Les radios de Philippe Soupault

Soupault vaudeville

Pierre-Marie Héron
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Plan

Résumé

Partant du constat que Soupault, auteur d’un essai sur Labiche, admirait en lui l’auteur de comédies de caractère (le plus grand après Molière…) plus que le vaudevilliste, l’article interroge la référence explicite au vaudeville dans deux pièces radiodiffusées de Soupault, La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». L’examen de la série Le Théâtre où l’on s’amuse produite par Soupault et Chouquet de 1953 à 1956 et des émissions du poète sur Labiche d’une part, du choix du médium radiophonique pour la diffusion de ces deux pièces d’autre part, encadre cette analyse.

 Focusing on the fact that Soupault, author of an essay on Labiche, admired him as the author of character comedies (the greatest after Molière…) more than the writer of vaudeville, the article questions the explicit reference to vaudeville in two radio plays , La Fille qui faisait des miracles [The Girl who performed Miracles], “vaudeville in four acts and a prologue” (1951) and La Maison du Bon repos [The House of Good Rest] (1976), “tragi-vaudeville in five acts and a prologue”. A first part is devoted to a review of the series Le Théâtre où l’on s’amuse [Theatre to have fun] produced by Soupault and Chouquet from 1953 to 1956, and of the poet’s programs on Labiche. The last part comments on the choice of the radio medium for the creation of the two plays.

Texte intégral

Cet article aurait pu s’intituler « Soupault et Labiche », car son point de départ est bien la relation du poète surréaliste au célèbre vaudevilliste du XIXe siècle, qu’il a considéré à partir de 1942 comme le plus grand auteur comique français après Molière. Mais en réalité, si Soupault tenait Labiche en si haute estime c’est moins comme auteur de vaudevilles, genre facile, léger, agréable mais superficiel – et produit phare de l’industrie du théâtre au XIXe siècle ‒ que comme auteur de véritables comédies de caractère, et profond observateur de la société bourgeoise du Second Empire [1]– d’où vient la famille de Soupault [2]. Il y revient souvent dans son essai sur Labiche rédigé en 1942-1943 [3], d’abord publié en 1945 puis, dans un texte refondu et nuancé, en 1964 : « […] Labiche n’était pas seulement un habile vaudevilliste mais un créateur de caractères [4] » ; « Il n’a jamais cédé à la tentation, comme le faisaient les boulevardiers […], de briller aux dépens du caractère de ses personnages [5] ». Le vaudevilliste, écrit Soupault, est un « fabricant de farces [6] » qui ne recule devant aucun artifice, aucune invraisemblance, aucune outrance pour faire rire, tandis que l’auteur comique est un observateur du genre humain qui fait rire en montrant l’homme (le bourgeois dans le cas de Labiche) tel qu’il est, au naturel. L’un est un farceur ; l’autre un auteur sérieux. En bref, Labiche, tout en étant un vaudevilliste de talent, a échappé aux lois du genre en suivant une vocation qui s’inscrit d’ailleurs dans les sous-titres de ses 160 pièces connues : à la vingtaine de vaudevilles composées jusqu’en 1859 succèdent des comédies-vaudevilles (environ 70) et comédies « mêlées de chants » ou « de couplets » (une vingtaine) d’une part, jusqu’en 1861, d’autre part des comédies tout court, « intitulé exclusif de son œuvre à partir de 1870 jusqu’à la fin (1877) [7] ». Tout l’essai de Soupault construit et peut-être même durcit une opposition entre vaudeville et comédie qui nous empêche à notre tour de parler de Labiche comme d’un simple vaudevilliste. Or Soupault de son côté a délibérément choisi le terme de vaudeville pour caractériser deux de ses pièces radiodiffusées après la guerre, plus exactement la première et l’avant-dernière : La Fille qui faisait des miracles, « vaudeville en quatre actes et un prologue » (1951) et La Maison du Bon repos (1976), initialement sous-titré « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue [8] ». Que signifie cet attachement au genre ou au terme du vaudeville, non seulement dans l’élan de l’essai sur Labiche après la guerre, mais encore vingt-cinq ans plus tard ? Nous pointerons d’abord, sans trop insister sur la distinction comédie / vaudeville, l’implication de Soupault homme de radio en faveur d’un « théâtre où l’on s’amuse », avant d’interroger la référence au vaudeville dans les deux pièces citées et pour finir le choix du médium radiophonique.

1. Soupault entre comédies et vaudevilles

1.1. Le théâtre où l’on s’amuse

Le théâtre où l’on s’amuse est le titre d’une série produite par Soupault et Jean Chouquet au milieu des années cinquante durant trois saisons, de novembre 1953 à mai 1956 [9], conservées quasiment au complet par l’Ina (32 émissions sur 34). L’émission est programmée la première année sur la Chaîne parisienne, la chaîne grand public, à raison de deux fois par mois (dans la première quinzaine). Elle est diffusée les deux années suivantes sur la Chaîne nationale, réputée plus sérieuse et culturelle, à un rythme mensuel. Un petit dialogue-préface entre les deux producteurs et un de leurs acteurs indique au début de la première émission l’intérêt et l’ambition de la série : les théâtres ont du mal à trouver des pièces comiques, qui pourtant abondent dans le répertoire ; les deux producteurs se font fort d’en proposer très régulièrement aux auditeurs, françaises ou étrangères, sans négliger les auteurs vivants ; tout ce qu’ils souhaitent, c’est de leur faire passer un bon moment assis chez eux dans leur fauteuil, comme s’ils étaient au théâtre. L’esprit de l’émission est donc simple et les producteurs s’y tiendront, en fuyant aussi le genre sérieux dans les quelques préfaces ajoutées ici et là aux pièces, toutes traitées à la manière d’un petit sketch dialogué, vivant et léger [10].

