Plan
Partant d’une enquête sur les entretiens radiophonique conservés dans les archives de l’Ina, l’article en repère deux grandes formes chez Roland Barthes : l’interview d’idées (livres et sujets intellectuels) et l’entretien personnel (qui concerne son ethos auctorial). La classification permet de retracer une évolution de la posture littéraire de Barthes, qui se lance à partir des années 1970-1974 dans une élaboration « romanesque » de soi, à savoir un mode discursif de l’imaginaire susceptible d’une représentation à la fois à l’écrit et à l’oral. Cette seconde forme témoigne d’une pratique ambivalente de l’interview radiophonique chez Barthes. L’analyse se concentre pour finir sur l’autoportrait radiophonique de 1976, quand la posture romanesque met en scène oralement un discours à la fois autobiographie et fictionnel. La posture d’amateur dans les entretiens sur la musique et sur Proust à France Culture en 1978 n’est qu’un redoublement de cette posture romanesque.
Based on an investigation of radio interviews at the Ina archives, the article outlines two forms in Roland Barthes: the notional interview (books and intellectual topics) and the personal conversation (which concerns his authorial ethos). The classification makes it possible to trace the evolution of the literary posture of Barthes, which develops in 1970-1974 into a “romanesque” (fictional) elaboration, namely a discursive mode of the imaginary prone to represent itself both in writing and orally. This second form reveals his ambivalent practice of the radio interview. Finally, the analysis focuses on the radio self-portrait in 1976, when the posture “romanesque” presents an oral speech that is both autobiographical and fictional. The amateur posture in the interviews on music and Proust at France Culture in 1978 is only a repetition of this kind of posture.
Texte intégral
L’enquête sur les entretiens radiophoniques de Roland Barthes commence seulement après la publication, en 1981, du Grain de la voix. Entretiens (1962-1980), recueil qui concerne 39 entretiens publiés dans la presse écrite [1]. L’année suivante, en 1982, Thierry Leguay établit une table des entretiens de Barthes diffusés lors d’émissions radiophoniques ou à la télévision. Leguay était parti du répertoire personnel de l’auteur et l’avait classé, vérifié et publié dans la revue Communications : 62 émissions radiophoniques comptant la participation de Barthes [2]. Plus tard, certaines transcriptions des entretiens de Barthes ont été reprises dans les Œuvres complètes publiées en 1995 par Éric Marty et rééditées dans une édition nouvelle et élargie en 2002 [3]. Et pourtant, le nombre réel d’interviews données par Barthes dépasse largement le nombre de celles recensées ou rééditées dans la revue Communications (124) ou dans les Œuvres complètes (72). L’enquête menée dans le cadre de nos recherches nous a permis de dénombrer à ce jour 170 interviews de Barthes, dont 81 à la radio (Leguay en comptait 62). La plupart datent des années 1970, qui s’avèrent dès lors la décennie la plus significative pour étudier la présence de Barthes à la radio, d’autant qu’elle correspond au moment de sa plus grande renommée littéraire. Durant cette période, Barthes accorde 101 interviews sur le total des 170 qu’il a accordés [4]. Ces chiffres nous montrent non seulement que Barthes a partagé sa pratique de l’entretien entre la radio et la presse écrite de façon à peu près égale, mais aussi qu’il s’est pleinement plié au jeu de la radio offert à l’écrivain contemporain, malgré une attitude parfois réticente devant ce média de masse.
Au cours de cet article, on verra comment l’attitude de Barthes envers la radio subit le contrepoint d’une réflexion qui s’unit, dans les années 1970, à une pratique bien particulière du média. On peut répartir brièvement les 81 entretiens à la radio selon une ventilation, même schématique, entre deux types [5]. À partir de l’année 1975, deux usages très différents de l’interview se distinguent dans notre corpus : d’un côté l’interview d’idées, critiquable en soi du fait qu’elle ne permet pas une réélaboration ou restitution suffisante de la pensée, mais admissible comme pis-aller et même obligatoire comme moyen donné à l’intellectuel de faire son devoir de participer au débat public ; de l’autre l’entretien subjectif en première personne, qui permet à l’auteur de dire « je » et que – comme l’on verra – Barthes déclare être « le seul genre d’entretien que l’on pourrait à la rigueur défendre ».
En ce qui concerne l’interview d’idée, 45 occurrences pourraient y être associées, en prenant en compte à la foi le sujet de ces interviews – données à l’occasion de la sortie d’un livre de Barthes ou questionnant son activité de critique littéraire, de sociologue, etc. – et la « posture » intellectuelle de l’auteur, manifestant par ses réponses sa participation au monde actuel, son intégration dans le champ socio-littéraire préconstitué de son temps :
– 15 interviews sur ses livres : trois pour Michelet par lui-même (2 en 1954, 1 en 1964), deux pour Mythologies (en 1957), une pour Essais critiques (1964), deux pour Système de la mode (1967) – j’y ajouterais une partie non diffusée de la série À voix nue de Georges Charbonnier –, une pour S/Z (1970), trois pour Sade, Fourier, Loyola (1 en 1971, 2 en 1972), une pour la réédition du Degré zéro de l’écriture (1972) et deux pour Plaisir du texte (1973) ;
– Barthes apparaît comme « mythologue » à la mode dans 6 interviews sur le rapport entre sociologie et littérature (La crise de la sociologie, 1956, avec Edgard Morin), sur la photo touristique (Les loisirs, 1962), sur la fonction et l’esthétique de l’« objet » (L’homme et l’objet : l’usage et la possession des objets, 1964), sur la photographie de presse pour deux émissions (L’ère des communications de masse, 1968 et 1969) et sur l’Utopie (1970) ;
– Barthes joue le rôle du « linguiste » et « sémiologue » de la culture dans : les 5 émissions de Sciences et techniques consacrées au numéro « zéro » et à la rhétorique du silence et du blanc sur la page (1967), Du bon usage de la lecture sur l’usage du texte (1967), la série des entretiens À voix nue de Georges Charbonnier pour France Culture (1967), Le français, langue vivante (1968) et enfin Les chemins de la connaissance sur l’écriture picturale (1978) ;
– Barthes commente les « classiques » dans 13 interviews : La leçon de Proust (1963), Dante en son temps (1965), l’encyclopédie (1966), De Nietzsche à Beckett (1967), Fourier (Reflets de l’âge d’or, 1971), Valéry (1971), Péguy (1973), Racine (1974), Michelet (1974), Benveniste (1976), Jakobson (1977), Calvino (1978), Valéry (1978) ;
– Barthes est interrogé sur la littérature contemporaine en tant que « nouveau critique », dans 6 interviews : deux en 1964, en 1965 avec Georges Charbonnier (Magazine des sciences), en 1967 avec François Nourissier (Pour une critique créatrice), en 1968 sur le Nouveau roman avec Roger Vrigny et en 1975, quand il lit un texte sur Roger Laporte au cours d’un entretien collectif.
