par François Bon pour le site, d’autres sont rapatriées sur Tiers Livre mais viennent d’autres horizons, notamment les très nombreuses séances de lecture publique. Certaines sont faites à plusieurs voix, avec parfois échange de rôles (Rabelais). D’autres accueillent des tiers lecteurs comme Novarina ou Jacques Darras proférant à Saint-Malo en 2008, au Festival « Étonnants voyageurs », le début de Howl de Ginsberg en anglais et en retraduction inédite : « Dans les quelques-uns qui ont enseigné à ceux de ma génération l’art de la voix, ou d’écrire pour la voix (où il y a notamment Valère Novarina, Christophe Tarkos, ou Jacques Bonnaffé), Jacques Darras a compté : il ne lit pas, il danse. Mais il écrit pour cette danse. Et le fait avec son pays, ses traces » (article 1275 [54]).
Les pages qui les accueillent évoquent en général succinctement ou plus longuement le pourquoi et le comment, les lieux et temps, les partenaires de la lecture, la préparation physique et mentale. Elles évoquent parfois des idées de « la voix qu’il faut » pour lire tel texte ou tel écrivain, et pourquoi la lecture est partie d’une autre façon ; et pourquoi la lecture à voix haute « ajoute une strate à [l]a compréhension du texte » (Duras en 2007 [55]). Elles notent aussi des impressions avant, pendant, ou après. Par exemple l’impression de ne pas reconnaître sa voix (Danielle Collobert), ou de croire entendre celle de son père (quand il s’écoute dire « Tu n’écriras pas (tu crieras) [56] ». Ou encore de constater que « la voix qui surgit n’est pas vôtre. Bien plus avant que la vôtre », dans un texte écrit pour d’autres voix que la sienne, dans le souvenir d’un homme, à un carrefour de Montréal hurla[nt] face à la ville, sous la hauteur démesurée des tours, dans le vent coupant de novembre [57]. Ceci à propos des exercices de profération à la manière des « vieux hurleurs bibliques, Habakuk, Amos, Osée, et bien sûr Jérémie » menés dans Habakuk, formes d’une guerre en 2009. Car ce que Bon cherche dans Habakuk, c’est « un son fait de blocs, d’aspérités, de mouvances », un son « âpre », qui « va par nappes, gronde en vous-même selon des lignes fortes que la basse même ne saurait engendrer, des mondes lourds en suspens qui résonnent outre grave, appellent des percussions amples, invisibles » ; un son « fait de ces grains qui s’assemblent et se désassemblent et sont l’architecture noire de nos espaces du dedans [58]. » De même que Tous les mots sont adultes propose des « instructions » aux animateurs d’ateliers, on pourrait dégager des notations réunies autour de ces moments audio de lecture et lecture-performance des « instructions » aux diseurs et improvisateurs de textes, dans le sillage (mais sous une forme très différente) des Instructions aux acteurs de Novarina.
Il y a une pulsation commune à la plupart des lectures de François Bon [59], quel que soit le texte et la ou les dictions qu’il appelle (chuchotée, voix forte) : un rythme heurté, parfois haletant, avec des cassures, accélérations, précipitations même ; une voix qui démarre en basse, puis s’échauffe, monte, s’ouvre, explose dans l’ouvert ou l’aigu (sonorités ouvertes) puis reprend d’en bas ; mimique, gestuelle et mouvements divers du corps, qui se courbe, se contorsionne… Même en lisant Balzac ou Rabelais en « voix de conteur », Bon cherche l’intensité, une prise sur l’auditeur, et elle passe chez lui par des variations de puissance rythmique et intonative parfois inconfortables, avec des explosions, dans un mouvement de bas en haut, du « bruit de dessous » de la basse (batterie, violoncelle, guitare basse) qui gronde vers l’aigu qui crie [60]. Il s’agit toujours de mettre l’auditeur sous un charme, de le subjuguer, pour l’entraîner dans le sillage sonore du texte lu. Mais il y a plusieurs façons d’y parvenir : par la violence, par la douceur, par le rire… La lecture spectaculaire, sur le mode « tambour » si l’on peut dire (tambour du rock, de Rimbaud…), avec voix forte et projetée, profération, montée à la limite du cri (diction à la Artaud), cherche ce résultat par la force et l’intensité vocale et musicale. Au contraire, la lecture calme, la lecture de nuit en particulier, à l’intensité rentrée, contenue, intériorisée, proche de la lecture silencieuse, cherche à l’obtenir par le consentement, en quelque sorte sans lutte.
2.3. En public…
Ce qui est frappant, c’est la diversité des « exercices » de lecture enregistrés. Pour ses lectures comme pour tout ce qu’il fait dans Tiers Livre, François Bon a quelque chose de Jean Tardieu ou de Raymond Queneau : c’est un expérimentateur de formes, qui aime tester des directions, des idées, faire des expériences. Et notamment quand elles sont liées à des contraintes, par exemple de temps, comme à la radio ou lors du pechakucha de 2010 à Québec.
Beaucoup de ces enregistrements viennent, on l’a dit, de séances en public : lectures en médiathèque, dans des cafés, des maisons d’écrivain (cave de La Devinière), en marge d’ateliers de lecture, dans le cadre de festivals. En scène, François Bon est seul lecteur ou non. Tantôt il lit à voix nue, tantôt avec un ou plusieurs musiciens (Kaplitz [61], Pifarély, etc.). Il ne s’impose rien, sinon d’accepter tout, sauf le choix de la posture et de l’outil : en lecture publique, toujours debout, et si possible toujours le même micro à câble Sennheiser MD-441 (micro-cravate pour la lecture de Balzac dans la maison de l’écrivain rue Raynouard, en février 2013… [62]). Certaines de ces lectures ou lectures-performances sont enregistrées en vidéo, d’autres en audio, comme si dans ce cas la composante image n’avait pas d’importance, ou moins ; ou simplement peut-être parce qu’il n’avait pas le bon outil sous la main.
On aime bien, par exemple, les premières lectures avec Pifarély à la mandoline électrique, à Lorient et Nantes, et François Corneloup au saxophone et baryton, chroniquées dans « Pifarély invente la mandoline » en mars 2008 : en ligne, une archive d’essais de musique, chant et voix et des lectures de Ponge, Paul Valet, Danielle Collobert (deux extraits de Meurtre), et de son propre travail Peur (nouvelle version), prises dans un ensemble où il y avait aussi Kafka, Rimbaud, Michaux, Artaud, Gracq, Perec, Beckett…
Il y a aussi des séances publiques avec musique et projection d’images (Philippe de Jonckheere) et dans ce cas on sort du cadre de l’écriture audio pour écrire une « partition numérique avec images, sons et corps ». Exemple, la soirée pechakucha [63] à Québec en mai 2010 , où François Bon dit pour la première fois des extraits de son travail en cours sur Buffalo. La règle du jeu est de projeter 20 images à la cadence d’une toutes les 20 secondes, total 6’40, en les accompagnant d’un texte. Bon propose en grand écran derrière lui, une image liée à son texte « et 2 autres images de la série en aléatoire sur les 2 autres écrans muraux [64]. »
Je parle de contrainte : la plus importante à ses yeux, dans ces lectures voix-musique ou voix-musique-image, est celle de l’improvisation [65]. François Bon n’aime pas les spectacles réglés d’avance, avec leur partition : il veut des événements au sens fort, où l’on avance sans savoir bien où, à l’instinct. De là la mise en ligne, ici et là, de plusieurs performances d’un même texte (par exemple deux lectures impros de Peur en duo avec Dominique Pifarély, en 2006 et 2009 [66]), mais aussi d’essais de voix, de « brouillons de rythme », d’impros avant l’impro en public, où quelque chose de fort peut déjà advenir. Ce qui est improvisé, c’est l’avancée à deux, la musique, mais aussi parfois, porté par les improvisations musicales, le texte lui-même, comme ce texte sur la peur « complètement réimprovisé une fois de plus une fois au micro » lors d’une performance à Cavaillon en 2007.