Dans ce répertoire, les grands noms du vaudeville et du boulevard ont la part belle : Labiche, Feydeau, Courteline, Henry Becque ; Meilhac et Halévy, Tristan Bernard, Marcel Achard, Sacha Guitry, André Roussin et, pour les étrangers, Bernard Shaw. Quelques auteurs comiques célèbres font leur entrée dans la série dès les débuts avec Molière et Gogol, mais les producteurs privilégient le genre farce sur la haute comédie : de Molière ils donnent Georges Dandin, et de Gogol un vaudeville (adapté par Soupault), Le Mariage. De Shakespeare une comédie gaie et une farce, dans des adaptations de Soupault : Comment on dresse une garce (13 mars 1954, d’après La Mégère apprivoisée) et Les jeunes commères de Windsor, farce en cinq actes (1er juin 1955). Même sélection du genre gai quand la deuxième année, passant sur la Chaine nationale, ils puisent dans l’œuvre de Vigny, qu’on n’attendait pas là, et de Musset (Quitte pour la peur et Il ne faut jurer de rien[11]. La dernière émission de la série avant l’été 1956 semble donner le ton de cette entreprise de divertissement : l’hilarant Ubu roi d’Alfred Jarry (5 mai 1956). Mais plutôt qu’une farce ou un vaudeville, c’est une comédie que Soupault choisit pour prendre congé des auditeurs dans l’ultime émission, en septembre : Rendez-vous à Senlis de Jean Anouilh, « pièce rose » mêlant au comique une note d’amertume, comme en réaction à l’arrêt inopiné de la série au seuil d’une nouvelle année, arrêt visiblement imposé aux deux producteurs [12].

Ce balancement final de Jarry à Jean Anouilh indique bien l’éventail des rires proposés dans ce « théâtre où l’on s’amuse », mais redisons quand même l’avantage numérique donné aux pièces de boulevard… à l’exception de Labiche : dans son cas précisément, Soupault s’est attaché à donner la priorité à l’auteur de comédies, avec trois émissions, sur l’auteur de vaudevilles (une émission) [13].

1.2. Le « moment Labiche »

Labiche est, avec Le Misanthrope et l’Auvergnat, le premier auteur dramatique adapté à la radio par Soupault. L’adaptation de cette comédie-vaudeville en un acte passe dans le cadre des Soirées de Paris (Chaîne nationale) en septembre 1953, soit deux mois donc avant le démarrage du Théâtre où l’on s’amuse. Les auditeurs de cette série assez éclectique ne pouvaient guère imaginer la place occupée par Labiche dans le palmarès de Soupault, même si, le soir de Moi (4 décembre 1954), la préface dialoguée plaidait déjà pour une réhabilitation de son génie comique. Quelques années plus tard en revanche, Soupault semble être devenu à la radio française celui qu’on vient chercher et qu’on interviewe dès qu’il est question de Labiche. Entre 1960 et 1964 notamment, il n’arrête pas d’en parler. C’est son grand « moment Labiche ». Le point de départ est une série de douze émissions conçue par lui sous le titre « Situation de Labiche en 1960 » [14] et diffusée tous les vendredis du 25 novembre 1960 au 10 février 1961 dans la très sérieuse Heure de culture française de la Chaîne nationale [15]. La série repasse deux fois telle quelle (sous un titre un peu modifié quand même), toujours dans la collection Heure de culture française, d’abord de novembre 1963 à février 1964, puis de juillet à septembre 1964 [16], soit avant et après la sortie en février 1964 de l’édition revue et augmentée de son essai de 1945 sur Labiche [17], à laquelle la série radiophonique a du reste servi de matrice. Autour de cette série et de ses rediffusions, on a aussi des interviews, des préfaces parlées à des radiodiffusions de pièces de Labiche assurées par d’autres producteurs.

Le côté surprenant de la série est que Soupault… s’y prend au sérieux, lui qui a le sérieux en horreur ! Sous prétexte de parler de l’actualité du théâtre de Labiche, le poète parcourt de façon assez monotone sa vie et son œuvre, en suivant un fil chronologique. L’exercice, qui relève de la causerie pure, sans audition d’extraits de pièces, est aussi appelé entretien, plutôt que conversation par exemple, et même une fois exposé [18], par les speakers chargés des annonces et désannonces, ce qui est révélateur du manque de légèreté et de liberté de ton de Soupault par rapport aux genres de la parole enseignante. De surcroît, sans doute parce qu’il se sait mauvais conférencier, il lit son texte, et plutôt mal (trébuchements, fréquentes déglutitions), ce qui paraît incroyable chez un homme de radio de son expérience, si soucieux par ailleurs d’innover dans ses émissions de variétés (théâtre, poésie). Du ton adopté au choix de la chaîne et du programme accueillant les douze émissions, l’Heure de culture française, tout se passe en réalité comme si le poète avait changé de cible par rapport à la série Le Théâtre où l’on s’amuse : cette fois il ne veut plus distraire le grand public, mais plutôt convaincre le public cultivé de la grandeur méconnue du génie de Labiche, que la Comédie-Française remet de son côté à l’honneur durant ces années. Reste à savoir si cette entreprise de réhabilitation, qui est un de ses chevaux de bataille favoris, devait nécessairement se faire dans le style critique le plus académique, sur la chaîne la plus culturelle et dans une des émissions les plus sérieuses de la chaîne… Pour reprendre une des expressions favorites du poète, il n’a pas voulu « faire le malin », et c’est dommage.