L’entretien subjectif et personnel, conduit en première personne, est la forme qui permet à Barthes d’explorer, à différents niveaux, le rôle de son « imaginaire » et de proposer par la mise en parole d’une posture « romanesque » un entretien tout différent à la radio, qui est le pendant de l’évolution autobiographique de son écriture. On peut inclure 18 entretiens dans ce second type de performance, qui va de 1975 à la mort de Barthes en 1979 :
– la Radioscopie avec Jacques Chancel (1975) ;
– les deux entretiens en 1975 à propos de Roland Barthes par Roland Barthes (où il est clair qu’après ce livre l’entretien sans le « moi » n’est plus possible) ;
– l’autoportrait radiophonique pour L’Invité du lundi (1976) ;
– Le chant romantique (1976) ;
– les cinq entretiens avec Jean-Marie Benoist et Bernard-Henri Lévy consacrés à la fois à sa renommée publique et à sa personne privée (1977) ;
– deux entretiens réalisés pour la sortie de Fragments d’un discours amoureux, particulièrement « romanesque » étant celui intitulé La dernière des solitudes (1977) ;
– un autre entretien sur l’Empire des signes réalisé pour l’émission Les chemins de la connaissance et consacré au plaisir de l’écriture (1977) ;
– Pourquoi Schubert aujourd’hui ? sur la catégorie d’amateur à propos de la musique de Schubert (1978) ;
– l’entretien avec Alain Veinstein pour Nuits magnétiques (1978) ;
– les deux entretiens sur la musique réalisés avec Claude Maupomé (1978-1979) ;
– la série des trois entretiens « proustiens » avec Jean Montalbetti (1978).
Dans la présente étude, nous utiliserons l’autoportrait de 1976 et les entretiens avec Claude Maupomé et Jean Montalbetti (1978-1979) comme exemples d’entretien « romanesque » pour cerner les aspects de la posture « romanesque » adoptée par Barthes à la fin des années 1970. Il s’agira d’abord d’esquisser les passages qui permettent à Barthes, entre 1970 et 1974, de se donner cette posture romanesque, de manière à mieux différencier le type d’entretien qui en procède de l’interview d’idée. Un groupe de cinq interviews définit cette sorte de « passage » entre les deux séries. Dans ce groupe, il y a aussi des entretiens menés par Barthes avec d’autres écrivains : deux avec Jean Ristat, L’inconnu n’est pas le n’importe quoi (1971), un avec Renaud Camus (1975). C’est peut-être à la suite de la pratique directe du rôle de l’intervieweur, notamment dans l’entretien avec Camus [6], que Barthes prend conscience qu’il y a désormais pour lui deux types d’entretiens radiophoniques : d’un côté, l’entretien qui, sur l’auteur, ne va pas au-delà de ce que le public connaît de lui ; de l’autre, l’entretien qui descend dans une interrogation secrète de l’auteur, qu’on peut dévoiler par l’exploration et la consommation publique de son imaginaire d’écrivain[7].
1. Naissance de la posture romanesque : 1970-1974
Dans ce petit ensemble d’entretiens « entre-les-deux », Barthes ne sort de la forme de l’interview intellectuelle ; quelques éléments plus personnels esquissent cependant la forme que pourrait prendre avec lui un entretien personnel. Ces interviews de passage nous intéressent, par conséquent, pour préciser la valeur du « romanesque » que Barthes met en œuvre dans les entretiens du corpus.
En 1970, à l’occasion d’une interview sur S/Z, non seulement Barthes confesse que « la véritable origine de ce travail, Dieu sait où elle est, peut-être dans mon inconscient », mais, interrompant l’éloge que Luc Estang est en train de faire de son livre, il en évoque le plaisir « romanesque » qu’il y a trouvé : « Je ne voulais pas vous interrompre avec, disons, le mouvement de l’émotion […] dans le plaisir que j’ai eu à faire ce travail, j’ai eu une sorte de jubilation que j’estime être de type romanesque » [8]. Quoique cette jubilation « romanesque » ne donne pas lieu à une orientation personnelle du propos dans l’interview en cours, Barthes introduit bien ici l’opportunité de donner parole à un autre « moi », plus personnel que celui de l’intellectuel poussé à s’exprimer sur des sujets extérieurs à lui.
L’année suivante, en 1971, on trouve dans l’entretien de Barthes avec Jean Thibaudeau, partiellement publié dans la revue Tel Quel [9], une première élaboration de la réflexion qui le conduit à inventer sa posture romanesque pour la fin des années 1970. Dans une note explicative insérée en fronton, la transformation du je qui parle en je imaginaire est orienté dans la direction du romanesque :
Les réponses ont été réécrites – ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’écriture, puisque, vu le propos biographique, le je (et sa kyrielle de verbes au passé) doit être ici assumé comme si celui qui parle était le même (à la même place) que celui qui a vécu. On voudra bien en conséquence se rappeler que la personne qui est née en même temps que moi le 12 novembre 1915 va devenir continûment sous le simple effet de l’énonciation une première personne entièrement « imaginaire » [10].
