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Texte intégral
J’ai choisi, dans cet article, de prendre un objet d’étude bien délimité : la correspondance de Cocteau durant son séjour à Grasse du 30 décembre 1917 au 9 février 1918 dans la villa des Croisset, soit un petit mois et demi, et de voir ce qu’on peut en dire de deux points de vue : l’édition et la posture d’auteur. Combien de lettres, à qui et de qui ? Lesquelles éditées, depuis quand et comment, lesquelles inédites ? Que nous apprennent-elles de Cocteau et de sa stratégie d’auteur à ce moment ? Parmi les lettres reçues, deux sont de Cendrars et encadrent la rencontre des deux poètes à Nice lundi 28 janvier 1918 qui met en route la collaboration de Cocteau aux éditions de la Sirène. Mais il est loin d’être le seul correspondant : Cocteau est de ceux qui ne peuvent vivre sans conversation et que l’éloignement de Paris stimule à écrire des lettres de longueur variable et surtout nombreuses à de multiples destinataires (et d’abord à sa mère), comme pour maintenir par ce flux de correspondance le crépitement vivifiant des conversations interrompues et le tempo des projets en cours. À distance aussi, le travail et les affaires continuent, le besoin de plaire mais aussi de séduire, d’entreprendre vrais amis et relations utiles du milieu artistique parisien pour faire avancer ses projets, toujours dans le même sens, assez exactement exprimé quand même par Gide dans Les Faux-Monnayeurs : passer devant [1]. Car Cocteau après Parade, est habité d’un besoin de parvenir (mot qu’il prendrait comme une insulte) et d’être traité de pair à pair par les grands hommes du moment. De là une posture d’auteur en adaptation permanente et jamais vraiment détachée de son image publique, jusque dans sa correspondance la plus amicale.
1. Édition
Que connaît-on actuellement de la correspondance de Cocteau durant son séjour à Grasse ?
1.1. Repérages
Un premier instrument d’enquête est l’édition des lettres du poète à sa mère, véritable journal de ses occupations au jour le jour loin de Paris sur trente ans, publiées en deux volumes en 1989 et 2007, le premier (1898-1918) par mon collègue Pierre Caizergues aidé de Pierre Chanel [2]. L’édition choisit de ne pas donner les lettres maternelles, mais seulement d’en citer certaines en note. Pour le séjour à Grasse, elle donne une série apparemment complète de douze lettres, cartes ou cartes-lettres du poète (1 en décembre, 9 en janvier, 3 en février), et cite en note trois lettres maternelles, dont elle signale aussi une lettre non retrouvée. Une des difficultés qu’on rencontre avec Cocteau est son utilisation des marges (soit pour continuer une lettre quand il arrive au bout, soit pour y piquer ici et là des ajouts) et du dessin, autour duquel alors l’écriture s’organise. Ici pas de dessin, mais des suites en marge dans cinq lettres, que l’éditeur, à défaut de fac-similé, a choisi de transcrire en fin de lettre, dans l’ordre des feuillets, précédées de mentions entre crochets du type « [En marge droite deuxième feuillet] », « [En marge gauche quatrième feuillet] [3] ».
Au fil de ces lettres donc, Cocteau énumère les lettres et dépêches envoyées ou reçues, se plaint du silence prolongé de certains (Valentine Gross, Léon-Paul Fargue, Georges Auric), se réjouit quand il cesse, utilise sa mère pour relancer certains « coupables ». Le 7 janvier : « Les lettres sont bouteilles à la mer. Qu’est-ce qui vous arrive ? / Jamais je n’ai plus souvent écrit à tous et je ne reçois rien de personne. Ta lettre seule (du 4) me renseigne. […] Téléphone à Lhote que je lui ai envoyé dépêche de Jour de l’An et cinq pages le 2 [4]. » Le 13 janvier (lettre inexactement datée du dimanche 11, qui n’existe pas) : « Je veux bien que Valentine n’écrive jamais. Tout de même huit lettres méritent une réponse et Fargue pourrait bien aussi me mettre une carte. Sois un ange. Téléphone à six heures et demie à la N.R.F. Fleurus 12-26 et demande à Fargue si tout le monde est mort [5]. » Le 22 janvier : « Toujours aucune nouvelle de Auric ni de Satie malgré des dépêches pressantes. […] Si j’avais une lettre de mes musiciens rien ne manquerait à mon calme. / Je renonce à nouvelles de Fargue, rien de Valentine, sauf une longue lettre après Carentec [6]. »
On dénombre 27 correspondants, dont on peut, en laissant de côté le cercle familial [7] et des démarches liées au procès en diffamation de Satie alors en cours [8], extraire une première liste mondaine et artistique où se mêlent les attaches rive droite et rive gauche de Cocteau, certaines anciennes, d’autres récentes. Peintres : André Lhote, Jacques-Émile Blanche, Valentine Gross, Roger de La Fresnaye ; ajoutons Jean Hugo, pas encore connu de Cocteau comme peintre cependant. Musiciens : Lucien Daudet, Georges Auric, Erik Satie. Écrivains et poètes : Léon-Paul Fargue, Jean Le Roy, rencontré l’année précédente par l’entremise d’Apollinaire [9], André Gide, Drieu La Rochelle, qui vient de publier en décembre à la N.R.F. Interrogation, un livre de guerre. Plusieurs amies de sa mère, devenues les siennes aussi, la plupart tenant salon à Paris : la princesse Marie Murat (1876-1951), Madeleine Le Chevrel, la comtesse Jacqueline de Pourtalès, Clotilde Legrand, dite « Clothon » (voisine et amie d’Anna de Noailles, un des modèles proustiens de Blanche Leroi dans La Recherche). Ajoutons Misia Edwards [Sert] (il se plaint de son silence), l’impérieuse mécène des Ballets russes ; son demi-frère Cipa [Cyprien] Godebski, ami de la famille Hugo ; Reginald Bridgeman, secrétaire d’ambassade, un ami anglais qui lui rend visite à Grasse.
Il y a aussi, pour terminer, deux correspondances d’édition : avec Draeger, éditeur d’une plaquette publicitaire pour l’avion Spad dont il rédige le texte « Dans le ciel de la patrie » (envoi du texte le 1er janvier, réponse le 13) ; avec François Le Gris (envoi des épreuves du Potomak le 1er janvier, réponse le 19).
1.2. Constats
Premier constat : la majorité de ces correspondances sont encore aujourd’hui inédites. Ce qui nous prive de mieux connaître, du côté « rive gauche » de Valentine Gross ou d’André Lhote comme du côté « rive droite » de Lucien Daudet ou des comtesses Murat et de Pourtalès, non seulement les « potins » du moment, mais certains détails ou aspects des œuvres et projets en cours du poète. L’impatience de Cocteau, par exemple, à obtenir réponse de Valentine Gross, relancée deux semaines durant par une dizaine de lettres et dépêches, semble bien liée aussi au rôle de copiste qu’elle a accepté de jouer de son grand poème en cours, Le Cap de Bonne-Espérance. De même, ses plaintes répétitives du silence de « Fargue le paresseux » (9 janvier) semblent liées à son rôle d’intermédiaire-clé auprès de Gallimard pour faire publier le même poème aux éditions de la N.R.F. où il travaille et est influent.