Il existe cependant une version enrichie de la série, diffusée du 3 mars au 19 mai 1963 sur France 4-Haute Fidélité (rebaptisé France Musique en décembre suivant) sous le titre « Théâtre de Labiche » : dans cette version, les causeries de Soupault sont complétées par l’audition de scènes spécialement interprétées pour l’émission. Certes, il y a parfois un rapport assez lâche entre le sujet d’une émission et les scènes de Labiche qui la complètent. Certes, Soupault laisse à la speakerine le soin d’annoncer les extraits des pièces et n’ajoute rien à son texte de 1960 pour les introduire ou mettre en perspective. Mais la série a au moins le mérite de produire une anthologie de textes, dont le choix revient sans doute à Soupault et qui nous renseigne à la fois sur la perception qu’il a de Labiche au début des années soixante et sur celle qu’il voudrait faire passer [19]. Disons en résumé que, conformément à l’orientation des causeries, ce corpus Labiche privilégie les grandes années de l’auteur (les années 1850 et surtout 1860) et ses grands succès, en équilibrant les goûts du public et les siens (concession : La grammaire, best-seller des patronages) [20], mais en restant dans le genre de la comédie ou de la comédie-vaudeville plus que du vaudeville pur, à l’exception du Voyage de M. Perrichon, qui, tout en étant sous-titré comédie, est pour Soupault le vaudeville par excellence de Labiche et même la réalisation exemplaire du genre, « le vaudeville du vaudeville ». La quatrième émission (21 avril 1963) justifie ce choix en parlant de Labiche comme d’un auteur inégal, poussé par le goût du jour à travestir des caractères en personnages de vaudeville (« confusion regrettable ») et en invitant à préférer les pièces où se manifeste l’« observateur attentif » aux « pièces en un acte », aux « farces » et aux « pochades » de l’auteur.

2. Le vaudeville : oui et non

2.1. L’attrait du vaudeville

Il y a quelque chose d’étonnant dans cette insistance de Soupault à vouloir sauver Labiche de ses vaudevilles par ses comédies, et l’amuseur par le peintre cruel de la société bourgeoise de son époque. Parallèlement en effet, lui-même cède à l’attraction du vaudeville, au point de vouloir absolument inscrire le mot en sous-titre de sa première pièce radiodiffusée après la guerre, La Fille qui faisait des miracles. Le mot est présent dès le premier jet de la pièce, en trois actes, commencé à l’université de Pennsylvanie où Soupault est Visiting Professor en 1944-1945 [21]. Peu après, quand il veut revenir au théâtre c’est encore un vaudeville, Le Parasite, inspiré du roman de Dostoïevski Les habitants de Stepanchikov (1859), qu’il va présenter à son vieil ami Marcel Herrand, directeur du Théâtre des Mathurins, lequel l’accueille finalement en 1952 dans Les Lundis de Paris, la série qu’il produit sur Paris Inter [22]. Plus tard, en 1966, Soupault écrit pour la télévision un projet de vaudeville resté inédit, Le plus grand amour, réunissant entre autres un M. Percepied, pharmacien prospère, un M. Chantefort, contrôleur des contributions directes, un M. Tirelaine, « professeur à l’école de pharmacie, pédant » et un M. Tartempoil, « jeune homme invité comme cure dent ». Et l’enveloppe air mail sur lequel il inscrit au verso la première liste des personnages porte aussi le projet de dédicace suivant : « À la mémoire d’Eugène Labiche, son disciple en toute humilité » (ensuit réduit en : « À la mémoire d’Eugène Labiche ») [23]. En 1974, il consacre un texte au Sexe faible, le seul vaudeville de Flaubert, pour saluer son centenaire [24]. Et son avant-dernière pièce, La Maison du bon repos, sous-titrée « comédie » dans le recueil À vous de jouer !, est comme on l’a vu conçue comme un « tragi-vaudeville en cinq actes et un prologue ». La lettre au réalisateur qui l’accompagne la présente comme « une comédie qui est peut-être une farce » : en réalité, elle accompagnait la première ébauche de la pièce, conservée à l’IMEC, intitulée Risques et périls et carrément sous-titrée « farce radiophonique [25] ».

Il y a au fond chez Soupault, stimulé par sa relecture en prison du Théâtre complet de Labiche dont il devient un fervent « disciple », un goût évident du théâtre gai et divertissant, et toute sa difficulté semble avoir été de conserver une place dans sa propre création théâtrale à cette veine-là du théâtre pour rire, exemplairement incarnée dans le vaudeville ou la farce. Elle heurte en effet une autre de ses préoccupations, prédominante dans une pièce comme Rendez-vous (publiée en 1957, créée à la radio en 1960), qui est de donner à penser, de poser des questions, de faire réfléchir [26]. Mais les inédits de théâtre conservés à l’IMEC témoignent sans ambiguïté en faveur de ce Soupault vaudevilliste et plus généralement humoriste. On y trouve un vaudeville en trois tableaux, Charmant réveillon, écrit dans la pure tradition du genre ; une adaptation, sous le titre Encorneur, d’une comédie de mœurs anglaise en cinq actes de William Wycherley, The Country Wife (1675) [27], inspirée de diverses pièces de Molière ; cinq saynètes de deux ou trois pages tout à fait dans l’esprit loufoque, nonsense et absurde d’un Tardieu, d’un Ionesco ou d’un André Frédérique, à qui deux d’entre elles sont dédiées : Medium, On ne vous a pas tout dit, Comment allez-vous ?, Qu’est-ce qu’il faut entendre, Toujours tout de même et Les bons comptes font les mauvais amis [28].