Barthes a trouvé l’angle de vue qui lui permet de se voir et de se donner à voir comme un nouveau personnage romanesque – comme un personnage autofictionnel avant la lettre [11] – tout en considérant que, dans ce cas, l’opération est possible grâce au travail de transcription, à la « réécriture » des réponses de l’entretien originel. Ce faisant, il ne se donne pas encore une posture personnelle, puisque c’est le phénomène même de la réécriture qui produit un je imaginaire. Il reste encore dans une réflexion « classique » sur l’écriture, appliquée au je autobiographique. Toutefois, dans son avant-dernière réponse à Jean Thibaudeau, Barthes fait écho au propos liminaire et se charge de donner une fonction au genre de l’entretien, à l’intérieur du nouveau projet du je romanesque. Par cette insertion, le romanesque évolue en un mode de discours qui semble pouvoir dépasser les limites de l’écriture pour questionner la « parole » tout court et entreprendre, finalement, une transformation discursive praticable dans la forme de l’entretien en général, à la fois oral et écrit :
Le seul genre d’entretien que l’on pourrait à la rigueur défendre, serait celui où l’auteur serait sollicité d’énoncer ce qu’il ne peut pas écrire. […] Ce que l’écriture n’écrit jamais, c’est Je ; ce que la parole dit toujours, c’est Je ; c’est donc l’imaginaire de l’auteur, la collection de ses fantasmes […] en ce qui me concerne : la musique, la nourriture, le voyage, la sexualité, les habitudes de travail [12].
La « parole » devrait permettre la communication au public de l’imaginaire de l’interviewé, au fur et à mesure qu’on l’interroge sur ses habitudes, ses plaisirs, ses loisirs. Le but du genre de l’entretien serait de ce point de vue, sinon opposé, du moins complémentaire du travail de l’écriture : à celle-ci le travail de la pensée, à celui-là l’expression de l’imaginaire privé. Si l’entretien offre une voie privilégiée au moi privé, l’écriture vient à comprendre l’expression de l’intellectuel, même dans les formes d’interview plus classiques (comme celles de la première catégorie). Le problème que pose Barthes est, en clair, que l’entretien est un moyen adapté non au travail de la pensée, mais au travail de la subjectivité. Mais quel serait l’entretien qui se chargerait de véritablement donner forme à cette parole privée, à l’écart du travail de l’écriture ? L’entretien radiophonique. Il représente bel et bien une étape dans le passage de Barthes de la posture de l’intellectuel – qui utilise non seulement l’écriture, mais aussi l’interview d’idée – à celle de l’auteur « romanesque », qui investit à la fin des années 1970 des formes multiples, écrites et orales, de performance de la parole (textes et entretiens, cours, séminaires, autres formes d’apparition publique, etc.).
En 1972, dans une interview ici répertoriée dans la catégorie de l’interview d’idée et consacrée à Sade, Fourier, Loyola, Roger Vrigny fait référence au numéro de Tel Quel et à ce que Barthes y dit [13]. Dépassant la réflexion générale sur la forme de l’entretien, il pose à son invité une question directe sur le cas de l’entretien à la radio, qui l’amène à se prononcer directement sur le sujet, tout en restant dans le cadre du passage au romanesque envisagé avec Thibaudeau. L’opposition entre « écriture » et « parole » revient avec plus de clarté dans cet échange. Barthes dit ne pas aimer l’entretien radiophonique qui commence « en parole » et se termine par une forme d’écriture : il y voit une forme de « mauvaise foi ». Si cela constitue une approbation de l’entretien parlé, avec les limites que l’on connaît du contrôle à avoir sur son discours oral, Barthes se trouve néanmoins devant le défi de donner une forme romanesque à un entretien, tout en refusant le secours de la réécriture, qui lui avait permis l’année précédente de maîtriser son je imaginaire grâce au passage de l’entretien filmé à la transcription.
Cela ne semble cependant un problème urgent ou dont la résolution devrait être immédiate. Sans aimer l’interview réécrite, Barthes l’a pratiquée régulièrement toute sa vie, et continue l’année suivante. En 1973, au moment où la publication du Plaisir de texte opère un changement complet et irréversible de son image publique, l’entretien Où va la littérature ?, avec Pillaudin et Nadeau, est animé justement par l’« utopie » déclarée dans le livre de « faire du lecteur un écrivain » [14]. Même si l’interview ne lui permet pas encore d’adopter une posture romanesque, Barthes ajoute dans sa transcription une notation que nous n’entendons pas dans l’interview radiophonique :
Quand on a commencé à écrire, quand on est dans l’écriture, quoi qu’elle vaille d’ailleurs, il y a un moment, en un sens, où on n’a plus le temps de lire […] personnellement j’ai très peu de temps de lecture en soi, de lecture gratuite. J’en ai un peu le soir quand je rentre chez moi, mais, à ce moment-là, je lis plutôt des textes classiques ; ou pendant les vacances [15]…
Le contraste exprimé entre lecture privée et écriture publique redouble celui déjà posé entre réécriture et parole. La fuite hors de la lecture professionnelle vaut mort de l’auteur-intellectuel et naissance de l’auteur-écrivain. Les idiosyncrasies de lecture de Barthes, qui abandonne les textes modernes, préparent l’émergence d’autres idiosyncrasies autobiographiques et transforment le moment de la lecture privée en une confrontation directe avec à la fois les textes classiques et les auteurs qui les ont écrits. C’est qui introduit une solution au problème de la parole : l’imitation de quelque chose, qui n’est pas de l’écriture, mais relève d’une posture, d’une manière de s’en tenir comme écrivain classique.