A contrario, depuis l’édition de la correspondance avec Auric à Montpellier en 1999, incluant une série de deux cartes-lettres de Cocteau des 1er et 15 janvier 1918, d’une lettre de réponse d’Auric datable du 24 janvier [10] et de l’immédiate réponse du poète le 27 janvier, on en sait plus sur leur projet de ballet après Parade (une « Symphonie américaine »), sur les occupations de la bande d’amis laissée à Paris et sur la mise en route d’un « petit livre… sur la musique [11] », qui sera Le Coq et l’Arlequin, dédicacé à Auric précisément.
Deuxième constat : pour la série des lettres de Grasse, toutes les correspondances 1917-1918 de Cocteau éditées comportent des lacunes documentaires ou des erreurs de datation, avec ce que cela entraîne de « lettres baladeuses », insérées au mauvais endroit. À savoir (dans l’ordre de parution) : correspondances avec André Gide (1970), Blaise Cendrars (1989), Apollinaire (1991), Jacques-Émile Blanche (1993), Jean Hugo (1995) et Georges Auric (1999) ; sans oublier les lettres à sa mère (tome 1 en 1989). Les lacunes nous sont connues soit par les notes des éditeurs eux-mêmes, soit par le croisement d’informations des correspondances de l’époque à mesure de leur publication, soit par d’autres sources. On met aussi dans la rubrique « lacunes » l’omission de documents joints à une lettre, pour des raisons éditoriales ou non.
Par exemple, on connaît depuis 1970 une lettre de Cocteau à Gide du 19 janvier 1918, répondant à une carte postale de Gide quant à elle égarée. Mais l’édition ne signale pas l’existence probable d’une ou plusieurs autres lettres de Cocteau après cette carte, que nous apprenons par une lettre du poète à Blanche du 4 février : « Savez-vous si Gide a reçu mes lettres en réponse à son chamois rose [12] ? » Par ailleurs, la lettre juste évoquée du 19 janvier annonce une « photo miracle » jointe : « Moi l’ange en peignoir éponge et la vierge Madame de Beaumont [13] », dans les jardins de la villa Croisset. Or l’éditeur ne la reprend pas, et choisit de renvoyer en note à sa publication séparée par Pierre Chanel la même année, dans l’Album Cocteau chez Tchou [14]. Ce qui est d’autant plus dommage que ladite photo n’est pas seulement amusante, mais fait sens dans l’envoi après le dessin d’Eugène du début de la lettre (premier feuillet repris en fac-similé) : après un Eugène de la guerre, une Annonciation, messagère de paix… De même, deux autres photos de Grasse envoyées par le poète à sa mère dans une lettre du même jour pour témoigner de sa bonne mine, pourtant publiées en 1989 par Pierre Caizergues dans Jean Cocteau et le Sud, n’ont pas été reprises dans l’édition des Lettres à sa mère parue la même année.
Quant à la correspondance avec Cendrars, d’une part on n’en connaît toujours que le volet « passif », pas « actif », d’autre part les deux lettres de Cendrars qui entrent dans notre corpus sont malheureusement mal datées, l’une de « décembre 1917 », l’autre de « fin décembre 1917 ». L’élément manquant ici est la date de la rencontre des deux poètes à Nice, que la première lettre envisage comme prochaine (« Je reçois à l’instant ta lettre. Donc tu peux venir ») [15] et la suivante comme survenue peu auparavant (« Comment es-tu rentré l’autre jour ? Pas trop fatigué ? »). Or une lettre à Auric du dimanche 27 janvier 1918, publiée par Pierre Caizergues dix ans plus tard, nous apprend que la rencontre en question aura lieu le lendemain 28 janvier : « Vais voir demain Cendrars à Nice – Voyage Jules Verne – J’emporte des bouteilles de digestif et des boules d’eau chaude – et la bavette rouge [16] ! » Partant de là, la mention « mercredi » en en-tête de la première lettre peut raisonnablement être rapportée à l’un des deux mercredis précédents, 16 ou 23 janvier, et la deuxième au début de février. Ce qui peut permettre aux spécialistes de Cendrars d’utiliser plus finement :
– dans la première lettre à Cocteau, les quatre phrases relatives à L’Eubage et à Moravagine : « Je viens de terminer mon livre sur le ciel. “Aux antipodes de l’Unité”. Le roman par contre ne marche pas du tout. Il faut que je le recommence » ;
– dans la deuxième, ce qui a trait à l’édition du Panama et à l’implication de Cocteau aux côtés de Cendrars dans la librairie maison d’édition La Sirène ouverte par Paul Laffitte en mars 1917 boulevard Haussmann à Paris et juste transférée, en décembre, rue La Boétie [17]. Lesquelles éditions vont imprimer en 1918, dans la foulée de cet accord de coopération en quelque sorte, Le Coq et l’Arlequin [18] et le fameux long poème confié d’abord à Fargue pour la N.R.F., Le Cap de Bonne-Espérance [19].
2. Cocteau en conversation : le « voyage vers la gauche [20]»
2.1. Relations « rive gauche » et relations « rive droite »
Si beaucoup de correspondances encore inédites nous sont inconnues et peuvent nous ménager des surprises, on peut avancer, d’après celles qui nous sont connues, que le comportement épistolaire du poète tient compte assez systématiquement de l’appartenance « rive gauche », comme Auric ou Apollinaire, ou « rive droite » (artistiquement parlant) de ses amis ou relations : aux uns Cocteau, tout simplement, ne parle pas des autres. Dans ses lettres à des destinataires comme Auric ou Apollinaire, il ne parle pas de Paul Morand, Proust ou de son vieil ami peintre et critique d’art Jacques-Émile Blanche (à qui il reproche de ne rien comprendre à Satie), encore moins de ses relations proprement mondaines, et inversement. À Auric par exemple, il va parler du Flore, ce café du boulevard Saint-Germain où Apollinaire donne rendez-vous le mardi de 5 à 7 depuis mars 1917, mais pas de Mlle le Chevrel ou de Marie Murat. Cela avec des degrés, des nuances, et parmi ses destinataires des amis qui comme lui font plus ou moins trait d’union entre les deux mondes, comme Valentine Gross (future Valentine Hugo). Mais le fait reste très significatif. Il illustre bien ce « génie de plaire » que Paul Morand lui reconnaît par excellence, qui est un génie de l’adaptation aux situations et aux personnes, un sens tactique (diplomatique) de « ce qui convient » ‒ vertu combien classique de l’art de plaire ‒. Un génie que Cocteau applique à sa conception de la communication littéraire et de la relation aux médias comme, on le vérifie ici, de ses conversations épistolaires [21].