Il reste que ce corpus est demeuré inédit et que tout ce que Soupault a laissé jouer ou publier obéit aussi et parfois d’abord à son autre pulsion, qui est de faire réfléchir le public, à la manière d’un Pirandello, d’un Synge ou d’un Raymond Roussel dont il reconnaît les influences [29], et d’être par là un auteur sérieux : « Toutes mes pièces », dit-il à Serge Fauchereau, « proposent des interrogations. Je voulais que les spectateurs soient obligés (après avoir écouté mes pièces) de se poser des questions. Le contraire, somme toute, du théâtre pour les digestions d’après-dîner [30]. » La Fille qui faisait des miracles et La Maison du Bon repos représentent, au début et à la fin de sa carrière théâtrale, deux manières de concilier ces deux aspirations classiques à plaire et instruire à la fois.

2.2. Du théâtre poétique au théâtre de questions

La Fille qui faisait des miracles est un drôle de vaudeville [31].

Une jeune fille, Pâquerette, attire à elle divers fantoches intéressés par sa réputation de faire des miracles : un garçon d’hôtel, la dame pipi de l’hôtel, un journaliste, un ecclésiastique, un soi-disant médium, sans parler de son père qui s’accroche à elle comme un parasite. La pièce trouve son dénouement quand Pâquerette, fatiguée d’être prise pour ce qu’elle n’est pas (un médium pour l’un, une guérisseuse pour un autre, une sainte, une vedette, une sœur de charité, une bête curieuse, une pin-up… ou, pour son père, une source de revenus), décide de n’être aucun de ces personnages et de partir avec Julien le chauffeur de taxi, qui seul voit en elle une femme.

On peut identifier dans cette pièce deux ou trois éléments de vaudeville : le recours au procédé du quiproquo, présent dans les jeux de méprise qui s’enchaînent sans répit ; le caractère burlesque des principaux vis-à-vis de Pâquerette ; l’aspiration au calme du personnage principal, qui est selon Pierre Voltz « la caractéristique majeure du “genre Labiche” », dont « [l]es personnages n’ont qu’un souci : rester immobiles, se défendre, faire face [32] ». Mais on ne retrouve pas dans la pièce, sauf dans un épisode mineur (scène des téléphones à la réception de l’hôtel : on ne sait plus où donner de la tête), l’extraordinaire vivacité de rythme elle aussi caractéristique du genre Labiche, avec ces moments d’emballement ou d’affolement [33]. Les dialogues ou sorties des personnages secondaires font sourire, mais presque jamais ceux qui impliquent Pâquerette. Soupault, qui n’aime pas faire de l’esprit, n’exploite pas non plus le comique possible des situations de quiproquo. Il semble même prendre bien soin de repousser au second plan le topos de la fille à marier, pris ici à rebours (le père ne veut pas se séparer de sa fille, qui est son gagne-pain), comme pour mieux le faire surgir à la fin, dans sa fragile fraîcheur, en écho peut-être aux figures insolites, énigmatiques, merveilleuses, de l’amour fou surréaliste (Nadja de Breton), mais aussi au théâtre de son ami Jean Giraudoux (le type de la jeune fille [34]).

Car la véritable ambition de Soupault avec cette pièce n’est pas encore de poser des questions (même si les dialogues avec Pâquerette, trop longs et sérieux, tirent dans ce sens et cassent le rythme), mais de « projeter sur la scène l’atmosphère de la poésie [35] », comme c’était l’ambition de plusieurs poètes surréalistes de ses amis dans les années vingt (Roger Vitrac, Georges Neveux…) ; cette atmosphère de légèreté, de rêve qu’il trouve dans une pièce de Tzara comme Mouchoir de nuages [36] et retrouve dans le théâtre de Giraudoux. Avec Pâquerette, Soupault met en effet au centre de son espèce de vaudeville un personnage auréolé de grâce, là où Labiche construit, avec ses types les plus réussis (Perrichon, Célimare, Chambourcy), des personnages « auréolés de comique [37] ». Ainsi, la marque du vaudeville n’est là que pour souligner et mieux faire émerger, par contraste, la merveille de grâce, de fraîcheur et d’insolite du personnage central.

Dans La Maison du bon repos en revanche, vingt-cinq ans plus tard, la préoccupation d’un théâtre poétique a complètement disparu. La pièce s’inscrit très nettement dans la suite des pièces « à questions » qui la précèdent : Rendez-vous (1960, un acte), d’atmosphère très beckettienne, mise en ondes par l’excellent Alain Trutat (un des plus grands), Alibis (1973) et Le Sixième coup de minuit (1973), deux pièces en un acte d’allure policière. Les trois pièces traitent de l’au-delà, du jugement dernier, des comptes à rendre sur la vie qu’on a menée. La première a encore quelque chose de drôle mais les deux autres plus du tout. Toutes les trois relèvent d’un « théâtre de l’étrange » (pour reprendre le titre de la série sur France Inter qui diffuse Alibis) plus que de ce théâtre de l’absurde « illustré et exalté par Beckett et Ionesco [38] ». Avec La Maison du bon repos, diffusé sur France Culture dans la série Comédie française, Soupault change de formule et tente un mélange de l’étrange et du farcesque pour traiter du problème du génie et de la folie, plus généralement de la personnalité : « Qui sommes-nous ? Que sont nos amis, nos voisins et même nos parents ? »