Cette sortie hors de l’écriture, au sein de l’entretien oral, est discutée en 1974 dans un texte, « De la parole à l’écriture », conçu comme préface à la publication de Quelle crise ? Quelle société ?, premier volume de la série « Dialogues de France Culture » aux Presses universitaires de Grenoble [16]. Barthes semble y régler ses comptes avec le problème de la transcription de l’entretien, c’est-à-dire du rapport entre parole et écriture. Il reconnaît dans ce texte que, dans un entretien radiophonique, la parole est « théâtrale » et « tactique », qu’elle y suit ses propres codes culturels et oratoires. Or, dans la « scription » (transcription d’un entretien enregistré à l’oral), on perd le grain de la voix, la présence du corps, la dimension phatique de la communication, sans que cette perte se solde par l’accession à une véritable écriture [17]. Le point de vue est donc critique : on perd sur les deux tableaux finalement.
Curieusement, quelques années plus tard, en 1977, dans « Une sorte de travail manuel », réponse à une enquête écrite des Nouvelles littéraires sur l’écriture au magnétophone, Barthes propose une réflexion quasiment opposée, du moins plus fine, du phénomène de la scription : elle pourrait bien elle aussi inscrire l’entretien dans le champ de l’écriture, dès le moment que, en donnant parfois à un écrivain la possibilité de retravailler sa parole, elle lui permet d’y réintroduire son propre style [18].
En tout cas, la double position de Barthes devant l’entretien à la radio s’accompagne d’une pratique ambivalente, tantôt purement orale et « romanesque », tantôt mixte, avec un départ oral suivi d’une réécriture. Une pratique qui, comme la chronologie le montre, continue au fil des ans et permet à Barthes de jouer sur les deux tableaux. S’il est question dans la suite de cet article de l’entretien romanesque de forme orale, il reste néanmoins évident pour Barthes que tout auteur ne peut pas renoncer au rôle social de l’interview comme moyen donné à l’écrivain (« quelqu’un qui a écrit des livres ») de participer au débat public :
L’écrivain – quelqu’un qui a écrit des livres – doit se prêter aux interviews, comme celui-ci, ou à des prestations à la radio ou à la télévision. Bien. Je dirai tout simplement – je dis les choses franchement – il doit le faire et ce n’est pas du tout pour des raisons narcissiques. Ce n’est pas parce qu’il lui fait plaisir qu’on parle de lui, qu’il soit entendu ; ou si ce plaisir existe on peut dire qu’il dure très peu de temps. En réalité, si on fait ça c’est parce que l’écrivain sent très bien que, quand il écrit, quand il publie, il s’articule sur le travail d’autres personnes : les personnes qui l’interrogent, les personnes qui l’enregistrent. Il fait partie d’une économie et par conséquent je dirai qu’il n’a pas – en principe – le droit de se refuser à ce type d’échange [19].
Ce passage permet finalement de mieux distinguer les rôles : dans le cas de l’intellectuel et/ou de l’écrivant, l’interview est un pis-aller, nécessaire à son intervention dans le débat public ; dans le cas de l’écrivain (l’auteur véritable et/ou classique), l’entretien est légitime comme écriture de l’imaginaire, via non seulement la parole, mais la voix et le langage du corps. Cela signifie finalement que, dans le cadre de l’entretien radiophonique, il faut trouver pour Barthes une manière de « travailler » physiquement la parole radiophonique, pour lui donner une forme, littéraire si l’on veut, élaborée du moins, sans le truchement de la transcription.
2. L’autoportrait radiophonique de 1976 : une « voix » romanesque
En 1976, Barthes se prête à un autoportrait radiophonique pour l’émission « L’Invité du lundi ». Préparé avec Michel Gonzales et André Mathieu, l’autoportrait est enregistré quatre jours auparavant et dure après montage 33 minutes (pour une heure dix d’enregistrement). Dans l’autoportrait ne sont conservées que les réponses de Barthes touchant sa biographie, sa formation littéraire, ses intérêts culturels, son travail actuel, etc.. Mais quand Montalbetti demande – une fois l’autoportrait terminé – s’il a été hypocrite dans ses réponses, Barthes nie avoir été gêné et s’explique en soulignant le caractère non-référentiel de l’autoportrait réalisé :
Non, je n’ai pas du tout été hypocrite dans la mesure où pour être hypocrite il faudrait qu’il y ait une vérité qu’on masque et j’ai pris soin au début de l’autoportrait de dire que la difficulté de l’autoportrait c’est que, en tant qu’une sorte de grand épisode du langage, il s’établissait en dehors de toute référence possible [20].
L’autoportrait mobilise bien Barthes comme personne privée dans ses réponses, par l’écoute de sa voix et d’un je. L’image d’auteur que Barthes donne de lui-même déplace celle qu’il donnait jusqu’à présent : émerge celle d’un intellectuel heureux de travailler, qui y prend un plaisir physique et concret, presque sensuel :
Dans le présent, je dois beaucoup lutter pour préserver ces zones de travail personnel et c’est là un des problèmes importants de ma vie, comme de la vie de la plupart des intellectuels et des écrivains d’aujourd’hui… de résister à la dispersion […] À ce moment-là je n’ai pas, en ce qui me concerne, de plus grand plaisir, en dehors des plaisirs de la fête, ou des plaisirs de la volupté… je n’ai pas de plus grand que de me lever le matin en me disant que j’ai toute une matinée tranquille devant moi pour travailler [21].
Barthes parle de l’activité intellectuelle comme d’un plaisir, une jouissance, liée à l’activité elle-même mais aussi à son espace, son organisation, la défense de cet espace contre la dispersion des multiples sollicitations autres. L’expérience du travail intellectuel est celle d’un bien-être physique, qui le renvoie non tant au domaine des idées qu’au domaine du corps et d’un moi sensible :
C’est une jouissance qui s’accompagne – je dirai – d’une jouissance supplémentaire, d’organisation du travail, de toute une structure de l’espace de travail, ce que j’appelle la papeterie du travail, qui est une chose qui donne énormément de plaisir et il me semble que dans ma vie c’est toujours ce qui reste à travers des évolutions, des difficultés, des tentations de toute sorte… à travers des leurres, des pannes, des paresses, il reste toujours ça… je sais que si je veux je peux travailler d’une façon – je le répète – jouissive [22].