2.2. Destinataires « oubliés » dans les Lettres à sa mère
De cela, la correspondance du poète avec sa mère, pourtant si détaillée sous son aspect de rapport d’activités tri-hebdomadaire, donne une illustration intéressante, par les silences apparemment délibérés qu’elle observe sur au moins trois destinataires « rive gauche » des lettres de Grasse : Albert Gleizes, Apollinaire et Cendrars. Du peintre cubiste Albert Gleizes, collaborateur du journal Le Mot en 1915, émigré aux États-Unis depuis, Cocteau reçoit une lettre envoyée à son adresse à Paris et y répond le 30 janvier. La lettre est citée par Francis Steegmuller dans sa biographie de l’auteur parue en 1970 : « De plus en plus je mets en garde contre la décadence impressionniste […] Oui certes Renoir, mais je dis à bas Renoir comme à bas Wagner. J’ai fini le Cap. Je travaille au Secteur 131 et à un petit livre sur la musique [22]. » La veille, le 29 janvier, Cocteau a écrit une lettre assez brève à Apollinaire qu’on lira plus bas, publiée en 1991 avec leur (maigre) correspondance par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, et apparemment restée sans réponse, au lendemain de sa visite à Cendrars [23]. Enfin, comme on sait, le poète a aussi eu un échange de lettres avec Cendrars avant cette rencontre, et reçu une lettre de son ami peu après, avant son départ pour Paris le 9 février.
Pourquoi ces « oublis » ? Sans doute parce que, quand il s’agit de ses relations artistiques « rive gauche », Cocteau se montre prudent avec sa mère, très « rive droite ». Il a déjà eu droit, au moment de son rapprochement avec Satie en 1916, puis de la préparation de Parade, en mai 1917, à des remarques sceptiques et des mises en garde de sa part, confortées chez elle par les jugements d’amies du Tout-Paris. Dans une lettre du 8 juin 1916, le poète avait longuement et vertement répondu à des jugements de leur amie commune Madeleine Le Chevrel sur la musique de Satie, que sa mère lui rapportait :
« Tu t’embrouilles, à travers Madeleine, bien gentille, mais nulle. […] Ne t’imagine pas que je me trompe. Je renifle sans commettre une erreur et un jour, pour te rassurer tout à fait, tu entendras peut-être Mlle Gross la bien portante qui n’est sensible ni à ces peintres cubistes ni à la littérature (surtout la poésie) en général, parler de l’œuvre que je prépare. C’est un bon juge, bien public et sa vie en est transformée [24]. »
L’année suivante, début mars 1917, depuis Rome où il préparait Parade, parlant de la princesse [Lucien] Murat et de « la pauvre Made » [Madeleine Le Chevrel], Cocteau renchérissait :
Ils considèrent tout art comme un passe-temps, ce qui est légitime au lieu d’y lire une marche de la culture européenne. Ils trouvent par exemple la musique de Satie “drôle” alors que sa Parade est plus importante que Pelléas [de Debussy]. Ils trouvent Picasso un farceur de talent alors que c’est un maître […] [25]
Tous ces mondains amateurs d’art devraient en somme se borner à suivre ceux qui savent, comme Cocteau l’écrit à Auric le 27 janvier 1918 après avoir annoncé qu’il écrit sur la musique et cité un passage du prologue de Secteur 131 invitant les lecteurs au respect devant son « psaume » : « Nous sommes nés pour qu’on nous suive et pas pour suivre. S’ils ne le sentent pas tant pis pour eux [26]. » Il fera de cette conviction le principe de la série de presse Carte blanche l’année suivante, dont le but avoué est de renseigner un grand public amateur sur les « valeurs nouvelles » de l’art (écrivains, peintres, musiciens…), et notamment la « petite élite bien intentionnée » qui suit les manifestations d’Esprit nouveau mais manque de repères pour bien juger et « demande qu’on la dirige [27] ».
Dans cette perspective, on comprend pourquoi lors de son séjour à Grasse, s’agissant de ses relations « rive gauche », Cocteau préfère parler à sa mère, non d’Apollinaire ou de Cendrars, mais de ceux qu’il lui a déjà « imposés », de plus ou moins bon gré : Satie donc, Auric, Valentine (qu’elle apprécie beaucoup et comme personne et comme peintre), ou André Lhote, avec qui le poète a passé une partie de l’été 1917 près d’Arcachon.
3. Une posture de grand homme : éclats et miroitements
Cette gestion diplomatique de la conversation épistolaire se manifeste aussi dans la manière dont Cocteau parle aux uns et aux autres de son travail en cours, c’est-à-dire dont il se présente à eux comme auteur [28]. Sachant qu’il ne faut pas seulement, pour l’apprécier, chercher des déclarations en forme (ou pas), des attitudes tranchées, éclatantes, comme y poussent les interviews de presse qui imposent de mettre les points sur les i, mais plutôt lire entre les lignes, sentir les sous-entendus, identifier des allusions, et tout ce qui relève du mine de rien et du miroitement allusif… Voyons ce qu’il en est avec Jean Hugo, Georges Auric, Gide, Apollinaire et pour finir Cendrars.
3.1. Avec Jean Hugo
Jean Hugo (né en 1894, 23 ans) : Cocteau (né en 1889, 28 ans) l’a rencontré six mois plus tôt à peu près, le 24 juillet 1917, lors d’une soirée chez Valentine Gross. Six mois plus tard le cadet n’est encore pour l’aîné qu’un ami, pas encore le dessinateur aigu et « sage » dont il découvre les dessins chez Valentine en avril 1918… et dont il pourrait tirer profit pour ses propres projets, comme il le fera trois ans plus tard en lui confiant les masques et costumes des Mariés de la Tour Eiffel (1921). Aussi la lettre de Cocteau à Hugo du 15 janvier 1918 reste-t-elle purement amicale et ne souffle mot des travaux en cours, seulement des lettres et nouvelles qui n’arrivent pas et des ennuis de la guerre :
Neiges et buffles Rio Jim arrêtent les trains de poste et on reste imbécile, loin de tout ce qu’on aime à recevoir un soleil qui ne chauffe pas le cœur. […] L’engagement de François [demi-frère de Jean Hugo] ajoute une dose d’amertume à l’énorme drogue. Ce monstre informe qui sautille patauge écrase du monde par maladresse en mange par gourmandise et vomit de droite et de gauche offre un joli spectacle ! […] Quand je pense qu’on aurait pu se connaître, toute la tribu des cœurs fidèles sous “le rire” dont parle Nietzsche, “comme une tente multicolore” – et ce demi-sommeil sous les bâches [29].
L’amitié, la guerre, mais pas l’œuvre : le poète ne prend pas la peine de se montrer ; l’enjeu est nul.
3.2. Avec Georges Auric
C’est tout le contraire avec le jeune musicien prodige Georges Auric (18 ans et demi en 1918), lui aussi rencontré, en 1915, par l’intermédiaire de Valentine. Avec lui, comme en littérature avec le jeune poète Jean Le Roy, connu par Apollinaire, avec qui il a une correspondance suivie depuis Noël 1917 – donc à Grasse – et avant que Radiguet ne surgisse dans sa vie en 1919, Cocteau commence à rêver d’une relation de maître à disciple où il serait le maître, après avoir lui-même beaucoup admiré et imité (tour à tour Rostand, Oscar Wilde, Montesquiou, Anna de Noailles, Gide, Apollinaire). Auric s’y prête volontiers, qui lui écrit le 24 janvier, pudiquement emphatique : « Vous êtes mon Schiller et moi je suis Beethoven [30]. » Durant l’été 1917 il a composé plusieurs mélodies sur des poèmes de Cocteau. Six mois plus tard ils s’appellent encore par leurs noms, mais une grande complicité les réunit, une même admiration pour Satie, et les mêmes idées sur la musique, que ratifie la dédicace à Auric du Coq et l’Arlequin rédigée un mois après le retour de Grasse (elle est datée du 19 mars 1918).