2.4. Sans public…
Tiers Livre fait aussi entendre des lectures sans public, des lectures pour soi si l’on veut [67], enregistrées au domicile de l’auteur, à l’hôtel, en résidence, dans un lieu public, vitré ou aveugle, en étage (bibliothèque, médiathèque) ou en souterrain (studio de l’Institut canadien de Québec, pour Miron), dans un train, à différents moments du jour et de la nuit, etc., avec ou sans présence audible de la rumeur alentour de la pièce ou du monde ; avec ou sans musique acoustique (guitare Gibson) ou électronique, avec ou sans collaboration de la machine, comme aurait dit Cocteau [68] (mixage, bouclage, sampling, stéréophonie, écho, etc.). Exemple ici, pris dans « Rabelais à voix haute » : un enregistrement sur ordinateur via Ableton Livre de Gargantua, « De l’adolescence de Gargantua, chap X. ». Voix ronde, et forte de bonimenteur de foire, accentuée à la vendéenne, voix « de plateau » (projetée) : « Je sais lire Rabelais parce que je le lis avec les voix paysannes de l’enfance (c’est légitime, je suis d’un pays qui avait su garder cette langue jusqu’à l’arrivée de la télévision) [69]. »
Dans le cas de ces lectures pour soi, quel que soit le style de diction, la capacité d’immersion de l’internaute-auditeur me semble plus grande que dans les retransmissions de lectures publiques. On n’est pas à l’écoute d’un moment de lecture ou lecture-performance conçu pour d’autres et en quelque sorte archivé, mais d’une voix qui, même si elle est datée, échappe en partie à sa date parce qu’elle ne s’adresse à personne au fond, donc à tous, en avant de soi et de tous les publics concrets possibles. L’espace-temps de la lecture publique, toujours socialisé et ritualisé, nous arrive comme un passé-passé plus que comme un passé réactualisable à volonté, à la différence de ce qui opère dans le cas de la lecture faite pour soi.
Dans ces lectures sans public pour le micro, Bon est aussi amené à concentrer sa présence dans sa voix à un degré autre que lorsqu’il est en scène, puisqu’il ne peut pas jouer de la même manière qu’en scène sur le langage mimique et visuel et que, si l’auditeur peut sentir l’impact des mouvements du corps dans les lignes de la voix, tout doit passer par l’oreille. Ce qui compte au micro, disait Pierre Jean Jouve en réponse à une enquête sur la diction de la poésie à la radio, c’est « l’augmentation de “présence humaine” par une modification de substance dans la voix [70] ». En scène, le langage mimique et visuel s’ajoute au langage phonique spécifique de l’écriture audio, même quand le lecteur, comme François Bon, s’efforce à une certaine immobilité plus ou moins aidée par le choix d’un micro sur pied plutôt que cravate (par exemple). On retrouve là toute la ligne de partage existant, à la radio, entre les retransmissions de pièces de théâtre depuis un théâtre réel, donc mutilées de toute leur composante scénique et visuelle, et les diffusions d’œuvres conçues pour l’oreille.
2.5. La rumeur du monde
Ce qu’il y a aussi de prenant dans ces lectures pour soi disséminées dans Tiers Livre, c’est qu’elles captent une certaine présence audible d’un bout de monde, une certaine qualité du lieu et du moment où la lecture se fait, selon la forme que François Bon veut lui donner sans pouvoir cependant tout contrôler de ce qui s’enregistre (part d’aventure de l’enregistrement brut). On est avec lui dans une chambre d’hôtel à Metz le soir (Perec), sur une plage de Bretagne ou dans le cloître d’une abbaye, en marge d’un atelier d’écriture, au carrefour d’une grande ville du Québec le soir, ou en voiture sur une autoroute ; cela est dit dans le texte-cadre, cela se voit parfois, et cela s’entend. Et cette incarnation sensible à l’oreille, qui est aussi une particularisation, une appropriation, fait face à un texte qui, quel qu’il soit, a capté et charrie toujours lui aussi un bout de monde. Il y a par exemple dans le flux et reflux des vagues, comme ailleurs dans le roulement du train, un appel immédiat à l’imaginaire du voyage, de l’aventure, de l’ailleurs, une manière de toucher en nous sans mots les strates inconscientes de l’imagination, qui change tout de suite la donne de l’audition.
C’est un des raisons pour lesquelles, dans Tiers Livre, l’écriture audio a souvent plus de saveur que les lectures en studio fréquemment pratiquées à la radio aujourd’hui (même si la radio a été capable d’inventer sur ce plan-là) ou pour l’enregistrement des audio-livres. À côté du texte et de sa diction, de leur poids propre de matière et d’intensité, il y a une rumeur de vie qui leur donne un relief irremplaçable. Cela d’autant plus que le son sans image nous arrive avec plus de relief (et la nuit ajoute encore du relief à ce relief). Je pense ici à une remarque de Cocteau sur la platitude de la radio, dans un texte de 1947 saluant le travail du Club d’Essai de la radiodiffusion française à l’époque de Jean Tardieu. « D’où vient la platitude qui nous choque à la radio ? », se demande-t-il. Et il répond : du « vide » dans lequel se déroule l’émission de radio réalisée en studio. « L’appareil enregistre ce vide sans qu’on s’en doute, et les voix ne baignent plus dans le fluide vital où les gestes, l’étoffe, l’insecte et une rumeur confuse, qui est produite par mille qualités de silence, jouent un rôle de premier ordre [71] ». Et cette rumeur du monde que l’oreille perçoit dans l’écriture audio des lectures de Tiers Livre, c’est aussi en quelque sorte ce fameux « bruit de dessous » de machine à l’origine du déclic d’écriture de François Bon.