La relation directe entre le corps et l’écriture passe par le plaisir du psychisme, des sens, de la manipulation de toute une « papeterie » qui accompagne la mise au travail et la production des idées.
Dans l’autoportrait de 1976 réalisé pour la radio, il n’y a pas d’écriture au sens propre, et la « papeterie » du micro et des moyens d’enregistrement échappent en partie au contrôle de l’auteur. Le plaisir de travailler (de créer) doit trouver d’autres biais. Avançons que l’équivalent de la main pour l’écriture, c’est la voix pour la « parole » orale : c’est elle qui permet de lier la construction d’un je imaginaire ou romanesque au corps de l’auteur, sans passer par l’écrit. La voix de Barthes est l’instrument qui lui permet de développer une posture romanesque à la radio : là, il dévoile publiquement son corps – par une référence auditive directe de son corps envers les auditeurs – tout en envahissant sa voix par un discours autofictionnel second – élaboré certes, en 1976, à partir de ses textes et livres, et soutenu par un autocommentaire.
L’autoportrait proprement dit se donne à saisir dans des fragments de discours, entre lesquels Barthes fait des pauses, s’arrête pour relire les questions et propositions de sujets de ses interlocuteurs et y réfléchir. Il ne structure plus ses phrases en un discours continu, mais accepte de découper son propre discours autobiographique, qui par conséquent se présente en fragments vocaux séparés les uns des autres [23]. Comme ses étudiant(e)s les plus fidèles le remarquent [24], cet « art » vocal de la parole orale dans l’autoportrait est très différent du phrasé parlé pratiqué dans son séminaire et son cours (mais aussi dans les autres interviews), qui garde une construction syntaxique très logique. Il tranche du reste aussi sur son style d’écriture, parfois très moderniste dans l’usage, par exemple, de la ponctuation (deux points et parenthèses placés en manière anti-scolaire). Ce qui ne plaît pas à tous ses interlocuteurs, puisque, après qu’Antoine Compagnon a relevé cet écart entre la phrase orale et la phrase écrite de Barthes, Romaric Sulger-Büel et Roland Havas réagissent en jugeant l’autoportrait radiophonique « décevant » par rapport à l’autoportrait écrit que constitue un an plus tôt Roland Barthes par Roland Barthes.
Barthes leur explique que l’autoportrait radiophonique est un genre « faux » : c’est « une parole sans véritable interlocuteur » – comme l’écriture –, tandis que la parole adressée aux auditeurs de son séminaire est portée par « une interlocution très forte ». Mais précisément, il représente – comme l’écriture – une forme indirecte de parole, puisqu’il est enregistré. Il faut l’entendre, précise-t-il, comme « une sorte d’écriture à l’état second, c’est-à-dire avec toute l’ambiguïté d’un texte qui ne se donne pas exactement pour ce qu’il est et donc réinterpréter le ton qui a été employé comme un procédé d’écriture, c’est-à-dire […] mettre des guillemets autour de ce que j’ai dit [25] ». Ainsi, dans l’autoportrait radiophonique, parole et scription semblent s’intégrer mutuellement ; la distinction entre je romanesque orale et je romanesque écrit semble annulée. Plus précisément, l’autoportrait radiophonique devient un discours dans lequel la voix même de Barthes est mise « entre guillemets », afin de donner naissance à un personnage romanesque de la même nature que celui du Roland Barthes par Roland Barthes. Il est d’ailleurs précédé d’un avertissement équivalent à celui du livre : « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman [26] ».
Dans l’autoportrait, les modalités de pauses à l’oral, certaines dûment enregistrées (quand il prend et allume une cigarette) finissent par correspondre à une fragmentation du discours oral du Barthes « professeur » par la voix et le corps du Barthes « romanesque ». Tout comme son l’écriture romanesque fragmente, dans Roland Barthes par Roland Barthes, le discours continu de la dissertation, de l’essai monographique, du récit autobiographique. En outre, ces fragments oraux correspondent formellement à des citations, qui peuvent activer les souvenirs romanesques, et qui ont la même fonction que les « anamnèses » introduites dans l’autoportrait écrit Roland Barthes par Roland Barthes.
En somme, dans cet autoportrait de 1976, la parole radiophonique n’est pas de l’« écriture parlée », comme celle que Barthes dit produire dans ses séminaires et cours. La parole vive et improvisée de l’autoportrait domine le travail de montage, qui ne change pas la voix et le ton. Elle est aussi revue et interprétée, dans un commentaire placé à la fin, en guise de « postface », sous un angle romanesque. Encore une fois, Barthes dirige son auditeur vers l’auteur qu’il a entendu, mais en faisant de sa voix le lieu d’une parole autofictionnelle.
3. Entretiens avec Claude Maupomé et avec Jean Montalbetti (1978) : la posture de l’amateur
Dans son premier entretien avec Claude Maupomé pour l’émission « Le Concert égoïste », diffusé en janvier 1978 – et contrairement à ce qu’il a écrit dans « La Chronique » six mois auparavant [27] –, Barthes dit aimer écouter de la musique en travaillant :
Barthes – […] je n’ai pas un très bon rapport au disque. La musique, pour moi, ne passe pas bien par le disque. La musique passe par deux choses : le piano, le chant quand j’en ai fait – c’est-à-dire la musique que je fais ou que j’ai faite avec mon corps – et alors la radio, oui, la radio. Là, bon… au risque de choquer beaucoup de producteurs et de réalisateurs de radio, je… j’aime bien mettre France Musique quand je travaille. Je sais que ça a été très reproché à Claude Lévi-Strauss, mais je dois dire que je partage absolument cette pratique avec lui […].
Maupomé – Vous n’êtes pas aussi strict que lui pour la parole à France Musique [28].
– Non, il y a des parties parlées à France Musique qui ne me déplaisent pas du tout. D’abord parce que très souvent j’aime bien la voix de qui parle. Je m’intéresse aux voix.