Début 1918, à Grasse, ce qui occupe Cocteau est un projet de ballet qui ferait suite à Parade, et ses trois lettres sont des lettres de travail, pressant gentiment Auric d’écrire sa partition, tout en donnant lui-même l’exemple d’un poète au travail, même et surtout loin de Paris :
– Lettre du 1er janvier :
Je pense à vous et au travail. Avez-vous vu Bertin ? Il faut qu’il cherche des « techniciens » du guignol et qu’il les trouve avant mon retour. Rasez-le. Mais qu’il vous laisse écrire la Symphonie américaine. U.S.A. comme titre serait pas mal. Que croyez-vous ? Ici j’ai une chambre chaude qui donne sur une énorme carte en couleurs. Je corrige les épreuves [du Potomak] et vais me mettre au « Poème » [Secteur 131]. Je suis sans patience pour votre œuvre [31].
« Poème », avec majuscule à l’initiale et entre guillemets, affirme (toujours sur cet air d’emphase qui se veut drôle quand il est question de choses graves) le profil majeur, celui par lequel Cocteau veut être connu après Parade, et annonce un poème long, une « grande œuvre » pouvant prétendre au format d’un livre, au lieu des petits poèmes que privilégient les revues d’avant-garde. Un poème long comme en ont donné ses deux modèles du moment, Apollinaire avec « Zone » (1912) dans Alcools, Cendrars avec « Les Pâques » la même année, « Prose du Transsibérien », et bientôt Le Panama, à paraître aux éditions de la Sirène après de nombreux déboires en juin 1918.
– Face au silence d’Auric, la carte-lettre du 15 janvier se concentre sur le ballet en souffrance et le motif du travail : « Pourquoi ce silence ? Si votre excuse est le travail, tant mieux – Si les trains arrêtés par buffles, neige et Sioux perdent vos lettres j’enrage – Si vous n’écrivez pas, ne composez pas et ne poussez pas [Pierre] Bertin à voir des spécialistes, Lhote, etc… vous êtes un monstre [32]. »
– La longue et bonne réponse d’Auric le 24 janvier est pleine d’excuses, de contrition, de bonne volonté et de bonnes nouvelles du ballet et de la bande, tout cela sur un ton joueur :
‒ Travaillé à l’ANGE [la « Symphonie américaine »]
Cela « part » je suis assez content.
Mais je crois que ce sera plus long que la IXe.
Vous êtes mon Schiller et je suis Beethoven.
Où allons-nous [33]…
– Trop heureux, Cocteau répond le 27 par retour de courrier en donnant libre cours à une scénographie d’auteur mêlant étroitement musique et littérature, encadrée par deux références à leur admiration commune en musique, Erik Satie, et dans laquelle s’ébauche déjà un nouveau projet de conquête du champ littéraire et artistique [34]. Il s’agit pour le poète d’occuper une place laissée libre par un Apollinaire ami des peintres, comme il l’écrira très directement à sa mère le 17 juin 1920 : « Ne crois pas que je m’occupe des musiciens par esprit de sacrifice. Ma situation parmi eux ajoute beaucoup à ma figure de poète. J’y tiens énormément. Elle me donne une force d’action qu’on ne trouve jamais dans son propre domaine [35]. » Au cœur de la lettre, le Poète prend (involontairement ?) la pose biblique, celle de Moïse descendant de la montagne après ses 40 jours de solitude avec Dieu : « Triste loin de la bande – c’est nécessaire – J’ai des choses à dire – […] Quand je redescendrai parmi vous j’aurai du calme – je verrai juste [36]. » Le grand Poème en cours, Secteur 131, devrait, lui annonce-t-il « dégoûte[r] la faune de Flore – peu importe – Je ne peux pas jouer toute ma vie de la guitare, de la pipe et de l’arlequin ». La référence au Flore, quartier général d’Apollinaire, indique bien la cible à atteindre et sans doute à déranger pour mieux s’imposer par ce « psaume » qui devrait être un grand coup, « car il y a des chants qui défoncent l’écorce / un souffle si dur qu’il imprime / sa forme aux trompettes », affirme-t-il à Auric en recopiant un passage du prologue du poème. Après Moïse, voici le sonore cocorico de l’ange joueur de trompette de l’Apocalypse, complété d’une référence à un thème pictural fétiche des cubistes, dont Picasso se serait grâce à lui émancipé en devenant décorateur de scène pour Parade :
habituez vous à ce psaume
ici le souffle est aussi naturel
que cette sainte famille
un litre un jeu de cartes une pipe
un paquet de tabac
Conclusion : « Nous sommes nés pour qu’on nous suive et pas pour suivre. S’ils ne le sentent pas tant pis pour eux. »
Cocteau abat donc très librement son jeu devant Auric. Il le fait aussi en lui révélant qu’il est en train d’écrire « un petit livre… sur la musique [37] ». Telle est bien la carte à jouer pour espérer « prendre la direction » des musiciens gravitant autour de Satie avec qui il est en contact régulier depuis les premières manifestations « poésie et musique » lancées par Cendrars rue Huyghens en 1916 avec Auric, Durey, Honegger, le noyau originel des Nouveaux Jeunes.
La troisième partie de la lettre flatte en ce sens le jeune disciple, dont il a vitalement besoin pour conquérir non seulement le Flore mais Paris… et tenter de garder la main sur Satie : « Très inquiet de savoir votre avis sur les axiomes Musique » ; « Dites à nos belles pianistes et violonistes que je les aime et qu’elles devraient “établir un piano dans les Alpes [38]” – Je crève sans musique. Essayez de faire comprendre à la Païva [Satie] que je lui “recommande” les petits poèmes Intermezzo U.S.A. [Usage Satie Auric] [39]. »
Dans tout cela, on peut se demander si la mention en passant d’une visite à Cendrars le lendemain à Nice, en fin de lettre, ne vise pas à souligner leur bonne entente et l’absence de mauvais coup en préparation dans tous ces beaux projets de littérature et musique. Il est certain en tout cas, comme la lettre de 1920 à sa mère citée et d’autres avant elle en témoignent, que Cocteau a senti là sa chance de percer dans le champ artistique de la fin de la guerre [40].
3.3. Avec André Gide
Avec Gide, les relations sont depuis plusieurs années compliquées : Gide est fasciné par l’aisance de Cocteau, son brio, sa drôlerie aussi, mais très mis en garde par ses amis de la N.R.F. contre sa mondanité et son arrivisme. La correspondance des deux écrivains montre que le plus jeune ne cesse de revenir à leur rencontre de 1913 en Normandie, chez Blanche, où sont nés les Eugènes du Potomak (livre de ton par ailleurs très gidien, très Paludes), comme au moment fondateur de leur (fragile) amitié. Les Eugènes, voilà par où il plaît à Gide, et voilà pourquoi les lettres de Cocteau ne cessent d’y faire allusion.