2.6. Audio, vidéo…
Une rumeur qui paradoxalement, pour être bien entendue, a parfois aussi besoin d’être vue, et c’est là que l’écriture audio peut parfois prendre le masque (le détour, l’apparence) de l’écriture audiovisuelle. Car plusieurs de ces lectures pour soi sont enregistrées en vidéo plutôt qu’en audio, de sorte que l’auditeur s’appuie sur l’image pour mieux entrer dans le cadre de la lecture. Mais il faut faire ici la différence entre deux types de vidéolectures : celles où l’image sert de bande-image à ce qu’on entend, et celles où, à l’inverse, c’est le son qui sert de bande-son à ce qu’on voit. Dans un cas, l’image est première, par exemple dans cette vidéo où François Bon lit un texte sur un tableau montré en plan fixe, puis dans certains de ses détails en gros plan, etc. Dans l’autre, elle est seconde, et l’écriture vidéo devient comme une extension ou annexe de l’écriture audio ; de l’écriture audio enrichie si l’on peut dire. Dans ce deuxième cas, la vidéo propose en général un plan fixe jusqu’à la fin de la lecture (parfois un plan fixe dans un véhicule en mouvement), puis ouvre le champ quelques secondes avant de s’arrêter. De sorte qu’on peut le plus souvent, une fois l’image captée en première audition, réécouter la lecture en fermant les yeux sans perdre grand-chose.
Exemple 1 : « le temps clignote /images et voix de la ville, suite », videolecture (« videoroute ») depuis la place passager d’une voiture roulant sur une autoroute [72] . Application des réflexions de l’auteur sur l’écriture cinétique depuis Balzac et ce qu’elle change à notre appréhension du monde, voir son essai En voiture.
Exemple 2 : « Une mer intérieure », texte de Danielle Collobert, tiré de Meurtre (1964) [73], août 2010, 4’44 [74] Une des plus belles lectures proposées sur le site. Devant la mer, à l’approche du couchant, vidéo en plan fixe. Il y a la rumeur de la mer, qui gronde là, tout près (comme ailleurs celle du train, de la voiture, de voix hors écran dans un cloître…). Il y a un sentiment géographique fait d’ouverture au lointain et de familiarité du proche. Il y a quelque chose comme une paix des morts.
2.7. Écouter les yeux fermés ?
Dans ces lectures pour soi, avec ou sans image, François Bon retrouve et renouvelle au fond toute une tradition très ancienne d’écoute en aveugle, ravivée en Europe au XXe siècle par la radio, théorisée en France par Paul Deharme, patron et collaborateur de Robert Desnos aux Studios Foniric dans les années Trente, mais aussi par Bachelard, grand philosophe de l’imagination, parlant de la radio comme d’une « maison onirique », d’un « vecteur de la rêverie intime » dans une causerie radiophonique de 1947, « Rêverie et radio », devenue fameuse. On pense aussi à ce que Gracq, plus musical que visuel comme il le confie à François Bon venu lui rendre visite un jour, attendait d’une radio « bouche d’ombre » (tout ayant de sérieuses réserves sur la lecture à haute voix, « presque toujours fausse ») : « Une voix ainsi jaillie de l’ombre, une espèce d’interruption très pure du néant vocal, la façon particulière qu’elle aurait de sortir du silence et de s’y replonger […] La radio, si elle voulait, pourrait redevenir quelquefois la bouche qu’il nous tarde trop souvent d’entendre dans le déluge moderne des bruits – la bouche d’ombre [75]. »
Au fond, quand il s’agit de lecture à voix haute, l’écriture audio semble par moments atteindre son but quand elle nous fait oublier le site, dans une écoute les yeux fermés, comme à la radio en somme. Comme fait Claude Guerre, le réalisateur de Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin, au cours de l’enregistrement du feuilleton [76]. Même si, dans cette « valise audio », il faut faire place à quelques vidéolectures. Dans les lectures de nuit ou de clair-obscur notamment, mais aussi dans les lectures faites dans des lieux clos, il y a une force d’incitation à la rêverie extraordinaire, non seulement parce qu’elles incitent l’auditeur à fermer les yeux, voire à tourner le dos à l’écran, à ouvrir ses propres vannes intérieures et se rendre volontairement vulnérable, mais parce que la nuit, ou la clôture du lieu, incitent François Bon lecteur à descendre plus profondément en lui jusqu’à un point de calme d’où il va tirer son intensité (cette intensité de calme qu’il reconnaît nécessaire même pour dire le grondement ou la colère, dans un texte donné à La Quinzaine littéraire il y a quelques années [77].)
Certes, on peut se demander si l’écriture audio pure peut vraiment se suffire à elle-même dans Tiers Livre. Une objection toute simple est celle de l’accès aux fichiers audio, en général incrustés dans une page texte/image et qui implique donc de passer par du visuel. Ce qui est sans doute bien naturel, puisque l’écriture web est multimédia et qu’il n’y a pas a priori de raison pour se priver de ses atouts, encore moins dans Tiers Livre où le couple texte / image est si structurant… Sauf que n’importe quel écrivain ou artiste peut avoir ses raisons d’utiliser ses outils d’une manière inattendue, à contre-emploi de l’usage commun par exemple, en fonction du projet qu’il s’assigne. Marguerite Duras par exemple a bien réalisé en 1981 un film sans images ou presque, L’Homme atlantique, en mettant les spectateurs de cinéma devant un écran noir.
Une autre objection vient du constat que François Bon lui-même choisit souvent une autre option : au lieu du fichier audio brut, un fichier accompagné d’une version écrite du texte qu’on entend (ou proche, car parfois le texte lu diffère, notamment quand il s’agit de Rabelais). Sans doute pour permettre à l’auditeur d’écouter aussi avec les yeux. Ou peut-être pour le laisser libre, soit d’écouter la « version François Bon » du texte, soit de lire ou vocaliser sans intermédiaire, soit d’aller et venir de l’audio au visuel, comme bon lui semble. C’est le cas pour des textes de Rabelais (avec de légers écarts entre texte lu et texte dit…), et de beaucoup d’autres en réalité. Par exemple Antoine Emaz : le dernier soir de son séjour au Québec, le 24 juin 2010, François Bon lit à voix haute « Finir le jour », tiré de Poèmes communs, « pour ne pas perdre pied [78] ». « J’ajoute le texte lu sur la piste voix » (mais l’archive audio ne marche pas). Et l’on touche là à un des points sensibles de l’audition de textes.
C’est en prenant en compte ces deux paramètres évoqués, à savoir la complète liberté du créateur dans l’emploi des outils à sa disposition, d’autre part la tendance (propension) de François Bon à combiner dans son site la lecture par l’oreille et la lecture par l’œil, qu’on pense au passionnant projet de webradio coopérative qu’il a porté à un moment au sein de son site, en lien avec quelques autres. Il en parle dans quelques billets, mais on en trouve aussi des traces formelles, des bouts de réalisation. La « valise audio » la plus visible est le « Rabelais à voix haute », qui capitalise, avec des commentaires exprès réduits, des lectures des années 2006-2007, performées et enregistrées dans des conditions variées. Mais il y a aussi des petites compilations de lectures à voix haute, des valisettes regroupant plusieurs pistes audio précédemment incrustées dans d’autres pages. Ces listes proposent en général un lien vers la page d’origine, et liberté pour le lecteur d’activer ou non le lien, de risquer le tête à tête audio avec François Bon lecteur seul ou d’aller d’abord, ou après, chercher quelques mots d’explication… De sorte que l’internaute est contraint pour écouter de revenir à la petite « valise audio », c’est-à-dire aussi à une page plus pauvre en texte-cadre.