Deux étudiants fuyant l’orage frappent à la porte d’une maison isolée qui s’avère être, ils l’apprennent à la fin, une maison de fous. En l’absence du vrai médecin, tous les personnages se livrent à leur manie, se prennent pour le personnage de leur rêve, y compris deux des infirmiers qui, après avoir enfermé les deux autres, jouent au médecin. Les deux étudiants sont donc admis « à leurs risques et périls », répète avec une inquiétante insistance l’infirmier sinistre et autoritaire qui leur ouvre la porte, qui se présente à eux comme le médecin de la maison et qui très vite va décréter que l’un d’eux doit être opéré de l’appendicite et l’autre soigné pour alcoolisme. L’atmosphère est à la fois inquiétante et drôle : l’insistance maniaque des faux médecins à opérer les deux étudiants, la panoplie de fantoches (Soupault parle de « caricatures » dans la lettre-préface), les dialogues de sourds absurdes… Si le comique des portes qui claquent, des courses-poursuites et des placards où l’on se cache n’est pas exploité, Soupault fait une place nouvelle au comique de répétition, procédé qu’il jugeait facile dans son essai sur Labiche. Mais le ressort vaudevillesque par excellence reste en ce qui le concerne celui des quiproquos, comme dans La Fille qui faisait des miracles. La Maison du bon repos, le quiproquo des identités lui permet, en jouant sur les deux tableaux du rire et de l’angoisse (c’est un « tragi-vaudeville ») de mettre au centre de la pièce, non plus un personnage, mais une question, qui semble à la fin n’épargner personne, étudiants et vrai médecin compris. On sort de la pièce moins diverti qu’inquiété, songeur [39].

3. Le choix du medium radio : un choix par défaut ?

3.1. Un faible intérêt pour l’écriture sonore

Les deux vaudevilles évoqués sont-ils des pièces radiophoniques ? C’est la question qu’on peut se poser pour terminer.

La réponse est claire pour La Fille qui faisait des miracles : il s’agit en réalité d’une pièce écrite pour le théâtre et non pour la radio, et radiodiffusée faute de pouvoir être montée sur une scène. L’adaptation au medium est doublement négligée : d’une part la dactylographie établie pour la mise en ondes, qui évoque encore à quelques endroits un improbable « rideau de scène », conserve un grand nombre d’indications visuelles impossibles à faire passer au micro. D’autre part la réalisation de 1951, pourtant due à Jean-Wilfrid Garrett, l’inventeur de la stéréophonie, néglige complètement l’espace sonore (plans, bruitages de mouvements et autres bruitages), de sorte que l’auditeur entend une succession de dialogues entre des voix situées presque toujours sur le même plan, sans aucune suggestion d’entrée, de sortie, de mouvement des personnages, ce qui est un comble pour un vaudeville. Par ailleurs deux récitants, dont un appelé « l’auteur » dans la dactylographie, ont la charge de raconter ce que ni l’auteur ni le réalisateur n’ont pris la peine de transformer en didascalies internes ou en éléments sonores compréhensibles à l’oreille.

La pièce a donc emporté l’adhésion [40] malgré ses défaillances évidentes de technique radiophonique. Nous n’avons pu écouter la nouvelle mise en ondes de la pièce par Jacques Reynier en 1977 [41], avec Ludmila Mikaël, appréciée de l’auteur, mais la comparaison des versions de 1951 et de 1977 (celle publiée dans À vous de jouer !) montre tout le travail d’amélioration effectué par Soupault en collaboration avec son réalisateur, notamment dans le sens d’une réduction des dialogues et des didascalies (texte du récitant), ainsi que d’une oralisation des dialogues. La réalisation de 1992 [42], par Anne Lemaître, est quant à elle une merveille de légèreté et d’espace sonore (bruitages judicieux, netteté des sons, mise en espace des voix, qui viennent de devant, de derrière, de droite, de gauche ; un seul récitant).

Il en va différemment dans La Maison du bon repos (1976), pièce d’emblée conçue pour la radio et dans le souci de l’écriture sonore, plus spécialement des bruitages et du jeu des voix. C’est la première fois que Soupault écrit, avec plaisir d’ailleurs, pour le micro et non pour la scène (il était temps !). Mais on est stupéfait de lire, dans la lettre-préface à son premier réalisateur Jacques Reynier, qu’il semble aussi avoir attendu de travailler avec lui (à partir de 1964, pour des émissions de la Comédie-Française) pour découvrir la réalité du travail de metteur en ondes :

Vous m’avez permis d’assister à des séances de mixage. Quel drôle de mot ! Et au cours de ces séances j’ai remarqué que si le texte d’une pièce avait son importance, il était nécessaire d’accorder, comme dans la vie quotidienne, aux bruits et aux sons une présence. J’ai donc en écrivant cette pièce, essayé de donner un rôle à ce que vous appelez le bruitage (reconstitution artificielle, comme l’affirment les dictionnaires, des bruits naturels qui doivent accompagner l’acteur) [43].

Ses efforts pour intégrer les particularités de l’écriture pour l’oreille semblent d’ailleurs avoir été un peu tâtonnants : la première ébauche déjà citée de la pièce, Risques et périls, affecte à chaque personnage un timbre de voix bien différencié, comme Soupault l’avait fait en 1942 dans Tous ensemble au bout du monde, à l’époque où la basse qualité des micros incitait certains dramaturges des ondes à travailler la typologie des voix. La version suivante (titre : La Maison du bon repos, surtitre : « 180 kms à l’heure ») [44] supprime ces indications mais propose encore un récitant, qui disparaît de la version finale. Bref, le métier n’est pas venu d’un coup, et la mise au point de la pièce a certainement bénéficié des conseils de son réalisateur Jacques Reynier, dont Soupault salue à la fois la science et l’érudition.

Reste dès lors la question de savoir pourquoi Soupault a tant tardé à écrire pour la radio, mais aussi pourquoi, s’il était si peu intéressé par les questions d’écriture propres au medium, il a fait jouer ses pièces de théâtre à la radio.