Celle du 19 janvier 1918 surenchérit en faisant cadeau d’un dessin d’Eugène. Il faut dire que depuis Parade la relation s’est refroidie, Gide ayant (malgré l’insistance de Cocteau) boudé les représentations. Veut-il se faire pardonner en prenant l’initiative de la carte postale à laquelle la lettre-dessin répond ? Le cadeau du dessin, souligné d’un « Pensez à l’Eugène d’Offranville ! », vaut en tout cas remerciement spécial du poète, qui précise : « Je pense à vous avec tendresse et mélancolie. Si loin l’un de l’autre toujours et pourtant à chaque rencontre le bon fluide circule et la main réchauffe la main. / Votre chamois saute dans ma chambre et apporte l’odeur alpicole [41]. »
Autre enrichissement, la « photo miracle » jointe, qui montre Cocteau et Mme de Beaumont posant en ange Gabriel et en Vierge Marie, propose une drôle de mise en scène du poète, saugrenue, frivole dans le contexte de guerre rappelé par l’Eugène. Mais c’est encore pour toucher Gide par cet autre côté qui l’agace et l’attire à la fois dans son cadet, son côté pitre et gavroche, insouciant, peut-être même « incapable de gravité [42] », écrivait l’aîné dans son journal après une rencontre dans un café de Paris en septembre 1914, et dont il se sait, lui, incapable.
Au centre de cette scénographie, comme dans la dernière lettre à Auric, Cocteau se risque à parler de « choses sérieuses » et à se montrer sous un profil plus grave : « Que faites-vous ? Travaillez-vous ? Moi j’achève le prologue ou préambule du Secteur 131, suite du Cap, et j’essaye de guérir mes rhumatismes [43]. » Les autres correspondances ne nous parlent pas de ces rhumatismes, motif mis là sans doute pour excuser sa villégiature de luxe à Grasse – à 20 km de Cendrars séjournant à Nice avec les siens dans une quasi misère [44]. Il n’est plus question du Potomak, que Gide, cédant à l’entreprenant et persuasif auteur, avait mollement proposé aux éditions de la N.R.F. en 1914. Pas question non plus du projet de ballet faisant suite à Parade, qu’il a snobé l’année précédente, mais seulement du long poème en cours, de guerre visiblement d’après son titre, Secteur 131, présenté comme suite du Cap de Bonne-Espérance, c’est-à-dire du livre que Cocteau essaie au même moment, via Fargue notamment, de faire accepter par Gallimard [45].
On voit donc par cette lettre du 19 janvier que Gide n’est plus pour Cocteau la clé à utiliser pour entrer dans la maison si convoitée, devenue depuis sa création en 1910 « la position dominante dans la hiérarchie interne du champ [46] » (129-130). Mais aussi que son opinion compte toujours : les quelques lignes sérieuses au centre de la lettre signifient que l’inquiétant auteur des Eugènes, l’amusant gavroche mondain, est aussi un poète qui a du fond, un poète « capable de gravité » et de continuité, travaillant à un grand poème de guerre d’ambition égale à celle du Cap de Bonne-Espérance dont Cocteau a fait déjà plusieurs lectures-test en 1917 et que cette fois, moyennant une ruse de bonne guerre racontée par Adrienne Monnier dans ses souvenirs, il lira rue de l’Odéon en présence de Gide en février 1919, peu après sa sortie [47].
Dans ces lignes « sérieuses », le propos est sobre, Cocteau se surveille. Il ne s’abandonne surtout pas, comme dans la lettre à Auric, à prophétiser l’importance de ce Secteur 131 pour la poésie moderne et l’ensemble du champ littéraire. Mais il lui suffit de traiter Gide d’égal à égal, en restant lui-même, et de lui tendre encore et toujours la main.
3.4. Avec Guillaume Apollinaire
La lettre à Apollinaire du 29 janvier 1918, qui n’est pas une réponse mais une initiative de Cocteau, n’est pas moins tactique que celle à Gide. Elle est très brève, la voici :
Mon cher Guillaume – je pense souvent à vous et au “livre de l’olive [48]”. Vu Cendrars qui me parle d’une brochure avec Rouveyre [49].
Pourriez-vous dire à Morisse de me la faire envoyer ?
Je travaille et j’essaye de reprendre des forces.
[dessin d’un cœur]
Villa Croisset
Grasse A.M. [50]
Cocteau a nourri de grands espoirs en mars de l’année précédente quand, répondant à un projet qu’il avait de créer un « journal de l’Ordre », Apollinaire lui avait envoyé une lettre on ne peut plus aimable et même courtisane [51], assortie d’une promesse de présenter Le Potomak au Mercure de France, lettre interprétée par le cadet comme une proposition d’« assurer ensemble la direction morale de notre milieu », ainsi qu’il l’écrit à André Lhote peu après [52]. Or rien de concret n’a suivi, sinon l’article d’Apollinaire au moment de Parade, dont Cocteau, qui n’est pas aveugle, a bien vu qu’il ne le mentionnait qu’à peine et n’en avait que pour Satie, Picasso et Massine [53]. Depuis, les deux poètes se regardent en rivaux, mais en rivaux qui ont besoin l’un de l’autre, et donc se font des amabilités [54].
Dans ce contexte, la lettre du 29 janvier semble s’expliquer surtout par les projets agités par Cocteau la veille à Grasse avec Cendrars autour de la Sirène. Le poète y évoque d’emblée un projet de roman ancien d’Apollinaire qui, brodant sur la fin du monde, serait sans doute assez d’actualité en cette quatrième année de guerre, La Gloire de l’olive, toujours inédit. Il glisse aussi le nom de Cendrars, figure indiscutable du milieu « rive gauche » dont le défenseur de l’Esprit nouveau s’efforce depuis son retour du front en 1916 d’être le rassembleur [55]. « Brochure », à propos de la dernière plaquette de vers du grand homme, au titre latin bien peu « Esprit nouveau » lui, et pudiquement esquivé par Cocteau, paraît quelque peu condescendant, alors que le cadet a lui-même le projet, avec Secteur 131, d’étonner le Flore et les milieux de l’art moderne. Pas un mot bien sûr à ce sujet, non plus que du ballet avec Auric dans lequel Cocteau veut embarquer Satie pour continuer après Parade la « série de manifestations » de l’Esprit nouveau dont son ballet était en 1917, de l’aveu d’Apollinaire, « le point de départ [56] ».
Pas un mot non plus, à vrai dire, des éditions de la Sirène et de leurs intentions, à Cendrars et lui, d’y publier Apollinaire tant qu’il le voudra, comme il apparaîtra par la suite.
C’est donc un Cocteau masqué, cachant ses batteries et ses intentions, qui écrit à Apollinaire une lettre utile : il s’agit avant tout de redonner signe de vie et de se montrer en compagnie de Cendrars, pour préparer le terrain des projets éditoriaux à venir.