– C’est toujours de la musique ?
– Oui, c’est toujours de la musique, surtout pour moi qui m’intéresse beaucoup à la voix [29].
Barthes indique ici qu’il reçoit certaines voix parlées comme de la musique. Voix et musique entrent dans le travail intellectuel ; elles sont déjà dans l’écriture sérieuse et agissent comme stimulant et plaisir auxiliaire de la pensée. Leur essence s’oppose aussi à la musique professionnelle, aux enregistrements des interprètes célèbres que l’on écoute au concert ou sur les disques. Cette association du travail intellectuel à l’écoute de la musique, voire à sa pratique (chant et piano), mais aussi à l’écoute de ce qui devrait encore plus déranger ce travail, à savoir les « parties parlées » d’émissions musicales, fait bouger là aussi l’image de l’intellectuel que Barthes peut avoir dans le public. On peut dire que, au personnage du travailleur, elle ajoute celui de l’amateur [30]. Le parallèle avec Lévi-Strauss suggère qu’il s’agit d’une posture anti-puriste. Dans le second entretien avec Maupomé, pour « Comment l’entendez-vous ? » [31], cette posture de l’amateur va jusqu’à inclure une pratique musicale marginale chez l’amateur de musique courant, qui est la composition :
Maupomé – Une question que je voulais vous poser depuis longtemps : la composition musicale, vous l’avez abandonnée ?
Barthes – Ah, abandonnée ! Je ne l’ai jamais abordée.
– Si, si, dans Barthes par lui-même il y a une photographie d’un poème de Charles d’Orléans [32]…
– … que j’avais mis en musique [33].
La visée de Barthes dans cet entretien est de dévoiler la dimension de plaisir du travail intellectuel, de réformer l’image qu’on peut se faire de lui comme intellectuel de métier au profit de l’amateur, qui écoute de la musique en travaillant, et peut même à l’occasion en composer pour son plaisir personnel.
À cette posture de l’amateur, l’entretien de 1978 avec Jean Montalbetti ajoute le modèle proustien qui anime en sous-main, depuis le début des années 1970 au moins, l’imaginaire de Barthes à la recherche de son identité non plus d’intellectuel, mais d’écrivain. L’émission, diffusée en trois parties, les 20 et 27 octobre et le 3 novembre 1978, fait partie de la série Un homme, une ville, produite par Montalbetti pour France Culture. Le journaliste se promène en compagnie de Barthes dans les lieux marqués par la mémoire proustienne : le quadrilatère du Faubourg St Honoré, de la Madeleine jusqu’à l’hôtel Ritz (1) ; Illiers-Combray – avec en fin d’émission une longue étape à la BnF pour examiner les carnets de Proust (2) ; les Champs-Élysées et le Bois de Boulogne, sur les traces de la duchesse de Guermantes et d’Odette Swann (3). Les titres choisis pour les trois rendez-vous de cette émission sont autant de pastiches de l’œuvre proustienne : À la recherche du Faubourg, Du côté de Combray, À l’ombre des jardins et des bois. Comme le rappelle Barthes, les deux promeneurs parcourent un chemin « narratif » qui suit les lieux de la vie de Proust.
Claude Coste constate très bien qu’ici, « bien loin des illusions du transistor, la radio propose enfin une autre forme d’écriture indirecte [34] ». Le ton est beaucoup plus filé et pareil à la voix que l’on écoute dans les cours de Barthes : une sorte d’écriture « parlée » dans l’interlocution avec les autres. Comme il le confesse à Montalbetti dans la troisième émission – qui sera le dernier entretien de Barthes diffusé à la radio – la promenade radiophonique est l’occasion de régler « un vieux compte » avec Proust, avec l’œuvre qui accompagne sa vie : « Quand nous arrivent des choses personnelles, à tout instant nous retrouvons une espèce de déjà-vu dans Proust […] dans une extrême fraternité [35]. » Proust est bien du côté de l’amateur, non du travailleur : Barthes critique, on le sait, n’a consacré que trois petits articles à Proust [36].
Parler de Proust signifie de surcroît un engagement particulier pour Barthes amateur. Dans ce dernier entretien, un désir ultime apparaît : écrire comme Proust, et non sur lui. Pour cela, il faut s’identifier à Proust :
Barthes – Je crois qu’il y a un moment où on n’a plus envie d’écrire sur Proust, mais on a envie d’écrire… comme Proust. Non pas pour se comparer à lui – ce serait bien prétentieux. Voyez-vous Proust c’est un écrivain… pour moi il n’est pas question de se comparer à lui si on écrit, mais… il est parfaitement question, il est parfaitement légitime de s’identifier à lui. Je crois qu’il faut faire la différence. On ne se compara pas à lui mais on s’identifie à lui. Il a un pouvoir d’identification très grand. Par conséquent, on pourrait très bien concevoir… d’accepter, par exemple, de réécrire quelque chose qui ressemblerait à La Recherche du temps perdu […].
Montalbetti – Et vous proposez de… d’en donner une nouvelle version ?
– Non, disons que c’est un rêve, mais c’est un rêve très nourrissant, vous savez, qui fait très plaisir et qui… peut justement alimenter une sorte d’énergie de travail, comme ça. Peu importe l’échec au fond [37].
Le rêve de l’identification, c’est un trait classique plus que romantique. Là où, tout en endossant des rôles sociaux en nombre limité (comme l’a montré José-Luis Diaz), l’écrivain romantique veut être original [38], Barthes rend à l’imitation son importance non seulement comme processus de création, mais aussi comme processus de construction de son image publique. La posture de Barthes écrivain, mais aussi de Barthes au micro dans son dernier entretien, ce serait la posture de Proust. Posture d’une importance personnelle essentielle dans les moments de doute sur sa capacité à écrire, et le changement de son style d’écriture durant les années 1970. L’identification publique à Proust à l’occasion de cette émission en trois volets, prépare Barthes au projet d’écrire un roman intitulé Vita Nova [39]. Si l’entretien radiophonique participe chez Barthes aux problématiques soulevées dans son œuvre écrite, on peut voir avec ce projet de roman le lieu où oral et écriture se montrent incompatibles. Tout se passe en effet comme si l’identification proustienne poussait Barthes trop loin de son imaginaire privé constitué ; comme si elle le poussait à orienter son expression littéraire dans une direction que l’entretien oral « romanesque » ne pouvait pas accueillir. La direction du roman proustien, c’est-à-dire aussi du genre romanesque.