3. Un défi : le ton de conversation
Ce qui précède tourne principalement autour de la diction, de la profération, de la performance de textes dont l’existence comme point de départ et d’appui n’est jamais perdue de vue, même quand il s’agit des siens. Cet appui sur le texte semble d’ailleurs toujours visuel : François Bon dit un texte qu’il tient en main, non un texte dit de mémoire, ce qui laisserait peut-être encore plus d’espace à sa ré-improvisation dans la performance. Les improvisations pures ne relèvent jamais semble-t-il de la parole, mais de sa matière mise en rumeur, par la vocalisation ou le chant. C’est sur cette question de l’improvisation que je voudrais terminer, en l’étendant à l’ensemble des parties de Tiers Livre relevant globalement, non plus de la diction, mais de la conversation. Car Tiers Livre, c’est aussi bien sûr, comme les Essais de Montaigne cette fois, un vaste exercice de conversation avec soi-même et avec autrui. Une conversation moins monologuée que les Essais, puisque la plupart des billets postés s’enrichissent d’une zone « forum » ouverte aux internautes, mais tout aussi ouverte à l’amitié.
La question est simple : pourquoi ne pas improviser à voix haute, éventuellement avec un vrai travail audio dessus [79], les articles écrits au jour le jour, les billets et chroniques des blogs, du « journal image », les articles ou interviews de presse, les pages critiques, les réflexions au fil de la plume, bref tout ce qui relève peu ou prou de la conversation au jour le jour avec les lecteurs ? Pourquoi, à défaut, ne pas accompagner le texte de sa lecture, comme François Bon le fait assez souvent des textes déjà donnés en audio ?
3.1. Écrire comme on parle ?
L’improvisation, qui peut avoir des quantités d’allures et se nourrit d’hésitations, coq-à-l’âne, bifurcations, arrêts, reprises, éclats, silences, bruits divers du corps, de trouvailles et de ratés, c’est le moteur et le mouvement naturel de la parole en conversation et c’est cette respiration organique de la parole que recherchent en général les journalistes de radio, sinon dans leur interviews rapides, trop pressées, du moins dans les entretiens plus longs, et là je pense bien sûr à Jean Amrouche, l’inventeur de l’entretien-feuilleton à la fin des années quarante, ou à Alain Veinstein, le taiseux, le nocturne, avec ses émissions Surpris par la nuit et Du jour au lendemain (depuis 1985, 23h-minuit), jouant de la nuit (même s’il enregistre de jour) et de ses propres silences, comme Pierre Dumayet avant lui à Lectures pour tous, pour laisser l’inconscient de l’interlocuteur travailler [80]. C’est aussi le mouvement de l’écriture dans beaucoup de formes dérivées de la conversation et qui sont comme de la conversation écrite : la lettre (Mme de Sévigné), les mémoires (Saint-Simon), l’autobiographie (Rousseau), le journal (Kafka), l’article de presse (Tiers Livre comme média de presse…), et même l’essai critique (Diderot, Péguy, Proust). L’improvisation, ce n’est pas seulement le mouvement de la vie, ce sont aussi les zigzags et bifurcations sensibles de la pensée, à l’écoute de ce que Diderot appelle son « ordre sourd ». L’improvisation, c’est le grand facteur d’intensité et d’aventure dans l’écriture pour François Bon, disciple en cela de Rabelais, de son Gargantua de 1534 dont il aime « l’épais flot brouillon du livre écrit trop vite », performance d’écriture prise « à la nuit, la fatigue, aux automatismes qui vous arrachent vos rêves, aux sons de derrière la tête, aux histoires de partout [81] » ; ou de son Tiers Livre de 1542, livre écrit « dans la grande foulée retrouvée d’un bonheur rapide, toutes bondes ouvertes, un appel à la vitesse pour outrepasser les bornes qu’on se met soi-même dans la tête [82]. »
Et l’on revient donc à la question : pourquoi François Bon n’improvise-t-il pas à voix haute les blogs du Tiers Livre ? Il peut y avoir à cela plusieurs raisons ; voici celles que j’imagine, en me faisant à moi-même de petites objections.
3.2. « Je suis mal à l’aise dans la conversation »
D’abord tout simplement, François Bon n’a pas à l’oral la même facilité de parole qu’à l’écrit : « Je suis mal à l’aise dans la conversation : je ne suis à l’aise qu’après, au retour, seul dans le train ou la voiture, c’est là que je trouve ce que j’aurais dû dire [83] ». On le voit sur l’essai de petit journal vidéo mis en ligne en août 2013 pour, « au lieu d’une newsletter, raconter en direct, et en montrant sur l’écran, ce qui s’est passé dans la semaine sur le site » ; impro assez tâtonnante et laborieuse, pour laquelle lui-même demande notre « indulgence [84] ». Il n’aime pas les interviews au téléphone (d’ailleurs l’emploi du téléphone en général l’insupporte, voir « Profération contre le téléphone »), qu’il refuse tout simplement : ce n’est jamais le bon moment, il ne sait pas comment dire, etc. Il est moins strict avec les interviews radio, qu’il n’aime pas non plus en général, mais dont certaines ont droit à un lien sur son site, par exemple la dernière avec Veinstein à l’occasion de la publication de Proust est une fiction. Elles restent rares cependant en comparaison des interviews écrites rapatriées dans les dossiers de ses livres.
C’est que l’auteur préfère de loin les interviews par mail, média qui laisse le choix du moment pour improviser ses réponses, et surtout pour se mettre à l’écoute intérieure d’une pensée en rumeur. Par exemple un « dialogue avec Olivier Malnuit de Technik’Art » en janvier 2007, à propos de Tumulte, daté « Sur Mac PowerBook, TGV Paris-Tours, le 16 janvier 2007, 18h10 – 19h20 » (article 704). Il va même jusqu’à faire l’éloge de l’échange mail instantané avec un intervieweur, la réponse de l’un entraînant une nouvelle question de l’autre, dans une dérive à deux. La zone Twitter de Tiers Livre permet bien sûr, avec sa contrainte propre des 140 signes, de compliquer au su et vu de tous ses followers cette dérive à distance de la conversation, en entrecroisant avec certains d’entre eux des fils de conversations simultanées. Sachant que twitter, c’est aussi pour « déconner », échanger des blagues, se détendre : l’écrivain ne cherche pas toujours l’intensité et la profondeur !