3.5. Avec Blaise Cendrars
Quant à Cendrars, que dire en l’absence des lettres de Cocteau ? Les cartes et lettres que Cendrars lui adresse en 1917 montrent toute la chaleur de l’amitié qu’il a alors pour le poète, et son désir sans cesse redit de le voir plus souvent [57]. La capitale lettre du 1er septembre 1917 sur le « monstre » littéraire dont il a accouché pour ses trente ans [58], bien connue des spécialistes de Cendrars, témoigne de l’exceptionnelle confiance du poète des Pâques et du Transsibérien envers son ami. Mais cette confiance a-t-elle été partagée au même degré ? Dans ce cas, pourquoi ces questions dans la lettre de Cendrars qui suit leur rencontre du 28 janvier à Nice : « Si je fais mon affaire avec Laffitte il me faut une liste de bouquins à lui soumettre. Qu’as-tu de prêt pour l’édition ? / Et les autres, qui parmi les autres [59] ? » Mais de quoi ont-ils donc parlé exactement ? « Qu’as-tu de prêt pour l’édition ? » : la question revient à dire que Cocteau n’aurait parlé à Cendrars ni du Coq et l’Arlequin – achevé d’imprimer par la Sirène en juin suivant, ni du Secteur 131 – annoncé à paraître, sous le titre : Secteur calme, dans l’édition du Coq et l’Arlequin, ni du Cap de Bonne-Espérance – dont les premiers essais de mise en page commencent à la Sirène en juin. Cela fait donc trois titres prêts à éditer ou en bonne voie, et Cendrars peut demander après leur rencontre à Nice : « Qu’as-tu de prêt pour l’édition ? » ! Comment expliquer cette incohérence, sachant les grands projets de Cocteau pour cette maison dès l’été suivant [60] ?
Une explication peut-être se trouve dans une lettre du poète à son vieil ami « Blanchie » (Jacques-Émile Blanche), datant du printemps 1918 :
Ne me reprochez pas de montrer mon œuvre à quiconque. Personne ne connaît une ligne de moi sauf huit amis (dont un seul artiste) auxquels certaines circonstances très spéciales m’ont fait lire Le Cap de Bonne-Espérance.
(Même Cendrars, Apollinaire, etc., etc., n’en connaissant RIEN.)
La raison de ce silence est la crainte timide que le poème ne touche pas ceux que je souhaite le plus atteindre – ne livre pas d’un seul coup son architecture nouvelle et ses perspectives. Quel gros jeu ! On tourne autour de la table, on a la somme dans sa main et la main dans sa poche, on fixe de l’œil un chiffre entre tous, le cœur bat à se rompre [61]…
Cocteau le timide : voilà une image inattendue, exagérée sans doute comme l’affirmation que le poème n’est connu que de « huit amis (dont un seul artiste) ». Et en même temps admissible, si l’on songe que les quatre lectures du Cap de Bonne-Espérance en 1917 ont lieu chez des amis plutôt ouverts aux idées modernes, mais tous ancrés « rive droite » (Edith et Étienne de Beaumont, Paul Morand, Valentine Gross) [62]. Parmi les auditeurs de ces séances ne figure aucun de ceux que Cocteau « souhaite le plus atteindre » et que les seuls noms de Cendrars et d’Apollinaire suffisent ici à désigner : tout le milieu « rive gauche » des poètes amis et/ou rivaux dont Cocteau ambitionne de devenir un des chefs. « Qu’as-tu de prêt pour l’édition ? » Le possible silence de Cocteau à Nice le 28 janvier nous laisse imaginer un poète d’autant plus hésitant sur la scénographie de sa révélation en poésie que son ami Cendrars est un de ceux dont l’avis compte le plus pour lui à ce moment. Pourtant, c’est sans doute à cette date qu’il va décider de miser « gros jeu » sur la Sirène, avec l’idée d’en faire la maison d’édition des poètes et de tous ceux qui, de Picasso très vite démarché à Satie, incarneront l’Esprit nouveau dans « toutes les branches de l’art [63] ».
Conclusion
Il est intéressant de repérer, en lisant les lettres de Grasse, la diversité des facettes qu’un auteur comme Cocteau peut composer ou laisser voir selon ses destinataires et les biais sociaux et artistiques par lesquels ils sont en relation. Le profil d’artiste multiple dessiné globalement par les lettres de Grasse (roman, poésie, danse, musique) et qui va bientôt marquer sa posture de poète durant le siècle, Cocteau le décline exprès très différemment selon les destinataires, de l’elliptique « Je travaille » (à Apollinaire) aux confidences à cœur ouvert (à Auric) en passant par les listes plus ou moins exhaustives de travaux en cours (à Gleizes, Gide, Blanche…) [64]. Avec chacun, même avec les plus proches, il y a un rôle à tenir, des choses à dire et à ne pas dire et des manières différentes de le faire, tout spécialement quand il s’agit de parler de son œuvre en cours. La polarité esthétique rive droite / rive gauche qui organise le territoire de ces relations agit là fortement, comme on l’a souligné, mais aussi les degrés de camaraderie et/ou de rivalité, qui situent par exemple Auric et Cendrars mais aussi Valentine Gross et Jacques-Émile Blanche à l’opposé de Gide ou Apollinaire. Ainsi, en lisant la lettre à Auric du 27 janvier 1918, on voit se dévoiler sans fard, après quelques propos mi-lyriques mi-amusants, la posture quasi hugolienne [65] de Poète-prophète qui se cache derrière le projet du Secteur 131 (« J’ai des choses à dire »… « Je ne peux pas jouer toute ma vie de la guitare, de la pipe et de l’arlequin »… « il y a des chants qui défoncent l’écorce »…). Dans la lettre à Gide du 19 janvier en revanche, qu’accompagne une photo amusante (Cocteau déguisé en ange, Mme de Beaumont en vierge), il faut une certaine sagacité pour deviner la posture prophétique dans la rapide mention – au centre de la lettre – du Secteur 131 comme « suite du Cap », le long poème épique déposé chez Gallimard, et dans le « jeu » de l’Annonciation interprété sur un mode si enfantin. Mais soulignons aussi que, s’il y a un point commun entre toutes ces lettres, c’est la coexistence du badinage et du sérieux, toujours ; ce qui varie est leur dosage, tout comme celui du drôle et du douloureux dans l’œuvre même d’un poète assumant d’être un « faux frivole type » à la manière de Stendhal [66]. Car si la scénographie d’auteur de Cocteau s’inscrit dans un certain héritage romantique, les enfantillages y jouent un rôle d’ingrédient bien plus que de masque : la version du génie que le poète veut incarner est à la fois prophétique et amicale, sociable, gentille, capable de drôlerie [67]. Quant à sa manifestation dans des œuvres et dans le champ littéraire et artistique en ce début de l’année 1918, elle est encore à venir : Le Cap de Bonne-Espérance, lu ici et là par l’auteur courant 1917, est en panne d’éditeur, Secteur 131 n’est pas achevé, les épreuves du Potomak tout juste corrigées (début janvier) et Le Coq et l’Arlequin tout juste écrit (fin janvier). Du côté des projets en collaboration, c’est le flou : Auric commence à travailler à la musique du ballet qui doit faire suite à Parade, mais Satie ne semble pas se laisser convaincre. Quant à l’association avec Cendrars à la Sirène, elle vient tout juste de se décider lors de la rencontre des deux écrivains à Nice le 24 janvier. Bref, Cocteau travaille à sortir de l’ombre, mais il est encore, littérairement, dans l’ombre. Or, tous ces calculs d’image et de stratégie de réussite n’ont-ils pas des résultats bien souvent imprévisibles ? L’année suivante, ce n’est pas du tout par sa « poésie de poésie » (Le Cap de Bonne-Espérance, Secteur 131), à quoi il attache alors le plus d’importance, que Cocteau va se faire un nom, mais par un petit « tract » sur la musique, Le Coq et l’Arlequin, et ses talents de promoteur d’une esthétique musicale passagèrement incarnée par le « Groupe des Six ». Le Poète devra attendre encore quelques années (Plain-Chant, en 1923) avant de s’imposer par le poème…
Notes
[1] Passavant est dans ce roman le nom du personnage inspiré par Cocteau. Il est frappant de voir combien de relations de Cocteau avec des personnalités de l’époque sont placées sous le signe du malentendu, de Gide à Apollinaire en passant par Reverdy ou peu après par Aragon, sans oublier Satie ou Picasso.