4. Conclusion
Dans les années 1970, l’œuvre et la pensée de Barthes s’ouvrent à l’invention d’une posture romanesque qui, à la radio emprunte la voie de l’entretien subjectif opposée à l’interview d’idée, en même temps que son image d’intellectuel de métier, théoricien, professeur, etc., sérieux et savant, compose avec celle de l’amateur. L’interrogation de l’auteur sur les usages possibles de l’interview et de l’entretien émerge au début des années 1970. Elle concerne les ressources comme les limites des formes dialogiques à la radio, en relation surtout aux problèmes posés par la parole en direct et sa transcription (scription). Un peu plus tard, dans l’autoportrait de 1976, Barthes emploie sa voix comme moyen de créer une forme autofictionnelle d’entretien à la radio et comme illustration du processus de devenir de la parole « romanesque ». Dans ce genre d’entretien, la posture de l’amateur joue un rôle essentiel pour l’expression du je imaginaire, comme l’on a vu dans ses échanges sur la musique, car elle permet une sortie franche de la posture de l’intellectuel de métier, face à laquelle elle suscite celle de l’écrivain, qui écrit avec son imaginaire et son corps. Finalement, l’identification à Proust, d’abord cachée puis avouée, agit comme une déclaration d’un désir de roman. Elle n’apparaît cependant parfaitement lisible qu’après coup, posthumément si l’on peut dire, si on la considère comme l’annonce d’un Barthes romancier à venir. On peut avancer que ce Barthes romancier est en quelque sorte un « produit dérivé », non seulement du Roland Barthes par Roland Barthes, mais de sa conception et de sa pratique de l’entretien « romanesque ».
Notes
[1] Roland Barthes, Le Grain de la voix : entretiens, 1962-1980, Paris, Seuil, « Essais », 1981.
[2] Thierry Leguay, « Roland Barthes : Bibliographie générale (textes et voix), 1942-1981 », Communications, n° 36, 1982, p. 131-173.
[3] Roland Barthes, Œuvres complètes, sous la direction d’Éric Marty, 5 vol., Paris, Seuil, 2002.
[4] Pour les références complètes des entretiens cités ici, voir la liste mise à jour sur https ://sites.google.com/view/guidomattiagallerani/projects et, avec des tableaux explicatifs, dans Guido Mattia Gallerani, « The Faint Smiles of Postures : Roland Barthes’s Broadcast Interviews », Barthes Studies, n° 3, 2017, en ligne sur http ://sites.cardiff.ac.uk/barthes/
[5] Cette ventilation ne comprend pas 13 entretiens à la radio, que je n’ai pas pu écouter dans les archives de l’Ina ou dont une transcription n’est pas disponible : une émission sur les graffitis et « Tout dire et se comprendre » (1962), « Recherche de notre temps » (1964), « Les Idées et l’Histoire » et « Les Matinées de France Culture » (1970), « Proust et les écrivains d’aujourd’hui » (1971), « Les Après-midi de France Culture » (1974), « Journal inattendu » (1974), « L’antenne est à R. B. » (1974), « Voix de la langue : Charles Panzéra » (1977), « La musique et l’amour » (1977), « Hommage à Roman Jakobson » (1978), « Les mythes de l’écriture » (1978). Il reste des traces bibliographiques de ces entretiens dans d’autres archives ou des mentions dans des études. L’existence de quelques-uns reste ouverte à la discussion (il pourrait aussi s’agir de duplicatas erronés d’entretiens dont l’existence est certaine).
[6] Avec notamment cette réflexion : « Le rôle de la conversation – même radiophonique – est d’épuiser à la fois les possibilités et les impossibilités d’explication de l’auteur » (Roland Barthes, « R.B. interroge Renaud Camus sur Passage » (1975), dans Œuvres complètes, op. cit., t. 4, p. 407).
[7] Dans cet article, par commodité, « entretien » et « interview » seront employés indifféremment même si une différence de genre a pu être établie (Philippe Lejeune, « La voix de son maître : l’entretien radiophonique », dans Je est un autre, Paris, Seuil, « Poétique », 1980, p. 103-160 ; Gérard Genette, Seuils [1987], Paris, Seuil, « Essais », 2002, p. 361-367). Cependant, en plusieurs endroits et suite à ce propos introductif, « interview » désignera l’interview d’idée, « entretien » l’entretien personnel, dont Barthes défend la portée « romanesque ».
[8] Id., « Tribune des critiques », entretien avec Pierre Barbier, Luc Estang et Stanislas Fumet, France Culture, 20 avril 1970. Archives de l’Ina. La transcription adoptée ici pour les extraits d’entretien radiophonique n’est pas technique, mais répond au souci de lisibilité des contenus.
[9] Id., « Réponses » (1971), dans Œuvres complètes, op. cit., t. 3, p. 1023-1044. Il s’agit à l’origine d’un entretien filmé, enregistré les 23 et 24 novembre 1970 et le 14 mai 1971.
[10] Ibid., p. 1023.
[11] Cette posture dans les entretiens correspondra donc à la figure autobiographique que Barthes dessine dans ses essais des années 1970, notamment dans Roland Barthes par Roland Barthes.
[12] Roland Barthes, « Réponses », op. cit., p. 1042-1043.
[13] Id., entretien avec Roger Vrigny, La Matinée littéraire, séquence « L’Invité de la semaine », France Culture, 13 janvier 1972. Archives de l’Ina.