3.3. Pudeur…
Deuxième explication : François Bon est un pudique, qui a besoin de la distance de l’ordinateur pour s’ouvrir, se confier, entrer dans une proximité, voire une intimité, même avec des voisins de quartier à qui il parle régulièrement dans la rue ou de jardin à jardin, et même avec des amis proches. Une distance qui le protège aussi, un peu, du bavardage : « C’est l’usage faible de la conversation qui m’insupporte, ou m’éloigne. Mais il y a tant de livres qui sont cela aussi, ou tant de journaux et magazines [85] » – sans parler de « la radio tchatche [86] ». Cette pudeur est d’ailleurs, dans Tumulte déjà, une limite au travail de l’improvisation par laquelle il cherche à descendre dans la masse de noir en lui : lire à ce propos les pages du livre en question sur des dérives impubliables qu’il met en ligne la nuit, un peu clandestinement, pour les retirer quelques heures plus tard et les verser dans une zone privée du site. François Bon est à l’opposé des recherches de sincérité à tout prix d’un Michel Leiris dans l’espèce de journal qui suit L’Âge d’homme et va de Biffures à Fibrilles. C’est pourquoi il s’interdit de tout publier ; il garde au fond un droit de censure sur ses improvisations. C’est peut-être cette pudeur qui, en plus du premier motif, l’empêcherait d’improviser à voix haute une page de blog : la voix en effet apporte un degré de plus à la présence, elle la matérialise plus que l’écrit. Elle déplace donc l’équilibre d’absence et de présence qui lui convient pour parler de lui-même à des proches. « La conversation est belle lorsqu’elle est écrite : elle y conserve les taiseux et les bavards », et « cette reconstruction écrite de la langue échangée est probablement son usage le plus élevé ou le plus tendu, en ce qu’il est le travail même de la relation à l’autre par l’interférence de langue [87]. » Pourtant François Bon ne recule pas les conversations vidéos en skype… et l’improvisation écrite des blogs, des séries critiques et autobiographiques est déjà suffisamment sociable, amicale, pudique pour que le fait de les parler puisse vraiment le gêner.
3.4. Écrire : verbe intransitif
Troisième explication : l’écrivain attend de l’écriture audio plus que ce que le ton de conversation peut lui donner, du moins dans sa version ordinaire qui est la mise en ligne de plusieurs billets quotidiens, destinés à diverses zones du site. Dans ce contact permanent de l’auteur de blog avec ses lecteurs, il semble difficile de se hisser au même niveau épuisant de concentration intérieure que dans des textes écrits pour soi, même s’ils sont écrits avec la même régularité [88]. Car l’improvisation des billets de journal ou de critique littéraire, si elle fait œuvre en faisant masse (comme les lettres de Mme de Sévigné), ne ressemble pas au fond aux expériences d’improvisation des textes de création, elle ne conduit pas dans les mêmes endroits : c’est une écriture transitive, directe, adressée à un autre, alors que la création artistique est intransitive (Barthes, Blanchot, cités dans Tumulte), indirecte, non-adressée. « À qui je m’adresse quand j’écris sur le site ? Est-ce qu’il y a une adresse préalable quand on écrit tout court, quand on était à la machine à écrire ou qu’on ouvre devant soi, de toujours, un cahier ? [89] » Le ton de conversation peut parfaitement être mis au service d’une écriture intransitive, comme c’est le cas dans Tumulte, ou dans les Essais de Montaigne, ou dans À la recherche du temps perdu de Proust, ou dans le Journal de Kafka, mais alors « l’écart réflexif » n’est plus le même, parce que « la possibilité même d’écart et de loisir dans la turbulence des choses » qui fonde la littérature change [90]. « La littérature, c’est l’instinct religieusement écouté dans le silence [91] » : c’est ce qu’a bien compris François Bon en ouvrant des sites non accessibles au public pour écrire Tumulte, ou, dans un autre registre, les proférations d’Habakuk et quantité d’autres textes, avant de les rapatrier partiellement dans Tiers Livre. Et en pratiquant dans le site même des espaces réservés. L’expérience d’improvisation que valorise François Bon dans Tiers Livre, ce n’est pas celle de la conversation des blogs, mais celle qui permet des dérives dans le noir, des navigations dans l’inconnu. Et c’est peut-être elle et elle seulement qu’il a en tête quand il propose à la fin de Tumulte, dans l’article 225, d’improviser à voix haute, à la demande, sur un des 135 thèmes non traités dans les 224 articles précédents.
Mais on peut aussi penser que l’écrivain ne juge pas nécessaire de parler à voix haute ses billets de blog pour en baisser le « bruit de conversation » (la sienne) précisément, et les rapprocher ainsi d’une expérience de lecture dense de textes denses, à l’écoute de ce « bruit de dessous de machine » qu’on entend plus nettement dans les textes d’invention. Car il y a aussi dans pas mal de textes des blogs une pression délibérément exercée sur le lecteur dans ce sens, un jeu de quitte ou double sur la durée de lecture d’une page [92]. Un compteur permet de remercier en bas de page ceux qui ont passé plus d’une minute à la lire : or beaucoup de pages prennent plus d’une minute à lire et chaque lecteur pressé a pu faire l’expérience de cette boule qui se forme au niveau du sternum, cette pression physique qui monte à mesure que, avançant dans la lecture, on doit résister à la pulsion de la quitter et consentir à aller au bout.
Inversement, on peut aussi considérer que la combinaison du texte écrit et de sa version audio favoriserait la lecture d’une page de blog, la voix de l’auteur ajoutant alors à son texte une force de présence supplémentaire.
3.5. Du proche et du lointain
C’est donc ce ton de la conversation, de la voix simplement parlée, que François Bon n’a pas encore utilisé dans l’écriture audio. La question est celle du proche et du lointain, de l’étrangeté et de la familiarité. On entend dans Tiers Livre des lectures, des proférations, des performances, installées dans une distance, une absence de familiarité avec l’auditeur, un certain lointain, qui a quelque chose de ce lointain d’où arrivent les voix de la radio dont parle Robert Walser dans un texte repris dans Tiers Livre (« la première fois que Robert Walser a écouté la radio », 19 mai 2007, article 862 [93]). Cette voix qui vient du téléphone, de la radio, aujourd’hui d’internet, mais en tout cas d’un ailleurs (différence avec le disque), Cocteau lui trouvait tantôt l’air d’un perroquet perché à tous les étages des maisons, tantôt en effet un « style d’oracle », porteur d’énigme et de révélation, style qu’il a lui-même cherché à épouser dans ses lectures radio de poèmes de Clair-Obscur en 1954.
Mais si actuellement François Bon parlait ses billets, articles, chroniques, alors c’est une voix plus proche que l’on entendrait, du moins si elle voulait coller à ce ton de conversation dont on entend déjà la rumeur, le « bruit de dessous » dans les blogs. À moins que, un peu comme Marguerite Duras et d’autres, qui se sont fabriqué à un moment un style oral modelé sur celui de leurs œuvres écrites, il ne décide de régler sa voix parlée sur celle de certains de ses textes ou lectures audio.