[2] Jean Cocteau, Lettres à sa mère, I (1898-1918), texte établi et annoté par Pierre Caizergues ; avec le concours de Pierre Chanel, Paris, Gallimard, 1989.
[3] Ibid., p. 348.
[4] Ibid., p. 347.
[5] Ibid., p. 350-351.
[6] Ibid., p. 353-354.
[7] Sa sœur Marthe, mariée, vivant à Londres (une lettre en bas d’une lettre à sa mère, les autres inédites) ; son frère Paul, aviateur, au front (quelques lettres, inédites).
[8] Une lettre au romancier Paul Adam, intervenu dans le procès de Satie en cours, une autre à Straus l’avocat du musicien, une troisième à José Théry l’avocat de son adversaire, toutes inédites. Des remerciements aussi à Mme Casella, pour avoir été cité dans la revue de son mari le pianiste et compositeur Alfredo Casella.
[9] Claude Arnaud, Jean Cocteau, Paris, Gallimard, 2003, p. 195.
[10] D’autant plus circonstanciée (et quelque peu flagorneuse) qu’elle a « lâchement » traîné (s’accuse-t-il), puisqu’elle répond à sa carte… du Jour de l’An.
[11] Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, Pierre Caizergues (éd.), Montpellier, Centre d’étude du XXe siècle, Service des publications de l’Université Paul-Valéry, 1999, p. 25 (lettre de Cocteau du 27 janvier).
[12] Jacques-Émile Blanche, Jean Cocteau, Correspondance, Maryse Renault-Garneau (éd.), Paris, la Table ronde, 1993, p. 124.
[13] Jean Cocteau, Lettres à André Gide. Avec quelques réponses d’André Gide, Jean-Jacques Kihm (éd.), Paris, la Table ronde, 1970, p. 64.
[14] Pierre Chanel, Album Cocteau, Paris, Tchou, 1970, p. 40. Photo communiquée à l’auteur par le comte Henri de Beaumont (héritier d’Étienne de Beaumont).
[15] Elle répond à une lettre précédente de Cocteau visiblement déjà arrivé chez les Croisset.
[16] Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 25.
[17] Le Panama sort en juin 1918.
[18] « Tracts », n°1, achevé d’imprimer en juin 1918, distribué en janvier 1919.
[19] Premiers essais de mise en page en juin 1918, achevé d’imprimer le 7 décembre 1918, mise en vente le 25 janvier 1919 (v. Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 9 et 53).
[20] Titre d’un projet de livre de Cocteau évoqué dans le « Prospectus » du Potomak, daté de 1916, qui aurait raconté sa découverte de la « bohème neuve » d’Apollinaire, Max Jacob, Picasso, Braque et offert à « toute une jeunesse un itinéraire afin de gagner du temps » (Jean Cocteau, Œuvres romanesques complètes, Serge Linarès (éd.), préface de Henri Godard, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 13).
[21] V. Pierre-Marie Héron, Cocteau. Entre écriture et conversation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Interférences », 2010.
[22] Francis Steegmuller, Cocteau: A Biography, Boston, Atlantic-Little, Brown, 1970, puis Cocteau, traduit de l’anglais par Marcelle Jossua , Buchet/Chastel [1973], 1997, p. 150.
[23] Correspondance Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau, Pierre Caizergues et Michel Décaudin (éd.), avec le concours de Gilbert Boudar, Paris, J.-M. Place, 1991.
[24] Jean Cocteau, Lettres à sa mère, I, op. cit., p. 261.
[25] Id., p. 302. Début novembre 1917, Cocteau ferraillait de même avec son vieil ami « Blanchie » (Jacques-Émile Blanche) dont il ne comprenait pas l’opinion sur la musique de Satie (« Pour moi c’est nul, à part de petites gentillesses […] que d’autres ont mises en œuvre », lui écrivait ce dernier le 5 novembre).
[26] Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 24.
[27] Carte blanche, article 12 du 16 juin 1919, Paris, Éditions de la Sirène, juillet 1920, p. 65-66. La série compte vingt articles hebdomadaires, publiés du 31 mars au 11 août 1919, le lundi dans Paris-Midi, le lendemain dans Le Siècle. V. Pierre-Marie Héron, « Les “articles de clan” dans la série de presse Carte blanche », dans Cocteau journaliste, P.-M. Héron et M.-È. Thérenty (éd.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2014, p. 49-70.
[28] Pour mémoire, début janvier il expédie la petite besogne d’un texte pour une plaquette publicitaire, corrige les épreuves du Cap et les envoie à l’éditeur. Courant janvier il termine le prologue de son deuxième grand poème, Secteur 131. Fin janvier, il écrit, assez vite, les notes sur la musique du Coq et l’Arlequin. Durant tout le mois il relance Auric sur un projet de ballet lancé en novembre ou décembre précédent, et qui traîne, USAnge de New York.
[29] Jean Cocteau, Jean Hugo, Correspondance, Brigitte Borsaro et Pierre Caizergues (éd.), Montpellier, Centre d’étude du XXe siècle, 1995, p. 31.
[30] Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 22.
[31] Ibid., p. 20.
[32] Ibid., p. 21.
[33] Ibid., p. 22.
[34] Lequel, après le retrait de Satie en novembre 1918 du groupe des « Nouveaux Jeunes » créé par lui en 1917, aboutira en janvier 1920 au label « groupe des Six » dont on connaît la fortune publicitaire.
[35] Cocteau, Lettres à sa mère, Gallimard, II (1919-1938), Jean Touzot éd. (avec le concours de Pierre Chanel), 2007, p. 55. Voir aussi la lettre de Cocteau à sa mère du 31 août 1918 : « J’ai décidé avec Madame Bathori et nos camarades (ils me l’ont demandé) de prendre la direction du ou des spectacles consacrés aux jeunes. »
[36] Georges Auric, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 24 pour cette citation et les suivantes.
[37] Ibid.
[38] Citation des Illuminations, « Après le Déluge ».
[39] Cocteau veut donc croire Auric capable d’associer Satie à son projet de nouveau ballet post-Parade.
[40] V. Hervé Lacombe, « Posture de Cocteau au fil du siècle », dans Jean Cocteau, Serge Linarès (dir.), Paris, Éditions de l’Herne, « L’Herne », 2016, p. 380-381.
[41] Jean Cocteau, Lettres à André Gide. Avec quelques réponses d’André Gide, op. cit., p. 64.
[42] André Gide, Journal, Éric Marty (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », I (1887-1925), 1996, p. 846.
[43] Jean Cocteau, Lettres à André Gide. Avec quelques réponses d’André Gide, op. cit., p. 64.
[44] Une lettre de Blaise Cendrars à Féla du 5 mai 1918 (l’écrivain est revenu à Paris) donne une bonne idée de ses conditions de vie à cette époque (citée par Miriam Cendrars dans Blaise Cendrars : la vie, le verbe, l’écriture, Paris, Denoël, éd. revue, corrigée, augmentée, 2006, p. 408-409).