3.2. Posture de raté et désir de succès

Soupault avait l’habitude de dire que ses pièces n’avaient pas eu la chance de trouver leur metteur en scène ou leur théâtre, compte tenu du coût d’une telle entreprise et de la faible espérance de succès commercial qu’il pouvait en attendre. Un texte peut-être inédit de 1959, conservé à l’IMEC, revient longuement sur son goût très précoce du théâtre, ses premiers contacts avec le monde des coulisses, « l’esprit de compromis », voire « les bassesses indispensables » dont doit faire preuve un acteur ou un auteur qui a l’ambition de réussir dans ce domaine, les « échecs ou demi-échecs » d’un Roger Vitrac, d’un Georges Neveux dans les années vingt, abordant comme lui le théâtre en poètes : « Ces échecs ou demi-échecs (provisoires) m’apprenaient malheureusement pour moi ce que j’aurais dû deviner depuis longtemps que le théâtre en France est un commerce plus inquiétant encore que les autres et que pour y réussir il faut accepter toutes les servitudes commerciales [45]. » On pourrait voir dans ces propos une variation sur le thème du poète raté, posture qu’il n’a cessé de revendiquer au long de sa vie et encore dans l’entretien-préface du recueil Sans phrases publié en 1953, à l’époque donc de son retour au théâtre :

J’ai toujours été effrayé par le succès parce que j’en ai mesuré les conséquences. Le succès corrode comme l’acide – ou corrompt. Il y a une association pourriture-succès qu’on est bien obligé de dénoncer. Je crois aux ratés, aux vrais. Les deux poètes que j’admire le plus, Isidore Ducasse et Arthur Rimbaud, furent des ratés intégraux. »

Et il ajoutait : « Je sais que ce n’est pas facile d’être un raté, je sais que le succès est enivrant. […] Mais je hais le succès. […] je crois qu’il faut être délibérément un raté [46]. »

Tout cela est plausible, mais ne peut faire oublier les démarches tentées pour être joué sur scène : Soupault se tourne vers la radio parce que le théâtre ne veut pas de lui, non parce qu’il ne veut pas du théâtre. Il ne veut pas de ses « servitudes commerciales », mais cela ne l’empêche pas d’écrire avant la guerre une pièce pour Jouvet (Pacifique) ni de démarcher après la guerre quelques directeurs de théâtre, dont son ami Marcel Herrand, en s’appuyant sur quelques exemples de réussites inimaginables ou improbables à ses yeux, qui lui donnent espoir dans le contexte neuf de la Libération : celui de Giraudoux dans les années trente, celui d’Anouilh, qui lui paraît miraculeux, ceux plus tard de Beckett et de Ionesco, mérités mais partis sur des malentendus dit-il [47].

Peut-être a-t-on là aussi une raison pour laquelle Soupault a choisi de revenir au théâtre par des pièces comiques, et même d’adopter, pour sa première pièce d’auteur, le titre aguicheur de vaudeville. Tout en dévaluant l’intérêt du genre chez Labiche (comparé à la comédie de caractères où s’exprime son génie), n’aurait-il pas quant à lui misé quand même sur l’attraction de l’étiquette, la réputation de divertissement facile et « grand public » du genre ? Soupault n’a pas, semble-t-il, abandonné après la guerre le désir d’un succès populaire. Toutefois la concession ne vas pas jusqu’à faire de La Fille qui faisait des miracles un pur vaudeville. D’abord sans doute parce qu’il ne peut pas se résoudre à faire des « pièces commerciales », comme il dit ; mais aussi peut-être parce que ce n’est pas si facile, et que tout le monde ne peut pas être Labiche, Achard ou Feydeau. Il en convient dans ses réflexions de 1959 : imiter Marcel Achard, André Roussin, Marcel Aymé, Félicien Marceau, comme on le lui conseille quand il se plaint de son insuccès : « facile à dire [48] ». Ce sera finalement plus facile pour lui de connaître la réussite populaire comme producteur, avec Jean Chouquet, du Théâtre où l’on s’amuse (1953-1956) et surtout de Prenez garde à la poésie (1954-1956).

Conclusion

Interrogé pourquoi il a arrêté d’écrire des poèmes entre Sans phrases (1953) et les poèmes recueillis dans Crépuscules, datés 1960-1971, Soupault renvoie à son activité théâtrale : « Cette activité qu’on connaît mal, sauf heureusement à la radio, devrait, à mon avis, justifier le silence du poète [49]. » Si l’insolite est sa grande préoccupation de poète, alors en effet Soupault poète continue dans ses pièces de théâtre à vouloir sortir ses lecteurs et/ou son public de la routine, du banal, que ce soit avec le personnage insolite de Pâquerette dans sa première pièce, ou avec une question insolite dans l’avant-dernière : ne sommes-nous pas tous fous ?

Dans ce parcours théâtral, Labiche s’impose à lui comme un maître et aussi comme un nouveau double après tant d’autres [50] double, dans lequel il retrouve et projette son aspiration à la simplicité : l’homme est simple, son style est simple, son art, « délibérément simplifié » et de ce fait exemplaire (aisance, naturel, simplicité), « est le plus simple » (ni placards, ni quiproquos, ni naissances cachées, ni coups de théâtre…) ; ses personnages sont « des types très simples » (égoïstes, vaniteux « à l’état pur ») [51]. Soupault aime cette simplicité d’existence, de style, d’univers (un seul type, le bourgeois), la modestie de Labiche que le succès n’a pas corrompue, et son regard cruel sur les bourgeois – qui détestent tant les poètes. Il aime aussi qu’on ait méconnu ce Molière du XIXe siècle et que son rôle soit de le réhabiliter : au fond, c’est un raté comme il les aime, auquel la postérité va rendre justice, en partie par son intermédiaire…

Mais s’il met les comédies de Labiche plus haut que ses vaudevilles, Soupault garde visiblement un faible pour le vaudeville. Il en écrit deux dans la pure tradition de légèreté du genre, le premier pour la scène (Charmant réveillon), le second pour la télévision (Le plus grand amour). Il en donne deux autres à la radio, revus et adaptés cette fois à ses préoccupations de théâtre poétique (La Fille qui faisait des miracles) ou de théâtre métaphysique (La Maison du bon repos). Le vaudeville devient ainsi, de façon surprenante mais explicable, la référence générique de deux de ses pièces les plus longues et les plus réussies, au début et à la fin de sa carrière radiophonique d’après-guerre. Comme pour dire que, si le monde est plein de questions, il y a toujours place pour le rire.