Conclusion
Comparativement à de très nombreux sites d’auteur, Tiers Livre donne à l’écriture audio une place globalement importante. Elle reste cependant très en retrait de celle donnée à tout ce qui est visuel d’une part, de certains projets « voix » de l’auteur abandonnés (provisoirement ?) d’autre part. Pourtant il n’en faudrait peut-être pas beaucoup pour que Tiers Livre bascule vers plus d’écriture audio, en revenant naviguer dans les parages du « Rabelais à haute voix » : pensons aux enregistrements de lecture audio ou « audio enrichi » disséminés ici et là, à la pratique de la musique et du chant aussi par François Bon, au projet de webradio, aux traces encore perceptibles dans certains liens d’un « labo voix » inclus dans le « labo perso » du site, et tout simplement à la conception très forte qu’il a des liens entre la littérature et la voix haute. Dans marabout bout de ficelle [Fragments du dedans], l’abécédaire commencé en août 2013, à l’entrée « Chant », François Bon se souvient « d’un manuscrit envoyé en 1979 à Paul Otchakovsky-Laurens, uniquement des notes sur la voix, puis un mois plus tard je lui envoie un mot disant que ce n’était pas mûr, de ne pas lire ce texte, et qu’il me le renvoie (s’il l’a survolé ou pas, quelle importance) en m’écrivant qu’il est impératif d’obéir à ces intuitions-là – aucune archive de ce tapuscrit, une centaine de pages, le suivant sera mon premier livre. » Le moment de suivre à nouveau cette intuition des débuts est peut-être venu : on peut rêver d’une bascule de Tiers Livre à la conquête de l’écriture audio…
Notes
[1] Cet article est fondé sur des navigations dans Tiers Livre menées durant l’été et l’automne 2013. Il n’a pas été fondamentalement modifié pour cette publication, alors que Tiers Livre a de son côté beaucoup évolué. De là un décalage dans le détail de certaines analyses (pages modifiées, etc.) et l’accès à certaines d’entre elles, passées en « Ressources réservées » (espace WIP mis en place en janvier 2014) ou devenues inaccessibles. Nous prions les lecteurs de nous en excuser.
[2] Édité depuis sous le titre Fragments du dedans, Paris, Grasset, 2014.
[3] Écrire audio, c’est se livrer à un travail d’écriture exclusivement sonore, dans la suite d’une histoire artistique bientôt séculaire de la radio et de ses outils d’écriture et de diffusion du son. Sera donc considéré ici comme écriture audio dans Tiers Livre tout ce qui s’inscrit ou circule dans le site sur un fichier son, en excluant les textes conçus par l’auteur pour être lus à haute voix mais qu’on ne peut pas concrètement entendre en activant un player. La bande-son d’une vidéo n’est pas non plus assimilable à de l’écriture audio, même si, nous le verrons, il y a des cas où le mariage du sonore et de l’image tourne très nettement à l’avantage du sonore.
[4] Autobiographie des objets, Seuil (2012), « Points », 2013, p. 15.
[5] Ibid.
[6] « 1964-1974, l’arrivée du bruit », Epok, n°50, numéro spécial « 1954-2004, 50 ans de culture et de technologie », 2004, en ligne ici.
[7] Autobiographie des objets, op. cit., p. 16.
[8] Ibid.
[9] Rolling Stones, une biographie, Fayard, [août] 2002 ; Bob Dylan, une biographie, Fayard, 2007 ; Rock’n roll, un portrait de Led Zeppelin, Albin Michel, [octobre] 2008.
[10] « 1964-1974, l’arrivée du bruit », op. cit. Fin de l’article : « Il y eut un monde de silence, et ce qui le brisa soudain, de couleurs, d’images et de voyages, et puis la grande normalisation : le bruit était partout, mais partout le même. Un jour, bientôt, je recommencerais à lire. »
[11] « Les Rolling Stones racontés comme votre vie même », France Culture, du 2 au 27 septembre 2002, Jacques Taroni (réal.). Rediffusion en juillet 2003. Trois matinées de travail. Voir « Journal images du 20 août 2002 » : « mixage du feuilleton Rolling Stones à France-Culture ».
[12] « Chiens noirs des seventies, Led Zeppelin », France Culture, du 1er au 19 novembre 2004, à 11h du matin. Claude Guerre et Jean-François Néollier (réal.). Chronique de l’enregistrement en octobre 2004 sous le titre « Radiodays, fabrique d’un feuilleton radiophonique » : « Quand on enregistre, on éteint toutes les lumières, et Claude Guerre est à quelques dizaines de centimètres, des fois danse dans la musique, ou me guide comme un chef d’orchestre. Il veut que ça aille plus vite, que je dise fort : tout le contraire de France Culture, quoi. »
[13] « Comment pousser les bords du monde : Bob Dylan », France Culture, du 5 au 23 février 2007, Claude Guerre (réal.). Rediffusion en décembre 2011.
[14] Quatre émissions d’1h20, avec le concours notamment de Valère Novarina. Montage d’entretiens et d’extraits des romans de Rabelais adaptés, lus et joués en direct par des comédiens.
[15] Fiction 30. Radiodrames, France Culture, mercredi 10 octobre 2001, 20h30-21h. Durée : 30 mn. « Une collection proposée par Lucien Attoun » entre 8 février 2000 et 16 juin 2002 (62 émissions).
[16] « Nouveau répertoire dramatique : Scène de François Bon », France Culture, 26 novembre 2000, 14h35. Durée : 25 mn. Christine Bernard Sugy (réal.). Avec Patrick Catafilo (Nicolas), Garance Clavel (la femme), Daniel Delabesse (L’ami).
[17] « Perspectives contemporaines : Comédie-Française : Quatre avec le mort », France Culture, 23 avril 2002, 20h35. Durée : 1h23. Avec Catherine Ferran, Claude Mathieu, Jean-Baptiste Malartre. Pièce éditée en février 2002 aux éditions Verdier. Voir dans le « Journal images » du 8 mars 2002, « Enregistrement à la Maison de la radio de Quatre avec le mort ».
[18] Du jour au lendemain, France Culture, Alain Veinstein (prod.), 28 septembre 1988, 5h du matin, durée 45′.
[19] « Le Bon plaisir de… François Bon », France Culture, 8 avril 1995, 15h30-18h.
[20] « 50 ans de la Maison de la Radio : hommage aux micros », ici.
[21] « source et futur de la radio, le micro », ici et là (mis en ligne le 12 novembre 2013).
[22] Même si ce titre, aujourd’hui, François Bon ne le juge plus aussi pertinent qu’avant, à cause de sa référence à l’objet livre.
[23] « Bâtisseur d’énigme », préface au Tiers Livre [1552], POL, 1993, page VII.
[24] « Longeville, de silence à silence », dans Caroline Pottier, François Bon, Vague de jazz, Grâne, Créaphis Éditions, 2012, p. 9.
[25] Capable en effet de faire naviguer un monde de paroles dans la nuit des mondes connus et inconnus de l’homme à son époque.
[26] Comment Pantagruel monta sur mer, 4e de couverture.
[27] Id.