[45] Affaire peut-être déjà classée, Gaston Gallimard ayant assisté à une lecture du poème chez Valentine Gross le 4 août précédent ?
[46] Anna Boschetti, La poésie partout. Apollinaire homme-époque (1898-1918), Paris, Seuil, « Liber », 2001, p. 130.
[47] V. son récit dans Jean-Jacques Kihm, Elizabeth Sprigge, Henri Behar, Jean Cocteau, l’homme et les miroirs, Paris, La Table ronde, « Les Vies perpendiculaires », 1968 p. 411-414.
[48] La Gloire de l’Olive, projet 1902-1903 de roman sur la fin du monde, inachevé ; des fragments en ont été utilisés pour les chapitres 15 à 17 du Poète assassiné.
[49] Vitam impendere mori, plaquette de vers publiée en novembre 1917 au Mercure de France.
[50] Correspondance Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau, op. cit.
[51] Ibid. Lettre du 13 mars 1917 : « Votre lettre m’a paru être dans un accord merveilleux avec tout ce que j’aime, tout ce que je sens, tout ce que je pense » ; « le choix même du titre du journal est une preuve heureuse d’une entente et d’une amitié désormais indissolubles », etc.
[52] Lettre datée de mars 1917, citée par Ornella Volta dans Satie / Cocteau, les malentendus d’une entente, Bègles, Le Castor astral, 1993, p. 40.
[53] Apollinaire, « Parade et l’Esprit nouveau », Excelsior, 11 mai 1917, texte repris dans le programme du ballet. Cocteau, à peine mentionné, réagit en publiant la semaine suivante dans Excelsior un article qui met en lumière son rôle d’auteur dans la création du ballet (« Avant Parade », 18 mai 1917), suivi d’un autre dans Nord-Sud (« La Collaboration de Parade », Nord-Sud, n°4-5, juin-juillet 1917).
[54] Courant 1917, Cocteau espère trouver un point de chute à son livre au Mercure de France après le refus de la N.R.F., et Apollinaire a besoin de lui pour atteindre Diaghilev, à qui il veut faire passer un projet de ballet et du même coup « quitter les petits théâtres d’avant-garde pour être joué, lui aussi, dans un cadre prestigieux » (Ornella Volta, Satie / Cocteau, les malentendus d’une entente, op. cit., p. 42).
[55] La conférence au Vieux-Colombier sur « L’Esprit nouveau et les poètes » date du 26 novembre 1917, un mois avant le séjour de Cocteau à Grasse.
[56] Apollinaire, « Parade et l’Esprit nouveau », op. cit.
[57] Correspondance publiée par Pierre Caizergues en annexe de son article « Blaise Cendrars et Jean Cocteau », Cahiers Blaise Cendrars, n°3 : « L’Encrier de Cendrars », 1989, p. 121-141. Repris dans Pierre Caizergues, Apollinaire & Cie, Montpellier, PULM, 2018.
[58] Id., p. 129-130.
[59] Id., p. 134.
[60] V. la lettre à sa mère du 10 septembre 1918, in Lettres à sa mère, I, op. cit., p. 429.
[61] Jacques-Émile Blanche, Jean Cocteau, Correspondance, op. cit., p. 126-127.
[62] Claude Arnaud ne date pas la première séance de lecture, chez les Beaumont, en présence d’Anna de Noailles (Jean Cocteau, op. cit., p. 187). Les suivantes ont lieu le 15 juin 1917 chez Paul Morand (présents : les Beaumont, Jacques Porel et Louis Gautier-Vignal – deux amis de Proust –, Valentine Gross) ; le 4 août chez Valentine Gross (présents, entre autres : Valery Larbaud, Gaston Gallimard, Proust – en retard –) ; le 13 août chez l’auteur (en présence de Mauriac et de Picasso) : le 15 août chez Valentine Gross à nouveau (ibid., p. 188-190). Les autres lectures connues accompagnent la sortie du livre, mis en vente à la mi-janvier 1919 : le 3 décembre 1918 chez Valentine Gross, devant un auditoire plus composite allant de Misia Sert à… André Breton, encore inconnu de Cocteau ; le 26 janvier 1919 chez le comte Étienne de Beaumont ; le 21 février dans la librairie d’Adrienne Monnier ; le 27 avril à la galerie de Léonce Rosenberg « L’Effort moderne ». On notera, d’une lecture à l’autre, le déploiement du territoire d’action de Cocteau, de la « rive droite » à la « rive gauche ».
[63] Jean Cocteau, Carte blanche, article du 31 mars 1919, op. cit., p. 10. Ce premier article de la série contient tout un paragraphe promotionnel sur les prochains livres à paraître aux Éditions de la Sirène (p. 8-9). Pour une évaluation du rôle effectif de Cocteau auprès de Cendrars à la Sirène en 1918 et 1919, v. Pierre Caizergues, « Blaise Cendrars et Jean Cocteau », op. cit., p. 112-114 (« À Cocteau semble revenir, […], à plusieurs reprises, le rôle de démarcheur auprès des écrivains et des artistes : il pouvait utiliser alors relations et entregent dont Cendrars ne disposait pas toujours »).
[64] À Gide par exemple, Cocteau ne parle que du Secteur 131, pas du projet de ballet, comme à Auric ou à Blanche. Cela s’explique sans peine.
[65] « Quasi hugolienne » : on pense ici à la réaction du poète face au silence de Breton, convié par Valentine Gross à une lecture du Cap de Bonne-Espérance le 4 décembre 1918. « Cocteau, comprenant de quelle réprobation ce silence était gros, cru bon de répondre à sa place : “Mais… ce n’est plus ça qu’il faut faire” – avant de se tourner vers Jean Hugo […] : “Ça fait trop sublime, trop Victor Hugo » (Claude Arnaud, Jean Cocteau, op. cit., p. 190).
[66] Jean Cocteau, Lettres à sa mère, II, op. cit., p. 223-224. Lettre du 3 novembre 1922. Discours du grand sommeil (version définitive du Secteur 131) contient de nombreuses notations drôles.
[67] V. Pierre-Marie Héron, « Posture de Cocteau au fil du siècle », dans Jean Cocteau, Cahier de l’Herne, op. cit., p. 493-508.
Auteur
Pierre-Marie Héron est professeur de littérature française à l’université Paul-Valéry Montpellier 3 et membre de l’Institut universitaire de France. Il anime à Montpellier, au sein du Centre de recherche RIRRA 21, un programme de recherche sur Cocteau et les écrivains de son temps, dans le cadre duquel il coordonne la publication d’ouvrages sur le sujet. Prochains titres à paraître, en 2019 : Cocteau d’une guerre à l’autre aux Presses universitaires de Rennes (avec Michel Collomb et David Gullentops) ; Douze ans de journal posthume : Le Passé défini de Jean Cocteau aux Presses universitaires de la Méditerranée (avec Pierre Caizergues). Il a récemment réuni et préfacé, sous le titre Apollinaire & Cie, un riche choix d’articles de Pierre Caizergues sur Apollinaire, Cendrars, Cocteau et Jean-Claude Renard (PULM, 2018, 504 p.).
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