Notes

[1] « J’ai été le premier surpris quand je me suis rendu compte que cet auteur était l’observateur le plus lucide de la classe dominante pendant le Second Empire, un observateur qui ne craignait pas d’être cruel, impitoyable même, comme l’avait été l’auteur du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire. » (Vingt mille et un jours, p. 124).

[2] Soupault, dit-il à Serge Fauchereau, retrouve dans les personnages de Labiche le milieu bourgeois de sa famille (Vingt mille et un jours, Paris, Belfond, 1980, p. 125).

[3] L’essai est commencé en prison à Tunis en 1942 et terminé à la libération de Soupault à l’automne de cette année (ibid.). Sur la « découverte » de Labiche, v. aussi « Philippe Soupault se déclare pour Labiche », Le Monde du 7 mars 1964 (interview par Thérèse de Saint-Phalle).

[4] Philippe Soupault, Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, Paris, Mercure de France, 1964, p. 162. Les caractères à ses yeux les plus marquants, véritablement « auréolés de comique », sont Perrichon, Célimare, Chambourcy. Soupault module cependant le thème « Labiche créateur de types » en notant qu’un Perrichon descend directement de Prudhomme et plus loin de M. Jourdain (p. 171).

[5] Id., p. 125. Et encore : « La lecture de toutes ses pièces autorise […] à écrire que l’étude des caractères n’est jamais sacrifiée à la volonté de faire rire. Beaucoup d’occasions se présentent dans les aventures des individus qui permettraient de les rendre grotesques, plus ridicules encore ; Labiche ne cède pas à la tentation que les vaudevillistes acceptent toujours » (p. 144).

[6] Id., p. 180.

[7] Pierre Voltz, « Le genre Labiche », Europe, n°786, octobre 1994, p. 69. Le point important pour Soupault est que Labiche, tout en excellant dans le rythme de ses pièces, accorde plus d’importance aux situations, et plus encore qu’aux situations, à la peinture de caractères (Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 142).

[8] Manuscrit conservé au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[9] Exception ou prolongation : la diffusion d’une pièce d’Anouilh après l’été 1956, le 29 septembre, qui met un point final à la série.

[10] Préface à la diffusion du Mariage de Gogol le 3 décembre 1953 ; préface à la diffusion de Moi de Labiche le 4 décembre 1954.

[11] Notons aussi l’effort pour faire passer des auteurs très contemporains : une émission « Farces et attrapes » (1er avril 1954), propose aux auditeurs de la première saison d’écouter une salade de sketches, mêlant Ionesco, Prévert et Queneau ou le duo Poiret/Serrault encore à ses débuts, à des amuseurs et revuistes célèbres comme Raymond Souplex, Rip, Max Régnier.

[12] V. la préface de Soupault à l’émission.

[13] Vaudevilles (en un acte), diffusés le 3 décembre 1956 : Un jeune homme pressé (1848), L’affaire de la rue de Lourcines (1857) et La Main leste (1867). Comédies, diffusées les 7 janvier, 6 mai et 4 décembre 1954 : Les 37 sous de M. Montaudouin (1862, un acte), Célimare le bien-aimé (1863), « comédie-vaudeville » en trois actes et Moi (1864, trois actes). Moi est la première « comédie » destinée par Labiche à la Comédie-Française, où elle ne connut qu’un succès d’estime. Soupault avait un faible pour elle.

[14] Soupault continue avec Labiche un type de série critique inauguré avec Musset en 1956-1957, pour le centenaire de sa mort. Cependant le rythme et la durée des émissions ne sont pas les mêmes : la série sur Musset est mensuelle et totalise neuf émissions d’une heure incluant la diffusion d’extraits de pièce, du 26 décembre 1956 au 16 octobre 1957 ; celle sur Labiche est hebdomadaire et totalise douze émissions de dix à quinze minutes, sans diffusion d’extraits de pièce.

[15] Son prétexte semble avoir été la reprise à la Comédie-Française de deux pièces de Labiche. De même en 1964, les rediffusions précèdent et suivent la diffusion de la comédie Moi sur France Inter (12 mars 1964), jouée par les Comédiens-Français dans une mise en ondes de Jacques Reynier.

[16] France Culture, du 17 juillet au 25 septembre 1964.

[17] Ce « moment Labiche » a donc aussi une fonction promotionnelle du livre de Soupault, même assez indirecte et finalement décevante (l’ouvrage s’est mal vendu).

[18] Dans la version renommée « Théâtre de Labiche », émission du 12 mai 1963.