[28] V. « Sans retour », Quart livre [1552], POL, 1993, p. XVIII : « Combien avons-nous été, à découvrir un jour, au terme de sept cents pages de lecture ce que nous n’aurions jamais supposé de réalisé dans la langue Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs et savoir de ce moment que plus rien ne serait pour nous exactement comme avant (je me souviens, embauché en 1973 aux usines de roulements à billes S.K.F. de Fontenay-le-Comte, avoir pris la voiture et marché deux heures à l’aube dans le village désert de Maillevais et ses ruines). »
[29] « Poésie non traduite », impro voix dans un train, article 1068. Son repris dans l’article 2307.
[30] Tumulte, Paris, Fayard, 2006, p. 13.
[31] Id., p.14.
[32] Id., p. 15.
[33] Ce projet d’écriture, directement applicable à Tumulte, reformule avec quelques différences de texte un autre projet de fiction, « Fresque » dont l’article 1125 nous donne le début en annexe 3 (« Le monde vrai »), et qui aboutit à un texte « construit pour une performance orale » d’une heure à partir du même matériau, intitulée Chiffres dans son édition publie.net de 2007. 28 pages pour la performance orale d’1 heure, + 20 pages d’annexes. Le texte complet n’est plus disponible sur Publie.net. « De fin 1999 à fin 2005, je commence chaque journée en relevant dans la presse quotidienne en ligne des faits, événements ou curiosités qui me semblent constituer une fresque de l’état du monde, un bruit du monde. »
[34] Tumulte, op. cit., p. 519.
[35] Autobiographie des objets, op. cit., p. 225.
[36] Elle est inexistante dans les dérivations Youtube et Facebook du site, qui multiplient les captations vidéo de lectures et spectacles mais ne proposent rien pour l’oreille seule.
[37] Tiers Livre, certes, a l’ambition d’être sans porte d’entrée ni parcours uniques, dans laquelle on pourrait entrer par n’importe où parce que chaque page se suffirait à elle-même.
[38] « source et futur de la radio, le micro », article 3579.
[39] Ibid. Le site s’appelle Frémissements, « notes sur quelques sons et leurs échos », fremissements.wordpress.com
[40] « Paysages mondes », « Le petit journal », « Carrés urbains », « Écrans mémoire », « Routes, métiers », « Bibliothèques & librairies ». Le couple photo/texte est plus spécialement travaillé, réfléchi, interrogé dans certaines.
[41] Dont les images webcam de la série « mes webcams du dimanche » (voir ici).
[42] Article 1125 : « De fin 1999 à fin 2005, je commence chaque journée en relevant dans la presse quotidienne en ligne des faits, événements ou curiosités qui me semblent constituer une fresque de l’état du monde, un bruit du monde.
[43] V. Gilles Bonnet, François Bon, d’un monde en bascule, Chêne-Bourg, La Baconnière, 2012, p. 249 sur la forme spatiale, visuelle de l’écran.
[44] Désordre de son ami Philippe de Jonckeere ou, découvert durant l’été 2013, la rubrique photo du site américain Beautiful Decay TheOneShotMi, / « Photographie & Chantiers », site de la plasticienne Candice Nguyen…
[45] V. l’ouvrage de Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan, 2013.
[46] L’article « les Rolling Stones en 20 fois 20 minutes » permet d’entendre des extraits de 12 émissions du feuilleton diffusé sur France Culture. Voix anglaise de Judith Allison.
[47] Voir ici et « pour accompagner le feuilleton France Culture, le texte de l’épisode 3, consacré à l’enfance de John Bonham, batteur de Led Zeppelin » en ligne là.
[48] Voir des vidéos ici avec lecture par l’auteur de deux versions d’un de ses textes.
[49] Présentation de l’auteur. Textes écrits sur habakuk.fr, en partie rapatriés sur la plateforme alors principale de Tiers Livre. François Bon en a tiré ensuite un livre édité chez publie.net sous le pseudonyme d’Habakuk et sous le titre Profération contre l’état du monde et de soi-même, aujourd’hui retiré. « L’atelier principal de Formes d’une guerre a été ce blog commencé de façon anonyme, habakuk.fr, vers avril-mai 2009, dans le trouble de savoir le départ imminent pour un an d’Amérique. À l’arrivée à Québec, quelques mois plus tard, dès la première semaine, j’en reprenais les textes ici dans le site principal. »
[50] Rubrique : « Plus d’étonnement à la voix, impression de l’avoir lu avec la voix de mon père. »
[53] Lecture de La Grande Bretèche en février 2013, avec micro cravate) : « C’est une version speed, dans mon enregistrement elle fait 54’, et la lecture je l’ai faite en 45’ » (article 2890).
[54] « Howl : Ginsberg traduit et dit par Darras ». V. aussi « Duras sans religion » (article 933) : Cathie Barreau, Sophie Merceron, François Bon. Cependant la dérivation Youtube du site semble préférée pour déposer ces lectures par des tiers. On a aussi dans Tiers Livre une rubrique [tiers livre sur You tube], 10 articles, avec des « captures maison » vidéo de lectures : Pierre Ménard lisant un de ses textes sur iPad, dans une salle banale de BDP d’Indre-et-Loire mai 2013, Pierre Martot lisant l’Odyssée d’Homère, festival Terre de Paroles en Normandie (24 mai -2 juin 2013), sur lutrin d’église.
[55] « À l’écoute : François Bon lit La Mort du jeune aviateur anglais, un extrait d’Écrire, © éditions Gallimard, 63’ » V. ses commentaires sur sa lecture dans « La Baule, écrivains en bord de mer, samedi 21 juillet : hommage à Marguerite Duras » (dans l’article « Duras sans religion » ?) : « Je crois que j’avais une idée préalable de la voix (blanche, avec silences et coupes nettes), qu’il fallait à Duras. C’est très certainement cette musique-là que Sophie Merceron a utilisé pour “le coupeur d’eau”. Probablement que, si sa lecture n’avait pas précédé directement la mienne, je me serais embarqué de tout autre façon. »« C’est parce que ce soir je lis le texte à voix haute que j’ajoute une strate à ma compréhension du texte. »
[56] « Carnets du dedans / Observation de soi et du monde », ici.
[57] « formes d’une guerre | 40 fois crier », article 3105.
[58] « François Bon | le son que je cherche », ici. Texte écrit en 2010 à Montréal, à l’occasion des premières lectures-performances de Kabakuk, Note de l’auteur en rubrique 101 : « Formes d’une guerre est un ensemble de textes rédigés initialement dans le bus retour Montréal-Québec, de nuit, lors de trajets hebdomadaires, au printemps 2010. Ces textes ont servi de support à un travail commun avec Dominique Pifarély (violon, violon électrique, traitements électroniques), Philippe De Jonckheere (images, vidéo-projections) et Michele Rabbia (percussions) créé à Montbéliard en décembre 2010 puis repris en 2011/2012 à Poitiers, Lyon, Louvain. »
[59] V. Dominique Viart, François Bon, Paris, Bordas, «Écrivains au présent », 2008, p. 138 : lecture en arpèges, montée en tension, accélérations et heurts, explosion.