[14] Id., « Où va la littérature ? », entretien avec Roger Pillaudin et Maurice Nadeau, France Culture, 13 mai 1973. Archives de l’Ina.
[15] Roland Barthes, « Où / ou va la littérature ? », transcription de l’entretien avec Roger Pillaudin et Maurice Nadeau, dans Œuvres complètes, op. cit., t. 4, p. 560. Texte publié originairement dans Roger Pillaudin (dir.), Écrire… pour quoi ? pour qui ?, Presses Universitaires de Grenoble, « Dialogues de France-Culture », 1974. Écrire… pour quoi ? pour qui ?
[16] Rober Pillaudin (dir.), Quelle crise ? Quelle société ?, Presses universitaires de Grenoble, « Dialogues de France-Culture », 1974.
[17] Roland Barthes, « De la parole à l’écriture » (1974), dans Œuvres complètes, op. cit., t. 4, p. 537-541.
[18] Id., « Une sorte de travail manuel » (1977), dans Œuvres complètes, op. cit., t. 5, p. 392-393.
[19] Id., « Le Métier d’écrire », entretien avec Jean-Marie Benoist et Bernard-Henri Lévy, France Culture, 22 février 1977. Archives de l’Ina.
[20] Id., « L’Invité du lundi », entretien avec Michel Gonzales, André Mathieu, Martine Cadieu, Jacqueline Rousseau Dujardin, Jean Montalbetti et des étudiant(e)s de Barthes, France Culture, 8 mars 1976. Archives de l’Ina.
[21] Ibidem.
[22] Ibidem.
[23] Dans l’autoportrait, il y a plusieurs références à l’art vocale du baryton suisse Charles Panzéra, à la fois comme modèle de diction et pour le plaisir donné par sa voix : « Tout l’art de Panzéra […] était dans les lettres, non dans le soufflet (simple trait technique : on ne l’entendait pas respirer, mais seulement découper la phrase » (Id., « Le Grain de la voix » [1972], dans Œuvres complètes, t. 3, op. cit., p. 151).
[24] Pour la troisième partie de l’émission, Jean Montalbetti a préparé un dossier, mais Barthes demande explicitement – rappelle Montalbetti lors de la directe – que cette partie se fasse avec ses étudiants du séminaire à l’EPHE (Evelyne Bachelier, Jean-Louis Bachelier, Jean-Louis Bouttes, Antoine Compagnon, Roland Havas, Romaric Sulger-Büel) et une « voix » extérieure (la psychanalyste Jacqueline Rousseau Dujardin).
[25] Id., « L’Invité du lundi », op. cit.
[26] Roland Barthes par Roland Barthes (1975), dans Œuvres complètes, t. 4, op. cit., p. 577.
[27] « Il faut qu’à France Musique on juge secrètement la « bonne musique » bien ennuyeuse pour qu’on s’ingénie tellement à morceler les œuvres, les programmes, à les agrémenter de plaisanteries et de familiarités (qui n’excluent pas les banalités), à limiter, semble-t-il, ce morceau de plaisir simple qu’on appelait autrefois le concert » (Id., « La Chronique » [1979], dans Œuvres complètes, t. 5, op. cit., p. 650-651).
[28] Maupomé se réfère aux critiques de Lévi-Strauss pendant la séance du « Concert égoïste » diffusée le 20 juin 1976, où la partie parlée, concentrée en deux phases de conversation de quelques minutes sur environ deux heures d’enregistrement, est pourtant très limitée.
[29] Roland Barthes, « Le Concert égoïste », entretien avec Claude Maupomé, France Musique, 15 janvier 1978. Archives de l’Ina.
[30] Sur l’amateur comme artiste contre-bourgeois, en lien à la notion de neutre chez Barthes, voir Adrien Chassain, « Roland Barthes : les pratiques et les valeurs de l’amateur », Fabula-LhT, n° 15, 2015, en ligne sur http ://www.fabula.org/lht/15/chassain.html
[31] Barthes est le premier invité de cette célèbre série créée par Claude Maupomé à France Musique, qui comptera 545 émissions à sa clôture en 1990. L’entretien explore le rapport de l’auteur à son musicien préféré, Robert Schumann.
[32] Voir Roland Barthes par Roland Barthes, op. cit., p. 636.
[33] Roland Barthes, « Comment l’entendez-vous ? », France Musique, 21 octobre 1978. Archives de l’Ina.
[34] Claude Coste, « Le Proust radiophonique de Roland Barthes » [2002], dans Roland Barthes ou l’art du détour, Paris, Hermann Éditeurs, « Savoir lettres », 2017, p. 113-133.
[35] Roland Barthes, « À l’ombre des jardins et des bois », dans Sur les traces de Marcel Proust, entretiens avec Jean Montalbetti, France Culture, 3 novembre 1978. Archives de l’Ina.
[36] Id., « Proust et les noms » [1967], dans Œuvres complètes, t. 3, op. cit., p. 66-77 ; « Une idée de recherche » [1971], dans Œuvres complètes, t. 3, op. cit., p. 917-921 ; « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » [1978], dans Œuvres complètes, t. 5, op. cit., p. 459-470.
[37] Id., « À l’ombre des jardins et des bois », op. cit.
[38] José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, 2007.
[39] Roland Barthes, « Vita Nova » [1979], dans Œuvres complètes, t. 5, op. cit., p. 1007-1018. Voir Guido Mattia Gallerani, Roland Barthes e la tentazione del romanzo, Milano, Morellini, « Tracciati », 2013.
Auteur
Guido Mattia Gallerani est actuellement chercheur postdoctoral en littératures comparées à l’Université de Bologne, où il conduit un projet sur l’hybridation littéraire et l’interview fictionnelle. Il est aussi chargé de cours en langue, civilisation et littérature italiennes aux programmes américains en Italie. Comme chercheur postdoctoral de la Ville de Paris (2015), il a conduit un projet sur les entretiens de Roland Barthes à l’Institut de textes et manuscrits modernes (ENS/CNRS).
Copyright
Tous droits réservés.