[19] Neuf pièces y figurent (dont deux à deux reprises), ce qui est somme toute très peu rapporté à l’édition du Théâtre complet en dix volumes (Calmann Lévy, 1878-1879) qu’il avait en mains : Un chapeau de paille d‘Italie, comédie en cinq actes, le premier grand succès (1851) ; Les 37 sous de M. Montaudouin, comédie en un acte de 1862, « une des plus aimées du public » selon Soupault ; Le Voyage de Monsieur Perrichon (1860), comédie en quatre actes ; La Poudre aux yeux (1861), comédie en deux actes et La grammaire, comédie-vaudeville en un acte de 1867, les deux pièces préférées des patronages ; La Cagnotte (1863), comédie-vaudeville en cinq actes ; Célimare le bien-aimé (1863), comédie-vaudeville en trois actes ; Le Misanthrope et l’Auvergnat (1852), comédie en un acte mêlée de couplets ; et pour finir L’Affaire de la rue de Lourcines (1857), comédie en un acte. Soupault fait aussi lire dans la deuxième émission des extraits de La Clé des champs le seul roman de Labiche (1839).

[20] Soupault évite Les Trente millions de Gladiator, « mis en scène comme une farce » à la Comédie-Française au début des années 1960, mais s’abstient aussi de donner des extraits de Moi, qui est sa comédie préférée.

[21] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 4.1. Manuscrit de 73 ff.

[22] La pièce est présentée comme une « comédie en trois actes », mais Soupault en parle fréquemment ensuite comme d’un vaudeville. Dans les entretiens avec Serge Fauchereau (Vingt mille et un jours, op. cit., p. 114) et dans À vous de jouer ! (Lyon, Laffont, 1980, p. [13], il rappelle qu’à l’origine le roman de Dostoïevski est lui-même un « vaudeville transformé en roman à cause de la censure tsariste ».

[23] Documents conservés au Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 6.14.

[24] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.35.

[25] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 8.4. La dernière pièce diffusée, Étranger dans la nuit, est quant à elle une « tragi-comédie » en un acte (À vous de jouer !, op. cit., p. 155).

[26] Le recueil de 1980 place ainsi en tête la pièce Rendez-vous, écrite et diffusée après La Fille qui faisait des miracles, pour donner le ton.

[27] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.6. Pièce traduite en France sous les titres La Provinciale, ou L’Épouse campagnarde.

[28] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 5.5. Toujours tout de même est dédié « À la mémoire de Queneau, d’André Frédérique et d’Alphonse Allais », Comment allez-vous ? « à Ken Ritter, à Jean Tardieu, à Eugène Ionesco ». Les saynètes sont rangées dans la même chemise qu’une version de S’il vous plaît, le sketch écrit avec Breton au début des années Vingt.

[29] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 123.

[30] Ibid.

[31] Soupault fait des vaudevilles en trois actes ou plus, au lieu de vaudevilles en un acte comme souvent chez Labiche : c’est le format des grandes comédies. Il y ajoute aussi un prologue, ce qui les rend plus sérieux encore.

[32] Pierre Voltz, art. cit., p. 78.

[33] On ne retrouve pas non dans cette pièce l’observation lucide d’un milieu présente dans les comédies de caractère de Labiche.

[34] Isabelle dans Intermezzo, Ondine dans la pièce du même nom, Geneviève dans Siegfried, Électre dans la tragédie du même nom…  Jacqueline Chénieux-Gendron voit aussi dans Pâquerette un « personnage giralducien qui, telle l’Électre de Giraudoux, laquelle choisit d’épouser le jardinier, choisit, elle, le chauffeur de taxi, Julien, plutôt que de faire fortune grâce à ses dons » (« La voix de Soupault et l’espace du théâtre », in Patiences et silences de Philippe Soupault, textes réunis par Jacqueline Chénieux-Gendron, en collab. avec Myriam Bloedé, Paris, L’Harmattan, 2000 p. 115.

[35] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[36] Id., p. 113.

[37] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 162.

[38] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 224.

[39] On peut cependant regretter le caractère assez lourdement didactique que prennent les dialogues après le retour du vrai médecin, quand chaque pensionnaire est interrogé sur sa véritable identité et la décline docilement pour l’édification des étudiants et du public.

[40] V. une lettre d’auditeur conservée à l’IMEC dans le dossier de la pièce (cote SPT 4.1), et le souvenir de Soupault dans ses entretiens avec S. Fauchereau.

[41] La fille qui fait des miracles, Jacques Reynier (réal.), France Culture, décembre 1977. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R19919.

[42] France Culture, mars 1992. Dactylographie du texte conservée au Bureau des manuscrits de Radio France, 88 f., cote R27843.

[43] À vous de jouer !, op. cit., p. 164. On peut dès lors se demander à qui l’on doit les indications de dramaturgie sonore présentes dans les trois premiers sketches de 1941-1942.

[44] Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 3.8.

[45] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… » [1959], Fonds Soupault de l’IMEC, cote SPT 9.37.

[46] Poèmes et poésies, Grasset, 1973, p. 377-378. V. Vingt mille et un jours, op. cit., p. 226 : le raté est celui « qui refuse les concessions. L’ambition de la pureté ». Soupault aime en Labiche l’auteur à succès malgré lui en quelque sorte, du moins qui est resté simple, modeste, humble en dépit du succès.

[47] « Depuis que j’ai commencé à écrire, à me servir d’une plume… », art. cit.

[48] Ibid.

[49] Vingt mille et un jours, op. cit., p. 227.

[50] V. Myriam Boucharenc, L’échec et son double : Philippe Soupault romancier, Paris, Champion, 1997.

[51] Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, op. cit., p. 145-146.

Auteur

Pierre-Marie Héron est Professeur de Littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier et membre de l’Institut universitaire de France. Il dirige à Montpellier le programme de recherche « Les écrivains et la radio en France (XXe-XXIe siècles) », dans le cadre duquel il organise colloques et journées d’étude et coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Derniers titres parus : Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante aux PUR (2010) et Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique chez Minard (2013). Il a aussi piloté en 2012 la réalisation du DVD-ROM et du site internet Jean Cocteau unique et multiple.

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