[60] Cependant François Bon écarte l’idée d’une « écriture rock » par exemple : ce n’est pas un modèle. Bruit, silence…
[61] Lectures de Baudelaire sur musique de Kasper Toeplitz. Disque HC avec lui : Horizon noir.
[62] V. « lire en public, astuces & matériels / recommandations pour lire à haute voix», page de juin 2008 modifiée en janvier 2010 qui précise : « On m’a parfois proposé de lire avec micro cravate : le son est très bon, mais pas possible de moduler – d’autre part, très perturbé par l’absence de repère spatial immédiat » (article 1211).
[63] En japonais, « le bruit de la conversation ».
[64] « Au début sur un fond de batterie de John Bonham, puis relais par texte off perso avec delays et traitement, puis un son de basse aussi enregistré préalablement (Amérique 17 – première fois que j’utilisais en public mes propres pérégrinations à la guitare basse, ai dit à personne qu’avais fait la bande-son !) » (ici). V. aussi « Québec, 318 jours | l’usine à papier / mon premier Pecha Kucha : 6’40 texte & son, sur 20 images à 40″ chaque (et que ça se prépare) », où il fait l’éloge de la contrainte de temps, comme à la radio (article 2131).
[65] V. « littérature et violon au Rex à Cavaillon » (13 avril 2007) : « à la fin ce texte sur la peur complètement réimprovisé une fois de plus une fois au micro. »
[66] Précédées de l’interprétation par Emmanuel Tugny, Olivier Mellano avec Dominique A. pour le CD Ralbum aux éditions Leo Scheer. Album présenté ainsi sur MySpace : « À l’occasion de l’anniversaire de mai 68 des écrivains rencontrent des musiciens pour exprimer leur ras le bol face à l’époque, sociale et politique. Un pamphlet musical, un manifeste. »
[67] Exemple « tu marchais dans la maison des morts (avec Philippe Rahmy) », une vidéo de juin 2007, « diaporama de photographies numériques extraites via le mot-clé tombes de mes archives images, d’un texte réalisé séparément, puis lu directement pour le petit micro inséré dans l’écran de l’ordinateur portable, en même temps que défilent les images » (article 121).
[68] On arrive ici en droite ligne des excitations d’idées des années vingt sur le « phonographe créateur », de Cocteau enregistrant des disques pour Columbia avec le désir de collaborer avec la machine, comme il le dit dans Opium (1930) : « Ne plus adorer les machines ou les employer comme main d’œuvre. Collaborer avec. »
[69] marabout bout de ficelle, article3621#chant.
[70] Réponse à l’enquête sur la diction de la poésie à la radio (1953-1954), dans Les écrivains hommes de radio (1940-1970), Pierre-Marie Héron (dir.), Montpellier, Publications de Montpellier 3, 2001, p. 171.
[71] « Le Club d’Essai », La Chambre d’écho, n°1, [avril] 1947, repris dans Pierre-Marie Héron, Jean Cocteau et la radio, Paris, Éditions Non Lieu, Cahiers Jean Cocteau 8, 2010, p. 15. Sans parler des voix doucereuses, quasi hypnotiquement imposées par l’existence du micro (le fameux « ton confidentiel » recommandé en 1942 par Jacques Copeau) et les conditions « hors du temps » du studio. Là contre, Artaud, à la radio : Pour en finir avec le jugement de dieu. C’est ce vide sans rumeur de l’enregistrement initial, très difficile à compenser après coup par des bruitages ou mixages de sons d’ambiance avec la lecture, qui frappe aussi à l’écoute de Quoi faire de son chien mort ? et de beaucoup de fictions radio enregistrées aujourd’hui à France Culture.
[72] « videoroute | le temps clignote /images et voix de la ville, suite »
[73] « D’Henri Michaux (1899-1984), à Danielle Collobert (1940-1978), certains ont suivi pourtant cette ligne de crête, l’exploration intérieure à sa limite. »
[74] « Ma première lecture de Rabelais avait eu lieu sur cette cale, au couchant, face à la baie de Lampaul. J’y suis revenu la deuxième semaine, à la même heure, comme un rendez-vous personnel – juste pour expérimenter à haute voix ce récit, dans ce contexte, cette heure, cette présence. Bizarre de constater après coup comme la voix qui surgit n’était pas mienne. »
[75] Les écrivains hommes de radio (1940-1970), op. cit., p. 153.
[76] « On est ordi contre ordi, et quand on boucle un brouillon de rythmes radio, il écoute les yeux fermés. »
[77] « Le calme dans la colère, pour la colère. Question d’improviser dans la colère. Expérience de Cocteau en cure de désintoxication que ses meilleurs dessins ne sont pas ceux faits dans la douleur. Rapport à Artaud : longue mise au point de Pour en finir avec le jugement de dieu ».
[78] « Dernier soir au Québec. Replier le matériel, ce qu’on a gardé sur la table. L’ordinateur, la carte-son, le micro. Vérifier si ça marche comme il faut, comme ça, juste. Enregistrer une voix. Il reste peu de papiers. Il y a cette page d’Antoine Emaz, tirée des Poèmes communs. Je m’en suis servi pour un atelier d’écriture, à la fac. C’est très court (c’est même ça, l’exercice, sentir les forces, les tensions, le blanc, l’aigu, entrer dans l’énorme violence du bref). J’ajoute le texte lu sur la piste voix. Dans les prochaines semaines, nous serons à nouveau voisin, avec Emaz. »
[79] Yann Paranthoën, preneur de son de l’émission Du jour au lendemain et célèbre auteur radio de Lulu, d’Enquête à Lesconil, regrettait qu’il soit inexistant dans la série de Veinstein (v. Alain Veinstein, Radio sauvage, Seuil, « Fiction & Cie », 2010, p. 212-215).
[80] Radio sauvage, op. cit, p. 213.
[81] « Et les abysmes eriger au dessus des nues », préface à Gargantua [1534], POL, 1992, page VI.
[82] « Bâtisseur d’énigme », préface au Tiers Livre [1552], POL, 1993, page I.
[83] marabout bout de ficelle, op. cit.
[84] « visite guidée | l’actu du site en vidéo, 01 ».
[85] marabout bout de ficelle, op. cit.
[86] « 50 ans de la Maison de la Radio : hommage aux micros », art. cit.
[87] marabout bout de ficelle, op. cit.
[88] V. Tumulte.
[89] « de 1035 à 1051 sur 10 000 / segments séparés d’une suite en construction », article 621, fragment 1068.
[90] V. François Bon, Après le livre, Paris, Seuil, 2011, p. 7.
[91] Proust, Le Temps retrouvé (1927).
[92] Cocteau, La Difficulté d’être (1947) : casser la phrase pour obliger à lire.
[93] « Quelque chose de lointain vient à vous, et ceux qui produisent ce que l’on entend parlent à tout le monde à la fois, c’est-à-dire qu’ils sont dans une totale ignorance du nombre et des qualités de leurs auditeurs. »
Auteur
Pierre-Marie Héron est professeur en Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) ; Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013); Les radios de Philippe Soupault (Komodo 21, 2015). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.
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